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4A_312/2024 (d) du 05.12.2024, destiné à la publication – IPAI et indemnité à titre de réparation morale – Droit préférentiel de répartition en cas de faute concomitante du lésé / Changement de jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_312/2024 (d) du 05.12.2024, destiné à la publication

 

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Indemnité pour atteinte à l’intégrité et indemnité à titre de réparation morale – Droit préférentiel de répartition en cas de faute concomitante du lésé / 72 LPGA – 73 LPGA

Changement de jurisprudence

 

A.________ (le lésé ; le recourant) a subi le 08.10.2010 un grave traumatisme par écrasement à sa main gauche, qui a été entraînée dans une machine et saisie par le rouleau d’entraînement. Lors de l’examen final par le médecin-conseil de l’assureur-accidents, un trouble fonctionnel complexe de la main gauche avec une mobilité minimale des doigts longs, une fonction nettement limitée du pouce et une légère diminution de la mobilité du poignet ainsi qu’un trouble de stress post-traumatique et une amplification des symptômes ont été diagnostiqués. Le lésé a fait valoir à l’encontre de son employeur, B.__ SA (l’employeur ; l’intimé ; la défenderesse), un droit à une indemnité pour tort moral en raison d’une violation du devoir de diligence (art. 328 al. 2 CO) et d’une responsabilité fondée sur l’art. 58 CO (défauts d’ouvrage).

 

Procédures cantonales

Après une tentative infructueuse de conciliation, le lésé a déposé le 11.07.2019 une action partielle, réclamant une indemnité pour tort moral de CHF 30’000, plus intérêts, sous réserve d’une action complémentaire ultérieure. Le 24.03.2021, le tribunal a rejeté l’action. Bien que toutes les conditions fondant la responsabilité fussent réunies, il a nié une responsabilité de l’employeur au motif que l’accidenté avait commis une faute grave concomitante, interrompant le lien de causalité adéquate entre l’absence de dispositif de protection sur la machine et le dommage survenu.

Le recours interjeté contre le jugement du 24.03.2021 a été rejeté sur le fond par le Tribunal cantonal le 15.04.2024. Contrairement au tribunal de district, le Tribunal cantonal n’a pas considéré la faute concomitante du lésé comme suffisamment grave pour interrompre le lien de causalité adéquate. Cependant, il a estimé que l’indemnité pour tort moral à laquelle il avait droit était inférieure à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité qu’il avait reçue, de sorte qu’il ne lui restait aucune prétention à l’égard de l’employeur.

Le Tribunal cantonal a procédé à l’évaluation du tort moral en deux phases :

  • Dans une première phase, il a fixé le montant de base à CHF 31’500, correspondant à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité octroyée et non contestée.
  • Dans une seconde phase, le Tribunal cantonal a pris en compte les particularités du cas d’espèce. Il a augmenté le montant de base de 30% au total (10% pour le changement de personnalité survenu après un stress extrême d’une part, 10% pour le trouble de stress post-traumatique, et 10% la réinsertion infructueuse ainsi que l’atteinte à l’avenir économique) pour atteindre environ CHF 41’000. Il a ensuite pris en compte une faute concomitante d'(au moins) un quart et a ainsi calculé une indemnité pour tort moral totale de CHF 30’750 (CHF 41’000 ./. CHF 10’250 [25%]), qui n’atteignait pas l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

TF

Consid. 2
Selon la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, l’assureur est subrogé, jusqu’à concurrence des prestations légales, aux droits de l’assuré et de ses survivants contre tout tiers responsable, dès la survenance de l’événement dommageable (art. 72 al. 1 LPGA).

Néanmoins, selon l’art. 73 LPGA, les droits de l’assuré et de ses survivants ne passent à l’assureur que dans la mesure où les prestations qu’il alloue, jointes à la réparation due pour la même période par le tiers responsable, excèdent le dommage causé par celui-ci (al. 1). Si l’assureur a réduit ses prestations au sens de l’art. 21 al. 1, 2 ou 4 LPGA, les droits de l’assuré ou de ses survivants passent à l’assureur dans la mesure où les prestations non réduites, jointes à la réparation due pour la même période par le tiers, excèdent le montant du dommage (al. 2). Les droits qui ne passent pas à l’assureur restent acquis à l’assuré ou à ses survivants. Si seule une partie de l’indemnité due par le tiers responsable peut être récupérée, l’assuré ou ses survivants ont un droit préférentiel sur cette partie (al. 3).

Les droits passent à l’assureur pour les prestations de même nature (art. 74 al. 1 LPGA), l’indemnité pour atteinte à l’intégrité et l’indemnité à titre de réparation morale constituant notamment des prestations de même nature (art. 74 al. 2 let. e LPGA).

Consid. 2.1
Selon l’art. 73 al. 1 LPGA, la personne lésée bénéficie d’un droit préférentiel par rapport à l’assureur social exerçant son recours (KIESER, Kommentar ATSG, 4e éd. 2020, n. 8 ss ad art. 73 LPGA; KLETT/MÜLLER, in: Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, n. 13 ad art. 73 LPGA; FRÉSARD-FELLAY, in: Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n. 2 ad art. 73 LPGA [ci-après: FRÉSARD-FELLAY, CR LPGA]; HARDY LANDOLT, Genugtuungsrecht, 2e éd. 2021, p. 337 § 21.I.B.2 n. 1204). Ce droit préférentiel signifie que l’assurance ne peut exercer un recours au détriment du lésé. Si elle ne couvre qu’une partie du dommage, le lésé peut réclamer la partie non couverte au responsable, et l’assurance n’a un droit de recours que dans le cadre de la prétention en responsabilité qui subsiste ensuite (ATF 120 II 58 consid. 3c et les références). Ce droit préférentiel vise à préserver la personne lésée d’un dommage non couvert, mais ne doit pas conduire à son enrichissement (ATF 131 III 12 consid. 7.1; voir aussi sur l’ensemble de la question l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_204/2017 du 29 août 2017 consid. 8.3.2 et les références).

Consid. 2.2
Avant l’entrée en vigueur de la LPGA, la question de savoir si et dans quelle mesure ce droit préférentiel s’applique aux prétentions en réparation morale lors de la coordination avec une indemnité pour atteinte à l’intégrité était controversée dans la doctrine (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 316; arrêt du Tribunal fédéral 4A_631/2017 du 24 avril 2018 consid. 4.2; FRÉSARD-FELLAY, Le recours subrogatoire de l’assurance-accidents sociale contre le tiers responsable ou son assureur, 2007, p. 365 n. 1100 [ci-après: FRÉSARD-FELLAY, Le recours]; THOMAS FREI, Die Integritätsentschädigung nach Art. 24 und 25 des Bundesgesetzes über die Unfallversicherung, 1998, p. 171 ss).

Consid. 2.2.1
Une partie de la doctrine ne reconnaissait pas de différences essentielles avec les dommages-intérêts, mais se basait sur le fait que la jurisprudence tendait vers un traitement analogue du dommage et de la réparation morale (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 316; ALEXIS OVERNEY, L’indemnité pour atteinte à l’intégrité selon la LAA et l’indemnité à titre de réparation morale, in: FZR 1993 p. 239 ss, 254; LANDOLT, op. cit., p. 338 s. § 21.I.B.2 n. 1207 ss; voir aussi PIERRE TERCIER, La fixation de l’indemnité pour tort moral en cas de lésions corporelles et de mort d’homme, in: Mélanges Assista, 1989, p. 143 ss, 164).

Consid. 2.2.2
Une autre partie de la doctrine rejetait en principe l’application du droit préférentiel partiel, car la nature et la méthode de calcul de l’indemnité à titre de réparation morale différaient de la fixation des dommages-intérêts (SCHAER, Grundzüge des Zusammenwirkens von Schadensausgleichsystemen, 1984, p. 118 s. Rz. 325 – 329, p. 421 Rz. 1220; ALFRED KELLER, Haftpflichtrecht im Privatrecht, Bd. II, 2e éd. 1998, p. 223; PETER BECK, Quotenvorrecht und Genugtuung, in: SVZ 63/1995 p. 254 ss, 256 und 258 [ci-après: BECK, Quotenvorrecht]; JOSEF RÜTSCHE, Ausgewählte Probleme bei der Abwicklung eines Schadenfalles – aus der Sicht des UVG-Versicherers, in: Haftpflicht- und Versicherungsrechtstagung 1991, Tagungsbeiträge, Nr. 5, p. 16 s. III.1). Une indemnité à titre de réparation morale réduite correspondrait au préjudice moral moindre subi par la personne lésée, et la faute concomitante de la victime déterminerait l’ampleur du préjudice moral (KELLER, op. cit., p. 223). De plus, le texte de la loi ne parlerait que de dommage pour le droit préférentiel (BECK, Quotenvorrecht, op. cit., p. 256; KELLER, op. cit., p. 223; RÜTSCHE, op. cit., p. 17 III.1).

Consid. 2.2.3
Avant l’entrée en vigueur de la LPGA, le Tribunal fédéral a adopté une position intermédiaire. Il ne reconnaissait pas au lésé un droit préférentiel complet en cas de réduction de son droit à la réparation morale, mais ne laissait passer à l’assureur que la part des prestations fournies réduite à hauteur du taux de réduction selon le droit de la responsabilité civile (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 316; arrêt du Tribunal fédéral 4C.152/1997 du 25 mars 1998 consid. 7b). Le taux de réduction selon le droit de la responsabilité civile devait être déduit de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité non réduite (OFTINGER/STARK, Schweizerisches Haftpflichtrecht, vol. 1, 5e éd. 1995, p. 442 § 8 n. 55 y compris note 101; LANDOLT, op. cit., p. 338 § 21.I.B.2 n. 1205; FRÉSARD-FELLAY, Cr LPGA, op. cit., n. 43 ss ad art. 73 LPGA; chacun avec un exemple de calcul).

Consid. 2.2.4
Cette solution est issue de STARK (OFTINGER/STARK, op. cit., p. 442 § 8 N. 55) (BEATRICE GURZELER, Beitrag zur Bemessung der Genugtuung, 2005, p. 122; ALEXANDRE GUYAZ, Le tort moral en cas d’accident, in: SJ 2013 II p. 260; FREI, op. cit., p. 174). Selon cette interprétation, le droit préférentiel ne peut être appliqué que lorsqu’un montant de dommage est établi, qui peut être comparé au montant des dommages-intérêts. Ce n’est pas le cas pour la réparation morale; on ne peut pas déterminer numériquement le montant de la réparation morale sans motif de réduction et, s’il y en a un, son impact financier. Il n’y a pas de taux de réduction applicable. Au contraire, la réparation morale doit être fixée ex aequo et bono en tenant compte de tous les facteurs pertinents. Pour cette raison, le droit préférentiel ne peut pas être appliqué directement. L’une des variables de calcul, le dommage total, est indéterminée. C’est pourquoi seule une application par analogie des dispositions sur le droit préférentiel en matière de quote-part est envisageable, en réduisant la prestation d’assurance concernée pour le recours selon le taux de réduction prévu par le droit de la responsabilité civile (OFTINGER/STARK, op. cit., p. 442 § 8 N. 55).

Consid. 2.3
Si la solution de compromis a été partiellement approuvée (FRÉSARD-FELLAY, Le recours, op. cit., p. 368 n. 1108 ss.), elle a été critiquée par une partie importante de la doctrine (arrêt cité 4A_631/2017 E. 4.3; FRÉSARD-FELLAY, CR LPGA, N. 46 ad Art. 73 LPGA; ARNAUD NUSSBAUMER, L’arrêt du TF 4A_631/2017 du 24.4.2018: une précision jurisprudentielle discrète mais importante en matière de droit préférentiel du lésé, in: HAVE 2018 p. 401 ss 402; THOMAS KOLLER, Quotenvorrecht und Genugtuungsleistungen, in: AJP 1997 p. 1427 ss.; GURZELER, op. cit., p. 122 s.; FREI, op. cit., p. 174; WERRO, La responsabilité civile, 3e éd. 2017, p. 420 N 1485). La doctrine n’est pas unanime sur la question de savoir si la solution de compromis simplifie (FRÉSARD-FELLAY, Le recours, op. cit., p. 368 n. 1108 ss) ou complique (KOLLER, op. cit., p. 1431 s.) le règlement des cas de responsabilité civile.

La doctrine récente ne voit aucune raison d’écarter ou de limiter l’application du droit préférentiel selon l’art. 73 al. 1 LPGA en matière de réparation morale (BREHM, Berner Kommentar, 5e éd. 2021, N. 83-83c ad Art. 47 OR; LANDOLT, op. cit., p. 338 s. § 21.I.B.2 Rz. 1207 ss.; KLETT/MÜLLER, op. cit., N. 34 ad Art. 73 ATSG; WERRO/ PERRITAZ, in: Commentaire romand, Code des obligations I, 3e éd. 2021, N. 26 ad Art. 47 CO; MARC M. HÜRZELER, Extrasystemische Koordination: Regress der Sozialversicherer auf Haftpflichtige, in: Recht der Sozialen Sicherheit, Steiger-Sackmann/Mosimann [Hrsg.], 2014, p. 1336 Rz. 36.23; PETER BECK, Zusammenwirken von Schadenausgleichsystemen, in: Haftung und Versicherung, Weber/Münch [Hrsg.], 2. Aufl. 2015, p. 301 Rz. 6.148 [ci-après: BECK, Zusammenwirken]; cf. GURZELER, op. cit., p. 122 s.; FREI, op. cit., p. 174 s.). Même les adversaires initiaux du droit préférentiel partiel se prononcent désormais, par rapport à la solution de compromis, pour l’application du droit préférentiel complet (KELLER, op. cit., p. 225 ; BECK, Zusammenwirken, op. cit., p. 301, no 6.148).

Consid. 2.4
Le Tribunal fédéral a également reconnu qu’en cas de réduction en raison d’un état pathologique préexistant, il n’y avait pas de raison de priver le lésé du droit préférentiel prévu à l’art. 73 al. 1 LPGA (arrêt 4A_631/2017 consid. 4.5 cité). Il a laissé ouverte la question de savoir si la solution intermédiaire à la base de l’ATF 123 III 306 consid. 9b et de l’arrêt 4C.152/1997 consid. 7b avait encore sa raison d’être sous le régime de la LPGA, du moins en cas de réduction de la réparation morale pour faute concomitante (arrêt 4A_631/2017 consid. 4.5 cité).

Consid. 2.5
En l’espèce, l’instance précédente n’a pas réduit la réparation morale en raison d’un état maladif préexistant, mais en raison d’une faute concomitante. Se pose ainsi la question, laissée ouverte dans l’arrêt cité 4A_631/2017 consid. 4.5, de savoir si l’ATF 123 III 306 est encore pertinent. L’instance précédente ne justifie pas pourquoi elle n’applique pas le droit préférentiel partiel. On n’arrive à sa solution que si l’on n’accorde à la personne lésée aucun droit préférentiel en matière de réparation morale, contrairement à la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 123 III 306 consid. 9b; arrêts cités 4C.152/1997 consid. 7b; 4A_631/2017 consid. 4.5).

Consid. 2.6
Bien que le texte de loi ne mentionne toujours que le dommage pour le droit préférentiel, cela s’applique indépendamment du motif de réduction (faute concomitante ou état maladif préexistant) et ne s’oppose pas à l’application du droit préférentiel partiel selon l’arrêt cité 4A_631/2017. Le législateur a réglé le principe et l’étendue de la subrogation à l’assureur dans les art. 72 ss LPGA. Selon l’art. 74 al. 2 let. e LPGA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité et l’indemnité à titre de réparation morale constituent notamment des prestations de même nature. Le législateur est donc conscient que les prétentions en réparation morale sont également concernées par la subrogation. Le fait qu’il n’ait pas prévu de réglementation particulière à cet égard dans l’art. 73 LPGA plaide en faveur du fait que les indemnités à titre de réparation morale doivent en principe être également régies par le droit préférentiel, d’autant plus que le Tribunal fédéral a déjà reconnu le droit préférentiel dans sa jurisprudence publiée (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 316), bien que sous une forme atténuée, avant l’entrée en vigueur de la LPGA, et que le législateur ne voulait rien changer à la conception antérieure du droit préférentiel (KIESER, op. cit., n. 13 ad art. 73 LPGA et les références).

