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8C_284/2024 (f) du 15.10.2024 – Rappel du principe inquisitoire en cas de nouvelle demande AI / Aggravation plausible de l’état de santé depuis la dernière décision entrée en force, sur le plan somatique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_284/2024 (f) du 15.10.2024

 

Consultable ici

 

Rappel du principe inquisitoire en cas de nouvelle demande AI / 43 LPGA – 87 al. 2 et 3 RAI

Aggravation plausible de l’état de santé depuis la dernière décision entrée en force, sur le plan somatique / 87 al. 2 et 3 RAI

Requête d’assistance judiciaire rejetée – Recours d’emblée dénué de chances de succès / 64 LTF

 

L’assuré, né en 1979, a déposé plusieurs demandes de prestations auprès de l’assurance-invalidité.

Première demande le 19.01.2016 en raison de douleurs, limitations dans les mouvements et diminution de la sensibilité de la main droite. Par décision du 06.10.2016, l’office AI a rejeté la demande de prestations, l’assuré ne présentant aucune incapacité de travail.

Nouvelle demande le 23.10.2016 basée sur le rapport médical du médecin traitant faisant état de douleurs persistantes aux doigts 2, 3 et 4 de la main droite et d’un syndrome lombo-radiculaire L3 droit depuis 2013. Une expertise pluridisciplinaire (médecine interne générale, rhumatologie, angiologie et psychiatrie) a été mise en œuvre. La nouvelle demande a été rejetée par décision du 25.07.2019.

En février 2020, l’assuré s’est annoncé pour une détection précoce, suivie du dépôt d’une nouvelle demande. Une expertise psychiatrique a été réalisée. Par décision du 30.09.2021, l’office AI a nié le droit de l’assuré à des prestations, faute d’aggravation de l’état de santé.

Le 04.10.2022, l’assuré a déposé une nouvelle demande, notamment pour des douleurs lombaires. L’office AI a refusé d’entrer en matière le 11.05.2023, considérant que la péjoration de l’état de santé n’était que temporaire, d’octobre 2022 à janvier 2023.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 10.04.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 6.1
Dans un premier grief, l’assuré reproche à la juridiction précédente d’avoir établi les faits de manière arbitraire en ce qui concerne son état de santé au moment du dépôt de la nouvelle demande. Il invoque à cet égard avoir produit tous les certificats médicaux en sa possession, sans avoir caché que son état de santé n’était pas stabilisé. Il avait sollicité au demeurant la mise en œuvre d’une expertise et « [était] resté dans l’attente de la décision à venir de l’office AI ». Aussi, les juges cantonaux ne pouvaient écarter les pièces médicales déposées à l’appui de son recours.

Consid. 6.2
Selon la jurisprudence relative à une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité, le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’autorité (art. 43 al. 1 LPGA), ne s’applique pas à cette procédure dans la mesure où, comme en l’espèce, la personne assurée a eu l’occasion de présenter des pièces médicales pour rendre plausible une modification de la situation. Dans ce cas, la juridiction de première instance examine le bien-fondé de la décision de non-entrée en matière de l’office AI en fonction uniquement des documents produits jusqu’à la date de celle-ci et n’a pas à prendre en compte les rapports médicaux déposés ultérieurement ni à ordonner une expertise complémentaire (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5; arrêt 9C_555/2023 du 15 avril 2024 consid. 4.2). Il s’ensuit que la juridiction cantonale n’avait pas à tenir compte, dans le cadre de son examen, des pièces produites postérieurement à la décision du 11 mai 2023.

Consid. 7.1
L’assuré reproche ensuite aux juges cantonaux d’avoir procédé à une application trop restrictive de l’art. 87 al. 3 RAI en examinant sa demande du 4 octobre 2022 à l’aune de la décision du 30 septembre 2021. Selon lui, c’est au regard de sa première demande du 19 janvier 2016, soit en tenant compte d’un laps de temps de plus de six ans, qu’il y avait lieu d’apprécier la modification de son invalidité.

Consid. 7.2
Contrairement à ce que prétend l’assuré, les juges cantonaux ont correctement appliqué l’art. 87 al. 2 et 3 RAI en examinant si les pièces déposées suffisaient à rendre plausible une aggravation de l’état de santé depuis la dernière décision entrée en force. Ils ont toutefois constaté qu’aucun élément médical objectif nouveau n’était à prendre en considération lors de la décision du 30.09.2021, l’état de santé de l’assuré ne s’étant pas aggravé depuis la décision du 25.07.2019. Partant, ils ont pris pour point de départ la situation telle qu’elle se présentait au moment de l’expertise pluridisciplinaire, laquelle a été mise en œuvre dans les suites de la deuxième demande de prestations qui évoquait un syndrome lombo-radiculaire. En effet, les douleurs lombaires dont se prévalait l’assuré à l’appui de sa nouvelle demande avaient été prises en compte par les médecins experts en 2019 et n’avaient pas fait l’objet d’un examen spécifique par l’office AI en 2021. L’assuré ne conteste pas les faits constatés par les juges cantonaux mais se limite à rappeler les circonstances qui ont entouré le dépôt de sa troisième demande, ce qui ne saurait suffire en l’occurrence. Il ne pouvait se limiter à contester l’approche des juges cantonaux sans exposer en quoi le fait de procéder à l’examen de la situation à l’aune de l’expertise pluridisciplinaire constituerait, en l’état, une violation de l’art. 87 al. 2 et 3 RAI. Son grief est mal fondé.

 

Consid. 8.1 [résumé]
L’assuré soutient que les rapports médicaux qu’il a fournis, en particulier celui du 11.01.2023 d’un spécialiste en chirurgie orthopédique, suffisent à démontrer une péjoration de son état de santé justifiant l’entrée en matière sur sa nouvelle demande. Ce rapport mentionne une « arthrose avancée symptomatique des lombaires » nécessitant des infiltrations et envisage une intervention chirurgicale, ce qui, selon l’assuré, attesterait d’une modification à long terme de son état de santé.

Consid. 8.2 [résumé]
Les arguments de l’assuré ne sont pas suffisants pour remettre en question l’appréciation des juges cantonaux. Bien que les rapports médicaux attestent d’une aggravation de l’état de santé en octobre 2022, celle-ci n’a été que temporaire, durant au plus d’octobre 2022 à janvier 2023. Les infiltrations ont permis une amélioration significative des symptômes. Les médecins n’ont pas suffisamment motivé l’incapacité de travail attestée ni décrit précisément les limitations fonctionnelles induites par les diagnostics. Ainsi, les éléments invoqués par l’assuré ne démontrent pas que l’appréciation des juges cantonaux serait erronée.

Consid. 8.3
Pour le surplus, en tant que l’assuré invoque le fait qu’il ne serait plus en mesure d’utiliser sa main droite, de travailler dans son activité habituelle de polisseur ni de conduire, on relèvera, à l’instar des juges cantonaux, que le médecin du SMR a indiqué que la situation au niveau de la main droite n’a pas évolué depuis la dernière décision entrée en force, comme le précisait le médecin traitant.

Consid. 10
L’assuré, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). Au regard des motifs avancés dans le mémoire de recours, celui-ci apparaissait d’emblée dénué de chances de succès et la requête d’assistance judiciaire doit dès lors être rejetée. L’assuré doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_284/2024 consultable ici

 

8C_85/2023 (f) du 16.09.2024 – Rente transitoire – 19 LAA – 30 OLAA / Indexation du revenu sans invalidité [cf. mon commentaire] / Assistance judiciaire – 64 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_85/2023 (f) du 16.09.2024

 

Consultable ici

 

Rente transitoire / 19 LAA – 30 OLAA

Indexation du revenu sans invalidité [cf. mon commentaire] / 16 LPGA

Jurisprudence de l’AI pour les assuré-e-s de plus de 55 ans pas pertinente en LAA

Indemnité pour atteinte à l’intégrité – Aggravation future (arthrodèse) / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Assistance judiciaire – Ressources financières (fortune) du recourant / 64 LTF

 

Assuré, né en 1965, maçon-coffreur, victime d’un accident le 15.02.2017 : alors qu’il était en train de coffrer un mur, il a chuté d’une échelle à 2 mètres de hauteur. L’accident s’est soldé par une fracture ouverte du tibia distal gauche de grade 2, traitée chirurgicalement à plusieurs reprises.

Dès le 01.02.2018, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité entière.

