4A_288/2022 (f) du 01.06.2023 – Réticence admise – Omission de déclarer une hernie ombilicale asymptomatique / 4 aLCA – 6 aLCA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_288/2022 (f) du 01.06.2023

 

Consultable ici

 

Réticence admise – Omission de déclarer une hernie ombilicale asymptomatique / 4 aLCA – 6 aLCA

 

Assuré a conclu avec la société d’assurance une police d’assurance complémentaire à l’assurance-maladie obligatoire comprenant trois produits, soit une couverture du séjour en division semi-privée, une assurance d’indemnités journalières en cas d’hospitalisation et un capital de 2’500 fr. en cas d’hospitalisation.

Le 02.11.2018, il a rempli et signé un questionnaire de santé en vue de la conclusion de cette assurance et a répondu «non» aux deux questions suivantes:

  • question 5b: «Etes-vous actuellement ou avez-vous été en traitement au cours des cinq dernières années auprès d’un médecin ?»;
  • question 8: «Présentez-vous des séquelles de maladie, d’accident, d’infirmité, d’intoxication ou avez-vous connaissance de problèmes liés à votre état de santé (par ex. maladie congénitale) qui n’ont pas encore fait l’objet de traitement ?».

Le 27.11.2019, demande de garantie en lien avec une hospitalisation de l’assuré prévue le 12.12.2019 en division semi-privée. Rapport du spécialiste FMH en chirurgie et chirurgie viscérale : diagnostic de hernie ombilicale symptomatique ; l’affection n’a pas fait l’objet de traitements antérieurs auprès d’un autre médecin, le premier traitement pour cette affection étant prévu le 12.12.2019. Interrogé sur la «date d’apparition des symptômes perceptibles par le patient», il a répondu que l’assuré présentait une gêne et des douleurs «depuis quelques mois». Quant à la date à laquelle le patient avait eu connaissance du diagnostic précis de l’affection, il a indiqué: «première consultation juillet 2018». Il pronostiquait une évolution favorable après la cure du 12.12.2019.

Par courrier recommandé du 03.12.2019, la société d’assurance a résilié le contrat d’assurance complémentaire avec effet rétroactif au 30.11.2019, au motif que l’assuré avait donné une réponse incorrecte en déclarant «non» aux questions 5b et 8 de son questionnaire de santé: il avait omis de mentionner la hernie ombilicale pour laquelle il devait prochainement être hospitalisé, alors qu’il avait déjà consulté le spécialiste en chirurgie viscérale au sujet de cette affection en juillet 2018. Si cette affection avait été mentionnée dans la proposition d’assurance, la société d’assurance aurait proposé une réserve.

Dans un courrier du 09.12.2019, le spécialiste en chirurgie viscérale a invité la société d’assurance à reconsidérer sa décision: le patient l’avait consulté en juillet 2018 pour obtenir un avis chirurgical concernant une hernie ombilicale. A l’époque, cette hernie était asymptomatique et de petite taille, de sorte qu’il n’avait pas retenu d’indication opératoire. Il avait proposé une abstention thérapeutique et recommandé au patient de ne pas se focaliser sur cette découverte clinique. Il n’était pas étonné que son patient ne l’ait pas mentionnée puisqu’il l’avait rassuré à ce propos et que l’intéressé ne s’en plaignait pas. La hernie avait augmenté depuis quelques mois seulement et était devenue symptomatique, raison pour laquelle une intervention correctrice avait été envisagée.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/452/2022 – consultable ici)

Le spécialiste en chirurgie viscérale a été entendu comme témoin. Selon ses déclarations, le patient l’avait consulté en juillet 2018 parce que son nombril avait changé de forme. L’investigation avait révélé une hernie ombilicale pour laquelle il n’y avait pas d’indication opératoire. Il l’avait donc rassuré en affirmant qu’aucun traitement n’était à envisager. Il l’avait néanmoins prévenu que la situation pouvait évoluer, la hernie devenir symptomatique et nécessiter un traitement dans le futur. De nombreux patients vivaient sans problème avec une telle hernie. A son sens, la situation était comparable à celle des personnes souffrant d’un hallux valgus: ce genre de constatation physique n’impliquait pas forcément qu’une opération serait nécessaire un jour.

Par jugement du 12.05.2022, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Le litige porte sur l’existence d’une réticence au sens de l’art. 6 LCA, que la société d’assurance a invoqué pour résilier le contrat la liant à l’assuré.

La réticence se définit comme l’omission de déclarer, ou le fait de déclarer inexactement, lors de la conclusion du contrat, un fait important que celui ayant l’obligation de déclarer connaissait ou devait connaître (art. 6 al. 1 aLCA, dans sa teneur antérieure au 1er janvier 2022, ici déterminante). Cette notion renvoie aux déclarations obligatoires imposées par l’art. 4 aLCA. Selon l’alinéa 1 de cette disposition, celui qui présente une proposition d’assurance doit déclarer par écrit à l’assureur, suivant un questionnaire ou en réponse à toutes autres questions écrites, tous les faits qui sont importants pour l’appréciation du risque, tels qu’ils lui sont ou doivent lui être connus lors de la conclusion du contrat. La question posée doit être précise et non équivoque (cf. art. 4 al. 3 i.f. aLCA; ATF 136 III 334 consid. 2.3; 134 III 511 consid. 3.3.4; arrêt 4A_555/2019 du 28 août 2020 consid. 2). Le proposant doit répondre de manière véridique aux questions telles qu’il peut les comprendre de bonne foi. Il n’y a pas de réponse inexacte si la question est ambiguë et que la réponse donnée apparaît véridique selon la manière dont la question pouvait être comprise de bonne foi par le proposant (ATF 136 III 334 consid. 2.3).