Consid. 2.7
Au vu de ce qui précède, il convient de se demander si le législateur aurait voulu s’en tenir à la solution de compromis de l’ATF 123 III 306 consid. 9b. Cependant, l’arrêt cité 4A_631/2017 consid. 4.5 ne partait déjà pas de cette hypothèse, sinon le Tribunal fédéral n’aurait pas pu y appliquer le droit préférentiel complet. En effet, l’ATF 123 III 306 ne concernait nullement un traitement particulier de la faute concomitante, mais abordait des problèmes généraux liés à la fixation de la réparation morale, qui se posent de la même manière pour tous les motifs de réduction :

Consid. 2.7.1
L’ATF 123 III 306 oppose la doctrine qui s’exprimait contre l’application du droit préférentiel – parce que la nature et la méthode de calcul de la réparation morale diffèrent de la fixation des dommages-intérêts – à celle qui ne reconnaît pas de différences essentielles avec les dommages-intérêts – se basant sur le fait que la jurisprudence actuelle tend vers un traitement analogue du dommage et de la réparation morale, et qu’il est approprié que le lésé soit d’abord entièrement indemnisé avant que des tiers qui ont encaissé des cotisations ou des primes n’entrent en jeu (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 316 ; OVERNEY, op. cit, p. 254). Le Tribunal fédéral a suivi la position intermédiaire qui, tout en reconnaissant les différences entre la réparation morale et les dommages-intérêts, préconise néanmoins une application analogique du droit préférentiel dans une mesure réduite (OFTINGER/STARK, op. cit., p. 442 § 8 N. 55). Si l’ATF 123 III 306 était appliqué qu’aux seuls cas de faute concomitante, il ne conserverait en aucun cas sa signification initiale, mais celle-ci devrait être redéfinie (NUSSBAUMER, op. cit., p. 403).

Consid. 2.7.2
Il n’est pas évident de voir en quoi les différences entre l’indemnité à titre de réparation morale et les dommages-intérêts, invoquées par les opposants au droit préférentiel, justifieraient un traitement différent selon le motif de réduction (faute concomitante ou état maladif préexistant). Dans ce dernier cas, ces différences ne s’opposaient toutefois pas à l’application du droit préférentiel complet dans ce dernier cas (arrêt cité 4A_631/2017 consid. 4.5). Cela peut aussi s’expliquer par le fait que la fixation du montant de la réparation morale est certes une décision selon l’équité et que son calcul ne doit donc pas se faire selon des critères schématiques. Le montant de l’indemnité à titre de réparation morale ne doit pas être évalué selon des tarifs fixes, mais doit être adapté au cas d’espèce. Cela n’exclut toutefois pas de procéder à l’évaluation du préjudice immatériel en deux phases : une phase de calcul objective avec un montant de base comme point de repère et une phase ultérieure prenant en compte les particularités du cas d’espèce (base de responsabilité, faute [concomitante], situation individuelle du lésé) (ATF 132 II 117 consid. 2.2.3 et les références). C’est ainsi qu’a procédé le tribunal dans l’arrêt 4A_631/2017 cité, de sorte que l’influence en pourcentage de l’état maladif préexistant sur le montant de la réparation morale était évidente (arrêt cité 4A_631/2017 consid. 3.3). L’instance précédente a également procédé de la sorte dans le jugement attaqué et a expressément indiqué que la part de faute concomitante était (au moins) d’un quart. Sur ce point, le cas à juger ne se distingue pas de l’arrêt 4A_631/2017 cité, lequel n’est pas compatible avec l’ATF 123 III 306. Il a d’ailleurs été compris dans la doctrine comme le signe d’un abandon imminent et bienvenu de l’ATF 123 III 306 (BREHM, op. cit., N. 83c ad Art. 47 OR; NUSSBAUMER, op. cit., p. 403; WEBER, Der Personenschaden im Wandel, in: Personen-Schaden-Forum 2021, p. 46).

Consid. 2.7.3
Si l’ATF 123 III 306 était limité aux cas de faute concomitante, il n’y aurait certes plus de contradiction avec l’arrêt 4A_631/2017 cité, mais la solution de compromis à la base de l’ATF 123 III 306 prendrait une importance que ni son auteur ni le Tribunal fédéral ne lui ont jamais attribuée. Même si des raisons pourraient éventuellement être trouvées pour un traitement différencié des motifs de réduction (et donc aussi pour la poursuite de la jurisprudence établie dans l’ATF 123 III 306 dans le sens d’un droit préférentiel partiel pour les cas de faute concomitante) (cf. KOLLER, op. cit., p. 1430; arrêt cité 4A_631/2017 consid. 4.5), il convient de noter qu’il en va de même, par analogie, pour le dommage (FRÉSARD-FELLAY, Le recours, op. cit., p. 380 n. 1148), pour lequel le législateur n’a pas prévu de traitement particulier de la faute concomitante dans le cadre du droit préférentiel (hormis l’art. 73 al. 2 LPGA). De ce point de vue, un traitement particulier de l’indemnité à titre de réparation morale en cas de réduction due à une faute concomitante ne semble pas indiqué.

Consid. 2.7.4
Si la faute concomitante de la victime devait effectivement influencer l’ampleur du préjudice moral (cf. KELLER, op. cit., p. 223), il faudrait alors distinguer si une réduction est effectuée en considérant que le tort à supporter apparaît plus petit en raison du motif de réduction que sans celui-ci (cette réduction resterait non affectée par le droit préférentiel), ou si la prétention en réparation morale de la personne lésée est réduite parce qu’il ne semble pas approprié, au vu du motif de réduction, de faire supporter à la personne responsable l’indemnité pleine correspondant au tort subi (ici le droit préférentiel s’applique).

Consid. 2.8
Ainsi, il existe des raisons pertinentes qui s’opposent au maintien de la solution selon l’ATF 123 III 306. Le recourant bénéficie en principe du droit préférentiel.

Consid. 3
Il ne ressort pas de l’arrêt attaqué que le préjudice moral ou les souffrances subies à la suite de l’écrasement de la main pendant le travail auraient été diminués par le fait qu’ils n’ont pas été causés uniquement par l’absence de dispositif de protection, mais aussi par une faute concomitante – les douleurs et les restrictions subies par le recourant n’en sont pas affectées. La décision attaquée ne peut pas être comprise ainsi. Sous cet angle également, le recourant peut se prévaloir du droit préférentiel. L’intimé conteste toutefois le calcul de la réparation morale effectué par l’instance précédente. En effet, le recourant ne peut déduire une quelconque prétention fondée sur le droit préférentiel que dans la mesure où l’indemnité à titre de réparation morale non réduite en raison d’une faute concomitante dépasse l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

Consid. 3.1
La défenderesse conteste le fait que l’instance inférieure ait augmenté l’indemnité de base de trois fois 10%.

Consid. 3.1.1 [résumé]
L’instance précédente a conclu que la défenderesse n’avait pas contesté certains changements de personnalité et le trouble de stress post-traumatique. Cependant, la défenderesse affirme que cette interprétation est erronée. Elle soutient n’avoir jamais reconnu ces éléments dans sa réponse, mais avoir simplement cité des expertises psychiatriques et des décisions de l’assurance-accidents et de l’AI. La défenderesse insiste sur le fait qu’elle n’a pas admis ces circonstances, mais les a au contraire contestées dans sa réponse

Consid. 3.1.2
Il est en outre contesté qu’un autre supplément doive être vu dans la perte de la carrière professionnelle ou dans la réinsertion infructueuse du recourant et dans l’atteinte à l’avenir économique. Les explications correspondantes dans les mémoires sont maintenues.

Consid. 3.2
Le recourant fait valoir que le recours joint est étranger à la procédure devant le Tribunal fédéral. L’objet du litige dans cette procédure est uniquement l’application du droit préférentiel. Les arguments avancés par la défenderesse doivent être écartés.

Consid. 3.3
L’objection du recourant n’est pas pertinente : la défenderesse aurait dû déposer son propre recours si elle avait voulu modifier en sa faveur le résultat de la décision attaquée (c’est-à-dire dans le dispositif). En ce sens, il n’existe effectivement pas de possibilité de former un recours joint (ATF 134 III 332 consid. 2.5). En revanche, selon une jurisprudence constante, il est admissible de contester dans la réponse au recours les considérants de l’instance précédente qui peuvent avoir des effets défavorables pour la partie ayant obtenu gain de cause dans la procédure cantonale. Cela correspondait à une pratique constante sous l’empire de l’OJ (déjà ATF 61 II 125 consid. 1; 118 II 36 consid. 3) et continue à s’appliquer sans changement sous le régime du recours en matière civile (arrêt du Tribunal fédéral 4A_605/2019 du 27 mai 2020 consid. 2.2 et la référence). Toutefois, les mêmes exigences de motivation que pour un recours s’appliquent. La réponse au recours n’y satisfait pas, dans la mesure où elle conteste la décision attaquée :

Consid. 3.3.1
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les simples renvois au dossier ne sont pas pertinents ; il faut exposer dans l’acte de recours lui-même en quoi le jugement attaqué viole le droit (ATF 143 II 283 consid. 1.2.3; 140 III 115 consid. 2; 133 II 396 consid. 3.2 avec références). De plus, le simple fait de s’en tenir aux arguments développés dans les écritures cantonales ne satisfait pas à l’exigence d’une discussion suffisante de la décision attaquée. Il n’y a pas lieu d’entrer en matière sur le grief relatif à l’avenir économique.

Consid. 3.3.2
Mais même en faisant abstraction de cela, la défenderesse ne démontre pas suffisamment ce qu’elle prétend avoir exposé précisément dans les passages cités par l’instance précédente (cf. sur les exigences y relatives : arrêts du Tribunal fédéral 4A_125/2024 du 5 août 2024 consid. 4.3; 4A_438/2023 du 9 janvier 2024 consid. 1.3.2; chacun avec références) et en quoi il serait manifestement insoutenable de conclure qu’elle n’a pas contesté les allégations de la partie adverse. Le fait qu’il n’y ait pas eu de reconnaissance expresse ne signifie pas que l’intimée ait contesté de manière juridiquement suffisante les allégations de la partie adverse, d’autant plus qu’aux endroits indiqués, elle ne fait «aucune remarque» sur certaines allégations du recours et renvoie elle-même à des pièces jointes à la demande. Une citation d’une expertise ainsi que des décisions de l’assurance-accidents ou de l’AI peut également indiquer que les allégations du demandeur ne sont pas contestées. La défenderesse devrait démontrer où et dans quelle mesure elle prétend avoir clairement contesté les circonstances invoquées par l’instance précédente. Une simple affirmation ne suffit pas à satisfaire aux exigences de motivation.

Consid. 3.4
Les griefs soulevés par la défenderesse s’avèrent insuffisamment motivés, de sorte que la décision attaquée demeure inchangée à cet égard. Elle ne soulève pas, dans sa réponse au recours, d’objections motivées de manière juridiquement suffisante contre le montant réclamé par le recourant. En l’absence d’arguments suffisamment étayés concernant l’ampleur de la réduction due à la faute concomitante, qui est fixée dans la décision attaquée à au moins 25%, la réduction effectuée par l’instance précédente est également maintenue sur ce point.

Consid. 4
Ainsi, le recours s’avère fondé, l’arrêt attaqué doit être annulé et la défenderesse doit être condamnée à payer au recourant CHF 9’500 avec intérêts à 5% depuis le 8 octobre 2010.

Conformément à l’issue de la procédure, la défenderesse est tenue de payer les frais et dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral, l’art. 65 al. 4 let. c LTF s’appliquant aux frais de justice. La cause est renvoyée à l’instance précédente pour qu’elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure cantonale.

 

Le TF admet le recours du lésé.

 

 

Remarques personnelles

Dans l’affaire jugé par le Tribunal fédéral, le montant dû par le responsable a été fixé à CHF 9’500, soit la différence entre l’indemnité pour tort moral fixé par l’instance cantonale à CHF 41’000 et l’indemnité pour atteinte à l’intégrité de CHF 31’500.

Cet arrêt du Tribunal fédéral marque un progrès significatif dans la protection des victimes. En clarifiant l’application du droit préférentiel en matière de tort moral, notre Haute Cour met fin à une pratique controversée issue de l’ATF 123 III 306, renforçant ainsi considérablement la position des victimes. Désormais, celles-ci peuvent bénéficier pleinement du droit préférentiel, y compris pour les indemnités pour tort moral, ce qui représente une avancée majeure dans la reconnaissance de leurs droits.

Cette décision uniformise le traitement du droit préférentiel, qu’il s’agisse de dommages matériels ou de tort moral, simplifiant ainsi la pratique juridique et assurant une plus grande cohérence dans l’application de la loi. Cette approche s’aligne parfaitement avec l’esprit de la LPGA et l’intention du législateur de protéger les intérêts des victimes d’accidents. En reconnaissant que la fixation de l’indemnité pour tort moral ne se distingue pas fondamentalement de l’indemnité pour dommage matériel, le Tribunal fédéral justifie un traitement similaire, ce qui contribue à une meilleure équité dans l’indemnisation des victimes.

En conclusion, cette décision représente une évolution positive du droit en faveur d’une meilleure protection des victimes. Elle reflète une compréhension plus nuancée et équitable des préjudices subis, notamment en ce qui concerne le tort moral, et devrait contribuer à l’avenir à une indemnisation plus juste et complète des victimes.

 

Arrêt 4A_312/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 4A_312/2024 (d) du 05.12.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/01/4a_312-2024)

 

 

8C_415/2023 (d) du 03.10.2024, destiné à la publication – Indemnité pour atteinte à l’intégrité – Amputation des deux jambes / Addition des deux taux de 50% – IPAI 100%

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_415/2023 (d) du 03.10.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité – Amputation des deux jambes / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Addition des deux taux de 50% – IPAI 100%

 

Assuré, né en 1999, travaillait dans un restaurant de sandwichs entre la fin de ses études gymnasiales et de son service militaire et le début prévu de ses études de physique. Le 08.02.2020, il a chuté du quai sous un train. En raison de l’amputation des deux membres inférieurs, l’assurance-accidents lui a accordé, par décision du 16.05.2022 confirmée sur opposition le 18.10.2022, une IPAI de 80% (CHF 118’560).

 

Procédure cantonale

Par jugement du 14.04.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, portant l’IPAI à 100% (CHF 148’200).

 

TF

Consid. 3
Le tribunal cantonal a correctement exposé les dispositions et principes concernant le droit à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité selon l’art. 24 al. 1 et 25 al. 1 LAA ainsi que l’annexe 3 de l’OLAA (en lien avec l’art. 25 al. 2 LAA). Il faut pour cela une atteinte importante et durable à l’intégrité physique ou mentale au sens d’un déficit anatomique, fonctionnel, mental ou psychique (ATF 115 V 147 consid. 1; 113 V 218 consid. 4b) avec une altération des fonctions vitales et de la qualité de vie (ATF 117 V 71 consid. 3a/bb/aaa). La gravité de l’atteinte à l’intégrité est évaluée en fonction des constatations médicales. À constat médical égal, l’atteinte à l’intégrité est la même pour tous les assurés ; elle est évaluée de manière abstraite et égalitaire dans l’assurance-accidents, sans tenir compte des circonstances particulières du cas d’espèce. Il ne s’agit pas non plus d’estimer le préjudice subi, mais de déterminer de manière médico-théorique l’atteinte à l’intégrité physique ou mentale, en faisant abstraction des facteurs subjectifs (ATF 133 V 224 consid. 5.1; 115 V 147 consid. 1 et les références; arrêt 8C_812/2010 du 2 mai 2011 consid. 6.2). Il est sans importance que l’atteinte puisse être plus ou moins complètement compensée grâce à un moyen auxiliaire, avec pour conséquence qu’elle n’a plus d’effet négatif dans la vie quotidienne ou seulement dans une moindre mesure. L’évaluation de l’atteinte à l’intégrité en cas de perte de fonction ou d’incapacité d’utilisation d’un organe doit donc se faire selon l’état non corrigé, même en cas d’utilisation de prothèses (ATF 115 V 147 consid. 3a; RAMA 2001 n° U 445 p. 555, U 40/01 consid. 4; RAMA 2003 n° U 496 p. 403, U 313/02 consid. 3 et 4; arrêt 8C_746/2022 du 18 octobre 2023 consid. 4.3).

