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4A_518/2020 (f) du 25.08.2021 – Accès par l’employeur aux conversations privées sur le téléphone portable et messagerie électronique professionnels / Tort moral – Atteinte illicite à la personnalité du travailleur / Traitement de données personnelles au sens de l’art. 3 LPD par l’employeur / Respect des principes généraux de la LPD – Bonne foi et proportionnalité

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_518/2020 (f) du 25.08.2021

 

Consultable ici

 

Accès par l’employeur 5 mois après le licenciement aux conversations privées sur le téléphone portable et messagerie électronique professionnels

Tort moral – Atteinte illicite à la personnalité du travailleur / 328 CO – 328b CO – 49 al. 1 CO

Traitement de données personnelles au sens de l’art. 3 LPD par l’employeur

Respect des principes généraux de la LPD – Bonne foi et proportionnalité

 

Procédure cantonale (arrêt CAPH/163/2020 – consultable ici)

La cour cantonale a écarté diverses pièces produites par l’employeuse, consistant qui en des conversations WhatsApp privées échangées sur le téléphone portable mis à disposition de l’employé, qui en des courriels intimes envoyés depuis sa messagerie professionnelle : il s’agissait de preuves obtenues en violation des art. 143bis al. 1 et 179novies CP, 328 et 328b CO, et 8 CEDH.

Les pièces n. 2 et 2bis consistaient en des courriels intimes que l’employé avait échangés, au moyen de sa messagerie professionnelle, avec une collègue intimement liée à lui. L’employeuse (qui n’avait pas interdit l’utilisation de la messagerie à des fins privées) y avait accédé sans l’autorisation de l’employé. Elle avait violé ses droits de la personnalité, de sorte que ces preuves avaient été obtenues illicitement.

S’agissant des autres pièces, l’employeuse, par l’entremise de la fille du directeur général D1.________, avait récupéré sans l’autorisation de l’employé des conversations WhatsApp privées qu’il avait échangées, via son téléphone portable, avec des proches et des collègues. Cette récupération était intervenue par le biais de son compte iCloud personnel protégé par un mot de passe. L’employeuse savait que l’employé utilisait son téléphone professionnel à des fins privées et l’avait autorisé à supprimer les données privées avant de le restituer; elle ne pouvait, sans violer le principe de la bonne foi, récupérer cinq mois plus tard ces données sans solliciter l’autorisation de celui-ci. Le procédé était en outre extrêmement intrusif. Il s’agissait aussi de moyens de preuve illicites.

Le litige s’inscrivant dans un contexte privé à caractère purement patrimonial, l’intérêt à la découverte de la vérité ne prévalait pas sur le droit de l’employé à la protection de sa personnalité.

La cour cantonale a alloué à l’employé une indemnité pour tort moral de 5’000 fr. motivée par la grave atteinte que l’employeuse avait portée à sa personnalité (art. 328 et 328b CO en lien avec l’art. 49 al. 1 CO). Son argumentation peut se résumer comme il suit:

Après le licenciement immédiat de l’employé, l’employeuse avait accédé sans autorisation aux conversations privées que celui-ci avait échangées avec autrui sur son téléphone portable et sa messagerie électronique professionnels.

Le contrat précisait certes que le téléphone portable ne devait être utilisé qu’à des fins professionnelles. L’intéressée savait néanmoins que l’employé en faisait aussi un usage privé puisqu’elle lui avait donné la possibilité de supprimer ses données privées avant de restituer l’appareil. Dans ce contexte, récupérer cinq mois plus tard, sans autorisation, les données du téléphone via le compte iCloud personnel de l’employé constituait non seulement une atteinte à la personnalité, mais aussi une violation du principe de la bonne foi. Quant à la messagerie professionnelle, l’employeuse n’avait pas interdit son utilisation à des fins privées et y avait également accédé sans autorisation alors que le contenu des messages était personnel. Ce faisant, elle avait derechef porté atteinte à la personnalité de l’employé.

L’employeuse entendait récolter des preuves susceptibles d’accabler l’employé. Or, d’autres méthodes moins intrusives lui eussent permis de sauvegarder ses intérêts, notamment en récoltant des informations auprès des employés qui avaient travaillé avec l’intimé et en demandant leur audition en tant que témoins.

D’un point de vue objectif, l’atteinte (illicite) à la personnalité était particulièrement grave. Les données obtenues ne relevaient pas seulement de la sphère privée de l’employé, mais aussi de sa sphère intime, notamment sexuelle. Qui plus est, l’employeuse avait eu accès à l’ensemble des conversations privées que l’employé avait échangées sur son téléphone portable professionnel durant les rapports de travail. Certaines données avaient même été portées à la connaissance de tiers tels que des employés de l’entreprise, des membres de la famille de D1.__ [directeur général de l’entreprise] ou des personnes ayant eu accès à la présente procédure, dont les employés de l’assurance chômage.

Sur le plan subjectif, l’atteinte subie par l’employé, déjà fragilisé psychologiquement par la résiliation des rapports de travail, était effectivement de nature à provoquer la forte souffrance morale qu’il disait avoir ressentie.

 

TF

L’employeur est tenu de protéger et respecter, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur (art. 328 al. 1 CO).

Il ne peut traiter des données concernant le travailleur que dans la mesure où elles portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail. En outre, les dispositions de la loi fédérale sur la protection des données (LPD) sont applicables (art. 328b CO).

Selon l’art. 3 LPD, constituent des données (personnelles) toutes les informations se rapportant à une personne identifiée ou identifiable (let. a). Par traitement, il faut comprendre toute opération relative à des données personnelles – quels que soient les moyens et procédés utilisés – notamment la collecte, la conservation, l’exploitation, la modification, la communication, l’archivage ou la destruction de données (let. e).

Tout traitement de données doit être licite, et effectué conformément aux principes de la bonne foi et de la proportionnalité (art. 4 al. 1 et 2 LPD).

Une atteinte à la personnalité est illicite à moins d’être justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi (art. 13 al. 1 LPD; cf. aussi art. 28 al. 2 CC).

 

Traitement de données personnelles au sens de l’art. 3 LPD

Les informations/données visées par l’art. 3 let. a LPD peuvent consister en des constatations de fait ou en des jugements de valeur se rapportant à une personne identifiée ou identifiable. Peu importe la forme des données (signe, mot, image, son ou une combinaison de ces éléments) et le support sur lequel elles reposent (matériel ou électronique) (cf. entre autres PORTMANN/RUDOLPH, in Basler Kommentar [Obligationenrecht I], 7e éd. 2020, n° 3 ad art. 328b CO; GABOR BLECHTA, in Basler Kommentar [Datenschutzgesetz], 3e éd. 2014, n° 6 ad art. 3 LPD; PHILIPPE MEIER, Protection des données, 2011, n° 422). Constituent ainsi des données au sens de l’art. 328b CO tous les renseignements, indications ou notes concernant la personne du travailleur, ses relations et ses activités, qu’elles portent sur sa vie privée ou professionnelle (MEIER, op. cit., n° 2031).

Quant à la notion de traitement, qui est très large comme le montre la définition légale précitée, il est admis qu’elle vise notamment la démarche de l’employeur qui prend intentionnellement connaissance (ou collecte) des données personnelles d’un de ses employés. La simple transmission de données personnelles constitue une communication au sens de l’art. 3 let. f LPD,et partant un traitement de données selon l’art. 3 let. e LPD (arrêt 4A_661/2016 du 31 août 2017 consid. 3.1).

A l’aune de ces précisions, l’employeur conteste sans succès que l’accession à des messages que l’employé avait échangés avec des tiers sur son téléphone portable et sa messagerie électronique professionnels, respectivement leur prise de connaissance et leur transmission à autrui constituent un traitement de données personnelles au sens de l’art. 3 LPD (cf. PETER HAFNER, Auswertung der E-Mails von Arbeitnehmern, PJA 2018 p. 1328 et 1329 point III/A).

 

Atteinte illicite à la personnalité du travailleur

Se pose ensuite la question de savoir si ce traitement constitue une atteinte illicite à la personnalité du travailleur, étant entendu que la protection de l’art. 328b CO peut s’exercer même après la fin des rapports de travail (ATF 131 V 298 consid. 6.1 i.f. p. 304).

Les droits de la personnalité d’une personne physique englobent le droit au respect de la vie privée, qui comprend une sphère privée et une sphère intime. En font parties les informations de nature personnelle transmises au moyen de la messagerie électronique. L’irruption d’un tiers dans cette sphère, notamment pour rassembler des informations, constitue une atteinte à la personnalité (ATF 130 III 28 consid. 4.2 p. 33). En l’occurrence, la nature privée, et parfois même intime, des messages consultés n’est pas contestée, de sorte qu’il n’y a guère de quoi disputer l’atteinte à la sphère privée de l’intéressé (cf. arrêt 4A_465/2012 du 10 décembre 2012 consid. 3.2 ab initio). Le cœur du litige porte bien plutôt sur la licéité de cette atteinte.

Il existe des dissensions doctrinales sur la nature et la portée de l’art. 328b CO (cf. le résumé de la querelle présenté par HAFNER, op. cit., p. 1330; JEAN-PHILIPPE DUNAND, Commentaire du contrat de travail, 2013, n° 4 ad art. 328b CO; MEIER, op. cit., nos 2032 ss; ROSENTHAL/JÖHRI, in Handkommentar zum Datenschutzgesetz, 2008, nos 3 ss ad art. 328b CO). Pour la majorité toutefois, cette norme concrétise les principes de proportionnalité et de finalité ancrés à l’art. 4 al. 2 et 3 LPD (cf. entre autres HAFNER, op. cit., p. 1330; MEIER, op. cit., n° 2037; Message du 23 mars 1988 concernant la loi fédérale sur la protection des données, FF 1988 II 494).

Cela étant, le Tribunal fédéral a précisé que l’art. 328b CO introduit une présomption de licéité du traitement de données lorsqu’elles «portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat» (ATF 130 II 425 consid. 3.3 p. 434). Le traitement de données est en principe licite lorsqu’il est en relation directe avec la conclusion ou l’exécution d’un contrat. L’art. 328b CO concrétise ce fait justificatif dans le domaine des rapports de travail en désignant deux situations qui autorisent a priori le traitement de données (GABRIEL AUBERT, La protection des données dans les rapports de travail, in Journée 1995 de droit du travail et de la sécurité sociale, 1999, p. 150).

De façon générale, la doctrine admet qu’un traitement de données s’inscrivant dans le champ de l’art. 328b CO (i.e. a priori licite) doit néanmoins respecter les principes généraux de la LPD, en particulier la bonne foi et la proportionnalité (HAFNER, op. cit., p. 1330 i.f.et 1334; DUNAND op. cit., nos 13 et 34 ad art. 328b CO; STREIFF ET ALII, Arbeitsvertrag, Praxiskommentar zu Art. 319-362 OR, 7e éd. 2012, p. 583 n. 7 et p. 621 n. 18; MEIER, op. cit., no 2055; REHBINDER/STÖCKLI, Berner Kommentar, 2010, n° 7 ad art. 328b CO; ADRIAN STAEHELIN, Zürcher Kommentar, 4e éd. 2006, nos 1 et 8 ad art. 328b CO; AUBERT, op. cit., p. 150 i.f.; cf. aussi ATF 130 II 425 consid. 3.3 p. 434). Ce dernier principe commande de mettre en balance l’intérêt de l’auteur du traitement des données et celui de la personne concernée par ce traitement (cf. par ex. MEIER, op. cit., n° 665 s.). Lorsque le traitement de données n’entre pas dans le cadre de l’art. 328b CO, il est présumé illicite et doit pouvoir se fonder sur un autre motif justificatif au sens de l’art. 13 LPD (PORTMANN/RUDOLPH, op. cit., nos 7 et 23 ad art. 328b CO; DUNAND, op. cit., n° 25 ad art. 328b CO; MEIER, op. cit., nos 2056 et 2060; SUBILIA/DUC, Droit du travail, 2010, nos 20 ss ad art. 328b CO; REHBINDER/STÖCKLI, op. cit., n° 11 ad art. 328b CO; ROSENTHAL/JÖHRI, op. cit., nos 12-14 ad art. 328b CO; AUBERT, op. cit., p. 151; cf. aussi l’arrêt 4A_588/2018 du 27 juin 2019 consid. 4.3.1; contra STREIFF ET ALII, op. cit., p. 579 n. 3).

La doctrine est encline à distinguer selon que l’employeur a interdit, autorisé ou toléré l’utilisation de la messagerie électronique et du téléphone portable professionnels à des fins privées. La marge de manœuvre de l’employeur serait plus large lorsqu’il a interdit l’utilisation privée de ces moyens de communication, parce qu’il est alors légitimé à contrôler si l’employé respecte ses directives (cf. DUNAND, op. cit., nos 82 ss ad art. 328b CO; STREIFF ET ALII, op. cit., p. 621-623 n. 18; GABRIEL AUBERT, in Commentaire romand [Code des obligations I], 2e éd. 2012, nos 8-9 ad art. 328b CO; MEIER, op. cit., nos 2170 ss; BERTIL COTTIER, La protection des données, in Internet au lieu de travail, 2004, p. 100 s.; cf. en outre le Guide du Préposé fédéral à la protection des données destiné à l’économie privée, «relatif à la surveillance de l’utilisation d’Internet et du courrier électronique au lieu de travail» [état: septembre 2013], accessible sur le site Internet www.edoeb.admin.ch, spéc. points B.5.4 et B.5.7). Des limites doivent être posées (STREIFF ET ALII, op. cit., p. 622). D’aucuns précisent que même en cas d’interdiction, l’employeur doit en principe s’abstenir de prendre connaissance du contenu des courriels privés ou des conversations téléphoniques privées de l’employé (DUNAND, op. cit., nos 83 i.f., 96 et 103 ad art. 328b CO; MEIER, op. cit., n° 2176, qui concède l’aspect artificiel de cette prescription; ROSENTHAL/JÖHRI, op. cit., no 64 ad art. 328b CO).

En l’occurrence, l’employeuse insiste sur le fait que les messages WhatsApp et les courriers électroniques ont été échangés sur des supports professionnels (téléphone portable et ordinateur) qu’elle avait mis à disposition de l’employé. Elle semble ainsi soutenir entre les lignes que le traitement de ces données s’inscrivait dans le cadre autorisé par l’art. 328b CO, en tant qu’il devait établir les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou s’avérait nécessaire à l’exécution du contrat de travail. Ces données – qu’elle distille dans son recours – démontreraient que l’employé n’effectuait pas les heures supplémentaires prétendues et mettraient en relief son incapacité à «manager» du personnel.

