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8C_112/2023 (f) du 11.12.2023 – Causalité naturelle – Vraisemblance d’une entorse de genou – 6 LAA / Valeur probante du rapport du médecin-conseil

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_112/2023 (f) du 11.12.2023

 

Consultable ici

 

Causalité naturelle – Vraisemblance d’une entorse de genou / 6 LAA

Valeur probante du rapport du médecin-conseil

 

Assuré, né en 1971, gestionnaire documentaire, a fait déclarer le 23.09.2020 l’événement du 22.08.2020 lors duquel il avait raté une marche d’escalier et s’était fait mal au genou. Le spécialiste en chirurgie orthopédique traitant a rapporté qu’après sa chute dans les escaliers, l’assuré avait ressenti des douleurs au niveau de son genou gauche, exacerbées à la montée des escaliers. Une IRM réalisée le 27.11.2020 avait révélé une déchirure du ménisque interne associée à une arthrose fémoro-tibiale interne débutante. L’orthopédiste traitant a constaté que le genou gauche était calme, peu tuméfié. Il a posé le diagnostic de déchirure de la corne postérieure du ménisque interne du genou gauche symptomatique. Le médecin généraliste traitant de l’assuré a indiqué que l’assuré avait « loupé » une marche le 22.08.2020 et avait chuté par la suite, avec une charge importante sur la jambe gauche. Les douleurs s’étaient développées progressivement sur une semaine. La descente des escaliers augmentait les douleurs. Il a constaté l’absence de blocage, de tuméfaction et d’épanchement. Les douleurs se situaient au compartiment interne et à la corne postérieure du ménisque interne. L’assurance-accidents a pris en charge le cas.

Le 06.01.2021, le spécialiste en chirurgie orthopédique a pratiqué une arthroscopie sur le genou gauche de l’assuré (résection-égalisation de la corne postérieure du ménisque interne).

Par décision du 05.03.2021, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a informé l’assuré que selon l’appréciation de son médecin d’arrondissement, la Dre E.__, l’événement du 22.08.2020 avait cessé de déployer ses effets depuis de nombreuses semaines mais au plus tard à la fin du mois de novembre 2020 ; l’assurance-accidents ne prenait pas en charge les frais de l’opération du 06.01.2021 et mettait fin aux prestations d’assurance (indemnité journalière et frais de traitement) le 15.12.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 110/21-5/2023 – consultable ici)

Par jugement du 16.01.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Pour la cour cantonale, l’avis du spécialiste en chirurgie orthopédique traitant n’était pas de nature à mettre en doute l’appréciation convaincante du médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents. En tant qu’il était d’avis que la déchirure méniscale était d’origine accidentelle, son argumentation reposait essentiellement sur l’absence de douleurs avant l’accident et sur la persistance des douleurs plus de trois mois après l’accident, ainsi que sur le fait que l’assuré aurait subi, d’après lui, une torsion du genou. Or, pour les juges cantonaux, une telle torsion n’était pas avérée. Il n’en était question ni dans la déclaration d’accident (qui mentionnait expressément une contusion), ni dans le rapport intermédiaire établi par le premier médecin consulté par l’assuré en septembre 2020, ni dans la description de l’accident par l’assuré lui-même lors d’un entretien du 03.02.2021 avec un collaborateur de l’assurance-accidents. Lors de cet entretien, l’assuré avait précisé s’être « tordu le genou droit à ski en 2014 » ; en revanche, il ne mentionnait pas de torsion du genou gauche dans sa description de l’accident du 22.08.2020. Il exposait avoir raté les deux dernières marches de l’escalier, avoir chuté en avant et s’être retrouvé « avec la jambe gauche pliée sous les fesses ». Selon la cour cantonale, cette description concordait avec la notion de « charge importante sur la jambe gauche » figurant dans le rapport du médecin généraliste traitant. Elle ne permettait cependant pas de constater un mécanisme de torsion lors de l’accident et il était peu vraisemblable que l’assuré n’eût pas mentionné explicitement un mouvement de torsion lors de l’entretien du 03.02.2021, ni lors de sa première consultation auprès du médecin traitant si celui-ci se fût effectivement produit. Quant au rapport de l’orthopédiste traitant, il était insuffisant pour établir à lui seul, au degré de la vraisemblance prépondérante, une torsion du genou, compte tenu des autres pièces au dossier, d’autant que ce médecin paraissait partir du principe que toute chute dans un escalier impliquait une torsion du genou. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutenait l’orthopédiste traitant, la survenance et la persistance des douleurs plus de trois mois après l’accident ne permettait pas, sous réserve d’autres indices concordants, de tirer des conclusions sur l’origine accidentelle d’une lésion méniscale, dès lors qu’il s’agissait d’un raisonnement « post hoc ergo propter hoc ».

Consid. 4
Dans un premier grief, l’assuré conteste l’absence de torsion retenue par la cour cantonale dans le mécanisme de sa chute. Il estime que l’absence spécifique de mention de torsion au genou ne saurait exclure l’existence d’une telle torsion.

En l’occurrence, comme l’a déjà constaté la juridiction cantonale, l’assuré n’a jamais fait état d’une entorse au genou tout au long de ses différentes déclarations. Par ailleurs, la Dre E.__ avait indiqué que si l’assuré avait subi une entorse du genou, il est probable qu’il aurait enflé immédiatement et qu’il aurait ressenti des douleurs à la marche, et non seulement en position assise avec le genou à 90°; il aurait également présenté une impotence fonctionnelle immédiatement, ce qui n’avait pas été le cas. Vu ce qui précède, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations des juges cantonaux, selon lesquelles l’assuré n’a pas subi de torsion de son genou gauche le 22.08.2020.

 

Consid. 5
La juridiction cantonale a retenu que l’assuré n’apportait aucun élément permettant de faire naître un doute quant à l’impartialité ou l’indépendance de la Dre E.__. Elle a au demeurant retenu que les médecins d’arrondissement ainsi que les spécialistes du centre de compétence de la médecine des assurances de la CNA étaient considérés, par leur fonction et leur position professionnelle, comme étant des spécialistes en matière de traumatologie, indépendamment de leur spécialisation médicale, de sorte que le grief de l’assuré relevant de l’absence de compétence et de légitimité de la Dre E.__ devait être écarté. Par ailleurs, la cour cantonale a également retenu que s’il eût été préférable que la Dre E.__ cite d’emblée ses sources médicales et qu’elle le fasse de manière plus précise, par exemple en mentionnant à quel passage ou à quelle page de quel ouvrage elle se référait pour chacune de ses affirmations, ce grief ne suffisait toutefois de loin pas à mettre en doute ses constatations dans la présente procédure. En tant que l’assuré conteste derechef l’appréciation de la Dre E.__, au motif que cette dernière n’est pas spécialiste en chirurgie orthopédique et qu’elle ne cite pas de manière suffisamment précise ses sources médicales, il y a lieu de renvoyer aux considérants convaincants de l’arrêt attaqué.

 

Consid. 6
Dans un ultime grief, l’assuré soutient encore que c’est manifestement à tort que les juges cantonaux ont considéré qu’il y avait lieu d’accorder une pleine valeur probante aux différents rapports établis par la Dre E.__ puisque dans la cause 8C_401/2019 du 9 juin 2020 tranchée par le Tribunal fédéral, une valeur probante avait été accordée au médecin spécialiste de l’assuré et non au médecin-conseil de l’assurance-accidents.

Ce n’est pas parce que dans un cas différent de celui en l’espèce, les juges ont accordé plus de poids à l’avis d’un spécialiste qu’aux médecins-conseils de l’assurance-accidents que cela doit toujours en être ainsi. En effet, selon une jurisprudence constante, l’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a). Dans le cas précité, les juges cantonaux avaient dénié toute valeur probante aux appréciations des médecins-conseil, expliquant qu’on était en droit d’attendre de ces derniers soutenant l’origine non accidentelle des lésions au niveau de l’épaule de la personne assurée, qu’ils étayent leur point de vue et qu’ils fournissent des explications circonstanciées sur le processus non traumatique qu’ils estimaient être à l’origine des atteintes constatées, ainsi que les raisons pour lesquelles le mécanisme accidentel n’aurait objectivement pas pu causer l’ensemble de ces atteintes, ce qu’ils n’avaient apparemment pas fait.

En l’espèce, la cour cantonale s’est dite cependant convaincue par l’avis du médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents, lequel n’était pas mis en doute par celui du spécialiste en chirurgie orthopédique traitant, ce dernier fondant ses constatations sur une hypothèse différente quant au déroulement de l’accident, à savoir l’existence d’une torsion du genou, ainsi que sur l’absence de douleurs avant l’accident et sur leur persistance plus de trois mois après l’accident, ce qui relevait d’une argumentation « post hoc ergo propter hoc », insuffisante pour justifier à elle seule l’origine accidentelle d’une lésion méniscale. Dans ces circonstances, la cour cantonale pouvait, sans violer le droit fédéral, se fonder sur l’avis du médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents. En outre, dès lors qu’elle était parvenue à juste titre à la conclusion que l’avis du spécialiste en chirurgie orthopédique traitant n’était pas de nature à mettre en doute la fiabilité et la pertinence de l’appréciation de la Dre E.__, la cour cantonale n’avait pas le devoir de mettre en œuvre une expertise (cf. ATF 135 V 465 consid. 4).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_112/2023 consultable ici

 

8C_50/2023 (f) du 14.09.2023 – Troubles dorsaux – Statu quo sine vel ante – 6 LAA / Valeur probante d’une expertise médicale judiciaire niée quant à la causalité naturelle

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_50/2023 (f) du 14.09.2023

 

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Troubles dorsaux – Statu quo sine vel ante / 6 LAA

Valeur probante d’une expertise médicale judiciaire niée quant à la causalité naturelle

 

Assuré, né en 1989, chauffeur-livreur, a été victime, le 08.05.2018, d’une agression. Le bilan radiologique effectué juste après l’accident, comprenant des radiographies du poignet droit ainsi que des scanners thoraco-abdominal et de la colonne cervicale, n’a pas mis en évidence de fracture, de lésion osseuse post-traumatique ni d’atteinte post-traumatique des organes infra-abdominaux. Le diagnostic de contusion du rachis dorso-lombaire a été retenu. En outre, ces examens ont révélé un antélisthésis de L5 de grade I de 4 mm sur lyse isthmique bilatérale.