Le 26.05.2021, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle mettrait fin au paiement des soins médicaux et de l’indemnité journalière avec effet au 01.06.2021. Par décision du 24 juin 2021, confirmée sur opposition le 18 octobre 2021, elle a constaté que l’assuré ne remplissait pas les critères établis par l’assurance-invalidité pour ouvrir le droit à des mesures professionnelles et, par conséquent, à une rente d’invalidité transitoire. Elle a également nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, étant donné que la comparaison des revenus de valide et d’invalide ne laissait qu’apparaître une perte économique de 7%. En revanche, elle lui a octroyé une IPAI d’un taux de 15%.

Dans son projet de décision du 08.09.2022, l’office AI a prévu de continuer le versement de la rente d’invalidité, notamment en raison de l’âge de l’assuré (plus de 55 ans) nécessitant au préalable la mise en œuvre de mesures de réadaptation, avant qu’une réduction ou une suppression de la rente d’invalidité soit effectuée.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2021 227 – consultable ici)

Par jugement du 15.09.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.5
En procédure devant le Tribunal fédéral, l’assuré s’en prend également au revenu de valide. En se référant au revenu fixé par l’OAI, il estime que celui-ci serait au moins de 81’444 fr., puisqu’il s’agirait du revenu réalisable en 2016 et que le revenu d’invalide aurait été indexé jusqu’en 2021.

Consid. 3.6
Pour déterminer le revenu de valide de 74’243 fr., l’assurance-accidents s’est fondée sur les informations remises par l’ancien employeur de l’assuré, et en particulier sur le salaire horaire de base pour 2020 (32 fr. 45) qu’elle a multiplié par les heures de travail conventionnelles annuelles (2112) puis par 8,33% pour le 13e salaire. En revanche, s’agissant du revenu d’invalide, l’assurance-accidents l’a indexé pour 2019 (x 0,9%) et 2020 (0,8%) et, pour l’année 2021, elle a tenu compte d’une « estimation trimestrielle de l’indexation actuelle », soit de 0,5%. Dans la mesure où il s’agit toutefois d’une simple estimation provisoire et que l’indexation, à ce moment-là, n’était pas établie au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 144 V 427 consid. 4.3 [ndr : la référence est erronée]), il n’y a pas lieu d’en tenir compte. Cela étant, cette modification n’est pas de nature à changer l’issue du recours, l’incapacité de gain résultant de la comparaison des revenus étant inférieur à 10% (cf. art. 18 al. 1 LAA).

En outre, l’assuré ne démontre pas en quoi le revenu de valide fixé par l’OAI à 81’444 fr. sur la base du revenu en 2016 serait davantage pertinent. On observera dans ce contexte que l’OAI semble avoir considéré à tort que le revenu inscrit au compte AVS individuel de l’assuré en 2016 avait été réalisé sur 9 mois plutôt que sur 10 mois.

 

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme; le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente. Le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur la naissance du droit aux rentes lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité quant à la réadaptation professionnelle intervient plus tard (art. 19 al. 3 LAA).

En se fondant sur cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 30 OLAA  qui, sous le titre « Rente transitoire », prévoit à son alinéa premier que lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité concernant la réadaptation professionnelle n’interviendra que plus tard, une rente sera provisoirement allouée dès la fin du traitement médical; cette rente est calculée sur la base de l’incapacité de gain existant à ce moment-là; le droit s’éteint dès la naissance du droit à une indemnité journalière de l’assurance-invalidité (let. a), avec la décision négative de l’assurance-invalidité concernant la réadaptation professionnelle (let. b) ou avec la fixation de la rente définitive (let. c).

Consid. 4.1.2
Selon la jurisprudence applicable en assurance-invalidité, il existe des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans révolus ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cette jurisprudence, qui est également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5), ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut pas, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, l’office de l’assurance-invalidité doit vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel, même si celui-ci a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste (arrêts 9C_670/2021 du 26 octobre 2022 consid. 4.1; 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 4.1; 9C_276/2020 du 18 décembre 2020 consid. 6 et les arrêts cités).

Consid. 4.2
L’assuré invoque une violation des art. 19 LAA et 16 LPGA en tant que la cour cantonale aurait nié l’application de la jurisprudence précitée en matière d’assurance-accidents. Selon lui, si on imputait aux assurés âgés de plus de 55 ans un revenu exigible alors même qu’ils n’ont pas encore bénéficié des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité, on rendrait les art. 19 al. 3 LAA et 30 OLAA lettres mortes pour cette catégorie d’assurés.

Consid. 4.3.1
L’allocation d’une rente transitoire au sens de l’art. 30 OLAA a pour but d’indemniser l’assuré de sa perte de gain avant l’octroi de mesures de réadaptation professionnelle de l’assurance-invalidité, qui pourraient modifier le degré d’invalidité fondant la rente de l’assurance-accidents. Elle n’entre en considération que si les mesures de réadaptation sont en lien avec une atteinte à la santé d’origine accidentelle (arrêt 8C_892/2015 du 29 avril 2016 consid. 4.1; PHILIPP GEERTSEN, in: Hürzeler/Kieser [édit.], Kommentar zum Schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, 2018, no 30 ad art. 19 LAA; JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in: Meyer [édit.], SBVR, Vol. XIV, Soziale Sicherheit – Sécurité sociale, 3ème éd. 2015, no 260 p. 985). La rente transitoire est fixée, comme la rente ordinaire ou « définitive », en fonction d’une comparaison de revenus. Toutefois, comme l’évaluation intervient avant l’exécution de mesures de réadaptation, seule entre en considération, à ce stade, l’activité qui peut être raisonnablement exigée de la part d’un assuré n’ayant pas encore bénéficié d’une telle mesure, compte tenu d’un marché du travail équilibré. Pour le surplus, la méthode d’évaluation de l’invalidité est identique (ATF 139 V 514 consid. 2.3; GEERTSEN, op. cit., no 37 ad art. 19 LAA; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, no 260 p. 985).

Consid. 4.3.2
Dans le domaine de l’assurance-accidents, l’art. 28 al. 4 OLAA prescrit de prendre en considération, pour évaluer le degré d’invalidité d’un assuré qui n’a pas repris d’activité lucrative après l’accident en raison de son âge, ou dont la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé, les revenus que pourrait réaliser un assuré d’âge moyen dont la santé aurait subi une atteinte de même gravité.

Consid. 4.3.3
En l’espèce, l’OAI envisage l’allocation de mesures de réadaptation professionnelle parce que l’assuré, dont la suppression de la rente de l’assurance-invalidité est envisagée, est âgé de plus de 55 ans. La jurisprudence considère en effet que sauf cas particulier, son âge l’empêche de mettre en valeur sa capacité résiduelle de gain sans mesure de réadaptation professionnelle (cf. consid. 4.1.2 supra). Cette considération n’est toutefois pas pertinente dans le contexte d’une comparaison de revenus pour fixer le droit à la rente de l’assurance-accidents, compte tenu de l’art. 28 al. 4 OLAA, qu’il s’agisse d’une rente transitoire ou d’une rente ordinaire « définitive » (dans ce sens également, arrêt 8C_212/2017 du 1er février 2018 consid. 4.3 et les références). Il s’ensuit que l’assurance-accidents et les juges cantonaux étaient en droit de procéder à une comparaison de revenu en prenant en considération la capacité résiduelle de travail de l’assuré dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, sans égard au fait que des mesures de réadaptation étaient envisagées par l’assurance-invalidité en raison de son âge. Dès lors que le taux d’invalidité résultant de cette comparaison est inférieur à 10%, il n’ouvre droit ni à une rente transitoire, ni à une rente ordinaire « définitive ».

 

Consid. 5.1
L’atteinte à l’intégrité au sens de l’art. 24 al. 1 LAA consiste généralement en un déficit corporel (anatomique ou fonctionnel) mental ou psychique. La gravité de l’atteinte, dont dépend le montant de l’indemnité, se détermine uniquement d’après les constatations médicales. L’évaluation incombe donc avant tout aux médecins qui doivent, d’une part, constater objectivement quelles limitations subit l’assuré et, d’autre part, estimer l’atteinte à l’intégrité en résultant (arrêt 8C_656/2022 du 5 juin 2022 consid. 3.4 et les références citées).