La doctrine semble encline à interpréter largement la notion de données «nécessaires à l’exécution du contrat de travail». Plusieurs auteurs indiquent que sont notamment visées les données nécessaires à la conduite d’un procès portant sur un litige relatif aux rapports de travail (PORTMANN/RUDOLPH, op. cit., n° 9 ad art. 328b CO; JÜRG BRÜHWILER, Einzelarbeitsvertrag, 3e éd. 2014, n° 2 ad art. 328b CO; STREIFF ET ALII, op. cit., p. 583 n. 6 i.f.; MEIER, op. cit., nos 2072 i.f.et 2131; ROSENTHAL/JÖHRI, op. cit., no 27 ad art. 328b CO, qui mentionnent le cas d’une recherche dans les e-mails privés de l’employé; STAEHELIN, op. cit., n° 6 ad art. 328b CO). Toutefois, lors même que l’accession aux messages privés et leur consultation s’inscriraient dans le champ d’activités a priori autorisées par l’art. 328b CO, ces traitements de données restent assujettis aux principes généraux de la LPD.

Il a été constaté en fait que l’employeuse était mue par le souci de trouver des preuves susceptibles d’accabler l’employé. Elle avait successivement notifié deux résiliations de contrat, l’une ordinaire, l’autre avec effet immédiat, et par deux fois l’employé avait manifesté son opposition; dans un possible accès de rage, il avait annoncé son intention de lui «pourrir la vie» et déclaré vouloir invalider l’avenant d’octobre 2016 relatif au délai de congé. Un procès était dès lors prévisible, et l’employeuse devait bien s’attendre à ce que l’ex-employé émette des prétentions pécuniaires. En revanche, un intérêt à protéger les autres employés ne pouvait guère être revendiqué puisque les rapports de travail avaient pris fin.

Selon la doctrine précitée, la nécessité de recueillir des preuves en prévision d’un procès portant sur la fin des rapports de travail peut entrer dans le champ de l’art. 328b CO.

L’autorité cantonale a toutefois jugé qu’il existait d’autres moyens d’investigation moins intrusifs permettant d’atteindre le but recherché par l’employeuse, qui pouvait notamment recueillir des renseignements auprès des employés et les faire auditionner comme témoins. Ce faisant, elle a brandi le principe de proportionnalité et soupesé les intérêts en cause, considérant que celui de l’employeuse à récolter des preuves pour se défendre n’était pas prépondérant dans cette affaire de nature patrimoniale et ne justifiait pas pareille intrusion dans la vie intime de l’intéressé.

Dans les circonstances d’espèce, il faut bien admettre que la Cour de justice n’a pas enfreint le droit fédéral en tirant une telle conclusion, ni abusé de son pouvoir d’appréciation. En jetant en pâture jusque dans son recours des pans de la vie intime de l’employé pour défendre ses intérêts financiers, l’employeuse ne réussit qu’à démontrer son absence totale d’égard pour la personnalité de l’employé.

 

Indemnité pour tort moral

Le salarié victime d’une atteinte à la personnalité contraire à l’art. 328 CO (respectivement à l’art. 328b CO) du fait de son employeur peut, le cas échéant, prétendre à une indemnité pour tort moral aux conditions fixées par l’art. 49 al. 1 CO (ATF 130 III 699 consid. 5.1 p. 704; arrêt précité 4A_465/2012 consid. 3.2).

Selon cette disposition, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d’argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l’atteinte le justifie et que l’auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement. N’importe quelle atteinte légère à la réputation professionnelle, économique ou sociale d’une personne ne justifie pas une réparation (ATF 130 III 699 consid. 5.1 p. 704; 125 III 70 consid. 3a p. 75). L’atteinte doit avoir une certaine gravité objective et doit avoir été ressentie par la victime, subjectivement, comme une souffrance morale suffisamment forte pour qu’il apparaisse légitime qu’une personne, dans ces circonstances, s’adresse au juge pour obtenir réparation (arrêt précité 4A_465/2012 consid. 3.2; arrêt 4A_665/2010 du 1er mars 2011 consid. 6.1).

En l’espèce, la gravité de l’atteinte a été suffisamment soulignée par la cour cantonale. Quant à la souffrance morale de l’employé, elle est d’autant plus évidente que l’employeuse ne lui a pas épargné l’étalage des détails de sa vie intime dans le contexte de la présente procédure. Le fait que l’intéressé ait adopté des comportements importuns à caractère sexuel sur son lieu de travail avant la résiliation de son contrat ne le prive pas pour autant du droit au respect de sa sphère privée et intime. L’employeuse a beau jeu de prétendre que la femme et le fils de son directeur général (D1.__) avaient le droit d’être informés par le menu, à mesure qu’ils seraient eux-mêmes victimes d’atteinte à l’honneur: elle ne saurait légitimer a posteriori son intrusion par ce qu’elle prétend avoir découvert ou l’interprétation qu’elle en livre. Quant aux employés de la caisse de chômage qui n’auraient, à l’en croire et de manière quasi certaine, même pas consulté le dossier, et donc pas pris connaissance des éléments touchant à la vie intime de l’employé, ce ne sont certes pas les descriptions qui jalonnent les écritures de l’employeuse qui sont aptes à les en dissuader. C’est donc à bon droit que la cour cantonale a condamné l’employeuse à payer à l’employé une indemnité pour tort moral dont le montant – incontesté en tant que tel – doit être confirmé.

 

 

Arrêt 4A_518/2020 consultable ici

 

 

Rapport sur la protection sociale des travailleurs de plateformes / « Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test) »

Rapport sur la protection sociale des travailleurs de plateformes

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 27.10.2021 consultable ici

 

Dans l’économie de plateforme et les nouveaux modèles d’affaires, le statut des personnes qui travaillent n’est pas toujours clair et leur protection sociale pas forcément garantie. C’est ce qui ressort du rapport « Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test) » que le Conseil fédéral a adopté lors de sa séance du 27 octobre 2021.

En Suisse, comme à l’étranger, de nouvelles plateformes de travail comme Uber, Helpling, ou batmaid se développent. Ces modèles d’affaires innovants, encore rares, sont hétérogènes et en partie empreints d’incertitudes juridiques. Celles-ci portent principalement sur la question du statut des travailleurs de la plateforme (salarié ou indépendant) et sur la fonction de la plateforme (intermédiaire, employeur). La protection sociale de ces travailleurs, la sécurité juridique et le besoin ou non de flexibiliser le droit des assurances sociales pour répondre aux défis de ces nouvelles formes de travail ont été analysés dans le rapport adopté aujourd’hui par le Conseil fédéral. Ce rapport fait suite à plusieurs interventions parlementaires et à une étude d’Ecoplan / Mösch Payot sur le fonctionnement des entreprises de l’économie numérique installées en Suisse.

 

Risque de précarisation

Souvent effectué à temps partiel et en tant qu’activité accessoire, le travail via les plateformes offre des activités d’appoint bienvenues pour certaines personnes (étudiants, rentiers). Le rapport identifie toutefois certaines catégories de travailleurs avec un risque élevé de précarisation, à savoir ceux qui n’atteignent pas le seuil d’entrée dans le deuxième pilier et qui ne parviennent pas à se constituer une prévoyance suffisante. Plusieurs pistes pour améliorer la prévoyance sociale des personnes cumulant de tels emplois sur de longues périodes sont examinées dans le rapport. Elles permettraient d’éviter un report vers les prestations complémentaires ou l’aide sociale, par exemple en cas d’invalidité.

 

Détermination plus rapide du statut des travailleurs

Le Conseil fédéral parvient à la conclusion que le système actuel de sécurité sociale est suffisamment souple et qu’il n’est pour l’instant pas nécessaire d’augmenter cette flexibilité. Compte tenu de l’évolution rapide de l’économie numérique, il est essentiel que les travailleurs soient fixés rapidement sur leur situation en matière de droit des assurances sociales. Le Conseil fédéral voit encore un potentiel d’amélioration à cet égard.

Le rapport examine en outre la capacité du système de sécurité sociale à répondre aux défis posés par la crise du coronavirus. Il en ressort que la Suisse a pu réagir de manière rapide et flexible, mais cette crise a également mis en lumière la fragilité économique et sociale de certains indépendants ou salariés.

Le Conseil fédéral conclut que les différentes options présentées dans le rapport ne nécessitent pas d’examen supplémentaire pour le moment.

 

Extrait du rapport du Conseil fédéral

 

Le cadre juridique

Les analyses du cadre juridique montrent que le système de sécurité sociale en vigueur en Suisse est plutôt souple et qu’il dispose d’une bonne capacité d’adaptation aux nouvelles formes de travail, non seulement au niveau des assurances sociales, mais aussi au niveau de la protection sociale liée au droit du travail. Puisque le cadre légal actuel des assurances sociales ne comporte pas de rigidités notables, il ne s’impose pas d’agir dans ce domaine pour le moment.

C’est du côté de la sécurité juridique, au sens de la clarté des dispositions légales par rapport au contexte du moment, et de la cohérence et de la prévisibilité des décisions juridiques qui en découlent, que les analyses indiquent un certain potentiel d’optimisation. Le rapport met en évidence que la pratique actuelle de qualification d’une activité comme salariée ou indépendante offre un degré élevé de flexibilité, mais elle s’accompagne également d’un certain coût qui peut être important du fait de l’incertitude temporaire des décisions juridiques concernant le statut des prestataires d’une plateforme de travail et de la durée des procédures en cas de recours. En raison des répercussions financières importantes que peut engendrer la requalification de la plateforme en tant qu’employeur plutôt que simple intermédiaire, il est important que les procédures de décision des organes d’exécution de l’AVS (qui ont un rôle-clé vis-à-vis des autres assurances sociales) soient claires et rapides.

Parmi les chances et risques associés au travail de plateforme, le rapport montre qu’il est nécessaire d’adopter une vision circonstanciée pour évaluer si le niveau de protection sociale offert par le système actuel aux travailleurs de plateforme est suffisant. D’un côté, les petits emplois et les activités exercées à titre accessoire, qui ne sont souvent pas couverts par la sécurité sociale ou que partiellement, peuvent avoir leur utilité puisqu’ils permettent d’améliorer de manière flexible la situation économique des personnes concernées. Ils peuvent aussi faciliter le maintien ou la réinsertion sur le marché du travail de personnes en difficulté ou en transition professionnelles. La nécessité d’intervenir pour augmenter la sécurité sociale associée à ces emplois, exercés temporairement ou de manière accessoire par rapport à une activité principale, est moindre. Cependant, le rapport juge tout de même nécessaire d’examiner les moyens possibles pour améliorer la protection sociale obligatoire de certaines catégories de travailleurs de plateforme, qu’ils soient indépendants ou salariés cumulant plusieurs emplois sans qu’aucun n’atteigne le seuil d’entrée dans le 2e pilier. Il s’agit d’éviter des lacunes dans la prévoyance individuelle qui devront ensuite être comblées par les collectivités publiques (par exemple, pendant la retraite, par l’octroi de PC à l’AVS).

À court terme, le travail de plateforme ne fait pas courir de risque de financement aux assurances sociales et n’appelle pas de mesures particulières dans ce domaine. Il s’agit cependant de surveiller l’évolution des formes flexibles de travail ces prochaines années et leurs conséquences potentielles sur le financement du premier pilier en particulier, car le taux de cotisation dont bénéficient les indépendants dans le domaine AVS/AI/APG est plus faible que celui des salariés.

 

Perspectives

L’expérience faite pendant la crise du coronavirus a montré à la fois les avantages et les inconvénients du travail de plateforme, indépendamment du statut des travailleurs dans les différents modèles d’affaires. Confrontés au semi-confinement, les consommateurs ont apprécié la flexibilité de la consommation en ligne, ce qui pourrait apporter un dynamisme supplémentaire aux plateformes de travail gérant par exemple la livraison des achats en ligne. De nouvelles habitudes ont été prises non seulement dans le domaine de la consommation, mais aussi dans le domaine de la mobilité et du travail à domicile pour ceux qui en avaient la possibilité (home office). La crise a aussi souligné la fragilité économique et sociale de certaines catégories d’indépendants et la couverture sociale parfois insuffisante de certaines formes d’emploi salarié.

Il est encore difficile à prévoir quels seront les impacts à long terme de ces expériences sur le développement du travail de plateforme et sur les conditions de travail qui y prévalent. Il apparaît d’ores et déjà que l’évolution doit continuer à être suivie de près. Du point de vue actuel, cependant, il n’y a pas de besoin majeur de réforme.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 27.10.2021 consultable ici

«Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test)», rapport du Conseil fédéral du 27.10.2021 disponible ici

Rapport de recherche n° 11/2020 «Modèles d’affaires innovants : besoin de flexibilisation dans le droit des assurances sociales» Ecoplan / Mösch Payot, en allemand [Innovative Geschäftsmodelle: Flexibilisierungsbedarf im Sozialversicherungsrecht], avec un résumé en français, disponible ici

 

Arrêt de la CJUE du 17.03.2021 – Affaire C-585/19 – Lorsqu’un travailleur a conclu avec le même employeur plusieurs contrats de travail, la période minimale de repos journalier s’applique aux contrats pris dans leur ensemble et non à chacun des contrats pris séparément

Arrêt de la CJUE du 17.03.2021 – Affaire C-585/19

 

Communiqué de presse de la CUJE du 17.03.2021 consultable ici

Arrêt C-585/19 du 17.03.2021 consultable ici

 

Lorsqu’un travailleur a conclu avec le même employeur plusieurs contrats de travail, la période minimale de repos journalier s’applique aux contrats pris dans leur ensemble et non à chacun des contrats pris séparément

 

L’Academia de Studii Economice din București (ASE) (université d’études économiques de Bucarest, Roumanie) a bénéficié d’un financement européen non remboursable accordé par les autorités roumaines, aux fins de la mise en œuvre d’un programme opérationnel sectoriel de développement des ressources humaines intitulé « Performance et excellence dans le domaine de la recherche postdoctorale en sciences économiques en Roumanie ».

Le 4 juin 2018, le Ministerul Educației Naționale (ministère de l’Éducation nationale, Roumanie) a mis à la charge de l’ASE une créance budgétaire d’un montant de 13 490,42 lei roumains (RON) (environ 2 800 euros), afférente à des coûts salariaux pour des employés de l’équipe de mise en œuvre du projet. Les sommes correspondant à ces coûts ont été déclarées non éligibles en raison du dépassement du plafond du nombre d’heures (13 heures) que ces employés peuvent travailler quotidiennement.

En effet, au cours de la période allant du mois d’octobre 2012 au mois de janvier 2013, des experts engagés par l’ASE en vertu d’une pluralité de contrats de travail auraient, certains jours, cumulé les heures travaillées dans le cadre de l’horaire de base, à savoir huit heures par jour, avec les heures travaillées dans le cadre du projet ainsi que dans le cadre d’autres projets ou activités. Le nombre total d’heures travaillées par jour aurait dépassé pour ces experts la limite de treize heures par jour, prévue par des instructions de l’autorité de gestion du projet.