Par décision du 11.02.2019, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations d’assurance avec effet au 28.02.2019, retenant que les troubles dont se plaignait encore l’assuré n’étaient pas suffisamment démontrables du point de vue organique et qu’il n’y avait pas de séquelle en lien de causalité adéquate avec l’accident. Par décision sur opposition du 16.04.2019, l’assurance-accidents a écarté l’opposition formée par l’assuré. Sur le plan somatique en particulier, elle a repris les conclusions de son médecin-conseil 1, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, qui a retenu en substance que le spondylolisthésis révélé par les examens réalisés le 08.05.2018 était sans rapport avec l’accident, que le diagnostic de contusion dorso-lombaire devait être retenu et qu’on pouvait raisonnablement estimer qu’au-delà de six mois, le lien de causalité entre les symptômes persistants et l’évènement initial était tout au plus possible.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1091/2022 – consultable ici)

La cour cantonale a ordonné une expertise médicale sur la question du lien de causalité entre les troubles de l’assuré et l’accident, qu’elle a confiée au professeur E.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. Dans son rapport du 16.03.2022, l’expert a constaté pour l’essentiel que la spondylolyse était un état préexistant que l’accident avait probablement activé, sans l’avoir causé, provoquant des douleurs importantes et invalidantes, et que la situation n’était pas encore stabilisée sur le plan des lombalgies. L’assurance-accidents a produit une appréciation du 21.04.2022 de son médecin-conseil 2, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, qui critiquait les conclusions du professeur E.__. Invité par la cour cantonale à préciser certains points de son expertise, s’agissant de la stabilisation de l’état de santé et de la capacité de travail de l’assuré, le professeur E.__ a répondu qu’une activité adaptée serait exigible à 50% dès le 01.09.2022 et à 100% dès septembre 2023. Dans le cadre d’une nouvelle appréciation, le médecin-conseil de l’assurance-accidents soulignait l’absence d’éléments mettant en cause l’existence d’un statu quo sine atteint à six mois de l’accident.

Par jugement du 08.12.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, se ralliant aux conclusions du professeur E.__, annulant la décision sur opposition et reconnaissant le droit de l’assuré à des indemnités journalières complètes jusqu’au 31.08.2022, puis à des indemnités journalières correspondant à une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée du 01.09.2022 au 31.08.2023.

 

TF

Consid. 4.2
En vertu de l’art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l’atteinte à la santé n’est que partiellement imputable à l’accident. Lorsqu’un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l’assurance-accidents d’allouer des prestations cesse si l’accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l’accident. Tel est le cas lorsque l’état de santé de l’intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l’accident (statu quo ante) ou à celui qui existerait même sans l’accident par suite d’un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n’est pas rétabli, l’assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l’état maladif préexistant, dans la mesure où il s’est manifesté à l’occasion de l’accident ou a été aggravé par ce dernier (ATF 146 V 51 consid. 5.1 et les arrêts cités). Le seul fait que des symptômes douloureux ne se sont manifestés qu’après la survenance d’un accident ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet évènement (raisonnement « post hoc ergo propter hoc »; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb; arrêt U 215/97 du 23 février 1999 consid. 3b, in RAMA 1999 n° U 341 p. 407). En principe, on examinera si l’atteinte à la santé est encore imputable à l’accident ou ne l’est plus (statu quo ante ou statu quo sine) sur le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1), étant précisé que le fardeau de la preuve de la disparition du lien de causalité appartient à la partie qui invoque la suppression du droit (ATF 146 V 51 précité consid. 5.1 et les arrêts cités; arrêt 8C_606/2021 du 5 juillet 2022 consid. 3.2).

Consid. 4.3
S’agissant de la valeur probante d’une expertise judiciaire, on rappellera en plus que le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4; 125 V 351 E. 3a).

 

Consid. 7.1
En cas de lombalgies et lombosciatalgies, la jurisprudence admet qu’un accident a pu décompenser des troubles dégénératifs préexistants au niveau de la colonne lombaire, auparavant asymptomatiques. En l’absence d’une fracture ou d’une autre lésion structurelle d’origine accidentelle, elle considère toutefois que selon l’expérience médicale, le statu quo sine est atteint, au degré de la vraisemblance prépondérante, en règle générale après six à neuf mois, au plus tard après une année. Il n’en va différemment que si l’accident a entraîné une péjoration déterminante, ce qui doit être établi par des moyens radiologiques et se distinguer d’une évolution ordinaire liée à l’âge (cf. arrêts 8C_102/2021 du 26 mars 2021 consid. 6.3.1; 8C_408/2019 du 26 août 2019 consid. 3.3; 8C_726/2010 du 19 novembre 2010 consid. 3.4; 8C_326/2008 du 24 juin 2008 consid. 3.2 et 3.3; 8C_677/2007 du 4 juillet 2008 consid. 2.3.2, in SVR 2009 UV n° 1 p. 1; U 290/06 du 11 juin 2007 consid. 4.2.1, in SVR 2008 UV n° 11 p. 34; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 60/02 du 18 septembre 2002 consid. 3.2).

Consid. 7.2
En l’espèce, l’expert judiciaire et le médecin-conseil partagent l’avis qu’on est en présence d’un état préexistant, qui n’était pas causé par l’accident, faute de traumatisme sévère, l’assuré ayant chuté de sa hauteur. En effet, le professeur E.__ a expliqué, que la survenue d’un spondylolisthésis ou d’une spondylolyse lombaire post traumatique était comprise comme étant une lésion rare qui ne survenait que lors d’un traumatisme majeur (chute d’une hauteur de plusieurs mètres, collision sévère, écrasement). Le médecin-conseil a retenu que la théorie traumatique ne pouvait prospérer que lorsque le traumatisme était très sévère, ce dernier entrainant une fracture aiguë de l’isthme lors du mécanisme très violent. Il a noté en outre que le spondylolisthésis était un glissement de la vertèbre L5 sur le sacrum. Sur le plan médico-assécurologique, il n’avait pas été créé par l’évènement, ni même aggravé de façon définitive, en vraisemblance prépondérante. La mobilité du segment vertébral L5-S1 n’avait pas pu être aggravée par l’évènement à faible cinétique, évènement qui n’avait pas créé d’atteinte de surcroît.

En ce qui concerne l’état préexistant, ces deux praticiens sont rejoints par le premier médecin-conseil qui a relevé que le bilan radiologique effectué le 08.05.2018 n’avait pas mis en évidence de fracture, en particulier de fracture vertébrale dorso-lombaire, ou de lésion structurelle pouvant être mise en rapport avec le traumatisme. Au surplus, le docteur G.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, qui avait examiné l’assuré le 24.05.2019, a expliqué dans son rapport du même jour que le CT-Scanner thoraco-abdominal réalisé le 08.05.2018 montrait l’absence de lésion fracturaire avec la présence d’un antélisthésis de L5-S1 et une lyse isthmique bilatérale de L5. Il précisait qu’il était très fréquent de découvrir fortuitement des lyses isthmiques, qui étaient des lésions fréquentes pouvant atteindre jusqu’à 15% de la population et qui n’étaient que très rarement liées à des accidents. L’image de cette lyse isthmique ne faisait pas du tout penser à une lyse fracturaire; il s’agissait probablement d’une lésion présente depuis plusieurs années. Cette lésion n’expliquait pas à elle-même les problèmes du patient. Probablement, l’accident, avec le choc au niveau lombaire, pouvait provoquer des douleurs lombaires propres à aggraver une situation déjà précaire.

 

Consid. 7.3
Il ressort de ce qui vient d’être dit qu’en l’espèce, aucun élément médical objectif n’atteste l’existence d’une fracture ou d’une lésion structurelle attribuable à l’accident. En l’absence d’une telle lésion, la persistance de douleurs et d’une importante contracture musculaire ne suffit pas à constater, au degré de la vraisemblance prépondérante, une aggravation déterminante d’origine accidentelle. Dans ce contexte, les considérations du professeur E.__ relatives à l’absence de pertinence de la notion de statu quo sine, au motif que la spondylolyse isthmique reste dans la majorité des cas asymptomatique, ne peuvent pas être suivies car elles négligent les autres atteintes dégénératives constatées dans le cas d’espèce. Par ailleurs, le professeur E.__ n’expose pas en quoi les articles et ouvrages scientifiques qu’il cite feraient état de connaissances médicales nouvelles, postérieures à la jurisprudence citée ci-avant (consid. 7.1) et qui justifieraient de la remettre en cause.

Consid. 7.4
Vu ce qui précède, l’expertise du professeur E.__ ne permet pas de constater la persistance d’un rapport de causalité naturelle entre les lombalgies présentées par l’assuré et l’accident assuré, plus d’une année après cet accident. Contrairement à l’avis de l’assurance-accidents, elle suffit en revanche pour admettre la persistance d’un rapport de causalité pendant une année après l’accident, ce que la jurisprudence n’exclut pas. Sur ce point, l’assurance-accidents ne peut pas être suivie lorsqu’elle demande, en se référant aux avis de ses médecins-conseil, le constat d’un statu quo sine moins d’une année après l’accident. Le premier médecin-conseil a certes soutenu qu’un statu quo sine était atteint six mois déjà après l’accident, mais au terme d’une analyse très schématique, sans s’appuyer sur un examen clinique de l’assuré ni analyser en détail les constatations cliniques de ses confrères. Il en va de même du second médecin-conseil, qui a par ailleurs pris en considération, dans son analyse, une évolution de vie à 55 ans, alors que l’assuré était âgé de 29 ans au moment de l’accident. Dans ces conditions, les avis exprimés par ces deux médecins ne suffisent pas à établir, au degré de vraisemblance prépondérante, un statu quo sine moins d’une année après l’évènement accidentel.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_50/2023 consultable ici

 

8C_554/2022 (f) du 22.06.2023 – Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents / Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – Déchirure du LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_554/2022 (f) du 22.06.2023

 

Consultable ici

 

Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents / 36 LPGA

Examen d’un conflit d’intérêt entre le médecin-conseil et le médecin-traitant travaillant dans une clinique qui collabore avec plus de 200 médecins spécialistes

Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – Déchirure du LCA – Rapport du médecin-conseil / 6 LAA

Demande de révision procédurale / 53 al. 1 LPGA

 

Assurée, infirmière, s’est blessée au genou gauche le 05.12.2007 (choc contre un lit) et présentait des douleurs au niveau du genou, du tibia et de la cheville gauches. Aucun diagnostic précis n’a été posé durant les différentes investigations réalisées. En 2009, l’assurée a consulté à plusieurs reprises pour les douleurs à sa jambe gauche le Dr  C.__ spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, qui lui a prescrit neuf séances de physiothérapie. Par déclaration de rechute du 18.01.2013, l’employeur a annoncé à l’assurance-accidents que l’assurée souffrait d’un début d’arthrose. Après avoir recueilli l’avis du Dr  D.__, médecin-conseil et spécialiste en chirurgie orthopédique, l’assurance-accidents a rendu le 04.03.2013 une décision, confirmée sur opposition le 12.06.2013, constatant que les troubles traités dès le 08.01.2013 n’étaient pas en relation de causalité naturelle avec l’accident du 05.12.2017 et que la responsabilité de l’assurance-accidents n’était dès lors pas engagée.

