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8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication – Abattement sur le salaire statistique selon l’art. 26bis RAI (dans sa teneur dès le 01.01.2022 [DCAI]) / Interprétation par le TF des art. 28a al. 1 LAI et 26bis RAI (dans leur teneur dès le 01.01.2022 [DCAI])

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Abattement sur le salaire statistique selon l’art. 26bis RAI (dans sa teneur dès le 01.01.2022 [DCAI])

Interprétation par le TF des art. 28a al. 1 LAI et 26bis RAI (dans leur teneur dès le 01.01.2022 [DCAI])

Début du droit à la rente d’invalidité et mesures de réinsertion / 28 al. 1 let. a LAI – 14a LAI

 

L’assuré, né en 1974, est arrivé en Suisse en décembre 1992 et a travaillé dans le secteur de la construction, en dernier lieu comme manœuvre depuis septembre 2006. Après un accident au genou en février 2018, il a déposé une demande AI en août 2018.

Une mesure d’intégration prévue en mai 2019 a été interrompue pour des raisons de santé. L’assuré a commencé un traitement psychiatrique fin mai 2019. Le contrat de travail a pris fin le 31.12.2019.

Une expertise pluridisciplinaire (médecine interne générale, pneumologie, psychiatrie et rhumatologie), réalisée le 10.06.2022, a conduit l’office AI, le 28.07.2022, à octroyer une rente entière à partir de février 2019 et une rente de 54% à partir de juin 2022. Après contestation, le projet de décision a été confirmée le 09.11.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2022.120 – consultable ici)

Par jugement du 31.08.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, accordant à l’assuré une rente entière dès février 2019 et une rente de 59% d’une rente entière dès juin 2022.

 

TF

L’OFAS forme un recours contre ce jugement en demandant qu’une rente entière soit accordée à l’assuré à partir de juin 2019 et qu’une rente correspondant à 57% d’une rente AI entière soit accordée à partir de mai 2022.

Consid. 4 – Droit applicable
Dans le cadre du « développement continu de l’AI » (DCAI), la LAI, le RAI et la LPGA – notamment – ont été modifiés avec effet au 1er janvier 2022 (RO 2021 705 ; FF 2017 2535). La décision sur laquelle se fonde l’arrêt attaqué ici a été rendue après le 1er janvier 2022. Compte tenu du principe de droit intertemporel (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), il convient de déterminer, selon la situation juridique en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, si un droit à la rente a pris naissance jusqu’à cette date.

Selon la let. b des dispositions transitoires, les bénéficiaires de rente dont le droit à la rente est né avant l’entrée en vigueur de la présente modification et qui n’avaient pas encore 55 ans à l’entrée en vigueur de cette modification, la quotité de la rente ne change pas tant que leur taux d’invalidité ne subit pas de modification au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA. L’assuré, âgé de moins de 55 ans au 1er janvier 2022, tombe sous le coup de cette disposition. Il ne fait aucun doute que son état de santé psychique s’est considérablement amélioré après 2022 et qu’il y a donc lieu d’adapter sa rente. A cet égard, c’est donc le nouveau droit, en vigueur à partir du 1er janvier 2022, qui s’applique, comme l’a reconnu le tribunal cantonal en se référant à l’arrêt 8C_644/2022 du 8 février 2023 (consid. 2.2.3) ainsi qu’à la pratique administrative (ch. 9102 de la Circulaire sur l’invalidité et les rentes dans l’assurance-invalidité [CIRAI], valable à partir du 1er janvier 2022, état au 1er juillet 2022).

Consid. 5.1 (résumé)
Le tribunal cantonal a détaillé les bases juridiques concernant le début du droit à la rente en 2019 (art. 28 al. 1 let. b et c LAI, version jusqu’au 31.12.2021). Les constatations médicales de l’instance précédente ne sont pas contestées, notamment concernant les atteintes somatiques et psychiatriques de l’assuré. Le tribunal cantonal a accordé une valeur probante au rapport d’expertise pluridisciplinaire et s’est basé sur ses indications concernant la capacité de travail (cf. toutefois consid. 5.3 infra).

 

Consid. 5.2.1 (résumé) – Début du droit à la rente
L’OFAS conteste le début de la rente fixé à février 2019, arguant que le tribunal cantonal a violé le principe « la réadaptation prime la rente » (art. 28 al. 1 let. a LAI). L’office fédéral souligne qu’une mesure de réinsertion (art. 14a LAI) a été octroyée à l’assuré du 06.05.2019 au 02.08.2019, accompagnée d’une indemnité journalière versée à l’employeur. Selon l’OFAS, cela aurait dû être pris en compte pour déterminer le début du droit à la rente.

Consid. 5.2.2
C’est à juste titre que l’OFAS renvoie dans ce contexte à la jurisprudence selon laquelle une rente de l’AI ne peut être octroyée avant la mise en œuvre de mesures de réadaptation que si la personne assurée n’est pas ou pas encore apte à la réadaptation en raison de son état de santé, ce qui vaut également pour les mesures de réinsertion. Tant que de telles mesures peuvent être envisagées, le droit à une rente ne doit donc pas être examiné et une rente ne peut pas être accordée. Le fait que le droit à la rente ne puisse en principe naître qu’après la fin des mesures de réadaptation s’applique même si celles-ci n’ont eu qu’un succès partiel ou ont échoué. Il en va autrement après des mesures d’instruction qui doivent montrer si l’assuré est apte à la réadaptation et qui révèlent que ce n’est pas le cas ; dans ce cas, une rente peut être octroyée avec effet rétroactif (cf. ATF 148 V 397 consid. 6.2.4 et les références).

Tel est le cas en l’espèce. La mesure de réinsertion a été interrompue fin mai 2019 après seulement trois jours de présence de l’assuré, pour cause de maladie (arrêt à 100%). La raison pour laquelle aucune rente rétroactive n’aurait dû être accordée le 09.11.2022 dans ce contexte n’est pas claire, notamment au vu de l’expertise pluridisciplinaire sur la capacité de travail. La perception d’indemnités journalières n’y change rien. En effet, dans le cas présent, les indemnités journalières, versées par l’assurance-accidents et non par l’AI, ne s’opposent pas au droit à la rente selon l’art. 68 LPGA.

Consid. 5.3 (résumé)
L’OFAS conteste l’évaluation de l’évolution de la capacité de travail par l’instance cantonale, arguant qu’elle contredit l’expertise, notamment concernant l’amélioration constatée dès février 2022. Cependant, le tribunal cantonal a correctement noté l’absence de capacité de travail résiduelle de février 2018 à février 2022, suivie d’une capacité de 50% dans une activité adaptée. Bien que le tribunal ait fixé l’amélioration à mars 2022 plutôt qu’à février, cette décision, bien que potentiellement moins précise, reste défendable et non arbitraire.

Consid. 5.4 (résumé)
On peut ainsi considérer que l’assuré est, selon l’expertise pluridisciplinaire, en incapacité de travail à 100% depuis février 2018 dans son activité habituelle de manœuvre. Jusqu’en février 2022 inclus, il était également en incapacité totale de travail dans une activité adaptée. Et à partir de mars 2022, il dispose d’une capacité de travail de 50%.

Le tribunal cantonal a constaté les limitations fonctionnelles suivantes. En raison d’altérations dégénératives de la coiffe des rotateurs des deux épaules, l’assuré ne peut plus soulever, porter ou pousser des charges de plus de 5 kg, travailler au-dessus de la tête, ni effectuer des mouvements répétitifs des bras et des mains. En raison d’une pangonarthrose bilatérale, il lui est impossible de travailler principalement debout ou en marchant plus de 30 minutes consécutives, de se pencher en avant, de s’agenouiller ou de s’accroupir, ainsi que d’exercer des activités sur un terrain accidenté ou nécessitant de monter des escaliers ou des échelles. Seules les activités physiques légères, avec alternance des positions, sont exigibles. Les troubles dégénératifs des poignets et de la cheville droite n’entraînent pas de limitation significative. L’exposition à la poussière doit être évitée en raison de l’asthme bronchique, et une fatigue accrue limite l’exercice d’activités à risque de chute ou sur des machines dangereuses. D’un point de vue psychiatrique, l’assuré présente des limitations graves dans la flexibilité, l’adaptation et la capacité à travailler en groupe. Des limitations de degré moyen concernent l’adaptation aux règles, la planification des tâches, l’application des compétences, ainsi que les relations avec des tiers. L’assuré est légèrement limité dans ses activités spontanées.

 

Consid. 6.1
Après avoir écarté les griefs relatifs au début du droit à la rente et la date de l’amélioration de la capacité de travail (passant de 0% à 50% en mars 2022), il reste à examiner les conséquences professionnelles de cette évolution. Le point de litige principal concerne le droit à la rente à partir de juin 2022. Cette évaluation, dans le cadre d’une révision (cf. sur l’importance du droit de révision de l’octroi rétroactif d’une rente échelonnée : ATF 145 V 209 consid. 5.3 ; 133 V 263 consid. 6.1), doit se faire selon le droit en vigueur depuis janvier 2022, à savoir les dispositions légales du 19 juin 2020 et du 3 novembre 2021.

Consid. 6.2
Selon l’art. 28a al. 1, première phrase, LAI, l’évaluation du taux d’invalidité des assurés exerçant une activité lucrative est régie par l’art. 16 LPGA. Selon ce dernier article, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. Aux termes de l’art. 28 al. 1, deuxième phrase, LAI, le Conseil fédéral fixe les revenus déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité ainsi que les facteurs de correction applicables.

Sous le titre «Détermination de la quotité de la rente», l’art. 28b LAI a la teneur suivante : La quotité de la rente est fixée en pourcentage d’une rente entière (al. 1). Pour un taux d’invalidité compris entre 50 et 69%, la quotité de la rente correspond au taux d’invalidité (al. 2). Pour un taux d’invalidité supérieur ou égal à 70%, l’assuré a droit à une rente entière (al. 3). Pour un taux d’invalidité inférieur à 50%, la quotité de la rente est la suivante (al. 4) :

Taux d’invalidité Quotité de la rente
49% 47.5%
48% 45%
47% 42.5%
46% 40%
45% 37.5%
44% 35%
43% 32.5%
42% 30%
41% 27.5%
40% 25%

Consid. 6.3.1
Par délégation de compétence (art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI), le Conseil fédéral a édicté les art. 25, 26 et 26bis RAI, dans leur version du 3 novembre 2021, en vigueur depuis le 1er janvier 2022 (RO 2021 706).

Consid. 6.3.2
Selon l’art. 25 al. 1 RAI, est réputé revenu au sens de l’art. 16 LPGA le revenu annuel présumable sur lequel les cotisations seraient perçues en vertu de la LAVS, à l’exclusion toutefois des prestations accordées par l’employeur pour compenser des pertes de salaire par suite d’accident ou de maladie entraînant une incapacité de travail dûment prouvée (let. a) et des indemnités de chômage, des allocations pour perte de gain au sens de la LAPG et des indemnités journalières de l’assurance-invalidité (let. b).

L’al. 2 de l’art. 25 RAI précise que les revenus déterminants au sens de l’art. 16 LPGA sont établis sur la base de la même période et au regard du marché du travail suisse. Selon l’al. 3, si les revenus déterminants sont fixés sur la base de valeurs statistiques, les valeurs médianes de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) de l’Office fédéral de la statistique font foi. D’autres valeurs statistiques peuvent être utilisées, pour autant que le revenu en question ne soit pas représenté dans l’ESS. Les valeurs utilisées sont indépendantes de l’âge et tiennent compte du sexe. Enfin, l’al. 4 prescrit que les valeurs statistiques visées à l’al. 3 sont adaptées au temps de travail usuel au sein de l’entreprise selon la division économique ainsi qu’à l’évolution des salaires nominaux.

Consid. 6.3.3
Selon l’art. 26 RAI, le revenu sans invalidité (art. 16 LPGA) est déterminé en fonction du dernier revenu de l’activité lucrative effectivement réalisé avant la survenance de l’invalidité. Si le revenu réalisé au cours des dernières années précédant la survenance de l’invalidité a subi de fortes variations, il convient de se baser sur un revenu moyen équitable (al. 1). Si le revenu effectivement réalisé est inférieur d’au moins 5% aux valeurs médianes usuelles dans la branche selon l’ESS au sens de l’art. 25 al. 3 [RAI], le revenu sans invalidité correspond à 95% de ces valeurs médianes (al. 2). Conformément à l’art. 26 al. 3 RAI, l’al. 2 ne s’applique pas lorsque le revenu avec invalidité visé à l’art. 26bis al. 1 RAI est également inférieur d’au moins 5% aux valeurs médianes usuelles dans la branche selon l’ESS au sens de l’art. 25 al. 3 RAI (let. a) ou lorsque l’assuré exerçait une activité lucrative indépendante (let. b). Au sens de l’al. 4 de l’art. 26 RAI, si le revenu effectivement réalisé ne peut pas être déterminé ou ne peut pas l’être avec suffisamment de précision, le revenu sans invalidité est déterminé sur la base des valeurs statistiques visées à l’art. 25 al. 3 RAI pour une personne ayant la même formation et une situation professionnelle correspondante.

Consid. 6.3.4
Enfin, au centre du litige se trouve l’art. 26bis RAI concernant le revenu avec invalidité, dont la teneur est la suivante. Si l’assuré réalise un revenu après la survenance de l’invalidité, le revenu avec invalidité (art. 16 LPGA) correspond à ce revenu, à condition que l’assuré exploite autant que possible sa capacité fonctionnelle résiduelle en exerçant une activité qui peut raisonnablement être exigée de lui (al. 1). Si l’assuré ne réalise pas de revenu déterminant, le revenu avec invalidité est déterminé en fonction des valeurs statistiques visées à l’art. 25 al. 3 [RAI]. Pour les assurés visés à l’art. 26 al. 6 [RAI], des valeurs indépendantes du sexe sont utilisées, en dérogation à l’art. 25 al. 3 [RAI] (al. 2). Si, du fait de l’invalidité, les capacités fonctionnelles de l’assuré au sens de l’art. 49 al. 1bis [RAI] ne lui permettent de travailler qu’à un taux d’occupation de 50% ou moins, une déduction de 10% pour le travail à temps partiel est opérée sur la valeur statistique (al. 3).

 

Consid. 7.1 (résumé)
Le tribunal cantonal a déterminé le revenu sans invalidité pour 2022 à CHF 68’640, en se basant sur les données salariales de 2019 du dernier employeur et en les indexant selon l’évolution des salaires et la convention nationale du secteur de la construction. Il a renoncé à une parallélisation selon l’art. 26 al. 2 RAI, le revenu statistique n’étant que 3,48% supérieur au salaire effectif. Cette approche n’est pas contestée par les parties.

Consid. 7.2 (résumé)
Le tribunal cantonal a calculé le revenu d’invalide de l’assuré en utilisant les données statistiques de l’ESS 2020. Après correction de la durée de travail et de l’évolution des salaires, il a obtenu un revenu annuel hypothétique de CHF 66’073.30, soit CHF 33’036.65 pour une capacité de travail de 50%. Un abattement de 15% a été appliqué en raison des aspects «limitations liées au handicap», «travail à temps partiel» et «catégorie de séjour», portant le revenu d’invalide à CHF 28’080. Le taux d’invalidité est ainsi de 59%. Conformément à l’art. 88a al. 1 RAI, la rente entière a été réduite à 59% à partir de juin 2022.

Consid. 7.3 (résumé)
Dans cette évaluation du revenu d’invalide, qui est au cœur de la présente procédure de recours, le tribunal cantonal a accordé un abattement sur le salaire statistique conformément à la jurisprudence relative à l’ancien droit (en vigueur jusqu’à fin 2021), c’est-à-dire sans appliquer l’art. 26bis al. 3 RAI.

Le tribunal cantonal a justifié sa décision en examinant le matériel législatif, la jurisprudence actuelle et la pratique administrative (ch. 3414 CIRAI). Il a conclu que l’art. 26bis al. 3 RAI révisé ne respectait pas l’intention du législateur. Contrairement à l’avis de l’OFAS, le tribunal cantonal estime que la capacité de travail déterminée médicalement (cf. art. 54 al. 3 LAI concernant les SMR ; art. 49 al. 1bis RAI) ne peut pas évaluer l’exploitabilité de cette capacité sur le marché du travail équilibré. De même, la parallélisation (selon l’art. 26 al. 2 et 3 RAI) ne tient pas compte des facteurs économiques spécifiques à la maladie, et l’assuré n’en bénéficie d’ailleurs pas en l’espèce. Par conséquent, le tribunal cantonal a jugé que l’art. 26bis al. 3 RAI dépassait le cadre formel de la délégation légale. Il a donc choisi de suivre les directives de la jurisprudence actuelle, ce qui l’a conduit à appliquer un abattement de 15% sur le salaire statistique.

 

Consid. 8.1
L’OFAS conteste cet abattement et reproche au tribunal cantonal une violation de l’art. 26bis al. 3 RAI en relation avec l’art. 28a al. 1 LAI, étant donné que, selon ces dispositions, seule une déduction de 10% peut être accordée.

Consid. 8.2 (résumé)
L’OFAS soutient que le Conseil fédéral a établi dans le RAI une règle exhaustive concernant les facteurs de correction. Il n’y a pas d’indication que le Conseil fédéral était obligé de reprendre intégralement les règles de la jurisprudence actuelle sans les examiner. Les facteurs de correction créés par le Conseil fédéral sont considérés comme étant dans le cadre de la norme de délégation au sens large, qui n’a pas été remise en question lors du processus législatif parlementaire. Pour appuyer son argument, l’OFAS cite un arrêt du tribunal cantonal bernois (200 23 389 IV) du 5 septembre 2023, qui a pris une décision contraire à celle du tribunal cantonal de Bâle-Ville sur cette question.

Consid. 8.3.1 (résumé)
L’OFAS souligne que la codification de l’évaluation de l’invalidité est complexe et ne peut pas simplement transposer la jurisprudence actuelle dans une ordonnance générale. Des adaptations étaient nécessaires. Les nouvelles dispositions apportent des améliorations pour les assurés, comme une simplification du parallélisme et l’abandon de la réduction du revenu sans invalidité par tranches d’âge pour les invalides de naissance et précoces avant 30 ans. L’art. 49 al. 1bis RAI exige désormais une prise en compte médicale de toutes les restrictions fonctionnelles. L’OFAS estime que la jurisprudence actuelle laissait une marge d’appréciation trop large, ce qui pouvait augmenter les recours à la suite de l’introduction du droit à la rente linéaire.

Consid. 8.3.2 (résumé)
Selon l’OFAS, les facteurs «âge» et «années de service», jusqu’ici considérés par la jurisprudence, peut être supprimés à l’avenir, comme le suggèrent le tableau T17 de l’ESS et certains arrêts du Tribunal fédéral. Dans l’ensemble, le Conseil fédéral a pris en compte la jurisprudence actuelle dans sa nouvelle réglementation, intégrant la plupart de ses éléments, bien que parfois de manière différente ou à un autre endroit dans le processus d’évaluation.

Consid. 8.3.3 (résumé)
Les solutions forfaitaires ne sont pas inadmissibles en soi et le législateur n’est pas tenu de corriger toute inégalité de fait. L’abattement forfaitaire pour temps partiel de l’art. 26bis al. 3 RAI doit être considéré en lien avec les règles sur le parallélisme (art. 26 al. 2 et 3 RAI) et la prise en compte des limitations dues à l’état de santé dans le cadre de l’évaluation des capacités fonctionnelles (art. 49 al. 1bis RAI). Cette dernière permet une approche spécifique à chaque cas. Ainsi, la schématisation de l’abattement pour temps partiel peut être maintenue dans le respect de l’égalité de traitement constitutionnelle, l’office fédéral citant à nouveau l’arrêt du tribunal cantonal bernois [cf. consid. 8.2 supra].

Consid. 8.3.4
Pour compléter, l’OFAS renvoie enfin à l’adaptation de l’art. 26bis al. 3 RAI au 1er janvier 2024, en application de la motion 22.3377 «Utiliser des barèmes de salaires correspondant à l’invalidité dans le calcul du taux d’invalidité». Celui-ci a la teneur suivante : « Une déduction de 10% est opérée sur la valeur statistique visée à l’al. 2. Si, du fait de l’invalidité, l’assuré ne peut travailler qu’avec une capacité fonctionnelle au sens de l’art. 49, al. 1bis, de 50% ou moins, une déduction de 20% est opérée. Aucune déduction supplémentaire n’est possible.»