Saisi de cette affaire, le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest) demande à la Cour de justice si, lorsqu’un travailleur a conclu avec un même employeur plusieurs contrats de travail, la période minimale de repos journalier prévue à l’article 3 de la directive sur le temps de travail s’applique à ces contrats pris dans leur ensemble ou à chacun desdits contrats pris séparément.

Par son arrêt du 17.03.2021, la Cour rappelle, premièrement, que le droit de chaque travailleur à une limitation de la durée maximale de travail et à des périodes de repos, notamment journalier, constitue non seulement une règle du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, mais est aussi expressément consacré dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

À cet égard, la Cour note que la directive sur le temps de travail définit la notion de « temps de travail » comme étant toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions. Elle impose aux États membres l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour que « tout travailleur » bénéficie d’une période minimale de repos de onze heures consécutives au cours de chaque période de vingt-quatre heures.

Par ailleurs, la « période de repos » est définie comme toute période qui n’est pas du temps de travail. La « période de repos » et le « temps de travail » sont donc des notions exclusives l’une de l’autre et la directive sur le temps de travail ne prévoit pas de catégorie intermédiaire entre les périodes de travail et celles de repos.

Or, il n’est pas possible de satisfaire à l’exigence de la directive sur le temps de travail selon laquelle chaque travailleur bénéficie quotidiennement d’au moins onze heures de repos consécutives, si ces périodes de repos sont examinées séparément pour chaque contrat qui lie ce travailleur à son employeur.

En effet, dans un tel cas, les heures considérées comme constituant des périodes de repos dans le cadre d’un contrat seraient, comme c’est le cas dans l’affaire soumise à la Cour, susceptibles de constituer du temps de travail dans le cadre d’un autre contrat. Or, une même période ne pouvant être qualifiée, en même temps, de temps de travail et de période de repos, il s’ensuit que les contrats de travail conclus par un travailleur avec son employeur doivent être examinés conjointement.

Cette interprétation est également confirmée par l’objectif de la directive, qui est de fixer des prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs par un rapprochement des réglementations nationales concernant notamment la durée du temps de travail. Cet objectif vise à garantir une meilleure protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, en les faisant bénéficier de périodes minimales de repos, notamment journalier.

La Cour estime donc que, lorsqu’un travailleur a conclu avec un même employeur plusieurs contrats de travail, la période minimale de repos journalier s’applique à ces contrats pris dans leur ensemble et non à chacun desdits contrats pris séparément.

 

Remarque : Cette règle du repos quotidien d’au moins 11 heures consécutives est également inscrite dans la législation suisse. En effet, l’art. 15a LTr prévoit également que le travailleur doit bénéficier d’une durée de repos quotidien d’au moins onze heures consécutives (al. 1). Pour le travailleur adulte, la durée du repos peut être réduite à huit heures une fois par semaine, pour autant que la moyenne sur deux semaines atteigne onze heures (al. 2).

 

 

Communiqué de presse de la CUJE du 17.03.2021 consultable ici

Arrêt C-585/19 du 17.03.2021 consultable ici

 

 

 

4A_5/2021 (f) du 09.03.2021 – Résiliation du contrat de travail avec effet immédiat d’une avocate-stagiaire – 337 CO / Conséquences pécuniaires pour l’employeur du congé injustifié – 337c CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_5/2021 (f) du 09.03.2021

 

Consultable ici

 

Résiliation du contrat de travail avec effet immédiat d’une avocate-stagiaire / 337 CO

Conséquences pécuniaires pour l’employeur du congé injustifié / 337c CO

 

A.__ exerce la profession d’avocat inscrit au Barreau à Genève. Il est associé avec C.__ dans un rapport de société simple au sein de l’Etude d’avocats Z.__ (ci-après: l’Etude).

B.__, titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise universitaires en droit, a effectué un stage au Tribunal des mineurs de Genève du 01.02.2017 au 31.07.2017. Cette juridiction a salué la qualité du travail de la stagiaire et lui a délivré un certificat de travail élogieux [faits du jugement cantonal]. B.__ a effectué une mission de courte durée entre le 09.08.2017 et le 14.08.2017 au sein de l’Etude. Les associés de l’Etude ont établi un certificat de travail élogieux.

Par contrat de travail du 03.11.2017, B.__ a été engagée par A.__ en qualité d’avocate stagiaire à plein temps, dès le 06.11.2017, pour une rémunération brute de 3’500 fr. versée treize fois l’an. Le contrat prévoyait qu’il prendrait fin « à l’obtention du brevet d’avocat ». Selon l’accord intervenu entre les parties, B.__ présenterait cet examen à la session du 28.11.2018, soit au terme de douze mois de stage en l’Etude. Le contrat précisait qu’en principe, A.__, en tant que maître de stage, corrigerait et signerait toute correspondance ou écriture rédigée par sa stagiaire. Le contrat renvoyait au surplus à la Charte du stage de l’Ordre des avocats genevois, laquelle stipule les obligations du maître de stage en matière de formation (art. 7) et de suivi régulier du stage (art. 8) ainsi que les obligations du stagiaire en matière de travail consciencieux et de respect scrupuleux des règles de la profession (art. 9).

Le 30.05.2018, une altercation a eu lieu entre B.__ et D.__, administrateur de l’Etude. Selon B.__, un nouveau différend l’a opposée à D.__ le 31.05.2018. B.__ a ensuite envoyé un SMS à C.__, l’informant qu’elle se trouvait dans un café à côté de l’Etude car elle ne se sentait pas en sécurité seule avec D.__. Elle lui demandait de l’appeler à son arrivée à l’Etude. Par la suite, elle lui a écrit qu’elle n’était pas en état de revenir travailler. La Dresse E.__ a certifié que le 31.05.2018, B.__ s’était présentée à son cabinet en état de stress psychique intense provoqué par une altercation sur son lieu de travail.

D’après B.__, elle a eu un nouveau différend avec D.__ le 05.06.2018.

Le 06.06.2018, en fin de journée, au cours d’une réunion entre A.__, C.__ et B.__, un avertissement écrit a été remis à cette dernière. Ce document, signé par les deux associés, faisait état, en accord avec plusieurs communications orales antérieures, de leur mécontentement relatif à la qualité du travail de B.__, situation qui ne s’était pas améliorée depuis le début du stage. Le texte se terminait ainsi: « Sans une […] amélioration [sensible et immédiate de la qualité de votre travail] il sera mis fin à votre stage en l’Etude sans autre avertissement. » B.__ a signé ce document en y apposant la mention « Reçu mais contesté ».

Le 07.06.2018, B.__ a travaillé jusqu’à midi. Elle a affirmé s’être assurée par téléphone qu’aucune permanence n’avait été attribuée par le Tribunal administratif de première instance à C.__. Elle a averti F.__, secrétaire, qu’elle rentrait chez elle pour se soigner car elle ne se sentait pas bien. Celui-ci lui a assuré qu’il en informerait A.__.

A 14h52, B.__ a envoyé à A.__ un SMS à la teneur suivante: « Hello A.__, je suis rentrée comme te l’a dit F.__ car je ne suis pas en état de travailler. » Aucun dossier de permanence n’a été confié à un des associés de l’Etude ce jour-là.

Le même jour, dans l’après-midi, le secrétariat de l’Etude a adressé une lettre de licenciement à B.__ par courriel et envoi postal. Elle faisait état de ce qui suit: « […] Suite à l’avertissement qui vous a été remis hier soir, nous avons discuté, avec vous et Me C.__, des éléments qu’il comporte. Aujourd’hui, vous avez quitté l’Etude sans autorisation ni demande de votre part, avant midi, alors que j’étais en entretien avec un client et que Me C.__ était en audience au titre de la permanence de la première heure. Vous saviez que nous avions en plus, cet après-midi, deux audiences concurrentes et une permanence des mesures de contraintes au Tribunal administratif de première instance. Nos instructions étaient que vous restiez disponible pour nous suppléer à l’Etude. Me C.__ vous avait donné pour instruction de vérifier avec le greffe du Tribunal administratif de première instance si des cas pouvaient se présenter. Vous ne lui avez pas fourni de réponse. Or, à 14h15, nous n’avons plus de nouvelles de votre part et ne savons pas où vous vous trouvez. Votre comportement est incompatible avec les obligations fondamentales de l’exercice de notre profession, notamment en ce qui concerne la diligence requise. Votre abandon de poste, dans les circonstances actuelles, constitue une faute particulièrement grave qui touche votre aptitude même à exercer la profession pour laquelle vous vous formez. Pour ce motif, votre contrat de stage à l’Etude prend fin avec effet immédiat. Vous êtes sommée de nous restituer les clés de l’Etude d’ici ce jour, 19h00, à défaut de quoi des mesures devront être prises pour changer les serrures, à votre charge […]. »

Ce même 07.06.2018, B.__ a adressé à A.__, par courrier recommandé, une copie d’un certificat médical du 06.06.2018, attestant une incapacité totale de travailler du 07.06.2018 au 30.06.2018 pour cause de maladie.

A partir du 02.08.2018, B.__ a été engagée dans l’enseignement obligatoire. Du 01.10.2018 au 22.05.2019, elle a poursuivi son stage d’avocate auprès de l’étude de Me G.__, lequel lui a délivré un certificat de travail élogieux.

 

Procédure cantonale

Entendu comme témoin, C.__ a déclaré qu’il avait su le 06.06.2018 déjà qu’il n’aurait pas d’audience l’après-midi du 07.06.2018 auprès du Tribunal administratif de première instance. Il était toutefois possible qu’une procédure écrite lui soit attribuée, ce dont B.__ devait s’enquérir par téléphone le matin même. Elle ne l’avait pas informé des résultats de son appel, pour autant qu’elle l’ait effectué.

Par jugement du 07.04.2020, le Tribunal des prud’hommes a condamné A.__ à verser à B.__ la somme brute de 10’835 fr. 55 avec intérêts moratoires au taux de 5% l’an dès le 08.06.2018, en invitant la partie qui en avait la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles, et la somme nette de 10’000 fr. avec intérêts moratoires au taux de 5% l’an dès le 08.06.2018. Le premier montant était dû à titre de différence de salaire et le second à titre d’indemnité pour licenciement immédiat injustifié.

Statuant le 19.11.2020 sur appel de A.__, la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice a confirmé le jugement attaqué (arrêt CAPH/204/2020).

La cour cantonale a constaté que B.__ avait quitté l’Etude le 07.06.2018 en milieu de journée pour des raisons médicales, en ayant averti le secrétaire. Quelques heures plus tard, elle avait envoyé un message à son maître de stage. Cela reflétait sa volonté de reprendre le travail ultérieurement et de permettre à l’Etude de pallier son absence. Il apparaissait ainsi que c’était sans se donner le temps de la réflexion et sans même contacter sa stagiaire, que A.__ avait impulsivement résilié avec effet immédiat le contrat de travail d’une personne dont il devait assurer la formation et ce pour un motif futile. A.__ ne pouvait raisonnablement considérer que celle-ci avait abandonné son emploi. Enfin, selon la cour cantonale, l’avertissement écrit portait essentiellement sur de prétendues déficiences rédactionnelles et juridiques, mais n’avait aucun rapport avec les faits invoqués à l’appui du licenciement. L’avertissement ne jouait dès lors pas de rôle dans l’examen des motifs du licenciement immédiat. La cour cantonale a jugé que A.__ ne disposait pas de justes motifs pour licencier B.__ avec effet immédiat.

 

TF

L’art. 337 CO autorise l’employeur à résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (al. 1). Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2).

Selon la jurisprudence, la résiliation immédiate pour « justes motifs » est une mesure exceptionnelle qui doit être admise de manière restrictive (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1). Seul un manquement particulièrement grave peut justifier une telle mesure (ATF 142 III 579 consid. 4.2). Par manquement du travailleur, on entend généralement la violation d’une obligation découlant du contrat de travail, mais d’autres incidents peuvent aussi justifier une telle mesure (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; 130 III 28 consid. 4.1; 129 III 380 consid. 2.2; arrêt 4A_393/2020 du 27 janvier 2021 consid. 4.1.1).

Ce manquement doit être objectivement propre à détruire le rapport de confiance essentiel au contrat de travail ou, du moins, à l’atteindre si profondément que la continuation des rapports de travail ne peut raisonnablement pas être exigée; de surcroît, il doit avoir effectivement abouti à un tel résultat. Lorsqu’il est moins grave, le manquement ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement (ATF 142 III 579 consid. 4.2; 130 III 213 consid. 3.1).

Déterminer les motifs du congé est une question de fait. En revanche, ressortit au droit le point de savoir si le congé est fondé sur de justes motifs (arrêts 4A_246/2020 du 23 juin 2020 consid. 3.2; 4A_35/2017 du 31 mai 2017 consid. 4.1 et les références citées).

Le juge apprécie librement s’il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 CO); il applique les règles du droit et de l’équité (art. 4 CC). Savoir si le comportement incriminé atteint la gravité nécessaire dépend des circonstances du cas concret (ATF 142 III 579 consid. 4.2 et les arrêts cités). Dans son appréciation, le juge doit notamment tenir compte de la position et de la responsabilité du travailleur, du type et de la durée des rapports contractuels, de la nature et de l’importance des manquements (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; 130 III 28 consid. 4.1; 127 III 351 consid. 4a), ou encore du temps restant jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat (ATF 142 III 579 consid. 4.2). La position du travailleur, sa fonction et les responsabilités qui lui sont confiées peuvent entraîner un accroissement des exigences quant à sa rigueur et à sa loyauté (ATF 127 III 86 consid. 2c; arrêt 4A_393/2020 précité consid. 4.1.1).

Le Tribunal fédéral ne revoit qu’avec réserve la décision d’appréciation prise en dernière instance cantonale. Il n’intervient que lorsque l’autorité précédente s’est écartée sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, lorsqu’elle s’est appuyée sur des faits qui ne devaient jouer aucun rôle ou, à l’inverse, a méconnu des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; il sanctionnera en outre les décisions rendues en vertu d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; 130 III 213 consid. 3.1; 130 III 28 consid. 4.1; 129 III 380 consid. 2 et les arrêts cités).

 

Selon les constatations de la cour cantonale, B.__ a quitté son travail pour des raisons médicales, en ayant pris soin d’avertir le secrétaire de l’Etude puis, quelques heures plus tard, son maître de stage. La cour cantonale a considéré que cela reflétait notamment la volonté de B.__ de permettre à l’Etude de pallier son absence. Si B.__ n’avait pas réussi à démontrer qu’elle avait pris contact avec l’autorité susceptible de confier une affaire à C.__, il était établi qu’il n’y avait effectivement pas eu de cas de permanence ce jour-là. Dans ces circonstances, les juges cantonaux étaient fondés à juger que B.__ n’avait pas violé ses obligations professionnelles, notamment s’agissant de la diligence requise. Il ne peut leur être reproché de ne pas avoir suffisamment tenu compte de la réglementation spécifique de l’activité d’avocat, respectivement d’avocat stagiaire.

