Archives par mot-clé : Tardiveté du dépôt du recours

9C_50/2024 (f) du 27.02.2024 – Preuve du respect du délai – 100 LTF / Preuve stricte de la remise à la poste dans les délais – Cours ordinaire des choses – Règle de preuve de la vraisemblance prépondérante

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_50/2024 (f) du 27.02.2024

 

Consultable ici

 

Preuve du respect du délai / 100 LTF – 48 LTF

Preuve stricte de la remise à la poste dans les délais ne peut pas être considérée comme rapportée par la référence au cours ordinaire des choses ou en application de la règle de preuve de la vraisemblance prépondérante

 

Procédure cantonale

Par arrêt du 01.12.2023, admission du recours formé par l’assuré.

 

TF

Consid. 2
Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification complète de l’expédition (art. 100 al. 1 LTF). Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l’attention de ce dernier, à La Poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

Un recours est présumé avoir été déposé à la date ressortant du sceau postal (ATF 147 IV 526 consid. 3.1; 142 V 389 consid. 2.2). En cas de doute, la preuve du respect du délai doit être apportée par celui qui soutient avoir agi en temps utile au degré de la certitude et non simplement au degré de la vraisemblance prépondérante; elle résulte en général de preuves « préconstituées » (sceau postal, récépissé d’envoi recommandé ou encore accusé de réception en cas de dépôt pendant les heures de bureau); la date d’affranchissement postal ou le code à barres pour lettres, avec justificatif de distribution, imprimés au moyen d’une machine privée ne constituent en revanche pas la preuve de la remise de l’envoi à la poste. D’autres modes de preuves sont toutefois possibles, en particulier l’attestation de la date de l’envoi par un ou plusieurs témoins mentionnés sur l’enveloppe; la présence de signatures sur l’enveloppe n’est pas, en soi, un moyen de preuve du dépôt en temps utile, la preuve résidant dans le témoignage du ou des signataires; il incombe dès lors à l’intéressé d’offrir cette preuve dans un délai adapté aux circonstances, en indiquant l’identité et l’adresse du ou des témoins (arrêt 9C_526/2022 du 1 er février 2023 consid. 2 et l’arrêt cité).

Consid. 3
L’arrêt attaqué a été notifié à son destinataire le 07.12.2023. Le délai de recours de trente jours (art. 46 al. 1 let. c, 48 al. 1 et 100 al. 1 LTF) est ainsi arrivé à échéance lundi 22.01.2024.

Le mémoire de recours, daté de ce jour-là, est parvenu par voie postale au Tribunal fédéral le mercredi suivant [24.01.2024]. Le colis ayant contenu le mémoire ne porte pas de cachet postal, mais uniquement une étiquette n° yyy apposée par la partie recourante avec la mention manuscrite « Recommandé ». D’après le suivi des envois de la Poste, le pli a été trié la première fois par la Poste le 23.01.2024 à 07h05 à 1310 Daillens Centre Colis.

Invité à s’exprimer sur le respect du délai de recours, l’office recourant a indiqué que le recours et le dossier qui l’accompagnait devaient être adressés en colis contre signature, comme l’atteste la mention « Recommandé » qui figure sur l’étiquette. Le recourant précise qu’il peut affirmer après contrôle que le colis est bien enregistré en tant qu’envoi recommandé dans son fichier de suivi interne. Visiblement, il a en fait été expédié par « Colis PostPac Economy ». Il ne peut ainsi que supposer qu’une erreur est survenue dans le processus d’envoi postal, soit auprès de ses services, soit auprès de la Poste. Le recourant relève néanmoins que le suivi des envois de la Poste atteste que l’envoi a été trié au Centre Colis de 1310 Daillens le 23.01.2024 à 07h05. Etant donné que les horaires de la filiale de la Poste ne permettent pas une prise en charge avant 08h00 et que son courrier postal est pris en charge par la Poste sur place à 15h30, cela démontre que le colis a été remis à la Poste au plus tard le jour précédent, soit le 22.01.2024, dernier jour du délai de recours. Il conclut ainsi à ce que le recours soit déclaré recevable.

Consid. 4
Les circonstances du cas d’espèce sont analogues à celles de l’affaire qui avait donné lieu à l’arrêt ATF 142 V 389. En ce qui concerne la preuve de la remise en temps utile du recours à la Poste suisse, le Tribunal fédéral avait retenu que lorsque la partie recourante convient d’un arrangement avec la Poste suisse pour que celle-ci prenne en charge ses envois postaux, et qu’elle lui remet par ce biais une écriture de recours, elle court un grand risque de ne pas pouvoir apporter la preuve de la remise en temps utile de l’envoi à la poste. En effet, le moment auquel la poste saisit pour la première fois les données de l’envoi dans le système « Easy Track », qui ne correspond pas forcément à la date de sa remise, vaut comme date de dépôt de l’envoi en faveur aussi bien qu’en défaveur de l’expéditrice (consid. 3.3). La preuve stricte de la remise à la poste dans les délais ne peut pas être considérée comme rapportée par la référence au cours ordinaire des choses quant à la prise en charge des envois par la poste dans les locaux de la partie recourante sans indication concrète sur l’envoi en cause (consid. 3.4).

Par son argumentation, le recourant demande en définitive que l’examen du respect du délai de recours soit effectué en application de la règle de preuve de la vraisemblance prépondérante. On ne saurait toutefois suivre ce point de vue qui va à l’encontre de la jurisprudence. Fondées sur le cours ordinaire des choses, les explications que fournit le recourant ne sauraient valoir preuve stricte du dépôt du mémoire de recours à la Poste suisse dans le délai légal. Il faut ajouter que ces explications ont été fournies seulement en cours de procédure et qu’aucune déclaration d’un témoin qui aurait pu attester du moment et du lieu du dépôt n’a été apposée (cf. ATF 147 IV 526 consid. 3.1). De plus, aucun accusé de réception de prise en charge du courrier n’a été produit.

Comme la preuve stricte du respect du délai du recours n’est pas rapportée, le recours doit être déclaré irrecevable pour cause de tardiveté (art. 48 al. 1 et 100 al. 1 LTF), en procédure simplifiée (art. 108 al. 1 let. a LTF). Vu l’issue du litige, la requête d’attribution de l’effet suspensif au recours n’a plus d’objet.

