Arrêt du Tribunal fédéral 8C_622/2023 (f) du 27.05.2024
Consultable ici
Révision d’une décision entrée en force / 53 al. 1 LPGA
Existence d’un domicile en Suisse – Droit aux indemnités chômage
Mandataire professionnel ne faisant non pas une opposition mais demandant la révison/reconsidération d’une décision non entrée en force – Pas de formalisme excessif de l’autorité
L’assurée a notamment bénéficié d’un délai-cadre d’indemnisation de chômage du 01.07.2020 au 30.11.2022. A la suite d’une dénonciation, l’Office cantonal genevois de l’emploi (ci-après: OCE) a demandé une enquête sur le domicile de la prénommée au bureau des enquêtes de l’Office cantonal genevois de la population et des migrations (ci-après: OCPM). Il ressort d’un rapport d’aide administrative interdépartementale établi le 01.06.2022 que l’assurée ne résidait pas à la rue B.__ à Genève, mais à U.__ en France.
Par décision du 03.06.2022, adressée par pli recommandé, l’OCE a nié à l’assurée son droit à l’indemnité de chômage depuis le 01.07.2020, au motif qu’elle n’avait pas de domicile dans le canton de Genève, à tout le moins depuis cette date. Cette décision n’ayant pas été retirée dans le délai de garde postal, l’OCE l’a renvoyée à l’assurée le 20.06.2022, par courrier simple, en précisant que le « délai de recours » avait commencé à courir à l’échéance du délai de garde.
Le 20.07.2022, l’assurée, assistée d’un avocat, a informé l’OCE n’avoir eu connaissance de la décision du 03.06.2022 que par le biais du pli simple du 20.06.2022. Elle a expliqué ne plus habiter à la rue B.__ depuis le 05.06.2022 et ne pas avoir été en mesure de prendre connaissance de la décision dans le délai de garde postal. Niant être domiciliée en France, elle a réclamé l’annulation de la décision par reconsidération ou révision. Par décision du 22.08.2022, l’OCE a refusé d’entrer en matière sur la demande de l’assurée. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une contestation.
Le 27.09.2022, l’assurée a formulé une nouvelle demande de reconsidération, s’appuyant sur une décision de l’OCE du 22.09.2022 reconnaissant son domicile à Genève du 03.04.2017 au 02.04.2019, ainsi que sur des attestations de tiers concernant son domicile après le 05.06.2022. Cette demande a été rejetée le 01.12.2022.
Parallèlement, l’OCPM a d’abord conclu à l’absence de domicile en Suisse de l’assurée depuis le 06.02.2020, avant d’annuler cette décision le 02.03.2023, reconnaissant finalement son domicile en Suisse sur la base des éléments fournis dans le cadre de la procédure avec l’OCE.
Procédure cantonale (arrêt ATAS/632/2023 – consultable ici)
Par jugement du 23.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 2
Il convient de définir l’objet du litige, plusieurs décisions ayant été rendues par l’OCE concernant la situation de l’assurée. L’arrêt attaqué porte sur la contestation par l’assurée de la décision du 01.12.2022 rejetant la demande de reconsidération et révision formée le 27.09.2022. Cette demande visait à obtenir la révision, respectivement la reconsidération de la décision de l’OCE du 03.06.2022 niant le droit de l’assurée à l’indemnité de chômage depuis le 01.07.2020, au motif qu’elle n’était pas domiciliée dans le canton de Genève. Le présent litige porte dès lors sur la réalisation des conditions d’une révision de cette dernière décision au moment du dépôt de la demande du 27.09.2022. Le recours est dès lors irrecevable en tant qu’il conclut au constat d’un domicile à Genève dès le 01.07.2020 et à la reconnaissance du droit à l’indemnité de chômage à partir de cette date.
Consid. 4.1
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant. Aussi, par analogie avec la révision des décisions rendues par les autorités judiciaires, l’administration est tenue de procéder à la révision (dite procédurale) d’une décision formellement passée en force lorsque sont découverts des faits nouveaux importants ou de nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits avant et qui sont susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 148 V 277 consid. 4.3 et la référence).
Sont « nouveaux », au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus du requérant malgré toute sa diligence. En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de la décision dont la révision est demandée et conduire à une solution différente en fonction d’une appréciation juridique correcte. Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants, qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment du requérant. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers (arrêt 8C_778/2021 du 1 er juillet 2022 consid. 3.2 et 3.3 et les arrêts cités).