Par le biais de la motion, le législateur aurait confirmé qu’il souhaitait que le cadre de délégation soit lui-même interprété de manière large et que l’art. 26bis al. 3 RAI, tant dans sa version à partir de janvier 2022 que dans celle à partir de janvier 2024, s’avérerait conforme à la Constitution et à la loi. Les critiques formulées avec véhémence et légèreté à l’encontre de la nouvelle réglementation étonnent, de même que l’opinion que l’on entend régulièrement selon laquelle la jurisprudence actuelle relative à l’abattement reste applicable. Pour dissiper toute doute, le Conseil fédéral a explicitement précisé dans la modification entrée en vigueur le 1er janvier 2024 qu’aucune autre déduction n’était autorisée.

Consid. 8.3.5
L’office fédéral applique strictement l’art. 26bis al. 3 RAI, n’accordant qu’un abattement de 10% pour le travail à temps partiel. Cette réglementation est considérée comme exhaustive et positive, excluant toute autre déduction sur le revenu d’invalide. En conséquence, le revenu d’invalide de l’assuré est fixé à CHF 29’732.85. Il en résulte un degré d’invalidité de 57%.

 

Consid. 8.4 (résumé)
L’assuré conteste la suppression de l’abattement pour les «limitations liées au handicap» par le Conseil fédéral, estimant qu’elle dépasse le cadre de la délégation. Il argue que l’art. 49 al. 1bis RAI n’apporte rien de nouveau et que l’évaluation de l’exploitabilité de la capacité de travail relève du droit, non de la médecine. Il illustre son point de vue avec son cas, où les experts ont estimé sa capacité de travail à 50% sans considérer d’autres facteurs. L’assuré critique la schématisation du RAI comme trop générale face à la diversité des situations des assurés et affirme que la nouvelle réglementation du parallélisme ne compense pas la suppression de l’abattement.

 

Consid. 9.1
En ce qui concerne l’art. 26bis al. 3 RAI dans sa version du 3 novembre 2021, qui est seul en cause en l’espèce, édicté sur la base de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI – comme les art. 25 ss. et art. 49 RAI –, il s’agit d’un droit d’ordonnance dépendant, et ce non pas de nature exécutive, mais de nature législative (cf. ATF 145 V 278 concernant l’art. 39a RAI ainsi que, sur cette notion : Pierre Tschannen, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgen, 5e éd. 2021, p. 613 ss. N. 1662 ss. et 1669 ss. ; Häfelin/Müller/Uhlmann, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8e éd. 2020, p. 22 ss. n. 93 ss., p. 25 n. 110). Dans le cadre du pouvoir d’examen des normes qui lui revient à cet égard, le Tribunal fédéral doit notamment analyser si l’ordonnance reste dans les limites des pouvoirs conférés par la loi au Conseil fédéral (ATF 144 II 454 consid. 3.2 et 3.3 ; 143 V 208 consid. 4.3 ; 138 II 281 consid. 5.4 ; 137 III 217 consid. 2.3 et les références). Dans la mesure où la loi n’autorise pas le Conseil fédéral à déroger à la Constitution, le tribunal se prononce également sur la constitutionnalité de l’ordonnance dépendante.

Si la délégation légale confère au Conseil fédéral une très large marge de manœuvre pour la réglementation au niveau de l’ordonnance, cette marge de manœuvre est contraignante pour le Tribunal fédéral en vertu de l’art. 190 Cst. Dans un tel cas, le Tribunal fédéral doit se borner à examiner si les dispositions incriminées sortent manifestement du cadre de la délégation de compétence donnée par le législateur à l’autorité exécutive ou si, pour d’autres motifs, elles sont contraires à la loi ou à la Constitution ; il n’est pas habilité à substituer sa propre appréciation à celle du Conseil fédéral. Il peut notamment vérifier si une disposition de l’ordonnance peut être fondée sur des motifs sérieux ou si elle est contraire à l’art. 9 Cst. parce qu’elle est dépourvue de sens et de but, qu’elle établit des distinctions juridiques pour lesquelles aucun motif raisonnable n’apparaît dans les circonstances de fait ou qu’elle omet des distinctions qui auraient dû être faites à juste titre. Le Conseil fédéral est responsable de l’opportunité de la mesure ordonnée ; il ne revient pas au Tribunal fédéral de prendre position au sujet de l’adéquation économique ou politique (ATF 150 V 73 consid. 6.2 ; 146 V 271 consid. 5.2 ; 143 V 208 consid. 4.3 ; 140 II 194 consid. 5.8 ; 136 II 337 consid. 5.1 et les références; cf. aussi arrêt 9C_531/2020 du 17 décembre 2020 consid. 3.2.2.2, non publié in : ATF 147 V 70, mais in : SVR 2021 AVS n° 13 p. 39).

 

Consid. 9.2
La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si celle-ci est claire, c’est-à-dire dépourvue de toute ambiguïté, on ne peut s’en écarter que s’il existe une raison valable de supposer que le texte ne vise pas le «sens véritable» – le sens juridique – de la norme. La genèse de la disposition (historique), son but (téléologique) ou sa relation avec d’autres dispositions légales (systématique) peuvent donner lieu à une telle interprétation, notamment lorsque l’interprétation grammaticale conduit à un résultat que le législateur n’a pas pu vouloir ainsi (ATF 149 V 129 consid. 4.1 avec renvois).

En revanche, si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en tenant compte de tous les éléments d’interprétation (pluralisme pragmatique). Le but de la règle, les valeurs sur lesquelles elle repose ainsi que l’intérêt protégé dans lequel la norme s’inscrit sont déterminants. La genèse n’est certes pas directement déterminante, mais elle sert d’outil pour identifier le sens de la norme. Les matériaux revêtent une importance particulière, notamment pour l’interprétation de textes récents, qui se heurtent encore à des circonstances et à une compréhension du droit peu modifiées. Il est possible de s’écarter du texte lorsqu’il existe des raisons valables de penser qu’il ne reflète pas le véritable sens de la norme. Si plusieurs interprétations sont possibles, il faut choisir celle qui correspond le mieux à la Constitution. Toutefois, même une interprétation conforme à la Constitution trouve ses limites dans la clarté du texte et du sens d’une disposition légale (ATF 148 V 385 consid. 5.1 et les références ; 141 V 221 consid. 5.2.1 et les références ; 140 V 449 consid. 4.2 et les références).

Consid. 9.3
Le libellé de la norme de délégation de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI dont il est question ici semble d’emblée clair. Sous le titre «Évaluation du taux d’invalidité» et après le renvoi à l’art. 16 LPGA contenu dans la première phrase, il est précisé : «Le Conseil fédéral fixe les revenus déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité ainsi que les facteurs de correction applicables» («Der Bundesrat umschreibt die zur Bemessung des Invaliditätsgrades massgebenden Erwerbseinkommen sowie die anwendbaren Korrekturfaktoren» ; «Il Consiglio federale definisce i redditi lavorativi determinanti per la valutazione del grado d’invalidità e i fattori di correzione applicabili »).

Par rapport à la version en vigueur jusqu’à fin 2021, la nouvelle norme légale formelle est plus concrète dans la mesure où l’ancien droit se contentait de dire que le Conseil fédéral fixait «le revenu déterminant pour l’évaluation de l’invalidité» («das zur Bemessung der Invalidität massgebende Erwerbseinkommen»; “il reddito lavorativo determinante per la valutazione dell’invalidità”). Il n’était pas question de facteurs de correction. Ceux-ci existaient toutefois déjà depuis longtemps sur la base de la jurisprudence et ce sous deux formes : d’une part, en tant qu’abattement sur le salaire statistique en vue de corriger les valeurs statistiques utilisées notamment pour le calcul du revenu d’invalide depuis 1988 (cf. ATF 126 V 75 consid. 5a/aa avec référence au consid. 4b non publié de l’ATF 114 V 310). Il s’agissait ainsi de tenir compte du fait que d’autres caractéristiques personnelles et professionnelles d’une personne assurée, telles que l’âge, l’ancienneté dans l’entreprise, la nationalité ou la catégorie de séjour ou le taux d’occupation – comme le documentent les ESS – peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire, ce qui s’est consolidé en tant que jurisprudence, notamment à partir de l’année 2000 (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc et la référence à l’ATF 124 V 321 consid. 3b/aa ; sur la genèse de la jurisprudence, cf. également Meyer/Reichmuth, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Sozialversicherungsrecht, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], 4e éd. 2022, n. 104 ss. ad Art. 28a IVG). D’autre part, la jurisprudence a également établi la correction sous forme de parallélisme, qui doit notamment entrer en ligne de compte lorsque le revenu sans invalidité est nettement inférieur aux valeurs statistiques (ATF 134 V 322 consid. 4.1 ; 135 V 58 consid. 3.4.3, 135 V 297 consid. 5.1 ; sur les deux instruments de correction : ATF 148 V 174 consid. 6.3, 6.4 et 9.2.2 et sur le rapport entre les deux : ATF 146 V 16).

Consid. 9.4
Toutefois, considéré de manière précise, il ne peut être question d’un texte clair que pour le principe, mais pas pour le «comment». Le fait que le Conseil fédéral doive, selon l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI, décrire «les facteurs de correction applicables» et non pas simplement «les facteurs de correction» permettrait certes de comprendre que, selon le texte de la loi déjà, il s’agit de s’en tenir à ce qui était en vigueur selon la jurisprudence antérieure. Une telle continuité ne peut toutefois résulter que de la prise en compte du contexte et des antécédents et non de la formulation de la loi elle-même. Comme il s’agit ici d’un droit très récent, l’intention du législateur revêt une importance particulière (cf. consid. 9.2 supra). Cela rend indispensable la consultation des documents législatifs.

Consid. 9.4.1.1
L’un des éléments centraux du développement continu de l’AI est l’introduction d’un système de rentes linéaire, c’est-à-dire la suppression de l’échelonnement actuel, tout en conservant la valeur la plus basse (40%), le tout dans le but d’éliminer les incitations insuffisantes à l’exercice d’une activité lucrative pour les bénéficiaires de rentes assurés, afin de favoriser la réadaptation (cf. en détail le Message du 15 février 2017 relatif à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [développement de l’AI], BBI 2017 2616 ss. ch. 1.2.4.6, 2638 ss. ch. 1.3.2 [en français : FF 2017 2442 ss ch. 1.2.4.6 et 2461 ss ch. 1.3.2]).

Concernant concrètement le projet de l’art. 28a al. 1 LAI, le message précise que la norme de délégation au Conseil fédéral apporte des précisions s’agissant de la fixation du revenu déterminant : le terme de «revenu déterminant» est employé au pluriel, puisqu’il englobe à la fois le revenu d’invalide et le revenu sans invalidité, dont la comparaison permet de calculer le taux d’invalidité au sens de l’art. 16 LPGA. La pratique définie dans la jurisprudence est inscrite dans le règlement (par ex. cas dans lesquels s’appuyer sur les valeurs effectives et ceux pour lesquels se référer aux barèmes de salaires, et barèmes à appliquer). Par ailleurs, le Conseil fédéral doit procéder aux corrections découlant de la jurisprudence pour ces revenus (par ex. critères à prendre en compte pour une déduction en raison du handicap et montant de la déduction correspondante) (en français : FF 2017 2493 ; en allemand : BBI 2017 2668 ; en italien : FF 2017 2324).

A un autre endroit, le message précise que le Conseil fédéral se voit attribuer la compétence d’introduire au niveau du RAI des règles et des critères élaborés par le Tribunal fédéral et qui sont nécessaires à l’évaluation du revenu d’invalide et du revenu sans invalidité (art. 28a, al. 1, P-LAI). Cette disposition a pour objectif de limiter la marge d’interprétation des offices AI et des tribunaux cantonaux dans la mise en œuvre. Elle doit permettre, d’une part, de garantir une unité de doctrine dans toute la Suisse et, d’autre part, d’éviter autant que possible les litiges portés devant les tribunaux à propos de l’évaluation de l’invalidité, d’autant qu’avec le système de rentes linéaire, chaque point de taux d’invalidité supplémentaire donne droit à une rente différente (en français : FF 2017 2549 ; en allemand : BBI 2017 2725 ; en italien : FF 2017 2382).

 

Consid. 9.4.1.2
Le texte de l’art. 28a al. 1 LAI présenté avec le projet de loi (en français : FF 2017 2570 ; en allemand : BBI 2017 2747 ; en italien : FF 2017 2405/i) correspondait déjà entièrement à celui qui est finalement devenu loi (cf. consid. 6.2 supra).

Dans les commissions comme dans les débats du Parlement, la question de principe de l’introduction – politiquement controversée – du système de rentes linéaire a été au centre des discussions (passage au système de rentes linéaire en tant que tel ; niveau des seuils, notamment pour la rente entière à 70% ou à 80% ; droits acquis pour les bénéficiaires de rentes actuels à 55 ou 60 ans). Aucune intervention n’a été faite sur la norme de délégation qui nous intéresse ici et sur les lignes directrices à respecter. Il convient toutefois de mentionner deux interventions : Le 19 septembre 2019, le conseiller aux Etats Joachim Eder a déclaré en tant que porte-parole de la commission : «Die Bemessung des Invaliditätsgrades bleibt grundsätzlich unverändert » [ndt : L’ évaluation du taux d’invalidité reste en principe inchangée] (BO 2019 p. 798). Lors de la même séance, le chef du département responsable, le conseiller fédéral Alain Berset, s’est également exprimé le même jour (BO 2019 p. 800) : « Cela dit, sur le principe, nous sommes convaincus que le pas vers un système de rentes linéaires est un pas qu’il faut faire pour créer un effet incitatif via la suppression des effets des seuils. Aussi, c’est un pas qu’il faut faire pour faire correspondre, dans la mesure du possible, le taux d’invalidité et la quotité de la rente, et rendre ainsi le système plus proche de la réalité, et plus compréhensible également, ainsi que (…) plus correct, plus juste, pour les assurés. Ce qu’il faut dire dans ce cadre, c’est que, sur le principe, l’évaluation du taux d’invalidité ne change pas. »

Consid. 9.4.2
Malgré l’article défini (« les […] facteurs de correction ») utilisé à l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI, il ne fait aucun doute que la mise en œuvre sous la forme de l’art. 26bis al. 3 RAI en relation avec l’art. 26 al. 2 et 3 RAI se situe, du seul point de vue du libellé de la loi, dans le cadre de la délégation ainsi définie.

Comme déjà indiqué, celui-ci est un peu plus restreint que dans la version précédente, sans toutefois préciser en quoi pourraient consister les facteurs de correction, étant entendu qu’il n’y a pas lieu de se prononcer ici sur la constitutionnalité de la norme légale en question (art. 190 Cst. ; ATF 145 V 129 consid. 4.4). En ce qui concerne le contenu ainsi ouvert, le matériel législatif ne laisse aucun doute sur le fait qu’il s’agit pour l’essentiel de reprendre la jurisprudence actuelle du Tribunal fédéral. Cette intention de réglementation ne découle certes que du message du Conseil fédéral – à l’exception des avis singuliers cités. Cela ne diminue en rien la portée des déclarations répétées (cf. consid. 9.4.1.1 supra). En effet, d’une part, le projet de norme de délégation dont il est question dans le message est devenu loi sans discussion et sans modification. D’autre part, les déclarations contenues dans le message semblent d’autant plus importantes que c’est précisément le futur législateur qui s’est exprimé. Le «message» ainsi transmis, à savoir que l’évaluation de l’invalidité elle-même restait inchangée, a peut-être aussi été la raison pour laquelle aucune discussion n’a eu lieu sur ce point au sein des commissions et des Chambres.

Consid. 9.4.3
Par rapport aux possibilités de correction existantes (cf. consid. 9.3 supra), que le Tribunal fédéral a à nouveau appréciées en détail dans l’ATF 148 V 174 et dont il a souligné l’importance, l’auteur de l’ordonnance a choisi une autre voie avec la disposition dont il est question ici. Même si cela ne s’impose pas d’emblée au vu du libellé, l’intention réglementaire affichée par l’auteur de l’ordonnance ne laisse aucun doute (cf. consid. 9.5.3 supra) : Au lieu de l’abattement à accorder sur la base d’une multitude de critères ou de caractéristiques différentes, qui ne devait pas être appliquée de manière schématique, qui ne devait pas être additionner en fonction de chaque caractéristique, mais fixée de manière globale et dont le taux était limité à 25% (ATF 148 V 174 consid. 6. 3, 419 consid. 5.3 ; 146 V 16 consid. 4.1 ; 134 V 322 consid. 5.2 ; 126 V 75 consid. b), il ne doit plus subsister qu’un seul critère avec la «déduction pour temps partiel», qui est accordée à partir d’une capacité de rendement de 50% ou moins et qui reste limitée à 10% (cf. art. 26bis al. 3 RAI). Cela représente une restriction considérable par rapport à l’éventail utilisé auparavant et existant pour l’essentiel depuis l’ATF 126 V 75 consid. 5a/cc, dont l’utilisation pratiquée au fil du temps a certes été critiquée dans la doctrine comme étant excessive et incohérente (Egli/Filippo/Gächter/Meier, Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung, Zurich 2021, p. 236 ss. N. 688 ss. ont identifié 17 caractéristiques dans la jurisprudence ; cf. également David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, Jusletter 21 novembre 2022 N. 104 ss). Cette constatation n’a certainement pas facilité la tâche du législateur et lui a laissé une marge de manœuvre pour une certaine schématisation et simplification. Lors de l’examen suivant, il convient donc, dans le sens d’une vue d’ensemble, de tenir compte du fait, souligné par le recours, que le Conseil fédéral a ancré d’autres «facteurs de correction» en plus de l’art. 26bis al. 3 RAI. Mais il convient tout autant de rappeler l’art. 16 LPGA, sur la base duquel (resp. déjà sur la base des normes précédentes dans les lois spéciales) s’est développée au fil des ans une jurisprudence abondante concernant différents aspects partiels (ATF 148 V 174 consid. 9.2 en relation avec consid. 6.2 – 6. 5 ; Margit Moser-Szeless, in : Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, N. 1 ad art. 16 LPGA), qui doit être attribuée au contenu normatif fixe de cette disposition et qui n’a en tout cas pas été supplantée dans tous ses éléments par la révision dont il est question ici (cf. Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 1 concernant l’art. 28a LAI in fine).

Consid. 9.5.1
En tant qu’assurance populaire, l’assurance-invalidité protège notamment contre les conséquences économiques de l’invalidité (cf. art. 41 al. 2 et 112 Cst.). En cas de survenue d’un cas d’assurance, c’est la ou les personnes assurées qui sont au centre des préoccupations : conformément à l’art. 43 LPGA, il s’agit de déterminer d’office (avec sa collaboration) son état de santé avec ses répercussions fonctionnelles et ses conséquences sur l’activité lucrative de la manière la plus précise possible, au degré de la vraisemblance prépondérante. Dans cette optique, le principe selon lequel, lors de la comparaison des revenus (art. 16 LPGA), la détermination du revenu sans invalidité et avec invalidité doit être aussi concrète que possible s’est établi dans la jurisprudence depuis de nombreuses années (ATF 148 V 419 consid. 5.2, ATF 148 V 174 consid. 6.2 et 9.2.2 ; 143 V 295 consid. 2.2 et 4.2.1 ; 135 V 297 consid. 5.2 ; 134 V 322 consid. 4.1 ; arrêts 8C_346/2022 du 14 février 2023 consid. 4.2 ; 8C_738/2021 du 8 février 2023 consid. 3.4.2.1 ; cf. en outre Meyer/Reichmuth, op. cit, n. 32 concernant l’art. 28a LAI, n. 49 et n. 81 ainsi que, explicitement, n. 93, tous concernant l’art. 28a LAI, chacun avec des références à la jurisprudence ; Moser-Szeless, op. cit., n. 17 et n. 30 concernant l’art. 16 LPGA). On ne peut se baser sur des valeurs empiriques et moyennes qu’en tenant compte des facteurs personnels et professionnels pertinents pour la rémunération dans le cas d’espèce (ATF 144 I 103 consid. 5.3 et les références ; 139 V 28 consid. 3.3.2 et les références). Dans la doctrine, il est également question dans ce contexte de détermination proche de la réalité et individuelle (cf. Egli/Filippo/Gächter/Meier, op. cit., p. 4, no 10 et les références).