 

Le TF déclare irrecevable le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_50/2024 consultable ici

 

8C_631/2022 (i) du 24.03.2023 – Délai de recours pour un assuré résidant en Italie – Dépôt du recours à la poste italienne / Notion de résidence selon Règl. n° 883/2004 et 13 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_631/2022 (i) du 24.03.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Délai de recours pour un assuré résidant en Italie – Dépôt du recours à la poste italienne / 39 LPGA – 60 LPGA

Pas d’application de l’ALCP ni du Règl. (CE) no 883/2004

Notion de résidence selon Règl. n° 883/2004 et 13 LPGA

 

Assuré, ressortissant italien né en 1983, a travaillé pendant plusieurs années en Suisse en tant qu’ouvrier du bâtiment. Accident le 09.08.2016.

Par décision du 30.12.2020, envoyée directement à l’avocat de l’assuré résidant en Italie, l’assurance-accidents a octroyé une rente d’invalidité de 12% dès le 01.01.2021. Par décision sur opposition du 09.02.2021, notifiée directement à l’avocat de l’assuré le 16.02.2021, l’assurance-accidents a confirmé la décision du 30.12.2020.

 

Procédure cantonale

L’assuré a recouru contre la décision sur opposition auprès du tribunal cantonal. L’acte de recours daté du 16.03.2021 a été remis à la poste italienne le 18.03.2021 et est parvenu au tribunal le 24.03.2021. Dans un arrêt du même jour, le tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le fond du recours en raison de la tardiveté de celui-ci.

Dans son arrêt 8C_307/2021 du 25.08.2021, le Tribunal fédéral a admis le recours formé par l’assuré, annulant le jugement du 24.03.2021 et renvoyant la cause à l’instance cantonale. Le Tribunal fédéral a notamment relevé que le tribunal cantonal avait constaté le domicile de l’assuré – fait déterminant pour la détermination du droit applicable (interne ou international) en matière de computation du délai de recours et de mode de notification des actes – sans procéder aux actes d’instruction nécessaires et sans garantir à l’assuré le droit d’être entendu.

Dans un arrêt du 09.03.2022, le tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le recours du 16.03.2021, le considérant comme tardif.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir mal interprété l’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ci-après : ALCP [RS 0.142.112.681]) et le Règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après : Règlement n° 883/2004 [RS 0.831.109.268.1]), dans la mesure où, pour déterminer l’applicabilité (ou non) du droit international précité, elle a procédé à l’établissement de l’existence d’un élément transfrontalier du litige, à savoir son lieu de résidence. Selon l’assuré, , se fondant sur l’art. 2 par. 1 du Règlement n° 883/2004, le simple fait qu’il soit ressortissant italien entraînerait automatiquement l’application de ce règlement, selon lequel, en vertu de l’art. 81 (demandes, déclarations ou recours), la remise d’une demande ou d’un recours à la poste d’un État membre – autre que celui qui détermine la loi applicable à l’affaire – sauvegarde le délai de recours à la poste, de sorte que le recours doit être considéré comme opportun.

Consid. 4.2
Dans les considérants de l’arrêt attaqué, la cour cantonale a exposé de manière complète et détaillée les règles de droit et les principes jurisprudentiels nécessaires à la résolution de la cause, en rappelant notamment les délais de recours et les règles de computation et de respect des délais en droit national (en particulier les art. 39 et 60 LPGA), ainsi qu’en droit européen (art. 81 Règlement n° 883/2004). Il est possible de s’y référer et de s’y conformer.

Appelé à se prononcer concrètement sur la législation applicable, le tribunal cantonal a ensuite relevé que, pour que l’assuré puisse invoquer l’ALCP et les règlements européens, il est indispensable que la cause présente un élément transfrontalier. Comme en l’espèce le litige relatif aux prestations sociales contestées était prima facie circonscrit à la Suisse, où il travaillait et vivait depuis de nombreuses années, la cour cantonale a donc procédé à la vérification de son lieu de résidence au moment où il a déposé son recours par l’intermédiaire de ses avocats, ainsi que le Tribunal fédéral l’a expressément indiqué dans son arrêt de renvoi (8C_307/2021 consid. 5.2-5.3).

Consid. 4.3
En ce qui concerne le champ d’application personnel (ratione personae) de l’ALCP et du Règlement n° 883/2004, le Tribunal fédéral a jugé que les éléments déterminants pour cette appréciation sont, d’une part, les conditions de nationalité ou de statut familial de la personne et, d’autre part, l’élément transfrontalier, à savoir l’exercice du droit à la libre circulation, c’est-à-dire le fait de résider ou de travailler dans un État membre de l’UE (ATF 143 V 81 consid. 8.1 et 8.3.2). Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), à laquelle le Tribunal fédéral se réfère généralement pour l’application de l’ALCP (voir ATF 143 II 57 consid. 3.6 ; 139 II 393 consid. 4. 1), les dispositions européennes relatives à la coordination des systèmes de sécurité sociale ne sauraient en effet s’appliquer à des activités qui n’ont de lien avec aucune des situations couvertes par le droit communautaire et dont les éléments pertinents restent dans l’ensemble confinés à l’intérieur d’un seul État membre (arrêt pro multis du 5 mai 2011 C-434/09 McCarthy, consid. 45). Il y a caractère transfrontalier lorsqu’une personne, une affaire ou une demande a une relation juridique avec plusieurs États de l’UE. Dans ce cas, le lieu de résidence ou de travail entre notamment en ligne de compte (ATF 143 V 81 consid. 8.3.1 ; voir BETTINA HUMMER, in Europäisches Sozialrecht, Maximilian Fuch/Constanze Janda [éd.], 8e éd. 2022, no. 16 ad art. 2 du Règlement [CE] no 883/2004). Le seul fait de posséder la nationalité d’un État de l’UE ne suffit donc pas pour appliquer les règlements européens de sécurité sociale si la personne concernée n’a pas exercé son droit à la libre circulation (lien transfrontalier). Par conséquent, l’interprétation faite par le tribunal cantonal est conforme au droit international. L’assuré ne saurait donc être suivie lorsque, ignorant la jurisprudence fédérale constante, elle procède à une réanalyse générale de l’art. 2 par. 1 du Règlement no 883/2004 pour aboutir au résultat que le seul fait de posséder la nationalité d’un État communautaire, indépendamment de l’exercice ou non du droit à la libre circulation, entraînerait l’application personnelle du règlement précité.