Consid. 5.2
Pour déterminer l’IPAI, les juges cantonaux se sont fondés sur l’appréciation médicale de la médecin-conseil. Dans son rapport du 08.07.2019, cette spécialiste a indiqué que son estimation se basait sur la table 5 des barèmes d’indemnisation pour atteinte à l’intégrité selon la LAA pour une arthrose talo-crurale de la cheville gauche et une mobilité réduite en flexion/extension à 15-0-0°, par analogie à une arthrose tibio-tarsienne de la cheville gauche de degré moyen à grave, soit 15%. Elle a ajouté que cette estimation se fondait sur l’appréciation actuelle et le scanner du 27.05.2019 et qu’elle devra être modifiée en cas d’aggravation.

Consid. 5.3
L’assuré conteste cette appréciation en faisant valoir qu’elle ne tiendrait pas compte de l’aggravation qui serait établie par le fait qu’une arthrodèse serait proposé par les spécialistes. Il estime que le dossier présente des lacunes et que les juges cantonaux auraient substitué leur propre appréciation à celle des médecins.

Consid. 5.4
Si une arthrodèse a été proposée à l’assuré, ce n’est pas parce que l’état de sa cheville gauche s’était aggravé, mais dans un but thérapeutique afin de soulager ses douleurs. Après un examen complet des rapports médicaux pertinents, la cour cantonale a conclu à bon droit qu’une aggravation de l’état du pied gauche n’avait pas pu être objectivée, malgré les nombreux examens qui avaient été effectués à la CRR, notamment un ENMG, un SPECT-CT ainsi que des radiographies du pied et de la cheville gauches. En l’absence d’un avis médical contraire, c’est aussi à juste titre, qu’elle s’est fondée sur l’appréciation de la médecin-conseil pour fixer l’IPAI à 15%, sans qu’il fût nécessaire d’administrer des preuves supplémentaires (cf. ATF 148 V 356 consid. 7.4 sur l’appréciation anticipée des preuves).

 

Consid. 6.2.1
Aux termes de l’art. 64 al. 1 LTF, si une partie ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec, le Tribunal fédéral la dispense, à sa demande, de payer les frais judiciaires et de fournir des sûretés en garantie des dépens. Il attribue un avocat à cette partie si la sauvegarde de ses droits le requiert (art. 64 al. 2 LTF).

Consid. 6.2.2
La condition de l’indigence est réalisée si la personne concernée ne peut assumer les frais du procès sans entamer les moyens nécessaires à son entretien et à celui de sa famille (ATF 128 I 225 consid. 2.5.1; 127 I 202 consid. 3b et les arrêts cités). Pour déterminer l’indigence, il y a lieu de tenir compte de la situation financière du requérant dans son ensemble, soit d’une part de ses charges et, d’autre part, de ses ressources effectives. Il faut également tenir compte de sa fortune, pour autant qu’elle soit disponible (ATF 144 III 531 consid. 4.1; 124 I 1 consid. 1a; 124 I 97 consid. 3a). En cas de mariage, sont pris en considération les ressources et la fortune de la conjointe ou du conjoint (ATF 115 Ia 193 consid. 3a). L’État ne peut toutefois exiger que la partie requérante utilise ses économies, si elles constituent sa « réserve de secours », laquelle s’apprécie en fonction des besoins futurs de l’indigent selon les circonstances concrètes de l’espèce, tel l’état de santé et l’âge de la partie requérante (ATF 144 III 531 consid. 4.1).

Consid. 6.2.3
En l’espèce, il ressort du questionnaire pour l’assistance judiciaire que les dépenses de l’assuré et de sa conjointe dépassent leurs revenus. Cependant, les époux disposent d’une fortune liquide de 206’764 fr., placée sur divers comptes bancaires en Suisse et à l’étranger. L’assuré ne démontre pas qu’il ne pourrait pas disposer librement de ce montant, qui dépasse largement une éventuelle « réserve de secours ». Il dispose ainsi d’une fortune suffisante et disponible pour supporter les frais judiciaires et les honoraires de l’avocat qu’il a mandaté, si bien que la condition de l’indigence n’est pas réalisée. Une des conditions cumulatives de l’octroi de l’assistance judiciaire faisant défaut, la requête d’assistance judiciaire doit être rejetée sans qu’il soit nécessaire d’en examiner les autres.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Remarques personnelles

Le raisonnement du Tribunal fédéral au considérant 3.6, selon lequel une « simple estimation provisoire » ne suffit pas pour l’indexation du revenu sans invalidité à 2021, soulève quelques interrogations.

Premièrement, il convient de noter une possible erreur de référence concernant l’ATF 144 V 427 consid. 4.3 cité. Cette décision traite de l’indemnité en cas d’insolvabilité et de la vraisemblance des créances de salaire, sans comporter de considérant 4.3. Bien que compréhensible, cette imprécision mériterait d’être clarifiée pour assurer une base jurisprudentielle solide.

La position du Tribunal fédéral sur l’insuffisance de l’estimation trimestrielle de l’Office fédéral de la statistique (OFS) pour établir l’indexation au degré de la vraisemblance prépondérante soulève des questions pratiques importantes. Il serait bénéfique que le Tribunal fédéral précise la méthodologie à suivre pour l’indexation des revenus avec et sans invalidité dans de telles circonstances, notamment lorsque les données définitives ne sont pas encore disponibles au moment de la décision.

De jurisprudence constante, la comparaison des revenus s’effectue lorsque toutes les conditions sont réalisées, notamment celles de l’art. 19 al. 1 LAA en assurance-accidents. Dans le cas jugé, l’état de santé a été considéré comme stabilisé en 2021, impliquant que les revenus avec et sans invalidité doivent refléter cette année-là. Cependant, au moment de la décision sur opposition en octobre 2021, l’indexation définitive pour 2021 n’était pas encore disponible, créant ainsi un dilemme pratique pour les organes décisionnels ou pour l’assuré dans le cadre de son recours.

Dans ce contexte, il serait particulièrement utile que le Tribunal fédéral clarifie la méthode à appliquer pour calculer les revenus avec et sans invalidité. Plusieurs options se présentent, chacune avec ses avantages et inconvénients :

  • Utiliser l’indexation définitive jusqu’en 2020 risquerait de ne pas refléter fidèlement, au sens de la vraisemblance prépondérante, la situation économique de 2021.
  • Reprendre le taux d’indexation de 2020 pour 2021 pourrait ne pas tenir compte des évolutions économiques récentes.
  • Utiliser l’estimation provisoire de l’OFS pour 2021, bien qu’imparfaite, pourrait être considérée comme la donnée la plus probante – au sens de la vraisemblance prépondérante – disponible au moment de la décision.

Il est important de rappeler que la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Dans le cas jugé, lors de l’établissement de la décision sur opposition le 18.10.2021, l’estimation provisoire de l’OFS semblait être la meilleure approximation disponible, en l’absence d’autres données plus fiables.

En conclusion, il serait donc appréciable que le Tribunal fédéral apporte des précisions sur les modalités d’indexation à appliquer dans de telles situations, en tenant compte des contraintes pratiques et des données disponibles au moment de la décision. Une telle clarification permettrait non seulement d’assurer une plus grande sécurité juridique, mais aussi de faciliter le travail des organes d’application du droit et des tribunaux inférieurs, tout en garantissant un traitement équitable et cohérent des assurés.

 

Arrêt 8C_85/2023 consultable ici

 

 

8C_475/2024 (f) du 01.10.2024 – Droit à l’assistance gratuite d’un conseil juridique pour la procédure administrative – 37 al. 4 LPGA / Décision pas susceptible de causer à l’assureur social un préjudice irréparable

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_475/2024 (f) du 01.10.2024

 

Consultable ici

 

Droit à l’assistance gratuite d’un conseil juridique pour la procédure administrative en matière d’assurance sociale – Remboursement de l’assitance gratuite / 37 al. 4 LPGA

Décision pas susceptible de causer à l’assureur social un préjudice irréparable / 93 LTF

 

Par décision sur opposition du 12.01.2024, l’assurance-accidents a refusé de prendre en charge les suites d’une agression dont avait été victime l’assuré le 11.10.2022 et a refusé de mettre celui-ci au bénéfice de l’assistance juridique gratuite.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/542/2024 – consultable ici)

Par jugement du 28.06.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, en tant qu’il portait sur la question de l’assistance juridique gratuite, et lui a reconnu le droit à celle-ci pour la procédure administrative à compter du 24.07.2023. Sur le fond, la procédure est toujours pendante devant la juridiction cantonale

 

TF

Consid. 2.2
L’arrêt attaqué, qui porte uniquement sur le droit à l’assistance gratuite d’un conseil juridique pour la procédure administrative en matière d’assurance sociale au sens de l’art. 37 al. 4 LPGA, est une décision incidente au sens de l’art. 93 LTF (cf. ATF 144 V 97 consid. 1; 139 V 600 consid. 2.2). Le recours n’est dès lors recevable que si la décision incidente peut causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF), la seconde hypothèse prévue à l’art. 93 al. 1 let. b LTF n’entrant manifestement pas en considération (ATF 139 V 600 consid. 2.2 et 2.3).