Le jugement attaqué expose également de manière correcte les principes relatifs à la fixation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en cas de concours de plusieurs atteintes physiques, mentales ou psychiques résultant d’un ou plusieurs accidents (art. 36 al. 3 OLAA). Il convient de souligner que l’atteinte à l’intégrité doit être déterminée individuellement pour chaque perte. Si un ou plusieurs événements assurés entraînent différentes atteintes à l’intégrité, les pourcentages correspondant aux différentes atteintes doivent être additionnés, pour autant que les atteintes soient médicalement clairement établies et que leurs effets puissent être clairement distingués les uns des autres (ATF 116 V 156 consid. 3, en particulier 3b; SVR 2008 UV n° 10 p. 32, U 109/06 consid. 6; RAMA 1988 n° U 48 p. 230 consid. 2b; arrêts 8C_38/2024 du 28 juin 2024 consid. 2.3.2; 8C_300/2020 du 2 décembre 2020 consid. 4.3; 8C_19/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.4; 8C_826/2012 du 28 mai 2013 consid. 3.2; U 363/02 du 5 avril 2004 consid. 5). Si cette condition n’est pas remplie, il convient, conformément à la pratique, de vérifier le résultat par rapport à des dommages comparables selon le barème ou de procéder à une comparaison avec une atteinte plus importante répertoriée dans le barème. Cela a été le cas par exemple en cas d’intolérance persistante à la charge d’une jambe avec limitation des mouvements du genou et de la cheville ainsi que d’arthroses, ou en cas de tableau clinique avec vertiges, acouphènes et troubles de l’équilibre ainsi qu’un trouble psychique, chaque fois après des accidents de la circulation (voir en particulier les arrêts 8C_38/2024 du 28 juin 2024 consid. 4; 8C_826/2012 du 28 mai 2013 consid. 3.4; arrêt non publié U 100/98 du 30 novembre 1998 consid. 3b et 3c; en outre, arrêt U 179/94 du 16 août 1995 partiellement publié dans SJZ 1996 p. 127; arrêts non publiés U 314/98 du 5 juillet 1999 consid. 1; U 235/96 consid. 5b avec référence à RAMA 1989 n° U 78 p. 357 consid. 3f). L’atteinte à l’intégrité ne peut toutefois pas dépasser 100% au total (art. 36 al. 3 OLAA; ATF 116 V 156 consid. 3b; arrêt 8C_812/2010 du 2 mai 2011 consid. 4-6).

Il convient d’ajouter que le Tribunal fédéral n’est pas autorisé à contrôler la manière dont l’instance précédente a évalué l’atteinte à l’intégrité. Il ne peut intervenir qu’en cas d’exercice erroné du pouvoir d’appréciation (art. 24 al. 1 LAA; art. 95 let. a LTF; arrêts 8C_760/2023 du 24 juin 2024 consid. 3.3; 8C_193/2013 du 4 juin 2013 consid. 4.1).

Consid. 4.1
Selon l’instance cantonale, il y a bilatéralement une perte de la jambe au-dessus du genou au sens de la réglementation explicite de l’annexe 3 de l’OLAA. Cette lésion, considérée isolément, doit être indemnisée à 50%. Selon le tribunal cantonal, les deux indemnités pour atteinte à l’intégrité doivent être additionnées.

Consid. 4.2
L’assurance-accidents – recourante – fait valoir qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 100% au total ne se justifie pas au vu de la comparaison avec la perte d’intégrité en cas de tétraplégie fixée à 100% selon l’annexe 3 de l’OLAA et en particulier aussi compte tenu de la distinction qui y est faite par rapport à la paraplégie, indemnisée à 90%.

Consid. 5.1
Il est incontestable que les deux jambes présentent une perte au-dessus du genou. Il s’agit là d’atteintes médicalement évidentes. Ainsi, conformément à la pratique, la condition est remplie pour une addition des atteintes à l’intégrité expressément prévues dans l’ordonnance à raison de 50% chacune. Le fait que l’instance cantonale ait accordé à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 100% n’est donc pas critiquable.

Consid. 5.2
Même une appréciation du résultat correspondant d’une indemnité de 100% au regard d’autres atteintes éventuellement comparables recensés dans le barème ne pourrait rien y changer.

Selon la liste de l’annexe 3 de l’OLAA, un groupe d’atteintes très graves à l’intégrité est évalué entre 80 et 100%. C’est le cas de la tétraplégie ainsi que de la cécité totale (100%), de la paraplégie (90%), de la surdité totale (85%) et de l’atteinte très grave à la fonction pulmonaire ou rénale, du très grave trouble organique de la parole langage et du très grave syndrome moteur ou psycho-organique (80% chacun). Au sein de ce groupe d’atteintes très graves, il n’y a donc qu’une légère gradation de 20% au total. Viennent ensuite, avec un grand écart, évaluées chacune à 50%, la perte d’un bras au niveau du coude ou en dessus, la perte d’une jambe au-dessus du genou, la très grave défiguration et l’atteinte très grave et douloureuse au fonctionnement de la colonne vertébrale. Enfin, une multitude d’autres atteintes sont estimées jusqu’à 40%. L’assurance-accidents ne conteste pas qu’il faille classer la perte des deux jambes au-dessus du genou parmi les lésions les plus graves régies par l’annexe 3 de l’OLAA, puisqu’elle a elle-même accordé une indemnité de 80%. Il serait difficile de justifier pourquoi la perte des deux jambes entraînerait une perte d’intégrité moins importante qu’une tétraplégie, d’autant plus qu’un déficit anatomique s’ajoute ici au déficit fonctionnel.

De plus, il faut tenir compte du fait que le Tribunal fédéral n’intervient que dans le cas d’un exercice erroné du pouvoir d’appréciation. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_415/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_415/2023 (d) du 03.10.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/11/8c_415-2023)

 

8C_85/2023 (f) du 16.09.2024 – Rente transitoire – 19 LAA – 30 OLAA / Indexation du revenu sans invalidité [cf. mon commentaire] / Assistance judiciaire – 64 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_85/2023 (f) du 16.09.2024

 

Consultable ici

 

Rente transitoire / 19 LAA – 30 OLAA

Indexation du revenu sans invalidité [cf. mon commentaire] / 16 LPGA

Jurisprudence de l’AI pour les assuré-e-s de plus de 55 ans pas pertinente en LAA

Indemnité pour atteinte à l’intégrité – Aggravation future (arthrodèse) / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Assistance judiciaire – Ressources financières (fortune) du recourant / 64 LTF

 

Assuré, né en 1965, maçon-coffreur, victime d’un accident le 15.02.2017 : alors qu’il était en train de coffrer un mur, il a chuté d’une échelle à 2 mètres de hauteur. L’accident s’est soldé par une fracture ouverte du tibia distal gauche de grade 2, traitée chirurgicalement à plusieurs reprises.

Dès le 01.02.2018, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité entière.

Le 26.05.2021, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle mettrait fin au paiement des soins médicaux et de l’indemnité journalière avec effet au 01.06.2021. Par décision du 24 juin 2021, confirmée sur opposition le 18 octobre 2021, elle a constaté que l’assuré ne remplissait pas les critères établis par l’assurance-invalidité pour ouvrir le droit à des mesures professionnelles et, par conséquent, à une rente d’invalidité transitoire. Elle a également nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, étant donné que la comparaison des revenus de valide et d’invalide ne laissait qu’apparaître une perte économique de 7%. En revanche, elle lui a octroyé une IPAI d’un taux de 15%.

Dans son projet de décision du 08.09.2022, l’office AI a prévu de continuer le versement de la rente d’invalidité, notamment en raison de l’âge de l’assuré (plus de 55 ans) nécessitant au préalable la mise en œuvre de mesures de réadaptation, avant qu’une réduction ou une suppression de la rente d’invalidité soit effectuée.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2021 227 – consultable ici)

Par jugement du 15.09.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.5
En procédure devant le Tribunal fédéral, l’assuré s’en prend également au revenu de valide. En se référant au revenu fixé par l’OAI, il estime que celui-ci serait au moins de 81’444 fr., puisqu’il s’agirait du revenu réalisable en 2016 et que le revenu d’invalide aurait été indexé jusqu’en 2021.

Consid. 3.6
Pour déterminer le revenu de valide de 74’243 fr., l’assurance-accidents s’est fondée sur les informations remises par l’ancien employeur de l’assuré, et en particulier sur le salaire horaire de base pour 2020 (32 fr. 45) qu’elle a multiplié par les heures de travail conventionnelles annuelles (2112) puis par 8,33% pour le 13e salaire. En revanche, s’agissant du revenu d’invalide, l’assurance-accidents l’a indexé pour 2019 (x 0,9%) et 2020 (0,8%) et, pour l’année 2021, elle a tenu compte d’une « estimation trimestrielle de l’indexation actuelle », soit de 0,5%. Dans la mesure où il s’agit toutefois d’une simple estimation provisoire et que l’indexation, à ce moment-là, n’était pas établie au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 144 V 427 consid. 4.3 [ndr : la référence est erronée]), il n’y a pas lieu d’en tenir compte. Cela étant, cette modification n’est pas de nature à changer l’issue du recours, l’incapacité de gain résultant de la comparaison des revenus étant inférieur à 10% (cf. art. 18 al. 1 LAA).

En outre, l’assuré ne démontre pas en quoi le revenu de valide fixé par l’OAI à 81’444 fr. sur la base du revenu en 2016 serait davantage pertinent. On observera dans ce contexte que l’OAI semble avoir considéré à tort que le revenu inscrit au compte AVS individuel de l’assuré en 2016 avait été réalisé sur 9 mois plutôt que sur 10 mois.

 

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme; le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente. Le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur la naissance du droit aux rentes lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité quant à la réadaptation professionnelle intervient plus tard (art. 19 al. 3 LAA).

En se fondant sur cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 30 OLAA  qui, sous le titre « Rente transitoire », prévoit à son alinéa premier que lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité concernant la réadaptation professionnelle n’interviendra que plus tard, une rente sera provisoirement allouée dès la fin du traitement médical; cette rente est calculée sur la base de l’incapacité de gain existant à ce moment-là; le droit s’éteint dès la naissance du droit à une indemnité journalière de l’assurance-invalidité (let. a), avec la décision négative de l’assurance-invalidité concernant la réadaptation professionnelle (let. b) ou avec la fixation de la rente définitive (let. c).

Consid. 4.1.2
Selon la jurisprudence applicable en assurance-invalidité, il existe des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans révolus ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cette jurisprudence, qui est également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5), ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut pas, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, l’office de l’assurance-invalidité doit vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel, même si celui-ci a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste (arrêts 9C_670/2021 du 26 octobre 2022 consid. 4.1; 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 4.1; 9C_276/2020 du 18 décembre 2020 consid. 6 et les arrêts cités).

Consid. 4.2
L’assuré invoque une violation des art. 19 LAA et 16 LPGA en tant que la cour cantonale aurait nié l’application de la jurisprudence précitée en matière d’assurance-accidents. Selon lui, si on imputait aux assurés âgés de plus de 55 ans un revenu exigible alors même qu’ils n’ont pas encore bénéficié des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité, on rendrait les art. 19 al. 3 LAA et 30 OLAA lettres mortes pour cette catégorie d’assurés.

Consid. 4.3.1
L’allocation d’une rente transitoire au sens de l’art. 30 OLAA a pour but d’indemniser l’assuré de sa perte de gain avant l’octroi de mesures de réadaptation professionnelle de l’assurance-invalidité, qui pourraient modifier le degré d’invalidité fondant la rente de l’assurance-accidents. Elle n’entre en considération que si les mesures de réadaptation sont en lien avec une atteinte à la santé d’origine accidentelle (arrêt 8C_892/2015 du 29 avril 2016 consid. 4.1; PHILIPP GEERTSEN, in: Hürzeler/Kieser [édit.], Kommentar zum Schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, 2018, no 30 ad art. 19 LAA; JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in: Meyer [édit.], SBVR, Vol. XIV, Soziale Sicherheit – Sécurité sociale, 3ème éd. 2015, no 260 p. 985). La rente transitoire est fixée, comme la rente ordinaire ou « définitive », en fonction d’une comparaison de revenus. Toutefois, comme l’évaluation intervient avant l’exécution de mesures de réadaptation, seule entre en considération, à ce stade, l’activité qui peut être raisonnablement exigée de la part d’un assuré n’ayant pas encore bénéficié d’une telle mesure, compte tenu d’un marché du travail équilibré. Pour le surplus, la méthode d’évaluation de l’invalidité est identique (ATF 139 V 514 consid. 2.3; GEERTSEN, op. cit., no 37 ad art. 19 LAA; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, no 260 p. 985).

Consid. 4.3.2
Dans le domaine de l’assurance-accidents, l’art. 28 al. 4 OLAA prescrit de prendre en considération, pour évaluer le degré d’invalidité d’un assuré qui n’a pas repris d’activité lucrative après l’accident en raison de son âge, ou dont la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé, les revenus que pourrait réaliser un assuré d’âge moyen dont la santé aurait subi une atteinte de même gravité.

Consid. 4.3.3
En l’espèce, l’OAI envisage l’allocation de mesures de réadaptation professionnelle parce que l’assuré, dont la suppression de la rente de l’assurance-invalidité est envisagée, est âgé de plus de 55 ans. La jurisprudence considère en effet que sauf cas particulier, son âge l’empêche de mettre en valeur sa capacité résiduelle de gain sans mesure de réadaptation professionnelle (cf. consid. 4.1.2 supra). Cette considération n’est toutefois pas pertinente dans le contexte d’une comparaison de revenus pour fixer le droit à la rente de l’assurance-accidents, compte tenu de l’art. 28 al. 4 OLAA, qu’il s’agisse d’une rente transitoire ou d’une rente ordinaire « définitive » (dans ce sens également, arrêt 8C_212/2017 du 1er février 2018 consid. 4.3 et les références). Il s’ensuit que l’assurance-accidents et les juges cantonaux étaient en droit de procéder à une comparaison de revenu en prenant en considération la capacité résiduelle de travail de l’assuré dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, sans égard au fait que des mesures de réadaptation étaient envisagées par l’assurance-invalidité en raison de son âge. Dès lors que le taux d’invalidité résultant de cette comparaison est inférieur à 10%, il n’ouvre droit ni à une rente transitoire, ni à une rente ordinaire « définitive ».

 

Consid. 5.1
L’atteinte à l’intégrité au sens de l’art. 24 al. 1 LAA consiste généralement en un déficit corporel (anatomique ou fonctionnel) mental ou psychique. La gravité de l’atteinte, dont dépend le montant de l’indemnité, se détermine uniquement d’après les constatations médicales. L’évaluation incombe donc avant tout aux médecins qui doivent, d’une part, constater objectivement quelles limitations subit l’assuré et, d’autre part, estimer l’atteinte à l’intégrité en résultant (arrêt 8C_656/2022 du 5 juin 2022 consid. 3.4 et les références citées).

Consid. 5.2
Pour déterminer l’IPAI, les juges cantonaux se sont fondés sur l’appréciation médicale de la médecin-conseil. Dans son rapport du 08.07.2019, cette spécialiste a indiqué que son estimation se basait sur la table 5 des barèmes d’indemnisation pour atteinte à l’intégrité selon la LAA pour une arthrose talo-crurale de la cheville gauche et une mobilité réduite en flexion/extension à 15-0-0°, par analogie à une arthrose tibio-tarsienne de la cheville gauche de degré moyen à grave, soit 15%. Elle a ajouté que cette estimation se fondait sur l’appréciation actuelle et le scanner du 27.05.2019 et qu’elle devra être modifiée en cas d’aggravation.

Consid. 5.3
L’assuré conteste cette appréciation en faisant valoir qu’elle ne tiendrait pas compte de l’aggravation qui serait établie par le fait qu’une arthrodèse serait proposé par les spécialistes. Il estime que le dossier présente des lacunes et que les juges cantonaux auraient substitué leur propre appréciation à celle des médecins.

Consid. 5.4
Si une arthrodèse a été proposée à l’assuré, ce n’est pas parce que l’état de sa cheville gauche s’était aggravé, mais dans un but thérapeutique afin de soulager ses douleurs. Après un examen complet des rapports médicaux pertinents, la cour cantonale a conclu à bon droit qu’une aggravation de l’état du pied gauche n’avait pas pu être objectivée, malgré les nombreux examens qui avaient été effectués à la CRR, notamment un ENMG, un SPECT-CT ainsi que des radiographies du pied et de la cheville gauches. En l’absence d’un avis médical contraire, c’est aussi à juste titre, qu’elle s’est fondée sur l’appréciation de la médecin-conseil pour fixer l’IPAI à 15%, sans qu’il fût nécessaire d’administrer des preuves supplémentaires (cf. ATF 148 V 356 consid. 7.4 sur l’appréciation anticipée des preuves).