Consid. 4.2
La cour cantonale a considéré que la décision sur opposition rendue par l’OCE le 22.09.2022 et la décision rendue par l’OPCM le 02.03.2023 ne constituaient pas des nouveaux moyens de preuve au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Ces décisions se fondaient sur des témoignages qui auraient pu être présentés en temps utile par l’assurée dans le cadre d’un recours contre la décision de l’OCE du 03.06.2022. Celui-ci avait considéré à tort que cette décision avait été valablement notifiée à l’échéance du délai de garde de son pli recommandé, car la fiction de la notification ne s’appliquait pas lorsque comme en l’espèce, la destinataire ne faisait l’objet d’aucune procédure. La décision du 03.06.2022 avait donc été notifiée par pli simple du 20.06.2022. L’assurée ne pouvait toutefois pas se prévaloir du principe de la bonne foi, car son conseil aurait pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement contenu dans ce courrier. Dès lors, l’assurée aurait dû former une opposition à la décision du 03.06.2022, et non une demande de révision ou reconsidération. Dans la mesure où cette demande avait été formée dans le délai d’opposition, l’assurée aurait encore pu contester dans le délai de 30 jours la décision de l’OCE du 22.08.2022, quand bien même cette décision ne mentionnait pas la possibilité de la contester.
Consid. 4.3 [résumé]
L’assurée soutient que la décision sur opposition de l’OCE du 22.09.2022 constitue un nouveau moyen de preuve avec des faits nouveaux, car elle est postérieure aux décisions précédentes et démontre son domicile à Genève depuis 2016, sauf pour une courte période en 2022. Elle invoque également la décision de l’OCPM du 02.03.2023 qui annule une précédente décision niant son domicile en Suisse, en se basant sur la décision de l’OCE du 22.09.2022 et les documents fournis. L’assurée argue que ces éléments remettent en question le rapport d’enquête administrative de l’OCPM du 01.06.2022 sur lequel l’OCE s’était appuyé.
Consid. 4.4
Il convient de déterminer si les faits dont l’assurée se prévaut, soit l’existence d’un domicile genevois, peuvent constituer des faits nouveaux ouvrant la voie à une révision de la décision du 03.06.2022. L’assurée ne conteste pas que les décisions des 22.09.2022 et 02.03.2023 reposent sur des témoignages qui auraient pu être présentés lors de la procédure contre la décision du 03.06.2022. Les preuves qu’elle tente d’introduire sont des attestations de témoins de juillet et août 2022, relatives à son domicile, utilisées dans la procédure ayant conduit à la décision du 22.09.2022. Les juges cantonaux ont correctement conclu que l’assurée aurait pu présenter ces preuves lors de la procédure d’opposition ou de recours contre la décision du 03.06.2022. Par conséquent, les conditions pour une révision selon l’art. 53 al. 1 LPGA ne sont pas remplies, et le grief de violation de cette disposition doit être rejeté.
Consid. 5 [résumé]
L’assurée allègue une violation de l’interdiction de l’arbitraire et du principe de la bonne foi, arguant que l’arrêt est arbitraire dans sa motivation et son résultat, la décision de l’OCE du 03.06.2022 étant selon elle erronée. Cet argument se confond avec celui précédemment examiné (cf. consid. 4 supra) concernant les conditions de révision, et n’a donc pas plus de portée. Il en va de même du grief tiré d’une prétendue nullité de la décision du 03.06.2022, l’assurée n’exposant pas sur quelle base légales fonde une quelconque cause de nullité.
L’assurée soutient également que la cour cantonale aurait dû analyser les pièces produites sous l’angle de la reconsidération, arguant que le refus de l’OCE de reconsidérer sa décision constituerait un abus de droit et une violation de l’interdiction de l’arbitraire. Le fondement de l’argumentation de l’assurée est nébuleux. Comme l’assurée le reconnaît elle-même, aucune voie de recours n’existe contre un refus de reconsidération (cf. ATF 133 V 50 consid. 4). Les juges cantonaux n’étaient donc pas tenus d’examiner ce refus, et ce grief est rejeté.
Consid. 8.1
A titre subsidiaire, l’assurée soutient que les juges cantonaux auraient dû admettre que son courrier du 20.07.2022 adressé à l’OCE était une opposition et qu’à défaut, ils auraient violé l’art. 52 al. 1 et 2 LPGA. On déduit de son argumentation qu’en réalité, l’assurée se plaint que l’OCE n’ait pas interprété le courrier litigieux, qui requérait la reconsidération et la révision de la décision précitée, comme une opposition. Elle se plaint en conséquence d’un formalisme excessif de la part de l’OCE.