Le 08.05.2018, l’assurée a glissé sur un marque-page en sortant du lit et a subi une foulure respectivement une entorse du genou gauche. Dans un rapport d’IRM réalisée le 20.02.2019, il est fait état d’une rupture ancienne du LCA, d’une arthrose fémoro-tibiale médiane sévère et d’une chondropathie de grade II diffuse fémoro-tibiale latérale. Par décision du 15.06.2020, l’assurance-accidents a informé l’assurée que la relation de causalité entre ses lésions au genou gauche et l’accident du 08.05.2018 ne pouvait être admise que jusqu’au 08.08.2018 et que le cas relevait de l’assurance-maladie dès le 09.08.2018. L’assurée a formé opposition contre cette décision, en faisant notamment valoir que la découverte d’une rupture ancienne du LCA lors de l’IRM réalisée en février 2019 constituait un fait nouveau qui justifiait la révision de la décision sur opposition du 12.06.2013. Après avoir soumis une nouvelle fois le cas à son médecin-conseil (Dr  D.__), l’assurance-accidents a rendu le 17.08.2021 une décision sur opposition par laquelle elle a admis jusqu’au 08.11.2018 l’existence d’un rapport de causalité entre l’événement du 08.05.2018 et les troubles du genou gauche, rejetant l’opposition pour le surplus.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 121/21 – 99/2022 – consultable ici)

Par jugement du 15.08.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents

Consid. 3.1
Dans un grief d’ordre formel, l’assurée fait valoir un motif de récusation à l’encontre du Dr D.__, qui travaille en tant que médecin-conseil de l’assurance-accidents parallèlement à son activité de médecin accrédité à la Clinique H.__ du Groupe G.__.

Consid. 3.2
A cet égard, la cour cantonale a exposé correctement les dispositions légales régissant la récusation d’un médecin-conseil d’un assureur-accidents (cf. art. 36 al. 1 LPGA en lien avec l’art. 10 PA, applicable à titre subsidiaire selon l’art. 55 al. 1 LPGA).

Consid. 3.3
L’assurée invoque un conflit d’intérêts, dans la mesure où le Dr D.__ serait un collègue du Dr C.__, qu’elle avait consulté en 2008 et 2009 et auquel elle reproche de ne pas avoir fait d’IRM de son genou gauche à la suite de l’accident du 5 décembre 2007. A l’appui de son argumentation, elle se réfère à l’ATF 148 V 225.

Consid. 3.4
La cour cantonale a examiné le bien-fondé du motif de récusation et a constaté, sur la base des informations figurant sur le site internet de la Clinique H.__ du Groupe G.__, que cet établissement collaborait avec plus de 200 médecins spécialistes, qui exploitaient des cabinets différents. Elle a conclu que ces circonstances n’étaient pas de nature à créer l’apparence d’une prévention, dans la mesure où le Dr D.__ et le Dr C.__ n’exploitaient pas un même cabinet de groupe.

Consid. 3.5
L’assurée, qui ne conteste pas ces faits, se borne à présenter sa propre appréciation de la situation, sans aucunement démontrer en quoi le raisonnement de la cour cantonale serait manifestement insoutenable. En effet, on peine à comprendre en quoi le fait d’exercer comme médecin accrédité dans la même clinique privée qu’un autre confrère serait susceptible de créer l’apparence d’une prévention, surtout lorsque cette clinique occupe plus de 200 médecins spécialisés. Comme les premiers juges l’ont relevé à bon droit, on ne saurait comparer la situation du cas d’espèce à celle qui a donné lieu à l’ATF 148 V 225, qui concernait deux médecins travaillant dans les mêmes locaux au sein d’un petit cabinet de groupe, dont ils partageaient les frais.

Force est en outre de constater que la supposition de l’assurée selon laquelle il ne serait pas exclu que le Dr C.__ travaille (aussi) en qualité de médecin-conseil de l’assurance-accidents, ne trouve aucun fondement dans les pièces du dossier et est d’ailleurs expressément réfutée par l’assurance-accidents.

Enfin, on ne saurait suivre l’assurée lorsqu’elle entrevoit un indice de prévention dans le fait que l’assurance-accidents ait demandé au Dr C.__ de transmettre les renseignements médicaux directement au Dr D.__ plutôt que de les envoyer à l’adresse électronique générale de l’assureur. En effet, les motifs tenant à l’organisation interne de l’assureur, notamment le fait qu’un médecin spécialiste, comme le Dr D.__, intervienne à plusieurs reprises dans le même dossier, ne constituent pas une raison de douter de son impartialité, même si ses avis ont pu être défavorables à l’assuré (Anne-Sylvie Dupont, in: Dupont/Moser-Szeless [éd.], Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, Bâle 2018, n° 12 ad art. 36 LPGA et les références).

 

Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante

Consid. 4.2
Pour l’examen du lien de causalité naturelle entre l’événement du 08.05.2018 et les troubles au genou, la cour cantonale s’est fondée sur le rapport du médecin-conseil du 23.04.2021. Dans cette appréciation, le médecin-conseil a retenu qu’il était hautement probable que la déchirure du LCA se soit constituée progressivement à cause de la déformation très importante du genou, suffisamment sévère pour générer des contraintes particulièrement anormales sur le pivot central, ainsi qu’à cause d’une conséquence de l’arthrose, l’ostéophytose de l’échancrure, laquelle était susceptible de générer un conflit chronique avec le LCA. Il a conclu, sur la base de l’ensemble des éléments radio-cliniques, que l’événement du 08.05.2018 avait été responsable d’une contusion ou distorsion bénigne du genou qui cessait généralement de déployer ses effets après quelques jours ou semaines, un éventuel hématome ou un œdème post-contusionnel se résorbant dans ce délai. En présence de troubles dégénératifs sous-jacents ou de troubles de surmenage, qui pouvaient ralentir quelque peu la récupération fonctionnelle, le délai de résorption pouvait aller jusqu’à trois, voire six mois si ces troubles étaient importants, par exemple en cas de gonarthrose avancée ou d’obésité morbide. Au-delà de ce délai, et sans preuve d’une lésion structurelle émanant d’un événement traumatique, les troubles persistants étaient dus à une autre cause.

Consid. 4.4
On rappellera que le simple fait qu’un médecin-conseil soit engagé par un assureur et qu’il soit, dans cette fonction, amené à se prononcer plusieurs fois dans un même dossier ne constitue pas un motif pour mettre en doute la fiabilité et la pertinence de ses constatations. Ce qui est au contraire déterminant, c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2; 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a).

Contrairement à ce que soutient l’assurée, le médecin-conseil a été cohérent et constant dans ses rapports des 24.05.2020 et 23.04.2021. Il a en particulier constaté que l’IRM réalisée neuf mois après l’événement du 08.05.2018 avait mis en évidence une déchirure ancienne du LCA, qui – en l’absence de tout épanchement – ne pouvait en l’occurrence pas être rattachée à cet événement, mais constituait une pathologie qui s’était progressivement développée à cause de la déformation très importante du genou gauche (plus marquée que celle du genou droit). Tenant compte du caractère anodin des deux événements accidentels de 2007 et 2018, des éléments radio-cliniques, des courtes périodes d’incapacité de travail et des importantes pathologies préexistantes (obésité, déviation sévère de l’axe de la jambe vers l’intérieur), le médecin-conseil est parvenu à la conclusion que l’événement du 08.05.2018, qui s’est soldé par une contusion ou distorsion bénigne du genou gauche, a transitoirement (soit pendant une durée de trois mois) décompensé l’état de celui-ci.

En l’absence d’un avis médical contraire, c’est à bon droit que la cour cantonale s’est fondée sur l’appréciation du médecin-conseil, sans qu’il fût nécessaire d’administrer des preuves supplémentaires (cf. ATF 148 V 356 consid. 7.4 sur l’appréciation anticipée des preuves), et a retenu que l’assurance-accidents était fondée à mettre un terme au versement des prestations d’assurance six mois après l’événement du 08.05.2018.

 

Demande de révision procédurale

Consid. 5.1
Les juges cantonaux ont relevé que la recevabilité de la demande de révision était douteuse, puisque l’assurée n’avait demandé la révision de la décision sur opposition du 12.06.2013 que le 30.07.2020, soit plus d’une année après la découverte de la déchirure du LCA. Ils ont en outre relevé que la découverte de la rupture du LCA en février 2019 ne semblait pas être un fait nouveau ouvrant la voie de la révision, dès lors que le rapport d’IRM ne permettait pas de dater la déchirure du LCA et qu’aucune pièce médicale ne permettait de lier, au degré de la vraisemblance prépondérante, cette atteinte à l’accident survenu onze ans plus tôt. Sur la base de ces constatations, la cour cantonale a conclu qu’il n’existait pas de motif de révision.

Consid. 5.2
L’assurée se limite à soulever des critiques de type appellatoire, sans démontrer en quoi la juridiction cantonale aurait établi les faits de manière manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l’art. 95 LTF. En particulier, elle ne se prononce aucunement sur la recevabilité de sa demande de révision, ni ne démontre que les conditions nécessaires à la révision d’une décision administrative (cf. arrêt 8C_562/2019 du 16 juin 2020 consid. 3) seraient remplies, si bien qu’il n’y a pas lieu de revenir sur l’appréciation de la cour cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_554/2022 consultable ici

 

8C_712/2021 (f) du 10.08.2022 – Valeur probante d’une appréciation sur dossier du médecin-conseil / Causalité naturelle entre une chute sur le séant et discopathie cervicale protrusive – Statu quo sine vel ante après 6 mois / 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2021 (f) du 10.08.2022

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’une appréciation sur dossier du médecin-conseil

Causalité naturelle entre une chute sur le séant et discopathie cervicale protrusive – Statu quo sine vel ante après 6 mois / 6 LAA

 

Assurée, née en 1967, engagée le 06.01.2020 comme nettoyeuse à un taux d’activité de 50%. Le 21.01.2020, l’assurée a chuté sur la fesse droite et a subi un choc à la tête, sans perte de connaissance, en ratant une marche d’escalier. Elle a été soignée le jour même à l’hôpital, où les médecins ont constaté des contusions multiples et réalisé une radiographie de la colonne cervicale et dorsale ainsi que du genou droit. Le rapport de radiographie du 22.01.2020 ne fait pas état de lésions particulières de la colonne, mais mentionne une tuméfaction du récessus sous-quadricipital au niveau du genou droit. L’assurée a présenté depuis l’accident une incapacité totale de travail, souffrant de névralgies cervico-brachiales droites paresthésiantes.

Une IRM cervicale pratiquée le 10.02.2020 a mis en évidence une discopathie protrusive prédominant au niveau postéro-latéral gauche en C3-C4, une discopathie protrusive avec petite composante foraminale droite en C4-C5, ainsi que l’absence de signe de lésion osseuse traumatique.

Se fondant sur l’avis du 14.05.2020 de son médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, l’assurance-accidents a rendu, le 01.07.2020, une décision par laquelle elle a mis fin à ses prestations au 21.07.2020.

Un rapport d’examen électroneuromyographique (ENMG) réalisé le 27.07.2020 par un spécialiste en neurologie a conclu à l’absence d’argument évident et clair pour un syndrome du tunnel carpien des deux côtés, à un ralentissement de la vitesse de conduction focale au carpe des sensitives du nerf médian, plus accusé à droite qu’à gauche, qui pourrait être suggestif d’un début de tunnel carpien étroit à droite, mais dont l’aspect électrophysiologique pouvait se voir chez les sujets sains et asymptomatiques. Toujours selon les conclusions du praticien, le caractère diffus des fourmillements et mal systématisé pourrait évoquer une souffrance du plexus cervico-brachial dans le contexte de la chute « avec un traumatisme sur l’épaule également » mais l’ENMG était normale et ne montrait pas de lésion de ce dernier.