 

Consid. 6.2.1
Aux termes de l’art. 64 al. 1 LTF, si une partie ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec, le Tribunal fédéral la dispense, à sa demande, de payer les frais judiciaires et de fournir des sûretés en garantie des dépens. Il attribue un avocat à cette partie si la sauvegarde de ses droits le requiert (art. 64 al. 2 LTF).

Consid. 6.2.2
La condition de l’indigence est réalisée si la personne concernée ne peut assumer les frais du procès sans entamer les moyens nécessaires à son entretien et à celui de sa famille (ATF 128 I 225 consid. 2.5.1; 127 I 202 consid. 3b et les arrêts cités). Pour déterminer l’indigence, il y a lieu de tenir compte de la situation financière du requérant dans son ensemble, soit d’une part de ses charges et, d’autre part, de ses ressources effectives. Il faut également tenir compte de sa fortune, pour autant qu’elle soit disponible (ATF 144 III 531 consid. 4.1; 124 I 1 consid. 1a; 124 I 97 consid. 3a). En cas de mariage, sont pris en considération les ressources et la fortune de la conjointe ou du conjoint (ATF 115 Ia 193 consid. 3a). L’État ne peut toutefois exiger que la partie requérante utilise ses économies, si elles constituent sa « réserve de secours », laquelle s’apprécie en fonction des besoins futurs de l’indigent selon les circonstances concrètes de l’espèce, tel l’état de santé et l’âge de la partie requérante (ATF 144 III 531 consid. 4.1).

Consid. 6.2.3
En l’espèce, il ressort du questionnaire pour l’assistance judiciaire que les dépenses de l’assuré et de sa conjointe dépassent leurs revenus. Cependant, les époux disposent d’une fortune liquide de 206’764 fr., placée sur divers comptes bancaires en Suisse et à l’étranger. L’assuré ne démontre pas qu’il ne pourrait pas disposer librement de ce montant, qui dépasse largement une éventuelle « réserve de secours ». Il dispose ainsi d’une fortune suffisante et disponible pour supporter les frais judiciaires et les honoraires de l’avocat qu’il a mandaté, si bien que la condition de l’indigence n’est pas réalisée. Une des conditions cumulatives de l’octroi de l’assistance judiciaire faisant défaut, la requête d’assistance judiciaire doit être rejetée sans qu’il soit nécessaire d’en examiner les autres.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Remarques personnelles

Le raisonnement du Tribunal fédéral au considérant 3.6, selon lequel une « simple estimation provisoire » ne suffit pas pour l’indexation du revenu sans invalidité à 2021, soulève quelques interrogations.

Premièrement, il convient de noter une possible erreur de référence concernant l’ATF 144 V 427 consid. 4.3 cité. Cette décision traite de l’indemnité en cas d’insolvabilité et de la vraisemblance des créances de salaire, sans comporter de considérant 4.3. Bien que compréhensible, cette imprécision mériterait d’être clarifiée pour assurer une base jurisprudentielle solide.

La position du Tribunal fédéral sur l’insuffisance de l’estimation trimestrielle de l’Office fédéral de la statistique (OFS) pour établir l’indexation au degré de la vraisemblance prépondérante soulève des questions pratiques importantes. Il serait bénéfique que le Tribunal fédéral précise la méthodologie à suivre pour l’indexation des revenus avec et sans invalidité dans de telles circonstances, notamment lorsque les données définitives ne sont pas encore disponibles au moment de la décision.

De jurisprudence constante, la comparaison des revenus s’effectue lorsque toutes les conditions sont réalisées, notamment celles de l’art. 19 al. 1 LAA en assurance-accidents. Dans le cas jugé, l’état de santé a été considéré comme stabilisé en 2021, impliquant que les revenus avec et sans invalidité doivent refléter cette année-là. Cependant, au moment de la décision sur opposition en octobre 2021, l’indexation définitive pour 2021 n’était pas encore disponible, créant ainsi un dilemme pratique pour les organes décisionnels ou pour l’assuré dans le cadre de son recours.

Dans ce contexte, il serait particulièrement utile que le Tribunal fédéral clarifie la méthode à appliquer pour calculer les revenus avec et sans invalidité. Plusieurs options se présentent, chacune avec ses avantages et inconvénients :

  • Utiliser l’indexation définitive jusqu’en 2020 risquerait de ne pas refléter fidèlement, au sens de la vraisemblance prépondérante, la situation économique de 2021.
  • Reprendre le taux d’indexation de 2020 pour 2021 pourrait ne pas tenir compte des évolutions économiques récentes.
  • Utiliser l’estimation provisoire de l’OFS pour 2021, bien qu’imparfaite, pourrait être considérée comme la donnée la plus probante – au sens de la vraisemblance prépondérante – disponible au moment de la décision.

Il est important de rappeler que la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Dans le cas jugé, lors de l’établissement de la décision sur opposition le 18.10.2021, l’estimation provisoire de l’OFS semblait être la meilleure approximation disponible, en l’absence d’autres données plus fiables.

En conclusion, il serait donc appréciable que le Tribunal fédéral apporte des précisions sur les modalités d’indexation à appliquer dans de telles situations, en tenant compte des contraintes pratiques et des données disponibles au moment de la décision. Une telle clarification permettrait non seulement d’assurer une plus grande sécurité juridique, mais aussi de faciliter le travail des organes d’application du droit et des tribunaux inférieurs, tout en garantissant un traitement équitable et cohérent des assurés.

 

Arrêt 8C_85/2023 consultable ici

 

 

8C_799/2023 (f) du 03.09.2024 – Stabilisation de l’état de santé / Estimation de l’IPAI – Valeur probante de l’appréciation médicale du médecin-conseil

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_799/2023 (f) du 03.09.2024

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Estimation de l’IPAI – Valeur probante de l’appréciation médicale du médecin-conseil / 24 LAA – 25 LAA

 

Le 19.07.2017, assuré, né en 1972, a été victime d’un accident dans un parc d’attractions. Alors qu’il était assis sur un rocher, il a été projeté en l’air par un jet d’eau et a chuté de quelques mètres sur le sol. La chute lui a causé des fractures lombaires (en L1, L2 et L4).

L’assurance-accidents a pris en charge les frais médicaux et a versé l’indemnité journalière jusqu’au 30.06.2020, considérant qu’à partir de cette date, la poursuite du traitement médical ne pourrait pas apporter d’amélioration significative à l’état de santé consécutif à l’accident. Par décision du 19.06.2020, elle a refusé de lui allouer une rente d’invalidité, en raison d’un taux d’invalidité de 2%, soit insuffisant pour ouvrir le droit à une telle prestation. En revanche, elle lui a reconnu le droit à une IPAI de 15%. Saisie d’une opposition, elle l’a rejetée, tout en modifiant légèrement le calcul du taux d’invalidité; elle indiquait en outre que le droit de l’assuré à des prestations en lien avec une rechute serait examiné séparément (décision sur opposition du 26.11.2021).

 

Procédure cantonale (arrêt AA 8/22 et 41/22 – 116/2023 – consultable ici)

Par jugement du 02.11.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.3.1
En ce qui concerne d’abord la question de la stabilisation de l’état de santé, il sied de rappeler que le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme; le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (art. 19 al. 1 LAA). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Il ne suffit pas qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_682/2023 et 8C_695/2023 du 24 avril 2024 consid. 3.1.1 et les références).

Consid. 3.3.2
En l’espèce, les juges cantonaux ont confirmé que l’état de santé de l’assuré était stabilisé en mai 2020 (et qu’il était en mesure de travailler à un taux de 100% dans une activité adaptée), en se fondant sur l’appréciation du Dr E.__, médecin-conseil, du 25.05.2020, confirmée par le Dr C.__, médecin-conseil, le 05.05.2021. Ils ont relevé que les médecins consultés n’avaient pas d’autre traitement médical à proposer en dehors de l’ablation du matériel d’ostéosynthèse (toutefois refusée par l’assuré), d’un traitement conservateur et de la physiothérapie, ce qui ne constituait pas des traitements susceptibles d’améliorer notablement l’état de santé de celui-ci (référence faite à l’arrêt U 551/06 du 14 décembre 2017 consid. 7.3). Ainsi, faute d’amélioration possible, le cas de l’assuré devait être considéré comme stabilisé au printemps 2020. Les médecins de la Clinique F.__ avaient d’ailleurs évoqué une stabilisation médicale dans un délai de deux à trois mois après le séjour de l’assuré du 15.01.2020 au 11.02.2020. La stabilisation avait en outre été reconnue par l’assuré lui-même lors d’une consultation de l’appareil locomoteur du 05.05.2020 et par la voix de son avocat dans son opposition du 24.08.2020.

Consid. 3.3.4
En faisant valoir que les médecins dont il invoque les rapports ne constateraient pas clairement la stabilisation de son état de santé en mai 2020, l’assuré ne démontre pas, ni même ne prétend, que l’on pouvait encore attendre de la continuation d’un traitement médical une sensible amélioration de son état de santé au sens de l’art. 19 al. 1 LAA. En l’occurrence, dans aucun des rapports cités par lui, il n’appert qu’un traitement médical était encore envisagé au moment où l’assurance-accidents a mis fin aux prestations temporaires. D’ailleurs, dans son rapport relatif à la consultation du 05.05.2020, le Dr G.__ (chef de clinique à la Clinique F.__) ne préconise même plus la continuité de la physiothérapie. Enfin, contrairement à ce que fait valoir l’assuré, dans son rapport du 06.10.2021, le Dr D.__, médecin praticien, ne soutient pas que seule une expertise permettrait de savoir si l’état de santé était stabilisé ou non au moment déterminant. Il se limite à indiquer qu’une expertise serait certainement nécessaire pour examiner si la péjoration de l’équilibre sagittale intervient ou non sur une structure déjà atteinte non touchée par le traumatisme, question qui tout au plus relève de la procédure ouverte à l’annonce de la rechute en automne 2020.

 

Consid. 3.5.1
Pour ce qui est de l’IPAI, la cour cantonale a confirmé le taux de 15% retenu par l’assurance-accidents sur la base des conclusions du Dr E.__, médecin-conseil, du 18.05.2020, lequel s’est référé à la table 7 du barème d’indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA dans les affections de la colonne vertébrale (fourchette basse de la catégorie de douleurs ++). Elle a relevé que ce taux avait été confirmé par le Dr C.__, médecin-conseil, dans son évaluation du 05.05.2021. L’assuré ne pouvait opposer à cette appréciation les conclusions du Dr D.__ du 25.11.2020 estimant le taux de l’atteinte à 30%, dès lors que ce médecin additionnait deux facteurs qui ne pouvaient pas être cumulés et que ses conclusions concernaient la période postérieure à la rechute. Ainsi, il convenait de suivre l’avis du premier médecin-conseil qui n’était remis en doute par aucun autre avis médical circonstancié et objectivé.

 

Consid. 3.5.3
En l’occurrence, les conclusions relatives à l’IPAI du 18.05.2020 du Dr E.__ – qui a examiné personnellement l’assuré en octobre 2019 – font partie de son appréciation globale du 25.05.2020, laquelle tient compte des pièces jusqu’au 11.05.2020 et non jusqu’en février comme le soutient l’assuré. Son avis n’est pas dépourvu de motivation dès lors que le médecin indique la table sur laquelle il s’est fondé et, à l’intérieur de celle-ci, l’atteinte retenue (degré et échelle d’appréciation des douleurs), en précisant que le taux tient compte d’un état préexistant et de l’évolution à moyen terme. A cet égard, les critiques de l’assuré sur le descriptif lacunaire de l’accident (absence de mention d’un atterrissage sur sol rocailleux) sont dépourvues de pertinence, l’IPAI ne s’examinant pas au regard du déroulement d’un accident mais à l’aune des lésions subies. Quant aux rapports médicaux qu’il invoque, ils ne contiennent aucune estimation de l’atteinte à l’intégrité. Enfin, comme l’ont relevé les juges cantonaux, l’appréciation du Dr D.__ du 25.11.2020 (soit après l’annonce de la rechute) relève d’un cumul erroné entre un taux de 15% pour des fractures de catégorie 10-20° et un taux de 15% pour une spondylodèse. Or, selon la table 7 appliquée par ce médecin, les taux décrits sous fractures cervicales, dorsales ou lombaires comprennent précisément les cas de spondylodèse, cyphose ou scoliose. C’est bien ce qu’explique le Dr C.__ dans son rapport relatif à l’examen du 05.05.2021, qui ne contredit pas expressément l’appréciation du Dr E.__ mais tient compte de l’état de santé au jour de l’examen (et donc postérieur à l’annonce de la rechute). En conclusion, l’assuré échoue à mettre en doute le taux de 15% retenu par les juges cantonaux, sur la base des conclusions du Dr E.__ du 18.05.2020.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_799/2023 consultable ici

 

Atteinte à l’intégrité en cas de lésion oculaire – Révision de la table 11

Atteinte à l’intégrité en cas de lésion oculaire – Révision de la table 11

 

Article de Dominik Gerber Hostettler/Karen Jäger, in Suva Medical du 30.09.2024 consultable ici

 

Vingt-six ans après sa dernière révision, le tableau IpAI 11 de la Suva, relatif aux lésions oculaires consécutives à un accident, a fait l’objet d’une nouvelle révision afin de tenir compte des progrès de la médecine. Les erreurs mathématiques ont été corrigées, les données concernant la restriction du champ visuel et la diplopie ont été intégrées dans un document, et la lisibilité a été simplifiée.

Situation initiale

La loi fédérale sur l’assurance-accidents de 1984 a introduit le versement d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité en cas de lésions corporelles importantes et persistantes. Dans l’ordonnance d’exécution de cette loi, le Conseil fédéral a défini des valeurs pour certains tableaux cliniques. Sur cette base, la Suva a développé différents tableaux afin d’uniformiser les évaluations correspondantes. Le tableau 11, révisé pour la dernière fois en 1998, concerne les lésions oculaires consécutives à un accident.

Cependant, certaines sections de ce tableau sont désormais obsolètes dans la pratique. Certaines ne semblent plus réalistes d’un point de vue médical, en tenant compte des progrès thérapeutiques et des avancées de la médecine.

De plus, une section comporte des erreurs mathématiques (tableau «Lésions oculaires combinées», dernière page du tableau 11 révisé en 1998), où des atteintes plus graves à la santé se traduisent parfois par une atteinte à l’intégrité plus faible.

En outre, les informations relatives à l’évaluation des atteintes à l’intégrité en cas de diplopie et de restrictions du champ visuel sont présentées de manière très sommaire. En interne, la Suva évaluait ces atteintes sur la base d’une publication élaborée en 1994 (Guide sur les lésions oculaires 1994, ABAS94, publication Suva 2293/5). Cette publication n’a pas été numérisée, ce qui la rendait quasiment inaccessible au grand public et aux experts.

Pour toutes ces raisons, il a été décidé de réviser le tableau 11. Cette révision vise à intégrer les progrès médicaux significatifs réalisés au cours des 25 dernières années, à corriger les erreurs mathématiques et à regrouper dans un seul document les informations concernant les restrictions du champ visuel et la diplopie.

Un autre objectif est de simplifier la lisibilité pour les utilisateurs et utilisatrices moins expérimentés.

Dans l’ensemble, il ne s’agit pas d’une révision complète, car l’évaluation des atteintes ophtalmologiques reste globalement inchangée, avec peu de modifications concernant les atteintes à l’intégrité correspondantes.

 

Réflexions et commentaires relatifs à la révision

Structure du tableau 11

En guise d’introduction, les remarques générales rappellent brièvement les bases juridiques, tandis que les autres sections fournissent des valeurs indicatives pour les atteintes à l’intégrité consécutives à différentes lésions ophtalmologiques, avec, le cas échéant, une brève justification.

 

Révision des paragraphes individuels

Introduction, remarques générales
Cette section présente brièvement les bases légales, à savoir la LAA et l’OLAA, pour l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité, ainsi que certaines réflexions fondamentales.