 

Consid. 5.1
Le tribunal cantonal a tout d’abord constaté la présence de deux attestations de domicile contradictoires : l’extrait du service de l’état civil du canton des Grisons du 25.03.2021 indiquait que l’assuré était domicilié dans la commune de V.__ depuis 2018, alors que les certificats des 14.04.2021 et 26.11.2021 délivrés par la commune de W.__ (Italie) attestaient qu’il était domicilié dans la commune depuis le 27.10.2020. Les juridictions grisonnes ont également constaté que le contrat de location de l’appartement à V.__ – loué depuis le 01.04.2018 – n’avait pas encore été résilié et que l’assuré avait payé le loyer sans interruption, au moins jusqu’en juin 2021. Le tribunal cantonal a ensuite relevé que l’assuré était un citoyen italien titulaire d’un permis L UE/AELE de séjour temporaire, qu’il avait travaillé en Suisse pendant au moins sept ans en percevant un salaire stable jusqu’à son accident et qu’il était assujetti à l’impôt à la source depuis 2010. L’enquête a ensuite permis d’établir que l’assuré percevait des indemnités de chômage à partir du 01.01.2021, indemnités qui requièrent légalement une résidence effective en Suisse, et que dans le cadre de l’inscription au chômage, tant l’assuré que les autorités communales ont confirmé résider dans la commune de V.__. Pendant la période en question, soit entre février et mars 2021, il avait en outre témoigné de ses efforts personnels pour trouver un emploi en Suisse. La cour cantonale a finalement constaté que l’assuré était titulaire d’un abonnement de téléphonie mobile suisse – en Italie, il ne disposait que d’une carte prépayée – et que ses principales dépenses, constatées sur la base de la documentation bancaire, étaient principalement concentrées en Suisse. Sur la base des éléments du dossier, le tribunal cantonal a donc conclu que le requérant, bien que citoyen italien, non inscrit à l’Anagrafe dei Residenti all’Estero (AIRE) et propriétaire d’un bien immobilier à W.__, n’avait pas établi un lien avec l’Italie de nature à y reconnaître une résidence habituelle, à savoir avec l’intention de la maintenir pendant un certain temps et d’en faire le centre de ses relations personnelles durant cette période.

Consid. 5.2
L’assuré reproche à l’instance cantonale d’avoir déterminé son domicile de manière arbitraire et d’avoir appliqué à cet effet une base légale et des critères erronés. Il reproche en particulier au tribunal cantonal d’avoir retenu à tort la notion de résidence habituelle au sens de l’art. 13 al. 2 LPGA et de l’art. 8 al. 1 lit. c LACI, au lieu de celle de domicile au sens de l’art. 23 CC, pour en déduire les critères de résidence au sens de l’article 1er lit. j Règlement n° 883/2004. En raison de la détention d’un permis L UE/AELE, qui ne peut en aucun cas être assimilé à un séjour en Suisse, il ne devrait également être considéré que comme un résident temporaire. En ce qui concerne les constatations de fait manifestement inexactes, l’assuré soutient que le tribunal cantonal a totalement ignoré le fait qu’au moment du dépôt du recours, il avait la nationalité italienne, n’était pas inscrit auprès de l’AIRE, ne travaillait pas, voyageait fréquemment d’Italie en Suisse et vice versa, qu’il était propriétaire d’un bien immobilier en Italie et titulaire d’un permis L UE/AELE valable pour trois mois seulement. Il ressort de ces éléments qu’il entretenait des relations juridiques avec l’Italie et qu’il ne se rendait en Suisse que pour des raisons professionnelles et administratives, sans avoir l’intention de s’y installer durablement. En conclusion, le requérant reproche à l’instance cantonale d’avoir appliqué à tort le droit fédéral – art. 39 al. 1 et 60 LPGA – au lieu du droit international, déclarant ainsi le recours irrecevable pour tardiveté.

Consid. 5.3
Selon l’art. 1er lit. j du Règl. n° 883/2004 – qui correspond à l’ancien art. 1er lit. h du Règlement [CE] n° 1408/71, abrogé avec effet au 1er avril 2012 -, la résidence est le lieu où une personne réside habituellement. Le terme de résidence constitue, en principe, une notion autonome et propre du droit communautaire européen (arrêt [de la CJUE] du 11 septembre 2014 C-394/13 Ministerstvo práce a sociálních vecí, point 26 ; arrêt 8C_186/2017 du 1er septembre 2017 consid. 7.5). L’art. 11 du Règlement d’exécution [CE] n° 987/2009 (RS 0.831.109.268.11) assimile la résidence au centre des intérêts de la personne concernée, qui est déterminé par une appréciation globale des circonstances. Cet article codifie également les éléments développés par la jurisprudence de la CJUE qui peuvent être pris en compte pour déterminer le centre d’intérêts susmentionné, tels que, par exemple, la durée et la continuité de la présence sur le territoire des États membres concernés, l’exercice d’une activité ou la situation et les liens de la famille (arrêt C-394/13, point 34 ; cf. point 5). Enfin, la définition de la résidence diffère de celle du séjour à l’art. 1er lit. k du Règl. n° 883/2004, qui est défini comme un séjour purement temporaire. Dans le cadre des accords sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne, notamment dans l’application des règlements européens sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, le Tribunal fédéral a déjà constaté, sur la base de la jurisprudence de la CJUE, que le droit communautaire laisse largement ouverte la question de la détermination de la résidence et confie généralement cette notion au droit national respectif (ATF 138 V 533 consid. 4.2, 186 consid. 3.3.1).

Du point de vue du Règl. n° 883/2004, la jurisprudence fédérale a ainsi établi que la résidence est le lieu où se trouve le centre de vie de la personne ; elle peut dépendre à la fois de circonstances subjectives, fondées principalement sur la volonté de la personne concernée, et de circonstances objectives, qui sont déterminées par les conditions de vie extérieures et qui peuvent également diverger de la volonté déclarée (ATF 138 V 186 consid. 3.3.1). Toutefois, ce sont les aspects objectifs et non les aspects subjectifs qui sont déterminants pour le jugement (ATF 148 V 209 consid. 4.3 ; 138 V 533 consid. 4.2). En outre, la simple durée de résidence dans un État membre de l’UE n’est pas décisive pour déterminer le lieu de résidence (HUMMER, op. cit., n° 20 à l’art. 1 du Règl. n° 883/2004 avec les références à la jurisprudence de la CJUE). Ce qui est déterminant, en revanche, c’est de savoir si la personne concernée a localisé (ou non) le centre de ses intérêts dans l’État en question. Pour ce faire, il faut tenir compte de la nature de la profession exercée, du but de l’absence du pays d’origine, de la situation familiale et de l’intention de l’intéressé de retourner au lieu où il était précédemment employé, démontrée par l’ensemble des circonstances (ATF 138 V 186 consid. 3.3.1 ; 133 V 137 consid. 7.2 ; 131 V 222 consid. 7.4). Sur la base de l’art. 11 par. 1 lit. b du Règl. n° 987/2009, la situation de vie de la personne concernée peut également être prise en compte.

