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9C_259/2022 (f) du 20.09.2022 – Rappel du principe inquisitoire et du devoir de collaborer de l’assuré à l’instruction de l’affaire / Expertise dans la langue maternelle de l’assurée – Expertise par un psychiatre vaudois germanophone

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_259/2022 (f) du 20.09.2022

 

Consultable ici

 

Rappel du principe inquisitoire et du devoir de collaborer de l’assuré à l’instruction de l’affaire / 43 LPGA – 53 LAI

Nécessité et exigibilité d’une expertise médicale psychiatrique – Pas de motif excusable de l’assurée de ne pas se soumettre à l’expertise / 43 LPGA

Expertise dans la langue maternelle de l’assurée – Expertise par un psychiatre vaudois germanophone

Pas de droit pour l’assuré d’obtenir la traduction dans sa propre langue des pièces de la correspondance avec l’administration

Diagnostic étayé sous l’angle médical point de départ de l’examen du droit aux prestations / 4 al. 1 LAI – 6 ss LPGA

 

Assurée, née en 1966, a déposé une demande AI en août 2018. Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a confié un mandat d’expertise à un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et en a informé l’assurée par courrier du 27.04.2020. Celle-ci a demandé à l’office AI à être examinée par un expert parlant allemand, en lui indiquant qu’elle ne participerait à cette expertise qu’à la condition d’être assistée lors de l’examen et de pouvoir enregistrer l’entretien (courrier du 28.05.2020). L’office AI lui a répondu que l’expert était de langue maternelle allemande, de sorte que les entretiens pourraient être effectués dans cette langue (courrier du 04.06.2020). A cette occasion, il l’a également informée que le rapport d’expertise serait rédigé en français, qu’elle ne pouvait ni être assistée, ni enregistrer les entretiens; il l’a rendue attentive à son devoir de collaborer ainsi qu’au fait qu’un défaut de collaboration pouvait conduire à une décision en l’état du dossier ou à un refus d’entrer en matière sur la demande.

Par courrier du 15.07.2020, l’assurée a demandé à l’office AI de renoncer à une évaluation psychiatrique. Par décision incidente du 18.08.2020, l’office AI a informé l’assurée du maintien de l’expertise psychiatrique et lui a derechef rappelé son devoir de collaborer. L’assurée a de nouveau contesté la nécessité et l’utilité de l’expertise.

Par projet de décision du 18.12.2020, l’administration a informé l’assurée qu’elle envisageait de lui nier le droit à une rente et à des mesures professionnelles, considérant qu’une incapacité de travail n’était pas établie. L’assurée a contesté le projet de décision en indiquant notamment qu’elle avait accepté de se soumettre à une expertise psychiatrique moyennant certaines conditions qu’elle estimait raisonnables. Par décision du 25.02.2021 l’office AI a refusé toute prestation à l’assurée.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 141/21 – 93/2022 – consultable ici)

La juridiction cantonale a considéré qu’il ressortait du dossier médical qu’une expertise psychiatrique était nécessaire, dès lors qu’aucun des nombreux spécialistes consultés par l’assurée n’avait pu poser de diagnostics expliquant ses symptômes, sauf à évoquer des atteintes de type psychosomatique. Elle a en outre admis que l’office AI était en droit de considérer que l’assurée avait refusé de se soumettre, sans motif excusable, à l’expertise psychiatrique ordonnée. Aussi, celui-ci avait-il été en droit de statuer sur les prétentions de l’assurée en l’état du dossier. Or, en l’absence de documents médicaux pouvant expliquer les symptômes de l’assurée et leur gravité, une atteinte entraînant une incapacité de travail durable de 40% n’avait pas été établie. Dès lors, aucune prestation de l’assurance-invalidité ne pouvait être octroyée à l’assurée.