Consid. 9.5.2
On ne voit pas pourquoi le droit révisé devrait s’écarter de ces prescriptions ; au contraire, l’art. 26 al. 1 ainsi que l’art. 26bis al. 1 RAI témoignent du fait qu’il faut continuer à se référer en priorité aux conditions concrètes d’emploi. Nonobstant, l’utilisation de données statistiques sur les salaires constitue dans le quotidien juridique, désormais ancrée dans le droit positif, un moyen auxiliaire indispensable pour l’évaluation de l’invalidité (art. 25 al. 3, 26 al. 4 ainsi que art. 26bis al. 2 RAI), et ce d’autant plus depuis que la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (Suva) a abandonné sa documentation des postes de travail (DPT) sans la remplacer (cf. concernant la DPT : ATF 139 V 592 ; 129 V 472), sans que l’on ait connaissance d’efforts visant à la poursuivre de la part d’autres parties. L’ordre de priorité figurant dans les dispositions citées ci-dessus précise également que, conformément à la jurisprudence, les statistiques sur les salaires doivent être utilisées à titre subsidiaire en tant qu‘ultima ratio lorsqu’il n’est pas possible de déterminer le revenu sans et/ou avec invalidité sur la base et en fonction des circonstances concrètes du cas d’espèce (ATF 142 V 178 consid. 2.5.7 et les références). Avec l’introduction du système de rentes linéaire, l’évaluation du degré d’invalidité au pourcentage près a pris une importance accrue par rapport aux échelonnements de rentes qui étaient déterminants auparavant (ATF 148 V 174 consid. 6.6). En conséquence, les facteurs de correction selon l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI revêtent une grande importance dans les cas d’espèce.

Consid. 9.5.3
En ce qui concerne les différents «facteurs de correction», il convient de constater ce qui suit.

Consid. 9.5.3.1
La position de l’OFAS, également défendue dans la présente procédure, est déjà illustrée dans son «rapport explicatif» après la procédure de consultation sur les dispositions d’exécution de la modification de la LAI (développement de l’AI) du 3 novembre 2021 (ci-après : OFAS, rapport explicatif). L’office y indique (en français : cf. p. 52 s. ; en allemand : p. 53 s.) que les limitations strictement dues au handicap (restrictions médicales à l’exercice d’une activité lucrative de nature quantitative et qualitative) doivent systématiquement être prises en compte pour l’appréciation de la capacité fonctionnelle de l’assuré (cf. art. 49 al. 1bis RAI). Par rapport à la solution actuelle, cette approche se révèle plus avantageuse pour les assurés puisque la limitation de l’abattement sur le salaire statistique en raison d’une atteinte à la santé à 25% est ainsi supprimée. Cette procédure tient davantage compte des restrictions dans la réalité de l’activité professionnelle que l’ancienne procédure avec une déduction forfaitaire en pourcentage («liée à l’affection») sur le revenu d’invalide (cf. feuille d’information du 4 avril 2022 «Calcul du degré d’invalidité dans le cadre du développement de l’AI», p. 3).

Consid. 9.5.3.2
On ne voit pas en quoi cela aurait créé une nouveauté par rapport à la situation antérieure. Le libellé de l’art. 49 al. 1bis RAI dans toutes les versions linguistiques (cf. consid. 6.3.4 supra) ainsi que les explications mentionnées en introduction se réfèrent clairement et exclusivement à la capacité de travail attestée médicalement et aux restrictions y relatives. Les médecins (du SMR) n’ont d’ailleurs pas à se prononcer sur d’autres points (cf. art. 54a al. 2 et 3 LAI), ce qui irait à l’encontre de la répartition des tâches entre les praticiens du droit et les médecins, soulignée depuis toujours par la jurisprudence (cf. ATF 140 V 193 concernant la capacité de travail ; arrêt 8C_809/2021 du 24 mai 2022 consid. 5.4 concernant l’exploitabilité de la capacité de travail résiduelle sur un marché du travail équilibré). Ainsi, il appartient au médecin de définir, outre la capacité de travail médico-théorique, un profil d’exigibilité et d’attester, par exemple, d’un rendement réduit, d’absences dues à la thérapie ou d’un besoin accru de pauses, et d’estimer ces derniers aspects – quantifiables – lors de l’estimation de la capacité de travail (cf. arrêt 9C_356/2018 du 12 octobre 2018 consid. 5, où cela a été pris en compte dans l’abattement).

En revanche, il échappe au domaine de compétence du médecin, défini tant sur le plan technique que légal (cf. art. 54a al. 2 et 3 LAI), de déterminer, en raison par exemple d’un profil d’exigibilité très restrictif, s’il en résulte, pour un potentiel de ressources en soi intact, une perte économique – du point de vue de l’aptitude à l’emploi – par rapport au salaire statistique de référence (cf. par exemple les arrêts 8C_683/2023 du 18 avril 2023 consid. 5.4 concernant la limitation à des activités légères avec diverses autres restrictions et – entre autres – des absences non prévisibles ; 8C_706/2022 du 5 décembre 2023 consid. 6.3.2.3 concernant un monomanuel avec d’autres restrictions qualitatives, mais avec un rendement complet ; 8C_297/2018 du 6 juillet 2018 consid. 4.3 se référant à un QI total de 73 ; 8C_19/2016 du 4 avril 2016 consid. 5.5.2 concernant le non-exercice de longue date de l’activité habituelle ; cf. également l’arrêt 9C_549/2012 du 7 mars 2013 consid. 3.3.2 ainsi que Meyer/Reichmuth, op. cit, n. 107 concernant l’art. 28a LAI avec d’autres références ; Kaspar Gerber, in : Thomas Gächter [éd.], Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, IVG, Berne 2022, n. 153 s. concernant l’art. 28a LAI semble voir implicitement dans ce contexte des restrictions exclusivement justifiées par des raisons médicales). Ce genre de situation n’est pas rare dans la pratique. Rappelons à titre d’exemple les cas d’assurés manchots ou monomanuels dont le rendement n’est pas limité, mais dont le profil d’activité n’est plus utilisable que de manière restreinte et qui doivent de ce fait s’attendre à des pertes de salaire. Ce dernier cas relève du domaine des faits d’expérience juridiques et non de celui de la nécessité médico-théorique, raison pour laquelle il n’est pas possible d’en tenir compte par le biais de l’art. 49 al. 1bis RAI et qu’il convient plutôt de procéder à une correction normative (cf. sur la délimitation des compétences et sur l’ensemble : Gächter/Meier, Dichtung und Wahrheit im Umgang mit LSE-Tabellenlöhnen, Jusletter 4 juillet 2022 n. 58 ss, 62 ; cf. également Gabriel Hüni, Der Abzug vom tabellarischen Invalideneinkommen, Jahrbuch zum Sozialversicherungsrecht [JaSo] 2024 p. 78 ss, en particulier sur la répartition des tâches et les assurés monomanuels, p. 80).

Consid. 9.5.3.3
L’Office fédéral reconnaît un autre facteur de correction dans la parallélisation. Celle-ci vise le revenu de valide et, par rapport à la jurisprudence en vigueur jusqu’ici (cf. ATF 135 V 58 et 135 V 297), elle est désormais admise plus facilement (cf. art. 26 al. 2 et 3 RAI et consid. 6.3.3 supra), en ce sens que le motif de la réalisation d’un revenu modeste n’a plus d’importance. Dans la doctrine, cette nouveauté est saluée comme étant appropriée et la jurisprudence actuelle est considérée comme étant devenue sans objet (Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 127 ad art. 28a LAI avec renvois). Ces mêmes auteurs s’opposent en revanche – entre autres – au point de vue défendu dans le recours ainsi que dans la pratique administrative selon le ch. 3414 CIRAI [ndt : dans la version antérieure au 1er janvier 2024 ; dès cette date : ch. 3418 CIRAI], selon lequel les facteurs économiques qui existaient avant la survenance de l’atteinte à la santé (statut de séjour, nationalité, absence de formation, âge, nombre d’années de service, par ex.) sont pris en compte lors de la mise en parallèle du revenu sans invalidité (Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 129 ad art. 28a LAI).

En réalité, il arrive souvent que les facteurs en question, sans avoir eu auparavant – notamment en période de plein emploi – une influence significative sur le revenu sans invalidité, ne se traduisent par une diminution du salaire qu’en cas d’invalidité. Dans ce cas, conformément à l’art. 26 al. 2 RAI, la possibilité d’un parallélisme est supprimée (faute d’une différence de salaire d’au moins 5%), ce qui ne peut plus être compensé par un abattement sur le salaire statistique, conformément à la novelle contestée ici. C’est précisément sur ces fonctions différentes des deux facteurs de correction que le Tribunal fédéral a déjà attiré l’attention dans l’ATF 146 V 16 consid. 6.2.1, en ce sens que dans le cas de la parallélisation, il faut toujours examiner les aspects liés à la personne – déjà présents dans le cas en question – alors que, dans le cas de l’abattement en raison des limitations liées au handicap, ce sont les aspects liés à l’état de santé qui ne prennent effet qu’en présence de troubles à la santé qui sont au premier plan (cf. Gächter/Meier, op. cit., ch. 54 ss ainsi que Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 3 concernant l’art. 28a LAI).

Dans ce contexte, la précision, dans le recours, qu’il s’agirait de toute façon d’aspects étrangers à l’invalidité n’est pas non plus pertinente. Ce qui est déterminant, c’est plutôt le fait qu’ils ne se manifestent souvent qu’en cas d’atteinte à la santé et qu’ils sont donc bel et bien liés à l’invalidité (cf. Gächter/Meier, op. cit., n. 55 concernant le manque de formation et d’expérience). Ainsi, l’art. 26 al. 2 RAI peut certes avoir un effet correctif là – et seulement là – où la personne assurée était déjà désavantagée par les facteurs mentionnés avant la survenance de l’atteinte à la santé, mais pas précisément dans les cas où elle est tenue de changer d’activité en raison de son état de santé et où ce n’est qu’après qu’elle subit des désavantages salariaux par rapport aux personnes en bonne santé.

Consid. 9.5.3.4.1
De l’avis de l’office fédéral recourant, les facteurs «âge» et «années de service» ne sont plus importants. Se référant au tableau T17 de l’ESS (salaire mensuel brut [valeur centrale] selon les groupes de professions, l’âge et le sexe), il estime que le facteur de l’âge n’a dans aucune catégorie un effet réducteur sur le salaire. Selon la jurisprudence, l’importance du facteur de l’ancienneté diminue également dans le secteur privé, plus le profil d’exigences est faible et des rapports de travail prolongés avec un même employeur peuvent aussi avoir un impact positif sur le salaire initial auprès du nouvel employeur (cf. OFAS, rapport explicatif [p. 52 en français ; p. 54 en allemand]). Il est en revanche admis que le facteur de l’âge peut être pris en compte lors de l’examen de la mise en œuvre de la capacité de travail résiduelle sur un marché du travail équilibré (ibid., note 89 [ndt : dans la version allemande ; en français, la nbp 88 ne cite que l’arrêt du TF]).

Consid. 9.5.3.4.2
En ce qui concerne ce dernier point, la position de l’office fédéral, bien que justifiée sur le fond, ne semble finalement pas cohérente, bien qu’il faille séparer les deux aspects, ici l’inaptitude à l’emploi en raison de l’âge, là la perte de salaire (cf. à ce sujet Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 114 ad art. 28a LAI ; Ionta, op. cit., n. 203 p. 49). D’autre part, il est vrai que la jurisprudence a souligné dans un grand nombre de cas que l’importance des années de service dans le secteur privé diminue à mesure que le profil d’exigences est moins élevé (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc et la référence ; cf. p. ex. arrêt 8C_438/2022 du 26 mai 2023 consid. 4.3.5). De même, de nombreux arrêts considèrent que, notamment dans le domaine des travaux auxiliaires sur un marché du travail hypothétiquement équilibré, un âge avancé n’a pas nécessairement d’effet sur le salaire, d’autant plus que ce type de travaux est justement demandé indépendamment de l’âge (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1 et les références ; arrêts 8C_215/2023 du 1er février 2024 consid. 5.2.2.2 ; 8C_375/2023 du 12 décembre 2023 consid. 7.4).

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral n’argumente plus depuis longtemps sur la base des statistiques salariales citées dans le recours (TA9 et T17), qui font état d’une augmentation de revenu à un âge avancé (cf. à ce sujet Ionta, op. cit. p. 50 n. 207 ss.). Il a plutôt laissé explicitement ouverte la question de savoir si et dans quelle mesure ces valeurs statistiques, obtenues pour l’essentiel à partir de rapports de travail stables et de longue durée, notamment dans la tranche d’âge supérieure, s’appliquent également aux assurés qui, en raison de leur invalidité, doivent se réorienter à un âge avancé (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1). Il a toutefois reconnu dans le même temps que les données statistiques disponibles ne permettaient pas non plus d’étayer de manière générale le contraire – à savoir un revenu inférieur à la moyenne pour les assurés dont la durée d’activité jusqu’à la retraite est courte (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1). Dans la doctrine, on fait remarquer à ce sujet qu’en raison de l’âge avancé, la flexibilité pour apprendre une nouvelle activité diminue fortement. En outre, les travailleurs âgés doivent supporter des charges salariales accessoires plus élevées sous la forme de cotisations patronales plus importantes, ce qui rend plus difficile pour eux de réaliser des salaires (médians) initiaux élevés dans un nouvel emploi (Gächter/Meier, op. cit., p. 19 n. 56). La jurisprudence n’a pas admis cet argument en invoquant l’absence de preuves statistiques de pertes correspondantes (cf. arrêts 8C_627/2021 du 25 novembre 2021 consid. 6.2 ; 8C_841/2017 du 14 mai 2018 consid. 5.2.2.3 ; 8C_439/2017 du 6 octobre 2017 consid. 5.6.4 et les références). Tout cela ne change toutefois rien au fait qu’il existe bel et bien des exemples dans la pratique où le facteur de l’âge a été pris en compte dans le cadre d’une appréciation globale et a conduit à l’octroi ou à la confirmation d’un abattement sur le salaire statistique (arrêts 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.3.3 ; 9C_470/2017 du 29 juin 2018 consid. 4.2 ; 9C_242/2012 du 13 août 2012 consid. 3 ; 9C_390/2011 du 2 mars 2012 consid. 3 ; 9C_1030/2008 du 4 juin 2009 consid. 3 ; autres exemples chez Egli/Filippo/Gächter/Meier, op. cit. n. 502-528). Ce que la jurisprudence rejette, c’est un automatisme selon lequel une déduction est accordée sans autre à partir d’une certaine limite d’âge (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1 ; cf. également SVR 2021 IV no 77, 9C_497/2020 consid. 5.2.2). En ce qui concerne le critère en question, ce sont toujours les circonstances concrètes du cas qui sont déterminantes et qui doivent être prises en compte dans l’appréciation (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1).

Consid. 9.5.3.4.3
Le Tribunal fédéral s’est prononcé dans le même sens en ce qui concerne l’ancienneté dans l’entreprise : un salaire inférieur au salaire médian en raison de l’absence d’années de service ou d’ancienneté dans l’entreprise n’est pas pris en compte. Il ne faut pas tenir compte sans autre d’un revenu brut inférieur à la valeur médiane pour le taux de l’abattement sur le salaire statistique, mais il faut également tenir compte dans de tels cas de la durée d’activité restante jusqu’à l’âge de la retraite AVS (arrêt 9C_339/2021 du 27 juillet 2022 consid. 4.5.4.3 ; Andreas Traub, Auslaufmodell « leidensbedingter Abzug », SZS 2022 p. 320 s.).

Consid. 9.5.3.4.4
Dans ce contexte, il n’est pas convaincant que l’office fédéral nie d’emblée toute pertinence aux aspects liés à l’âge ainsi qu’à ceux de l’ancienneté dans l’entreprise.

Consid. 9.5.3.5
Dans la mesure où l’office recourant se réfère ensuite à l’adaptation de l’art. 26bis al. 3 RAI intervenue à la suite de la motion 22.3377 (cf. consid. 8.3.4 supra), par laquelle le législateur aurait pour sa part montré qu’il souhaitait que le cadre de délégation de l’art. 28a al. 1 LAI soit interprété de manière large, il en résulte ce qui suit.

Consid. 9.5.3.5.1
L’application de cette disposition, adoptée le 18 octobre 2023, n’est pas en cause en l’espèce en raison de son entrée en vigueur le 1er janvier 2024 (RO 2023 635). Néanmoins, elle ne peut pas être ignorée ici. En effet, il est vrai que la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national, en tant qu’auteur de cette motion 22.3377 déposée le 6 avril 2022, se réfère à l’art. 28a al. 1 LAI ainsi qu’à l’art. 26bis RAI. Il n’est cependant pas approprié d’y voir une interprétation authentique du cadre de délégation, ni même une approbation juridiquement significative de la mise en œuvre par le Conseil fédéral.

Au contraire, il est frappant de constater que le texte de la motion contient une critique rarement vue dans sa clarté à l’égard de l’auteur de l’ordonnance, qui, malgré les avertissements de la jurisprudence (cf. ATF 142 V 178 consid. 2.5.8 ; 139 V 592 consid. 7.4) et de la doctrine, et contrairement à l’appel lancé par la motionnaire elle-même pour développer une nouvelle base d’évaluation, a «scellé cette pratique contestée» avec l’art. 25 al. 3 RAI. L’objectif principal de la motion était donc de demander le développement de bases de calcul spécifiquement adaptées aux besoins de l’évaluation de l’invalidité, en tenant compte de la proposition de la Prof. Em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler (cf. «Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn», SZS 2021 p. 287 ss), après que l’OFAS et le Conseil fédéral ont laissé entrevoir des résultats sur la faisabilité et des propositions concrètes au plus tôt pour 2025 (cf. la prise de position du Conseil fédéral du 25 mai 2022 ainsi que celle du 16 février 2022 en réponse à l’interpellation 21.4522 du CE Hannes Germann « Pourquoi le Conseil fédéral n’a-t-il pas tenu compte des avis exprimés lors de la procédure de consultation sur les barèmes de salaires utilisés par l’AI?»). Après l’adoption de la motion le 1er juin 2022, le Conseil national a suivi le Conseil des Etats le 14 décembre 2022 et a repris la version modifiée par ce dernier le 26 septembre 2022 : le Conseil fédéral a donc reçu le mandat de « mettre en œuvre, d’ici au 31 décembre 2023, une base de calcul qui, lors de la détermination du revenu avec invalidité au moyen de valeurs statistiques, tient compte des possibilités de revenu réalistes des personnes atteintes dans leur santé » (BO 2022 p. 922 s. ; BO 2022 p. 2366 ss).

Consid. 9.5.3.5.2
Dans l’ATF 148 V 174 [cf. ma traduction ici], le Tribunal fédéral a lui aussi reconnu que le Conseil fédéral devait prendre des mesures pour développer des salaires de référence conformes à l’invalidité et qu’il avait entrepris des démarches dans ce sens (cf. consid. 9. 2), ceci après avoir pris connaissance des études BASS AG du 8 janvier 2021 (auteurs : ürg Guggisberg, Markus Schärrer, Céline Gerber et Severin Bischof), de l’avis de droit «Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung» du 22 janvier 2021 et des conclusions qui en découlent «akten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen. Schlussfolgerungen aus dem Rechtsgutachten ‘Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung» du 27 janvier 2021 (tous deux de Gächter/Egli/Meier/Filippo) ainsi qu’avec la contribution précitée de Riemer-Kafka/Schwegler. Dans ce contexte, il a rejeté une modification de sa jurisprudence relative à l’utilisation des salaires statistiques, notamment au motif que les instruments de correction utilisés jusqu’à présent (en particulier un abattement sur les salaires statistiques pouvant aller jusqu’à 25%) permettaient également de tenir compte des écarts relevés au moyen des statistiques corrigées (loc. cit.). Et pour finir, il a explicitement considéré qu’une modification de la jurisprudence ne serait pas opportune, précisément dans la perspective du droit révisé en vigueur depuis le 1er janvier 2022. Même si la situation juridique concernant la détermination du revenu d’invalide des personnes atteintes dans leur santé n’est pas entièrement satisfaisante, il convient de retenir – selon le Tribunal fédéral – que la critique fondamentale formulée dans l’avis de droit du 22 janvier 2021 et dans les conclusions du 27 janvier 2021 vise essentiellement des parties de la révision dans le domaine du DCAI (ATF 148 V 174 consid. 9.3).