La remarque relative aux tableaux de Rintelen, encore présente dans la révision de 1998, a été supprimée. Bien que ces tableaux de 1954 soient intéressants d’un point de vue historique, ils ne sont plus connus ni utilisés dans la pratique actuelle. Les principales réflexions qu’ils contiennent restent valables et ont été intégrées aux connaissances de base en ophtalmologie moderne. Il en va de même pour le Vademecum de la Société Suisse d’Ophtalmologie, qui n’a pas été mis à jour depuis plusieurs décennies et n’est plus disponible.

Il en est de même pour la remarque relative aux lésions préexistantes non assurées. Ces considérations restent valables dans une approche pluridisciplinaire des réflexions générales sur l’atteinte à l’intégrité. La remarque sur les risques de lésions ultérieures est également obsolète. En effet, selon l’art. 36 OLAA, il convient de tenir équitablement compte des aggravations prévisibles.

  1. Diminution unilatérale de la vision

L’indication de la vision de loin est reprise telle quelle de la révision de 1998, bien que la vision ne soit désormais plus exprimée en valeurs décimales (1,0 ; 0,9 ; 0,8 ; 0,7 ; … 0,1 ; 0), mais en échelle logarithmique (1,0 ; 0,8 ; 0,63 ; 0,5 ; … 0,16 ; 0,1 ; 0,08 ; 0,05 ; 0,0). Toutefois, dans la pratique clinique, les indications en échelle décimale sont encore couramment utilisées, et elles sont donc conservées pour l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité. En plus du fait que des valeurs d’atteinte à l’intégrité étaient déjà attribuées dans la révision de 1998 pour des niveaux de vision plus faibles, cette reprise permet d’assurer l’égalité de traitement de tous les cas dans la révision actuelle.

L’objectif est de remédier à une incertitude fréquente dans l’estimation de l’atteinte à l’intégrité. Désormais, on accorde davantage d’importance au potentiel visuel, c’est-à-dire à la vision de loin probablement atteignable avec une correction optimale et après la clôture définitive du cas (voir également les paragraphes «Aphakie» et «Anisométropies»). Il n’est pas rare, dans la médecine des assurances, qu’une nouvelle intervention soit réalisée des années après la clôture du cas et l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité, permettant ainsi de mieux exploiter le potentiel visuel. Par exemple, une cicatrice cornéenne, dont le traitement chirurgical avait été refusé au moment de la clôture (par les médecins traitants ou la personne assurée, par exemple en raison d’un risque jugé trop élevé), peut être opérée ultérieurement si une amélioration des techniques chirurgicales rend l’intervention plus facile, plus sûre et plus fiable. Dans un tel cas, l’atteinte à l’intégrité pourrait alors avoir été nettement surévaluée.

  1. Pseudophakie, aphakie

De nos jours, l’aphakie consécutive à un accident est rarement un état permanent. Dans la grande majorité des cas, la lentille intraoculaire manquante peut être remplacée ultérieurement par une lentille artificielle (implantation de lentille secondaire), parfois plusieurs années après. Il n’est donc plus justifié d’évaluer l’atteinte à l’intégrité séparément pour l’aphakie. Si la clôture administrative du cas est souhaitée, il convient plutôt de présumer une future pseudophakie (implantation d’une lentille artificielle après l’ablation du cristallin) pour estimer l’atteinte à l’intégrité. Si une implantation secondaire n’est pas pertinente ou possible médicalement, notamment en cas d’autres atteintes affectant la vision, l’atteinte à l’intégrité doit être évaluée selon le paragraphe 2 (Diminution unilatérale de la vision) ou le paragraphe 9 (Lésions oculaires combinées). Il est bien entendu possible de déroger à cette prescription avec une argumentation d’expert appropriée, c’est-à-dire en justifiant une autre évaluation de l’atteinte à l’intégrité.

  1. Anisométropies

À partir d’un certain degré, les anisométropies (importantes différences de réfraction entre les deux yeux) ne peuvent plus être corrigées par des lunettes, en principe lorsque la différence dépasse 3,0 dioptries entre les deux yeux. Dans ce cas, le traitement doit être réalisé avec des lentilles de contact ou par une intervention réfractive. Ainsi, l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité doit prendre en compte la vision pouvant être obtenue après une correction optimale, conformément au paragraphe 2. Cette prescription peut également être contournée sur la base d’une argumentation d’expert appropriée.

  1. Dommages esthétiques

Les problèmes répartis sur différents paragraphes dans la révision de 1998 ont été regroupés en une seule section. Seuls les cas dûment justifiés donnent lieu à l’estimation d’une atteinte à l’intégrité supplémentaire de plus de 5%. Pour la perte de la vision d’un œil, le législateur fixe une atteinte à l’intégrité de 30% comme atteinte maximale. Par exemple, la fourniture d’une prothèse oculaire doit être évaluée avec une atteinte à l’intégrité de 35% (cela correspond à une cécité unilatérale totale associée à une altération esthétique, atteinte à l’intégrité 30 + 5 = 35%).

  1. Diplopie

La diplopie n’a été prise en compte que de manière sommaire dans la révision de 1998. Afin de préciser l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité, la pratique interne de la Suva s’est référée à la publication 2293/5 de la Suva, le Guide sur les lésions oculaires 1994 (ABAS94), et a procédé à l’estimation de l’atteinte à l’intégrité conformément au chiffre 931. La publication ABAS94 n’a pas été mise à jour et n’a pas de version numérique. C’est pourquoi cette publication n’est plus accessible pour la plupart des utilisateurs et utilisatrices externes de la Suva. L’intégration du graphique correspondant dans le tableau 11 est donc logique.

  1. Restrictions du champ visuel

À l’instar de l’évaluation de la diplopie, l’évaluation des restrictions du champ visuel était également réalisée en interne par la Suva à l’aide du Guide ABAS94. Les valeurs ont été précisées et intégrées dans le tableau 11.

  1. Lésions oculaires combinées

Le tableau «Lésions oculaires combinées» de la révision de 1998 comportait des erreurs et a fait l’objet d’un nouveau calcul ainsi que d’un contrôle par l’actuaire interne de la Suva.

 

Résumé

Les auteurs de la révision de 2024 du tableau 11 ont visé à établir une publication indépendante permettant d’évaluer de manière cohérente les atteintes à l’intégrité sur la base des troubles de la santé ophtalmologiques consécutifs à un accident. Il s’agit d’une part de fournir suffisamment de points de repère, et d’autre part de laisser une marge de manœuvre suffisante aux différentes évaluations d’experts. Les écarts par rapport aux valeurs d’atteinte à l’intégrité dans le tableau 11 peuvent être justifiés par une argumentation d’expert.

La publication ABAS94, utilisée jusqu’à présent en interne à la Suva et quasiment inaccessible aux experts externes, a été intégrée au tableau 11.

On s’est en outre efforcé de mieux tenir compte des progrès de la médecine ophtalmologique. Cela concerne en particulier la meilleure vision atteignable, l’aphakie et l’anisométropie.

Enfin, la révision de 2024 doit fournir une application compréhensible également pour les utilisateurs les moins expérimentés.

 

Article de Dominik Gerber Hostettler/Karen Jäger, in Suva Medical du 30.09.2024 consultable ici

Nouvelle table 11 consultable ici

 

Dominik Gerber Hostettler/Karen Jäger, Integritätsschaden unfallbedingter Augenschäden: Revision Tabelle 11, Suva Medical 30.09.2024, hier abrufbar

 

NB : Notre page «Tables des indemnisations des atteintes à l’intégrité selon la LAA» a été mise à jour.

 

8C_384/2023 (d) du 04.04.2024 – Troubles psychiques – Plaie au visage par une tronçonneuse – Causalité adéquate niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_384/2023 (d) du 04.04.2024

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité et troubles psychiques / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Plaie au visage par une tronçonneuse – Accident de gravité moyenne stricto sensu – Circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou caractère particulièrement impressionnant de l’accident pas présent de de manière particulièrement marquante

Causalité adéquate niée / 6 LAA

 

Assuré, né en 1960, ouvrier qualifié du bâtiment depuis le 01.12.1982. Le 28.02.2019, lors d’un accident de travail avec la tronçonneuse à moteur, il a subi une coupure complexe dans la partie droite du visage, qui a été traitée chirurgicalement le jour même à la clinique de chirurgie plastique et de chirurgie de la main de l’hôpital C.__.

Par courrier du 23.04.2020, l’assurance-accidents a informé l’assuré de la fin de la prise en charge des frais de traitement médical et des indemnités journalières au 31.05.2020. Par décision du 05.05.2020, elle a nié le droit à une rente d’invalidité et a précisé que le montant de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité serait décidé ultérieurement. Par décision sur opposition du 28.08.2020, entrée en force, l’assurance-accidents a maintenu sa position.

Par décision du 09.03.2021, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une IPAI de 5%. Dans le cadre de la procédure d’opposition, l’administration a annulé la décision litigieuse et a procédé à des examens médicaux complémentaires. Par nouvelle décision du 11.02.2022, confirmée sur opposition le 20.06.2022, l’assurance-accidents a confirmé l’IPAI de 5%.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2022.00135 – consultable ici)

Par jugement du 27.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
En ce qui concerne les limitations psychiques invoquées comme atteinte à l’intégrité, l’instance cantonale a laissé ouverte la question du lien de causalité naturelle et a examiné la causalité adéquate selon la jurisprudence relative aux conséquences psychiques d’un accident (ATF 115 V 133). Ce faisant, elle s’est basée sur un accident de gravité moyenne stricto sensu et a considéré que, parmi les critères pertinents, tout au plus celui des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques était rempli, mais pas de manière particulièrement marquée. Selon le tribunal cantonal, le lien de causalité adéquate entre l’accident et les troubles psychiques dont se plaint l’assuré n’étant pas établi, aucune IPAI ne pouvait être versée. Il a ajouté que – partant d’un accident de gravité moyenne – le critère de la durabilité d’une atteinte à l’intégrité psychique, nécessaire pour avoir droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité, devait également être nié.

Consid. 3.2.1
Selon la jurisprudence, pour procéder à la classification de l’accident, il faut uniquement se fonder, d’un point de vue objectif, sur l’événement accidentel lui-même et les forces générées par l’accident. Les conséquences de l’accident ou les circonstances concomitantes qui ne peuvent pas être directement attribuées à l’accident ne sont pas pertinentes ; de tels facteurs doivent être pris en compte, le cas échéant, dans les critères objectifs pour juger du caractère adéquat du lien de causalité (ATF 148 V 301 consid. 4.3.1 et les références).

Consid. 3.2.2
L’événement a été un accident de travail avec la tronçonneuse à moteur, au cours duquel la lame de celle-ci s’est coincée dans la glissière de sécurité, a rebondi et a occasionné à l’assuré, équipé d’un équipement de protection complet (vêtements de protection/casque/lunettes de protection/chaussures de sécurité), une large coupure dans la moitié droite du visage. Au regard de la jurisprudence, l’assurance-accidents a qualifié cet événement d’accident de gravité moyenne stricto sensu, ce que l’instance cantonale a confirmé au vu du déroulement objectif de l’accident. Le caractère particulièrement impressionnant du déroulement de l’accident ainsi que les lésions, a fortiori les blessures qu’il aurait pu avoir, ne sont pas pris en considération dans la classification de l’accident dans l’une des trois catégories prévues par la jurisprudence mais sont pris en compte, le cas échéant, dans les critères objectifs pour juger du caractère adéquat du lien de causalité (cf. également l’arrêt 8C_596/2022 du 11 janvier 2023 consid. 4.4.1 et les références). Il ne saurait ainsi être question d’une violation du droit lors de la classification de l’événement accidentel.

 

Consid. 3.3
De manière générale, lorsque l’on se trouve en présence d’un accident de gravité moyenne stricto sensu, il faut un cumul de trois critères sur les sept, ou au moins que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa ; SVR 2019 UV n° 41 p. 155, 8C_632/2018 consid. 8.3 ; 2013 UV n° 3 p. 7, 8C_398/2012 consid. 6 ; arrêt 8C_581/2022 du 15 juin 2023 consid. 5.3 et les références).

Consid. 3.3.1
L’assuré considère que le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident est présent – tout comme l’assurance-accidents et l’instance cantonale – de manière particulièrement marquante.

Consid. 3.3.2
L’examen du critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances d’espèce et non en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse. Il faut en effet observer qu’à tout accident de gravité moyenne est associé un certain caractère impressionnant, lequel ne suffit pas pour admettre l’existence du critère en question (ATF 148 V 301 consid. 4.4.3 et les références). Le critère peut être considéré comme rempli lorsqu’il y avait objectivement une menace directe pour la vie (arrêts 8C_703/2022 du 1er septembre 2023 consid. 4.3 ; 8C_500/2022 du 4 mai 2023 consid. 5.2.3 ; 8C_799/2008 du 11 février 2009 consid. 3.2.3).

L’assuré affirme que des artères ou les yeux auraient pu être touché, ce qui aurait pu entraîner la mort ou la perte de la vue. Il n’invoque toutefois pas de circonstances objectives mettant directement en danger sa vie, et aucun élément du dossier médical ne permet de l’affirmer. Le recours ne démontre pas dans quelle mesure le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident, ou encore au moins deux autres critères d’adéquation, seraient remplis.

Consid. 3.4
En résumé, la conclusion de l’instance cantonale, selon laquelle d’éventuels troubles psychiques ne sont pas en lien de causalité adéquate avec l’accident du 28.02.2019 et ne donnent par conséquent pas droit à une indemnité (plus élevée) pour atteinte à l’intégrité, est conforme au droit fédéral.

 

Consid. 4.1
S’agissant de l’atteinte à l’intégrité physique, la cour cantonale a retenu qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 5% se justifiait pour la cicatrice, qui s’étendait sur l’aile droite du nez selon un angle similaire à celui du sillon nasogénien et n’entraînait pas de défiguration grave du visage, ainsi que pour les paresthésies et les hypoesthésies. En ce qui concerne les sécrétions nasales aqueuses invoquées par l’assuré, respectivement la rhinopathie vasomotrice, l’instance cantonale a estimé que le lien de causalité naturelle n’avait pas été établi à satisfaction de droit.

Consid. 4.2.2
En ce qui concerne la cicatrice sur l’aile droite du nez et les paresthésies et hypoesthésies, le tribunal cantonal a exposé de manière concluante que l’atteinte à l’intégrité avait été fixée à juste titre à 5% sur la base des évaluations médicales internes à l’assurance ayant pleine valeur probante. Cela n’est pas contesté de manière substantielle par l’assuré et, au vu de l’annexe 3 de l’OLAA et de la table 18 de la Suva (« Atteinte à l’intégrité en cas de lésions de la peau « ), ne donne pas lieu à d’autres développements.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_384/2023 consultable ici

 

Remarques/Commentaires

Sur la base des éléments ressortant de l’arrêt du Tribunal fédéral, l’examen de la causalité adéquate peut paraître rigoureux.

De l’arrêt cantonal, il ressort que les diagnostics initiaux concernaient une blessure complexe au visage droit avec ouverture du sinus maxillaire, section de la lèvre supérieure droite sur toutes ses couches, et ouverture de la paroi latérale du nez. Le dermatologue a noté que la cicatrisation était très réussie du point de vue dermatologique, avec encore diverses possibilités d’améliorer la cicatrice.

En comparant ces éléments à ceux de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_96/2017 du 24 janvier 2018 (notamment une plaie buccale d’environ 11 cm et une plaie sur la joue et la parotide dépassant les 25 cm), l’analyse dans l’arrêt du 4 avril 2024 semble appropriée.

Cependant, cet arrêt illustre la difficulté à faire reconnaître des troubles psychiques liés à un accident.