Par jugement du 22.03.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1.1
A titre liminaire, on doit rappeler que la procédure en matière d’assurance-invalidité est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’assureur, qui prend les mesures d’instruction nécessaires et recueille les renseignements dont il a besoin (cf. art. 43 al. 1 LPGA et art. 53 al. 1 LAI; arrêt 8C_445/2021 du 14 janvier 2022 consid. 4.4 et les références). Le devoir d’instruction s’étend jusqu’à ce que les faits nécessaires à l’examen des prétentions en cause soient suffisamment élucidés (arrêt 9C_1012/2008 du 30 juin 2009 consid. 3.2.1 et les références). Selon la jurisprudence, la grande diversité des situations d’expertise exige de la souplesse et l’assureur dispose d’une grande marge d’appréciation en ce qui concerne la nécessité, l’étendue et l’adéquation des investigations médicales (ATF 147 V 79 consid. 7.4.2 et les références).

De son côté, conformément à son devoir de collaborer à l’instruction de l’affaire, l’assuré est tenu de se soumettre aux examens médicaux et techniques qui sont nécessaires à l’appréciation du cas et peuvent être raisonnablement exigés (art. 43 al. 2 LPGA; arrêt 9C_1012/2008 précité). Sont considérés comme nécessaires tous les moyens de preuve qui permettent d’établir les faits pertinents pour l’application du droit. Dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnablement exigible de la mesure, ce n’est pas l’appréciation subjective de la personne assurée qui est déterminante, mais bien plus si les circonstances subjectives (telles que l’âge, son état de santé ou ses expériences antérieures) autorisent, sur un plan objectif, la mesure requise (JACQUES OLIVIER PIGUET, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n. 10 et 11 ad art. 43 LPGA). Selon l’article 43 al. 3 LPGA, si l’assuré ou d’autres requérants refusent de manière inexcusable de se conformer à leur obligation de renseigner ou de collaborer à l’instruction, l’assureur peut se prononcer en l’état du dossier ou clore l’instruction et décider de ne pas entrer en matière. Cependant, il n’y a violation de l’obligation de collaborer par l’assuré au sens de cette disposition que si elle a été commise de manière inexcusable. En ce sens, elle doit être fautive, ce qui est le cas lorsqu’aucun motif justificatif n’est reconnaissable ou que le comportement de la personne assurée s’avère totalement incompréhensible (arrêt I 166/06 du 30 janvier 2007 consid. 5.1 et les références; sur les motifs rendant le défaut de collaboration excusable, cf. arrêt 8C_733/2010 du 10 décembre 2010 consid. 5.3 et les références).

Consid. 5.1.2
En l’espèce, en application de la maxime inquisitoire, la mise en œuvre d’une expertise psychiatrique était nécessaire et se fondait sur plusieurs avis médicaux – et non pas sur une simple « supposition » de l’office AI -, ainsi que l’a retenu la cour cantonale sans arbitraire. En effet, plusieurs médecins consultés ont relevé une composante de type psychosomatique et préconisé un examen psychiatrique. […] En outre, l’assurée omet de mentionner, lorsqu’elle prétend ne jamais avoir souffert de problèmes psychologiques ou pris de médicaments pour des affections psychiatriques, que son médecin traitant, spécialiste en médecine interne générale, avait au contraire mentionné un tel suivi médical; il avait en effet indiqué que l’assurée était « connue pour une structure psychologique particulière et que plusieurs traitements [avaient] été essayés », soit différents antidépresseurs et que cela avait « fonctionné ». Il s’en suit que la réalisation d’une expertise psychiatrique était nécessaire du point de vue de l’instruction, quand bien même l’assurée fait valoir qu’elle n’avait pas déposé sa demande de prestations pour des motifs psychiatriques.

De plus, une expertise psychiatrique était également exigible de l’assurée. […] L’assurée n’invoque, pour contester l’exigibilité de l’expertise en cause, que des critiques d’ordre général sur l’objectivité d’une expertise psychiatrique et son utilité, tout en remettant en cause le fait que les résultats de celle-ci soient vérifiables et en alléguant qu’elle peut contenir des erreurs, ainsi que de fausses assertions. Or ces éléments, examinés sous l’angle objectif ne sont pas suffisants pour conclure qu’une expertise n’était pas exigible du point de vue subjectif. Partant, la cour cantonale n’a pas violé l’art. 43 al. 2 LPGA.