Consid. 9.5.3.6
Pour conclure, il convient d’attirer l’attention sur deux autres aspects qui ne sont mentionnés ni dans l’arrêt attaqué ni dans le recours, mais qui ne sauraient être passés sous silence ici.

Consid. 9.5.3.6.1
Concernant le revenu d’invalide déterminé sur la base des statistiques, le seul facteur de déduction «travail à temps partiel» de 10% qui subsiste selon l’art. 26bis al. 3 RAI, dans la version applicable en l’espèce, ne fait pas de différence selon qu’il s’agit d’une personne exerçant une activité lucrative à plein temps ou seulement à temps partiel. Dans les deux cas, la comparaison des revenus doit être effectuée par rapport à une activité à plein temps. C’est l’évaluation de la capacité fonctionnelle qui est déterminante. Si celle-ci est de 50% ou moins pour une activité à plein temps, la déduction est accordée sans tenir compte du taux d’occupation (cf. ch. 3418 CIRAI [ndt : dans sa version antérieure au 01.01.2024] ; OFAS, rapport explicatif [ndt : p. 52 en français ; p. 54 en allemand]). Dans son commentaire, Kaspar Gerber (op. cit., n. 151 concernant l’art. 28a LAI) indique que cette déduction forfaitaire ne peut pas, dans certains cas, s’appuyer sur la table T18 de l’ESS, déterminante à cet égard, et qu’une solution plus différenciée, avec davantage d’échelons séparés par sexe, aurait été indiquée. De plus, l’abattement pour travail à temps partiel dissocie la capacité de travail partielle encore raisonnablement exigible de la présence temporelle, bien que les configurations (travail à temps partiel pour des raisons de santé et activité à temps plein avec une capacité de rendement réduite) ne soient pas comparables (cf. arrêt 9C_708/2009 du 19 novembre 2009, consid. 2.5.1 et les références).

Consid. 9.5.3.6.2
D’un point de vue fondamental, les éléments suivants sont en outre importants. Le législateur lui-même n’a pas abordé la thématique dont il est question ici de manière générale, mais dans une loi spéciale, et ce exclusivement dans le cadre de la LAI. Cela est surprenant dans la mesure où il s’agit de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA (cf. art. 28a al. 1, première phrase, LAI), qui s’applique non seulement directement à l’assurance-invalidité, mais également au domaine de l’assurance-accidents sociale ainsi qu’à l’assurance militaire et – indirectement via l’art. 23 LPP – aussi à celui de la prévoyance professionnelle (cf. à ce sujet de manière générale : Moser-Szeless, op. cit., N. 7 ss ad art. 16 LPGA; Frey/Lang, in: Basler Kommentar zum Allgemeinen Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, N. 2 zu Art. 16 ATSG; avec référence à la situation juridique avant la LPGA : Ueli Kieser, ATSG-Kommentar, 4. Aufl. 2020, N. 10 zu Art. 16 ATSG; cf. ensuite N. 133 ss, 156 concernant l’uniformité du degré d’invalidité). Du point de vue de l’unité nécessaire de l’ordre juridique, à laquelle il convient d’accorder de l’importance dans le cadre d’une interprétation systématique (ATF 147 V 114 consid. 3.3.1.4 ; 143 II 8 consid. 7.3 et les références), cela soulève des questions de grande portée et très pertinentes pour la pratique. En particulier dans le domaine du droit de l’assurance-accidents, les principes connus du droit de l’assurance-invalidité sont appliqués quotidiennement par analogie lors de l’évaluation de l’invalidité (cf. parmi d’autres : ATF 148 V 419 consid. 5.2). La question de savoir comment cela doit être traité sous le régime du RAI révisé (et en l’absence d’équivalent au niveau de l’OLAA) reste ouverte. Dans le même temps, la question se pose de savoir ce que cela signifie pour l’interprétation de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI qui fait l’objet du présent litige.

 

Consid. 10
Après cet état des lieux, il faut procéder à une évaluation et à une synthèse finales.

Consid. 10.1
Au regard des principes établis par la jurisprudence antérieure, notamment depuis l’ATF 126 V 75, l’art. 26bis al. 3 RAI (dans sa version du 3 novembre 2021), qui est le seul à être examiné ici, ne pourrait pas être maintenu selon l’interprétation défendue par l’OFAS, car cela abandonnerait largement la possibilité d’abattement sur le salaire statistique qui existait jusqu’ici. Toutefois, rien dans le texte de la loi n’empêche formellement le législateur d’édicter une telle ordonnance. En effet, malgré le texte de l’art. 28a al. 1 LAI («les facteurs de correction»), le Conseil fédéral conserve une large marge de manœuvre dans la mise en œuvre et sa concrétisation. Dans ce contexte, les documents législatifs, et en particulier le «message» littéralement transmis par le Conseil fédéral avec le projet de loi (cf. consid. 9.4.1.1 supra) ainsi que les rares interventions pertinentes lors des débats parlementaires (cf. consid. 9.4.1.2 supra), revêtent une importance particulière. Les références à la jurisprudence et au Tribunal fédéral, ainsi que l’indication que la méthode de détermination du degré d’invalidité resterait fondamentalement inchangée, suggèrent que le législateur avait et pouvait avoir d’autres attentes quant à la mise en œuvre dans le RAI de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI.

Consid. 10.2
Les efforts visant à obtenir un résultat aussi concret possible dans l’évaluation de l’invalidité en fonction du cas d’espèce, tels que reflétés dans la jurisprudence relative à l’art. 16 LPGA (cf. consid. 9.5.1 supra), n’ont pas été restreints par la récente révision de la LAI. De même, la nécessité des facteurs de correction, confirmée par le législateur formel et sous-tendant la jurisprudence antérieure, n’est pas remise en question. Cela s’explique par le fait que les valeurs centrales saisies dans les statistiques salariales ne peuvent pas être utilisées « telles quelles » [ndt : en français dans l’arrêt] comme revenu d’invalidité, c’est-à-dire sans correction et sans tenir compte des circonstances concrètes du cas (cf. déjà BBI 2017 2668 ; cf. également FF 2017 2493/f et FF 2017 2324/i ; consid. 9.3, 9.4.3 et 9.5.3.5.2 supra). C’est ce que confirme notamment de manière marquante l’adaptation de l’art. 26bis al. 3, première phrase, RAI, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, à la suite de la motion 22.3377 (cf. consid. 9.5.3.5.1 supra).

Consid. 10.3
Un autre élément d’interprétation important est l’unité de l’ordre juridique à laquelle il faut aspirer (cf. consid. 9.5.3.6.2 supra), qui revêt ici une importance particulière, car il s’agit de l’application d’une norme fédérale qui vise l’harmonisation (art. 16 LPGA) et qu’il s’agit de conséquences dans un contexte matériel étroit (en matière de droit des assurances sociales). En effet, parce que le législateur a placé la délégation pour l’adoption de règlements supplétifs au niveau de la loi spéciale, dans le domaine de l’évaluation de l’invalidité qui doit être réalisée selon des règles uniformes entre les différentes branches (cf. art. 16 LPGA, auquel renvoie précisément l’art. 28a al. 1, première phrase, LAI), des limites sont fixées au pouvoir réglementaire. Il ne peut ainsi pas légiférer d’une manière qui, par rapport à l’ordre existant et a fortiori par rapport aux autres branches (non incluses dans la révision), présente des différences importantes et injustifiables sur le fond. Selon l’interprétation de l’art. 26bis al. 3 RAI telle que défendue par l’autorité de surveillance, c’est-à-dire comme une réglementation exhaustive concernant l’abattement proprement dit sur le salaire statistique (ch. 3414 CIRAI), l’invalidité ne pourrait plus être évaluée de manière identique dans le domaine de l’assurance-accidents et de l’assurance militaire (également fondé sur un système de rente linéaire [ndt : au pour-cent près]). Il est difficile d’imaginer que l’on puisse remédier à cela par voie de jurisprudence praeter legem («en dehors de la loi») en appliquant par analogie l’art. 26bis al. 3 RAI. Une telle coexistence de différentes méthodes de correction conduirait, selon la branche, à des résultats divergents dans un nombre non négligeable de cas, sans qu’aucune raison objective ne puisse être identifiée.

 

Consid. 10.4
D’autres réflexions, notamment sur le contenu et le but, viennent s’y ajouter. A cet égard, on peut noter d’emblée que l’OFAS semble également s’orienter de son côté vers un critère d’évaluation de l’«adéquation» [« Sachgerechtigkeit »] (cf. consid. 8.3.3 supra).

Consid. 10.4.1
Il convient tout d’abord de préciser qu’il ne s’agit pas de questions d’équité économique ou politique, sur lesquelles le Tribunal fédéral n’a pas à se prononcer (cf. consid. 9.1 supra). Il s’agit plutôt du sens et de l’objectif des dispositions concernées, à savoir l’art. 28a LAI en lien avec l’art. 16 LPGA, ainsi que de la pratique établie par la concrétisation judiciaire des normes (cf. Meyer/Reichmuth, N. 16 ad Art. 28a IVG). En d’autres termes, l’art. 26bis al. 3 RAI doit être examiné non seulement pour vérifier s’il s’inscrit dans le cadre de la délégation et s’il ne viole pas le droit constitutionnel fédéral (notamment l’art. 8 al. 1 et l’art. 9 Cst.), mais aussi pour sa compatibilité avec d’autres dispositions (légales) fédérales (cf. consid. 9.1 supra).

Consid. 10.4.2
Le Tribunal fédéral ne méconnaît pas que le passage au système de rente linéaire a fondamentalement transformé le droit des rentes de l’AI. Cependant, cela n’implique pas un véritable changement de paradigme, comme le montre le fait que ce même système fonctionne depuis longtemps dans d’autres branches de l’assurance sociale. Il n’est donc pas justifié de motiver la suppression quasi totale de l’abattement sur le salaire statistique par ce changement de système (cf. consid. 9.5.2 supra). En particulier, le système de rente linéaire ne rend pas obsolète la nécessité de facteurs de correction efficaces. D’une part, un seuil d’accès inchangé de 40%, qui reste élevé, pour le droit à la rente AI nécessite des bases de calcul précises. D’autre part, des données statistiques sur les salaires insuffisamment corrigées ne permettent pas non plus d’atteindre la précision recherchée par le système de rente linéaire. Enfin, vouloir limiter le nombre de litiges par le biais d’une réglementation uniforme ne s’avère pas réaliste non plus. De nouvelles réglementations conduisent inévitablement à l’émergence de nouveaux domaines de conflit et de litiges correspondants, sans qu’il soit possible de prévoir de manière fiable leur ampleur.

Il est toutefois compréhensible de vouloir délimiter au niveau réglementaire le large pouvoir d’appréciation de l’utilisateur du droit. Cela nécessite une certaine schématisation et standardisation. Cela porte atteinte à l’objectif de l’art. 16 LPGA, qui vise une évaluation aussi précise que possible des revenus à comparer, mais doit être accepté pour éviter également une application inégale du droit dans un cadre approprié.

Consid. 10.4.3
Dans le présent contexte, des limites s’imposent nécessairement à l’auteur de l’ordonnance, en dehors de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement déjà interdits, lorsque ses dispositions contreviennent à des buts légaux. C’est le cas en l’occurrence de l’art. 26bis al. 3 RAI critiqué par l’instance précédente. La vue d’ensemble défendue par l’office recourant n’y change rien. En effet, il méconnaît que l’instrument composé de divers facteurs de correction n’est pas conçu et harmonisé de manière à répondre suffisamment, dans tous les cas, au besoin incontesté de correction lors de l’utilisation des revenus issus de la statistique des salaires. En d’autres termes, la suppression des facteurs d’abattement, à l’exception d’un seul, n’est pas suffisamment compensée dans le large éventail de constellations possibles. Comme exposé (cf. consid. 9.5.3.3 supra), une correction fait défaut lorsque la parallélisation ne peut s’appliquer, car le revenu sans invalidité est inférieur de moins de 5% à la valeur centrale de l’ESS (art. 26 al. 2 RAI) et qu’en même temps, aucun abattement ne doit être effectuée sur le revenu invalide, car une capacité de travail de plus de 50% est reconnue (art. 26bis al. 3 RAI). L’art. 49 al. 1bis RAI n’apporte pas non plus de solution ici (cf. consid. 9.5.3.2 supra), car cette disposition – déjà par son libellé, mais aussi par sa nature – ne permet pas d’intégrer des aspects économiques liés au marché du travail dans l’évaluation médicale. S’il existe des motifs médicaux de réduction, ceux-ci doivent bien entendu être intégrés dans l’évaluation correspondante, sans qu’il faille ensuite en tenir compte une nouvelle fois dans le cadre de l’abattement (ATF 148 V 174 V consid. 6.3; 146 V 16 consid. 4.1 s.; arrêt 9C_339/2021 du 27 juillet 2022 consid. 4.5.2 in fine ; vgl. auch Traub, a.a.O., S. 322 am Ende). Il en est de même entre les motifs de parallélisation et d’abattement (ATF 134 V 322 consid. 5.2 et 6.2 ; Meyer/Reichmuth, op. cit., N. 129 zu Art. 28a IVG).

Consid. 10.5
Le jugement du Tribunal administratif bernois, présenté par l’OFAS, ne parvient pas à réfuter le résultat d’interprétation soutenu ici. Dans ce jugement, les informations contenues dans le message concernant l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI sont interprétées de manière plus réservée qu’ici, sans qu’il soit nécessaire d’approfondir davantage. Surtout, il n’y a pas d’examen approfondi des éléments d’interprétation utilisés dans le cas présent, ni des autres dispositions légales (art. 16 LPGA). En fait, le Tribunal administratif bernois s’est essentiellement limité, après avoir rejeté une lacune véritable ou de politique juridique, à un examen de l’arbitraire et de la violation de l’égalité de droit, ce qu’il a nié.

Consid. 10.6
En résumé, il résulte de l’interprétation de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI, en tenant compte de l’art. 16 LPGA et d’éléments historiques, grammaticaux, systématiques et téléologiques, que l’art. 26 bis al. 3 RAI ne résiste pas au droit fédéral en ce qui concerne le caractère exhaustif qu’il entend donner à l’abattement sur le salaire statistique. Le point de vue défendu par l’OFAS dans son recours doit donc être rejeté dans la mesure où, sur la base des circonstances du cas d’espèce, en tenant compte de l’art. 26 al. 2 et de l’art. 26bis al. 3 RAI ainsi que de la capacité fonctionnelle qualitative et quantitative déterminée médicalement au sens de l’art. 49 al. 1bis RAI, il existe un besoin de correction supplémentaire. Dans ce cas, il convient, en ce qui concerne les facteurs à prendre en compte et leur pondération, de recourir à titre complémentaire aux principes jurisprudentiels actuels, et ce, faute d’alternative disponible sous forme de salaires de référence corrigés (cf. ég. les éléments discutés dans l’arrêt 8C_182/2023 du 17 avril 2024 consid. 4.3.2.3). De cette manière, l’art. 26bis al. 3 RAI, dans la version examinée ici, en vigueur jusqu’à fin 2023 et déjà à nouveau modifiée à partir de janvier 2024 (cf. consid. 10.2 supra), peut être appliqué conformément à la loi, sans que cela ne contrevienne à son libellé.

En conséquence, on ne saurait critiquer le fait que l’instance cantonale ait utilisé, en plus de l’art. 26bis al. 3 RAI, le correctif traditionnel de l’abattement sur le salaire statistique conformément à la jurisprudence actuelle. Hormis les réserves juridiques de principe que nous venons d’évoquer, le recours ne soulève aucune objection concrète à l’encontre du calcul de cet abattement (15%). Cela n’est pas non plus manifeste, raison pour laquelle il faut s’en tenir là et les autres étapes de calcul restent inchangées. Le droit de l’assuré à une rente entière (dès février 2019) et à une rente de 59% d’une rente entière (dès juin 2022) est donc maintenu.

Le TF rejette le recours de l’OFAS.

 

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

 

Commentaires et remarques

Ce long arrêt du Tribunal fédéral doit être salué à plus d’un titre. Je relèverai ces quelques points.

Notre Haute Cour rappelle de grandes notions relatives à la détermination des revenus à comparer (avec et sans invalidité) ainsi que sur le but et le sens de l’assurance-invalidité. A titre personnel, je note, au consid. 9.5.1, cette évidence : « Im Versicherungsfall steht der oder die einzelne versicherte Person im Fokus » (En cas de survenue d’un cas d’assurance, c’est la ou les personnes assurées qui sont au centre des préoccupations).

Concernant les tâches ressortant – ou non – de la compétence des médecins du SMR, je relevais en 2022 qu’il ne revient pas au médecin de procéder à des corrections sur le salaire réalisable (et donc en finalité sur le revenu d’invalide) par le biais d’une adaptation de l’évaluation médico-théorique de l’incapacité de travail (David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022, n. 300).

Un autre élément qui ressort clairement est que les données de l’ESS ne suffisent pas à elles seules et que l’application de facteurs de correction est indispensable. A ce sujet, le Tribunal fédéral souligne que le législateur avait et pouvait avoir d’autres attentes quant à la mise en œuvre dans le RAI de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI. Il rappelle que l’instrument composé de divers facteurs de correction n’est pas conçu de manière à répondre suffisamment, dans tous les cas, au besoin incontesté de correction lors de l’utilisation des revenus issus de la statistique des salaires.

Le Tribunal fédéral a, à juste titre, rappelé le contexte du DCAI. En suivant l’interprétation faite par l’OFAS, l’évaluation de l’invalidité par l’AI pouvait produire des résultats très différents de ceux de l’assurance-accidents pour les mêmes conséquences d’un accident (David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022, n. 377).

Les deux principaux domaines touchés par l’art. 16 LPGA sont l’assurance-invalidité et l’assurance-accidents. Il est essentiel que l’OFAS, qui supervise l’assurance-invalidité, et l’OFSP, qui gère l’assurance-accidents, entament un dialogue pour parvenir à une solution satisfaisante pour toutes les parties concernées, principalement les personnes assurées et les assureurs sociaux. Ces offices seraient bien avisés de reprendre leur réflexion à partir des points soulevés par Gabriela Riemer-Kafka et Urban Schwegler (Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn, in RSAS 6/2021, p. 287 ss).

 

 

Proposition de citation : 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/08/8c_823-2023)

 

 

Hausse des salaires nominaux de 1,7% en 2023 et baisse des salaires réels de 0,4%

Hausse des salaires nominaux de 1,7% en 2023 et baisse des salaires réels de 0,4%

 

Communiqué de presse de l’OFS du 25.04.2024 consultable ici

 

L’indice suisse des salaires nominaux a augmenté en moyenne de 1,7% en 2023 par rapport à 2022. Il s’est ainsi établi à 102,4 points (base 2020 = 100). Compte tenu d’un taux d’inflation annuel moyen de +2,1%, les salaires réels ont baissé de 0,4% (96,9 points, base 2020 = 100), selon les calculs de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

 

Nous vous rappelons l’importance de l’indexation dans la détermination du revenu d’invalide mais également du revenu sans invalidité en cas d’utilisation de l’ESS.

Notre page « Evolution des salaires » a été mise à jour, dans laquelle vous trouverez tous les liens pour l’indexation de 1993 à 2023.

 

 

Communiqué de presse de l’OFS du 25.04.2024 consultable ici

 

8C_756/2022 (d) du 14.12.2023 – Notion de salaire inférieur à la moyenne statistique – Parallélisme des revenus à comparer / Confirmation du TF d’un revenu sans invalidité fixé sur la base de la CCT et non de l’ESS

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_756/2022 (d) du 14.12.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Notion de salaire inférieur à la moyenne statistique – Parallélisme des revenus à comparer / 16 LPGA

Confirmation du TF d’un revenu sans invalidité fixé sur la base de la CCT et non de l’ESS

 

Assuré, né en 1964, employé depuis le 08.07.2019 en tant qu’ouvrier du bâtiment, a été victime d’un accident professionnel le 10.07.2019.