 

Proposition de citation : 8C_384/2023 (d) du 04.04.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/06/8c_384-2023)

 

 

8C_663/2022 (d) du 30.11.2023 – Détermination du revenu d’invalide – Revenu effectif vs revenu selon ESS / Suppression du revenu effectivement réalisé en raison d’un état maladif / Evaluation de l’IPAI et état préexistant / 36 al. 2 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_663/2022 (d) du 30.11.2023

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges, non publié)

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Détermination du revenu d’invalide – Revenu effectif vs revenu selon ESS / 16 LPGA

Capacité de travail exigible inférieur dans l’activité exercée mais capacité de gain supérieure – Obligation de réduire le dommage

Nouveau raisonnement juridique, fondé sur des faits figurant au dossier, admissible devant le Tribunal fédéral – 99 LTF

Suppression du revenu effectivement réalisé en raison d’un état maladif / 17 LPGA

Evaluation de l’IPAI et état préexistant / 36 al. 2 LAA

Réduction de la rente d’invalidité à l’âge AVS et dispositions transitoires / 20 al. 2ter LAA

 

Assurée, née en 1957, travaillait à 60% comme masseuse (assurée en LAA auprès d’Helsana) et à 30% comme professeur de musique (assurée en LAA auprès d’Allianz). 1er accident le 15.09.2011 (fracture de la tête radiale droite et arrachement du tendon sus-épineux). 2ème accident le 12.12.2012 (fracture de l’humérus gauche). Entre les deux accidents, on a diagnostiqué chez elle un carcinome mammaire qui a nécessité des interventions chirurgicales et une chimiothérapie. Helsana a d’abord versé les prestations temporaires (traitement médical et indemnités journalières). Elle a mandaté le Dr E.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, pour une expertise médicale (expertise du 28.03.2014 avec complément du 26.08.2014). Pour des raisons de coordination, Allianz a ensuite pris en charge la gestion du cas et a dès lors versé les prestations temporaires. Elle a demandé au Dr E.__ une nouvelle évaluation (expertise du 14.11.2016), mais l’a ensuite rejeté et s’est basée à la place sur sa première expertise datant de 2014. Par décision du 13.11.2018, confirmée sur opposition le 04.12.2019, Allianz a mis un terme aux prestations temporaires au 31.10.2014, a nié tout droit à une rente et a accordé à l’assurée une indemnité pour atteinte à l’intégrité pour une perte d’intégrité de 15% au total.

Entre-temps, l’office AI a octroyé à l’assurée, par décision du 26.09.2014, une rente entière d’invalidité dès le 01.11.2012 puis une demi-rente dès le 01.08.2013. En raison d’une péjoration de l’état de santé (récidive tumorale et aggravation d’un handicap visuel congénital) en octobre 2016, la rente AI a été augmentée à une rente entière dès le 01.01.2017 (décision du 27.03.2017).

 

Procédure cantonale (arrêt VSBES.2020.14 – consultable ici)

Ayant considéré les expertises du Dr E.__ comme non probante, le tribunal cantonal a ordonné une expertise orthopédique auprès du bureau d’expertise F.__ (rapport du 05.02.2021). La cour cantonale n’ayant pas reconnu une pleine valeur probante à cette expertise, elle a demandé au Dr G.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, de procéder à une surexpertise (rapport du 20.11. 2021).

En raison des séquelles des accidents, l’activité de masseuse exercée n’était plus possible au moment de la stabilisation de l’état de santé au 01.11.2014. Pour l’activité de professeur de musique, il existait en revanche une capacité de travail de 70% (par rapport à un taux d’occupation de 100%) avec un rendement de 50% et, dans une activité adaptée (activités de surveillance sans utilisation des bras ou avec une utilisation de courte durée seulement, par exemple dans un musée), une capacité de travail de 80% avec un rendement de 60%, soit une capacité de travail de 48%. Partant des revenus réalisés avant l’accident, calculés sur la base d’un taux d’occupation de 100%, le tribunal cantonal a calculé un revenu sans invalidité 87’432 francs. Comparé au revenu d’invalide de 25’821 fr. (ESS, niv. 1, ligne Total, capacité de travail de 48%), le taux d’invalidité a été fixé à 70%.

Par jugement du 10.10.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité de 70% dès le 01.11.2014, à une IPAI de 25% et a mis à charge de l’assurance-accidents Allianz les frais de l’expertise judiciaire du Dr G.__ à hauteur de 8’617 fr. 30.

 

TF

Consid. 5.2
Dans son expertise du 20.11.2021, le Dr G.__ a qualifié l’activité de professeur de musique de niveau élémentaire comme adaptée, dans une mesure d’une capacité de 70% avec un rendement de 50%.

L’expert judiciaire a mentionné trois autres activités professionnelles théoriquement possibles, qu’il a qualifiées d’adaptées aux limitations fonctionnelles. Premièrement : des conseils purs aux clients, sans sollicitation des deux épaules de toutes sortes, ou seulement pendant une courte durée, en position debout, assise ou en marchant, avec des instructions de courte durée avec les bras à hauteur du ventre ou au maximum à hauteur de la poitrine. Une telle activité serait possible en temps à hauteur de 80% avec un rendement de 50%. Deuxièmement : activités de surveillance sans utilisation des bras ou avec une utilisation de courte durée (p. ex. surveillance dans un musée). De tels travaux sont possibles à 80% avec un rendement de 60%. Troisièmement : les activités administratives sur ordinateur, possibles à 50% avec un rendement de 50% en raison des pauses plus fréquentes dues aux douleurs. En général, une activité adaptée doit remplir les conditions suivantes : Pas de port de charges de plus de 2 kg, pas de soulèvement de charges de plus de 2 kg au-dessus de la hauteur du ventre et uniquement à proximité du corps, pas de travaux au-dessus de la hauteur maximale de la poitrine, pas d’activités nécessitant une rotation externe des deux épaules, pas d’activités répétitives et pas de maintien limité dans la même position, par exemple devant un PC.

Ainsi, selon l’expertise judiciaire, les activités de surveillance offrent la meilleure capacité de travail et de rendement. Mais l’activité de professeur de musique à 70% avec une baisse de rendement de 50% est également considérée comme une activité adaptée, ce qui est important pour le calcul de l’invalidité, comme il ressort de ce qui suit. On peut donc laissée ouverte la question de savoir si l’évaluation par l’expert de la capacité de travail pour des activités de surveillance simples est pleinement convaincante.

Consid. 6.3
Conformément à la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. Lorsque l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2 ; 143 V 295 consid. 2.2 ; 135 V 297 consid. 5.2).

Consid. 6.4
Il n’est pas contesté que l’assurée a continué à travailler comme professeur de musique au moment de la stabilisation de l’état de santé et de l’examen du droit à la rente (01.11.2014). Selon les indications de l’employeur (Commune d’U.__), l’assurée avait un taux d’occupation de 10 à 11 leçons entre 2014 et 2016, correspondant à un taux de 33-37% sur la base d’un temps de travail habituel de 30 leçons par semaine. Il est en outre établi que cette activité pouvait être raisonnablement exigée d’elle à partir du 25.04.2013 à raison de 70% avec une baisse de rendement de 50%. En conséquence, l’instance cantonale a constaté qu’il existait une capacité de travail de 35% (70% x 50%) pour l’activité de professeur de musique. Il ne fait aucun doute que l’emploi de professeur de musique était un rapport de travail stable. En même temps, il n’y a pas d’indices qu’une partie du salaire ait été un salaire social. Par «capacité de travail résiduelle pleinement exploitée», la jurisprudence entend ensuite que la personne assurée exploite au mieux sa capacité de travail du point de vue lucratif (arrêts 8C_590/2019 du 22 novembre 2019 consid. 5.3 et la référence ; 8C_367/2018 du 25 septembre 2018 consid. 5.3.3 ; 8C_839/2010 du 22 décembre 2010 consid. 3.6).

Tel est le cas en l’espèce, puisque l’assurée a réalisé en 2014 [ndt : année de l’examen du droit à la rente] un revenu effectif de 39’980 fr. 10 en tant que professeur de musique. En revanche, l’instance précédente entend prendre en compte un revenu hypothétique d’invalide nettement inférieur de 25’821 fr. pour une activité non qualifiée, ce qui est contraire à l’obligation de réduire le dommage applicable dans le domaine des assurances sociales (ATF 138 V 457 consid. 3.2 et les références).

 

Consid. 6.5
L’objection des intimés [ndt : héritiers de l’assurée, décédée en décembre 2022] selon laquelle l’assurance-accidents n’a à aucun moment fait valoir dans la procédure de première instance que le revenu d’invalide devait être déterminé sur la base du revenu effectivement réalisé et qu’elle ne saurait être prise en considération en raison de l’interdiction des nova n’est pas pertinente. La question de savoir si les salaires statistiques sont applicables est une question de droit librement vérifiable (arrêt 9C_566/2019 du 19 mai 2020 consid. 5.3 et la référence). Un nouveau raisonnement juridique, fondé sur des faits figurant au dossier, est admissible devant le Tribunal fédéral (ATF 136 V 362 consid. 4.1). L’assurance-accidents a déjà calculé le revenu d’invalidité dans sa décision du 13 .11.2018 en partant du salaire de l’assurée en tant que professeur de musique. Le calcul du revenu d’invalidité a d’ailleurs fait l’objet d’un procès devant le tribunal cantonal. Un comportement contraire à la bonne foi de l’assurance-accidents n’est ainsi pas reconnaissable, pas plus que l’existence de faits nouveaux (irrecevables).

Consid. 6.6
Si l’on se base sur le revenu d’invalidité effectivement réalisé par l’assurée en 2014 en tant que professeur de musique, soit 39’980 fr. 10, il résulte, après comparaison avec le revenu sans invalidité – non contesté – de 87’432 fr., un degré d’invalidité de 54%.

Consid. 6.7
Selon les constatations de l’instance cantonale, l’assurée a été en incapacité de travail totale à partir du 15.10.2016 pour cause de maladie (récidive du carcinome mammaire et aggravation importante du handicap visuel). Après une incapacité de travail prolongée, l’employeur a résilié le contrat de travail au 30.10. 2017.

La suppression du revenu effectivement réalisé à partir de novembre 2017 a modifié la situation professionnelle et donc l’évaluation de l’invalidité, ce qui constitue en règle générale un motif de révision (arrêt 8C_728/2020 du 23 juin 2021 consid. 3.2 et les références). En l’espèce, une incapacité de gain totale due à la maladie est toutefois survenue après le début de la rente de l’assurance-accidents, de sorte qu’il n’y avait pas de place pour une augmentation de la rente d’invalidité de l’assurance-accidents en raison d’une révision (ATF 147 V 161 consid. 5.2.5 et consid. 5.3). Par conséquent, l’incapacité de gain totale due à la maladie à partir du 15.10.2016 avec résiliation des rapports de travail au 30.10.2017 n’entraîne aucune adaptation de la rente de l’assurance-accidents, même dans le cadre de la première fixation de la rente concernée en l’espèce.

Consid. 7.2.1
Selon l’art. 36 al. 2 LAA, les rentes d’invalidité, les indemnités pour atteinte à l’intégrité ainsi que les rentes de survivants sont réduites de manière équitable lorsque l’atteinte à la santé ou le décès ne sont que partiellement imputables à l’accident. Toutefois, en réduisant les rentes, on ne tiendra pas compte des états antérieurs qui ne portaient pas atteinte à la capacité de gain.

L’art. 36 LAA part du principe que non seulement un accident, mais aussi d’autres causes (étrangères à l’accident) peuvent provoquer une certaine atteinte à la santé. Conformément au principe selon lequel l’assurance-accidents ne doit prendre en charge que les conséquences des accidents, l’art. 36 al. 2, première phrase, LAA prévoit, entre autres, pour les rentes d’invalidité et les indemnités pour atteinte à l’intégrité, une réduction des prestations en cas d’influence de facteurs étrangers à l’accident. Le principe de causalité est cependant limité par l’art. 36 al. 2, deuxième phrase, LAA avec, pour but, de faciliter le règlement des sinistres en cas de circonstances étrangères à l’accident assuré et d’éviter que la personne assurée ne doive s’adresser à plusieurs assureurs pour le même événement. L’application de cette disposition présuppose que l’accident et l’événement non assuré ont causé ensemble une certaine atteinte à la santé (arrêt 8C_172/2018 du 4 juin 2018 consid. 4.4.2). L’ampleur de la réduction est déterminée en fonction du rôle des causes étrangères à l’accident dans l’atteinte à la santé (cf. art. 47 OLAA).

Consid. 7.2.2
L’assurance-accidents ne prétend pas, et il n’apparaît pas non plus, qu’avant les accidents de 2011 et 2012, l’assurée aurait été limitée dans sa capacité de gain en raison de douleurs à l’épaule dues à une maladie. Une réduction de la rente d’invalidité n’entre donc pas d’emblée en ligne de compte, au sens de l’art. 36 al. 2, deuxième phrase, LAA.

Consid. 7.3.1
Conformément à la jurisprudence, la deuxième phrase de l’art. 36 al. 2 LAA ne s’applique pas à l’évaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, ce qui signifie que cette prestation peut être réduite en raison d’un état antérieur, même si celui-ci n’avait pas entraîné de diminution de la capacité de gain avant l’accident (SVR 2008 UV n° 6 p. 19, U 374/06 consid. 2 ; arrêts 8C_472/2022 du 18 octobre 2022 consid. 5.2 ; 8C_691/2021 du 24 février 2022 consid. 3.2 ; 8C_808/2019 du 17 juin 2020 consid. 3.1 ; 8C_192/2015 du 1er mars 2016 consid. 5.2). Dans un premier temps, l’atteinte à l’intégrité doit être évaluée globalement selon l’annexe 3 de l’OLAA ou, si nécessaire, selon les directives figurant dans les tableaux de la division médicale de la Suva. Dans un second temps, l’indemnité doit être réduite conformément à l’art. 36 al. 2 LAA, en fonction de la part causale des événements non assurés dans l’atteinte globale à l’intégrité (ATF 116 V 156 consid. 3c ; arrêt U 344/01 du 11 septembre 2002 consid. 6).

Consid. 7.3.2
L’instance cantonale a considéré comme convaincante l’atteinte à l’intégrité fixée par l’expert judiciaire. Il en résulte une perte d’intégrité de 10% pour l’épaule droite (mobile jusqu’à 30° au-dessus de l’horizontale selon la table 1 de la Suva) et de 15% pour l’épaule gauche (mobile jusqu’à l’horizontale). Le tribunal cantonal ne s’est pas prononcé sur une éventuelle réduction en raison de causes étrangères à l’accident.

Consid. 7.3.3
Il ressort de l’expertise judiciaire que l’assurée souffrait déjà de douleurs à l’épaule avant les deux accidents de 2011 et 2012. L’expert a conclu qu’il y avait eu une rupture partielle du tendon sus-épineux tant à gauche qu’à droite. En ce qui concerne l’épaule gauche, il a parlé d’un tendon gravement endommagé. Le traitement de la fracture de l’humérus a transformé une rupture partielle de haut niveau en une rupture complète, en raison de la technique chirurgicale. A droite, l’accident du 15.09.2011 a entraîné la progression d’une rupture partielle du tendon sus-épineux, bien compensée sur le plan fonctionnel et provoquant des douleurs supportables, vers une rupture complète de ce tendon.

Consid. 7.3.4
Il est donc établi que les deux accidents ont touché des épaules présentant des atteintes préexistantes. L’expertise judiciaire ne permet toutefois pas de déterminer l’importance des causes étrangères à l’accident pour les atteintes à la santé donnant droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité. Certes, l’expert a expliqué de manière générale que les maladies étrangères à l’accident étaient systématiquement exclues de l’évaluation de la situation pertinente pour l’accident, car elles ne faisaient pas l’objet de l’expertise. Mais il n’a répondu à la question concrète concernant une atteinte à l’intégrité qu’en indiquant des pourcentages (bras droit : 10% ; bras gauche : 15%), de sorte qu’il n’est pas clair s’il a réellement exclu les lésions préexistantes ou s’il n’a pas même pas chiffré l’ensemble de l’atteinte. Etant donné qu’il incombe au médecin de constater et d’évaluer les lésions préexistantes ou autres troubles non liés à l’accident, respectivement les parts de l’indemnité globale (arrêt U 344/01 du 11 septembre 2002 consid. 6), il n’est pas possible de juger en l’espèce si et dans quelle mesure l’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être réduite. En renonçant à des investigations supplémentaires dans ce contexte, l’instance inférieure a violé la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA). L’affaire doit être renvoyée au tribunal cantonal afin qu’il clarifie la question, le cas échéant en interrogeant l’expert judiciaire.