Après avoir soumis une nouvelle fois le dossier à son médecin-conseil, l’assurance-accidents a, le 25.09.2020, rejeté l’opposition à la décision du 01.07.2020.

 

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/928/2021 – consultable ici)

Par jugement du 14.09.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Lorsqu’un cas d’assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l’art. 44 LPGA, l’appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères: s’il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d’un médecin de l’assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 145 V 97 consid. 8.5; 142 V 58 consid. 5.1; 139 V 225 consid. 5.2).

Consid. 3.3.1
Dans son rapport final du 18.09.2020, le médecin-conseil a retenu que l’assurée présentait en raison de son âge (52 ans au moment de la chute) des discopathies protrusives en C3-C4 et C4-C5 de nature dégénérative. Il a relevé que l’IRM cervicale était favorable et confirmait que ces discopathies n’avaient pas entraîné de compression neurologique, ni de hernie compressive des racines nerveuses cervicales, ce qui était aussi confirmé par l’ENMG. Comme l’indiquait le neurologue consulté le 27.07.2020, le caractère diffus des fourmillements pourrait évoquer une souffrance du plexus cervico-brachial mais un traumatisme de l’épaule n’avait pas été évoqué et, s’il avait existé, il se serait agi d’une contusion simple. Par conséquent, il n’existait pas d’atteinte lésionnelle imputable à l’accident au niveau cervical, dorsal et de toutes les zones contusionnées. Sur le plan médico-assécurologique régulier, ce type d’événement accidentel cessait ses effets six mois après sa survenance. Les symptômes présentés par l’assurée étaient en rapport avec une pathologie sous-jacente, certes peut-être méconnue, révélée par l’accident, mais qui ne rentrait pas en relation de causalité avec celui-ci au degré de la vraisemblance prépondérante.

Consid. 3.3.2
En l’occurrence, le fait que le médecin d’arrondissement se soit prononcé sur dossier ne suffit pas à mettre en doute la force probante de son appréciation dans la mesure où ce praticien a examiné l’ensemble des pièces médicales versées au dossier, qui elles se fondaient sur un examen personnel de l’assurée (cf. arrêt 8C_469/2020 du 26 mai 2021 consid. 3.2 et les références). Il ne lui incombait pas non plus d’investiguer plus avant la question d’une éventuelle souffrance du plexus cervico-brachial ou du mécanisme du « coup du lapin ». Premièrement, la souffrance du plexus cervico-brachial est mentionnée par le neurologue à titre d’hypothèse dans le contexte de la chute avec traumatisme sur l’épaule. Or un tel traumatisme ne ressort pas expressément des pièces du dossier. En tout état de cause, le neurologue oppose à cette hypothèse le fait que l’ENMG est normale et ne montre pas de lésion du plexus. Deuxièmement, en matière de lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin », de traumatisme analogue ou de traumatisme cranio-cérébral sans preuve d’un déficit fonctionnel organique, l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident et l’incapacité de travail ou de gain doit en principe être reconnue en présence d’un tableau clinique typique présentant de multiples plaintes (maux de têtes diffus, vertiges, troubles de la concentration et de la mémoire, nausées, fatigabilité, troubles de la vue, irritabilité, dépression, modification du caractère, etc.). Il faut que l’existence d’un tel traumatisme et de ses suites soit dûment attestée par des renseignements médicaux fiables (ATF 134 V 109 consid. 9.1; arrêt 8C_400/2020 du 14 avril 2021 consid. 2.2). En l’espèce toutefois, aucune pièce médicale ne permet de retenir l’existence d’un tableau typique des traumatismes cervicaux et cranio-cervicaux.

En ce qui concerne la nature des troubles, on ne saurait exiger du médecin d’arrondissement – qui s’est référé à l’IRM et à l’âge de l’assurée – une analyse plus approfondie de la question au vu du diagnostic de discopathies protrusives et des circonstances de l’accident. A cet égard, les rapports des médecins traitants ne permettent pas de mettre en doute la nature dégénérative de ces troubles. En effet, soit ils ne sont pas motivés sur la question, soit la motivation repose sur le seul fait que les symptômes douloureux se sont manifestés après la survenance de l’accident, ce qui ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet accident (raisonnement « post hoc, ergo propter hoc »; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb). Dans ce contexte, il sied de rappeler que le médecin d’arrondissement n’a pas nié que l’accident ait joué un rôle dans la symptomatologie de l’assurée, mais il a considéré qu’après six mois, les troubles persistants ne pouvaient plus être mis en relation de causalité avec l’accident. Dans le même sens, le rapport du docteur I.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, du 29.05.2020 mentionne des douleurs cervicales aggravées par l’accident du 21.01.2020.

Consid. 3.3.3
En conclusion, l’assurée échoue à démontrer qu’une instruction complémentaire apparaissait nécessaire en l’espèce. L’arrêt entrepris échappe donc à la critique et le recours se révèle mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_712/2021 consultable ici

 

8C_724/2021 (f) du 08.06.2022 – Causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – 6 LAA / Les juges cantonaux ne peuvent pas départager des appréciations médicales divergentes en se basant sur des sites internet (sans en vérifier l’exactitude) ni s’ériger en spécialistes médicaux

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_724/2021 (f) du 08.06.2022

 

Consultable ici

 

Causalité naturelle – Statu quo sine vel ante / 6 LAA

Les juges cantonaux ne peuvent pas départager des appréciations médicales divergentes en se basant sur des sites internet (sans en vérifier l’exactitude) ni s’ériger en spécialistes médicaux

 

Assuré, né en 1988, Senior Trader depuis le 01.06.2018 a été victime, le 13.08.2019, d’un accident en se tordant le genou gauche lors d’un cours de jiu-jitsu. L’IRM du 19.08.2019 a révélé pour l’essentiel une fissuration profonde et irrégulière du cartilage de la facette rotulienne interne ainsi qu’une fissure profonde et focale du cartilage de la crête de la rotule, au genou gauche, tandis que le genou droit n’a montré qu’une érosion superficielle du cartilage de la facette rotulienne interne. Le 16.10.2019, l’assurance-accidents a provisoirement refusé de garantir la prise en charge des coûts d’une hospitalisation (arthroscopie du genou). Le docteur C.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, a attesté d’un trauma en valgus au genou gauche, nécessitant une réparation par arthroscopie qui aurait dû être effectuée le 29.10.2019.

Le 17.10.2019, l’assuré a informé l’assurance-accidents qu’il avait requis un second avis médical du docteur D.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. Ce dernier a diagnostiqué une entorse du ligament collatéral médial (LCM = ligament latéral interne [LLI]) au genou gauche, nécessitant un traitement conservateur et a adressé l’assuré au docteur E.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation. Ce praticien a attesté d’une fracture chondrale de la rotule gauche, nécessitant de la physiothérapie.

Le médecin-conseil de l’assurance, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, a retenu dans son rapport du 21.10.2019 un diagnostic d’entorse du LLI à gauche en voie de guérison ainsi qu’un état antérieur, soit une chondropathie fémoro-patellaire des deux côtés; l’accident avait entraîné une aggravation passagère et le statu quo sine vel ante était atteint selon le rapport médical du docteur D.__. Le 25.08.2020, le médecin-conseil a répété son avis, retenant que la seule lésion traumatique était une entorse mineure sans déchirure significative du LCM, que, contrairement à l’avis du docteur E.__, il n’y avait jamais eu de fracture chondrale patellaire gauche mais un état antérieur d’arthrose relativement marquée fémoro-patellaire à gauche (et débutante à droite) et que le statu quo sine avait été atteint au plus tard au 20.01.2020 (date du rapport du docteur E.__).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations avec effet au 20.01.2020, sans réclamer la restitution des prestations réglées à tort.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1003/2021 – consultable ici)

Par jugement du 27.09.2021, admission du recours du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que l’assurance-accidents devait prendre en charge les suites de l’accident du 13.08.2019, dans le sens des considérants

 

TF

Consid. 3.2
Le juge ne peut pas écarter un rapport médical au seul motif qu’il est établi par le médecin interne d’un assureur social, respectivement par le médecin traitant (ou l’expert privé) de la personne assurée, sans examiner autrement sa valeur probante. Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même minimes quant à la fiabilité et à la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2; 135 V 465 consid. 4.7).

Consid. 4.1
L’IRM du 19.08.2019 a objectivé une fissuration profonde et irrégulière du cartilage de la facette rotulienne interne, s’étendant jusqu’à l’os sous-chondral et décollant le cartilage sur toute son épaisseur sur une zone de 7.5 mm ainsi qu’une fissure profonde et focale du cartilage de la crête de la rotule s’étendant quasiment jusqu’à l’os sous-chondral.

Consid. 4.1.1
La cour cantonale a constaté que ces fissures avaient été qualifiées de lésion cartilagineuse par le docteur D.__, de fracture chondrale par le docteur E.__ et de lésion focale du cartilage ou de fracture chondrale par le docteur C.__. En se référant à des sites internet (www.larousse.fr et www.orthopedie-pediatrique.be), elle a considéré que la fracture était définie comme la rupture d’un os ou d’un cartilage dur ou une solution de la continuité des os ou des cartilages, de sorte que la notion de fracture retenue par les docteurs E.__ et C.__ correspondait à la description des lésions objectivées à l’IRM du 19.08.2019.

Consid. 4.1.2
Dans ce contexte, l’assurance-accidents rappelle qu’il n’appartient pas au juge de remettre en cause le diagnostic retenu par un médecin et de poser de son propre chef des conclusions qui relèvent de la science et des tâches du corps médical (arrêt 9C_719/2016 du 1er mai 2017 consid. 5.2.1; cf. arrêt 8C_549/2021 du 7 janvier 2022 consid. 7.1). C’est donc à juste titre qu’elle reproche aux juges cantonaux de ne pas s’être basés sur l’avis d’un expert, mais sur des sites internet (sans en vérifier l’exactitude) pour départager les appréciations médicales divergentes et de s’être ainsi érigés en spécialistes médicaux. Il ne s’agit ainsi pas d’un élément propre à mettre en doute la valeur probante des avis du médecin-conseil.