La cour cantonale a considéré que B.__ avait la volonté de reprendre son travail ultérieurement et qu’il ne s’agissait pas d’un abandon d’emploi pouvant fonder un juste motif de licenciement immédiat. Certes, B.__ n’a pas pu assurer la permanence durant l’après-midi du 07.06.2018. Ce seul élément n’est toutefois pas suffisant pour justifier une résiliation immédiate des rapports de travail, ce d’autant plus que B.__ a pris des mesures en vue de pallier son absence.

Enfin, A.__ fait grief à l’autorité cantonale d’avoir retenu que l’avertissement du 06.06.2018 était sans rapport avec le motif invoqué à l’appui du licenciement et, partant, de ne pas en avoir tenu compte dans son appréciation. A.__ soutient que le comportement reproché à B.__ dans cet avertissement mettait en évidence des violations des règles professionnelles et avait ainsi un lien direct avec le motif du licenciement immédiat. Déterminer le contenu d’un avertissement est une question de fait. La cour cantonale a considéré que l’avertissement portait essentiellement sur de prétendues déficiences rédactionnelles et juridiques. Sur ce point, A.__ se limite à substituer son appréciation à celle de la cour cantonale, sans démontrer qu’elle aurait sombré dans l’arbitraire en ne retenant pas que cet avertissement concernait des violations des règles professionnelles. A.__ n’amène aucun autre élément pouvant fonder un lien entre le motif du licenciement immédiat et le contenu de l’avertissement précité. La cour cantonale n’a donc pas mésusé de son pouvoir d’appréciation en ne prenant pas en compte cet avertissement dans son raisonnement.

 

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 4A_5/2021 consultable ici

 

 

Loi sur l’égalité entre femmes et hommes : nouvelle étude de la jurisprudence du Tribunal fédéral

Loi sur l’égalité entre femmes et hommes : nouvelle étude de la jurisprudence du Tribunal fédéral

 

Communiqué de presse du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG) du 21.01.2021 consultable ici

 

27% des recours déposés auprès du Tribunal fédéral au titre de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (loi sur l’égalité) sont admis. C’est ce qu’indique une étude commandée par le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG). Celle-ci montre aussi que deux tiers des cas portent sur une discrimination salariale et que plus de la moitié des dossiers concernent le secteur de la santé et de l’éducation. L’étude recommande entre autres de poursuivre les recherches sur l’accès à la justice des personnes discriminées dans le cadre de leur emploi.

L’étude a analysé 81 jugements prononcés par le Tribunal fédéral (TF) au titre de la loi sur l’égalité entre 2004 et 2019. Deux tiers des recours portaient sur une discrimination salariale et 40% d’entre eux ont été admis. Ce chiffre est de 29% pour les cas de harcèlement sexuel et de 7% pour les licenciements discriminatoires. Cela ne veut pas dire que la partie recourante obtient alors gain de cause, le Tribunal fédéral renvoyant souvent l’affaire à l’instance précédente pour nouvelle décision.

Plus de la moitié des dossiers traités par le TF concerne des professions de la santé ou de l’éducation, et 63% concernent des rapports de travail de droit public. L’étude n’a pas permis d’établir si les personnes employées dans le cadre de rapports de travail privés évaluent le risque de perdre leur emploi comme étant plus élevé et renoncent ainsi plus souvent à faire appel au TF. L’étude a par ailleurs montré que ce sont le plus souvent des particuliers qui portent leur cas devant le TF, les associations faisant rarement usage de leur droit d’action.

Réalisé sur mandat du BFEG par l’Université de Genève, ce travail vient compléter les connaissances sur la pratique judiciaire relative à la loi sur l’égalité. En 2017, la jurisprudence des tribunaux cantonaux avait fait l’objet d’une analyse analogue.

L’étude propose en conclusion plusieurs recommandations, comme la poursuite des recherches sur l’accès à la justice en cas de discrimination liée au travail, notamment par le renforcement du droit d’action des associations ou la réévaluation de l’allègement du fardeau de la preuve pour les cas de harcèlement sexuel et de discrimination à l’embauche. Pour ce dernier point, cela signifierait que les présumées victimes devraient non pas prouver la discrimination, mais uniquement la rendre vraisemblable. Il s’agit par ailleurs d’améliorer la formation continue des juges, des avocat-e-s et des membres des autorités de conciliation, et de renforcer l’information du grand public quant à la loi sur l’égalité.

Entrée en vigueur en 1996, la loi sur l’égalité interdit toute discrimination fondée sur le sexe dans le monde du travail. L’égalité de fait entre les femmes et les hommes est une priorité du Conseil fédéral, mais aussi de la stratégie nationale en matière d’égalité qui doit être adoptée cette année.

 

Recommandations

Recommandations formulées, ayant pour objectif d’améliorer le fonctionnement de la justice et l’accès à celle-ci en cas de discrimination fondée sur le genre dans la vie professionnelle. Certaines recommandations ont déjà été formulées lors de l’Analyse 2017.

A. Autorités législatives

1. Renforcer le droit d’action des organisations : dans le cadre des travaux visant à améliorer l’exercice collectif des droits en Suisse, examiner les moyens de rendre plus efficace le droit d’action des organisations lors de procès fondés sur la loi sur l’égalité (art. 7 LEg).

2. Alléger le fardeau de la preuve en cas de harcèlement sexuel et de discrimination à l’embauche : réexaminer l’opportunité d’étendre l’allègement du fardeau de la preuve (art. 6 LEg) à tous les cas de discriminations fondés sur le sexe, comme le prévoit le droit de l’Union européenne.

B. Professions juridiques

3. Améliorer la formation des juges, des membres d’autorité de conciliation et du barreau : insérer dans les programmes de formation de base et de formation continue des modules de cours sur la LEg et la CEDEF. Sensibiliser de façon systématique238 le milieu judiciaire aux stéréotypes sexistes, aux violences fondées sur le genre (notamment le harcèlement sexuel) et aux formes croisées de discriminations.

C. Bureaux de l’égalité

4. Sensibiliser aux droits prévus par la LEg : continuer à informer tous les milieux concernés (individus, entreprises, administrations, partenaires sociaux, milieu juridique, etc.) sur les discriminations en raison du sexe dans les relations de travail, les droits prévus par la LEg et les possibilités d’action en justice.

D. Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG)

5. Mandater une recherche complémentaire sur l’issue des litiges fondés sur la LEg : améliorer les connaissances sur l’issue de la procédure lorsque le Tribunal fédéral a renvoyé l’affaire à une instance cantonale pour nouveau jugement. Organiser une enquête auprès des avocates et avocats ayant porté l’affaire devant le Tribunal fédéral (et dont le nom apparaît au début de l’arrêt) afin de répondre aux questions suivantes : quel a été le sort des prétentions fondées sur la LEg ? Les parties ont-elles fini par conclure un accord extrajudiciaire ?

6. Mieux comprendre la pratique et les attentes du Tribunal fédéral lorsqu’il invite une autorité à se déterminer (art. 102 LTF). Solliciter à cette fin en particulier la Présidence de la Ière Cour de droit social et de la Ière Cour de droit civil.

E. Associations de défense des travailleuses et travailleurs

7. S’approprier le droit d’action prévu par l’art. 7 LEg : se donner les moyens d’utiliser cette action en étudiant de façon approfondie les conditions d’exercice de ce droit, afin de faire constater non seulement des discriminations salariales dans le secteur public, mais aussi d’autres types de discriminations (p. ex. un refus d’embauche ou de promotion), y compris dans le cadre de rapports travail soumis au droit privé.

F. Milieu de la recherche

8. Poursuivre les recherches en matière d’accès à la justice : mener une étude qualitative permettant de mieux cerner le profil des femmes qui portent leur plainte pour discrimination jusqu’au Tribunal fédéral et mettre en évidence les facteurs qui influencent ce choix (p. ex. situation familiale, âge, handicap, ressources financières, situation de crise économique, région linguistique, etc.).

9. Etudier les accords de résiliation conclus suite à une grossesse : effectuer une enquête auprès des barreaux cantonaux, des autorités de conciliation LEg, ainsi que des femmes ayant perdu leur emploi suite à une grossesse afin d’en savoir plus sur la fréquence et le contenu des accords de résiliation en cas de maternité. Collecter un certain nombre d’accords (anonymisés) et analyser dans quelle mesure ces accords contiennent des concessions réciproques.

 

 

Communiqué de presse du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG) du 21.01.2021 consultable ici

Rapport de recherche « Analyse de la jurisprudence fédérale relative à la loi sur l’égalité entre femmes et hommes (2004-2019) » disponible ici

 

 

4A_21/2020 (f) du 24.08.2020 – Résiliation avec effet immédiat des rapports de travail nié / 337 CO / Rappel des difficultés rencontrées par le personnel d’EMS

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_21/2020 (f) du 24.08.2020

 

Consultable ici

 

Résiliation avec effet immédiat des rapports de travail nié / 337 CO

Rappel des difficultés rencontrées par le personnel d’EMS

 

L’employeuse gère des établissements médico-sociaux (EMS) à Genève. Le 05.03.2014, elle a engagé B.__ en qualité d’animateur (ci-après: l’employé). De durée indéterminée, son contrat de travail prévoyait un délai de congé de trois mois pour la fin d’un mois, dès la troisième année de service. Selon l’art. 3.9.2 de la convention collective de travail des EMS genevois – intégrée audit contrat -, l’employé d’EMS doit « faire preuve de tact et de gentillesse envers les résidents et leurs proches, user de patience et de compréhension et s’empresser à secourir et à rendre service. » Il est devenu animateur qualifié dès le 01.10.2015. En dernier lieu, son salaire mensuel brut s’élevait à 5’250 fr., versés treize fois l’an.

L’employé n’a jamais eu un quelconque problème avec un résident jusqu’au 07.08.2017, ni par la suite. Il entretenait de bonnes relations et avait de bons échanges avec les résidents. Son comportement était bienveillant, quoique parfois un peu familier. Il lui arrivait en effet de chatouiller les résidents, de leur faire peur, de leur pincer la joue, voire de leur « faire la bise » ou d’appeler à une occasion un résident par son prénom afin de capter son attention. A la suite de son départ, les résidents ont demandé « après lui ». Il était décrit comme un « bon professionnel ».

Lors d’une séance de « recadrage » tenue le 20.04.2017, l’employé s’est vu reprocher des arrivées tardives. Il était aussi sujet à des épisodes de somnolence ou de sommeil lors d’animations ou de réunions.

Le 07.08.2017, alors qu’il effectuait une animation avec plusieurs résidents, l’un d’eux s’est endormi. L’employé a jeté un stylo-feutre dans sa direction pour le réveiller et attirer son attention. Le geste était dénué de violence et de méchanceté; il n’était en aucune manière de nature à blesser le résident. L’intéressé ne s’est pas rendu compte de l’événement; il a continué de sommeiller.

C.__, assistant socio-éducatif depuis le 01.06.2017 auprès de l’employeuse, était présent lors de cette animation. Selon ses dires, une résidente a déclaré « Ça ne se fait pas, ça! » d’un air choqué. La stagiaire D.__, qui a également vu la scène, a expliqué que l’employé avait tenté d’attirer l’attention du résident en l’appelant par son nom, puis avait jeté un stylo pour faire du bruit à proximité de la personne âgée. Elle a confirmé que son attitude n’était pas méchante.

Le même jour et dans la même salle, un second incident a impliqué l’employé et un autre résident, désorienté et connu pour des tendances à la cleptomanie. Apercevant ce résident s’approcher des téléphones internes posés sur une table, l’employé avait, selon ses propres allégations, lancé le même stylo-feutre sur la table. En audience, il a nuancé ses propos en déclarant qu’il s’agissait d’un geste moins agressif qu’un jet. Le stylo n’a pas touché le résident, qui n’a pas réalisé ce qui se passait. Il n’est pas prouvé que l’employé aurait accusé le résident de voler.

Selon la stagiaire également témoin de cette scène-ci, l’employé – situé à l’autre bout de la pièce – a vainement essayé d’entrer en communication verbale avec le résident qui entendait mal. Il a alors jeté un stylo qui est tombé derrière le résident, sans l’atteindre. Ici encore, elle a décrit le geste de l’employé comme dénué de méchanceté.

Le 25.08.2017, le directeur a pris la décision de licencier l’employé avec effet immédiat. Ce dernier était quant à lui absent du 25.08.2017 au 28.08.2017. Le 29.08.2017, l’employé a été appelé pour un entretien avec la responsable des ressources humaines. Il lui a été reproché ses retards et ses endormissements, puis les incidents du 07.08.2017 lui ont été exposés. Il les a admis, en expliquant traverser une période difficile. Le licenciement immédiat lui a alors été signifié. L’employé est retourné auprès de ses collègues et leur a annoncé, à leur stupéfaction, qu’il quittait l’entreprise.

Selon le courrier de licenciement du même jour, les motifs de cette décision tenaient dans le fait pour l’employé d’avoir lancé un stylo-feutre en direction d’un résident endormi et d’avoir agi de même à l’adresse d’un résident à tendance cleptomane. Il était aussi reproché à l’employé d’avoir demandé au résident « cleptomane » d’« arrêter de voler » et de l’avoir ainsi « stigmatisé » en sachant que ce résident souffrait de désorientation et avait pour habitude d’emmener des objets dans sa chambre. Ces faits avaient été constatés « par plusieurs témoins ».

L’employé a contesté son licenciement. L’employeuse a refusé d’entrer en matière.

L’employé a retrouvé un emploi à compter d’octobre 2017.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 14.03.2019, le Tribunal prud’homal a condamné l’employeuse à verser au demandeur 14’306 fr. 75 bruts à titre de salaire durant le délai de congé plus 6’000 fr. nets à titre d’indemnité pour licenciement immédiat injustifié, le tout avec intérêts moratoires et sous réserve des déductions sociales et légales usuelles.

Par arrêt du 26.11.2019 (arrêt CAPH/205/2019), rejet de l’appel de l’employeuse par la Cour de justice genevoise, confirmant le jugement attaqué.

 

TF

L’art. 337 CO autorise l’employeur comme le travailleur à résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (al. 1). Constituent notamment de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a signifié le congé la continuation des rapports de travail (al. 2).

Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate doit être admise de manière restrictive. Seul un manquement particulièrement grave peut justifier le licenciement immédiat du travailleur. Un manquement moins grave ne peut entraîner une telle sanction que s’il a été répété malgré un avertissement. Par manquement de l’une des parties, on entend en règle générale la violation d’une obligation imposée par le contrat, mais d’autres faits peuvent aussi justifier une résiliation immédiate (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 31; 129 III 380 consid. 2.1 et 2.2).

Le manquement doit être objectivement propre à détruire le rapport de confiance essentiel au contrat de travail ou, du moins, à l’atteindre si profondément que la continuation des rapports de travail ne peut raisonnablement pas être exigée; de surcroît, il doit avoir effectivement abouti à un tel résultat (ATF 142 III 579 consid. 4.2 et les arrêts cités). Le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l’équité (art. 4 CC), si la résiliation immédiate répond à de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). Il prendra en considération toutes les circonstances du cas particulier et sa décision, rendue en vertu d’un pouvoir d’appréciation, ne sera revue qu’avec réserve par le Tribunal fédéral (entre autres, ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 32).

 

En l’espèce, est litigieuse la question de savoir si l’employeuse avait, dans les circonstances concrètes, un juste motif de mettre un terme au contrat de travail avec un effet immédiat.

A deux reprises le 07.08.2017, l’animateur a jeté un stylo, sans force et sans agressivité, en direction d’un résident puis d’un autre, à chaque fois dans le but d’attirer leur attention. Le premier dormait pendant une animation; le second, enclin à la cleptomanie, s’approchait de téléphones et n’a semble-t-il pas entendu l’animateur qui l’interpellait. Ce type de geste est bien évidemment critiquable – a fortiori de la part d’une personne qui avait elle-même récemment été sujette à des somnolences. Il procède d’un irrespect à l’égard de personnes âgées aux facultés diminuées. L’animateur avait clairement d’autres possibilités d’attirer l’attention des deux résidents, notamment celle de se déplacer vers l’intéressé et de lui toucher doucement l’épaule ou le bras. L’autorité précédente était fondée à souligner que le projectile n’a pas perturbé les deux intéressés qui ne se sont aperçus de rien; cet élément permettait en effet d’attester que le jet était totalement dénué de violence et de force. Dans le même temps, il est inacceptable d’adopter un comportement irrespectueux qui ne serait pas utilisé à l’égard d’un adulte en pleine possession de ses moyens – et qui n’aurait vraisemblablement pas été du goût de l’animateur s’il en avait été lui-même victime.

Ceci dit, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret pour résoudre la question de savoir si le comportement incriminé était d’une gravité telle qu’il pouvait justifier une résiliation immédiate.

L’animateur travaillait depuis trois ans et quelques mois lorsque les deux incidents sont survenus le 07.08.2017. Il n’avait jusque-là pas eu le moindre problème avec un résident – et n’en a pas eu après. Il a manqué aux résidents lorsqu’il a été licencié. Il entretenait avec eux de bonnes relations et avait de bons échanges; il était un bon professionnel. Le seul problème relevé est une « séance de recadrage » quelque quatre mois avant les événements, au cours de laquelle il lui a été reproché des somnolences et arrivées tardives. Cet élément, selon les constatations souveraines de la cour cantonale, n’a toutefois pas influé dans la décision de résilier le contrat.

Dans un parcours sans accrocs véritables, il est tout au plus fait état d’une « grande proximité », d’une certaine familiarité avec les résidents: il arrivait ainsi à l’animateur de les chatouiller, de leur faire peur, de leur pincer la joue, voire de les embrasser sur la joue ou de les appeler par leur prénom pour attirer leur attention. Des comportements infantilisants ou trop familiers, qu’une personne adulte disposant de toutes ses facultés n’accepterait pas, sont à proscrire. Il faut toutefois garder à l’esprit le besoin de marques d’affection que peuvent éprouver les personnes âgées dans leur quotidien. Le personnel d’EMS se trouve ainsi confronté simultanément à des impératifs de respect et de distance professionnelle, et au souci de prodiguer un minimum de chaleur humaine à des personnes diminuées. La frontière entre les deux peut se révéler délicate à tracer en pratique.

Si l’animateur a pu franchir cette frontière occasionnellement et adopter une fois ou l’autre un comportement inadéquat et infantilisant, force est de constater qu’il n’est pas fait état d’écarts fréquents, ni de manquements graves. A aucun moment avant le présent litige, l’employeuse ne s’est plainte de l’attitude de l’animateur, qui est qualifiée de bienveillante dans l’arrêt attaqué. Or, vu le haut standard de comportement qu’elle se dit en droit d’attendre de ses collaborateurs – standard qu’elle doit ainsi s’attacher à faire respecter -, l’employeuse n’eût pas manqué de réagir si l’attitude générale de l’employé avait été empreinte d’une familiarité inadéquate. Lorsqu’elle entend subsumer dans la maltraitance les gestes précités qui n’avaient jusque-là provoqué aucune réaction de sa part, elle franchit le Rubicon.

L’employé a admis traverser une période difficile, qui pouvait aussi expliquer les somnolences et arrivées tardives ayant provoqué peu avant une séance de recadrage. Toutefois, il n’avait jusque-là pas démérité, et n’a pas reproduit de comportements inadéquats les jours suivants le 07.08.2017. Par ailleurs, le fait qu’il n’ait pas opéré de catharsis avant de se retrouver partie à la procédure ne revêt pas une importance particulière.

Dans de telles circonstances, l’autorité précédente pouvait juger, sans excéder son pouvoir d’appréciation, que les deux jets de stylo, pour critiquables et irrespectueux qu’ils fussent, ne revêtaient pas encore une gravité suffisante pour fonder un licenciement immédiat. L’employeuse eût pu et dû se contenter d’adresser un avertissement à l’animateur. Les juges cantonaux ont porté une appréciation mesurée, tenant compte non seulement des exigences particulières pesant sur les épaules du personnel d’EMS, mais aussi des difficultés de leur tâche et des besoins spécifiques de personnes diminuées. Le long chapitre de la recourante sur le comportement exigible d’un tel personnel et sur les prétendues erreurs qui entacheraient l’arrêt attaqué ne rend pas justice à cette décision nuancée, qui a précisément su faire la part des choses dans le cas concret.

 

Le TF rejette le recours de l’employeuse.

 

 

Arrêt 4A_21/2020 consultable ici

 

NB : je dois avouer qu’il s’agit d’un arrêt rédigé d’une manière peu usuelle mais que je salue et apprécie. La difficulté rencontrée au quotidien par le personnel d’EMS, encore plus en ces temps de pandémie, est soulignée justement. La forme et le fond de l’arrêt méritent d’être soulignés.

 

 

4A_123/2020 (f) du 30.07.2020 – Diffusion d’un communiqué à des partenaires et fournisseurs de l’employeur sur le licenciement de l’employé (directeur général adjoint) – Atteinte à la personnalité et atteinte à la réputation professionnelle de l’employé – 328 CO – 28 ss CC / Indemnité pour tort moral – 49 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_123/2020 (f) du 30.07.2020

 

Consultable ici

 

Diffusion d’un communiqué à des partenaires et fournisseurs de l’employeur sur le licenciement de l’employé (directeur général adjoint) – Atteinte à la personnalité et atteinte à la réputation professionnelle de l’employé / 328 CO – 28 ss CC

Indemnité pour tort moral / 49 CO

Publication d’un rectificatif / 28a al. 2 CC

 

La société B.__ SA fabrique des pièces destinées à l’horlogerie et à d’autres produits de luxe. Par contrat de travail du 30.06.2014, elle a engagé A.__ en qualité de directeur général adjoint pour une durée indéterminée. Celui-ci était doté d’une longue expérience professionnelle dans le domaine des produits de luxe, mais n’avait qu’une expérience minime en matière d’horlogerie ; l’administratrice de la société l’a engagé pour ses qualités de gestionnaire.

Par courrier du 26.08.2015, l’employeuse a licencié le prénommé pour le 31.10.2015, en le libérant de l’obligation de travailler dès le 31.08.2015.

Dans la foulée, l’employeuse a adressé le communiqué suivant à ses partenaires et fournisseurs [soulignements à l’instar du texte original, réd.] : « Concerne : Communication adressée à nos partenaires et fournisseurs concernant la résiliation du contrat de travail de Monsieur A.__ / (…) nous vous communiquons la résiliation du contrat de travail de Monsieur A.__ pour le 31 octobre 2015. Nous vous informons également du fait que Monsieur A.__ a été libéré de l’obligation de travailler durant le délai de congé et qu’il ne fait dès lors plus partie du personnel de notre société dès et y compris le 31 août 2015. Nous nous en remettons au professionnalisme de chacun et nous ne doutons pas que vous tiendrez compte de cette information de manière rigoureuse dans le cadre de vos relations avec notre société. Nous attirons votre attention sur le fait qu’étant donné la fin des rapports contractuels de cet employé, votre devoir de confidentialité vaut désormais également à l’égard de A.__. La direction de la société se tient bien entendu à votre disposition pour répondre à toute question relative à la présente communication. (…) »

L’employé licencié a à son tour adressé le message électronique suivant aux fournisseurs de l’employeuse : « (…) Le Roi est mort… Longue vie à la Reine! / Chers partenaires et pour certains amis, Il me plaît à penser que vous avez été surpris de recevoir il y a quelques jours un communiqué annonçant la radiation de mon contrat. Et bien vous allez rire… étant en arrêt maladie durant cette semaine précisément suite à une intervention chirurgicale, j’ai été informé de cette gentille missive ‘en live’ par vous-mêmes! (…) Beaumarchais avait donc raison… ‘Empressons-nous de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer’! Après deux années, Madame C.__ [administratrice de la société, réd.] a donc décidé de reprendre la barre de son bateau ce qui est finalement dans la normale des choses, seule la méthode est discutable! (…) »

En octobre 2015, une société spécialisée dans le recrutement des cadres a annoncé à l’employé que sa cliente avait souhaité interrompre leurs pourparlers pourtant avancés, suite au communiqué de l’employeuse qui semblait mettre très sérieusement en doute son intégrité.

En novembre 2015, une entreprise a signifié à l’employé qu’elle renonçait à collaborer avec lui en raison de ce même communiqué, qui pouvait être la suite d’une faute professionnelle. Elle n’entendait pas prendre un quelconque risque pour son image.

Le travailleur congédié s’est trouvé incapable de travailler, de sorte que l’échéance du contrat a été repoussée au 31.01.2016. En mars 2016, il a fondé sa propre société de conseils, qu’il prodigue dans le domaine du luxe à l’exclusion de l’horlogerie.

 

Procédures cantonales

Selon ses dernières conclusions, il prétendait à l’indemnisation de ses jours de vacances non pris (9’846 fr. 70) ainsi qu’à une indemnité de 40’000 fr. pour le préjudice causé par l’atteinte grave à sa personnalité. Il exigeait en outre qu’un rectificatif fût publié dans diverses revues, et adressé à tous les destinataires du communiqué par lequel l’employeuse avait annoncé son licenciement. Par jugement du 25.02.2019, le Tribunal civil a rejeté la demande.

Par jugement du 29.01.2020, rejet de l’appel de l’employé par le tribunal cantonal (arrêt n° 44; PT16.035908-191699 – consultable ici).

 

TF

L’art. 328 CO enjoint à l’employeur de respecter la personnalité du travailleur. Cette disposition concrétise en droit du travail la protection qu’offrent les art. 28 ss CC contre les atteintes aux droits de la personnalité.

L’atteinte, au sens des art. 28 ss CC, est réalisée par tout comportement humain, tout acte de tiers qui cause d’une quelconque manière un trouble aux biens de la personnalité d’autrui en violation des droits qui la protègent (ATF 136 III 296 consid. 3.1 p. 302; 120 II 369 consid. 2 p. 371). Il y a violation de la personnalité notamment lorsque l’honneur d’une personne est terni, lorsque sa réputation sociale et professionnelle est dépréciée (ATF 143 III 297 consid. 6.4.2 p. 308; 129 III 715 consid. 4.1 p. 722).

L’atteinte portée aux biens de la personnalité entraîne une modification de l’état de ces biens, que l’on appelle lésion (Verletzung/lesione; cf. les versions allemande et italienne de l’art. 28 CC; PIERRE TERCIER, Le nouveau droit de la personnalité, 1984, n° 573). Il n’est pas nécessaire que l’honneur soit effectivement lésé; il suffit que le comportement incriminé soit propre à ternir celui-ci (FRANZ RIKLIN, Der straf- und zivilrechtliche Ehrenschutz im Vergleich, in RPS 1983 p. 36; en droit pénal, cf. ATF 103 IV 22 consid. 7 p. 23). Cela étant, pour qu’il y ait atteinte au sens de l’art. 28 CC, la perturbation doit présenter une certaine intensité (STEINAUER/FOUNTOULAKIS, Droit des personnes physiques et de la protection de l’adulte, 2014, n° 554; ANDREAS MEILI, in Basler Kommentar, 6e éd. 2018, n° 38 ad art. 28 CC; THOMAS GEISER, Die Persönlichkeitsverletzung insbesondere durch Kunstwerke, 1990, p. 97 s.; cf. aussi ATF 129 III 715 consid. 4.1 p. 723).

L’atteinte à la personnalité peut avoir des répercussions sur le patrimoine ou le bien-être de la victime, et lui occasionner ainsi un préjudice. Il sied à cet égard de distinguer l’atteinte à la personnalité du préjudice qu’elle peut entraîner (TERCIER, op. cit., nos 572-575; STEINAUER/FOUNTOULAKIS, op. cit., no 555; MEILI, op. cit., n° 41 ad art. 28 CC). La première (atteinte) est l’objet des actions défensives énoncées à l’art. 28a al. 1 CC, tandis que le second (préjudice) est l’objet des actions réparatrices mentionnées à l’art. 28a al. 3 CC. Un rapport de causalité naturelle et adéquate doit être établi entre l’atteinte à la personnalité et le préjudice invoqué (TERCIER, op. cit., nos 1857 ss, 2014 et 2134; STEINAUER/FOUNTOULAKIS, op. cit., nos 555, 601, 608 et 614).