Comme l’a relevé à juste titre le tribunal cantonal, la définition de la résidence en droit communautaire correspond, pour l’essentiel, à celle du droit interne (ATF 148 V 209 consid. 4.3). En effet, selon l’art. 13 al. 2 LPGA, une personne a sa résidence habituelle (« propria dimora abituale » ; « gewöhnlicher Aufenthalt ») au lieu où elle vit pendant une période prolongée, même si la durée du séjour est d’emblée limitée. Il s’agit d’une notion créée par la jurisprudence fédérale (cf. ATF 119 V 98 consid. 6c) et propre au droit des assurances sociales. Selon une jurisprudence constante, la résidence habituelle au sens de la disposition précitée suppose donc un séjour effectif en Suisse et l’intention de le maintenir pendant un certain temps, même si la durée du séjour est d’emblée limitée ; en outre, le centre des relations de la personne doit se trouver en Suisse (ATF 141 V 530 consid. 5.3 ; 119 V 98 consid. 6c ; 112 V 164 consid. 1a). Ainsi, du point de vue du droit interne également, le domicile au sens de la résidence habituelle se situe là où se trouve le centre de vie de la personne concernée.

Consid. 5.4
L’assuré, sauf de manière générale, ne démontre pas le caractère insoutenable des constatations de l’instance cantonale. Dans la mesure où il se concentre notamment sur l’appréciation de la cour cantonale au regard des faits de la cause et du but allégué de son séjour en Suisse, il ne démontre pas leur caractère manifestement infondé, mais se contente d’opposer abusivement son opinion à celle des juges cantonaux. En tout état de cause, le raisonnement du tribunal cantonal est convaincant. Les circonstances factuelles évoquées par l’assuré ne suffisent pas à remettre en cause le raisonnement de la cour cantonale.

En effet, les considérants détaillés de la décision attaquée montrent que la cour cantonale a apprécié tous les éléments pertinents pour l’établissement des faits et a examiné de manière approfondie les griefs de l’assuré. Plus précisément, la cour cantonale a relevé que l’absence d’enregistrement AIRE ne prouve pas en soi l’absence de résidence à l’étranger et que la possibilité pour l’assuré d’un renouvellement illimité des permis UE/AELE de type L ne saurait raisonnablement prouver, au vu de tous les autres éléments du dossier, qu’il n’avait pas l’intention de résider durablement en Suisse. D’ailleurs, il est resté en Suisse malgré les blessures qu’il a subies. Même le fait qu’il ait acheté un bien immobilier en Italie ne semble pas déterminant pour admettre le retour de l’assuré dans son pays d’origine, puisque le bail de l’appartement en Suisse est toujours en cours. L’instance cantonale a ensuite pris acte du refus de l’assuré de déclarer le moment du prétendu déménagement en Italie et de produire les documents fiscaux italiens pour les années 2019-2020 et l’éventuelle résiliation du bail de l’appartement en Suisse. Par conséquent, pour la cour cantonale, des éléments plus concrets étaient nécessaires pour conclure à un déménagement en Italie. On ne saurait donc admettre que la cour cantonale ait déterminé le domicile de l’assuré par une interprétation insoutenable et en contradiction flagrante avec les documents de la cause.

Consid. 5.5
A cet égard, l’assuré semble oublier qu’en matière d’assurances sociales, la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération (ATF 144 III 264 consid. 5.2). Le juge fonde sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références).

En l’espèce, il est plus vraisemblable que le centre des relations personnelles de l’assuré se trouvait dans le canton des Grisons, où il a travaillé et vécu pendant des années et bénéficié de prestations sociales qui, selon la loi, exigent une résidence effective en Suisse, et non en Italie, où il semble n’avoir fait qu’acquérir un bien immobilier. En outre, le refus de l’assuré de déclarer au tribunal cantonal la date de son prétendu déménagement en Italie est également révélateur. A cet égard, après avoir dûment analysé les éléments de preuve, en particulier le dossier relatif aux prestations de l’assurance-chômage en Suisse, les documents bancaires et les documents relatifs à la location en Suisse, la cour cantonale a estimé, conformément au droit fédéral, que les circonstances invoquées par l’assuré n’étaient pas suffisantes pour établir une résidence habituelle en Italie. Il s’ensuit que les critiques de l’assuré ne sont pas fondées à cet égard. La cour cantonale n’ayant pas constaté arbitrairement la résidence de l’assuré en Suisse, c’est donc à juste titre qu’elle a considéré que le recours déposé était tardif (art. 39 al. 1 et 60 LPGA ; cf. arrêt de renvoi 8C_307/2021 du 25 août 2021 consid. 4).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_631/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_631/2022 (i) du 24.03.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/8c_631/2022)

 

6B_569/2023 (f) du 31.07.2023 – Preuve du délai de recours – 100 LTF / Une photo n’est pas suffisante pour prouver l’expédition du recours en temps utile

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_569/2023 (f) du 31.07.2023

 

Consultable ici

 

Preuve du respect du délai de recours / 100 LTF

Une photo accompagnée de ses métadonnées n’est pas suffisante pour prouver l’expédition du recours en temps utile

 

TF

Consid. 1.1
Selon l’art. 100 al. 1 LTF, le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète. Les délais dont le début dépend d’une communication ou de la survenance d’un événement courent dès le lendemain de celles-ci (art. 44 al. 1 LTF). Le délai est observé si le mémoire est remis à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse le dernier jour du délai (art. 48 al. 1 LTF).

Le délai est sauvegardé si l’acte est remis le dernier jour du délai à minuit (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 p. 529; arrêt 6B_1439/2022 du 22 mars 2023 consid. 2; J EAN-MAURICE FRÉSARD, in Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 10 ad art. 48 LTF). En pratique, l’expédition postale est la règle (cf. JEAN-MAURICE FRÉSARD, in Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 10 ad art. 48 LTF). Peu importe que ce soit à un guichet postal, dans une boîte aux lettres postale ou dans un automate « MyPost 24 » (ATF 142 V 389 consid. 2.2 p. 391; arrêt 4A_466/2022 du 10 février 2023 consid. 2).

La preuve de l’expédition d’un acte de procédure en temps utile incombe à la partie, respectivement à son avocat (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 p. 529; 142 V 389 consid. 2.2 p. 391). Une telle preuve peut résulter du sceau postal, du récépissé de l’envoi posté en recommandé, de l’accusé de réception obtenu au guichet postal, de la quittance imprimée par l’automate MyPost 24 ou de tout autre moyen adéquat, tel le témoignage d’une ou de plusieurs personnes (dont les noms et adresses seront inscrits sur l’enveloppe contenant le recours), voire une séquence audiovisuelle filmant le dépôt du pli dans la boîte postale (avec une possible incidence sur les frais de justice, cf. ATF 147 IV 526 consid. 4 p. 533). En revanche, la date indiquée par une machine d’affranchissement privée (ou, pour les plus modernes, le code-barres avec justificatif de distribution) ne prouve pas la remise de l’envoi à la poste (arrêt 4A_466/2022 du 10 février 2023 consid. 2).