Consid. 3.1
Il appartient à la partie recourante d’alléguer et d’établir la possibilité que la décision incidente lui cause un dommage irréparable, à moins que celui-ci ne fasse d’emblée aucun doute (art. 42 al. 2 LTF; ATF 149 II 170 consid. 1.3; 142 V 26 consid. 1.2 et les références).

Consid. 3.2
En l’espèce, l’assurance-accidents soutient que si les prestations d’assistance juridique sont versées à tort, il sera à craindre que la procédure en restitution de ces prestations se révèle infructueuse, dès lors que l’assuré allègue être sans revenu et qu’il a perçu l’assistance judiciaire en procédure cantonale. Cet argument doit toutefois être écarté dans la mesure où, le cas échéant, l’assurance-accidents pourra réclamer le remboursement de l’assistance juridique non pas au prénommé, mais à sa représentante légale (cf. arrêt 8C_328/2013 du 4 février 2014 consid. 3.2.2, in SVR 2014 IV n° 9 p. 36).

Pour le reste, selon une jurisprudence constante, la décision qui reconnaît le droit d’un assuré à l’assistance gratuite d’un conseil juridique n’est pas susceptible de causer à l’assureur social un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF (cf., parmi d’autres, arrêts 9C_361/2022 du 14 novembre 2022 consid. 1.2; 9C_37/2018 du 21 février 2018; 8C_15/2017 du 16 janvier 2017; 9C_65/2017 du 28 février 2017; 8C_328/2013 consid. 3.2.2 précité).

Il s’ensuit que l’arrêt entrepris ne peut pas faire l’objet d’un recours immédiat devant le Tribunal fédéral. Il pourra en revanche être attaqué, s’il y a lieu, avec la décision finale qu’il précède (arrêt 9C_361/2022 consid. 1.2 précité et les références).

 

Le TF déclare le recours de l’assurance-accidents irrecevable.

 

Arrêt 8C_475/2024 consultable ici

 

9C_744/2023 (f) du 10.06.2024 – Délai de paiement de l’avance de frais – Demande d’assistance judiciaire / Pas de formalisme excessif du tribunal cantonal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_744/2023 (f) du 10.06.2024

 

Consultable ici

 

Délai de paiement de l’avance de frais – Demande d’assistance judiciaire adressée à l’autorité insuffisamment ou non motivée par l’assuré assisté d’un avocat / 61 let. fbis LPGA – 69 al. 1bis LAI – 47 al. 2 LPA-VD

Pas de formalisme excessif du tribunal cantonal

 

Par décision du 23.06.2023, l’office AI a rejeté une demande de prise en charge des frais d’un perfectionnement professionnel déposée par l’assurée.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 240/23 – 282/2023 – consultable ici)

Le 30 août 2023, l’assurée a adressé au tribunal cantonal, un « Mémoire de recours » à l’encontre de la décision du 23.06. 2023.

Par ordonnance du 04.09.2023, le juge instructeur a imparti à l’assurée un délai échéant au 02.10.2023 pour verser une avance de frais de CHF 600, à peine d’irrecevabilité du recours ; il était précisé que ce délai pouvait être prolongé sur requête, respectivement que l’assistance judiciaire pouvait être accordée à certaines conditions, la demande devant être présentée à la Cour des assurances sociales.

Le 29.09.2023, l’assurée a requis une prolongation du délai de paiement de l’avance de frais, car elle était « en train de réunir les pièces nécessaires au dépôt d’une demande d’assistance judiciaire ». Par ordonnance du 03.10.2023, le juge instructeur a accordé à l’assurée une « unique prolongation de délai » au 18.10.2023 pour effectuer l’avance de frais. Par écriture de ce jour-là, l’assurée a fait savoir qu’une demande d’assistance judiciaire avait été adressée postérieurement au dépôt du recours, que cette demande était en cours, et qu’elle était toujours dans l’attente des pièces en cause ; elle se voyait donc contrainte de requérir une nouvelle prolongation de délai « dans l’attente qu’il soit statué sur la demande d’assistance judiciaire ».

Par arrêt du 25.10.2023, la juridiction cantonale a déclaré le recours irrecevable.

 

TF

Consid. 5.1
L’autorité cantonale a constaté qu’elle n’avait pas été saisie d’une demande d’assistance judiciaire, ce qui est exact à la lecture du dossier cantonal. Devant le Tribunal fédéral, la recourante admet qu’elle n’a pas formellement déposé une telle demande, exposant qu’elle était dans l’attente des pièces devant accompagner le formulaire de demande d’assistance judiciaire.

Consid. 5.1.1
Il convient de distinguer l’éventualité où une demande d’assistance judiciaire adressée à l’autorité est insuffisamment ou non motivée, de l’absence de dépôt d’une telle requête.

Consid. 5.1.2
Le Tribunal fédéral a récemment rappelé que dans le cas où une requête d’assistance judiciaire est lacunaire, le juge doit inviter la partie à compléter les informations et les pièces fournies. Ce devoir d’interpellation vaut avant tout pour les personnes non assistées d’un mandataire professionnel et juridiquement inexpérimentées. En revanche, lorsque le plaideur est assisté d’un avocat ou est lui-même expérimenté, l’obligation de collaborer est accrue dans la mesure où il a connaissance des conditions nécessaires à l’octroi de l’assistance judiciaire et des obligations de motivation y relatives. Dans cette dernière éventualité, le juge n’a pas d’obligation d’octroyer un délai supplémentaire à la partie pour compléter sa requête d’assistance judiciaire lacunaire ou imprécise (ATF 120 Ia 179 consid. 3a; arrêt 5A_327/2017 du 2 août 2017 consid. 4.1.3 et les références citées; ordonnance 9C_160/2024 du 6 juin 2024 consid. 3).

Consid. 5.1.3
A fortiori, on doit admettre qu’il en va de même lorsqu’un assuré indique qu’il est en train de recueillir des pièces nécessaires au dépôt d’une demande d’assistance judiciaire qu’il n’a pas encore remise à l’autorité. En effet, lorsque le plaideur est expérimenté ou est assisté d’un avocat, on peut raisonnablement attendre de sa part qu’il conclue formellement à l’octroi de l’assistance judiciaire s’il entend l’obtenir, de surcroît en temps utile, en exposant que la production des justificatifs dont il ne dispose pas encore interviendra ultérieurement.

Comme l’assurée a été informée qu’elle pouvait obtenir l’assistance judiciaire à certaines conditions, notamment qu’elle devait en faire la demande à l’autorité judiciaire (cf. ordonnance du 09.04.2023), il n’incombait plus au juge d’accompagner son avocat dans de telles démarches, ni de lui rappeler une nouvelle fois les termes de cette ordonnance.

Consid. 5.2
S’agissant de l’avance de frais, l’instance cantonale avait clairement indiqué à l’assurée, par ordonnance du 03.10.2023, qu’une « unique prolongation de délai » au 18.10.2023 lui était accordée pour l’effectuer. Si l’on suivait le raisonnement de l’assurée, une partie pourrait en définitive décider à sa guise de s’en tenir ou non aux directives de l’autorité judiciaire, sans que cela puisse avoir d’incidence sur la suite de la procédure; l’art. 47 al. 2 et 3 LPA-VD serait ainsi dénué de toute portée.

Pour obtenir une nouvelle prolongation du délai de paiement de l’avance de frais, l’assurée a soutenu qu’elle avait déposé une demande d’assistance judiciaire (cf. lettre du 18.10.2023), ce qui s’est révélé erroné. Pareille argumentation ne justifie pas de prolonger à nouveau un délai qui avait précédemment déjà été prolongé « pour la dernière fois ».

