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4A_318/2020 (f) du 22.12.2020, destiné à la publication – Arbitrage international en matière de sport – Demande de révision d’un arrêt du TAS et récusation d’un arbitre / Garantie d’un tribunal indépendant et impartial – 30 al. 1 Cst

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_318/2020 (f) du 22.12.2020, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

 

Arbitrage international en matière de sport – Demande de révision d’un arrêt du TAS et récusation d’un arbitre

Garantie d’un tribunal indépendant et impartial / 30 al. 1 Cst.

 

Un arbitre doit, à l’instar d’un juge étatique, présenter des garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité. Le non-respect de cette règle conduit à une désignation irrégulière relevant de l’art. 190 al. 2 let. a LDIP en matière d’arbitrage international. Pour dire si un arbitre présente de telles garanties, il faut se référer aux principes constitutionnels développés au sujet des tribunaux étatiques, en ayant égard, toutefois, aux spécificités de l’arbitrage – surtout dans le domaine de l’arbitrage international – lors de l’examen des circonstances du cas concret (ATF 142 III 521 consid. 3.1.1; 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 608 et les précédents cités; arrêts 4A_292/2019 du 16 octobre 2019 consid. 3.1; 4A_236/2017 du 24 novembre 2017 consid. 3.1.1).

La garantie d’un tribunal indépendant et impartial découlant de l’art. 30 al. 1 Cst. permet d’exiger la récusation d’un juge dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à l’affaire puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d’une partie. Elle n’impose pas la récusation seulement lorsqu’une prévention effective du juge est établie, car une disposition relevant du for intérieur ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Cependant, seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles d’une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3; 142 III 521 consid. 3.1.1; 140 III 221 consid. 4.1 et les arrêts cités).

 

S’agissant du motif de récusation tiré des remarques prétendument désobligeantes et déplacées faites dans la sentence attaquée, on relèvera d’emblée que le requérant aurait dû l’invoquer dans les trente jours suivant la notification de la sentence, ce qu’il n’a pas fait. Aussi l’intéressé est-il forclos à fonder sa demande de révision sur certains passages de la sentence attaquée, mis en évidence par lui, lesquels ne sauraient, de toute façon, justifier la récusation de l’arbitre mis en cause.

Quant à l’autre motif avancé par l’intéressé pour obtenir la récusation de l’arbitre concerné, il y a lieu de relever qu’un arbitre peut parfaitement défendre ses convictions sur les différents réseaux sociaux. Cela ne signifie pas pour autant que l’arbitre puisse exprimer sur internet tout ce qu’il pense, en des termes extrêmement forts, sans risquer d’éveiller certaines craintes, fussent-elles infondées, quant à son impartialité, et ce même s’il n’agit pas sous sa « casquette » d’arbitre.

En l’occurrence, il est clair que l’arbitre, qui a de toute évidence pris fait et cause pour la défense des animaux, a entendu, par ses différents tweets, fustiger une pratique chinoise en matière d’abattage de chiens, assimilée par lui à de la torture, de même que la dégustation à grande échelle, à l’occasion d’un festival gastronomique annuel local, de la chair des animaux sacrifiés et dénoncer des personnes que l’arbitre considère comme des bourreaux. L’arbitre n’a en outre pas hésité à dénoncer les actes de cruauté envers les animaux commis dans d’autres pays et à soutenir des personnes de nationalité chinoise ayant entrepris des démarches en vue de mettre un terme à la pratique dénoncée par lui. Ses violentes critiques n’étaient ainsi visiblement pas dirigées contre tous les ressortissants chinois. Considéré abstraitement, le fait pour l’arbitre de critiquer sévèrement la consommation de viande canine lors du festival annuel de Yulin et de dénoncer certains ressortissants chinois coupables selon lui de torture envers les animaux ne saurait, à lui seul, constituer une circonstance permettant d’inférer l’existence d’un parti pris de l’arbitre mis en cause à l’encontre de tout ressortissant chinois. A cet égard, si l’on voulait tenter une comparaison, on pourrait prendre l’exemple d’un arbitre de nationalité indienne qui s’insurgerait, sur les réseaux sociaux, en des termes sévères, contre la pratique de la corrida qui a cours dans certaines régions d’Espagne. A supposer que cette personne siège dans une Formation du TAS appelée à statuer sur un appel formé contre une sanction disciplinaire infligée à un athlète espagnol, serait-elle récusable à raison des déclarations faites par elle pour dénoncer la cruauté commise selon elle envers les animaux ? La réponse devrait probablement être résolue par la négative, en l’absence d’autres circonstances corroboratives.