 

Consid. 4.3
Vu les avis contradictoires et impossibles à départager sans connaissances médicales spécialisées concernant l’origine traumatique ou dégénérative de la lésion cartilagineuse au genou gauche, force est de constater que l’instruction de la cause ne permet pas de statuer sur le droit de l’assuré à des prestations d’assurance au-delà du 20.01.2020. Dans ces circonstances, il se justifie de renvoyer la cause aux premiers juges, en admission partielle du recours, pour qu’ils ordonnent une expertise médicale.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et renvoyant la cause au tribunal cantonal pour nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_724/2021 consultable ici

 

4A_558/2020 (f) du 18.05.2021 – Lien de causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage / Allégation globale d’un ensemble de faits par simple référence aux pièces produites pas suffisante – 55 CPC / Causalité naturelle en responsabilité civile – Statu quo sine vel ante

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_558/2020 (f) du 18.05.2021

 

Consultable ici

 

Lien de causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage

Question de fait qui doit être tranché selon la règle du degré de la vraisemblance prépondérante

Allégation globale d’un ensemble de faits par simple référence aux pièces produites pas suffisante / 55 CPC

Causalité naturelle en responsabilité civile – Statu quo sine vel ante

 

B.__, né en 1960, travaillait comme chauffeur de véhicule léger dans le cadre de contrats de durée déterminée pour les Etablissements C.__ lorsqu’il a été victime d’un accident de la circulation, le 26 août 1998. Son véhicule a été embouti par l’arrière et est venu percuter le véhicule qui se trouvait devant lui. Il a qualifié le choc subi lors de l’accident de violent ou, en tous cas, l’a ressenti comme tel. Le delta-v (modification de vitesse du véhicule induite par la collision ou coefficient d’accélération) se situait entre 7 et 13 km/h.

L’employeur a annoncé le cas à l’assurance-accidents D.__ en évoquant une atteinte à la nuque de leur employé avec « coup du lapin ». L’assureur accident versera des indemnités journalières à l’assuré du 1er octobre 1998, date correspondant à la fin de son contrat de travail de durée déterminée auprès des Etablissements C.__ (qui ne sera pas renouvelé), jusqu’au 1er juin 1999. A compter de cette date, l’assureur accident estimera, d’entente avec l’assuré avec lequel il passera une convention le 4 juin 1999, qu’il ne subsistait plus de lien de causalité entre ses troubles et l’accident du 26 août 1998.

A compter de juin 1999, la victime a été indemnisée par l’assurance chômage dans un délai cadre qui a pris fin le 31 mai 2001.

Le 7 décembre 1999, B.__ a déposé une demande de prestations AI en vue d’une rééducation dans la même profession ou de mesures médicales de réadaptation. Dans le cadre de la procédure AI, de nombreuses expertises, examens et rapports ont été effectués. A l’issue d’une procédure qui a mené l’intéressé au Tribunal fédéral et abouti à un renvoi au Tribunal cantonal des assurances, celui-ci a rendu un jugement, le 7 juillet 2008, aux termes duquel il a finalement retenu une incapacité de travail durable de 40 % dans toute activité depuis le 1er septembre 2004 et renvoyé la cause à l’OAI pour calcul de l’incapacité de gain. Ce jugement constate que, sur le plan psychique, l’assuré souffre d’un épisode dépressif moyen avec syndrome somatique depuis plusieurs années, probablement avant 1999, soit avant l’apparition de la fibromyalgie. Le diagnostic de fibromyalgie d’origine psychologique est retenu. Le recours formé par l’assuré contre ce jugement sera rejeté par arrêt du Tribunal fédéral du 15 septembre 2009 (9C_775/2008). Consécutivement, il a été mis au bénéfice d’une demi-rente AI depuis le 1er septembre 2005. Cette rente s’élevait à 408 fr. pour lui et 164 fr. pour chacun de ses deux enfants en juillet 2010.

L’auteur de l’accident était assuré en responsabilité civile auprès de A1.__, devenue A.__ SA (ci-après: la société d’assurances ou la recourante).

 

Procédures cantonales

Par demande du 21 novembre 2011, déclarée non conciliée et portée le 17 janvier 2012 devant le Tribunal de première instance de Genève, la victime a assigné la société d’assurances en paiement de 1’352’061 fr. 30 à titre de perte de gain actuelle et future, de dommage de rente, de dommage ménager actuel et futur, de tort moral et de frais avant procès. Le tribunal a limité la procédure à l’examen de l’existence d’un acte illicite et d’un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’acte en question et l’atteinte à la santé, la question du dommage étant réservée.

Par jugement du 16 décembre 2014, le tribunal a considéré que c’était à juste titre que les parties ne contestaient pas l’existence d’un acte illicite. Il a admis l’existence d’un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’accident de circulation du 26 août 1998 et les atteintes à la santé alléguées par le demandeur ainsi que le dommage qui en résultait, en se fondant sur l’expertise judiciaire, laquelle avait conclu que – sans l’accident – la victime n’aurait vraisemblablement pas présenté un état dépressif aussi intense.

Statuant sur appel de la société d’assurances, la Cour de justice du canton de Genève a, par arrêt du 11 janvier 2016, annulé ce jugement et renvoyé la cause au Tribunal de première instance pour complément d’instruction et nouvelle décision.

Le 31 mai 2016, la société d’assurances a déposé une requête d’admission de faits et moyens de preuve nouveaux portant sur un rapport de surveillance effectuée sur la victime du 16 au 21 novembre 2014, du 14 au 20 décembre 2015 et du 23 au 29 janvier 2016, ainsi que sur des vidéos prises à l’occasion de ces surveillances. Ces faits et moyens de preuve nouveaux ont été admis à la procédure.

Sur les vidéos de surveillance précitées, l’on voit la victime conduire, accompagner son fils en voiture à l’école, faire ses courses à la… (étant précisé qu’il s’agit de petits sachets déposés dans un petit sac en papier ou pris à la main, exceptée la vidéo 23 qui montre deux sacs en papier), discuter avec des personnes dans la rue et aider ponctuellement un ami à faire le service dans son restaurant.

Par jugement du 22 octobre 2019, le Tribunal de première instance a dit que l’accident du 26 août 1998 était en lien de causalité naturelle avec les diagnostics d’épisode dépressif moyen avec syndrome somatique et de syndrome douloureux somatoforme persistant dont souffrait le demandeur, réservé la suite de la procédure et débouté les parties de toutes autres conclusions.

La société d’assurances a appelé de ce jugement. Par arrêt du 25 août 2020 (ACJC/1163/2020), la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement attaqué.

La cour cantonale s’est prononcée uniquement sur l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident du 26 août 1998 et l’atteinte à la santé dont souffrait l’intimé. Il s’agit d’un fait pour le constat duquel elle a eu recours à une expertise judiciaire pluridisciplinaire.

La Cour s’est exprimée sur la nature de cette atteinte à la santé, en s’en référant aux conclusions du rapport d’expertise judiciaire complémentaire du 22 janvier 2019, qui corroboraient celles du précédent rapport du 4 avril 2014. L’expert confirmait le diagnostic de syndrome douloureux somatoforme et d’épisode dépressif moyen avec syndrome somatique. Il s’agissait d’atteintes essentiellement psychiques.

La Cour a constaté que l’expert répondait affirmativement à la question de l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident de la circulation du 26 août 1998 et l’atteinte à la santé. Avant d’entériner cette conclusion, elle a procédé à l’examen critique de ce rapport complémentaire, savoir si les lacunes que présentait le rapport initial avaient été comblées.

Après avoir rejeté les multiples griefs soulevés par la société d’assurances, respectivement considéré que le complément d’expertise avait été mené dans les règles de l’art, était complet, n’était entaché d’aucune erreur manifeste et ne présentait aucune contradiction, de sorte qu’il revêtait une pleine force probante, la Cour cantonale s’est rangée à ses conclusions.

 

TF

 

Règle du degré de la vraisemblance prépondérante (consid. 4)

Selon la jurisprudence, l’arbitraire ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution serait envisageable ou même préférable. Le Tribunal fédéral n’annule la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu’elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou encore lorsqu’elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. Pour qu’une décision soit annulée au titre de l’arbitraire, il ne suffit pas qu’elle se fonde sur une motivation insoutenable; encore faut-il qu’elle apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 136 III 552 consid. 4.2; 135 V 2 consid. 1.3; 134 I 140 consid. 5.4, 263 consid. 3.1).

S’agissant plus précisément de l’appréciation des preuves et de l’établissement des faits, il y a arbitraire lorsque l’autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu’elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3; 129 I 8 consid. 2.1).

Lorsque la juridiction cantonale se rallie au résultat d’une expertise, le Tribunal fédéral n’admet le grief d’appréciation arbitraire des preuves que si l’expert n’a pas répondu aux questions, si ses conclusions sont contradictoires ou si, de quelque autre manière, l’expertise est entachée de défauts à ce point évidents et reconnaissables, même en l’absence de connaissances ad hoc, qu’il n’était tout simplement pas possible de les ignorer. L’autorité cantonale n’est pas tenue de contrôler à l’aide d’ouvrages spécialisés l’exactitude scientifique des avis de l’expert. Il n’appartient pas non plus au Tribunal fédéral de vérifier que toutes les affirmations de l’expert sont exemptes d’arbitraire; sa tâche se limite à examiner si l’autorité cantonale pouvait, sans arbitraire, faire siennes les conclusions de l’expertise (ATF 133 II 384 consid. 4.2.3; 132 II 257 consid. 4.4.1; arrêts 4A_543/2014 du 30 mars 2015 consid. 5, non publié à l’ATF 141 III 97; 4A_5/2011 du 24 mars 2011 consid. 4.2).

L’existence d’un lien de causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage est une question de fait que le juge doit trancher selon la règle du degré de la vraisemblance prépondérante. Dans ce cas, l’allègement de la preuve se justifie par le fait que, en raison de la nature même de l’affaire, une preuve stricte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée de celui qui en supporte le fardeau (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2, 462 consid. 4.4.2). Ceci étant rappelé, le grief de la recourante est mal fondé comme cela saute aux yeux à la lecture de l’arrêt attaqué, qui rappelle que les faits pertinents doivent être établis au degré de la vraisemblance prépondérante. C’est ce même degré de preuve que l’expert a observé pour affirmer qu’il existait un lien de causalité naturelle entre l’accident de la circulation et l’atteinte à la santé de l’intimé. L’usage d’une expression isolée, respectivement tronquée, dans l’expertise ne contredit pas ce qui précède. Le grief ne peut qu’être rejeté.

 

Allégations des faits – 55 CPC

La cour cantonale a estimé que, bien que la recourante ait produit cette pièce en première instance, le passage de ce document qu’elle alléguait pour la première fois en appel constituait un fait nouveau irrecevable. A juste titre. Comme elle l’a justement évoqué, le procès doit en principe se conduire entièrement devant les juges du premier degré; l’appel est ensuite disponible mais il est destiné à permettre la rectification des erreurs intervenues dans le jugement plutôt qu’à fournir aux parties une occasion de réparer leurs propres carences. En particulier, une partie ne saurait se réserver des moyens d’attaquer le jugement à venir en déposant délibérément, en première instance, des pièces sans lien avec l’argumentation qu’elle développe, dans la perspective de les exploiter plus tard au stade de l’appel. Les faits doivent au contraire être allégués et énoncés de façon suffisamment détaillée dès les écritures de première instance, de manière à circonscrire le cadre du procès, assurer une certaine transparence et, en particulier, permettre une contestation efficace par l’adverse partie (FABIENNE HOHL, Procédure civile, Berne 2016, vol. I, nos 1258 s. p. 207 s.). L’allégation globale d’un ensemble de faits par simple référence aux pièces produites n’est pas suffisante (HOHL, ibid; CHRISTOPH HURNI, in Commentaire bernois, 2012, n° 21 ad art. 55 CPC); à plus forte raison, un ensemble de faits passé entièrement sous silence dans les mémoires, même s’il peut être reconstitué par l’étude des pièces, n’est pas valablement introduit dans le procès et il est donc nouveau si une partie s’avise de s’en prévaloir en appel uniquement (arrêt 4A_309/2013 du 16 décembre 2013 consid. 3.2).