Consid. 5.3
Vu ce qui précède, l’autorité cantonale pouvait rendre une décision d’irrecevabilité, sans faire preuve de formalisme excessif. Sur ce point, le recours est infondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_744/2023 consultable ici

 

8C_316/2023 (f) du 06.03.2024 – Atteinte à la santé invalidante – Vraisemblance d’un syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_316/2023 (f) du 06.03.2024

 

Consultable ici

 

Atteinte à la santé invalidante – Vraisemblance d’un syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) niée / 7 LPGA – 8 LPGA – 4 al. 1 LAI

Réduction par la juridiction cantonale de la liste de frais produite par l’avocate d’office pour la procédure cantonale – Contestation du montant de l’indemnité allouée par l’avocat d’office et non par l’assuré

 

Assuré, né en 1971, sans formation, travaillait depuis vingt-huit ans comme transporteur de patients. Le 20.11.2018, il a été percuté au genou droit alors qu’il jouait au hockey. Il a subi deux arthroscopies du genou droit les 15.05.2019 et 16.10.2019. L’évolution du cas n’étant pas favorable, l’assuré a été adressé à un spécialiste en anesthésiologie et traitement interventionnel de la douleur.

L’assureur-accidents a mis en œuvre une expertise qu’il a confiée à un spécialiste en chirurgie orthopédique. Par décision du 17.09.2021, l’assurance-accidents a mis fin à la prise en charge du cas à compter du 20.02.2019, soit trois mois après l’accident. Cette décision est entrée en force.

Le cas a ensuite été pris en charge par l’assureur perte de gain en cas de maladie, soit la Caisse de pension de F.__, qui a également mis en œuvre une expertise.

Entre-temps, soit le 23.12.2019, l’assuré s’est annoncé auprès de l’office AI en indiquant être traité depuis mi-avril 2019 pour une déchirure du ménisque, laquelle avait entraîné une incapacité de travail de 50% du 14.04.2019 au 15.05.2019, puis une incapacité de travail de 100% depuis le 16.05.2019.

Par décision du 17.12.2021, l’office AI a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité ou à un reclassement. Se fondant pour l’essentiel sur les conclusions de l’expert orthopédique mandaté par l’assurance-accidents, il a considéré que l’assuré ne souffrait d’aucune atteinte durable à la santé ayant un caractère invalidant et qu’il était dès lors en mesure de poursuivre son activité habituelle ou une activité plus légère.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 23/24 – consultable ici)

La juridiction cantonale a considéré qu’il ne se justifiait pas de s’écarter de l’expertise réalisée par l’expert orthopédique mandaté par l’assurance-accidents, laquelle remplissait les critères posés par la jurisprudence pour lui reconnaître une pleine valeur probante. En outre, l’expert avait décrit clairement les plaintes formulées par l’assuré, ainsi que l’historique médical de l’assuré et l’anamnèse du dossier. Le médecin expert soulignait toutefois les incohérences de ces plaintes, dès lors que l’assuré marchait sans boiterie lorsqu’il ignorait être observé. Les juges cantonaux ont également considéré que le diagnostic de syndrome douloureux régional complexe (SDRC) ou « complex regional pain syndrom » (CRPS) n’avait jamais été formellement posé par un médecin. En effet, si l’expert mandaté par la Caisse de pension avait constaté dans le rapport d’IRM du 03.02.2020 des signes qui pouvaient correspondre à un début de CRPS, constatation partagée par la radiologue ayant réalisé l’IRM, ces deux derniers praticiens ne posaient ni l’un ni l’autre un diagnostic formel, se contentant d’émettre des hypothèses et de mentionner une « suspicion ». En outre, le diagnostic de CRPS avait été écarté par le spécialiste en anesthésiologie dans ses rapports de juillet et décembre 2020. Par ailleurs, la cour cantonale a constaté que tous les médecins s’accordaient à reconnaître que l’assuré ne souffrait d’aucune atteinte à la santé psychique, ce que lui-même ne contestait pas. Dans ces conditions, force était de constater que l’assuré disposait d’une capacité de travail pleine et entière et que celle-ci n’avait jamais été limitée de manière durable. Au surplus, la cour cantonale a retenu que, les deux experts, la scintigraphie réalisée en novembre 2020 ne faisait état d’aucune anomalie et que les critères permettant de retenir un CRPS avaient dès lors disparu à cette date. Or l’expert mandaté par la Caisse de pension affirmait également que les premiers signes d’un début de CRPS ressortaient de l’IRM réalisée en février 2020. Partant, il devait être constaté que les signes cliniques d’un CRPS, si tant est qu’un tel diagnostic ait pu être posé, avaient duré moins d’une année, de sorte qu’un droit à la rente en découlant devait également être nié sous cet angle, si le trouble diagnostiqué devait être assimilé à une atteinte invalidante au sens de la loi. Cette dernière question n’avait au demeurant pas à être examinée, dans la mesure où l’existence même du CRPS n’était pas établie, les médecins traitants semblant au demeurant partir du principe, non vérifiable en l’espèce, qu’un tel trouble serait nécessairement invalidant et ce, dans tous les cas de figure.

Par arrêt du 01.03.2023, la juridiction cantonale a rejeté le recours.

 

TF

Consid. 4.1
Le syndrome douloureux régional complexe (ou complex regional pain syndrome [CRPS]), anciennement nommé algodystrophie ou maladie de Sudeck, a été retenu en 1994 par un groupe de travail de l’International Association for the Study of Pain (IASP). Il constitue une entité associant la douleur à un ensemble de symptômes et de signes non spécifiques qui, une fois assemblés, fondent un diagnostic précis (DR F. LUTHI/DR P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L TURLAN/DR M. KONZELMANN, Syndrome douloureux régional complexe, in Revue médicale suisse 2019, p. 495). L’IASP a aussi réalisé un consensus diagnostique aussi complet que possible avec la validation, en 2010, des critères dits de Budapest, à savoir:

1) Douleur qui persiste et apparaît disproportionnée avec l’événement initial

2) Au moins un symptôme dans trois (critères cliniques) ou quatre (critères recherche) des quatre catégories suivantes:
a) Sensoriel: le patient décrit une douleur qui évoque une hyperpathie et/ou une allodynie
b) Vasomoteur: le patient décrit une asymétrie de température et/ou un changement de couleur et/ou une asymétrie de couleur
c) Sudomoteur/oedème: le patient décrit un oedème et/ou une asymétrie de sudation
d) Moteur/trophique: le patient décrit une raideur et/ou une dysfonction motrice (faiblesse, trémor, dystonie) et/ou un changement trophique (pilosité, ongles, peau)

3) Au moins un signe dans deux des catégories suivantes (critères cliniques et recherche) :

a) Sensoriel: confirmation d’une hyperpathie et/ou allodynie
b) Vasomoteur: confirmation d’une asymétrie de température et/ou changement de couleur et/ou asymétrie de couleur
c) Sudomoteur/oedème: confirmation d’un oedème et/ou asymétrie de sudation
d) Moteur/trophique: confirmation d’une raideur et/ou dysfonction motrice (faiblesse, trémor, dystonie) et/ou changement trophique (pilosité, ongles, peau)

4) Il n’existe pas d’autre diagnostic qui explique de manière plus convaincante les symptômes et les signes cliniques.

S’il est vrai que la doctrine médicale précise que les critères de Budapest sont exclusivement cliniques et ne laissent que peu de place aux examens radiologiques (radiographie, scintigraphie, IRM), elle indique également que sur le plan diagnostique, l’imagerie devrait être réservée aux formes douteuses (celles qui ne remplissent pas les critères de Budapest) et aux localisations pour lesquelles les signes cliniques sont souvent discrets et incomplets (par exemple, le genou) notamment. L’imagerie devrait de plus être réalisée précocement, moins de six mois après le début des symptômes (DRS K. DISERENS/P. VUADENS/PR JOSEPH GHIKAIN, Syndrome douloureux régional complexe: rôle du système nerveux central et implications pour la prise en charge, in Revue médicale suisse 2020, p. 886; F. LUTHI/M. KONZELMANN, Le syndrome douloureux régional complexe [algodystrophie] sous toutes ses formes, in Revue médicale suisse 2014, p. 271).

Consid. 4.2
Force est tout d’abord de constater, en l’espèce, que les motifs retenus par la juridiction cantonale pour écarter les conclusions de l’expert mandaté par la Caisse de pension sont succincts et ressortissent plus d’une analyse formelle que matérielle de la situation. Même si une motivation plus circonstanciée aurait été souhaitable dans le cas d’espèce, il ne se justifie pas de renvoyer la cause à la juridiction cantonale à seule fin d’améliorer la rédaction des motifs de sa décision qui, comme on le verra, n’apparaît pas arbitraire dans son résultat.

