Arrêt du Tribunal fédéral 9F_11/2024 (f) du 16.09.2024
Demande de révision d’un arrêt du Tribunal fédéral / 123 LTF – 124 LTF
Nouvelle expertise – Appréciation différente insuffisante comme motif de révision
Par décision du 12.04.2018, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité du 01.12.2016 au 30.06.2017. Saisi d’un recours du prénommé contre cette décision, le tribunal cantonal l’a rejeté. Statuant le 14.05.2019 sur le recours formé par l’assuré contre cet arrêt, le Tribunal fédéral l’a rejeté (arrêt 9C_146/2019).
Le 29.05.2024, l’assuré a présenté une demande de révision de l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_146/2019 du 14.05.2019 fondée sur l’art. 123 al. 2 let. a LTF. Sur le rescindant, il requiert l’annulation de cet arrêt (ainsi que celles de l’arrêt cantonal et de la décision administrative). Sur le rescisoire, il conclut principalement à l’octroi de trois quarts de rente d’invalidité à compter du 01.12.2016 et subsidiairement au renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour complément d’instruction et nouvelle décision « tenant compte des faits pertinents découverts après coup invoqués à l’appui de la présente demande de révision ».
TF
Consid. 1
Le Tribunal fédéral n’ayant pas le droit de procéder à une reformatio in pejus (cf. art. 107 al. 1 LTF), il n’y a pas lieu de revenir sur le droit du requérant à une rente entière d’invalidité du 01.12.2016 au 30.06.2017. Sa conclusion principale tendant à l’octroi de trois quarts de rente d’invalidité à compter du 01.12.2016 doit dès lors être interprétée en ce sens qu’il requiert la reconnaissance du droit à trois quarts de rente à partir du 01.07.2017.
Consid. 2
En vertu de l’art. 123 al. 2 let. a LTF, la révision peut être demandée dans les affaires civiles et les affaires de droit public, si le requérant découvre après coup des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants qu’il n’avait pas pu invoquer dans la procédure précédente, à l’exclusion des faits ou moyens de preuve postérieurs à l’arrêt.
Selon la jurisprudence, ne peuvent justifier une révision que les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus du requérant malgré toute sa diligence; en outre, ces faits doivent être pertinents, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de l’arrêt entrepris et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte (ATF 134 III 669 consid. 2.2 et les références). Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment du requérant. Si les nouveaux moyens sont destinés à prouver des faits allégués antérieurement, le requérant doit aussi démontrer qu’il ne pouvait pas les invoquer dans la précédente procédure. Une preuve est considérée comme concluante lorsqu’il faut admettre qu’elle aurait conduit le juge à statuer autrement s’il en avait eu connaissance dans la procédure principale. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers. Ainsi, il ne suffit pas qu’une nouvelle expertise donne une appréciation différente des faits; il faut bien plutôt des éléments de fait nouveaux, dont il résulte que les bases de la décision entreprise comportaient des défauts objectifs. Pour justifier la révision d’une décision, il ne suffit pas que l’expert tire ultérieurement, des faits connus au moment du jugement principal, d’autres conclusions que le tribunal. Il n’y a pas non plus motif à révision du seul fait que le tribunal paraît avoir mal interprété des faits connus déjà lors de la procédure principale. L’appréciation inexacte doit être, bien plutôt, la conséquence de l’ignorance ou de l’absence de preuve de faits essentiels pour le jugement (cf. ATF 127 V 353 consid. 5b et les références; cf. également arrêt 8F_2/2016 du 27 juin 2016 consid. 1).
Consid. 3
Aux termes de l’art. 124 al. 1 let. d LTF, une demande de révision fondée sur l’art. 123 al. 2 let. a LTF doit être déposée devant le Tribunal fédéral dans les 90 jours qui suivent la découverte du motif de révision, mais au plus tôt dès la notification de l’expédition complète de l’arrêt. En l’espèce, le requérant n’a eu connaissance du motif de révision invoqué qu’à réception du projet de décision daté du 29.02.2024. L’office AI lui indiquait qu’il entendait rejeter la nouvelle demande de prestations qu’il avait présentée en avril 2020, en l’informant qu’il ressortait de l’expertise rhumatologique diligentée auprès de la Dre B.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation et en rhumatologie (rapport du 15.12.2023 et complément du 07.02.2024), qu’il existait potentiellement des faits nouveaux en relation avec la demande de prestations qu’il avait déposée en mai 2016. Agissant par acte du 29.05.2024, l’assuré a donc respecté le délai légal de 90 jours.