Par décision du 28.05.2021, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé une IPAI de 10% et nié le droit à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt UV 2021/75 – consultable ici)

Par jugement du 26.10.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré dès le 01.05.2021 à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 10%.

 

TF

Consid. 4.1
L’instance cantonale a constaté que le dernier salaire perçu par l’assuré était inférieur à la valeur centrale statistique des salaires des ouvriers non qualifiés. Rien dans le dossier n’indique qu’en tant qu’ouvrier non qualifié, il aurait été moins performant que la moyenne. Le fait que l’assuré ait obtenu en dernier lieu un salaire inférieur à la moyenne est dû à des facteurs du marché réel du travail qui ne sont pas pertinentes pour l’évaluation de l’invalidité. S’il avait eu la possibilité d’accepter un emploi dont le salaire se situait dans la moyenne, il en aurait probablement profité. Le revenu sans invalidité réalisable sur le marché équilibré du travail, déterminant en l’espèce, correspondrait par conséquent à la valeur centrale statistique des salaires des ouvriers non qualifiés.

Consid. 4.2
L’assurance-accidents objecte que l’assuré a obtenu dans son activité habituelle un salaire conforme à la Convention nationale du secteur principal de la construction en Suisse (CN) déclarée de force obligatoire. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un tel revenu ne doit pas être considéré comme inférieur à la moyenne, même s’il est nettement inférieur au salaire moyen dans le secteur principal de la construction, tel qu’il ressort de l’ESS.

Consid. 5.1.1
Lorsqu’il apparaît que l’assuré touchait un salaire nettement inférieur à la moyenne des salaires de la branche pour des raisons étrangères à l’invalidité (par exemple une faible formation scolaire et l’absence de formation professionnelle, des connaissances insuffisantes d’une langue nationale, ainsi que des possibilités restreintes d’embauche à cause du statut [saisonnier, etc.] de l’intéressé), et que les circonstances ne permettent pas de supposer qu’il s’est contenté d’un salaire plus modeste que celui auquel il aurait pu prétendre, il y a lieu d’en tenir compte dans la comparaison des revenus au sens de l’art. 16 LPGA. C’est la seule manière de respecter le principe selon lequel les pertes de salaire dues à des facteurs étrangers à l’invalidité ne doivent pas être prises en compte du tout ou doivent l’être de manière égale pour les deux revenus comparés (ATF 141 V 1 consid. 5.4 et les références). Dans la pratique, le parallélisme des revenus à comparer peut être effectué soit au regard du revenu sans invalidité en augmentant de manière appropriée le revenu effectivement réalisé ou en se référant aux données statistiques, soit au regard du revenu d’invalide en réduisant de manière appropriée la valeur statistique (ATF 148 V 174 consid. 6.4 avec renvois).

Consid. 5.1.2
Le revenu sans invalidité ne peut toutefois pas être considéré comme inférieur à la moyenne s’il correspond au salaire minimum prévu par une convention collective de travail (CCT) déclarée de force obligatoire par le Conseil fédéral dans la branche professionnelle concernée, car les salaires usuels de la branche y sont représentés de manière plus précise que dans l’ESS. Un parallélisme des revenus à comparer n’entre donc pas en ligne de compte dans un tel cas (arrêt 8C_502/2022 du 17 avril 2023 consid. 5.2.1 et les références).

Consid. 5.2
Selon l’assurance-accidents, en tant qu’ouvrier du bâtiment auprès d’une entreprise soumise à la CN du secteur principal de la construction, l’assuré a perçu en 2019 un salaire horaire de 25.90 francs (hors indemnités de vacances et de jours fériés et 13e salaire). Ce revenu correspondait à la classe de salaire C de la CN à partir du 01.07.2019. Dans sa feuille de calcul, qui lui a servi de base de décision, l’assurance-accidents a estimé que l’assuré aurait percevoir un revenu de CHF 60’289 en 2021 (CHF 26.35/h x 176h/mois x 13). Pour ce faire, elle s’est basée sur le salaire horaire fixé par la CN pour la classe de salaire C (dès le 01.01.2020), déterminant en l’occurrence pour l’examen du caractère inférieur à la moyenne. Ce revenu (hypothétique) correspond donc aux prescriptions minimales de la CN du secteur principal de la construction, raison pour laquelle, conformément à la jurisprudence, il ne peut en principe pas être considéré comme inférieur à la moyenne, même s’il est inférieur au revenu statistique de l’ESS (tableau TA1_tirage_skill_level, 2018, niveau de compétence 1, hommes) dans le secteur de la construction (ch. 41-43). En particulier, en raison de la très courte durée des rapports de travail et de l’absence d’expérience professionnelle dans le secteur de la construction dans notre pays, il n’y a pas lieu non plus d’approfondir ici la question soulevée dans l’arrêt 8C_759/2017 du 8 mai 2018 (consid. 3.2.2 in fine). Il faut donc renoncer à une parallélisation des revenus à comparer. De même, contrairement à l’instance cantonale, il n’y a pas lieu de s’écarter du principe selon lequel il faut se référer au dernier salaire réalisé pour calculer le revenu sans invalidité (ATF 145 V 141 consid. 5.2.1).

En se basant sur la valeur centrale des salaires des ouvriers non qualifiés pour déterminer le revenu sans invalidité, le tribunal cantonal a, au vu de ce qui précède, violé le droit fédéral. En suivant l’assurance-accidents, il faut retenir un revenu de CHF 60’289.

Consid. 5.3
Il est établi que l’assuré pourrait exercer une activité adaptée à son état de santé sans perte de rendement. L’instance cantonale, en procédant à une « comparaison en pourcentage », n’a pas déterminé de revenu d’invalide concret, mais s’est contentée d’exposer que celui-ci correspondait à la valeur centrale statistique des salaires des ouvriers non qualifiés. Selon les bases de calcul de l’assurance-accidents, le revenu d’invalide se monte à CHF 62’527 (y compris l’abattement de 10% sur le salaire statistique), ce qui ne donne lieu à aucun autre commentaire. Par conséquent, la comparaison entre le revenu sans invalidité de CHF 60’289 et le revenu d’invalide de CHF 62’527 ne laisse subsister aucune incapacité de gain.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

Arrêt 8C_756/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_756/2022 (d) du 14.12.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/02/8c_756-2022)

 

 

8C_605/2022 (f) du 29.06.2023 – Revenu d’invalide – Choix de la table ESS (TA1 vs T1) / Niveau de compétences 2 vs 1 / Revenu sans invalidité élevé – Pas de «parallélisation inversée»

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_605/2022 (f) du 29.06.2023

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide – Choix de la table ESS (TA1 vs T1) / 16 LPGA

Niveau de compétences 2 vs 1 – Eventuelles compétences acquises sur le plan administratif ne remplacent pas une formation commerciale ou bureautique

Revenu sans invalidité élevé – Pas de «parallélisation inversée»

 

Assurée est titulaire d’un CFC d’assistante en soins et santé communautaire obtenu en 2007 après avoir suivi une formation d’aide-soignante en France. Engagée le 01.11.2010 en tant qu’assistante en soins et santé communautaire. Accident de la circulation le 30.06.2015, lequel lui a notamment causé des lésions au niveau de l’épaule gauche. Après une interruption de travail suivie d’une reprise, elle a été en incapacité totale de travailler depuis le 01.02.2016.

Par décision sur opposition du 15.02.2019, l’assurance-accidents a mis fin au versement des indemnités journalières avec effet au 31.01.2019. Cette décision n’a pas été contestée.

Par décision, confirmée sur opposition le 25.06.2021, l’assurance-accidents a clôturé le cas, considérant que l’état de santé de l’assurée était stabilisé au 30.11.2019, date à partir de laquelle elle ne prendrait plus en charge les frais médicaux; elle a reconnu le droit de l’intéressée à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 22% dès le 01.12.2019 et lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 25%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/792/2022 – consultable ici)

Par jugement du 09.09.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 47% à compter du 01.11.2018.

 

TF

Consid. 3
En ce qui concerne le revenu sans invalidité (en soi non contesté par les parties), les juges cantonaux ont retenu qu’en 2015, l’assurée travaillait pour l’institution B.__ à raison de 32 heures par semaine, soit à un taux d’activité de 80%. Le revenu annuel tiré de cette activité s’élevait à 73’918 fr. 75, ce qui correspondait à 92’398 fr. 45 à temps plein. Adapté à la hausse générale des salaires dans la branche économique « santé, hébergement médico-social et action sociale » entre 2015 et 2018 selon un taux de 1.014%, cela aboutissait à un revenu sans invalidité final de 93’335 fr. 35.

Pour le revenu avec invalidité, les juges cantonaux se sont fondés sur le salaire médian global des femmes, niveau de compétence 1, de la table TA1_tirage_skill_level (ci-après: TA1) de l’ESS, ce qui correspondait à un salaire mensuel de 4’371 fr., respectivement à un salaire annuel de 52’452 fr. pour 40 heures de travail hebdomadaires. Adapté à la durée normale hebdomadaire de travail en 2018 en Suisse, à savoir 41,7 heures, cela aboutissait à un salaire de référence en 2018 de 54’681 fr. 20 ([52’452/40] x 41.7). Sur la question d’un abattement sur le salaire statistique, les juges cantonaux ont confirmé le taux de 10% retenu par l’assurance-accidents. Le revenu hypothétique d’invalide de l’assurée en 2018 s’élevait donc à 49’213 fr. 10.

En conséquence, la cour cantonale a retenu un taux d’invalidité de 47,273% ([93’335.35 – 49’213.10] / 93’335.35 x 100), arrondi à 47%.

Consid. 4.1
L’assurance-accidents reproche à l’instance cantonale de s’être fondée sur le salaire médian global pour les femmes dans les emplois de niveau de compétence 1 de la table TA_1 de l’ESS 2018 plutôt que sur le salaire médian dans les emplois de niveau de compétence 2 dans la branche économique « Assurances » (ligne 65) de la table « T1_skill_level » (secteur privé et secteur public ensemble) (ci-après: T1) de l’ESS 2018.

A propos du choix de la table, l’assurance-accidents fait valoir qu’on ne saurait faire abstraction de l’historique professionnel de l’assurée, dans la mesure où le fait d’avoir déjà exercé un emploi durant huit ans dans le secteur public augmenterait de manière substantielle les chances de retrouver un emploi dans ce secteur, y compris dans un nouveau domaine d’activité. Le fait que l’assurée ait déjà exercé un emploi dans le secteur public permettrait de démontrer que celui-ci lui est également ouvert. La jurisprudence admettrait d’ailleurs que l’on peut se référer à la table T1 lorsque la personne assurée a exercé sa dernière activité dans le secteur public. En l’occurrence, l’assurance-accidents fait valoir qu’une activité adaptée à son état de santé après l’événement invalidant dans ce secteur serait également envisageable et qu’il serait en effet notoire que les directions de la santé des administrations cantonales et les offices AI emploient des collaborateurs administratifs ayant une formation de base dans le domaine médical ou paramédical.

En ce qui concerne la branche d’activités applicable, l’assurance-accidents fait valoir que l’assurée disposerait de solides connaissances médicales et paramédicales et d’une longue expérience professionnelle dans le domaine de la santé. Avant d’être engagée en qualité d’assistante en soins et santé communautaire par l’institution B.__ dès le 01.11.2010, l’assurée avait travaillé pendant de nombreuses années à la clinique C.__, d’abord comme aide-soignante puis comme assistante en soins et santé communautaire dès l’obtention de son CFC en 2007. Les compétences et l’expérience professionnelles de l’assurée dans le domaine de la santé correspondraient aux critères de plusieurs offres d’emploi dans le secteur des assurances (en référence aux pièces produites à l’appui de son recours et devant l’instance cantonale). La majorité des offres d’emploi pour des postes dans les services administratifs des assurances actives dans le domaine de la santé et dans les offices AI mettraient en effet l’accent sur la nécessité d’avoir achevé une formation dans le domaine médical ou paramédical et de disposer de plusieurs années d’expérience dans ce domaine. Les connaissances administratives, assécurologiques voire juridiques ne constitueraient qu’un atout supplémentaire. Il existerait ainsi sur un marché du travail équilibré des emplois dans le domaine des assurances pour lesquels l’assurée disposerait d’un profil adéquat et qui seraient dès lors raisonnablement exigibles de sa part.

 

Consid. 4.2.1
Selon la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base des données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ATF 148 V 419 consid. 5.2 et les arrêts cités). Dans ce cas, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 (secteur privé), à la ligne « total » (ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les arrêts cités). Toutefois, lorsque cela apparaît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières. Cette faculté reconnue par la jurisprudence concerne les cas particuliers dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. Il y a en revanche lieu de se référer à la ligne « total » secteur privé lorsque l’assuré ne peut raisonnablement plus exercer son activité habituelle et qu’il est tributaire d’un nouveau domaine d’activité pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible (arrêt 8C_405/2021 du 9 novembre 2021 consid. 5.2.1 et les références). En outre, lorsque les circonstances du cas concret le justifient, on peut s’écarter de la table TA1 (secteur privé) pour se référer à une table portant sur les secteurs privé et public ensemble, si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide et que le secteur en question est adapté et exigible (ATF 148 V 174 consid. 6.2; arrêts 8C_205/2021 du 4 août 2021 consid. 3.2.2; 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.2).

Consid. 4.2.2
Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession (arrêt 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 5.1.2 et les arrêts cités). Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 précité consid. 4.2.3 et les arrêts cités). L’application du niveau 2 se justifie uniquement si la personne assurée dispose de compétences ou de connaissances particulières (arrêt 8C_801/2021 du 28 juin 2022 consid. 3.4 et les arrêts cités).

Consid. 4.2.3
En l’espèce,
après avoir relevé que la dernière activité exercée par l’assurée (en tant qu’assistante en soins et santé communautaire) relevait du secteur public, les juges cantonaux ont retenu que celle-ci était totalement incapable de travailler dans ce domaine d’activité au 01.11.2018, et que cette situation perdurerait à l’avenir (éléments qui ne sont pas contestés par l’assurance-accidents). Aussi, selon les juges cantonaux, dès lors que rien au dossier ne laissait spécifiquement penser que l’assurée pourrait retrouver plus facilement une place dans le secteur public dans un nouveau domaine d’activité, en comparaison avec un assuré moyen, il convenait d’avoir recours au tableau TA1. Pour déterminer le revenu d’invalide, c’était en effet la situation de l’assurée après la survenance de son invalidité qui était déterminante. Le fait que celle-ci ait autrefois exercé un emploi dans le secteur public ne signifiait donc pas automatiquement qu’il en serait de même à l’avenir.

Consid. 4.2.4
Ces considérations ne prêtent pas le flanc à la critique et il convient de s’y rallier. Certes, l’activité d’aide-soignante, respectivement d’assistante en soins et santé communautaire, peut s’exercer dans le secteur public. Il n’en reste pas moins qu’il est établi que l’assurée ne peut plus exercer son activité habituelle. On ajoutera, au demeurant, que l’activité d’aide-soignante de l’assurée auprès de la clinique C.__ relevait du secteur privé. En ce qui concerne ensuite la branche d’activité « Assurances », comme l’ont relevé les juges cantonaux, elle recouvre la souscription de contrats d’assurance de rente et d’autres formes de contrats d’assurance ainsi que l’investissement des primes pour constituer un portefeuille d’actifs financiers en prévision des sinistres futurs ainsi que la fourniture de services d’assurance et de réassurance directe (cf. notes explicatives de la nomenclature NOGA 2008). En l’occurrence, la formation d’aide-soignante et d’assistante en soins et santé communautaire, ainsi que l’expérience accumulée dans ce domaine, ne justifient en rien de se fonder sur cette branche d’activité. La faculté reconnue par la jurisprudence de se référer aux salaires de secteurs particuliers plutôt qu’à la ligne « total » concerne les cas dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. Or, en l’espèce, l’assurée n’a pas travaillé dans le domaine des assurances pendant de nombreuses années. Même si elle pouvait hypothétiquement trouver un emploi dans le secteur administratif d’une assurance, en référence aux offres d’emploi produites par l’assurance-accidents, on ne peut pas encore en déduire que cette branche d’activité soit exigible de sa part, alors qu’il n’apparaît pas – en tout cas l’assurance-accidents ne le soutient pas – qu’elle aurait bénéficié de mesures de réadaptation dans ce secteur. C’est donc à raison que les juges cantonaux se sont référés à la ligne « total » de la table TA1, dès lors que l’assurée ne peut raisonnablement plus exercer son activité habituelle et qu’elle est tributaire d’un nouveau domaine d’activités pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible.

 

Consid. 5.1
Par une argumentation subsidiaire, l’assurance-accidents soutient que les juges cantonaux auraient violé l’art. 16 LPGA en n’adaptant pas le revenu hypothétique d’invalide au moyen d’une « parallélisation inversée » des revenus. Elle soutient en résumé qu’avant l’accident, l’assurée percevait un revenu nettement supérieur au revenu médian des personnes au profil similaire, de sorte qu’il conviendrait d’augmenter le revenu hypothétique d’invalide dans la même proportion, en l’occurrence 36,80% (41,80% – 5% de marge tolérée). A cet égard, elle compare le revenu sans invalidité perçu auprès de l’institution B.__ en 2018, soit 93’335 fr. 35, et le salaire statistique médian d’une employée ayant prétendument les mêmes caractéristiques, soit 65’819 fr. 50 selon l’ESS 2018, T1, lignes 86-88 « domaines de la santé humaine et de l’action sociale », avec un niveau de compétence 2 et un horaire hebdomadaire de 41.6 heures.

Consid. 5.2
L’argumentation est mal fondée. En effet, la possibilité d’opérer un parallélisme des revenus a été introduite afin de ne pas défavoriser et éventuellement exclure du cercle des bénéficiaires de rente les personnes dont les revenus avant l’invalidité étaient nettement inférieurs aux salaires habituels de la branche pour des raisons étrangères à l’invalidité et sans que les personnes en question s’en contentent délibérément (sur le parallélisme des revenus cf. notamment ATF 134 V 322). Tel n’est précisément pas le cas de l’assurée et il n’y a aucun motif de pénaliser cette dernière pour tenir compte du fait qu’elle était éventuellement bien mieux rémunérée que la moyenne des salariés actifs dans son domaine de compétence. En outre, si le salaire perçu auprès de l’institution B.__ était (hypothétiquement) justifié par l’expérience ou d’autres qualités ou compétences personnelles de l’assurée, cela ne signifie pas encore qu’elle pourra mettre à profit ces caractéristiques de la même manière dans un nouveau domaine d’activité auprès d’un nouvel employeur. Contrairement à ce que soutient l’assurance-accidents de manière péremptoire, on ne voit pas que si une personne perçoit un salaire nettement supérieur à la moyenne dans l’activité exercée en bonne santé en raison de ses caractéristiques personnelles, tout indiquerait qu’elle serait également en mesure de réaliser un revenu largement supérieur à la moyenne ensuite de l’événement invalidant.

 

Consid. 6.1
Par une argumentation plus subsidiaire, l’assurance-accidents reproche aux juges cantonaux d’avoir également violé l’art. 16 LPGA en ne se fondant pas sur le niveau de compétence 2 pour fixer le revenu hypothétique d’invalide. Elle invoque à cet égard les compétences professionnelles de l’assurée et ses limitations fonctionnelles excluant un travail du membre supérieur gauche au-dessus de l’horizontale et le port de charges de plus de trois ou quatre kilos.