 

Consid. 5.2
Quoi qu’en dise l’assuré, il ne ressort d’aucun de ces rapports médicaux que les « critères de Budapest » étaient tous remplis en l’espèce. Si l’on peut admettre l’existence du critère 1, il en va différemment des critères 2 et 3. L’assuré ne décrivait des symptômes que dans deux catégories (allodynie et dysfonction motrice dans le membre inférieur droit) alors qu’il en fallait un dans au moins trois catégories pour retenir le critère 2. Par ailleurs, si tous les médecins ont attesté une légère amyotrophie quadricipitale dans la catégorie moteur/trophique, seuls le spécialiste en anesthésiologie et l’expert mandaté par la Caisse de pension – mais pas l’expert orthopédique mandaté par l’assureur LAA – ont attesté une allodynie dans la catégorie sensorielle alors qu’il fallait un signe dans deux des catégories pour retenir le critère 3. L’expert mandaté par la Caisse de pension admet lui-même n’avoir pas constaté que tous les critères de Budapest étaient remplis (mais presque tous uniquement), en précisant que cela était dû au caractère évolutif de la maladie. Il n’a toutefois pas démontré que l’analyse des rapports des médecins précédemment consultés aurait permis de compléter cette lacune, ce qui n’est manifestement pas le cas.

L’assuré soutient que l’arthro-IRM du genou droit, réalisée en février 2020, révélait une légère hétérogénéité de la moelle osseuse prédominant au niveau sous-cortical du côté latéral, qui serait, selon l’expert mandaté par la Caisse de pension, « assez typique pour la maladie de Sudeck ». Dans ce sens, la radiologue qui avait réalisé cet examen s’était interrogée sur un éventuel début de maladie de Sudeck. Toutefois, comme on l’a vu, cinq mois plus tard, le spécialiste en anesthésiologie expliquait, de manière probante, après les avoir expressément vérifiés, que les critères de Budapest permettant de constater une telle atteinte n’étaient pas remplis. L’expert orthopédique mandaté par l’assureur-accidents posait le même constat que le spécialiste en anesthésiologie dans son rapport d’expertise du 01.12.2020. Enfin, une scintigraphie osseuse réalisée en novembre 2020 ne révélait pas de signe de CRPS. Dans ces circonstances, on ne peut certes pas totalement exclure que l’arthro-IRM de février 2020 traduise effectivement un CRPS débutant, qui n’aurait plus été actif lors de la scintigraphie réalisée en novembre 2020, comme le soutient l’assuré. Les juges cantonaux pouvaient, néanmoins, sans arbitraire, considérer que cet examen et les autres éléments mis en évidence par l’expert mandaté par la Caisse de pension étaient insuffisants pour établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, une telle atteinte à la santé, entraînant une incapacité de travail durable, compte tenu des autres rapports médicaux au dossier.

Consid. 5.3
S’agissant des conséquences de l’état de santé de l’assuré sur sa capacité de travail, les juges cantonaux ont suivi l’avis de l’expert orthopédique mandaté par l’assureur-accidents, lequel a considéré qu’en dehors d’une très légère amyotrophie de la cuisse droite, il n’existait aucun autre signe pouvant justifier, sur le plan orthopédique, un arrêt partiel ou total de l’activité habituelle de transporteur de malades. Tous les autres médecins consultés, antérieurement ou postérieurement à l’établissement de cette expertise, ont abouti à des diagnostics quasi-identiques si l’on exclut celui de « haute suspicion de status post CRPS » posé par l’expert mandaté par la Caisse de pension. Seules divergent leurs conclusions se rapportant à l’évaluation de la capacité de travail de l’assuré. Cependant, dans la mesure où certains médecins, bien que ne faisant pas état d’atteintes objectives à la santé, ont attesté une incapacité de travail de 50% dans une activité adaptée sans motiver plus avant leurs conclusions autrement que par la présence de douleurs au genou droit, il n’était pas arbitraire de ne pas prendre en considération leur opinion à ce sujet.

 

Consid. 6
Dans un ultime grief, l’assuré critique la réduction par la juridiction cantonale de la liste de frais produite par son avocate d’office pour la procédure cantonale. Si la partie à qui l’on a refusé l’octroi de l’assistance juridique pour la procédure cantonale dispose d’un intérêt digne de protection pour contester ce refus, elle n’est en revanche pas légitimée à contester le montant de l’indemnité allouée à son avocat d’office, qui seul a qualité pour recourir contre cette décision, non pas comme représentant de la partie assistée, mais en son propre nom (ATF 131 V 153 consid. 1; arrêts 8C_760/2016 du 3 mars 2017 consid. 5, 9C_81/2016 du 2 mai 2016 consid. 6, 9C_854/2015 du 14 janvier 2016 consid. 1, 5D_205/2011 du 24 janvier 2012 consid. 2.3.3; JEAN MÉTRAL, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 24 ad art. 59 LPGA).

Par conséquent, dans la mesure où l’assuré conteste le calcul de l’assistance juridique accordée dans la procédure cantonale, il n’y a pas lieu d’entrer en matière sur le recours.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_316/2023 consultable ici

 

8C_99/2023 (f) du 07.08.2023 – Stabilisation de l’état de santé – Notion de la rente transitoire – 16 LPGA – 19 LAA – 30 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_99/2023 (f) du 07.08.2023

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé – Notion de la rente transitoire / 16 LPGA – 19 LAA – 30 OLAA

Assistance judiciaire gratuite – Recours dénué de chances de succès / 64 al. 1 LTF

 

Assuré, né en 1983, travaillait depuis le 20.05.2016 comme aide-peintre. Accident le 24.05.2016 : glisse en descendant une échelle et tombe sur les genoux. La chute lui a causé une lésion méniscale du genou gauche et a entraîné une incapacité totale de travailler.

Examen du droit à la rente au 01.02.2022. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accident a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, au motif que le taux d’invalidité de 3,17% était insuffisant pour ouvrir le droit à cette prestation; les limitations fonctionnelles retenues dans ce contexte empêchaient le port de charges lourdes, les déplacements importants ou l’utilisation d’escaliers/échelles et les positions debout prolongée, agenouillée ou accroupie. En revanche, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une IPAI fondée sur un taux de 7,5%.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 81/22-6/2023 – consultable ici)

Par jugement du 17.01.2023, admission partielle du recours par le tribunal cantonal (complément d’instruction pour l’IPAI) et confirmation de la décision sur opposition pour le surplus.

 

TF

Consid. 2.2
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme; le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente. Le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur la naissance du droit aux rentes lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité quant à la réadaptation professionnelle intervient plus tard (art. 19 al. 3 LAA).

En se fondant sur cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 30 OLAA  qui, sous le titre « Rente transitoire », prévoit à son alinéa premier que lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité concernant la réadaptation professionnelle n’interviendra que plus tard, une rente sera provisoirement allouée dès la fin du traitement médical; cette rente est calculée sur la base de l’incapacité de gain existant à ce moment-là; le droit s’éteint dès la naissance du droit à une indemnité journalière de l’assurance-invalidité (let. a), avec la décision négative de l’assurance-invalidité concernant la réadaptation professionnelle (let. b) ou avec la fixation de la rente définitive (let. c).

 

Consid. 4.1
Invoquant la violation de l’art. 19 LAA, l’assuré reproche au tribunal cantonal d’avoir éludé le système de la rente transitoire (art. 30 OLAA), selon lequel il conviendrait – pour déterminer le taux d’invalidité – de considérer provisoirement la capacité de travail de l’assuré (non encore réadapté) dans l’ancienne activité. Dans son cas, il conviendrait de tenir compte de son incapacité totale de travailler dans son ancienne activité de peintre en bâtiment.

Consid. 4.2
L’argumentation est mal fondée. Dans l’hypothèse de l’art. 30 OLAA – à savoir lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré mais que la décision de l’AI concernant la réadaptation professionnelle n’interviendra que plus tard – la rente provisoirement allouée dès la fin du traitement médical est calculée sur la base de l’incapacité de gain existant à ce moment-là. La rente provisoire doit aussi être fixée d’après la méthode de comparaison des revenus. Comme l’évaluation intervient dans ce cas avant l’exécution éventuelle de mesures de réadaptation, seule entre en considération, à cette date, l’activité qui peut raisonnablement être exigée de la part d’un assuré non encore réadapté, compte tenu d’une situation équilibrée du marché du travail (ATF 139 V 514 consid. 2.3; 116 V 246 consid. 3a). Contrairement à ce que soutient l’assuré sur ce point, l’activité raisonnablement exigible ne correspond pas (forcément) à l’activité habituelle. Tel n’est en tout état pas le cas de son ancienne activité de peindre en bâtiment, laquelle n’est précisément plus exigible de sa part, indépendamment de la mise en œuvre de mesures de réadaptation. Il sied encore de relever, à ce dernier propos, que l’assuré a lui-même allégué devant la cour cantonale qu’il n’avait pas bénéficié de telles mesures, de sorte que l’on saisit mal la portée de son argumentation en tant qu’il se plaignait de ce que l’assurance-accidents n’avait pas sollicité des renseignements à cet égard auprès de l’office AI.