Consid. 5.1.3
Il reste à examiner si le refus de l’assurée de se soumettre à l’expertise psychiatrique ordonnée repose sur des motifs excusables au sens de l’art. 43 al. 3 LPGA. Tel n’est pas le cas au regard des conditions qu’avait posées l’assurée pour accepter l’expertise (expert de langue allemande, accompagnement par une personne de confiance et/ou enregistrement des entretiens). En premier lieu, il ressort des constatations non contestées de la juridiction cantonale que l’office AI avait fait droit à la requête de l’assurée tendant à ce que l’expert parlât l’allemand. Ensuite, ainsi que l’ont dûment rappelé les premiers juges, le droit applicable en vigueur au moment du prononcé de la décision litigieuse ne prévoyait ni la possibilité d’enregistrer les entretiens d’expertises (sur le nouvel art. 44 al. 6 LPGA entré en vigueur au 1er janvier 2022 [RO 2021 705], cf. arrêt 8C_296/2021 du 22 juin 2021 consid. 3.1 et les références), ni celle de s’y faire accompagner par une personne de confiance (ATF 137 V 210 consid. 3.1.3.3 et les références). Dès lors, les conditions que l’assurée avait posées étaient dénuées de pertinence au regard du droit en vigueur en application duquel l’office AI a rendu sa décision.

On doit également constater que la cour cantonale n’a pas fait preuve d’arbitraire en retenant que l’assurée avait exclu catégoriquement de se soumettre à une expertise avant que l’office AI ne l’informe vouloir refuser toute prestation. Son conseil avait en effet écrit, dans un courrier du 16.09.2020, que l’intéressée « rejette l’expertise psychiatrique (et toute autre) ». A cet égard, étant précisé que le refus de collaborer de l’assurée se limitait à la question de l’expertise psychiatrique, son allégation, selon laquelle elle avait toujours pleinement collaboré tout au long de la procédure, ne lui est d’aucun secours. Il en va de même de son argumentation purement appellatoire quant à la prétendue intention de l’office AI d’éviter toute instruction sérieuse de son cas. Dans ces circonstances, le refus de l’assurée de se soumettre à une expertise psychiatrique correspond à une violation de son obligation de collaborer au sens de l’article 43 al. 3 LPGA.

 

Consid. 5.2
L’assurée reproche encore aux premiers juges d’avoir violé l’art. 8 al. 2 Cst. et l’art. 59 al. 6 LAI, voire l’art. 70 al. 1 Cst., en ce qu’elle aurait été discriminée dans le cadre de la procédure, motif pris qu’elle n’aurait pas pu s’exprimer dans sa langue maternelle allemande auprès de l’office AI – entraînant des coûts de traduction importants et des incertitudes juridiques – et n’aurait pas pu, sans une aide extérieure, communiquer avec l’expert.