En principe, le sceau postal fait foi de la date d’expédition. Toutefois, cette présomption peut être renversée par tous les moyens appropriés. L’avocat qui dépose son pli dans une boîte postale après la fermeture du guichet doit s’attendre à ce que le courrier ne soit pas enregistré le jour même de la remise, mais à une date ultérieure (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 p. 530). Aussi doit-il indiquer spontanément à l’autorité de recours, et avant l’échéance du délai, qu’il a respecté celui-ci, en présentant les moyens qui l’attestent (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 p. 530 et les références citées). Pour renverser la présomption, il importe que la partie recourante produise ses preuves dans le délai de recours, ou du moins les désigne dans l’acte de recours, ses annexes ou sur l’enveloppe qui le contient (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 p. 530).

Consid. 1.2
En l’espèce
, le jugement querellé a été notifié au recourant le 16.03.2023. Le délai de 30 jours pour recourir au Tribunal fédéral est donc arrivé à échéance le 01.05.2023, compte tenu des féries judiciaires de Pâques (cf. art. 46 al. 1 let. a LTF) et du fait que le dernier jour du délai tombait sur le dimanche 30.04.2023 (cf. art. 45 al. 1 LTF). L’enveloppe contenant le recours a été affranchie en courrier A par le biais d’une machine d’affranchissement privée, porte la date du 01.05.2023, et a été reçue le 03.05.2023 par le Tribunal fédéral. L’indication « déposé dans la boîte de la Poste suisse le 01.05.2023 à 23:56 à U.__ » a été apposée sur le verso de l’enveloppe. Toutefois, celle-ci ne porte aucun sceau postal. Or, conformément à la jurisprudence précitée, la date indiquée par la machine d’affranchissement privée est impropre à prouver la remise de l’envoi à la poste. Il en va de même de l’indication apposée sur ladite enveloppe. Dans ces circonstances, l’on ignore la date et l’heure auxquelles le recours a été déposé à La Poste Suisse.

Il incombe dès lors au recourant d’apporter la preuve stricte du respect du délai de recours au Tribunal fédéral. A cet égard, le mandataire du recourant a produit une photographie, laquelle ne montre que le coin supérieur droit de l’enveloppe avec la fenêtre laissant apparaître le destinataire du pli, soit en l’occurrence le Tribunal fédéral et, en arrière-plan, la boîte postale de La Poste Suisse. Bien que les métadonnées y annexées indiquent que cette photographie a été prise le 01.05.2023 à 23h56, ces éléments ne permettent pas d’apporter la preuve stricte du respect du délai de recours de 30 jours. En effet, à la différence d’une séquence audiovisuelle, ils ne permettent pas d’établir que l’enveloppe contenant le recours a bien été glissée dans la boîte postale à la date et à l’heure indiquées et que le pli était déjà fermé au moment de la prise du cliché photographique. Par ailleurs, le mandataire du recourant n’apporte aucun autre élément probatoire, en particulier pas de témoins qui seraient en mesure d’attester d’un tel dépôt au moment indiqué.

En déposant le recours dans une boîte postale, affranchi en courrier A, et en se contentant du cliché photographique décrit précédemment, le recourant échoue à apporter la preuve stricte, qui pourtant lui incombe, du respect du délai de recours au Tribunal fédéral. Il s’ensuit que le recours doit être déclaré irrecevable.

 

Arrêt 6B_569/2023 consultable ici

 

9C_526/2022 (f) du 01.02.2023 – Preuve du dépôt du recours dans le délai des 30 jours / 48 LTF – 100 LTF / Rappel par le TF des moyens de preuve du respect du délai en cas de doute

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_526/2022 (f) du 01.02.2023

 

Consultable ici

 

Preuve du dépôt du recours dans le délai des 30 jours / 48 LTF – 100 LTF

Rappel par le TF des moyens de preuve du respect du délai en cas de doute

Etiquette « Recommandé Prepaid » – Témoignage de l’apprentie de l’étude n’est pas une preuve stricte du dépôt du mémoire de recours à la Poste suisse dans le délai légal

 

TF

Consid. 2
Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification complète de l’expédition (art. 100 al. 1 LTF). Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l’attention de ce dernier, à La Poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

Un recours est présumé avoir été déposé à la date ressortant du sceau postal (ATF 147 IV 526 consid. 3.1; 142 V 389 consid. 2.2). En cas de doute, la preuve du respect du délai doit être apportée par celui qui soutient avoir agi en temps utile au degré de la certitude et non simplement au degré de la vraisemblance prépondérante; elle résulte en général de preuves « préconstituées » (sceau postal, récépissé d’envoi recommandé ou encore accusé de réception en cas de dépôt pendant les heures de bureau); la date d’affranchissement postal ou le code à barres pour lettres, avec justificatif de distribution, imprimés au moyen d’une machine privée ne constituent en revanche pas la preuve de la remise de l’envoi à la poste. D’autres modes de preuves sont toutefois possibles, en particulier l’attestation de la date de l’envoi par un ou plusieurs témoins mentionnés sur l’enveloppe; la présence de signatures sur l’enveloppe n’est pas, en soi, un moyen de preuve du dépôt en temps utile, la preuve résidant dans le témoignage du ou des signataires; il incombe dès lors à l’intéressé d’offrir cette preuve dans un délai adapté aux circonstances, en indiquant l’identité et l’adresse du ou des témoins (arrêt 6F_20/2022 du 24 août 2022 consid. 1.1 et les arrêts cités).

Consid. 3
Le jugement attaqué a été notifié à son destinataire le 12.10.2022. Le délai de recours de trente jours (art. 48 al. 1 et 100 al. 1 LTF) est ainsi arrivé à échéance vendredi 11.11.2022.

Le mémoire de recours, daté de ce jour-là, est parvenu par voie postale au Tribunal fédéral le lundi suivant. L’enveloppe ayant contenu le mémoire ne porte pas de cachet postal, mais uniquement une étiquette « Recommandé Prepaid » (n° yyy), apposée par la partie recourante. Aucune déclaration d’un témoin qui aurait pu attester du moment et du lieu du dépôt n’y est apposée (cf. ATF 147 IV 526 consid. 3.1). D’après le suivi des envois de la Poste, le pli a été trié la première fois par la Poste le dimanche 13.11.2022 à 20h09.