 

Consid. 5.1
Toujours sous couvert de la violation de l’art. 19 LAA, l’assuré conteste la stabilisation de son état de santé au 01.02.2022, en invoquant le fait que les premiers juges ont renvoyé la cause sur la question de l’IPAI en raison d’une aggravation de l’arthrose dont l’assurance-accidents n’avait pas tenu compte. Selon lui, il serait incompréhensible que cette même aggravation n’ait pas été considérée comme pertinente s’agissant de l’évaluation de sa capacité résiduelle de travail. En effet, si les lésions du genou sont plus graves, des limitations fonctionnelles plus importantes devraient être retenues. Quant aux traitements chirurgicaux futurs considérés comme possibles par les experts, ils auraient de fortes chances de s’avérer nécessaires au regard de l’aggravation admise dans l’arrêt attaqué.

Consid. 5.2
En l’espèce, le renvoi de la cause pour nouvelle décision sur le taux de l’IPAI repose sur le fait que, dans leur complément d’expertise 27 octobre 2021, les experts de l’Hôpital C.__ avaient retenu un taux de 7,5% en raison d’une arthrose fémoro-tibiale médiale de degré moyen, à savoir une atteinte de grade III selon les critères de Kellgren et Lawrence. Or, il ressortait d’une IRM du genou gauche du 6 mai 2022, qu’il y aurait des lésions de grade III, « voire même IV », au niveau du plateau tibial et du condyle fémoral interne. Comme l’IPAI avait été fixée pour une arthrose qualifiée de moyenne en raison d’une atteinte de grade Ill alors que le stade IV aurait été atteint ou devrait l’être, il convenait de renvoyer la cause pour procéder à une nouvelle évaluation médicale compte tenu de l’état actuel du genou gauche. On ne saurait déduire de ces considérations, et même à la lecture du rapport d’IRM susmentionné – qui au demeurant n’établit pas clairement une atteinte de stade IV -, que l’état de santé de l’assuré n’est pas stabilisé au sens de l’art. 19 al. 1 LAA. On rappellera qu’aux termes de cette disposition, le droit à la rente prend naissance notamment dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré. Or, il ressort du rapport d’expertise de l’Hôpital C.__ qu’il n’y a aucun traitement susceptible d’améliorer la capacité résiduelle de travail de l’assuré et que la poursuite de séances de physiothérapie a un but antalgique et d’assouplissement de la chaîne latérale, mais sans amélioration des symptômes, ni de la capacité de travail. Quant aux reprises chirurgicales évoquées dans le rapport, il n’apparaît pas qu’elles soient concrètement envisagées pour l’assuré et on ne peut en tout cas pas déduire des explications des experts qu’elles interviendraient en cas d’atteinte de grade IV, ni même qu’elles permettraient une nette amélioration de l’état de santé de l’assuré. Enfin, celui-ci ne se prévaut d’aucun avis médical qui permettrait de mettre en doute les limitations fonctionnelles retenues par les experts.

Cela étant, la cour cantonale était fondée à considérer que l’état de santé de l’assuré était suffisamment stabilisé pour se prononcer sur le droit éventuel de l’assuré à une rente d’invalidité. Quant au taux d’invalidité, si l’assuré conclut subsidiairement à l’octroi d’une rente d’invalidité de 100%, il ne discute pas les revenus avec et sans invalidité retenus par les premiers juges, de sorte qu’il n’y a pas lieu de revenir là-dessus.

Au vu de ce qui précède, le recours, mal fondé, doit être rejeté.

 

Consid. 6
L’assuré, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). Au regard des motifs avancés dans le mémoire de recours, celui-ci apparaissait d’emblée dénué de chances de succès et la requête d’assistance judiciaire doit dès lors être rejetée. L’assuré doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_99/2023 consultable ici

 

9C_7/2023 (f) du 31.05.2023 – Admissibilité d’une nouvelle demande d’assistance judiciaire – Reconsidération – 64 LTF / Conditions cumulatives de l’art. 64 al. 1 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_7/2023 (f) du 31.05.2023

 

Consultable ici

 

Admissibilité d’une nouvelle demande d’assistance judiciaire – Reconsidération / 64 LTF

Conditions cumulatives de l’art. 64 al. 1 LTF

 

Par décision du 18.11.2022, la Cour cantonale des assurances sociales a déclaré irrecevable, pour cause de tardiveté, le recours formé par l’assuré contre la décision d’une caisse de compensation (allocation pour impotent de l’AVS). Il a également rejeté la demande d’assistance judiciaire formée par l’intéressé.

Assuré forme un recours devant le Tribunal fédéral contre cette décision dont il demande l’annulation. L’acte est assorti d’une requête d’assistance judiciaire.

Par ordonnance du 15.03.2023, le Tribunal fédéral a rejeté la demande d’assistance judiciaire et imparti à l’intéressé un délai de 14 jours pour verser une avance de frais de 500 francs. Il a retenu que les griefs soulevés dans le recours ne semblaient pas de nature à mettre sérieusement en question la décision entreprise, de sorte que les conclusions prises paraissaient vouées à l’échec (au sens de l’art. 64 al. 1 LTF). La demande d’assistance judiciaire fut par conséquent rejetée, sans examen de la condition de l’indigence.

Le 19.04.2023, l’assuré a demandé derechef au Tribunal fédéral de lui accorder l’assistance judiciaire totale. A l’appui de son écriture, il a déposé différents documents concernant son statut d’apatride et sa situation financière. Le 27.04.2023, le Tribunal fédéral lui a imparti un délai non prolongeable au 08.05.2023 pour verser le montant de l’avance de frais.

Le 6 mai 2023, l’assuré a indiqué qu’il attendait une prise de position du Tribunal fédéral concernant notamment son droit à « l’exemption de caution judicatum solvi » (sic).

 

Consid. 3.1
La Constitution fédérale (art. 29 al. 3 Cst.) n’autorise pas inconditionnellement la partie qui a requis en vain l’assistance judiciaire à formuler une nouvelle demande. Sous l’angle constitutionnel, il suffit que la partie concernée soit en mesure de requérir une fois l’assistance judiciaire. Une deuxième demande d’assistance judiciaire fondée sur le même état de fait présente les caractéristiques d’une demande de reconsidération à l’examen de laquelle ni la loi ni la Constitution ne confèrent une prétention juridique (cf. arrêt 4A_410/2013 du 5 décembre 2013 consid. 3.2 et les références citées). Cette jurisprudence a été développée dans le domaine de la procédure civile. Elle est toutefois transposable mutatis mutandis dans la procédure régissant le recours en matière de droit public, dès lors que la loi sur le Tribunal fédéral ne confère, elle non plus, aucune prétention procédurale au réexamen du droit à l’assistance judiciaire par le Tribunal fédéral lorsque ce bénéfice a été refusé au requérant. Dans l’ATF 127 I 133, le Tribunal fédéral a reconnu un droit constitutionnel inconditionnel à la révision d’une telle décision lorsque le requérant se prévaut de faits importants ou de preuves dont il n’avait pas connaissance dans la procédure ayant mené au refus, qu’il lui aurait été impossible d’invoquer dans cette procédure pour des motifs juridiques ou pratiques ou encore qu’il n’avait alors pas de raison d’alléguer. Un droit à la reconsidération existe ainsi en présence de pseudo nova (cf. ATF 146 I 185 consid. 4.1; 136 II 177 consid. 2.1).

L’admissibilité d’une nouvelle demande d’assistance judiciaire fondée sur une situation modifiée résulte de la circonstance que la décision d’octroi ou de refus de l’assistance judiciaire, en tant que décision incidente, est dotée de l’autorité de chose jugée formelle mais non matérielle (arrêt 4A_482/2022 du 29 novembre 2022 consid. 3.3).