Dans la mesure où les intimés font valoir que l’interdiction d’invoquer des nova devant le Tribunal fédéral s’oppose à une réduction [selon l’art. 36 al. 2 LAA], on peut se référer à ce qui a été dit au consid. 6.5 supra. L’assurance-accidents est en principe libre de faire valoir pour la première fois devant le Tribunal fédéral une réduction de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité (ainsi que de la rente d’invalidité) selon l’art. 36 al. 2 LAA (ATF 136 V 362 consid. 3.4.4 et consid. 4.1 et les références). Mais comme l’assurance-accidents ne peut pas demander au Tribunal fédéral moins que ce qu’elle a elle-même accordé – dans la procédure de recours cantonale, elle a demandé la confirmation de la décision sur opposition -, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité ne peut finalement pas être inférieure à celle fixée par la décision sur opposition (15% ; ATF 136 V 362 consid. 4.2 et les références).

 

Consid. 8
Enfin, le grief de l’assurance-accidents selon lequel l’instance cantonale aurait violé l’art. 20 al. 2ter let. a LAA en accordant à l’assurée une rente non réduite même après l’âge ordinaire de la retraite est infondé. En effet, la deuxième phrase de l’al. 2 des dispositions transitoires de la modification du 25 septembre 2015 stipule explicitement que la rente n’est pas réduite si la bénéficiaire de la rente atteint l’âge ordinaire de la retraite moins de huit ans après l’entrée en vigueur. L’art. 20 al. 2ter LAA est entré en vigueur le 01.01.2017 et l’assurée a atteint l’âge ordinaire de la retraite en 2021, soit moins de huit ans avant l’entrée en vigueur du nouveau droit. L’instance inférieure n’a donc pas violé le droit fédéral en renonçant à une réduction de la rente.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_663/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_663/2022 (d) du 30.11.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/01/8c_663-2022)

 

8C_745/2022 (f) du 29.06.2023 – IPAI – Aggravations prévisibles – 24 LAA – 36 al. 4 OLAA / Gonarthrose – Survenance de l’aggravation vraisemblable et l’importance quantifiable

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_745/2022 (f) du 29.06.2023

 

Consultable ici

NB : cf. mes remarques en fin d’article

 

IPAI – Aggravations prévisibles / 24 LAA – 36 al. 4 OLAA

Gonarthrose – Survenance de l’aggravation vraisemblable et l’importance quantifiable

 

Assuré, gendarme, a été percuté le 29.11.2018 par un automobiliste à qui il avait donné l’injonction de s’arrêter. Après avoir subi une intervention chirurgicale au genou gauche le 19.03.2019, il a repris l’exercice de son activité lucrative à plein temps le 01.10.2019.

 

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé une IPAI de 20%, en se fondant sur une expertise qu’elle avait confiée à un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 70 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont retenu que dans son rapport d’expertise du 25.08.2021, le médecin-expert avait indiqué que le genou gauche de l’assuré, qui présentait une arthrose moyenne débutante, allait de toute manière évoluer vers une arthrose fémoro-patellaire puis vraisemblablement globale. Ce spécialiste avait estimé l’IPAI à 15%, précisant qu’il était certain que les troubles dégénératifs allaient s’aggraver à l’avenir, ce à quoi s’ajoutait une insuffisance du ligament croisé antérieur. L’expert en avait conclu que l’IPAI devrait être augmentée à un taux entre 20% et 40% selon l’importance de l’arthrose et/ou le résultat après la mise en place d’une prothèse totale du genou. Au vu des conclusions du médecin-expert, l’aggravation future de l’état du genou gauche de l’assuré n’était en tout état de cause pas contestable. Cette aggravation n’était toutefois pas quantifiable. L’expert avait en effet très clairement indiqué que l’augmentation de l’IPAI se situerait dans une fourchette allant de 5% à 25%, soit une IPAI totale pouvant aller de 20% à 40%. Il avait justifié cet écart important en relevant que l’aggravation réelle dépendrait d’une part de l’importance de l’évolution de l’arthrose et d’autre part du résultat après la mise en place d’une prothèse totale du genou. En fixant l’IPAI à 20%, l’assurance-accidents avait déjà tenu compte de l’aggravation minimale prévue par le médecin-expert. Ce n’était que dans le cadre d’une révision future, qui tiendrait plus précisément compte d’une évaluation objective de la situation, que l’IPAI pourrait être augmentée.

Par jugement du 24.10.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

 

Consid. 3.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave.

Consid. 3.2
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 à l’OLAA. Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_580/2022 du 31 mars 2023 consid. 4.1.1 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). La Division médicale de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (CNA) a établi des tables d’indemnisation en vue d’une évaluation plus affinée de certaines atteintes (Indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA). Ces tables n’ont pas valeur de règles de droit et ne sauraient lier le juge. Toutefois, dans la mesure où il s’agit de valeurs indicatives, destinées à assurer autant que faire se peut l’égalité de traitement entre les assurés, elles sont compatibles avec l’annexe 3 à l’OLAA (ATF 124 V 209 consid. 4a/cc; 116 V 156 consid. 3a; arrêt 8C_656/2022 du 5 juin 2023 consid. 3.3 et l’arrêt cité).

Consid. 3.3
Aux termes de l’art. 36 al. 4 OLAA, il est équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité; une révision n’est possible qu’en cas exceptionnel, si l’aggravation est importante et n’était pas prévisible. S’il y a lieu de tenir équitablement compte d’une aggravation prévisible de l’atteinte lors de la fixation du taux de l’indemnité, cette règle ne vise toutefois que les aggravations dont la survenance est vraisemblable etcumulativementl’importance quantifiable (arrêts 8C_420/2021 du 6 octobre 2021 consid. 3; 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 3; 8C_494/2014 du 11 décembre 2014 consid. 6.2 et les références citées). Le taux d’une atteinte à l’intégrité dont l’aggravation est prévisible au sens de l’art. 36 al. 4 OLAA doit être fixé sur la base de constatations médicales (arrêt 8C_238/2020 précité consid. 3 in fine et l’arrêt cité).

 

Consid. 4.3
Le caractère prévisible de l’aggravation de l’atteinte à l’intégrité de l’assuré n’étant pas contesté, seul est litigieux le point de savoir si l’importance de l’aggravation est quantifiable ou non. Dans son rapport, le médecin-expert a exposé que le genou gauche de l’assuré présentait une arthrose moyenne débutante, donnant droit à une IPAI de 10% selon la table 5, à laquelle s’ajoutait une IPAI de 5% pour la « laxité perdurante actuellement modérée » selon la table 6. L’IPAI totale actuelle était ainsi de 15%. Il était toutefois certain que les troubles dégénératifs allaient s’aggraver à l’avenir et que les lésions du ligament croisé postérieur allaient entraîner une « arthrose au moins fémoro-patellaire voire totale ». Dès lors qu’il y avait en sus une insuffisance du ligament croisé antérieur, il était également certain que l’assuré allait développer une pangonarthrose qui nécessiterait la pose d’une prothèse totale du genou dans un avenir plus ou moins proche. Selon l’importance de l’arthrose et/ou le résultat après la mise en place d’une prothèse, l’IPAI devrait être fixée entre 20% et 40%.

Contrairement à ce que laisse entendre l’assuré, le médecin-expert n’a pas fait état d’une arthrose grave, de sorte que les taux de la table 5 correspondant à une arthrose grave ne sauraient s’appliquer. La pose d’une prothèse « dans un avenir plus ou moins proche » étant acquise, c’est bien les taux prévus par la table 5 en cas d’endoprothèse qui doivent être pris en compte [ndr : cf. mes commentaires en bas d’article]. Comme retenu à juste titre par les juges cantonaux, ce taux varie entre 20% (« endoprothèse avec résultat bon ») et 40% (« endoprothèse avec résultat mauvais ») en fonction des suites de l’opération. Par conséquent, l’importance de l’aggravation de l’atteinte à l’intégrité n’est en l’état pas précisément quantifiable; elle dépendra de l’évolution de l’arthrose et des suites de l’intervention chirurgicale. En l’état, seule une aggravation donnant droit à une IPAI de 20% est quantifiable de manière prévisible. Admettre à ce stade une IPAI de 40% – soit le double – reviendrait à tenir pour acquise une évolution post-opératoire négative, laquelle n’apparaît à ce jour pas plus vraisemblable qu’une évolution positive. L’assuré, qui ne conteste pas la valeur probante de l’expertise, ne cite par ailleurs aucun avis médical susceptible de mettre en cause l’impossibilité, à ce stade, de quantifier plus précisément l’importance de l’aggravation à venir. L’expert s’étant prononcé de manière aussi précise que possible sur le développement futur de l’atteinte à l’intégrité, la cour cantonale n’avait pas à instruire davantage la question en lui demandant une nouvelle évaluation. En outre, en cas d’aggravation importante de l’atteinte à l’intégrité, une révision au sens de l’art. 36 al. 4, seconde phrase, OLAA demeurera envisageable, quand bien même une possible aggravation justifiant une IPAI allant jusqu’à 40% a déjà été évoquée à ce jour (cf. arrêt 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 4.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Remarques et commentaires

Selon moi, l’arrêt du TF contient une erreur. En effet, la table 5 « Atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses » précise que l’implant d’une endoprothèse s’oriente sur l’état non corrigé, c’est-à-dire sur le degré de gravité de l’arthrose avant l’implant (colonnes 2 [arthrose moyenne] et 3 [arthrose grave]). Pour les prothèses implantées directement après l’accident (endoprothèses primaires), les colonnes 5 [endoprothèse avec bon résultat] et 6 [endoprothèse avec mauvais résultat] entrent en application.

Dans la situation de ce gendarme, l’atteinte à l’intégrité doit donc bien s’examiner sur la base de l’état non corrigé – soit avant la pose de la prothèse – et non sur la base d’un état après pose d’une prothèse, cette dernière n’ayant pas été implantée directement après l’accident.

Cela étant dit, il est peu probable que la situation aurait été jugée différemment. En effet, une pangonarthrose (arthrose du genou) moyenne du genou correspond à un taux de 10% à 30% et une pangonarthrose sévère à 30% à 40%. S’il est certain que l’assuré, dans le cas d’espèce, présentera à terme une pangonarthrose, la sévérité de l’atteinte demeure inconnue. Et même avec une pangonarthrose sévère, le taux ne peut être d’ores et déjà défini avec précision. Ainsi, la survenance de l’aggravation vraisemblable mais son importance n’est pas quantifiable.

 

 

Arrêt 8C_745/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_745/2022 (f) du 29.06.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/08/8c_745-2022)

 

8C_643/2022 (f) du 07.06.2023 – Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) pour polytraumatisme – Calcul du taux global – 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA / Expertise médicale judiciaire – Questionnaire de la cour cantonale conduisant à influencer les experts dans leurs réponses

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_643/2022 (f) du 07.06.2023

 

Consultable ici

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) pour polytraumatisme – Calcul du taux global / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Expertise médicale judiciaire – Questionnaire de la cour cantonale conduisant à influencer les experts dans leurs réponses

 

Assuré, né en 1964, directeur d’une société anonyme, a été victime d’un accident le 23.11.2011 : alors qu’il roulait au volant de sa voiture, il est entré en collision avec un camion militaire venant en sens inverse. Polytraumatisé, il a notamment subi de nombreuses fractures du visage et des membres inférieurs.

Dans le cadre de l’instruction médicale, l’assurance-accidents a confié une expertise pluridisciplinaire à un centre d’expertise médicale, qui a rendu son rapport le 05.02.2015. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a – entre autres – a reconnu le droit de l’assuré à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) fondée sur un taux de 40%. Admission du recours par le tribunal cantonal (arrêt du 27.06.2019). Par arrêt du 06.07.2020 (8C_554/2019), le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours formé par l’assurance-accidents contre l’arrêt du 27.06.2019 et a renvoyé l’affaire à la juridiction cantonale pour qu’elle ordonne une expertise judiciaire. Ce renvoi était motivé par le fait qu’il existait des doutes concernant le bien-fondé du rapport d’expertise du centre d’expertise, notamment par rapport à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 74/20 ap. TF – 122/2022 – consultable ici)

Expertise judiciaire qui a été confiée à Hôpital C.___.

Par jugement du 29.09.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, portant le taux d’IPAI globale à 60%.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 25 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital (al. 1, première phrase); elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité (al. 1, seconde phrase); le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur le calcul de l’indemnité (al. 2).

Consid. 3.2
Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_580/2022 du 31 mars 2023 consid. 4.1.1 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). En cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, dues à un ou plusieurs accidents, l’indemnité est fixée d’après l’ensemble du dommage (art. 36 al. 3, première phrase, OLAA). L’indemnité totale ne peut dépasser le montant maximum du gain annuel assuré (art. 36 al. 3, deuxième phrase, OLAA). Il sera équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité; une révision n’est possible qu’en cas exceptionnel, si l’aggravation est importante et n’était pas prévisible (art. 36 al. 4 OLAA).

Consid. 4.1
En l’espèce, la cour cantonale a d’abord constaté que le rapport du 11 juillet 2022 de l’expertise judiciaire qu’elle avait confiée à l’Hôpital C.___ ensuite de l’arrêt 8C_554/2019 pouvait se voir conférer pleine valeur probante. Sur ces éléments, elle a constaté que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité globale s’élevait, « comme déjà estimée par le centre d’expertise médicale », à un taux de 60%, mais pour des motifs différents, à savoir: sur le plan orthopédique, un taux de 10% pour chaque genou et de 15% pour le coude gauche, soit un taux arithmétique total de 35% (10% + 10% + 15%) pour l’ensemble des atteintes à la santé sur cet axe; sur le plan ophtalmique, un taux de 10% lié à la diplopie binoculaire au regard vers le haut, dès 15°, sur limitation de l’œil gauche et de 5% liée à la sécheresse oculaire, soit un taux arithmétique total de 15% (10% + 5%) pour les deux affections oculaires; sur le plan esthétique, un taux de 10% pour l’hypoglobie, l’affaissement de la pommette gauche ainsi que l’asymétrie de la fente palpébrale, « en l’absence de débat y relatif »; sur le plan ORL, un taux de 0% en raison de l’absence de séquelles de cet ordre.

 

Consid. 4.3
On rappellera d’abord que dans son arrêt du 06.07.2020, le Tribunal fédéral a considéré qu’il existait des indices concrets qui permettaient de douter du bien-fondé de l’expertise du centre d’expertise, notamment en ce qui concernait l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité. Les experts avaient évalué chaque atteinte séparément (affections oculaires 5%; dommages esthétiques 10%; arthrose modérée genou droit 10%; arthrose modérée genou gauche 10%; arthrose avancée huméro-cubitale coude gauche mais pronosupination pas touchée 15%; syndrome d’apnée obstructive du sommeil 5%), sans tenir compte des aggravations prévisibles qui avaient été estimées par les experts à 25% pour le coude et à 30% pour chacun des genoux. En se fondant sur ces chiffres, le Tribunal fédéral a retenu que le taux total qui en résulterait serait de 115% et dépasserait donc le seuil légal de 100%, raison pour laquelle la cour cantonale ne pouvait pas se fonder sur les conclusions émanant des experts du centre d’expertise (arrêt 8C_554/2019 du 6 juillet 2020 consid. 3.6 et 4).

Malgré cette injonction, la cour cantonale a adressé aux experts judiciaires un questionnaire dans lequel elle indiquait les taux et les atteintes précédemment évalués par les experts du centre d’expertise médicale et leur demandait s’ils pouvaient confirmer ces taux. Cette manière de poser les questions conduit cependant à influencer les experts dans leurs réponses. Par ailleurs, les juges cantonaux semblent avoir déterminé le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en mélangeant les réponses données dans le rapport d’expertise du centre d’expertise médicale avec celles ressortant de l’expertise judiciaire, alors même que le rapport du centre d’expertise médicale avait été qualifié de non probant. Quoi qu’il en soit, l’assurance-accidents a également adressé ses questions aux experts judiciaires, en formulant les questions de manière neutre et ouverte. Aussi, c’est sur cette base qu’il convient de déterminer l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Consid. 4.4
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être évaluée sur la base des éléments suivants:

Sur le plan orthopédique, le spécialiste en orthopédie a indiqué que les atteintes des deux genoux et du coude gauche étaient graves et définitives; il a évalué le taux à 10% pour chaque genou et à 15% pour le coude gauche selon le tableau 5 de la CNA (atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses), en précisant que le taux arithmétique était de 35%, respectivement de 30% après pondération.