 

In casu, le communiqué de l’employeuse a inspiré aux juges cantonaux les réflexions suivantes:

  • L’employeuse avait mis en exergue le terme « résiliation », et le fait que celle-ci prenait effet « dès et y compris le 31 août 2015 » ; ce faisant, elle avait insisté sur le fait que l’employé ne faisait plus partie du personnel de l’entreprise, avec effet immédiat. Une telle accentuation pouvait induire toutes sortes de spéculations quant aux motifs du licenciement, et potentiellement porter atteinte à la réputation de la personne concernée. Deux témoins avaient relevé le caractère brutal et surprenant du communiqué. Deux autres témoins avaient attesté de l’influence négative qu’il pouvait exercer sur des employeurs potentiels dans le milieu concerné – soit un milieu relativement fermé dans lequel tout se sait. Cependant, en réaction à ce communiqué, l’employé avait adressé une réponse d’un goût douteux aux fournisseurs. Selon un cinquième témoin, il n’était pas sérieux d’envoyer un tel message dans ce milieu, sauf à « se tirer une balle dans le pied ».
  • Si le communiqué litigieux de l’employeuse était susceptible de porter atteinte à l’avenir professionnel de l’employé, la réaction pour le moins inadéquate de l’intéressé était aussi de nature à lui causer du tort. Le lien de causalité naturelle entre le comportement de l’employeuse et l’atteinte invoquée n’était pas établi. Le fait que l’employé n’avait jusqu’à son engagement aucune expérience dans l’horlogerie pouvait aussi influer sur son parcours dans le secteur.
  • Par surabondance, le travailleur n’avait pas établi avoir subi une atteinte sérieuse à sa personnalité, respectivement à son avenir professionnel. Il n’était pas établi qu’il n’aurait plus pu exercer dans le domaine du luxe comme par le passé. Il n’avait pas non plus démontré, par certificat médical ou autre preuve à l’appui, qu’il aurait subi le dommage allégué.

En s’interrogeant sur le lien de causalité entre le comportement de l’employeuse (diffusion d’un communiqué sur le licenciement) et « l’atteinte invoquée » par le travailleur congédié, le tribunal cantonal s’est en réalité placé sur le terrain des actions réparatrices. Il est question d’avenir professionnel, et de l’influence négative du communiqué auprès d’employeurs potentiels. Une atteinte à la réputation professionnelle peut empêcher un travailleur de retrouver un emploi dans le milieu concerné, et justifier le cas échéant des dommages-intérêts. La cour cantonale a toutefois exclu une telle prétention au motif que le lien de causalité naturelle entre la diffusion du communiqué et le prétendu préjudice faisait défaut (pour une affaire de ce type, cf. arrêt 5A_170/2013 du 3 octobre 2013 consid. 7.2). La question de la causalité naturelle ressortit au fait ; or, l’employé se borne à mettre en exergue les deux courriers attestant des refus d’emploi imputés au communiqué de l’employeuse, sur un mode appellatoire dépourvu du grief d’arbitraire qui exclut déjà toute rediscussion. Au demeurant, on ne voit pas que l’autorité cantonale aurait enfreint le droit fédéral en excluant une prétention en dommages-intérêts sur la base d’un état de fait aussi peu étayé. Devant le Tribunal fédéral, l’employé lui-même ne parle plus que de préjudice moral.

 

L’indemnité pour tort moral (art. 49 CO) suppose que l’atteinte à la personnalité revête une certaine gravité, objective et subjective. Savoir si l’atteinte est suffisamment importante pour justifier une somme d’argent dépend des circonstances du cas concret ; le juge dispose à cet égard d’un vaste pouvoir d’appréciation que le Tribunal fédéral revoit avec retenue (ATF 129 III 715 consid. 4.4 p. 725; cf. aussi ATF 115 II 156 consid. 1; arrêt 4A_482/2017 du 17 juillet 2018 consid. 4.1). En l’occurrence, les deux instances vaudoises ont considéré que l’employé n’avait pas établi la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l’atteinte subie par la diffusion du communiqué litigieux. Force est d’admettre qu’une telle analyse n’appelle aucune critique. Pour pouvoir l’infléchir, il eût fallu s’appuyer sur un état de fait autre. Or, une fois encore, l’employé ne le remet pas valablement en question en se bornant à soutenir que les grandes souffrances sont le plus souvent silencieuses et en évoquant des certificats médicaux qui attesteraient d’un état dépressif ou d’une anxiété. Dans ces circonstances, une violation de l’art. 49 CO ne saurait être retenue – ce qui n’exclut pas encore que le communiqué de l’employeuse ait pu attenter à la personnalité de l’employé, cette question souffrant en l’occurrence de rester indécise.

 

L’employé a encore sollicité la publication d’un rectificatif dans diverses revues, et la communication de celui-ci aux destinataires du courrier litigieux émis par l’employée à propos de son licenciement. Cette mesure prévue par l’art. 28a al. 2 CC vise à éliminer les conséquences d’une atteinte illicite à la personnalité; elle est soumise aux principes d’adéquation et de proportionnalité. Le requérant doit justifier d’un intérêt suffisant  (ausreichend) à une telle mesure, intérêt qui n’est pas nécessairement émoussé par un long écoulement du temps (cf. ATF 135 III 145 consid. 5.1 p. 151; 104 II 1 consid. 4, à propos de la publication d’un jugement; arrêt 5A_639/2014 du 8 septembre 2015 consid. 11.2.1; arrêt précité 5A_170/2013 consid. 5.3; MEILI, op. cit., n° 10 ad art. 28a CC; TERCIER, op. cit., n° 1007). En l’espèce, on ne saurait inférer de circonstances aussi nébuleuses que les conditions précitées seraient réalisées. L’employé s’est plaint essentiellement de l’effet néfaste du communiqué sur son avenir professionnel ; il a toutefois fondé sa propre société en mars 2016, un mois après la fin de son délai de congé, sans avoir justifié d’aucune recherche d’emploi. De surcroît, un temps important s’est écoulé, ne serait-ce qu’entre le communiqué litigieux et le prononcé du jugement de première instance. Enfin, on ignore tout du contenu que le rectificatif sollicité devrait revêtir. Pour ce motif déjà, la prétention fondée sur l’art. 28a al. 2 CC pouvait être rejetée.

 

Le TF rejette le recours de l’employé.

 

 

Arrêt 4A_123/2020 consultable ici

 

 

4A_245/2019 (f) du 09.01.2020 – Licenciement – Caractère abusif de la résiliation du contrat de travail nié – 336 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_245/2019 (f) du 09.01.2020

 

Consultable ici

 

Licenciement – Caractère abusif de la résiliation du contrat de travail nié – 336 CO

 

Employée engagée le 23.05.2014 par le Service pénitentiaire en qualité d’agente de détention en formation à 100%. Le contrat de travail prévoyait une durée maximale de cinq ans.

Le 21.08.2015, un téléphone portable a été découvert dans l’une des cellules de l’établissement carcéral. Une enquête pénale a été ouverte. L’extraction des données de l’appareil saisi a révélé deux identifiants « Skype » présents dans la mémoire du téléphone, lesquels correspondaient à l’employée respectivement à une dénommée D.________ [correspondant au prénom de l’employée.].

Le 17.08.2016, le directeur de l’établissement s’est approché de l’employée de manière informelle afin de lui demander si les identifiants « Skype » décelés lui appartenaient. Les soupçons pesants contre elle ont également été évoqués à cette occasion.

Le 24.08.2016, lors d’un entretien organisé entre le directeur de l’établissement pénitentiaire, le surveillant-chef et l’employée, cette dernière a reconnu avoir eu des contacts téléphoniques (mode téléphonie et messages) avec une personne détenue. Le procès-verbal de cet entretien a été signé à l’occasion d’une nouvelle rencontre tenue le lendemain.

Par courrier du 26.08.2016, le service des ressources humaines a informé l’employée de son intention de mettre fin à son contrat de travail pour les motifs suivants : l’employée avait entretenu, avec un ou des détenus, un lien qui était totalement incompatible avec ses devoirs de service ; elle l’avait caché à ses supérieurs pendant près de deux ans, au même titre que la présence d’objets prohibés dans l’enceinte de la prison ; elle avait ainsi contrevenu de manière manifeste à son cahier des charges et au code de déontologie et sapé le rapport de confiance qui devait exister entre l’autorité et ses collaborateurs. L’employée était invitée à s’exprimer.

Par lettre du 30.09.2016, l’employée a contesté le contenu du courrier précédent et les reproches formulés à son encontre. Elle a souligné le contexte et l’ancienneté des faits qui s’étaient déroulés entre septembre et novembre 2014. Par ailleurs, elle a indiqué qu’elle n’avait alors pas conscience d’être en contact « Skype » avec un détenu et que, lorsqu’elle avait pu l’imaginer, elle y avait immédiatement mis fin. Elle a expliqué qu’à l’instar de ses collègues, elle savait qu’un ancien surveillant avait introduit des téléphones portables au sein de l’établissement, qu’elle n’en avait jamais vus, mais qu’elle avait imaginé qu’il était possible qu’un détenu l’ait contactée par ce biais. Il ne pouvait enfin lui être reproché d’avoir contrevenu à son cahier des charges et au code de déontologie dès lors qu’elle n’y avait adhéré qu’après les faits qui lui étaient reprochés.

L’employée s’est trouvée en incapacité de travailler depuis le 25.08.2016.

Par courrier du 25.11.2016, alors que l’employée était toujours en arrêt maladie, le service précité a résilié le contrat de travail avec effet au 31.01.2017.

Le 23.12.2016, l’employée a formé opposition au congé, qu’elle tenait pour abusif.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 13.11.2018, le tribunal civil a rejeté la demande.

Par arrêt du 16.04.2019, la Cour d’appel civile a rejeté pour l’essentiel l’appel de l’employée.

 

TF

Lorsque le contrat de travail est de durée indéterminée, chaque partie est en principe libre de le résilier (art. 335 al. 1 CO), moyennant le respect du délai et du terme de congé convenus ou légaux. Le droit suisse du contrat de travail repose en effet sur la liberté contractuelle. La résiliation ordinaire du contrat de travail ne suppose pas l’existence d’un motif de congé particulier (ATF 132 III 115 consid. 2.1; 131 III 535 consid. 4.1; 127 III 86 consid. 2a p. 88). La limite à la liberté contractuelle découle des règles de l’abus de droit (art. 336 CO). La résiliation ordinaire du contrat de travail est abusive lorsqu’elle intervient dans l’une des situations énumérées à l’art. 336 al. 1 CO, lesquelles se rapportent aux motifs indiqués par la partie qui résilie (ATF 136 III 513 consid. 2.3 p. 514/515; 132 III 115 consid. 2.4 p. 118; 131 III 535 consid. 4.2 p. 539). L’énumération de l’art. 336 al. 1 CO n’est pas exhaustive et un abus du droit de résiliation peut se révéler aussi dans d’autres situations qui apparaissent comparables, par leur gravité, aux hypothèses expressément visées par cette disposition (ATF 136 III 513 consid. 2.3 p. 514/515; 132 III 115 consid. 2 p. 116; 131 III 535 consid. 4 p. 537). Ainsi, la résiliation ordinaire est abusive lorsque l’employeur la motive en accusant le travailleur d’un comportement contraire à l’honneur, s’il apparaît que l’accusation est infondée et que, de plus, l’employeur l’a élevée sans s’appuyer sur un indice sérieux ni avoir entrepris de vérification (arrêts 4A_485/2016-4A_491/2016 du 28 avril 2017 consid. 2.2.2; 4A_694/2015 du 4 mai 2016 consid. 2.2; 4A_99/2012 du 30 avril 2012 consid. 2.2.1). La manière dont le congé est donné peut aussi le faire apparaître comme abusif. Même lorsque le motif de la résiliation est en soi légitime, celui qui exerce son droit de mettre fin au contrat doit agir avec des égards. Si l’employeur porte une grave atteinte à la personnalité du travailleur dans le contexte d’une résiliation, celle-ci doit être considérée comme abusive ; un comportement simplement inconvenant ne suffit pas (ATF 132 III 115 consid. 2.2 p. 117 et consid. 2.3 p. 118; 131 III 535 consid. 4.2 p. 538 s.).

Pour pouvoir examiner si la résiliation ordinaire est abusive ou non (art. 336 CO), il faut déterminer quel est le motif de congé invoqué par la partie qui a résilié (ATF 132 III 115 consid. 2 p. 116; 131 III 535 consid. 4 p. 537; 125 III 70 consid. 2 p. 72). Le motif de la résiliation relève du fait (ATF 130 III 699 consid. 4.1 p. 702 s.) et les constatations de l’arrêt attaqué à ce sujet ne peuvent être attaquées que dans la mesure restreinte permise par l’art. 97 al. 1 LTF, à savoir pour arbitraire (art. 9 Cst.) dans l’établissement des faits et l’appréciation des preuves. En revanche, savoir si le motif ainsi établi donne lieu à un congé abusif ou non relève de l’application du droit, que le Tribunal fédéral revoit librement.

Il incombe en principe au destinataire de la résiliation de démontrer que celle-ci est abusive. Le juge peut toutefois présumer en fait l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur. Ce dernier ne peut alors rester inactif, n’ayant d’autre issue que de fournir des preuves à l’appui de ses propres allégations quant au motif de congé (ATF 130 III 699 consid. 4.1 p. 703; 123 III 246 consid. 4b).

 

Il est constant que les parties se sont liées par un contrat de travail de durée indéterminée, librement résiliable par chacune d’elles conformément à l’art. 335 al. 1 CO, moyennant le respect du délai et du terme de congé convenus ou légaux.

Le principal motif invoqué par l’employeur à l’appui du congé ordinaire réside dans les contacts téléphoniques entretenus par l’employée avec un ou des détenus. En droit, l’absence de caractère abusif d’un tel motif n’est guère contestable. L’employée reproche à tort à l’employeur de ne pas avoir apporté la preuve de la réalité de ce motif. Il ne lui appartenait pas de le faire : c’était à elle, bien au contraire, de démontrer que les faits reprochés ne s’étaient pas produits.

La cour cantonale a jugé que cette preuve n’avait pas été apportée. Bien plus, fondés sur les propres déclarations de l’employée transcrites dans le procès-verbal du 24.08.2016, les juges cantonaux ont retenu que les contacts téléphoniques prohibés avaient bel et bien eu lieu. Il s’agit là d’une problématique de constatation de faits et d’appréciation des preuves que le Tribunal fédéral ne pourrait revoir que s’il était saisi du grief d’arbitraire. Ce n’est toutefois pas sous cet angle que l’employée déploie son argumentation. Elle se borne à prétendre que ses déclarations lors de l’entrevue du 24.08.2016 telles que protocolées ne suffiraient pas à attester qu’elle savait qu’elle conversait avec un détenu lors des contacts en cause, tirant argument de « l’exploitation du lien de subordination » et la « situation de faiblesse et d’infériorité » dans laquelle elle aurait été placée. L’employée n’évoque toutefois aucun élément de fait qui accréditerait cette assertion. Selon elle, le procès-verbal de l’entretien n’en refléterait pas fidèlement la teneur. Il n’a pourtant pas été signé sur le vif, mais le lendemain de la rencontre. L’employée se plaint encore de « l’attitude de sa hiérarchie » à cette occasion, mais – derechef – n’évoque pas le moindre élément susceptible de décrire dans quelle mesure cette attitude aurait été inappropriée. C’est finalement à tort que l’employée se prévaut d’une situation analogue à celle qui a fait l’objet de l’arrêt 4A_694/2015 précité. Le 17.08.2016 déjà, le directeur de l’établissement s’est approché de l’employée de manière informelle afin de lui demander si les identifiants «Skype» décelés lui appartenaient; les soupçons pesant contre elle ont également été évoqués à cette occasion. Les thèmes abordés lors de l’entrevue du 24.08.2016 ne représentaient dès lors pas une surprise pour l’employée et, si elle l’avait estimé nécessaire, elle aurait pu s’adjoindre un mandataire professionnel. Il n’appartenait en revanche pas à l’employeur – fût-il représenté par deux personnes lors de cet entretien – de lui conseiller de le faire, comme elle le soutient à mots couverts.