 

Consid. 3.2
En l’espèce, le recourant ne soutient pas que les circonstances du cas d’espèce se seraient modifiées depuis le rejet de sa demande d’assistance judiciaire le 15.03.2023. Il considère tout d’abord qu’il avait droit à l’assistance judiciaire indépendamment des chances de succès de son recours. Ce faisant, il méconnaît le fait que l’art. 64 al. 1 LTF énonce deux conditions cumulatives. Comme les conclusions du recours paraissaient vouées à l’échec, l’une des deux conditions cumulatives posées à l’art. 64 al. 1 LTF pour l’octroi du bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite n’était pas réalisée. Le recourant ne se prévalant d’aucun motif de reconsidération, dans la mesure où sa situation financière n’a joué aucun rôle dans le rejet de sa demande d’assistance judiciaire, il n’y a par conséquent pas lieu d’examiner les nouvelles pièces déposées concernant sa situation financière.

Le recourant fait ensuite valoir que le Tribunal fédéral a insuffisamment tenu compte de la gravité de ses atteintes à la santé et notamment de son âge lors de l’examen de sa demande d’assistance judiciaire. Ce faisant, il perd de vue que la demande de reconsidération n’a pas pour but de permettre à celui qui n’a pas suffisamment exposé les motifs de son recours de réparer sa négligence. Bien plutôt, la demande de reconsidération est soumise à la condition stricte que la personne en cause se prévale de faits importants ou de preuves dont il n’avait pas connaissance dans la procédure ayant mené au refus de l’assistance judiciaire, qu’il lui aurait été impossible d’invoquer dans cette procédure pour des motifs juridiques ou pratiques ou encore qu’il n’avait alors pas de raison d’alléguer. Les faits allégués ne répondent pas à ces conditions, le recourant se limitant à inviter le Tribunal fédéral à procéder à une nouvelle appréciation de sa situation sur la base de faits déjà connus.

A l’inverse de ce que croit le recourant, le Tribunal fédéral ne l’a enfin pas astreint au versement de sûretés en garantie de dépens pour une personne domiciliée à l’étranger (« cautio judicatum solvi »), mais a rejeté sa demande d’assistance judiciaire et lui a imparti un délai pour s’acquitter du montant de l’avance des frais de procédure présumés de la procédure de recours. Le recourant a donc bénéficié du même traitement que toute personne domiciliée en Suisse en ce qui concerne son accès au Tribunal fédéral et l’examen de sa demande d’assistance judiciaire. Sa situation d’apatride n’a joué aucun rôle dans l’examen de sa demande d’assistance judiciaire (cf. art. 16 par. 2 de la Convention du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides [RS 0.142.40]).

Consid. 3.3
Sur le vu de ce qui précède, le recourant ne se prévalant d’aucun motif de reconsidération, il y a lieu d’écarter la requête présentée en ce sens, les conditions permettant d’entrer en matière sur celle-ci n’étant pas réunies.

 

Consid. 4
L’intéressé n’ayant pas effectué l’avance de frais requise dans le délai supplémentaire imparti, nonobstant la mise en garde, son recours est manifestement irrecevable.

 

 

Arrêt 9C_7/2023 consultable ici

 

5A_917/2020 (f) du 12.02.2021 – Retard à statuer du premier juge sur la requête d’assistance judiciaire – Caractère raisonnable du délai dans lequel la cause doit être traitée / Décision relative à l’assistance judiciaire gratuite relève matériellement du droit administratif

Arrêt du Tribunal fédéral 5A_917/2020 (f) du 12.02.2021

 

Consultable ici

 

Retard à statuer du premier juge sur la requête d’assistance judiciaire – Caractère raisonnable du délai dans lequel la cause doit être traitée

Décision relative à l’assistance judiciaire gratuite relève matériellement du droit administratif

 

Procédure oppose depuis le 04.12.2019 leurs parents non mariés B.__ et A.__ devant le Président du Tribunal civil de l’arrondissement de la Gruyère. Dans sa réponse du 16.12.2019, le père a requis l’assistance judiciaire totale, avec effet au 09.10.2019 ; le 24.01.2020, il a produit des pièces complémentaires à l’appui de cette requête.

Le Président du tribunal a tenu deux audiences, les 24.01.2020 et 20.05.2020. Le 21.05.2020, le conseil du père a produit sa liste de frais au titre de l’assistance judiciaire ; le lendemain, ce magistrat lui a répondu qu’il procéderait à leur fixation une fois que le jugement serait définitif et exécutoire.

Le 09.06.2020, le Président du tribunal a prononcé son jugement sous forme d’un dispositif ; il a homologué une convention conclue lors de la dernière audience, qui prévoit notamment que chaque partie assume la moitié des frais judiciaires ainsi que ses propres dépens, sous réserve de l’assistance judiciaire.

 

Procédure cantonale (arrêt 101 2020 347 + 348 – consultable ici)

Le 29.08.2020, le père a formé un recours pour « retard injustifié/déni de justice » ; il a conclu à l’octroi de l’assistance judiciaire totale pour la procédure au fond – son conseil étant désigné comme avocat d’office -, avec effet au 09.10.2019, ainsi que pour la procédure de recours.

Statuant le 28.09.2020, la Ie Cour d’appel civil du Tribunal cantonal a rejeté le recours, en invitant « cependant » le premier juge à statuer, « sans délai et prioritairement », sur les requêtes d’assistance judiciaire des deux parties (ch. I) ; en outre, elle a rejeté la requête d’assistance judiciaire totale du recourant pour la procédure de recours cantonale (ch. II).

 

TF

Dans l’appréciation du caractère raisonnable du délai dans lequel la cause doit être traitée, il faut tenir compte, entre autres éléments, du comportement du justiciable ; il incombe à celui-ci d’entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l’autorité fasse diligence, « que ce soit en l’invitant à accélérer la procédure ou en recourant, le cas échéant, pour retard injustifié » (ATF 130 I 312 consid. 5.2; récemment, parmi d’autres : arrêts 2C_341/2020 du 19 janvier 2021 consid. 5.2; 2C_227/2020 du 21 août 2020 consid. 9.2, in : Pra 2021 n° 2; 1B_122/2020 du 20 mars 2020 consid. 3.1; 5D_205/2018 du 24 avril 2019 consid. 4.3.1). Il s’agit là de conditions alternatives (« ou »), et non cumulatives ; autrement dit, le justiciable n’est pas tenu de s’adresser d’abord au juge qui diffère indument sa décision, le recours pour déni de justice étant précisément l’un des moyens d’accélérer la procédure (cf. récemment :  ordonnance 5A_573/2020 du 10 septembre 2020 consid. 3.2).

En outre, le comportement du justiciable doit être apprécié avec moins de rigueur en procédure pénale et administrative que dans un procès civil, où les parties doivent faire preuve d’une « diligence normale » pour activer la procédure (ATF 130 I 312 consid. 5.2 et les références). Or, la requête sur laquelle le premier juge a tardé à statuer d’une manière injustifiée concerne une procédure opposant directement le justiciable à l’État (ATF 140 III 501 consid. 4.1.2; 139 III 334 consid. 4.2), et non un procès civil ordinaire entre deux particuliers ; même lorsqu’elle s’inscrit dans un procès civil, la décision relative à l’assistance judiciaire gratuite relève ainsi matériellement du droit administratif (arrêt 5P.489/1997 du 13 février 1998 consid. 2b, in : RDAF 1998 I 322 = Pra 1998 n° 80).

 

Pour le surplus, l’inaction que la juridiction précédente impute au recourant n’est nullement avérée.

Certes, l’intéressé n’a rien « entrepris » lorsque le premier juge a accusé réception, le 22.05.2020, de sa liste de frais ; il n’avait cependant pas à le faire, puisque ce magistrat lui avait répondu qu’il procéderait « à la fixation une fois que le jugement serait devenu définitif et exécutoire », étant ajouté que l’avis de dispositif du 09.06.2020 se prononce sur les frais et dépens de la procédure au fond, « sous réserve de l’assistance judiciaire ». Sous cet angle, le reproche de l’autorité précédente heurte manifestement le principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.). Enfin, on ne discerne pas la pertinence d’une « intervention spontanée » du recourant aux observations déposées le 01.09.2020 par le Président du tribunal, alors que le recours pour retard injustifié était pendant.

Vu ce qui précède, le refus de l’assistance judiciaire pour la procédure de recours cantonale ( cf. supra, consid. 2.1 in fine) repose sur le même motif erroné. Le chiffre II du dispositif de l’arrêt entrepris doit dès lors être annulé.

 

Le TF admet partiellement le recours.

 

 

Arrêt 5A_917/2020 consultable ici