Consid. 8.2
Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 149 IV 9 consid. 7.2; 145 I 201 consid. 4.2.1; 142 IV 299 consid. 1.3.2).
Les formes procédurales sont nécessaires à la mise en œuvre des voies de droit pour assurer le déroulement de la procédure conformément au principe de l’égalité de traitement, ainsi que pour garantir l’application du droit matériel; toutes les exigences formelles ne se trouvent donc pas en contradiction avec la prohibition du formalisme excessif découlant de l’art. 29 al. 1 Cst. (ATF 142 V 152 consid. 4.2; arrêts 4A_254/2023 du 12 juin 2023 consid. 5.4; 5A_18/2018 du 16 mars 2018 consid. 3.3.1). En outre, selon la jurisprudence, l’avocat est non seulement représentant mais encore collaborateur de la justice, de sorte que le juge est en droit d’admettre qu’il agit en pleine connaissance de cause: l’avocat est présumé capable, en raison de sa formation particulière, de représenter utilement la partie; il se justifie dès lors de se montrer plus rigoureux en présence de ses procédés qu’en présence d’un plaideur ignorant du droit (ATF 113 Ia 84 consid. 3d; arrêt 2C_511/2012 du 15 janvier 2013 consid. 7.2).
Consid. 8.3
Il convient de rappeler que l’assurée n’a pas retiré durant le délai de garde postal la décision rendue le 03.06.2022. L’OCE l’a lui a renvoyée par pli simple du 20.06.2022, en indiquant que le délai d’opposition avait commencé à courir à l’échéance du délai de garde postal. Dans son acte du 20.07.2022, rédigé par son conseil, l’assurée a requis l’annulation de la décision de l’OCE du 03.06.2022 par reconsidération ou révision, et n’a pas formulé d’opposition. Il n’est pas contesté que la décision précitée n’était alors pas entrée en force, le délai d’opposition n’ayant débuté qu’après réception du second envoi.
Consid. 8.4
L’assurée expose s’être fondée sur les indications erronées fournies par l’OCE dans son envoi du 20.06.2022, ce dont on ne devrait pas lui tenir rigueur dans la mesure où son conseil aurait été constitué en urgence, soit le 18.07.2022 et donc deux jours à peine avant l’échéance pour agir contre la décision du 03.06.2022. Elle évoque pour le reste que son acte du 20.07.2022 pouvait être considéré comme une opposition, répondant aux conditions de forme et de fond nécessaires.
Consid. 8.5
Il est manifeste en l’espèce que le conseil de l’assurée pouvait, et devait, se rendre compte que la décision du 03.06.2022 n’avait pas été notifiée à l’échéance du délai de garde postal. La jurisprudence y relative (cf. ATF 146 IV 30 consid. 1.1.2 in fine; 139 IV 228 consid. 1.1) est en effet constante et doit être connue de tout conseil professionnel. En outre, le délai d’opposition n’étant pas échu au moment de sa constitution, le conseil devait procéder par cette voie et non requérir la révision ou la reconsidération de la décision litigieuse. Pour le reste, les conclusions de l’acte du 20.07.2022 sont claires et se limitent à requérir la reconsidération ou la révision de la décision du 03.06.2022. L’OCE – et la cour cantonale – n’a donc commis aucun arbitraire en s’en tenant à ce que l’assurée demandait. L’assurée omet au surplus de prendre en compte que sa requête de reconsidération et de révision du 20.07.2022 a fait l’objet d’une décision rendue le 22.08.2022 par l’OCE, contre laquelle elle n’a pas recouru. Si elle entendait faire valoir que sa requête constituait une opposition, c’est dans le cadre d’un tel recours qu’elle aurait dû agir en ce sens. Son grief s’avère mal fondé.
Consid. 9
Au vu de ce qui précède, le recours, manifestement mal fondé, doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. L’assurée, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). Au regard des motifs avancés dans le mémoire de recours, celui-ci apparaissait d’emblée dénué de chances de succès et la requête d’assistance judiciaire doit dès lors être rejetée. L’assurée doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.
Le TF rejette le recours de l’assurée.
Arrêt 8C_622/2023 consultable ici