Invité à s’exprimer sur le respect du délai de recours, l’avocat a allégué que le recours avait été posté le vendredi 11.11.2022 aux alentours de 17h05, dans la boîte aux lettres de la Poste sise à la Place de la Riponne, à Lausanne, dont l’horaire de levée est 18h30, étant précisé qu’il n’y a pas de levée le samedi ou le dimanche (selon un extrait du site internet de la Poste qu’il a produit). Il a également déposé un courriel adressé à ses clients le 11.11.2022 à 16h23, contenant le recours en pièce jointe. L’avocat a encore remis une déclaration de son apprentie qui certifie avoir déposé le recours comme indiqué ci-avant. Il a ajouté un courriel de la Poste qui indiquait que la boîte aux lettres jaune avait été relevée le 13.11.2022; dans cette communication, la Poste le priait de déposer ses recommandés au guichet où la réception serait directement enregistrée.

Consid. 4
Le témoignage de l’apprentie de l’Etude ne saurait valoir preuve stricte du dépôt du mémoire de recours à la Poste suisse dans le délai légal. D’une part, ce témoignage a été fourni seulement en cours de procédure. D’autre part, pareille déclaration est sujette à caution, en raison notamment du rapport de subordination qui existe avec l’employeur.

Compte tenu de l’importance de l’envoi et du risque encouru par l’avocat (cf. ATF 147 IV 526 consid. 3.1), on peut s’interroger sur le fait d’avoir déposé un pli recommandé prépayé dans une boîte aux lettres de la Poste à la Place de la Riponne à 17h05, alors que les guichets y étaient ouverts jusqu’à 18h00. En outre, aucun dysfonctionnement des services postaux n’est établi, car l’allégué de la Poste relatif aux circonstances du dépôt du recours (temps et lieu) n’indique pas qu’il n’y a pas eu de levée le 11.11.2022 à 18h30, contrairement à ce que le mandataire des recourants semble affirmer. Dès lors que le mémoire de recours a pu être remis à la Poste aussi bien le 11, 12 ou 13 novembre 2022, dans une boîte aux lettres sise à la Place de la Riponne ou ailleurs, la date de son dépôt est incertaine.

Comme la preuve stricte du respect du délai du recours n’est pas rapportée, le recours doit être déclaré irrecevable pour cause de tardiveté (art. 48 al. 1 et 100 al. 1 LTF), en procédure simplifiée (art. 108 al. 1 let. a LTF).

 

Arrêt 9C_526/2022 consultable ici

 

6B_659/2021 (f) du 24.02.2022 – Tardiveté du recours – 100 LTF / Effets secondaires à la deuxième dose du vaccin contre le Covid-19 ayant empêché le mandataire de finaliser son mémoire / Demande de restitution du délai de recours rejetée – 50 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_659/2021 (f) du 24.02.2022

 

Consultable ici

 

Tardiveté du recours / 100 LTF

Effets secondaires à la deuxième dose du vaccin contre le Covid-19 ayant empêché le mandataire de finaliser son mémoire

Demande de restitution du délai de recours rejetée / 50 LTF

 

Par jugement du 03.06.2020, le tribunal criminel a condamné A.__ pour actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP) et pour contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19a ch. 1 LStup) à une peine privative de liberté de 30 mois, dont 12 mois ferme et 18 mois avec sursis pendant 3 ans, ainsi qu’à une amende de 200 francs. Outre une indemnité de 6’314 fr. 50 à titre de l’art. 433 CPP, A.__ a été astreint à verser à C.__ un montant de 5’000 fr. à titre de réparation morale.

Statuant par jugement du 20.04.2021 sur l’appel de A.__ ainsi que sur l’appel joint du ministère public, la Cour pénale du tribunal cantonal les a rejetés et a confirmé le jugement du 03.06.2020.

Le 27.05.2021, l’avocat B.__, en sa qualité de mandataire de A.__, a sollicité du Tribunal fédéral une prolongation du délai pour former un recours en matière pénale contre le jugement d’appel du 20.04.2021. En substance, le mandataire a expliqué avoir fait une « réaction très agressive » à la deuxième dose du vaccin Moderna contre le Covid-19, qu’il s’était vu administrer la veille. Cette circonstance l’empêchait de finaliser son mémoire de recours dans le délai légal de 30 jours (cf. art. 100 al. 1 LTF), qui arrivait à échéance ce même 27.05.2021.

Par avis du 28.05.2021, la Présidente de la Cour de droit pénal a informé le mandataire que sa demande ne serait pas formellement traitée, le renvoyant à cet égard à l’art. 47 al. 1 LTF, aux termes duquel les délais fixés par la loi ne peuvent être prolongés.

Par acte du 02.06.2021, remis à la poste le même jour selon le timbre postal, A.__ forme, par l’intermédiaire de son mandataire, un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 20.04.2021. Le mandataire du recourant présente en outre une demande de restitution de délai (cf. art. 50 LTF), se prévalant d’avoir été dans l’incapacité, pour cause de maladie, d’expédier au Tribunal fédéral son recours dans le délai légal de 30 jours (art. 100 al. 1 LTF).

 

TF

Tardiveté du recours

Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les trente jours qui suivent la notification de l’expédition complète (art. 100 al. 1 LTF). S’agissant d’un délai fixé par la loi, il ne peut pas être prolongé (cf. art. 47 al. 1 LTF; arrêts 2C_140/2022 du 11 février 2022 consid. 2.1; 6B_28/2018 du 7 août 2018 consid. 3.2.1).

Les délais dont le début dépend d’une communication ou de la survenance d’un événement courent dès le lendemain de celles-ci (art. 44 al. 1 LTF). En vertu de l’art. 48 al. 1 LTF, les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l’attention de ce dernier, à La Poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse.

En l’espèce, le jugement attaqué a été notifié au mandataire du recourant le 27.04.2021. Ayant ainsi commencé à courir dès le 28.04.2021, le délai de trente jours est arrivé à échéance le 27.05.2021, sans que la demande de prolongation de délai formulée ce même jour soit opérante d’une quelconque manière.

Il s’ensuit que le recours, déposé le 02.06.2021, est tardif.

 

Demande de restitution du délai de recours

Conformément à l’art. 50 al. 1 LTF, si, pour un autre motif qu’une notification irrégulière, la partie ou son mandataire a été empêché d’agir dans le délai fixé sans avoir commis de faute, le délai est restitué pour autant que la partie en fasse la demande, avec indication du motif, dans les 30 jours à compter de celui où l’empêchement a cessé; l’acte omis doit être exécuté dans ce délai.