Ceci ne laisse nulle possibilité à ce grief de prospérer.

 

Causalité naturelle en responsabilité civile – Statu quo sine vel ante (consid. 7)

Il y a causalité naturelle entre deux événements lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit; il n’est pas nécessaire que l’événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat, mais il doit se présenter comme une condition « sine qua non » du dommage (ATF 96 II 396 consid. 1; arrêt 5C.125/2003 du 31 octobre 2003 consid. 3.2).

Dans un arrêt remontant à 2010, le Tribunal fédéral a évoqué que la définition du lien de causalité naturelle était identique en droit de la responsabilité civile et en droit des assurances sociales (arrêt 4A_65/2009 du 17 février 2010 consid. 5.1). Cela étant, la notion de statu quo sine vel ante avait été développée en matière d’assurance-accidents (ibid., consid. 5.3). En droit de la responsabilité civile, il suffisait que le lien de causalité naturelle entre l’événement dommageable et le dommage soit donné au moment de cet événement (ibid., consid. 5.4), ce qui était le cas dans cette affaire du moment que l’expertise judiciaire avait établi que l’accident était à l’origine des problèmes de santé du recourant qui était devenu depuis lors complètement et définitivement incapable de travailler. Ceci suffisait pour admettre l’existence d’un rapport de causalité naturelle entre l’accident et le dommage (ibid., consid. 5.4). Ce qui ne signifiait pas pour autant qu’un état maladif préexistant (prédisposition constitutionnelle) de la victime ne soit pas du tout pris en compte en droit de la responsabilité civile; il l’est dans le cadre de la fixation du dommage (art. 42 CO) ou de la réduction des dommages-intérêts (art. 44 CO), s’il a contribué à la survenance du dommage ou à son aggravation (ibid., consid. 5.5).

Cet arrêt a suscité des commentaires et interrogations de la doctrine. La question s’est posée de savoir si la causalité naturelle était donnée une fois pour toutes ou si elle pouvait également cesser en droit de la responsabilité civile, si l’assureur apportait la preuve de cette disparition avec le degré de la vraisemblance prépondérante requise (dans ce dernier sens, STÉPHANIE NEUHAUS-DESCUVES/PETER HAAS/IRIS HERZOG-ZWITTER, Droit de la responsabilité civile: disparition du lien de causalité naturelle, in Jusletter du 9 mai 2011, ch. marg. 35; WALTER FELLMANN, Entwicklungen – Neues aus dem Haftpflichtrecht, in Personen-Schaden-Forum 2011, p. 257 s.; contra, VOLKER PRIBNOW, Kein Wegfall einer einmal gegebenen Haftung, in Have 2/2010 p. 156; voir également BRUNO HÄFLIGER, Die wichtigsten Entscheide im Haftpflichtrecht, Plädoyer 5/2010, ch. 3, p. 41).

Il n’est toutefois pas nécessaire de trancher cette question dans le cas présent.

En effet, si la recourante était par hypothèse admise à démontrer que le lien de causalité naturelle a disparu à un moment ou à un autre, elle devrait disposer d’éléments sérieux à l’appui de cette thèse.

Tel n’est pas le cas ici. Si l’expertise judiciaire s’exprime sur cette problématique, elle va dans un sens diamétralement contraire. A la question de savoir si les lésions physiques constatées chez l’intimé seraient également apparues sans l’accident et le cas échéant à quel moment (statu quo sine) et si l’intimé aurait, consécutivement à l’apparition de ces lésions, développé des troubles psychiques de même nature que ceux qu’il présentait actuellement, l’expert a répondu comme suit sur la base de l’ensemble des renseignements médicaux fournis et en tenant compte des facteurs étrangers et des prédispositions constitutionnelles: le développement de douleurs progressives en lien avec des altérations dégénératives du rachis n’aurait vraisemblablement pas été de nature à produire de tels effets sur le fonctionnement psychique de l’intimé. Ce faisant, l’expert a confirmé que dans le cas de l’intimé, les seules atteintes dégénératives dont il souffrait n’auraient pas engendré chez lui les troubles psychiques diagnostiqués, excluant ainsi qu’un statu quo sine vel ante soit survenu sur le plan psychiatrique, étant rappelé que les diagnostics posés relevaient exclusivement de ce domaine médical.

La recourante s’en réfère exclusivement à l’avis du Dr L.__ selon lequel l’accident avait anticipé de cinq ans l’apparition des symptômes liés aux troubles dégénératifs préexistants de l’intimé. Cela étant, ni le Prof. Q.__ auteur de l’expertise initiale, ni le Dr R.__ auteur de l’expertise complémentaire, ne se rangent à cette opinion dont le fondement demeure assez obscur, comme la cour cantonale l’a déjà souligné.

Il n’y a dès lors nulle violation du droit dont la recourante est fondée à se plaindre.

 

Le rejette le recours de l’assureur RC.

 

 

Arrêt 4A_558/2020 consultable ici

 

 

8C_331/2020 (f) du 04.03.2021 – Causalité naturelle – Seuil du degré de la vraisemblance prépondérante – la jurisprudence renonce à utiliser des taux de probabilité (+/-50%) – 6 LAA / Atteinte à l’épaule par deux accidents (assurés auprès de deux assureurs différents) et par des troubles dégénératifs

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_331/2020 (f) du 04.03.2021

 

Consultable ici

 

Causalité naturelle – Seuil du degré de la vraisemblance prépondérante – la jurisprudence renonce à utiliser des taux de probabilité (+/-50%) / 6 LAA

Atteinte à l’épaule par deux accidents (assurés auprès de deux assureurs différents) et par des troubles dégénératifs

 

Assuré, né en 1961, commis de cuisine, victime d’un accident le 27.08.2012 : il est tombé sur un chemin caillouteux et s’est blessé à l’épaule droite. Cet accident s’est soldé par une déchirure transfixiante du tendon du sus-épineux, laquelle a été traitée par voie chirurgicale le 14.12.2012. Une incapacité de travail a été attestée depuis la date de l’opération jusqu’au 09.01.2013.

Alors qu’il travaillait toujours pour le compte du même employeur, lequel avait dorénavant assuré ses employés contre le risque d’accident auprès d’un autre assureur-accidents, l’assuré a glissé le 04.01.2018 sur la neige et s’est réceptionné sur son épaule droite. Le 28.06.2018, l’assuré a subi une arthroscopie de l’épaule droite.

Se fondant sur les conclusions du rapport d’expertise d’un spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, du 19.12.2018, le second assureur-accidents a rendu le 10.01.2019 une décision par laquelle elle a mis un terme au versement des prestations avec effet au 31.05.2018, au motif que le statu quo sine était atteint. Au-delà de cette date, cette affaire ne relevait donc plus de sa compétence, mais de celle de la première assurance-accidents, laquelle était intervenue ensuite de l’accident du 27.08.2012. Cette décision a été confirmée le 04.12.2019 sur oppositions de l’assuré et de son assurance-maladie.

Le 15.01.2019, l’assuré a annoncé une rechute à la première assurance-accidents. Après avoir consulté son médecin-conseil, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, la première assurance-accidents a rendu le 12.03.2019 une décision, confirmée sur opposition, par laquelle elle a refusé d’allouer des prestations d’assurance, au motif que les troubles annoncés n’étaient pas, au degré de la vraisemblance prépondérante, en relation de causalité avec l’accident du 27.08.2012.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/280/2020 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont retenu, sur la base de l’expertise médicale mise en œuvre par le second assureur-accidents, que les troubles à la santé de l’assuré dès le 01.06.2018 étaient en rapport de causalité naturelle avec l’événement du 27.08.2012 et qu’il appartenait dès lors à l’assurance-accidents de couvrir les suites de l’accident. Selon cet expert, l’accident du 04.01.2018 avait cessé de déployer ses effets cinq mois après sa survenance, soit le 31.05.2018, et au-delà de cette date, la symptomatologie qui perdurait était en lien de causalité naturelle avec l’événement du 27.08.2012 et les lésions dégénératives. Quant à l’avis médical du médecin-conseil, sur lequel se fondait l’assurance-accidents et selon lequel les troubles actuels étaient en lien de causalité seulement possible avec l’accident du 27.08.2012, la juridiction cantonale a considéré que ses conclusions n’emportaient pas la conviction.

Par jugement du 08.04.2020, admission du recours par le tribunal cantonal et réformation de la décision sur opposition en ce sens que l’assurance-accidents doit verser ses prestations en lien avec les troubles à l’épaule droite dès le 01.06.2018.

 

TF

Causalité naturelle – Seuil du degré de la vraisemblance prépondérante (consid. 5)

L’assurance-accidents ne saurait être suivie lorsqu’elle soutient, de manière générale, qu’un lien de causalité ne serait établi au degré de la vraisemblance prépondérante que lorsqu’il serait supérieur à un taux de probabilité de 50%. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le seuil du degré de la vraisemblance prépondérante est atteint si les motifs de tenir une allégation pour exacte sont, d’un point de vue objectif, tellement impérieux que les autres possibilités hypothétiques n’entrent pas sérieusement en considération (ATF 140 III 610 consid. 4.1 p. 612 et les références citées). La simple possibilité d’un certain état de fait ne suffit pas pour remplir cette exigence de preuve (ATF 144 V 427 consid. 3.2 p. 429; 138 V 218 consid. 6 p. 221). Aussi, il sied de relever que la jurisprudence renonce à utiliser des taux de probabilité, contrairement à la doctrine, laquelle évoque pour la vraisemblance prépondérante un taux de probabilité sensiblement supérieur à 51% (arrêt 4A_424/2020 du 19 janvier 2021 consid. 4.1, destiné à la publication).