Pour autant que l’assurée ait satisfait à son obligation de motiver de manière circonstanciée la violation des droits constitutionnels précités (sur ce devoir, cf. ATF 134 V 138 consid. 2.1 et les références), son grief est mal fondé. Lorsqu’il a fait droit à la requête de l’assurée de confier l’expertise à un expert de langue maternelle allemande en lui confirmant que l’entretien serait conduit dans cette langue, l’office AI a respecté les principes posés par la jurisprudence en relation avec les violations invoquées. Selon ces principes, sauf exception justifiée pour des raisons objectives, il y a lieu de donner suite à la demande d’un assuré de désigner un centre d’expertise où l’on s’exprime dans l’une des langues officielles de la Confédération qu’il maîtrise. A défaut, l’intéressé a le droit non seulement d’être assisté par un interprète lors des examens médicaux mais encore d’obtenir gratuitement une traduction du rapport d’expertise (ATF 127 V 219 consid. 2b/aa; arrêts 8C_430/2020 du 15 décembre 2020 consid. 2.2; 8C_90/2014 du 19 décembre 2014 consid. 2.1). On ne saurait ainsi déceler dans le cas d’espèce de discrimination du fait notamment de la langue (art. 8 al. 2 Cst.), voire de l’art. 70 al. 1 Cst. En dehors de ce cadre, on rappellera également qu’il n’existe pas pour l’assuré de droit à obtenir la traduction dans sa propre langue des pièces de la correspondance avec l’administration et qu’il lui appartient dès lors de se faire traduire les actes officiels du dossier (ATF 131 V 35 consid. 3.3 et les références). L’assurée ne saurait en outre déduire de droits plus étendus en se fondant de l’art. 59 al. 6 LAI, selon lequel les offices AI tiennent compte, dans le cadre de leurs prestations, des spécificités linguistiques, sociales et culturelles de l’assuré, sans que ce dernier puisse en déduire un droit à une prestation particulière. La lettre de cette disposition (introduite par la modification de la LEtr du 16 décembre 2016 [Intégration]; RO 2017 6521) est en effet univoque (cf., Message du 8 mars 2013 relatif à la modification de la loi sur les étrangers [Intégration], FF 2013 2131 s. ch. 2).

 

Consid. 5.3
Enfin, l’assurée ne saurait être suivie lorsqu’elle invoque un droit à une rente entière dès le 01.02.2019, en se fondant sur les attestations médicales. On rappellera en effet qu’un diagnostic étayé sous l’angle médical constitue le point de départ de l’examen du droit aux prestations selon l’art. 4 al. 1 LAI, ainsi que les art. 6 ss LPGA (ATF 141 V 281 consid. 2.1 et la référence). Or, le médecin traitant de l’assurée a lui-même indiqué que le diagnostic qui pourrait expliquer les accès de tachycardie et autres symptômes n’est pas clair. Quant à l’expertise réalisée par l’assurance perte de gain maladie auprès d’un spécialiste en médecine interne générale, elle n’atteste que d’une incapacité de travail limitée dans le temps, allant jusqu’à six à huit semaines après la date de l’expertise. Dès lors, par ces seules références, l’assurée ne démontre pas que et en quoi la juridiction cantonale aurait constaté de manière arbitraire qu’une incapacité de travail durable de 40% au moins n’avait pas été établie, faute d’explication médicale relative aux symptômes qu’elle présentait et à la gravité de ceux-ci (sur le lien entre les constatations cantonales sur l’atteinte à la santé, la capacité de travail de la personne assurée ainsi que l’exigibilité et le grief de l’arbitraire, cf. arrêt 9C_160/2021 du 23 juin 2021 consid. 3 et les références).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_259/2022 consultable ici

 

8C_94/2016 (f) du 30.01.2017 – Principe inquisitoire pas absolu – 43 LPGA – 55 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_94/2016 (f) du 30.01.2017

 

Consultable ici : http://bit.ly/2m30JUz

 

Principe inquisitoire pas absolu – 43 LPGA – 55 OLAA

 

 

TF

Si le principe inquisitoire impose à l’assureur de constater les faits d’office (art. 43 al. 1 LPGA; voir également art. 55 al. 1 OLAA), ce principe n’est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire, qui comprend en particulier l’obligation d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2 p. 195 et les références; cf. ATF 130 I 180 consid. 3.2 p. 183 s.).

L’assuré n’expose pas en quoi il lui aurait été impossible de produire des preuves concernant son état de santé entre mai 2007 et juin 2013, de sorte qu’on ne saurait reprocher à l’assurance-accidents un défaut d’instruction à ce sujet, ni d’ailleurs l’absence de versement de prestations.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_94/2016 consultable ici : http://bit.ly/2m30JUz