S’agissant de la manière dont le licenciement lui a été signifié, l’employée y voit également un abus du droit de l’employeur. Cela étant, si l’on peut fort bien concevoir que le congé ait bouleversé l’employée, que celle-ci ait dû consulter un médecin à la suite de ces événements et que le licenciement la plaçait dans la situation de devoir retrouver un emploi – avec le lot de soucis qui l’accompagnait -, l’employeur n’en porte pas la responsabilité. Il n’a selon toute évidence pas licencié l’employée pour la blesser, comme celle-ci le suggère plus qu’elle ne l’affirme.

C’est dès lors à bon droit que la cour cantonale a considéré que le congé n’était pas abusif.

 

Le TF rejette le recours de l’employée.

 

 

Arrêt 4A_245/2019 consultable ici

 

 

4A_458/2018 (f) du 29.01.2020 – Licenciement immédiat injustifié – Dommage à l’évolution de l’avoir vieillesse LPP du travailleur / Changement non consenti d’institution de prévoyance et baisse du montant des cotisations LPP – Passage d’un régime surobligatoire à un régime obligatoire

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_458/2018 (f) du 29.01.2020

 

Consultable ici

 

Licenciement immédiat injustifié – Dommage à l’évolution de l’avoir vieillesse LPP du travailleur

Changement non consenti d’institution de prévoyance et baisse du montant des cotisations LPP – Passage d’un régime surobligatoire à un régime obligatoire

 

A.__ est courtier en valeurs financières. La société X.__ Sàrl s’est vouée statutairement au courtage financier. Son capital social est entièrement détenu par Y.__ LLC; cette société à responsabilité limitée sise aux Etats-Unis d’Amérique dispose d’une succursale dans le canton de Vaud, dont les locaux servent de siège à la société précitée.

Le 15.12.2007, X.__ Sàrl en qualité d’employeuse et A.__ en tant qu’employé ont signé un contrat de travail en vertu duquel celui-ci était engagé dès le 01.01.2008 comme directeur responsable du département des actions.

Au chapitre de la rémunération, l’art. 3 a) du contrat rédigé en anglais prévoyait un « Fixed Draw » de 502’900 fr. par an, susceptible d’être réduit par l’employeuse moyennant certaines conditions. La forme écrite était nécessaire pour modifier le contrat, selon l’art. 18.2 des « Terms and conditions » intégrés au contrat. L’employeuse a pris à bail un appartement de 9 pièces pour y loger l’employé et sa famille et en a assumé le loyer (9’950 fr. par mois), qu’elle payait directement à la bailleresse. Elle a aussi pris en charge les frais du leasing contracté par l’employé sur une voiture de luxe (4’717 fr. 05 par mois) et versé 5’000 USD par an à titre de participation à ses primes d’assurance-maladie. En outre, elle a obtenu de l’administration fiscale des arrangements pour l’employé – imposable à la source -, en ce sens que 85% de son salaire serait traité comme du revenu, soumis aux cotisations sociales et à l’impôt à la source, tandis que 15% du salaire serait considéré comme des frais de représentation forfaitaires. Il a également été convenu que la prise en charge par l’employeuse des frais de logement serait qualifiée à raison d’un tiers comme charge d’entreprise.

S’agissant de la prévoyance professionnelle, l’employé a initialement été affilié à la Caisse P1.__. Au 1er janvier 2010, le salaire annuel assuré était de 450’000 fr. et la cotisation annuelle totale (employeuse et employé) de 83’829 fr. 60.

L’employeuse a transféré le compte de prévoyance professionnelle de l’employé auprès de l’institution P2.__, avec effet au 01.01.2011. Selon le certificat établi par celle-ci le 11.08.2011, le salaire annuel assuré n’était que de 59’160 fr. et la cotisation annuelle totale de 10’952 fr. 90.

Le 29.12.2011, l’employeuse a congédié l’employé pour le 06.04.2012 en le libérant de l’obligation de travailler jusqu’à cette échéance. Le même jour, le travailleur a résilié son contrat de travail pour le 31.03.2012 en invoquant notamment la réduction de son salaire. L’employeuse a accepté cette résiliation en confirmant que le 31.03.2012 constituait le dernier jour d’engagement, tout en rappelant que le travailleur était délié de l’obligation de travailler.

A la suite d’un incident, l’employeuse a licencié l’employé avec effet immédiat, par courrier du 11.01.2012. L’intéressé a contesté le congé immédiat et a offert ses services. L’employeuse n’a pas réagi.

S’étant annoncé auprès de l’assurance-chômage, le travailleur a touché des indemnités de 8’572 fr. 80 nets pour la période du 12.01.2012 au 06.04.2012.

 

Procédures cantonales

L’employé a saisi la Chambre patrimoniale du canton de Vaud. La Caisse cantonale de chômage a déposé une demande d’intervention contenant des conclusions en paiement de 8’572 fr. 80, soit l’équivalent des indemnités versées du 12.01.2012 au 06.04.2012. Statuant le 27.12.2016, la Chambre patrimoniale vaudoise a statué comme il suit [pour la prévoyance professionnelle] : […] 4) Le changement non consenti d’institution de prévoyance et la baisse du montant des cotisations LPP fondait une prétention de 36’438 fr. 35. […] La caisse de chômage étant subrogée aux droits de l’employé, les défenderesses devaient lui rembourser 6’942 fr. 30 pour les indemnités versées entre le 12.01.2012 et le 31.03.2012, à déduire de ce qui avait été alloué au demandeur.

L’employé a fait appel de cette décision. Par jugement du 21.06.2018, l’autorité d’appel a statué comme il suit [pour la prévoyance professionnelle] : […] 4) Il ne pouvait pas davantage être indemnisé pour le changement d’institution de prévoyance et la baisse des cotisations (réforme du jugement). […] La caisse de chômage était subrogée à concurrence de 6’942 fr. 30 (confirmation du jugement).

 

TF

Licenciement immédiat injustifié – Dommage à l’évolution de l’avoir vieillesse LPP du travailleur

Selon la jurisprudence qui s’appuie sur l’art. 10 al. 2 let. b LPP, la résiliation immédiate, même injustifiée, du contrat de travail met fin au rapport de prévoyance professionnelle obligatoire. Alors que l’indemnité de l’art. 337c al. 1 CO comprend en principe les cotisations aux assurances sociales, elle ne saurait inclure la cotisation LPP, s’agissant d’une période où le rapport de prévoyance n’existe plus (arrêt B 55/99 du 8 novembre 2001 consid. 2 et 3c, rés. in PJA 2002 583). La doctrine en déduit que le congé immédiat injustifié cause un dommage à l’évolution de l’avoir vieillesse LPP du travailleur, qui disposera d’une prestation de libre passage inférieure à celle qu’il aurait obtenue si les rapports avaient pris fin à l’échéance ordinaire.

D’aucuns préconisent de revoir la jurisprudence et d’admettre une prolongation du rapport de prévoyance jusqu’à l’échéance ordinaire (ISABELLE VETTER-SCHREIBER, BVG FZG Kommentar, 3e éd. 2013, n° 13 ad art. 10 LPP, qui convainc JÜRG BRECHBÜHL, in LPP et LFLP, [SCHNEIDER ET ALII ÉD.] 2010, n° 18 ad art. 10 LPP [= n° 19 de la 2e éd. 2019 en allemand, BVG und FZG]; MARKUS MOSER, Die Zweite Säule und ihre Tragfähigkeit, 1992, p. 53 ss, spéc. p. 55 in fine, approuvé par MARC HÜRZELER, Berufliche Vorsorge bei Stellenwechsel und Entlassung, in Stellenwechsel und Entlassung, 2e éd. 2012, § 12 n. 12.7 et sous-note 10). A défaut, il y aurait matière à indemnisation selon l’art. 337c al. 1 CO (STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, Arbeitsvertrag, 7e éd. 2012, p. 1149 et p. 1170; REHBINDER/STÖCKLI, Berner Kommentar, 3e éd. 2014, p. 369; JÜRG BRÜHWILER, Einzelarbeitsvertrag, 2014, n° 5 § 1 in fine ad art. 337c CO). Le travailleur pourrait ainsi réclamer le dommage correspondant à la part patronale des cotisations épargne que l’employeur aurait payée (prévoyance obligatoire et surobligatoire) jusqu’à l’échéance ordinaire, soit l’équivalent de la contribution de l’employeur à la prestation de libre passage, sous déduction de ce qui serait versé par un nouvel employeur pour la période correspondante en cas de prise de nouvel emploi (WYLER/HEINZER, op. cit., p. 762; MOSER, op. cit., p. 53 et la sous-note 32; cf. aussi WERNER GLOOR, in Commentaire du contrat de travail, [DUNAND/MAHON ÉD.] 2013, n° 15 ad art. 337c CO; BRUNNER/BÜHLER/WAEBER/BRUCHEZ, Commentaire du contrat de travail, 2004, n° 2 ad art. 337c CO). Un des auteurs cités concède que l’art. 337c al. 1 CO ne permet pas nécessairement d’appréhender ce type de dommage (MOSER, op. cit., p. 53 s.).

L’employé ne critique pas la jurisprudence précitée et ne se prévaut pas de la thèse selon laquelle le rapport de prévoyance devrait être prolongé jusqu’à l’échéance ordinaire. Se plaçant sur le terrain de l’art. 337c al. 1 CO, il réclame le paiement en ses mains de la part «employeur» des cotisations que la société aurait théoriquement dû verser entre le congé immédiat et l’échéance ordinaire du contrat.

Ce faisant, il semble méconnaître les explications doctrinales précitées, dont il ressort que le dommage réside dans une prestation de libre passage moindre, due aux lacunes de cotisations qui n’ont pas été versées jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat. On connaît tout au plus le montant du salaire assuré et de la cotisation annuelle totale due aux institutions de prévoyance auxquelles l’employeuse s’est successivement affiliée, ainsi que le montant global des indemnités de chômage versées dès le 12.01.2012 (sur la situation d’une personne au chômage, cf. par ex. HÜRZELER, op. cit., § 12 n. 12.42 s.). Dans un tel contexte, il n’est pas possible d’établir quel dommage l’employé a pu subir du fait de la résiliation prématurée du contrat de travail. Cette constatation conduit au rejet du grief, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les questions soulevées par la doctrine.

Il s’ensuit que sous l’angle de l’art. 337c al. 1 CO, l’arrêt attaqué n’est pas critiquable.

 

Changement non consenti d’institution de prévoyance et baisse du montant des cotisations LPP

D’après l’arrêt attaqué, le contrat de travail ne contenait aucune précision sur l’identité de l’institution de prévoyance choisie par l’employeuse, sur le montant des cotisations ou encore sur la nature des prestations assurées.

L’employé a d’abord été affilié à la Caisse P1.__. Au 01.01.2010, son salaire annuel assuré était de 450’000 fr. et la cotisation annuelle totale de 83’829 fr. 60, répartie à parts égales entre l’employeuse et l’employé. En 2011, l’employeuse a transféré le compte de l’employé auprès de P2.__. Son salaire assuré n’était plus que de 59’160 fr. et la cotisation annuelle totale de 10’952 fr. 90. Les conditions dans lesquelles l’employeuse a opéré le transfert sont nébuleuses ; un courrier de la Caisse P1.__ adressé à l’employé le 12.08.2011 donne à penser que l’employeuse a fait accroire indûment à une résiliation des rapports de travail en décembre 2010.

Il est en tout cas patent que l’employeuse a passé d’un régime surobligatoire à un régime obligatoire, sachant que le salaire coordonné maximal était de 58’140 fr. en janvier 2009 et 2010, puis de 59’160 fr. en janvier 2011 et janvier 2012.

Les juges d’appel ont refusé toute indemnisation après avoir déployé une argumentation à plusieurs pans, dans laquelle ils soulignaient notamment que le silence de l’intéressé pendant plus de deux ans, malgré les différentes sources d’information relatives au changement de régime litigieux, devait être considéré comme une acceptation tacite de la résiliation et de la réaffiliation à une nouvelle institution. Qui plus est, dans la mesure où le contrat ne contenait aucune précision relative à la prévoyance professionnelle, une modification en cette matière ne pouvait être assimilée à une modification du contrat de travail. Par ailleurs, le travailleur n’était pas le créancier des cotisations d’employeur sur lesquelles il fondait son prétendu dommage: seule l’était l’institution de prévoyance. Il disposait d’un droit à l’égard de l’institution, lorsqu’un certain nombre de conditions étaient réalisées. Il n’était pas titulaire à titre personnel du montant non versé à son ancienne caisse LPP. La conclusion tendant au paiement, en ses mains, de la différence des cotisations employeur dans l’ancien et le nouveau régime ne pouvait donc qu’être rejetée.

L’employé concède dans sa réplique qu’il conviendrait de recalculer la prestation de sortie en tenant compte des cotisations arriérées dues par l’employeuse. Or, le caractère lacunaire des informations données empêche d’établir concrètement le dommage résultant du fait que l’employeuse, en changeant d’institution, a passé d’un régime surobligatoire à un régime obligatoire, avec des cotisations nettement inférieures. Il n’apparaît pas, notamment, que l’employé ait produit les règlements des institutions de prévoyance. Dans ces circonstances, il n’est pas possible d’établir une comparaison entre la situation telle qu’elle se présente concrètement, et telle qu’elle aurait été si l’employeuse avait maintenu le régime surobligatoire initial. L’autorité précédente n’a pas enfreint le droit fédéral en rejetant la conclusion qui, n’en déplaise au recourant, tendait bel et bien au paiement en ses mains d’une somme correspondant à la différence entre les cotisations employeur du régime surobligatoire initial et celles du régime obligatoire contesté. Point n’est besoin d’examiner les arguments alternatifs émis par l’autorité précédente, ni de trancher les questions délicates discutées en doctrine qui ont trait, entre autres, à la distinction entre modification contractuelle du régime LPP ou changement unilatéral (cf. l’exposé de JÉRÔME NICOLAS, La réduction du régime LPP surobligatoire lors d’un transfert selon l’art. 333 CO, in Panorama III en droit du travail, 2017, p. 345 ss, spéc. p. 377). Tout au plus mettra-t-on en exergue la nécessité d’une réaction rapide en cas d’opposition à un changement d’institution de prévoyance (cf. RÉMY WYLER, in LPP et LFLP, op. cit., n° 19 ad art. 11 LPP [= n° 18 de la 2e éd. 2019]), étant entendu que ce n’est pas tant ce changement en soi qui pose problème que la modification des prestations offertes par la nouvelle institution (NICOLAS, op. cit., p. 350 in fine et s.).