 

En l’espèce, le médecin-expert a retenu dans son rapport d’expertise que l’événement du 04.01.2018 avait entrainé une contusion simple de l’épaule droite. Quant à la reprise chirurgicale – non pas d’une nouvelle rupture, mais d’une tendinopathie correspondant à une cicatrisation incomplète du tendon du sus-épineux -, elle était en relation de causalité avec les suites de l’événement du 27.08.2012 et avec une tendinopathie dégénérative, telle qu’elle avait clairement été montrée du côté opposé. Par rapport à l’accident du 04.01.2018, l’expert a fixé un statu quo sine au 31.05.2018, soit à cinq mois de l’événement, date au-delà de laquelle la symptomatologie qui perdurait était en relation de causalité naturelle avec l’événement du 27.08.2012 et les lésions dégénératives. Il a en outre précisé qu’il n’était pas possible de déterminer la part relative de ces deux éléments dans le status opératoire du 28.06.2018. De façon subjective, faute de réels éléments probants entre le status cicatriciel du tendon lié à la rupture de 2012 et les facteurs dégénératifs, le médecin-expert a considéré que la part dégénérative était prédominante par rapport aux suites de l’événement de 2012 en raison de l’âge de l’assuré (plus de 55 ans), des facteurs de risque métabolique tels que l’hypercholestérolémie de longue date, de la très probable bilatéralité des lésions et d’une utilisation fonctionnelle peu douloureuse, voire indolente, durant près de cinq ans après cicatrisation. Invité à se prononcer sur le degré de la vraisemblance pour chaque diagnostic, l’expert a indiqué que la tendinopathie était en relation de causalité probable avec la cicatrisation de la suture chirurgicale en 2012 et hautement probable avec une pathologie dégénérative du tendon du sus-épineux.

S’il est vrai que pour admettre l’existence d’un lien de causalité naturelle, il suffit que la part traumatique, associée éventuellement à d’autres facteurs, ait provoqué l’atteinte à la santé, il n’en demeure pas moins que cette part traumatique doit être établie au degré de la vraisemblance prépondérante. Or le médecin-expert a précisément retenu qu’une relation de causalité entre la tendinopathie et l’accident du 27.08.2012 n’était que probable, ce qui ne suffit pas pour admettre l’existence d’un lien de causalité. Ses conclusions concordent en outre avec celles du médecin-conseil, lequel a confirmé dans son rapport que la part dégénérative était prédominante par rapport à une éventuelle séquelle traumatique, dont il estimait que le lien de causalité avec l’accident du 27.08.2012 n’était que possible.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_331/2020 consultable ici

 

 

Évaluation médicale ciblée après traumatisme de l’épaule – Causes des lésions isolées de la coiffe des rotateurs et leur diagnostic médical d’assécurologie

Évaluation médicale ciblée après traumatisme de l’épaule – Causes des lésions isolées de la coiffe des rotateurs et leur diagnostic médical d’assécurologie

 

Article de Luzi Dubs, Bruno Soltermann, Josef E. Brandenberg, Philippe Luchsinger paru in Infoméd № 2021/1 consultable ici

 

Résumé

L’évaluation médicale ciblée après un traumatisme de l’épaule permet d’établir un diagnostic médical d’assécurologie compréhensible d’une douleur aiguë à l’épaule afin de déterminer si celle-ci provient de lésions traumatiques ou si elle est due à l’usure ou à une maladie. Les éléments déterminants sont tirés de la littérature standard de la médecine des assurances et tiennent également compte de la recherche fondamentale et de l’épidémiologie. Introduit pour la première fois, le tableau à double entrée permet de mieux corriger les erreurs d’interprétation des différentes corrélations.

Par ailleurs, le consensus médical d’assécurologie révisé sur la base de la littérature actuelle part du principe qu’une lésion de la coiffe des rotateurs est en général provoquée par des facteurs intrinsèques et extrinsèques de nature dégénérative ou maladive et qu’elle n’est due de manière déterminante à un traumatisme que dans des cas exceptionnels. L’hypothèse d’une rupture récente et isolée de la coiffe des rotateurs due à une contusion directe à l’épaule ne saurait être étayée.

 

 

« Évaluation médicale ciblée après traumatisme de l’épaule – Causes des lésions isolées de la coiffe des rotateurs et leur diagnostic médical d’assécurologie » paru in Infoméd № 2021/1 consultable ici

 

 

8C_619/2019 (f) du 03.07.2020 – Objet du litige dans la procédure de recours / Valeur probante d’une expertise judiciaire / Pas de preuve d’une lésion assimilée à un accident – Absence de déchirure du tendon du sus-épineux – 9 al. 2 OLAA / Causalité naturelle et statu quo ante

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_619/2019 (f) du 03.07.2020

 

Consultable ici

 

Objet du litige dans la procédure de recours

Valeur probante d’une expertise judiciaire

Pas de preuve d’une lésion assimilée à un accident – Absence de déchirure du tendon du sus-épineux / 9 al. 2 OLAA (accident avant 2017)

Causalité naturelle et statu quo ante

 

Assuré, né en 1961, sertisseur, a été victime d’un accident le 05.01.2014 : alors qu’il disputait un match de football, le prénommé a chuté et s’est blessé au niveau de l’épaule et du coude droits. L’assurance-accidents a pris en charge le cas, ainsi que les rechutes de l’accident annoncées en février 2015 et juillet 2016.

Par décision du 01.12.2017, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis un terme au 25.10.2017 au droit de l’assuré à la prise en charge du traitement médical et de l’incapacité de travail pour les suites de l’accident, motif pris que les troubles subsistant après cette date étaient désormais de nature maladive.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/734/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a ordonné la mise en œuvre d’une expertise orthopédique et l’a confiée à un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. L’expert conclut qu’à partir du 11.01.2016, date à laquelle l’assuré avait repris son activité à 100%, le statu quo ante avait été atteint et les facteurs étrangers étaient devenus les seules causes influant sur l’état de santé de celui-ci.

L’instance cantonale a considéré que le statu quo ante avait été atteint dès le 11.01.2016 et s’est ralliée à l’avis de ce médecin, selon lequel l’assuré ne présentait pas de déchirure du tendon du sus-épineux de l’épaule droite. Par ailleurs, les juges cantonaux ont relevé qu’il n’était pas possible de retenir en l’état que l’assuré souffrait d’une maladie professionnelle et, en toute hypothèse, que cette question outrepassait l’objet du litige, limité à la question du lien de causalité entre les affections de l’assuré et l’accident du 05.01.2014.

Par jugement du 19.08.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Droit applicable

Le 01.01.2017 est entrée en vigueur la modification du 25.09.2015 de la LAA. A juste titre, la cour cantonale a retenu que dans la mesure où l’événement litigieux était survenu avant cette date, le droit de l’assuré aux prestations d’assurance était soumis à l’ancien droit (cf. dispositions transitoires relatives à la modification du 25.09.2015 ; RO 2016 4375).

 

Objet du litige dans la procédure de recours

En procédure juridictionnelle administrative, ne peuvent en principe être examinés et jugés que les rapports juridiques à propos desquels l’autorité administrative compétente s’est prononcée préalablement d’une manière qui la lie sous la forme d’une décision. Dans cette mesure, la décision détermine l’objet de la contestation qui peut être déféré en justice par la voie d’un recours. Le juge n’entre donc pas en matière, sauf exception, sur des conclusions qui vont au-delà de l’objet de la contestation (ATF 144 II 359 consid. 4.3 p. 362 s.; 134 V 418 consid. 5.2.1 p. 426 et les références).

L’objet du litige dans la procédure de recours est le rapport juridique réglé dans la décision attaquée dans la mesure où, d’après les conclusions du recours, il est remis en question par la partie recourante. L’objet de la contestation (Anfechtungsgegenstand) et l’objet du litige (Streitgegenstand) sont identiques lorsque la décision administrative est attaquée dans son ensemble. En revanche, les rapports juridiques non litigieux sont compris dans l’objet de la contestation, mais pas dans l’objet du litige (ATF 144 II 359 consid. 4.3 précité; 144 I 11 consid. 4.3 p. 14; 125 V 413 consid. 1b p. 414 s.). L’objet du litige peut donc être réduit par rapport à l’objet de la contestation. Il ne peut en revanche pas, sauf exception (consid. 4.2.2 infra), s’étendre au-delà de celui-ci (ATF 144 II 359 consid. 4.3 précité; 136 II 457 consid. 4.2 p. 463).

Selon une jurisprudence constante rendue dans le domaine des assurances sociales, la procédure juridictionnelle administrative peut être étendue pour des motifs d’économie de procédure à une question en état d’être jugée qui excède l’objet de la contestation, c’est-à-dire le rapport juridique visé par la décision, lorsque cette question est si étroitement liée à l’objet initial du litige que l’on peut parler d’un état de fait commun et à la condition que l’administration se soit exprimée à son sujet dans un acte de procédure au moins (ATF 130 V 501 consid. 1.2 p. 503 et les références; 122 V 34 consid. 2a p. 36; arrêt 9C_747/2018 du 12 mars 2019 consid. 3.5; voir aussi MEYER/VON ZWEHL, L’objet du litige en procédure de droit administratif fédéral, in Mélanges Pierre Moor, 2005, p. 446).

En l’espèce, la décision sur opposition déférée à la cour cantonale portait sur le droit de l’assuré à des prestations d’assurance au-delà du 25.10.2017, pour les suites de son accident du 05.01.2014. La question de l’existence d’une maladie professionnelle a été soulevée pour la première fois par l’assuré au stade de la procédure de recours cantonale, postérieurement à la reddition du rapport d’expertise judiciaire. Dans ces conditions, l’existence éventuelle d’une maladie professionnelle outrepassait l’objet de la contestation et les conditions pour étendre celui-ci n’étaient pas remplies, dans la mesure où l’assurance-accidents ne s’est pas exprimée à ce sujet en procédure cantonale. La juridiction cantonale était donc fondée à ne pas entrer en matière sur la question, qu’elle n’a d’ailleurs pas tranchée en se limitant à relever que le rapport d’expertise judiciaire ne permettait pas, en l’état, de confirmer l’existence d’une maladie professionnelle. Cela dit, rien n’empêche l’assuré de requérir des prestations à ce titre auprès de l’assurance-accidents et le prononcé d’une décision en la matière.

 

Valeur probante du rapport d’expertise – Lésion assimilée à un accident

Selon le principe de la libre appréciation des preuves, le juge apprécie librement les preuves médicales qu’il a recueillies, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. Le juge doit examiner objectivement tous les documents à disposition, quelle que soit leur provenance, puis décider s’ils permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. S’il existe des avis contradictoires, il ne peut pas trancher l’affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion plutôt qu’une autre. En ce qui concerne la valeur probante d’un rapport médical, ce qui est déterminant, c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées. Au demeurant, l’élément déterminant pour la valeur probante n’est ni l’origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352; 122 V 157 consid. 1c p. 160 et les références).

En principe, le juge ne s’écarte pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire, la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 351 précité consid. 3b/aa p. 352 s. et les références).