La restitution du délai est ainsi subordonnée à la condition qu’aucun reproche ne puisse être formulé à l’encontre de la partie ou de son mandataire. La restitution d’un délai au sens de l’art. 50 al. 1 LTF suppose donc l’existence d’un empêchement d’agir dans le délai fixé, lequel doit être non fautif (cf. arrêt 6B_1079/2021 du 22 novembre 2021 consid. 2.1, destiné à la publication, et les références citées). Une maladie subite d’une certaine gravité qui empêche la personne intéressée de se présenter ou de prendre à temps les dispositions nécessaires peut justifier une restitution de délai. Seule la maladie survenant à la fin du délai de recours et l’empêchant de défendre elle-même ses intérêts ou de recourir à temps aux services d’un tiers constitue un tel empêchement (arrêts 1B_627/2021 du 9 février 2022 consid. 2; 5A_280/2020 du 8 juillet 2020 consid. 3.1.1 in SJ 2020 I p. 465; cf. ATF 112 V 255 consid. 2a); une incapacité de travail pour cause de maladie, sans autre précision sur la nature et la gravité de celle-ci, ne suffit pas encore pour admettre que la partie requérante aurait été empêchée d’agir. Aussi, la maladie doit être établie par des attestations médicales pertinentes, la seule allégation d’un état de santé déficient ou d’une incapacité de travail n’étant pas suffisante pour établir un empêchement d’agir au sens de l’art. 50 al. 1 LTF (arrêts 9C_519/2021 du 11 octobre 2021; 6B_1329/2020 du 20 mai 2021 consid. 1.3.3; 6B_28/2017 du 23 janvier 2018 consid. 1.3; 6B_230/2010 du 15 juillet 2010 consid. 2.2).

Pour trancher la question de la restitution du délai de recours au Tribunal fédéral, une partie doit se laisser imputer la faute de son représentant (arrêt 6B_1244/2020 du 15 décembre 2020 consid. 2; cf. ATF 143 I 284 consid. 1.3; arrêt 4A_52/2019 du 20 mars 2019 consid. 3.1 et les arrêts cités). De manière générale, une défaillance dans l’organisation interne de l’avocat (problèmes informatiques, auxiliaire en charge du recours, absence du mandataire principal) ne constitue pas un empêchement non fautif justifiant une restitution du délai (ATF 143 I 284 consid. 1.3 et les arrêts cités; arrêt 6B_1079/2021 précité consid. 2.1 et les références citées).

La sanction du non-respect d’un délai de procédure n’est pas constitutive de formalisme excessif, une stricte application des règles relatives aux délais étant justifiée par des motifs d’égalité de traitement et par un intérêt public lié à une bonne administration de la justice et à la sécurité du droit (cf. ATF 104 Ia 4 consid. 3; arrêts 6B_1079/2021 précité consid. 2.1 et les références citées; 4A_207/2019 du 17 août 2020 consid. 4.3 non publié in ATF 146 III 413; cf. également arrêts CourEDH Üçdag contre Turquie du 31 août 2021, requête n° 23314/19, § 38; Sabri Günes contre Turquie du 29 juin 2012, requête n° 27396/06, §§ 39 ss et 56 s.).

 

A l’appui de sa demande de restitution de délai du 02.06.2021, le mandataire du recourant se prévaut d’avoir subi une réaction allergique grave et inattendue, dès le 26.05.2021, soit à la veille de l’échéance du délai de recours, et jusqu’au 01.06.2021. Il explique avoir été atteint durant cette période « d’une sensation de forte fièvre et de grand froid, de frissonnements et de tremblements, de nausées, de vertiges, de forts maux de tête et d’une extrême fatigue invalidante ayant imposé un alitement constant ».

Si le mandataire ne l’évoque pas expressément dans sa demande de restitution, il ressort toutefois sans équivoque de son précédent courrier, adressé le 27.05.2021 au Tribunal fédéral et auquel il avait joint une attestation de vaccination, que ces affections auraient selon lui constitué des effets secondaires à la deuxième dose du vaccin Moderna contre le Covid-19 qui lui avait été administrée le 26.05.2021.

A la demande de restitution de délai était joint un certificat médical établi le 31.05.2021 par le Dr D.__, faisant état d’un « arrêt de travail » à 100% du 26.05.2021 au 01.06.2021.

Ce document n’évoque toutefois nullement les symptômes précédemment décrits, mais se limite à mentionner le terme « maladie » à titre de motif à l’arrêt de travail. Cela étant relevé, un tel certificat n’est pas apte à prouver que les affections subies par le mandataire du recourant avaient été plus sévères que les effets secondaires, habituels et notoirement connus au moment des faits, susceptibles de survenir dans les heures et jours suivant l’administration d’une dose de vaccin contre le Covid-19. Aussi, à tout le moins, il apparaît qu’en se faisant vacciner à la veille de l’échéance du délai légal de recours et en n’anticipant pas dans son organisation personnelle les possibles effets secondaires du vaccin, le mandataire a pris le risque de ne pas être pleinement en mesure de finaliser le mémoire de recours dans le délai utile.

Par ailleurs, alors qu’il ressort de l’attestation de vaccination produite à l’appui du courrier du 27.05.2021 que le mandataire avait reçu sa première dose de vaccin moins d’un mois auparavant (28.04.2021), ce dernier, né en xxx, ne fait pas état de motifs d’ordre médical ou d’autres circonstances nécessitant que la deuxième dose lui fût inoculée précisément le 26.05.2021, ni qu’il lui aurait été impossible de reporter cet acte de quelques jours compte tenu de l’échéance du délai survenant le lendemain.

L’attitude du mandataire n’étant ainsi pas exempte de reproches, celui-ci ne saurait se prévaloir que son empêchement de procéder dans le délai utile est indépendant de toute faute de sa part.

Par surabondance, il est observé que, le jour de l’échéance du délai (27.05.2021), alors que le mandataire affirmait dans son courrier du même jour au Tribunal fédéral être « dans l’incapacité de [s]e lever et de [s]e concentrer à quoi que ce soit » et rester « dans une sorte d’état léthargique », il a néanmoins été en mesure non seulement de rédiger et d’adresser le courrier précité, lequel détaille de manière précise ses symptômes et les motifs sous-tendant sa demande de prolongation de délai, mais également de contacter par téléphone le greffe de la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral pour l’informer de sa situation.