 

Le TF rejette le recours de l’employé.

 

 

Arrêt 4A_458/2018 consultable ici

 

 

4A_59/2019 (f) du 12.05.2020 – Licenciement au retour du congé maternité – Résiliation abusive du contrat de travail – Caractère discriminatoire du licenciement / 336b CO – 3 al. 2 LEg – 5 LEg

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_59/2019 (f) du 12.05.2020

 

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Résiliation abusive du contrat de travail – Caractère discriminatoire du licenciement / 336b CO – 3 al. 2 LEg – 5 LEg

Licenciement au retour du congé maternité

 

B.__ travaillait au service de A.__ SA depuis avril 2006. Engagée en qualité d’assistante du service technique, elle a occupé diverses fonctions au sein de l’entreprise, notamment celle d’assistante de direction ; elle a été nommée responsable du groupe communication et événementiel dès le 18.09.2015.

En octobre 2015, B.__ a informé son supérieur qu’elle était enceinte depuis août 2015. Elle s’est trouvée dans l’incapacité de travailler à 50% dès le 22.02.2016, puis en incapacité totale dès le 29.03.2016. Elle a accouché le 29.04.2016.

Au printemps 2016, A.__ SA a lancé le processus de recrutement d’un nouveau responsable communication. Une annonce a été publiée et les premières candidatures sont parvenues en avril 2016.

A l’issue de son congé maternité prolongé de quatre semaines de vacances, B.__ a repris le travail le 19.09.2016. Le jour même, elle s’est vu notifier son licenciement avec effet au 31.01.2017, terme qui sera finalement reporté au 28.02.2017. A.__ SA a motivé le congé par le fait que l’employée n’avait pas été assez performante comme responsable du groupe communication par rapport à ce qui était attendu d’elle, ajoutant qu’elle n’avait pas « les épaules assez larges » pour occuper ce poste.

Le 21.09.2016, A.__ SA a remis à B.__ un certificat de travail intermédiaire faisant état de l’excellente qualité du travail fourni dans ses différentes activités, notamment celle de responsable de la communication, et du fait que son licenciement était justifié par une restructuration interne ; il précisait que la capacité de l’employée de mener à bien les projets qui lui avaient été confiés, avec professionnalisme et à la pleine et entière satisfaction de son employeur, lui avait permis d’endosser la responsabilité des divers postes occupés au sein de la société.

A.__ SA a engagé C.__ comme responsable de la communication à partir du 01.10.2016.

Par courrier du 27.01.2017, B.__ s’est formellement opposée à son licenciement, qu’elle considérait comme abusif. Dans sa réponse du 08.02.2017, A.__ SA, par le biais de son conseil, a précisé que le congé était motivé uniquement par une restructuration interne.

 

Procédures cantonales

A la suite de l’échec de la conciliation, B.__ a introduit une demande tendant au paiement par A.__ SA d’une indemnité pour licenciement abusif et discriminatoire correspondant à trois mois de salaire (21’303 fr.75). Le Tribunal des prud’hommes a débouté B.__ de ses conclusions en paiement.

Sur appel de l’employée, la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève a condamné A.__ SA à verser à B.__ la somme nette de 21’303 fr.75 avec intérêts à 5% dès le 01.04.2017. Contrairement aux premiers juges, la cour cantonale a jugé que l’employeuse n’était pas parvenue à prouver que l’employée aurait été licenciée même en l’absence de grossesse, de sorte que le congé était discriminatoire et devait ainsi donner lieu à une indemnité, fixée à trois mois de salaire compte tenu des circonstances de l’espèce.

Pour la période où l’employée a effectivement occupé la fonction litigieuse, aucune pièce ni aucun autre élément probant n’établissent que l’intéressée n’a pas été assez performante. L’absence de cahier des charges pour le poste tel qu’il se présentait au moment de son attribution à l’employée empêche de connaître les objectifs fixés à cette dernière et de constater dès lors une insuffisance de ses prestations pendant les quelques mois où elle a occupé le poste. Par ailleurs, le certificat de travail établi quelques jours après le licenciement est élogieux et indique que l’intéressée a donné pleine et entière satisfaction dans les divers postes occupés, y compris celui de responsable de la communication.

La cour cantonale se place ensuite dans l’hypothèse où l’employeuse a décidé de modifier les objectifs du poste litigieux dans le cadre d’une nouvelle stratégie de communication. Elle constate, d’une part, que ni l’ampleur ni la teneur de cette nouvelle stratégie ne sont connues et, d’autre part, que l’employeuse n’a produit aucun document probant faisant état du cahier des charges nouvellement fixé. Elle en déduit qu’aucun élément du dossier ne permet de conclure que l’employée aurait été inapte à mener à bien la nouvelle stratégie de communication mise en place, la question de savoir s’il existait une personne plus compétente n’étant pas pertinente. Par ailleurs, les juges genevois n’ont pas retenu que l’employée avait été licenciée en raison d’une restructuration interne du secteur de la communication, dès lors que le poste existe toujours, même si les objectifs ont pu être modifiés.

 

TF

Aux termes de l’art. 3 al. 1 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (LEg ; RS 151.1), il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s’agissant de femmes, leur grossesse. L’interdiction de toute discrimination s’applique notamment à la résiliation des rapports de travail (art. 3 al. 2 LEg). En cas de congé discriminatoire, l’employeur versera à la personne lésée une indemnité; celle-ci sera fixée compte tenu de toutes les circonstances et calculée sur la base du salaire; elle ne peut excéder le montant correspondant à six mois de salaire (art. 5 al. 2 et 4 LEg). Par renvoi de l’art. 9 LEg, la procédure à suivre par la personne qui se prétend victime d’un congé discriminatoire est régie par l’art. 336b CO applicable en cas de résiliation abusive du contrat de travail.

Une discrimination est dite directe lorsqu’elle se fonde explicitement sur le critère du sexe ou sur un critère ne pouvant s’appliquer qu’à l’un des deux sexes et qu’elle n’est pas justifiée objectivement (ATF 145 II 153 consid. 4.3.5 p. 161 et les arrêts cités). Constitue ainsi une discrimination directe le licenciement notifié à une travailleuse parce qu’elle est enceinte, parce qu’elle souhaite le devenir ou parce qu’elle est devenue mère (arrêt 4A_395/2010 du 25 octobre 2010 consid. 5.1; STÉPHANIE PERRENOUD, La protection contre les discriminations fondées sur la maternité selon la LEg, in L’égalité entre femmes et hommes dans les relations de travail 1996-2016: 20 ans d’application de la LEg, Dunand/Lempen/Mahon [éd.], p. 89; WYLER/HEINZER, Droit du travail, 3e éd. 2014, p. 869; ELISABETH FREIVOGEL, in Kommentar zum Gleichstellungsgesetz, Claudia Kaufmann/Sabine Steiger-Sackmann [éd.], 2e éd. 2009, p. 76 n° 65).

Selon l’art. 6 LEg, l’existence d’une discrimination à raison du sexe est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. Cette disposition introduit un assouplissement du fardeau de la preuve par rapport au principe général de l’art. 8 CC, dans la mesure où il suffit à la partie demanderesse de rendre vraisemblable la discrimination par l’apport d’indices objectifs. Lorsqu’une discrimination liée au sexe a été rendue vraisemblable, il appartient alors à l’employeur d’apporter la preuve stricte qu’elle n’existe pas (ATF 131 II 393 consid. 7.1 p. 405 s.; 130 III 145 consid. 4.2 p. 161 s. et consid. 5.2 p. 164 s.; 127 III 207 consid. 3b p. 212 s.). Comme il est difficile d’apporter la preuve de faits négatifs, la preuve de la non-discrimination peut être apportée positivement si l’employeur démontre l’existence de motifs objectifs ne produisant pas une discrimination à raison du sexe (SABINE STEIGER-SACKMANN, in Commentaire de la loi sur l’égalité, Margrith Bigler-Eggenberger/Claudia Kaufmann [éd.], 2000, n° 61 ad art. 6 LEg p. 179).

L’art. 6 LEg précise que l’allègement du fardeau de la preuve s’applique notamment à la résiliation des rapports de travail. En particulier, si l’employée parvient à rendre vraisemblable que le motif du congé réside dans sa grossesse ou sa maternité, il appartiendra à l’employeur de prouver que cet élément n’a pas été un facteur déterminant dans sa décision de mettre un terme au contrat (arrêt 4C.121/2001 du 16 octobre 2001 consid. 3d/dd), en d’autres termes, que l’employée aurait été licenciée même si elle n’avait pas été enceinte. Pour ce faire, l’employeur pourra chercher à établir que le licenciement a été donné pour un motif objectif, sans lien avec la grossesse ou la maternité (PERRENOUD, op. cit., p. 90), comme par exemple une réorganisation de l’entreprise (cf. arrêt 4A_395/2010 précité consid. 5.2) ou l’insuffisance des prestations de l’intéressée (arrêt 4A_507/2013 du 27 janvier 2014 consid. 4).

 

En ce qui concerne les compétences professionnelles de la nouvelle responsable de la communication, la cour cantonale a jugé que la question de savoir s’il existait une personne plus compétente que l’employée pour atteindre les mêmes objectifs n’était pas pertinente. A juste titre. Le curriculum vitae de la nouvelle responsable, même plus qualifiée en matière de communication que l’employée, n’est en effet pas un élément propre à modifier le sort du litige dans les circonstances de l’espèce.

S’agissant des prestations de l’employée, les juges genevois ont tenu pour non établi le fait qu’elle n’aurait pas été assez performante, par rapport à ce qui était attendu d’elle, durant les quelques mois où elle a exercé ses fonctions de responsable de la communication. Le certificat de travail signé par l’employeuse indique clairement que l’employée a donné pleine et entière satisfaction dans les divers postes occupés au sein de la société, y compris celui de responsable de la communication. Quoi que l’employeuse en dise, il n’y a pas lieu de relativiser cette appréciation, dès lors qu’elle-même n’invoque aucun moyen de preuve dont il ressortirait que des griefs ont été adressés à l’employée pendant la période susmentionnée. L’employeuse ne conteste pas non plus l’absence de cahier des charges pour le poste tel qu’il se présentait au moment de son attribution à l’employée. Or, faute de connaître les objectifs fixés à l’employée, il n’est pas possible de constater une insuffisance de ses prestations.

 

S’agissant de la preuve stricte à rapporter par l’employeuse lorsque l’employée licenciée a rendu vraisemblable que le motif du congé résidait dans sa grossesse ou sa maternité, il lui incombait de démontrer que la grossesse ou la maternité n’avait pas été un facteur déterminant dans sa décision de mettre un terme au contrat. L’employeuse pouvait ainsi chercher à établir que le congé avait une justification objective indépendante de la grossesse ou de la maternité. Pour que le licenciement soit finalement jugé non-discriminatoire, il ne suffisait pas à l’employeuse de démontrer que la nouvelle titulaire du poste était objectivement plus compétente que l’employée licenciée. Elle pouvait en revanche chercher à prouver qu’elle disposait d’un motif objectif pour résilier le contrat, à savoir les qualités insuffisantes de l’employée pour le poste de responsable de la communication. Or, à ce propos, la cour cantonale a jugé qu’il n’était pas établi, d’une part, que l’employée n’avait pas été assez performante pendant les quelques mois où elle avait occupé le poste ni, d’autre part, qu’elle aurait été inapte à mener à bien la nouvelle stratégie de communication invoquée par l’employeuse. Les griefs tirés de l’art. 9 Cst. que l’employeuse a soulevés dans ce contexte étant écartés, elle n’a ainsi pas prouvé qu’elle disposait d’un motif objectif qui justifiait le congé et, partant, que la grossesse de l’employée n’avait pas été un facteur déterminant dans sa décision de mettre un terme au contrat.

Au demeurant, indépendamment des compétences de l’employée en matière de communication, l’enchaînement des faits dans les circonstances de l’espèce permet de douter, avec la cour cantonale, que l’employée aurait été licenciée même si elle n’avait pas été enceinte.

Le congé a été signifié au retour du congé maternité de l’employée au motif qu’elle n’avait pas le niveau pour réintégrer un poste dont les objectifs avaient été modifiés entre-temps à la suite d’un changement dans la stratégie de communication. L’intéressée n’avait occupé le poste en question que quelques mois mais, au moment du licenciement, elle travaillait dans l’entreprise depuis plus de 10 ans, au cours desquels elle avait exercé différentes activités. Lors de l’attribution du poste, l’employeuse ne savait pas que l’employée était enceinte, celle-ci l’ayant annoncé peu de temps après avoir débuté ses nouvelles fonctions. En revanche, elle connaissait l’expérience limitée de l’employée en matière de communication et ne lui avait pas remis de cahier des charges. Or, selon ses propres dires, l’employeuse a décidé de changer sa stratégie de communication et de lancer le processus de recrutement d’un nouveau responsable de la communication au printemps 2016, soit précisément au moment où l’employée partait en congé maternité. Sur les raisons justifiant un tel changement à ce moment-là, l’employeuse mentionne dans son mémoire l’achèvement d’une fusion avec D.__. L’employeuse a ainsi mis au concours un poste qui exigeait tout à coup des compétences spécifiques, alors que seulement quelques mois auparavant elle l’avait attribué à l’employée en connaissant son expérience limitée dans ce domaine, sans que la raison imposant un changement de stratégie aussi proche dans le temps ne soit établie.

En outre, il est à relever qu’après avoir lancé le processus de recrutement au printemps 2016, l’employeuse n’a proposé aucun autre emploi à l’employée avant son retour au travail, laquelle avait pourtant manifesté une certaine polyvalence au cours des dix ans passés dans l’entreprise, ce qui est de nature à conforter les doutes sur le fait que la grossesse de l’employée, à l’annonce de laquelle l’employeuse avait d’ailleurs marqué sa surprise, n’a pas joué un rôle déterminant dans la décision de l’employeuse de mettre un terme au contrat.

En conclusion, c’est à bon droit que la cour cantonale a jugé discriminatoire le licenciement de l’employée.

 

Le TF rejette le recours de l’employeuse.

 

 

Arrêt 4A_59/2019 consultable ici