Sur le plan ophtalmologique, le spécialiste en neurologie, chef de clinique en neuro-ophtalmologie, et le spécialiste FMH en ophtalmologie ont retenu une indemnité pour atteinte à l’intégrité globale de 15%, se composant d’un taux de 10% pour la diplopie binoculaire sur limitation de l’élévation de l’oeil gauche et d’un taux de 5% pour la sécheresse oculaire, en précisant que cette dernière était probablement liée à une atteinte antérieure, qui avait très probablement été aggravée par l’accident.

Sur le plan otorhinolaryngologique, le spécialiste en ORL n’a pas retenu d’atteinte à l’intégrité.

 

Consid. 4.5
Au vu de ces appréciations médicales, il y a lieu de constater avec l’assurance-accidents que sur le plan esthétique, aucune atteinte à l’intégrité n’a été retenue par les experts judiciaires et que sur le plan orthopédique, ceux-ci ont retenu un taux pondéré de 30%. En additionnant ainsi les taux de 30% (sur le plan orthopédique) et de 15% (sur le plan ophtalmologique), le taux global de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité s’élève à 45% (cf. arrêt U 23/87 du 6 avril 1989 consid. 3f, publié in RAMA 1989 U 78 p. 357). On rappellera aussi que selon l’art. 36 al. 3 OLAA, en cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est fixée d’après l’ensemble du dommage. En pratique, il est recommandé d’évaluer d’abord chaque dommage séparément et ensuite de procéder à une évaluation globale des atteintes (cf. THOMAS FREI, Die Integritätsentschädigung nach Art. 24 und 25 des Bundesgesetzes über die Unfallversicherung, thèse Fribourg 1998, p. 45). Même si en l’occurrence, une appréciation globale des atteintes à l’intégrité n’a pas été effectuée dans le cadre de l’évaluation consensuelle de l’expertise, le taux de 45% qu’on obtient en additionnant les taux individuels apparaît néanmoins équitable, dès lors que les atteintes concernent différentes parties du corps, qui n’ont pas d’influence les unes sur les autres (cf. FREI, loc. cit.).

Consid. 4.6
Au vu de ce qui précède, l’intimé a droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 45%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_643/2022 consultable ici

 

8C_656/2022 (f) du 05.06.2023 – Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) – Choix de la table IPAI du ressort du médecin et non du juge – 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA / Juge assureur (médecin) au tribunal cantonal

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_656/2022 (f) du 05.06.2023

 

Consultable ici

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) – Choix de la table IPAI du ressort du médecin et non du juge / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Juge assureur (médecin) au tribunal cantonal – Double fonction des membres spécialisés des tribunaux cantonaux des assurances sociales (juges et experts) – Juge spécialisé ne remplace pas le recours à un expert indépendant

 

Assuré, né en 1983, travaillait comme aide jardinier. Le 28.08.2018, il a été coupé aux doigts de la main gauche par un taille-haie avec une perte subtotale de la 3e phalange de l’index et une lésion partielle du tendon fléchisseur profond du majeur. Opération le jour même : amputation distale au niveau de la houppe phalangienne de l’index. Séjour en réadaptation du 04.12.2018 au 15.01.2019 où a été diagnostiqué un syndrome douloureux régional complexe (SDRC).

L’assurance-accidents a soumis le cas à la Dre E.___, médecin-conseil, qui a indiqué, dans son appréciation du 29.06.2020, que l’état de santé était stabilisé sur le plan médical et que l’assuré pouvait travailler à 100% sans diminution de rendement dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles. Dans une appréciation séparée du même jour, cette praticienne a évalué le taux d’atteinte à l’intégrité à 6%, en appliquant par analogie la table 3 (relative aux atteintes résultant de la perte d’un ou plusieurs segments des membres supérieurs) élaborée par la Division médicale de la CNA pour l’indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA (Révision 2000).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et lui a octroyé une indemnité pour atteinte à l’intégrité au taux de 6%.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 139/21 – 126/2022 – consultable ici)

Par jugement du 05.10.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour complément d’instruction au sens des considérants – précisant dans ceux-ci que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité devait être évaluée sur la base de la table 1 des tables d’indemnité – et nouvelle décision.

 

TF

Consid. 1.1
L’arrêt attaqué admet partiellement le recours de l’assuré. Il confirme la décision sur opposition litigieuse en ce qui concerne la négation du droit à la rente et renvoie la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle complète l’instruction et statue à nouveau sur le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité. Sur ce dernier point, l’arrêt entrepris constitue une décision incidente au sens de l’art. 93 LTF car il ne met pas fin à la procédure. Une telle décision incidente peut être déférée au Tribunal fédéral sans attendre le prononcé du jugement final lorsque l’assureur social est contraint de rendre une décision qu’il estime contraire au droit et qu’il ne pourra lui-même pas attaquer (cf. ATF 141 V 330 consid. 1.2; 134 II 124 consid. 1.3; 133 V 477 consid. 5.2.4). Cette éventualité est ici réalisée. L’arrêt cantonal a un effet contraignant pour l’assurance-accidents en ce sens qu’elle doit rendre une nouvelle décision sur l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en étant liée par le choix de la table décidé par les juges cantonaux, et qu’elle ne peut pas elle-même attaquer cette décision. Il convient par conséquent d’entrer en matière.

Consid. 1.2
Pour le surplus, le recours est dirigé contre un arrêt rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans la forme et le délai prévus par la loi (art. 42 et 100 LTF). Il est donc recevable.

 

Consid. 3.2
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité vise à compenser le préjudice immatériel (douleurs, souffrances, diminution de la joie de vivre, limitation des jouissances offertes par l’existence etc.) qui perdure au-delà de la phase du traitement médical et dont il y a lieu d’admettre qu’il subsistera la vie durant (ATF 133 V 224 consid. 5.1 et les références). Elle se caractérise par le fait qu’elle est exclusivement fixée en fonction de facteurs médicaux objectifs, valables pour tous les assurés, et sans égard à des considérations d’ordre subjectif ou personnel (JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3e éd. 2016, n° 311). En cela, elle se distingue de l’indemnité pour tort moral du droit civil, qui procède de l’estimation individuelle d’un dommage immatériel au regard des circonstances particulières du cas. Cela signifie que pour tous les assurés présentant un status médical identique, l’atteinte à l’intégrité est la même (115 V 137 consid. 1; arrêts 8C_106/2021 du 9 mars 2021 consid. 3; 8C_703/2008 du 25 septembre 2009 consid. 5.1 et les références).

Consid. 3.3
Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b; 124 V 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 3) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). La Division médicale de la CNA a établi des tables d’indemnisation en vue d’une évaluation plus affinée de certaines atteintes (Indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA). Ces tables n’ont pas valeur de règles de droit et ne sauraient lier le juge. Toutefois, dans la mesure où il s’agit de valeurs indicatives, destinées à assurer autant que faire se peut l’égalité de traitement entre les assurés, elles sont compatibles avec l’annexe 3 à l’OLAA (ATF 124 V 209 consid. 4a/cc; 116 V 156 consid. 3a; arrêt 8C_198/2020 du 28 septembre 2020 consid. 3.1).

Consid. 3.4
L’atteinte à l’intégrité au sens de l’art. 24 al. 1 LAA consiste généralement en un déficit corporel (anatomique ou fonctionnel) mental ou psychique. La gravité de l’atteinte, dont dépend le montant de l’indemnité, se détermine uniquement d’après les constatations médicales. L’évaluation incombe donc avant tout aux médecins qui doivent, d’une part, constater objectivement quelles limitations subit l’assuré et, d’autre part, estimer l’atteinte à l’intégrité en résultant (arrêt 8C_703/2008 du 25 septembre 2009 consid. 5.2 et les références; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., n° 317).

Dans le cadre de l’examen du droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité, il appartient par conséquent au médecin – qui dispose des connaissances spécifiques nécessaires – de procéder aux constatations médicales; telle n’est pas la tâche de l’assureur ou du juge, qui se limitent à faire une appréciation des indications données par le médecin. Le fait que l’administration et le juge doivent s’en tenir aux constatations médicales du médecin ne change rien au fait que l’évaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité – en tant que fondement du droit aux prestations légales – est en fin de compte l’affaire de l’administration ou, en cas de litige, du juge, et non celle du médecin. En contrepartie, l’autorité d’application du droit doit à cet égard respecter certaines limites, dans la mesure où des connaissances médicales – dont elle ne dispose pas – revêtent une importance déterminante pour l’évaluation du droit aux prestations. Si, au terme d’une libre appréciation des preuves, elle arrive à la conclusion que les constatations médicales ne sont pas concluantes, il lui appartient en règle générale d’ordonner un complément d’instruction sur le plan médical. Il n’est en revanche pas admissible que le tribunal ne tienne pas compte des éléments pertinents et qu’il fasse prévaloir d’autres considérations sur les constats médicaux (arrêt 8C_68/2021 du 6 mai 2021 consid. 4.3 et les références).

 

Consid. 4.1
Dans sa décision sur opposition, l’assurance-accidents s’était appuyée principalement sur les appréciations médicales de son médecin-conseil, la Dre E.___. Aux termes de son appréciation du 29.06.2020, cette praticienne a notamment relevé que subjectivement, l’assuré déclarait d’importantes douleurs, mentionnant ne rien pouvoir faire avec sa main gauche. Objectivement, la Dre E.___ constatait une absence d’amyotrophie du membre supérieur gauche et aucun signe objectif d’un SDRC encore actif. Elle observait par contre un col de cygne marqué au niveau du 3e doigt et nettement moins prononcé au niveau des 2e et 4e doigts. La force était nettement diminuée au test de Jamar. Toutefois, il existait d’importantes autolimitations au cours de l’examen, de même que des tremblements induits et des discordances. Sur le plan médical, l’état de santé était stabilisé. La Dre E.___ retenait les limitations fonctionnelles suivantes: activités s’exerçant essentiellement avec la main droite chez cet assuré droitier, la main gauche pouvant uniquement servir d’aide mais ne pouvant pas effectuer d’activités manuelles; pas d’activités au froid mais une activité s’exerçant à l’intérieur. Dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, l’assuré pouvait travailler à 100% sans diminution de rendement. Dans l’ancienne activité et dans toutes les activités bimanuelles, la capacité de travail était nulle. Dans une appréciation séparée du même jour, la Dre E.___ a évalué le taux d’atteinte à l’intégrité à 6%. Elle a exposé que dans la table 1 des atteintes à l’intégrité résultant de troubles fonctionnels des membres supérieurs, il n’y avait aucune atteinte des doigts qui correspondait à un taux d’indemnité pour atteinte à l’intégrité. Cela étant, par analogie, et au vu du manque de mobilité du 3e doigt, elle a considéré que l’assuré présentait des séquelles correspondant à l’image 10 de la table 3 (Révision 2000), à savoir une amputation du 3e doigt, ce qui conduisait à retenir une atteinte à 6%.

Dans son rapport du 06.09.2021, la Dre E.___ a confirmé son appréciation après avoir pris position sur les rapports médicaux présentés par l’assuré, notamment ceux qui concernaient l’indemnité pour atteinte à l’intégrité. Elle se distanciait de l’avis du docteur C.___, qui retenait que l’assuré présentait des séquelles correspondant à un taux d’indemnité pour atteinte à l’intégrité de 20% selon la table 3 et la position 32, parce que cela correspondait à une amputation des doigts II, III et IV; quant à l’estimation de l’atteinte à l’intégrité de 50% des docteurs F.___ et G.___ du Centre d’antalgie de l’Hôpital D.___, qui suivaient l’assuré depuis le 20.11.2019, elle correspondait à une amputation totale de tout le membre supérieur au niveau de l’épaule. La Dre E.___ ne pouvait ainsi pas se rallier à ces conclusions très divergentes qui ne reposaient pas sur les constatations cliniques objectives mais se basaient essentiellement sur les plaintes subjectives de l’assuré, lequel mentionnait ne plus pouvoir rien faire avec son bras gauche; or cela n’était objectivement pas possible, puisqu’il ne présentait pas d’amyotrophie de son membre supérieur.

Consid. 4.2
La cour cantonale a considéré que la Dre E.___ avait elle-même retenu dans ses appréciations que l’assuré pouvait utiliser sa main gauche comme aide mais n’était pas apte à effectuer d’activité manuelle avec celle-ci. Force était donc de constater qu’il présentait une atteinte fonctionnelle du membre supérieur gauche. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité devait par conséquent être évaluée sur la base de la table 1, relative à l’atteinte à l’intégrité résultant de troubles fonctionnels des membres supérieurs. Ainsi, les juges cantonaux ont admis le recours sur ce point et ont renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle évaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité sur la base de la table 1.

Consid. 4.3
L’assurance-accidents reproche aux juges cantonaux d’avoir violé le droit fédéral en procédant de leur propre chef au choix de la table d’indemnisation à appliquer, singulièrement en considérant que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité devait être évaluée en regard d’une atteinte fonctionnelle du membre supérieur gauche. Ce faisant, ils se seraient prononcés sur une évaluation incombant aux médecins. L’évaluation de l’atteinte à l’intégrité étant une question purement médicale, les juges cantonaux n’auraient pas pu décider librement de la table d’indemnisation à appliquer.

 

Consid. 4.4.1
A l’instar de l’assurance-accidents, il sied de souligner d’abord que la juridiction cantonale s’est référée elle-même aux appréciations médicales de la médecin-conseil, sans remettre en cause ses constatations médicales objectives.

Consid. 4.4.2
En ce qui concerne les appréciations de l’atteinte à l’intégrité divergentes des médecins traitants, il appert qu’aucun de ces praticiens ne fait référence à la table 1 d’indemnisation. Ainsi, le docteur C.___ a expliqué que les différentes tables d’indemnisation des atteintes à l’intégrité ne montrent pas de handicap correspondant exactement à cette situation. On peut néanmoins apparenter cette situation à une amputation partielle de la main gauche. Considérant la table 3 (Révision 2000) de la CNA, relative à l’atteinte à l’intégrité résultant de la perte d’un ou de plusieurs segments des membres supérieurs, la position 32 pourrait, par analogie correspondre au préjudice, c’est-à-dire à 20%. Les docteurs F.___ et G.___ se sont, quant à eux, prononcés dans le sens d’une amputation totale de tout le membre supérieur gauche en référence à l’annexe 3 à l’OLAA. Force est donc de constater que ces médecins ne se sont pas prononcés en regard d’une atteinte à l’intégrité résultant de troubles fonctionnels du membre supérieur (table 1), mais en regard d’une atteinte à l’intégrité résultant de la perte d’un ou de plusieurs segments des membres supérieurs, cela par analogie. Dès lors qu’aucun médecin n’a évalué l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en application de la table 1, les juges cantonaux ne pouvaient pas considérer que la table 1 devait s’appliquer en l’espèce, étant rappelé qu’il appartient au médecin d’évaluer l’atteinte à l’intégrité.

Il convient en outre de constater que, sur cette question essentiellement médicale, la cour cantonale s’est distancée de l’avis dûment motivé de la médecin-conseil, sans s’appuyer sur un autre avis médical au dossier. Par conséquent, aucun élément ne lui permettait de considérer que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité devait être évaluée en application de la table 1, d’autant moins que la perte fonctionnelle d’une main n’est pas rapportée dans cette table.

 

Consid. 4.4.3
Vu que la cour cantonale était composée de la Juge présidente et de deux assesseurs, dont un médecin, le docteur H.___, médecin spécialisé en chirurgie plastique et reconstructive, on rappellera qu’il est certes admissible qu’un tribunal s’appuie non seulement sur les connaissances juridiques des juges, mais aussi sur d’autres connaissances spécialisées disponibles au sein du tribunal, notamment celles des juges spécialisés. Toutefois, selon la jurisprudence, la double fonction des membres spécialisés des tribunaux cantonaux des assurances sociales en tant que juges et experts n’est pas sans poser problème et un juge spécialisé ne saurait remplacer le recours à un expert indépendant (cf. arrêt 8C_376/2019 du 6 novembre 2019 consid. 5.1 et les références). En l’occurrence, il ne ressort pas de l’arrêt attaqué si, dans quelle mesure et sur quels aspects l’assesseur H.___ l’aurait concrètement influencé. Quoi qu’il en soit, en procédant à son propre choix de la table d’indemnisation à appliquer, la cour cantonale a assumé une tâche ressortant expressément du domaine médical.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_656/2022 consultable ici