Cela étant, il faut bien voir que ce n’est pas tant la cause défendue par l’arbitre qui apparaît en l’espèce problématique mais plutôt certains termes employés par lui. En effet, l’arbitre n’a pas hésité à utiliser des termes extrêmement violents, de façon répétée, et plusieurs messages ont été publiés alors même que la présente affaire était en cours d’instruction devant le TAS. Il a notamment usé des termes suivants: « those bastard sadic chinese who brutally killed dogs and cats in Yulin », « This yellow face chinese monster smiling while torturing a small dog,deserves the worst of the hell », « those horrible sadics are CHINESE! », « Old yellow-face sadic trying to kill and torture a small dog », « Torturing innocent animal is a flag of chinese!Sadics, inhumans ». Parmi ceux-ci, les mots « yellow face », utilisés à deux reprises par l’arbitre, après sa désignation en tant que président de la Formation, sont sans nul doute les plus contestables. Certes, l’arbitre concède lui-même que certains mots ont parfois dépassé sa pensée. Dire que les termes « yellow face » sont  » maladroits « , comme le soutient la fondation intimée, relève toutefois de l’euphémisme. Si on les replace dans leur contexte, ces mots, utilisés au singulier, qui ont pu être prononcés sous le coup de l’émotion procurée par des images considérées comme révoltantes par l’intéressé, visent certes à chaque fois une personne déterminée que l’arbitre a individualisée sur une vidéo et/ou une photographie et qu’il traite aussi de sadique parce qu’elle est, selon lui, en train de torturer un petit chien. Cependant, ces termes font manifestement référence à la couleur de peau de certains individus chinois et ne visent nullement à qualifier leur comportement jugé cruel, à l’inverse d’autres termes incisifs voire blessants utilisés par l’arbitre, tels que « sadique ». De tels qualificatifs, quand bien même ils ont été employés dans un contexte particulier, n’ont strictement rien à voir avec les actes de cruauté reprochés à certains ressortissants chinois et sont, quel que soit le contexte, inadmissibles. Si l’on ajoute à cela le fait que l’arbitre a tenu de tels propos, non seulement à deux reprises, mais aussi après sa désignation en tant que président d’une Formation appelée à statuer sur l’appel interjeté par un ressortissant chinois, alors même que la procédure était pendante, il y a lieu d’admettre que les appréhensions du requérant quant à l’éventuelle partialité de l’arbitre mis en cause peuvent passer pour objectivement justifiées. A cet égard, il importe peu que l’arbitre incriminé soit, subjectivement, conscient ou non du fait que ses déclarations apparaissent critiquables d’un point de vue objectif. Seule l’appréciation objective des circonstances alléguées à l’appui d’une demande de récusation est en effet décisive. Or, en l’occurrence, les circonstances précitées, considérées du point de vue d’un tiers raisonnable en ayant connaissance, sont de nature à faire naître un doute sur l’impartialité de l’arbitre mis en cause et à créer une apparence de prévention.

Sur le vu de ce qui précède, le motif de récusation avancé par le requérant s’avère fondé. Il y a dès lors lieu d’admettre la demande de révision et, partant, d’annuler la sentence attaquée. Il convient en outre de prononcer la récusation de l’arbitre incriminé.

 

 

Arrêt 4A_318/2020 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 15.01.2021 disponible ici