Ces démarches effectuées le 27.05.2021 sont de nature à remettre en cause le caractère effectif et justifié de l’arrêt de travail à 100% tel qu’attesté par certificat médical pour la période du 26.05.2021 au 01.06.2021. Si le mandataire explique certes avoir sollicité « un proche » pour préparer et expédier le courrier en question, il ne mentionne toutefois pas son identité, ni ne prétend a fortiori que son audition comme témoin est susceptible d’attester de l’incapacité alléguée ou de la nécessité de l’aide apportée. En tout état, quand bien même le mandataire avait effectivement bénéficié d’une assistance, son état de santé lui a apparemment permis de donner à la personne évoquée ci-avant des instructions précises pour la rédaction de ce courrier, qui est muni du papier à en-tête de son étude et qu’il a par la suite personnellement signé. Il peut ainsi en être déduit que, moyennant éventuellement l’aide de cette personne, le mandataire aurait pu consacrer son énergie non pas à la rédaction d’une demande de prolongation de délai d’emblée dénuée de toute chance de succès, mais à celle de son mémoire de recours, qui était alors selon lui « en majeure partie fini », quitte à l’adresser sans les développements qu’il souhaitait encore y ajouter, cela au moins afin de préserver le délai légal. Le mandataire ne prétend pas non plus avoir cherché à contacter un confrère susceptible de terminer et d’expédier dans l’urgence l’acte de recours en matière pénale, ni du reste avoir informé le principal intéressé au respect du délai, à savoir le recourant.

Enfin, contrairement à ce que le mandataire sous-entend, il est très improbable que de quelconques garanties, quant au bien-fondé de sa demande de prolongation de délai, lui aient été données à l’occasion de son contact téléphonique du 27.05.2021 avec une collaboratrice du greffe de la Cour de droit pénal. A tout le moins, le mandataire, en tant que professionnel du droit, ne pouvait pas raisonnablement s’en rapporter, l’impossibilité de prolonger les délais légaux étant un principe élémentaire du droit fédéral de procédure, déduit non seulement de l’art. 47 al. 1 LTF, mais notamment également des art. 89 al. 1 CPP, 144 al. 1 CPC et 22 al. 1 PA.

 

Au surplus, le recourant ne présente aucun grief relatif à ses droits à un procès équitable et à une défense efficace (cf. notamment art. 6 par. 1 et 3 let. c CEDH).

Il est néanmoins renvoyé, quant à ces aspects, aux développements contenus dans l’arrêt 6B_1079/2021 déjà évoqué (cf. en particulier consid. 2.4 à 2.6, destinés à la publication). Il doit en être déduit qu’en l’espèce également, en dépit de la portée que revêt le recours s’agissant notamment des peine et mesure prononcées (3 ans de peine privative de liberté, dont 1 an ferme, et 5 ans d’expulsion du territoire suisse), il ne saurait être fait d’exception au bénéfice du recourant, compte tenu des principes de la sécurité du droit, de la légalité et de l’égalité de traitement (cf. art. 5 al. 1 et 8 al. 1 Cst.; arrêt 6B_1079/2021 précité consid. 2.8).

 

Au vu de ce qui précède, la demande de restitution du délai de recours doit être rejetée. Le recours, déposé tardivement, est donc irrecevable.

 

Le recours étant ainsi dénué de chances de succès, la requête d’assistance judiciaire doit être rejetée. Néanmoins, en dérogation à la règle générale posée à l’art. 66 al. 1 LTF, il se justifie de mettre les frais judiciaires à la charge du mandataire du recourant en raison de la grave négligence à l’origine de l’irrecevabilité du recours (cf. arrêts 6B_1079/2021 précité consid. 3; 6B_1244/2020 précité consid. 3; ATF 129 IV 206 consid. 2).

 

 

Arrêt 6B_659/2021 consultable ici

 

6B_1247/2020 (f) du 07.10.2021, destiné à la publication – Tardiveté du dépôt du recours au niveau cantonal – Admissibilité de la preuve du respect du délai par vidéo

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1247/2020 (f) du 07.10.2021, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 04.11.2021 disponible ici

 

Un enregistrement vidéo peut en principe apporter la preuve qu’un acte judiciaire a été déposé dans une boîte aux lettres de La Poste Suisse en temps utile. Le Tribunal fédéral admet le recours contre la décision du Tribunal cantonal du canton du Valais.

Un homme avait recouru en 2020 contre le classement d’une procédure pénale auprès du Tribunal cantonal valaisan. Son avocat a déposé le pli contenant le recours dans une boîte aux lettres de La Poste Suisse à 22h05 le soir du dernier jour du délai de dix jours. Dans le pli lui-même, il a informé le Tribunal que le cachet postal figurant sur l’enveloppe expédiée pouvait indiquer la date du jour suivant et qu’il produirait donc un enregistrement vidéo comme preuve du dépôt du recours en temps utile. Le lendemain, le Tribunal cantonal a reçu une clé USB contenant un enregistrement vidéo. Le Tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le recours, qui portait le cachet postal du lendemain, le jugeant hors délai et considérant que l’enregistrement vidéo ne constituait pas une preuve effective du dépôt du recours en temps utile.

Le Tribunal fédéral admet le recours de l’intéressé. Selon le Code de procédure pénale (CPP), le délai est sauvegardé notamment si l’acte de procédure est remis à La Poste Suisse le dernier jour du délai (à minuit) (article 91 CPP). La date du dépôt est présumée coïncider avec celle du sceau postal. Cette présomption peut cependant être renversée. On peut toutefois attendre de l’expéditeur qu’il produise la preuve du dépôt en temps utile avant l’expiration du délai, ou à tout le moins qu’il fasse référence à ce moyen de preuve dans l’envoi lui-même. L’avocat de l’intéressé a dûment procédé de la sorte dans le cas d’espèce. Contrairement à l’avis du Tribunal cantonal, l’enregistrement vidéo peut alors servir de preuve de la remise en temps utile à la poste. Il est vrai, comme l’a retenu le Tribunal cantonal, que les enregistrements audiovisuels sont relativement faciles à manipuler. Toutefois, un avocat commettrait un grave manquement à ses obligations professionnelles s’il falsifiait un moyen de preuve afin d’établir le dépôt en temps utile de son acte. En l’absence d’indices d’une falsification, il ne se justifie pas de douter de l’authenticité d’un enregistrement. La séquence audiovisuelle doit naturellement contenir tous les éléments nécessaires à la preuve, notamment la date et l’heure du dépôt de l’acte ainsi que l’identification du pli contenant le recours. Le Tribunal cantonal valaisan devra ainsi examiner si le contenu de la vidéo apporte la preuve du respect du délai.

Enfin, il convient de relever que le visionnage d’une preuve vidéo peut entraîner un effort supplémentaire et que les coûts correspondants peuvent être mis par le tribunal à la charge de l’expéditeur, c’est-à-dire, par exemple, de l’avocat responsable.

 

 

Arrêt 6B_1247/2020 consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 04.11.2021 disponible ici

Version italienne: Prova video ammissibile per dimostrare il rispetto del termine

Version allemande : Videobeweis für Fristwahrung zulässig