 

En ce qui concerne l’absence de déchirure du tendon du sus-épineux retenue dans le rapport d’expertise judiciaire, l’expert a exposé que malgré la mise en œuvre de cinq IRM au niveau de l’épaule droite, il n’y avait pas eu de consensus quant au diagnostic précis en ce qui concernait l’état du tendon du sus-épineux (tendinopathie du sus-épineux avec hypersignal selon l’IRM du 24.04.2014 ; lésion partielle communicante du sus-épineux en regard de l’éperon sous-acromial selon l’IRM du 24.09.2014 ; tendinopathie du sus-épineux sans rupture transfixiante selon l’IRM du 08.03.2016 ; absence de lésion du sus-épineux selon l’IRM du 30.01.2017 ; déchirure partielle profonde de type articular side du tendon du sus-épineux infra-centimétrique sub-transfixiante avec petite lamination du tendon selon l’arthro-IRM du 23.06.2017). Après avoir revu les imageries, le médecin-expert a conclu que le tendon du sus-épineux était globalement intact et qu’il n’y avait pas vraiment de déchirure (les deux examens décrivant une atteinte ou déchirure partielle ne démontraient une lésion compatible avec une déchirure partielle que sur une seule coupe dans le plan coronal). En outre, l’épaule droite avait fait l’objet d’une intervention chirurgicale le 19.12.2017 qui n’avait mis en évidence aucune lésion du tendon du côté articulaire ou bursal et aucune sanction thérapeutique ou chirurgie réparatrice au niveau du tendon n’avait été pratiquée à cette occasion. Selon le médecin-expert, on pouvait donc conclure qu’au niveau du tendon du sus-épineux, il y avait eu une irritation / tendinopathie post-traumatique transitoire, probablement accompagnée d’une capsulite […] et que le tout s’était progressivement résorbé dans les mois qui avaient suivi l’accident. Il avait alors subsisté par la suite un conflit sous-acromial […] levé et adressé par l’intervention du 19.12.2017. Il demeurait par contre un conflit mécanique / souffrance acromio-claviculaire droit, référence faite à un scanner de l’épaule droite du 09.01.2019.

Cela étant, l’expert a exposé les différentes appréciations des médecins au regard des IRM et arthro-IRM pratiquées et a expliqué de manière circonstanciée les raisons pour lesquelles il ne retenait pas de déchirure du tendon du sus-épineux, compte tenu notamment de l’intervention du 19.12.2017. Au vu de l’ensemble de ses explications, on ne saurait lui faire grief d’avoir indiqué que le tendon n’était « pas vraiment déchiré », ni de s’être écarté de l’avis d’un des radiologues qui n’est au demeurant pas partagé par l’ensemble des médecins consultés (cf. en particulier le rapport du docteur F.__ du 18.02.2016, dans lequel ce médecin indique que « l’arthro-IRM ne montre pas de déchirure mais une tendinopathie du sus-épineux »). A cela s’ajoute que le compte-rendu opératoire de l’intervention chirurgicale du 19.12.2017 mentionne expressément l’absence de lésion visualisée du sus-épineux. Dans ces conditions, il n’existe pas de motif impérieux de s’écarter de l’expertise judiciaire à propos de l’absence de déchirure du tendon du sus-épineux et la juridiction cantonale était fondée à renoncer à ordonner un complément d’expertise ou à donner suite à la requête d’audition de l’assuré.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_619/2019 consultable ici

 

 

8C_412/2019 (f) du 09.07.2020 – Lésion assimilée (tendon du sous-épineux et du tendon du sus-épineux) / 6 al. 2 LAA [dans sa teneur en vigueur dès le 01.01.2017] / Lien de causalité naturelle / Appréciation des preuves – Doutes sur la fiabilité et la pertinence de l’appréciation du médecin-conseil – Ad mise en œuvre d’une expertise médicale (44 LPGA)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_412/2019 (f) du 09.07.2020

 

Consultable ici

 

Lésion assimilée (tendon du sous-épineux et du tendon du sus-épineux) / 6 al. 2 LAA [dans sa teneur en vigueur dès le 01.01.2017]

Lien de causalité naturelle

Appréciation des preuves – Doutes sur la fiabilité et la pertinence de l’appréciation du médecin-conseil – Ad mise en œuvre d’une expertise médicale (44 LPGA)

 

Assuré, né en 1971, employé de production depuis le 15.08.1994. Le 21.08.2017, alors qu’il était en train de nettoyer la machine à dosettes, il s’est cogné l’épaule droite dans la porte de la machine en se relevant. IRM le 11.09.2017 faisant état d’une déchirure transfixiante du tendon du sous-épineux et du tendon du sus-épineux. Le spécialiste FMH en chirurgie orthopédique consulté a attesté une incapacité de travail de 50% dès le 04.10.2017, puis de 100% dès le 13.11.2017, date à laquelle l’assuré s’est soumis à une réparation arthroscopique de la coiffe droite par suture du sus-épineux et du sous-épineux. A partir du 24.04.2018, il a progressivement repris son travail.

D’après les constatations du médecin-conseil, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, il était vraisemblable qu’une atteinte dégénérative ait joué un rôle important, voire prépondérant dans la survenance de la lésion. Le médecin-conseil a exclu un lien de causalité naturelle entre l’événement du 21.08.2017 et les troubles allégués par l’assuré pour les raisons suivantes : l’âge du patient ; l’action vulnérante de l’événement ; le fait qu’il n’y avait pas eu d’arrêt de travail dans les suites de cet événement ; l’IRM du 11.09.2017. D’après ce dernier, une contusion simple de l’épaule guérissait sans séquelles en moins d’un mois, de sorte qu’il fallait considérer que le statu quo sine de l’événement du 21.08.2017 avait été retrouvé à cette échéance, notamment après l’IRM qui avait permis d’exclure la présence de lésions traumatiques objectivables.

L’assurance-accidents a rendu une décision, confirmée sur opposition, par laquelle elle a mis un terme au versement de ses prestations au 11.09.2017, au motif qu’à partir de cette date, il n’existait plus de lien de causalité entre l’événement assuré et les troubles allégués.

 

Procédure cantonale

Admettant qu’il était certes probable qu’une atteinte dégénérative ait exercé une influence déterminante sur la survenance des lésions constatées, la cour cantonale a néanmoins considéré que le rapport du médecin-conseil ne suffisait pas pour établir de façon manifeste le caractère exclusivement dégénératif de ces lésions, ni au moment de l’accident ni postérieurement.

Par jugement du 10.05.2019, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision attaquée et renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

TF

En l’espèce, le jugement attaqué s’analyse comme une décision de renvoi qui, en tant qu’elle oblige l’assurance-accidents à allouer les prestations d’assurance au-delà du 11.09.2017, à charge pour elle d’examiner à nouveau à partir de quelle date le statu quo sine vel ante aura été atteint, ne laisse aucune latitude de jugement à l’assureur-accidents appelé à statuer à nouveau et doit donc être assimilée à une décision finale.

 

Dans la mesure où l’accident est survenu le 21.08.2017, la loi sur l’assurance-accidents (LAA) dans sa teneur en vigueur dès le 01.01.2017 s’applique au cas d’espèce (cf. par. 1 des dispositions transitoires sur la modification de la LAA du 25 septembre 2015, RO 2016 4375, 4388).

Les parties s’accordent sur l’existence d’une lésion qui entre dans la liste de l’art. 6 al. 2 let. f LAA (déchirure des tendons du sous- et du sus-épineux).

Dans l’arrêt 8C_22/2019 du 24 septembre 2019 (publié aux ATF 146 V 51), le Tribunal fédéral a examiné les répercussions de la modification législative relative aux lésions corporelles assimilées à un accident. Il s’est notamment penché sur la question de savoir quelle disposition était désormais applicable lorsque l’assureur-accidents avait admis l’existence d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA et que l’assuré souffrait d’une lésion corporelle au sens de l’art. 6 al. 2 LAA. Le Tribunal fédéral a admis que dans cette hypothèse, l’assureur-accidents devait prendre en charge les suites de la lésion en cause sur la base de l’art. 6 al. 1 LAA. En revanche, en l’absence d’un accident au sens juridique, le cas devait être examiné sous l’angle de l’art. 6 al. 2 LAA (ATF 146 V 51 consid. 9.1 p. 70; résumé dans la RSAS 1/2020 p. 33 ss; arrêt 8C_169/2019 du 10 mars 2020 consid. 5.2).

En l’espèce, la recourante a admis – à juste titre – que l’événement du 21.08.2017 était constitutif d’un accident. Dès lors, la cause doit être examinée exclusivement sous l’angle de l’art. 6 al. 1 LAA. Le jugement attaqué ayant été rendu le 10 mai 2019, soit avant l’arrêt 8C_22/2019 du 24 septembre 2019 précité, la cour cantonale n’a pas pu tenir compte de la nouvelle jurisprudence fédérale en matière de lésions corporelles assimilées à un accident, de sorte qu’on ne saurait lui reprocher une violation du droit fédéral à cet égard.

 

Il reste à examiner la question du lien de causalité entre les lésions constatées et l’accident du 21.08.2017.

Lorsqu’un cas d’assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l’art. 44 LPGA, l’appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères : s’il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d’un médecin de l’assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 139 V 225 consid. 5.2 p. 229; 135 V 465 consid. 4.4 p. 470).

En l’espèce, il existe bien de tels doutes sur les conclusions du médecin-conseil. Dans son rapport du 27.03.2018, le chirurgien traitant a exposé que les imageries réalisées trois semaines après l’évènement accidentel démontraient bel et bien l’existence d’éléments parlant en faveur d’une origine traumatique des atteintes. Il a notamment relevé la présence d’une contusion modérée du muscle sous-épineux dans sa partie distale. Cet aspect, qui correspond par ailleurs aux constatations faites dans le rapport d’IRM, n’a pourtant pas été abordé par le médecin-conseil. Ce dernier a affirmé de manière péremptoire que l’IRM ne montrait aucune lésion traumatique, notamment de la face supérieure de l’épaule qui avait heurté la face inférieure de la portière de l’armoire. Les appréciations des deux médecins s’opposent aussi quant à l’existence respectivement à l’absence d’une amyotrophie des muscles concernés (sous-épineux et sus-épineux), laquelle serait même « avancée » selon les dires du médecin-conseil, alors que dans le rapport d’IRM il est indiqué « absence d’atrophie musculaire ». Les autres facteurs cités par le médecin-conseil, tels que l’âge de l’assuré, l’absence d’arrêt de travail dans les suites immédiates de l’accident ou encore la présence d’un état antérieur à l’épaule droite sont, certes, à prendre en considération dans une appréciation globale. Toutefois, compte tenu de la période relativement courte entre la survenance de l’accident et la cessation des prestations d’assurance, ces facteurs ne sauraient avoir une prévalence sur les constatations faites par imageries, dont l’interprétation est contestée de manière circonstanciée.

Lorsqu’il existe des doutes sur la fiabilité et la pertinence de l’appréciation du médecin-conseil, il appartient en premier lieu à l’assureur-accidents de procéder à des instructions complémentaires pour établir d’office l’ensemble des faits déterminants et, le cas échéant, d’administrer les preuves nécessaires avant de rendre sa décision (art. 43 al. 1 LPGA; ATF 132 V 368 consid. 5 p. 374; arrêt 8C_401/2019 du 9 juin 2020 consid. 5.3.3 et ses références). Dès lors, la cause ne sera pas renvoyée à l’autorité précédente, comme le requiert l’assurance-accidents, mais à cette dernière, afin qu’elle mette en œuvre une expertise dans une procédure au sens de l’art. 44 LPGA et qu’elle rende une nouvelle décision.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et renvoie la cause à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_412/2019 consultable ici