Consid. 6.2
Ce grief doit être rejeté. En effet, il n’est pas contesté que l’assurée ne peut plus exercer son activité habituelle d’aide-soignante, respectivement d’assistante en soins et santé communautaire, pour laquelle elle dispose d’une formation complète. Or rien au dossier n’indique qu’elle aurait, durant ses années d’activité, assuré des tâches administratives ou logistiques outrepassant largement l’administration de soins, qui, quoi qu’en dise l’assurance-accidents, constitue l’essentiel des tâches incombant aux professions susmentionnées (cf. a contrario arrêt 8C_202/2022 du 9 novembre 2022 consid. 4.4). En outre, les éventuelles compétences que l’assurée aurait acquises sur le plan administratif ne peuvent manifestement pas remplacer une formation commerciale ou bureautique. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de préciser, à propos d’une infirmière qui ne pouvait plus exercer son activité habituelle et ne disposait pas de compétences professionnelles transposables dans un autre domaine, qu’il convenait de se référer au niveau de compétence 1 pour déterminer le revenu d’invalide (arrêt 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.2). Quant aux limitations fonctionnelles invoquées par l’assurance-accidents, elles ne présentent pas de contraintes majeures ou de spécificités telles qu’elles seraient incompatibles avec le large éventail d’activités légères du niveau de compétence 1 sur un marché équilibré du travail (sur cette notion, cf. arrêts 8C_240/2021 consid. 3; 9C_597/2018 du 18 janvier 2019 consid. 5.2 et les arrêts cités).

 

Le rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_605/2022 consultable ici

 

8C_682/2021 (d) du 13.04.2022 – Stabilisation de l’état de santé – 19 LAA / Mesures d’intervention précoces ne sont pas des mesures de réadaptation / Capacité de travail exigible pour une atteinte à la main dominante

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2021 (d) du 13.04.2022

 

Consultable ici (arrêt non destiné à la publication)

Cf. notre commentaire en fin d’article

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Stabilisation de l’état de santé – Fin du droit aux indemnités journalières et traitement médical / 19 LAA

Mesures d’intervention précoces ne sont pas des mesures de réadaptation

Capacité de travail exigible pour une atteinte à la main dominante – Pas de nécessité de décrire précisément les activités concrètes encore possibles / 16 LPGA

Parallélisation du revenu sans invalidité d’un chauffeur – Prise en compte de la table T17 et non TA1

Pas de motif à un changement de jurisprudence pour le revenu d’invalide selon l’ESS

Abattement sur le revenu d’invalide selon ESS – Critère de l’âge

 

Assuré, né en 1964, était employé depuis le 01.04.2014 comme chauffeur par la société B.__ Sàrl. Le 13.09.2018, il a subi une blessure par perforation d’un ongle à la main gauche. Il a été opéré à plusieurs reprises, la dernière fois le 11.10.2018.

Le 31.08.2019, l’employeur a résilié le contrat de travail de l’assuré pour le 31.10.2019.

L’assurance-accidents a considéré que l’assuré était apte au travail et au placement à plein temps dès le 01.11.2019 dans le cadre du profil d’exigibilité. Afin de prendre en compte une période d’adaptation, elle a accepté de ne suspendre les indemnités journalières qu’au 31.12.2019. Par décision du 16.10.2019, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit à une rente en raison de l’absence d’incapacité de gain due à l’accident, ainsi que le droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité, car il n’y avait pas d’atteinte importante à l’intégrité physique.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2020.00221 – consultable ici)

Par jugement du 26.08.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal concernant la suspension des frais de traitement et des indemnités journalières ainsi que l’absence de droit à une rente. Concernant le droit à une IPAI, la cour cantonale a annulé la décision litigieuse en admettant partiellement le recours, renvoyant l’affaire à l’assurance-accidents afin de procéder aux investigations nécessaires.

 

TF

Consid. 2
S’agissant de l’IPAI, l’instance cantonale a renvoyé l’affaire à l’assurance-accidents afin de procéder aux investigations médicales complémentaires. Il s’agit là – contrairement aux prétentions rejetées par le tribunal cantonal – d’une décision incidente qui n’entraîne toutefois pas de préjudice au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF, mais simplement une prolongation de la procédure ne remplissant pas ce critère (ATF 140 V 282 consid. 2 ; 139 V 99). Par conséquent, le recours ne peut d’emblée pas être admis dans la mesure où il demande une indemnité pour atteinte à l’intégrité.

Le Tribunal fédéral rappelle que l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité ne dépend pas de celle du taux d’invalidité lors de l’examen du droit à la rente (ATF 115 V 147 consid. 1 ; arrêt 8C_544/2020 du 27 novembre 2020 consid. 4.2.2 et la référence).

 

Consid. 5.1
Le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme. Le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (art. 19 al. 1 LAA).

La question de savoir si l’on peut admettre une amélioration notable de l’état de santé se détermine notamment – mais pas exclusivement – en fonction de l’augmentation ou du rétablissement de la capacité de travail à laquelle on peut s’attendre, dans la mesure où celle-ci est affectée par l’accident. Le terme «notable» indique donc que l’amélioration espérée par un autre traitement médical (approprié) au sens de l’art. 10 al. 1 LAA doit être importante (ATF 134 V 109 consid. 4.3 ; SVR 2020 UV n° 24 p. 95, 8C_614/2019 consid. 5.2 s. ; arrêt 8C_183/2020 du 22 avril 2020 consid. 2.3 et consid. 4.3.2). Des améliorations insignifiantes ne suffisent pas, pas plus que la simple possibilité d’une amélioration (RKUV 2005 n° U 557 p. 388, U 244/04 consid. 3.1 ; arrêt 8C_344/2021 du 7 décembre 2021 consid. 7.2). Dans ce contexte, l’état de santé de la personne assurée doit être évalué de manière pronostique et non sur la base de constatations rétrospectives. L’évaluation de cette question juridique se fonde en premier lieu sur les renseignements médicaux concernant les possibilités thérapeutiques et l’évolution de la maladie, qui sont généralement compris sous la notion de pronostic (SVR 2020 UV n° 24 p. 95, 8C_614/2019 consid. 5.2 ; arrêt 8C_604/2021 du 25 janvier 2022 consid. 5.2).

Consid. 5.2
L’instance cantonale a considéré, en appréciant le dossier médical et en motivant sa décision de manière détaillée, que l’évaluation du Dr C.__ du 12.09. 2019, selon laquelle la stabilité de l’état de santé était atteint et que la poursuite du traitement ne permettrait plus de l’améliorer de manière décisive, semblait plausible. Par conséquent, la clôture du cas avec la cessation du droit aux frais médicaux en septembre 2019 et aux indemnités journalières à la fin 2019 est donc correcte.

Consid. 6.2.1
Le 27.08.2019, l’office AI a accordé à l’assuré des mesures d’intervention précoce sous la forme d’un cours de formation de conducteur de camion/bus d’un montant total de CHF 24’468, qui devait être achevé au plus tard en été 2020. Elle a pris en charge les coûts jusqu’à un plafond maximal de CHF 19’900. Les autres frais étaient à la charge de l’assuré.

Consid. 6.2.2
Les mesures d’intervention précoce ont pour but de maintenir à leur poste les assurés en incapacité de travail ou de permettre la réadaptation des assurés à un nouveau poste au sein de la même entreprise ou ailleurs (art. 7d al. 1 LAI ; arrêt 8C_837/2019 du 16 septembre 2020 consid. 5.3). Les cours de formation en particulier visent à augmenter les chances de réadaptation de l’assuré, dans le respect du principe de proportionnalité (cf. Circulaire sur la détection et l’intervention précoces [CDIP], ch. marg. 3012.2). De telles mesures d’intervention précoce ne constituent pas des mesures de réadaptation (cf. CDIP, ch. 3003 ; arrêt 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 4.3.3). La cour cantonale a donc conclu à juste titre que l’assurance-accidents n’était pas tenue d’attendre la fin des mesures d’intervention précoce pour clore le cas.

 

Consid. 8.1 [résumé]
Les limitations fonctionnelles ont été définis en 2019 lors du séjour dans une clinique de réadaptation : pas de port de charges de plus de 15 à 25 kg de manière répétitive ni au-dessus de la taille, sans activité impliquant une importante force ou répétitive de la main gauche et sans exposition de celle-ci à des coups, des secousses ou des vibrations. Il a été établi que l’assuré ne peut utiliser sa main gauche (dominante) au-delà d’un usage comme main auxiliaire.

Consid. 8.2.1 [résumé]
Selon l’assuré, la perte de capacité fonctionnelle [funktionellem Leistungsvermögen] ne doit pas être prise en compte de manière théorique, mais de manière individuelle et dans le cadre d’activités concrètes.

Consid. 8.2.2
Il convient d’objecter à cela que l’assuré est limité pour des raisons de santé à la main gauche dominante. Le marché du travail équilibré déterminant (art. 16 LPGA ; ATF 134 V 64 consid. 4.2.1) comprend des activités qui n’impliquent pas ou que très peu l’utilisation de la main dominante (p. ex. comme main de soutien). On pense ici aux activités simples de surveillance, de vérification et de contrôle ainsi qu’à l’utilisation et à la surveillance de machines ou d’unités de production (semi-)automatiques (arrêts 8C_366/2021 du 10 novembre 2021 consid. 6.8.2 et 8C_450/2014 du 24 juillet 2014 consid. 7.2). Il n’est pas nécessaire de concrétiser davantage les activités de renvoi raisonnablement exigibles (ATF 138 V 457 consid. 3.1 ; arrêt 8C_381/2010 du 5 octobre 2010 consid. 3.2 ; cf. aussi consid. 12.2 ci-après). Etant donné qu’il n’y a pas de sollicitation importante de la main gauche dans le cadre de tels travaux, l’instance cantonale n’a pas violé le droit fédéral, en appréciant les rapports médicaux, en partant du principe que la capacité de travail résiduelle était entièrement exploitable pour des activités plus légères que celles décrites dans le profil d’exigibilité de la clinique de réadaptation.

 

Consid. 10.1
Pour déterminer le revenu – hypothétique – sans invalidité, il faut en règle générale se baser sur le salaire réalisé en dernier lieu par la personne assurée avant l’atteinte à la santé, en tenant compte de l’évolution des salaires, car l’expérience empirique montre que l’activité exercée jusqu’alors aurait été poursuivie sans atteinte à la santé. Des exceptions ne peuvent être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 145 V 141 consid. 5.2.1, 139 V 28 consid. 3.3.2).

Consid. 10.2
L’instance cantonale a considéré que, selon la confirmation de la société B. __ Sàrl, l’assuré aurait obtenu en 2019 un revenu annuel de CHF 62’000. Ce revenu constitue la base du revenu sans invalidité. Il serait inférieur d’environ 7% au revenu usuel dans la branche, extrapolé à l’année 2019, de CHF 66’367, selon l’ESS 2018, tableau TA1, pour les hommes de la branche « Transports et entreposage » (ch. 49-53), niveau de compétence 1 (activités simples de nature physique ou artisanale). C’est pourquoi il convient de procéder à la parallélisation ou d’augmenter le revenu de valide de 2%, après déduction de la limite de tolérance de 5%, pour le porter à CHF 63’240 (sur la parallélisation, cf. ATF 141 V 1, 135 V 58 et 297).

Consid. 10.4.1
L’assuré a travaillé comme chauffeur auprès de l’entreprise B.__ Sàrl. Dans le cadre de la parallélisation, l’instance cantonale a comparé son revenu dans dite activité titre avec celui de la branche « Transports et entreposage » (ch. 49-53) selon le tableau TA1 de l’ESS (cf. consid. 10.2 ci-dessus). Il faut toutefois convenir avec l’assuré que pour déterminer le salaire d’un chauffeur, il ne faut pas se référer à la branche 49-53 « Transports et entreposage » du tableau TA1 de l’ESS, car celle-ci comprend, outre les transports terrestres qui sont les seuls déterminants en l’espèce, également les transports maritimes et aériens. Le revenu des chauffeurs doit plutôt être déterminé sur la base du tableau ESS T17, groupe professionnel 83 « Conducteurs/trices de véhicules et d’engins lourds de levage et de manœuvre » (arrêts 9C_38/2019 du 9 mai 2019 consid. 3.4.3 et 8C_300/2015 du 10 novembre 2015 consid. 7.2).

Consid. 10.4.2
Les juges cantonaux ont considéré à juste titre que les revenus du recourant en 2020, année pour laquelle le droit à la rente devait être examiné, étaient déterminants.

Pour les hommes âgés d’au moins 50 ans dans le groupe professionnel 83 « Conducteurs/trices de véhicules et d’engins lourds de levage et de manœuvre », le revenu moyen selon la table ESS T17 s’élevait en 2018 à CHF 5’917 par mois, soit CHF 71’004 par an. Dans la division économique correspondante « Transports et entreposage » (ch. 49-53), la durée hebdomadaire usuelle de travail dans l’entreprise comptait en moyenne 42,4 heures en 2020 (OFS, Durée usuelle de travail par division économique, en heures par semaine, tableau T03.02.03.01.04.01 ; cf. aussi arrêt 9C_38/2019 du 9 mai 2019 consid. 3.4.3). L’indice des salaires nominaux pour les hommes dans le domaine « Transport et entreposage » était de 100,4 points en 2018 et de 101,1 points en 2020 (tableau T1.1.15, Indice des salaires nominaux, hommes, 2016-2020). Il en résulte pour l’année 2020 un revenu de valide usuel dans la branche de CHF 75’789 en chiffres arrondis.

Le revenu sans invalidité de l’assuré auprès de B.__ Sàrl de CHF 62’000 en 2019 donne, arrondi à l’année 2020, CHF 61’574 (indice des salaires nominaux pour les hommes dans le secteur « Transport et entreposage » de 101,8 points en 2019 et de 101,1 points en 2020) et est donc inférieur de 19%, en chiffres arrondis, au revenu de valeur usuel dans la branche de CHF 75’789. Le montant de CHF 62’000 doit donc être parallélisé ou augmenté de 14% pour atteindre CHF 70’680, après déduction de la limite de tolérance de 5%.

 

Consid. 11.1
Le revenu d’invalide que l’assuré peut obtenir malgré son atteinte à la santé est également contesté. Si, après la survenance de l’atteinte à la santé, la personne assurée n’a pas repris d’activité lucrative ou en tout cas pas une nouvelle activité que l’on peut raisonnablement exiger d’elle, les salaires statistique de l’ESS peuvent être pris en compte (ATF 143 V 295 consid. 2.2).

La déduction sur les salaires statistiques selon l’ATF 126 V 75 doit tenir compte du fait que des caractéristiques personnelles et professionnelles telles que le type et l’ampleur du handicap, l’âge, les années de service, la nationalité ou la catégorie d’autorisation de séjour et le taux d’occupation peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire et que, selon les caractéristiques, l’intéressé ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne, même sur un marché du travail équilibré. La déduction ne doit toutefois pas être automatique. Elle doit être évaluée globalement, en tenant compte des circonstances du cas d’espèce et dans les limites du pouvoir d’appréciation, et ne doit pas dépasser 25% (ATF 146 V 16 consid. 4.1).

 

Consid. 12.1
L’assuré fait valoir que l’instance cantonale s’est basée sur un profil théorique d’exigibilité sans mentionner d’activités professionnelles concrètes et sans discuter des critères subjectifs et objectifs d’exigibilité dans le cas d’espèce, et qu’elle conclut à un revenu d’invalide qui devrait être supérieur au revenu sans invalidité. Cela ne correspond ni à un marché du travail équilibré ni à un marché du travail réel. Cette pratique, qui prend en compte des profils d’exigibilité théoriques sans concrétisation au cas par cas, est critiquée dans la littérature. L’ancien juge fédéral Ulrich Meyer serait d’avis qu’il faudrait réduire les salaires statistiques en cas d’invalidité de 15 à 25%, de manière uniforme et linéaire (Plaidoyer 4/2021 p. 12).

Consid. 12.2
Comme relevé au consid. 8.2.2 supra, le revenu d’invalide pouvant raisonnablement être obtenu malgré l’atteinte à la santé doit être déterminé par rapport à un marché du travail équilibré, sans qu’il soit nécessaire de poser des exigences excessives quant à la concrétisation des possibilités de travail et des perspectives de gain (ATF 138 V 457 consid. 3.1). Les motifs pour un changement de jurisprudence ne sont pas démontrés par l’assuré et ne sont pas manifestes (à ce sujet, cf. ATF 145 V 304 consid. 4.4). Au contraire, dans l’ATF 8C_256/2021 du 9 mars 2022, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’existait à l’heure actuelle aucune raison objective sérieuse de modifier la jurisprudence selon laquelle le point de départ pour le calcul du revenu d’invalide sur la base de valeurs statistiques est en principe la valeur centrale ou médiane de l’ESS. Pour les raisons évoquées dans cet arrêt, il n’y a logiquement pas non plus de raison de réduire uniformément et linéairement les salaires statistiques de 15 à 25%.

Consid. 12.3
Ainsi, le revenu d’invalide calculé par la cour cantonale sur la base de la table ESS TA1 2018, ligne Total, hommes, niveau de compétence 1, reste à CHF 5’417 par mois, respectivement de CHF 65’004 par an, comme base de départ. Dans le domaine « Total », la durée hebdomadaire de travail usuelle dans les entreprises était en moyenne de 41,7 heures en 2020 (OFS, Durée de travail usuelle dans les entreprises par division économique, en heures par semaine, tableau T03.02.03.01.04.01). L’indice des salaires nominaux pour les hommes dans le domaine « Total » était de 101,5 points en 2018 et de 103,2 points en 2020 (tableau T1.1.15, indice des salaires nominaux, hommes, 2016-2020,). Cela donne pour l’année 2020 un revenu d’invalide arrondi à CHF 68’902.

Consid. 13.1
L’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (« Ermessensmissbrauch ») (ATF 146 V 16 consid. 4.2 ; arrêt 8C_239/2021 du 4 novembre 2021 consid. 5.1.2). Il ne résulte pas de la jurisprudence qu’une déduction selon l’ATF 126 V 75 est en principe injustifiée lorsque seule la capacité fonctionnelle de la main dominante est entravée. C’est pourquoi le Tribunal fédéral a renoncé, dans une jurisprudence de longue date, à introduire un critère selon lequel une déduction selon l’ATF 126 V 75 ne pourrait a priori être admise que si le membre supérieur dominant était fonctionnellement limité (arrêt 8C_500/2020 du 9 décembre 2020 consid. 3.2.3).

Consid. 13.2.1
L’assuré fait grief que l’abattement sur le salaire statistique est d’au moins 15% en raison du choix limité d’activités de référence, de la nécessité de prendre des pauses et d’autres effets de réduction du salaire tels que l’âge, la formation professionnelle, etc. L’abattement serait également supérieur à 15%, car l’instance cantonale n’a justement pas tenu compte des caractéristiques personnelles dans le cadre de la parallélisation.

Consid. 13.2.2
Dans la mesure où l’assuré renvoie à cet égard à ses arguments dans le recours de première instance, cela est irrecevable (ATF 143 V 168 consid. 5.2.3, 134 II 244 ; arrêt 8C_542/2021 du 26 janvier 2022 consid. 6).

Consid. 13.2.3
L’âge n’a qu’une importance limitée dans le contexte de l’abattement pour cause d’atteinte à la santé. La jurisprudence a souligné à plusieurs reprises que, selon les enquêtes de l’ESS, l’âge a même plutôt tendance à augmenter le salaire des hommes dans la tranche d’âge de 50 à 64/65 ans pour les postes sans fonction de cadre. La question de savoir si et dans quelle mesure cela vaut également pour les assurés qui, en raison de leur invalidité, doivent se réorienter professionnellement à un âge avancé, peut rester expressément ouverte ici. En l’espèce, il n’y a en tout cas pas d’éléments indiquant que l’assuré, en raison de son âge, devrait s’attendre à un salaire inférieur sur le marché général du travail par rapport à d’autres employés de sa catégorie d’âge. De telles circonstances ne sont d’ailleurs pas mentionnées dans le recours.

Le fait que la recherche d’un emploi puisse être plus difficile en raison de l’âge est un facteur étranger à l’invalidité qui n’est généralement pas pris en compte dans l’abattement (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1). Par conséquent, si un abattement sur le salaire statistique en raison de l’âge ne peut pas être justifiée, la question de savoir quel serait le moment déterminant pour l’examen du droit à une éventuelle déduction du salaire statistique en raison de l’âge avancé peut rester ouverte (ATF 146 V 16 consid. 7.1 ; cf. aussi ATF 8C_466/2021 du 1er mars 2022 consid. 3.6.2). Il en va de même pour la question de savoir si la caractéristique « âge » a une quelconque importance dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire au regard de l’art. 28 al. 4 OLAA (cf. arrêt 8C_466/2021 du 1er mars 2022 consid. 3.6.1 et les références).