Pour qu’il y ait réticence, il faut, d’un point de vue objectif, que la réponse donnée à la question ne soit pas conforme à la vérité, par omission ou inexactitude; la réticence peut consister à affirmer un fait faux, à taire un fait vrai ou à présenter une vision déformée de la vérité (ATF 136 III 334 consid. 2.3). D’un point de vue subjectif, la réticence suppose que le proposant connaissait ou aurait dû connaître la vérité. Le proposant doit déclarer non seulement les faits qui lui sont connus sans autre réflexion, mais aussi ceux qui ne peuvent lui échapper s’il réfléchit sérieusement à la question posée (ATF 136 III 334 consid. 2.3; 134 III 511 consid. 3.3.3; arrêt précité 4A_555/2019 consid. 2).

Il faut en plus que la réponse inexacte porte sur un fait important pour l’appréciation du risque (art. 4 al. 1 et art. 6 al. 1 aLCA). Sont importants tous les faits de nature à influer sur la détermination de l’assureur de conclure le contrat ou de le conclure aux conditions convenues (art. 4 al. 2 aLCA). L’art. 4 al. 3 aLCA présume que le fait est important s’il a fait l’objet d’une question écrite de l’assureur, précise et non équivoque. Une telle présomption peut cependant être renversée. Ce n’est certes pas au proposant de déterminer à la place de l’assureur quels sont les éléments pertinents pour apprécier le risque, mais il pourra renverser la présomption en démontrant qu’il a omis un fait objectivement insignifiant. Ainsi, n’enfreint pas son devoir de renseigner celui qui tait des indispositions sporadiques qu’il pouvait de bonne foi considérer comme sans importance et passagères, sans devoir les tenir pour une cause de rechute ou des symptômes d’une maladie imminente aiguë (ATF 136 III 334 consid. 2.4 et les arrêts cités; 134 III 511 consid. 3.3.4; arrêt précité 4A_555/2019 consid. 2).

En cas de réticence, l’assureur est en droit de résilier le contrat (art. 6 al. 1 aLCA); s’il exerce ce droit, il est autorisé à refuser également sa prestation pour les sinistres déjà survenus lorsque le fait qui a été l’objet de la réticence a influé sur leur survenance ou leur étendue (art. 6 al. 3 LCA). Le droit de résilier s’éteint quatre semaines après que l’assureur a eu connaissance de la réticence (art. 6 al. 2 LCA). La résiliation due à la réticence doit être motivée avec précision: la déclaration de résiliation doit mentionner la question qui a reçu une réponse inexacte et préciser de façon circonstanciée en quoi consiste le fait important non déclaré ou inexactement déclaré (ATF 129 III 713 consid. 2.1; arrêt 4A_376/2014 du 27 avril 2015 consid. 2.3.1).

Consid. 6
L’assuré invoque une violation des art. 4 et 6 aLCA: en présence d’une question évasive, une approche restrictive eût été de rigueur. Or, la cour cantonale aurait conduit son raisonnement dans une toute autre optique, admettant largement la réticence alors que l’assuré, à l’issue de sa consultation chez un spécialiste, aurait obtenu l’assurance qu’il n’avait rien ni aucun traitement à entreprendre, ses symptômes se réduisant à une élévation indolore au niveau du ventre.

L’assuré fonde son argument sur des faits qui s’écartent de ceux retenus dans l’arrêt attaqué. En réalité, quelques mois à peine avant de remplir le questionnaire de santé, il était allé consulter un spécialiste parce que son nombril avait changé de forme et qu’il s’en inquiétait. Ce spécialiste a diagnostiqué une hernie ombilicale, certes en se montrant rassurant et en indiquant qu’il n’y avait pas de raison de s’inquiéter, aucun traitement n’étant à envisager. Il a cependant émis une réserve, en ce sens que les choses pouvaient évoluer, la hernie devenir symptomatique et nécessiter un traitement. Si tel était le cas, il se tenait à disposition du patient. Dans ces conditions, l’assuré ne pouvait en toute bonne foi, quelques mois plus tard, répondre «non» à la question de savoir s’il avait connaissance de «problèmes liés à [son] état de santé» n’ayant «pas encore fait l’objet de traitement». Comme l’a relevé l’autorité précédente de façon convaincante, une hernie ombilicale a valeur de maladie selon la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM-10). Il ne s’agit donc pas d’une indisposition sporadique que l’assuré pouvait raisonnablement et de bonne foi considérer comme sans importance et passagère. D’autant moins que son médecin l’avait expressément informé du risque d’évolution néfaste.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_288/2022 consultable ici

 

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