Consid. 4.1
À l’appui de sa demande de révision, le requérant invoque l’existence d’un moyen de preuve nouveau, à savoir le rapport d’expertise de la Dre B.__. Il expose que le médecin y a indiqué qu’un examen supplémentaire de scintigraphie osseuse SPECT-CT avait été effectué le 24.10.2023 et qu’il avait mis en évidence qu’il présentait une instabilité L5-S1 et une pseudarthrose de la cage depuis l’intervention de spondylodèse dorsale L5-S5 et fusion intercorporelle avec cage (TLIF) qu’il avait subie le 09.06.2016, dont le Dr C.__, spécialiste en médecine interne générale et en rhumatologie et médecin au SMR, n’avait pas eu connaissance lors de l’examen clinique rhumatologique qu’il avait réalisé le 06.09.2017. En se référant à l’avis de la Dre B.__, qui a été confirmé par le Dr D.__, médecin au SMR (rapport du 12.02.2024), le requérant affirme que ce nouveau diagnostic justifie de retenir une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée, avec une diminution de rendement de 10% depuis juin 2016, en lieu et place de la capacité de travail de 75% retenue à l’époque par le Dr C.__ depuis le 10.03.2017, tant dans l’activité habituelle de polisseur que dans une activité adaptée. Le requérant soutient que les faits mis en évidence par la Dre B.__ sont des faits nouveaux pertinents, de nature à modifier l’état de fait sur lequel il y a lieu de se fonder afin d’évaluer son taux d’invalidité. Il en déduit que si le Tribunal fédéral avait disposé d’un « état de fait complet » au moment de rendre l’arrêt 9C_146/2019 du 14.05.2019, le droit à « trois quarts de rente » lui eût été reconnu, avec pour conséquence qu’il eût admis le recours qu’il avait déposé contre l’arrêt du 21.01.2019.
Consid. 4.2 [résumé]
L’argumentation du requérant est mal fondée. Quoi qu’il en dise, le rapport d’expertise de la Dre B.__ et son complément ne sont pas un motif de révision de l’arrêt 9C_146/2019 du 14.05.2019, conformément à la jurisprudence précédemment rappelée (consid. 2 supra). En effet, selon celle-ci, il ne suffit pas, pour justifier la révision d’une décision, que l’expert tire ultérieurement, des faits connus au moment du jugement principal, d’autres conclusions que le tribunal. Autrement dit, la seule éventualité que les troubles de la personne assurée – connus et dont les conséquences ont été soigneusement examinées – soient qualifiés différemment ne constitue pas un fait pertinent au sens de la jurisprudence (cf. arrêt 9F_5/2014 du 8 mai 2014).
En l’espèce, l’état de santé de l’assuré était connu au moment où le Tribunal fédéral avait rendu l’arrêt 9C_146/2019 du 14.05.2019 et les conséquences de ses atteintes à la santé avaient été examinées. Un examen rhumatologique réalisé par le Dr C.__ avait diagnostiqué des lombosciatalgies chroniques et des discopathies, concluant à une capacité de travail totale avec une diminution de rendement de 25%. L’assuré avait également produit des rapports de ses médecins traitants mentionnant un « failed back surgery syndrome » et une incapacité totale de travail. Dans l’arrêt initial, le Tribunal avait noté que le Dr C.__ avait relativisé ce diagnostic, ses conclusions étant corroborées par celles du Dr E.__, neurologue.
Le rapport d’expertise de la Dre B.__, présenté comme motif de révision, ne concernait que l’appréciation des faits déjà établis et non l’établissement de nouveaux faits déterminants. Par conséquent, ce rapport ne constitue pas un motif de révision au sens de l’art. 123 al. 2 let. a LTF. La demande de révision est par conséquent mal fondée.
Le TF rejette la demande de révision de l’assuré.
Arrêt 9F_11/2024 consultable ici