 

Consid. 13.2.4
Par ailleurs, l’assuré ne démontre pas de manière convaincante quelles caractéristiques personnelles devraient conduire à un abattement supérieur celui de 15% estimé par la cour cantonale. Au vu de ce qui précède, cet abattement est maintenu. Cela conduit à un revenu d’invalide arrondi à CHF 58’567 (68’902 francs x 0.85 [cf. consid. 12.3 supra]).

Comparé au revenu sans invalidité de CHF 70’680 (cf. consid. 10.4.2 supra), il en résulte un taux d’invalidité arrondi à 17% (pour l’arrondi, cf. ATF 130 V 121), ce qui conduit à une rente d’invalidité correspondante à partir du 01.01.2020.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

 

Commentaires et remarques

Parallélisation et CCT

De jurisprudence constante, il n’y a pas lieu à majorer le revenu sans invalidité lorsque celui-ci est supérieur au salaire usuel de la branche déterminé selon le salaire minimum d’embauche d’une convention collective de travail (arrêts du Tribunal fédéral 8C_310/2018 du 18 décembre 2018 consid. 6.1 et 6.2 ; 8C_643/2016 du 25 avril 2017 consid. 4.3 et les références ; 8C_537/2016 du 11 avril 2017 consid. 6.1 et 6.2).

Il existe des dispositions complémentaires à l’accord national pour les entreprises membres de la section zurichoise de l’ASTAG et les Routiers Suisses, sections Zürich, Zürich Oberland, Schaffhausen-Nordostschweiz. Le salaire mensuel d’un chauffeur, catégorie D, après 4 années de service dans la profession, est de CHF 4’735. Nous ne savons en revanche pas si l’employeur (B.__ Sàrl) est membre de l’ASTAG.

 

Utilisation du tableau T17 pour une activité de chauffeur

Au consid. 10.4.1 du présent arrêt, le Tribunal fédéral se réfère au tableau T17 et non au TA1 pour examiner la parallélisation.

La référence faite à l’arrêt 9C_38/2019 consid. 3.4.3 nous surprend. Dans dite affaire, l’instance cantonale et l’office AI avait utilisé – à tort ou à raison – le tableau T17 pour fixer le revenu sans invalidité d’un chauffeur. Sauf erreur de notre part, il n’était nullement question d’utiliser le T17 car les transports maritimes et aériens étaient compris dans la ligne 49-53 (voire 49-52) du TA1.

Tel n’est pas le cas en revanche de l’arrêt 8C_300/2015, reprenant la même argumentation que le présent arrêt. Dans l’arrêt 8C_300/2015, se pose la question de savoir si le T17 a été utilisé pour prouver que, même avec un salaire plus élevé que celui issu du TA1, le taux minimum d’invalidité nécessaire pour le droit à la rente d’invalidité n’était pas atteint (10% pour un cas LAA ; 7% in casu).

 

Tableaux de l’ESS TA1 et T17

Le tableau TA1 concerne les salaires mensuels bruts (valeur médiane) selon les branches économiques, le niveau de compétences et le sexe, du secteur privé. Quant à lui, le tableau T17 se rapporte aux salaires mensuels bruts (valeur médiane) selon les groupes de professions, l’âge et le sexe, du secteur privé et du secteur public (Confédération, cantons, districts, communes, corporations) ensemble.

Pour le revenu d’invalide, le Tribunal fédéral a rappelé à réitérées reprises que la table T17 n’entrait pas en considération pour le revenu d’invalide lorsque la personne assurée n’a pas accès au secteur public (arrêts du Tribunal fédéral 8C_256/2021 du 9 mars 2022 – destiné à la publication – consid. 6.2 ; I 773/04 du 6 février 2006 consid. 5.2 ; RAMA 2000 n° U 405 p. 400 consid. 3b ; cf. également arrêt du Tribunal fédéral 8C_212/2018 du 13 juin 2018 consid. 4.4.2 ; 9C_72/2017 du 19 juillet 2017 consid. 4.2.3) ; en pareille situation, seul le tableau TA1_tirage_skill_level entrait en ligne de compte (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 31/05+I 32/05 du 20 mars 2006 consid. 6.3.1).

Deux questions nous viennent à l’esprit :

  • la première est de savoir si l’assuré avait accès aux emplois du secteur public dans son activité de chauffeur (par analogie de la jurisprudence relative à l’utilisation de la table T17) ;
  • la seconde est de savoir, puisque la table T17 (secteurs privé et public ensemble) a été privilégiée, si le tableau T1 (secteur privé et secteur public [Confédération, cantons, districts, communes, corporations] ensemble) pourrait être utilisé en lieu et place de la TA1 pour déterminer le revenu d’invalide.

Le fait de comparer des chiffres issus de statistiques provenant d’échantillonnage différents semble peu satisfaisant. Comme l’adage populaire le souligne avec raison, « c’est comparé des pommes avec des poires ».

Si le raisonnement du Tribunal fédéral devait être suivi de façon stricte, des difficultés risquent d’apparaître pour la détermination des revenus sans invalidité et d’invalide dès qu’une ligne du tableau TA1 englobe d’autres professions. Nous pensons par exemple aux lignes 41-43 « Construction » (englobant toutes les activités liées à la construction), 45-46 « Commerce de gros; com. et rép. d’automobiles », 49-52 « Transp. terrestres, par eau, aériens; entreposage » et 77,79-82 « Activités de services admin. (sans 78) ».

 

Revenu d’invalide – Niveau de compétences

Depuis l’ESS 2012, le niveau de compétences 1 correspond aux « tâches physiques ou manuelles simples » et le niveau de compétences 2 aux « tâches pratiques telles que la vente/ les soins/ le traitement de données et les tâches administratives/ l’utilisation de machines et d’appareils électroniques/ les services de sécurité/ la conduite de véhicules ».

Pour l’examen de la parallélisation, en utilisant le tableau TA1 et la ligne 49-53 « Transports et entreposage », il aurait été judicieux de prendre le niveau de compétences 2. On pourrait reprocher le fait que le salaire issu du tableau TA1 est inférieur à celui issu du T17.

 

 

 

Arrêt 8C_682/2021 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_682/2021 (d) du 13.04.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/06/8c_682-2021)

 

 

8C_677/2021+8C_687/2021 (d) du 31.01.2022 – Revenu sans invalidité – Parallélisation des revenus à comparer – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_677/2021+8C_687/2021 (d) du 31.01.2022

 

Consultable ici

NB: traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Revenu sans invalidité – Parallélisation des revenus à comparer / 16 LPGA

Pas de parallélisation en présence d’une CCT

 

Assurée, née en 1993, employée depuis mars 2014 en tant que collaboratrice de cuisine à la boulangerie B.__ AG. Le 20.03.2016, elle a été renversée par une voiture alors qu’elle marchait sur le trottoir. Elle a subi des blessures à la colonne vertébrale cervicale et thoracique ainsi qu’une fracture de la jambe gauche. Cette dernière a été opérée à l’hôpital C.__ et a provoqué par la suite des douleurs persistantes ainsi qu’un trouble de la marche. Par la suite, des troubles psychiques sont également apparus. Après un séjour à la clinique de réadaptation en octobre 2017, l’assurance-invalidité a accordé des mesures professionnelles. L’assurée s’est d’abord soumise à un entraînement à l’endurance et a ensuite effectué un essai de travail dans une boulangerie. Après un examen final par le médecin-conseil le 17.10.2019, l’assurance-accidents a accordé une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 20% au total (cheville gauche : 15% ; colonne cervicale et thoracique : 5%). L’assurance a toutefois refusé de reconnaître le droit à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 02.09.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité à partir du 01.01.2020 fondée sur un taux d’invalidité de 10%.

 

TF

Consid. 4.2.1
En ce qui concerne la détermination du degré d’invalidité selon la méthode de comparaison des revenus (art. 16 LPGA), il convient de souligner que le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas devenu invalide (revenu sans invalidité) doit en règle générale être calculé sur la base du dernier salaire obtenu, adapté si nécessaire au renchérissement et à l’évolution du revenu, car l’expérience montre que l’activité exercée jusqu’alors aurait été poursuivie en l’absence d’atteinte à la santé (ATF 144 I 103 consid. 5.3 ; 135 V 58 consid. 3.1 ; cf. aussi ATF 135 V 297 consid. 5.1 ; 134 V 322 consid. 4.1). La jurisprudence a déjà pris en compte à plusieurs reprises les salaires dus en vertu d’une convention collective de travail pour déterminer le revenu sans invalidité (arrêt 8C_134/2021 du 8 septembre 2021 consid. 5.4 et les références).

Consid. 4.2.2
Si, pour des raisons étrangères à l’invalidité (p. ex. faible niveau de formation scolaire, absence de formation professionnelle, connaissances insuffisantes de l’allemand, possibilités d’emploi limitées en raison du statut de saisonnier), une personne assurée percevait un revenu nettement inférieur à la moyenne, il convient de tenir compte de cette circonstance lors de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA (ce que l’on appelle la parallélisation des revenus à comparer ; ATF 125 V 146 consid. 5c/bb ; arrêt I 696/01 du 4 avril 2002 consid. 4). Il faut en tenir compte, pour autant que rien n’indique qu’elle ne désire pas s’en contenter délibérément.

Ce n’est qu’ainsi que le principe selon lequel la perte de gain due à des facteurs étrangers à l’invalidité ne doit pas être prises en compte du tout, ou alors de manière égale pour les deux revenus comparés, est respecté (ATF 129 V 222 consid. 4.4). Le raisonnement de base de cette jurisprudence est le suivant : Lorsqu’une personne assurée obtient un salaire nettement inférieur à la moyenne dans l’activité qu’elle exerçait en bonne santé, parce que ses caractéristiques personnelles (notamment le manque de formation ou de connaissances linguistiques, le statut de droit des étrangers) l’empêchent d’obtenir un salaire moyen, il ne faut pas admettre qu’elle pourrait obtenir un salaire moyen (proportionnel) en raison d’une atteinte à la santé (ATF 134 V 322 consid. 4.1 ; 135 V 58 consid. 3.4.3 ; 135 V 297 consid. 5.1 ; arrêt 8C_721/2017 du 26 septembre 2018 consid. 3.4.1). Une parallélisation n’a lieu que dans le taux minimal déterminant de 5% est dépassé (ATF 135 V 297).

Lors de l’examen du caractère inférieur à la moyenne du revenu sans invalidité, il convient de comparer en premier lieu le revenu statistique usuel de la branche selon l’ESS (ATF 141 V 1 consid. 5.6). Si le salaire de base correspond au salaire minimum prévu par une convention collective de travail (CCT) déclarée de force obligatoire par le Conseil fédéral dans la branche professionnelle concernée, il ne peut pas être qualifié d’inférieur à la moyenne, car les revenus usuels de la branche y sont représentés de manière plus précise que dans l’ESS. Une parallélisation des revenus à comparer n’entre donc pas en ligne de compte dans un tel cas, conformément à la jurisprudence (arrêts 8C_310/2020 du 23 juillet 2020 consid. 2 et 3 ; 8C_88/2020 du 14 avril 2020 consid. 3.2.2 ; 8C_141/2016 du 17 mai 2016 consid. 5.2.2).

 

Consid. 5.1
L’instance cantonale a déterminé le revenu d’invalide sur la base de l’ESS et a retenu un abattement de 10%. Quant au revenu sans invalidité, le tribunal cantonal s’est basé sur le même salaire [sans abattement], car il a estimé qu’il n’existait pas d’indices permettant de penser que l’assurée aurait voulu se contenter délibérément d’un revenu inférieur effectivement obtenu, soit 44’772 francs. Le taux d’invalidité est ainsi de 10%.

 

Consid. 6.3.1
En ce qui concerne le revenu sans invalidité, l’assurance-accidents fait valoir que l’instance cantonale a utilisé à tort, pour le calculer, la valeur statistique [ligne « Total »] pour les activités d’aide simple (55’222 francs) au lieu du revenu antérieur, bien que ce dernier, avec 44’772 francs, ait même été légèrement plus élevé que le salaire annuel minimum selon la CCT de 44’655 francs (3435 francs x 13).

Contrairement aux objections de l’assurée, on ne voit pas en quoi le salaire minimum prévu à partir du 1er janvier 2019 par la CCT déclarée de force obligatoire par le Conseil fédéral (FF 2018 7107 ss) pour les travailleurs sans diplôme professionnel ne devrait pas être pris en compte comme valeur de référence (dont le montant n’est pas contesté) au moment de l’entrée en vigueur de la rente en janvier 2020. Comme le montant correspondant est inférieur à la valeur que l’instance précédente a constatée pour l’année 2019 sur la base des indications de l’employeuse, on ne peut pas considérer ici, conformément à la pratique, qu’il s’agit d’une valeur inférieure à la moyenne. Il convient au contraire de retenir le salaire de 44’772 francs comme revenu sans invalidité.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents (8C_677/2021) et rejette le recours de l’assurée (8C_687/2021)

 

 

Arrêt 8C_677/2021+8C_687/2021 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_677/2021+8C_687/2021 (d) du 31.01.2022 – Revenu sans invalidité – Parallélisation des revenus à comparer, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/09/8c_677-2021)

 

 

 

ATF 148 V 174 – 8C_256/2021 (d) du 09.03.2022 – Détermination du revenu d’invalide – Méthode générale de comparaison des revenus – 28 LAI (dans sa version valable jusqu’au 31.12.2021) – 16 LPGA / Examen de l’opportunité du changement de jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_256/2021 (d) du 09.03.2022, publié aux ATF 148 V 174

 

Arrêt 8C_256/2021 consultable ici

ATF 148 V 174 consultable ici 

 

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Interdiction des véritables nova / 99 LTF

Détermination du revenu d’invalide – Méthode générale de comparaison des revenus / 28 LAI (dans sa version valable jusqu’au 31.12.2021) – 16 LPGA

Examen de l’opportunité du changement de jurisprudence

 

Assuré, né en 1964, a déposé une première demande AI le 11.12.2001, en raison d’une luxation de l’épaule droite. L’office AI a octroyé à l’assuré une rente entière limitée dans le temps, du 01.11.2002 au 31.10.2003. La décision de l’AI a été confirmée par le tribunal cantonal par jugement du 22.12.2010.

Le 25.06.2012, l’assuré a déposé une nouvelle demande AI. L’office AI a procédé aux investigations usuelles ainsi qu’à la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire et d’une expertise de médecine du trafic. Par décision du 08.04.2014, l’office AI a octroyé à l’assuré un quart de rente d’invalidité à compter du 01.12.2012. Par communication du 24.04.2014, l’office AI a invalidé la décision du 08.04.2014, qui n’était pas encore entrée en force, en se fondant sur l’évaluation de la médecine du trafic. Par décision du 05.05.2014, l’office AI a réclamé la restitution des rentes déjà versées, d’un montant de 10’110 francs. Par décision du 25.06.2014, le droit à une rente d’invalidité a été nié. Tant le tribunal cantonal que le Tribunal fédéral (arrêt 8C_406/2015 du 31.08.2015) ont rejeté le recours déposé contre cette décision.

Le 17.10.2014, l’assuré a déposé une demande de mesures professionnelles auprès de l’office AI puis, le 22.02.2016, une nouvelle demande de prestations, se référant aux opérations qu’il a subies à l’épaule et à la colonne cervicale ainsi qu’aux attaques de panique et à la dépression dont il souffrait depuis 2012. Après de nouvelles investigations, dont une expertise médicale, l’office AI a octroyé à l’assuré un quart de rente d’invalidité à compter du 01.09.2018, par décision du 03.07.2020.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 16.03.2021, admission partiel du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à un quart de rente dès le 01.12.2017, une rente entière à partir du 01.03.2018, trois-quarts de rente à partir du 01.08.2018 et un quart de rente dès le 01.11.2018.

 

TF

L’assuré a recouru contre le jugement. L’office AI conclut au rejet du recours. Sur invitation du Tribunal fédéral, l’OFAS a pris position le 14.06.2021 sur les questions soulevées lors du symposium Weissenstein « Fakten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen » du 05.02.2021. Dans sa requête du 24.06.2021, l’OFSP a renoncé à prendre position. Le 30.06.2021, l’assuré s’est déterminé sur la prise de position de l’OFAS.

Par requête du 15.11.2021, l’assuré a fait parvenir la préimpression de la publication prévue dans la RSAS « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn » de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler. Sur invitation du Tribunal fédéral, l’office AI a pris position le 09.12.2021, l’OFAS le 21.12.2021 et l’OFSP le 23.12.2021. Le 14.01.2022, l’assuré a déposé une requête qualifiée de « quadruplique ».

Le Tribunal fédéral a tenu une délibération publique le 09.03.2022.

 

Interdiction des véritables nova – 99 LTF

Consid. 2.1
Le recours au Tribunal fédéral doit en principe être déposé dans un délai de 30 jours (art. 100 al. 1 LTF). Dans ce délai, il doit indiquer les motifs et être accompagné des moyens de preuve (art. 42 al. 1 LTF). Sauf exceptions (cf. art. 43 LTF), il n’est pas admissible de compléter la motivation du recours après l’expiration du délai (ATF 134 IV 156 consid. 1.6 ; arrêt 8C_467/2021 du 13 août 2021 consid. 1.1).

Consid. 2.2
Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l’autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF), ce qui doit être exposé plus en détail dans le recours. Les véritables nova, c’est-à-dire les faits et moyens de preuve survenus postérieurement au prononcé de la décision entreprise ou qui n’ont été produits qu’après celle-ci, ne sont pas admissibles devant le Tribunal fédéral (ATF 143 V 19 consid. 1.2 et les références). Ne sont pas concernés par l’interdiction des nova selon l’art. 99 al. 1 LTF les faits connus de tous et notoires pour le tribunal, comme par exemple la littérature spécialisée accessible à tous (arrêts 9C_224/2016 du 25 novembre 2016 consid. 2.1, non publié in : ATF 143 V 52, mais in : SVR 2017 KV n° 9 p. 39 ; 9C_647/2018 du 1er février 2019 consid. 2 ; Johanna Dormann, Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 3e éd. 2018, n. 43 et 53 ad art. 99 LTF).

Consid. 2.3
La requête de l’assuré du 15.11.2021, déposée spontanément plus de quatre mois après la réplique, constitue dans une large mesure un complément inadmissible au mémoire de recours et, à cet égard, ne doit en principe pas être prise en considération. L’objectif principal de cette requête était la remise de l’article « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn » de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr phil Schwegler, publié entre-temps dans la RSAS 2021 p. 287 ss. Il s’agit là d’une littérature spécialisée accessible à tous, qui n’est pas concernée par l’interdiction des nova. On peut toutefois se demander si cela s’applique également aux nouveaux tableaux Niveau de compétence (NC [KN en allemand]) 1 « light » (annexes 3a et 3b) et NC 1 « light-moderate » (annexes 4a et 4b) présentés en annexe, sur lesquels se base l’article. Il n’est toutefois pas nécessaire de répondre de manière définitive à la question de savoir ce qu’il en est, comme le montrent les considérants ci-après. Les arguments de l’assuré dans sa requête qualifiée de « quadruplique » ne peuvent pas non plus être pris en considération, dans la mesure où ils constituent également un complément inadmissible au mémoire exposant les motifs du recours.

 

Méthode générale de comparaison des revenus

Consid. 4.1
Le 01.01.2022, la loi fédérale révisée sur l’assurance-invalidité (LAI) est entrée en vigueur (Développement continu de l’AI [DCAI] ; modification du 19.06.2020, RO 2021 705, FF 2017 2535). La décision sur laquelle se fonde l’arrêt ici attaqué a été rendue avant le 01.01.2022. Conformément aux principes généraux du droit intertemporel et des faits déterminants dans le temps (cf. notamment ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; 129 V 354 consid. 1 et les références), les dispositions de la LAI et celles du règlement sur l’assurance-invalidité (RAI) sont donc applicables dans la version qui était en vigueur jusqu’au 31.12.2021.

Consid. 4.2
Le tribunal cantonal a exposé à juste titre les dispositions déterminantes pour l’évaluation du droit à la rente en l’espèce (art. 28 LAI dans sa version valable jusqu’au 31.12.2021), notamment celles relatives à l’incapacité de gain (art. 7 LPGA), à l’invalidité (art. 8 al. 1 LPGA en relation avec l’art. 4 al. 1 LAI) ainsi qu’à la détermination du taux d’invalidité selon la méthode générale de comparaison des revenus (art. 16 LPGA). Les explications relatives aux règles de révision applicables par analogie lors de la nouvelle demande (art. 17 al. 1 LPGA ; ATF 141 V 585 consid. 5.3 in fine et les références) sont également correctes. Il y est renvoyé.

Consid. 5.1
En ce qui concerne le moment du début de la rente, l’instance précédente a tout d’abord expliqué qu’en raison de l’incapacité de travail de 20% à prendre en compte depuis le 05.02.2015, le délai d’attente était considéré comme ouvert à cette date ; il a été rempli le 18.12.2017. Etant donné qu’au plus tôt du droit possible de la rente, l’incapacité de travail n’était que de 40% en moyenne, l’assuré avait droit à un quart de rente à partir du 01.12.2017, qui devait être augmenté à une rente entière au 01.03.2018 en application de l’art. 88a al. 2 RAI.

Pour déterminer le degré d’invalidité sur la base d’une comparaison des revenus, le tribunal cantonal s’est ensuite basé, en ce qui concerne le revenu d’invalide, sur les données issues de l’ESS 2018 publiée par l’OFS. Il a pris en compte la valeur centrale du tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé, total, hommes, niveau de compétence 1 de 5417 francs et a calculé – en l’adaptant au temps de travail hebdomadaire usuel de 41,7 heures et en le calculant sur une année entière – un revenu d’invalide de 67’766.67. francs pour un taux d’occupation de 100%. En tenant compte de la perte de gain de 2% à prendre en considération sur le revenu de valide ainsi que de l’abattement 10% accordée par l’office AI pour les limitations, l’instance précédente a calculé un revenu d’invalide de 23’908.09 francs pour un taux d’occupation de 40% et de 35’862.12 francs pour un taux d’occupation de 60%. Elle a constaté que les résultats des expertises mandatées par Coop Protection Juridique SA sur la question de l’accès équitable aux prestations d’invalidité, présentés lors du symposium Weissenstein du 05.02.2021 et invoqués par l’assuré, ne permettaient pas de calculer le revenu d’invalide selon un autre mode. L’application concrètement demandée du quartile le plus bas [Q1] au lieu du salaire médian comme valeur de référence n’entre pas en ligne de compte en raison de la jurisprudence claire du Tribunal fédéral. S’agissant de l’abattement, la jurisprudence prévoit explicitement une déduction au maximum de 25% sur la valeur médiane en raison de l’atteinte à la santé. L’office AI a suffisamment tenu compte des caractéristiques correspondantes en appliquant une déduction de 10%. Sur la base de la comparaison entre le revenu sans invalidité et le revenu d’invalide, le tribunal cantonal a constaté une perte de gain de 44’350.60 francs ou un taux d’invalidité de 65% en chiffres arrondis à partir du 01.05.2018 et une perte de gain de 32’396.57 francs ou un taux d’invalidité de 47% en chiffres arrondis à partir du 01.08.2018, ce qui a conduit, en application de l’art. 88a al. 2 RAI, à l’octroi de la rente (avec augmentation et diminution).

Consid. 5.2
L’assuré se plaint d’une violation du droit dans la détermination du revenu d’invalide. Dans son recours, il se réfère à nouveau aux résultats de l’enquête présentés lors du symposium Weissenstein du 05.02.2021 et fait valoir que les recherches les plus récentes prouvent que l’application de la valeur médiane de l’ESS pour déterminer le revenu d’invalide rend impossible un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité. La pratique judiciaire en la matière est discriminatoire, car les personnes handicapées sont systématiquement désavantagées, ce qui viole les art. 6, 8 et 14 CEDH ainsi que l’art. 8 Cst. Dans le cas concret, les conséquences du handicap sur le revenu d’invalide ne sont pas prises en compte avec un abattement de 10%. Si le calcul de ce revenu était conforme au droit, il faudrait – en plus de la déduction pour les causes physiques – partir du quartile inférieur Q1 du tableau 9 ou 10 de l’ESS 2016, hommes, niveau de compétence 1, colonne 9/travailleurs auxiliaires. Cela donnerait – indexé pour 2018 et adapté au temps de travail hebdomadaire habituel de l’entreprise de 41,7 heures – un revenu annuel de 59’196 francs pour un taux d’occupation de 100%, de 20’884.35 francs pour un taux d’occupation de 40% et de 31’327.52 francs pour un taux d’occupation de 60%. En comparaison avec le revenu sans invalidité, il en résulte à partir du 01.05.2018 une perte de gain de 47’377.34 francs, soit un taux d’invalidité de 69,4%, et à partir du 01.08. 2018 une perte de gain de 36’931.69 francs, soit un taux d’invalidité arrondi à 54%, ce qui sert de base aux prestations de rente demandées.

Dans une autre requête, l’assuré indique ensuite que les nouveaux tableaux KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » figurant en annexe de la contribution de la RSAS « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn » confirment les conclusions scientifiques des expertises présentées lors du symposium Weissenstein et donc l’effet discriminatoire de la pratique actuelle.

 

Détermination du revenu d’invalide

Consid. 6
Dans son argumentation, l’assuré – en s’appuyant sur les résultats d’analyse des expertises commandées par Coop Protection Juridique SA présentés lors du symposium Weissenstein du 05.02.2021 ainsi que, en complément, sur les nouveaux tableaux KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » mentionnés – fait valoir en premier lieu et pour l’essentiel que la jurisprudence actuelle relative à la détermination du revenu d’invalide viole le droit et est discriminatoire. Il reste à examiner ci-après s’il y a lieu de modifier cette jurisprudence.

Pour une meilleure compréhension, nous présentons tout d’abord les bases juridiques déterminantes dans le cas présent pour la détermination du degré d’invalidité ainsi que la jurisprudence actuelle relative à la détermination du revenu d’invalide :

Consid. 6.1
Conformément à l’art. 16 LPGA, pour déterminer le degré d’invalidité, on met en relation le revenu de l’activité lucrative que l’assuré aurait pu obtenir, après la survenance de l’invalidité et après avoir suivi le traitement médical et d’éventuelles mesures de réadaptation, en exerçant une activité pouvant raisonnablement être exigée de lui sur le marché équilibré du travail (revenu d’invalide) avec le revenu de l’activité lucrative qu’il aurait pu obtenir s’il n’était pas devenu invalide (revenu sans invalidité).

Consid. 6.2
Conformément à la jurisprudence actuelle, la détermination du revenu d’invalide contestée en l’espèce doit se fonder en premier lieu sur la situation professionnelle et lucrative dans laquelle se trouve concrètement la personne assurée. Si, après la survenance de l’invalidité, elle exerce une activité lucrative dans le cadre de laquelle – de manière cumulative – les rapports de travail particulièrement stables et que l’on peut supposer qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible, et si, en outre, le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, le salaire effectivement réalisé est en principe considéré comme le revenu d’invalide.

En l’absence d’un tel revenu, notamment parce que la personne assurée n’a pas repris d’activité lucrative après la survenance de l’atteinte à la santé ou, en tout cas, n’a pas repris d’activité lucrative raisonnablement exigible de sa part, il est possible, selon la jurisprudence, de se référer aux salaires figurant dans les tables de l’ESS (ATF 143 V 295 consid. 2.2 ; 135 V 297 consid. 5.2). En règle générale, c’est la ligne Total qui est appliquée (consid. 5.1 de l’arrêt 9C_237/2007 du 24 août 2007, non publié dans l’ATF 133 V 545 ; arrêt 9C_206/2021 du 10 juin 2021 consid. 4.4.2). Selon la pratique, la comparaison des revenus effectuée sur la base de l’ESS doit ensuite se baser sur le groupe de tableaux A (salaires bruts standardisés) (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa), en se référant habituellement au tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé (ATF 126 V 75 consid. 7a ; arrêts 8C_124/2021 du 2 août 2021 consid. 4.4.1 et 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1).

Ce principe n’est toutefois pas absolu et connaît des exceptions. Conformément à la jurisprudence, il peut tout à fait se justifier de se baser sur le tableau TA7, resp. T17 (à partir de 2012), si cela permet de déterminer plus précisément le revenu d’invalide et si le secteur public est également ouvert à la personne assurée (cf. arrêts 8C_124/2021 du 2 août 2021 consid. 4.4.1 et 8C_111/2021 du 30 avril 2021 consid. 4.2.1 et les références).

Lors de l’utilisation des salaires bruts standardisés, il convient, selon la jurisprudence, de partir à chaque fois de la valeur dite centrale (médiane) (ATF 126 V 75 consid. 3b/bb ; arrêt 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1).

Consid. 6.3
Si le revenu d’invalide est déterminé sur la base de données statistiques sur les salaires, comme notamment l’ESS, la valeur de départ ainsi relevée doit, selon la jurisprudence actuelle, être éventuellement réduite. Il s’agit ainsi de tenir compte du fait que des caractéristiques personnelles et professionnelles telles que le type et l’ampleur du handicap, l’âge, les années de service, la nationalité ou la catégorie de séjour et le taux d’occupation peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire (ATF 142 V 178 consid. 1.3 ; 124 V 321 consid. 3b/aa) et que, selon les circonstances, la personne assurée ne peut exploiter la capacité de travail restante qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne, même sur un marché du travail équilibré (ATF 135 V 297 consid. 5.2 ; 126 V 75 consid. 5b/aa i.f.). L’abattement ne doit toutefois pas être automatique. Il doit être estimé globalement, en tenant compte des circonstances du cas d’espèce, dans les limites du pouvoir d’appréciation, et ne doit pas dépasser 25% (ATF 135 V 297 consid. 5.2 ; 134 V 322 consid. 5.2 ; 126 V 75 consid. 5b/bb-cc). La jurisprudence actuelle accorde notamment un abattement sur le revenu d’invalide lorsqu’une personne assurée est limitée dans ses capacités, même dans le cadre d’une activité non qualifiée physiquement légère. D’éventuelles limitations liées à la santé déjà comprises dans l’évaluation médicale de la capacité de travail ne doivent pas être prises en compte une seconde fois dans l’appréciation de l’abattement, conduisant sinon à une double prise en compte du même facteur (sur l’ensemble : ATF 146 V 16 consid. 4.1 s. et les références).

Consid. 6.4
Enfin, la jurisprudence actuelle tient également compte, lors de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA, du fait qu’une personne assurée percevait un revenu nettement inférieur à la moyenne dans l’activité qu’elle exerçait lorsqu’elle était en bonne santé, et ce pour des raisons étrangères à l’invalidité (p. ex. faible niveau de formation scolaire, absence de formation professionnelle, connaissances insuffisantes de l’allemand, possibilités d’embauche limitées en raison du statut de saisonnier), pour autant qu’il n’existe aucun indice permettant de penser qu’elle ne désirait pas s’en contenter délibérément. Cela permet de respecter le principe selon lequel les pertes de salaire dues à des facteurs étrangers à l’invalidité ne doivent pas être prises en compte, ou alors d’égale manière pour les deux revenus à comparer (ATF 141 V 1 consid. 5.4 et les références). En pratique, le parallélisme peut être effectué soit au regard du revenu sans invalidité en augmentant de manière appropriée le revenu effectivement réalisé ou en se référant aux données statistiques, soit au regard du revenu d’invalide en réduisant de manière appropriée la valeur statistique (ATF 134 V 322 consid. 4.1 et les références). Selon la jurisprudence actuelle, il ne faut toutefois intervenir que si le revenu sans invalidité est inférieur de plus de 5% par rapport au revenu médian usuel dans la branche, le parallélisme ne devant être effectué que dans la mesure où l’écart en pour cent dépasse la valeur limite de pertinence de 5% (cf. ATF 135 V 297 consid. 6.1 et les références).

Consid. 6.5
L’application correcte de l’ESS, notamment le choix du tableau ainsi que le recours au niveau déterminant (niveau de compétence ou d’exigence), est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement. En revanche, l’existence de conditions concrètement nécessaires, telles qu’une formation spécifique et d’autres qualifications, déterminante pour le choix d’un tableau donné de l’ESS, relève de l’établissement des faits. De même, l’utilisation des chiffres du tableau déterminant de l’ESS sur la base de ces éléments est une question de faits (ATF 143 V 295 consid. 2.4 et les références).

Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique, qu’il soit justifié par les limitations fonctionnelles ou par un autre motif, est une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement. En revanche, l’étendue de l’abattement (indiqué dans le cas concret) est une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2 et les références).

Consid. 6.6
Après avoir exposé les bases juridiques applicables au cas d’espèce, il convient de souligner qu’en raison du système de rentes linéaire – introduit par la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 01.01.2022 –, la détermination du degré d’invalidité au pourcentage près a désormais une grande importances, contrairement au système de l’échelonnement des rentes prévus jusqu’ici par l’art. 28 al. 2 LAI. L’art. 28a al. 1 LAI délègue désormais au Conseil fédéral la compétence de définir par voie d’ordonnance les règles et les critères de détermination du revenu avec et sans invalidité (p. ex. quand il faut se baser sur les valeurs réelles et quand il faut se baser sur les salaires statistiques ou quelle table doit être appliquée), qui reposaient jusqu’à présent en grande partie sur la jurisprudence. De même, le Conseil fédéral procède aux corrections découlant de la jurisprudence pour ces revenus (p. ex. critères à prendre en compte pour une déduction en raison du handicap et montant de la déduction correspondante). Il s’agit notamment de limiter la marge d’interprétation des offices AI et des tribunaux cantonaux, de garantir une unité de doctrine dans toute la Suisse et d’éviter autant que possible les litiges portés devant les tribunaux à propos de l’évaluation de l’invalidité (cf. message concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [Développement continu de l’AI] du 15 février 2017, FF 2017 2363, en particulier 2493 et 2549 [en allemand : FF 2017 2535, en particulier 2668 et 2725]).

 

Examen de l’opportunité du changement de jurisprudence

Consid. 7
Un changement de jurisprudence doit reposer sur des motifs sérieux et objectifs, lesquels, sous l’angle de la sécurité du droit, doivent être d’autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne. Un changement ne se justifie que lorsque la solution nouvelle procède d’une meilleure compréhension du but de la loi, repose sur des circonstances de fait modifiées, ou répond à l’évolution des conceptions juridiques (ATF 147 V 342 consid. 5.5.1 ; 146 I 105 consid. 5.2.2 ; 145 V 50 consid. 4.3.1 ; 141 II 297 consid. 5.5.1 ; 140 V 538 consid. 4.5 et les références).

Consid. 8.1
En ce qui concerne les motifs d’un changement de jurisprudence, le recours s’appuie pour l’essentiel sur l’expertise statistique « Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung » du bureau BASS du 8 janvier 2021 (auteurs : Jürg Guggisberg, Markus Schärrer, Céline Gerber et Severin Bischof ; ci-après: expertise BASS) ainsi que sur l’avis de droit « Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung » du 22 janvier 2021 (ci-après : avis de droit) et ses conclusions « Fakten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen. Schlussfolgerungen aus dem Rechtsgutachten ‘Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung’  » du 27 janvier 2021 (ci-après : conclusions de l’avis de droit), tous deux rédigés par Prof. Dr. iur. Gächter, Dr. iur. Egli, Dr. iur. Meier et Dr. iur. Filippo. Ces derniers résultats de recherche – selon l’assuré – démontrent que l’application de la valeur médiane de l’ESS rend impossible un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité et que la pratique des tribunaux place systématiquement les personnes handicapées dans une situation moins favorable et qu’elle est donc discriminatoire.

Consid. 8.1.1
Ainsi, il ressort de l’expertise BASS du 8 janvier 2021 que les personnes souffrant de problèmes durables à la santé perçoivent des salaires significativement plus bas que les personnes en bonne santé. Les salaires médians des tableaux de l’ESS reflètent largement les salaires des personnes en bonne santé. Le salaire médian des tableaux comme référence pour le revenu des invalides est fictif dans la mesure où il n’est effectivement atteint que par une minorité des personnes concernées. Enfin, des facteurs importants liés au salaire qui ne sont pas pris en compte pourraient réduire massivement les chances de certaines personnes concernées d’atteindre un salaire médian. La seule prise en compte du niveau de compétence ne suffit pas à déterminer le niveau de salaire.

Consid. 8.1.2
Les experts ayant participé à l’avis de droit du 22 janvier 2021 et aux conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 s’accordent ensuite sur dix thèses selon lesquelles la pratique judiciaire actuelle empêche un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité (rentes et mesures de réadaptation) :

« 1. La notion de « marché du travail équilibré » a été insidieusement renforcée par la pratique administrative et judiciaire pour devenir une considération largement fictive, qui ne tient plus compte des changements durables de la situation réelle du marché du travail au détriment des assurés.

  1. La question de savoir si la capacité de travail attestée par le médecin peut être utilisée sur le marché du travail (équilibré) ne peut être qu’affirmative ou négative. Les circonstances concrètes du cas d’espèce ne peuvent être prises en compte que dans le cadre d’une réglementation efficace des cas de rigueur, ce qui n’est jusqu’à présent pas suffisamment appliqué dans la pratique administrative et judiciaire.
  2. L’évaluation de la capacité de travail à partir de l’âge de 60 ans ou pour des profils de travail qui n’existent que si l’employeur fait preuve de complaisance sociale (« emplois de niche ») est éloignée de la réalité et n’est pas acceptable pour les assurés.
  3. Si l’on recourt à des données statistiques sur les salaires (ESS) pour déterminer le revenu d’invalide, ces valeurs moyennes et médianes doivent être adaptées au cas particulier. Dans la pratique administrative et judiciaire actuelle, il existe à cet effet plus d’une douzaine de caractéristiques dont il est régulièrement tenu compte par une déduction de 5 à 25% du salaire indiqué dans le tableau. La suppression (presque) totale de l’abattement sur le salaire statistique, prévue par la révision de l’AI (Développement continu de l’AI), entraînerait par conséquent un durcissement massif de la pratique en matière de rentes.
  4. La pratique administrative et judiciaire relative à l’abattement sur le salaire statistique est tentaculaire et incohérente, ce qui rend très difficile une application juridiquement équitable et sûre des caractéristiques pertinentes pour la déduction.
  5. L’exercice du pouvoir d’appréciation en matière d’abattement se heurte à des limites en raison des dispositions juridiques très vagues et n’est en outre soumis qu’à un contrôle judiciaire limité.
  6. Les données salariales de l’ESS utilisées englobent donc également un grand nombre de profils de postes inadaptés, qui ont tendance à être rémunérés plus fortement en raison de la pénibilité physique du travail, ce qui conduit à un revenu hypothétique d’invalide surestimé et donc à un degré d’AI plus faible.
  7. Les données salariales de l’ESS reposent sur les revenus de personnes en bonne santé. Or, il est possible de démontrer statistiquement que les personnes atteintes dans leur santé gagnent entre 10 et 15% de moins que les personnes en bonne santé exerçant la même activité.
  8. Le droit à des mesures professionnelles de l’AI – en premier lieu le reclassement – dépend de la perte de gain à laquelle on peut s’attendre, raison pour laquelle des salaires statistiques de l’ESS trop élevés (cf. thèses 7 et 8) se révèlent également être un obstacle au mandat de réadaptation de l’assurance-invalidité.
  9. Selon le Tribunal fédéral, l’utilisation des tables ESS existantes ne devrait être qu’une solution transitoire en raison de divers défauts. Dans le cadre du Développement continu de l’AI, ces défauts risquent d’être cimentés et renforcés à long terme, risquant de réduire encore davantage l’évaluation de l’invalidité à une fiction. »

Consid. 8.1.3
Comme solution pour un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité, les experts proposent, dans un premier temps, de se baser immédiatement sur le quartile le plus bas (salaire Q1). La deuxième étape consiste à élaborer des barèmes sur la base de profils d’exigence ou d’activités appropriées et à fixer temporairement des abattements clairs et réalistes applicables immédiatement. Dans un troisième temps, il conviendrait d’exploiter les potentiels de l’ESS (différenciations par branche économique, région, formation, âge, etc.) et d’autoriser immédiatement – c’est-à-dire dans le cadre du Développement continu de l’AI – des abattements temporaires dans les tableaux pour les facteurs susceptibles de réduire le salaire en cas de changement de poste pour des raisons de santé.

 

Consid. 8.2
L’assuré fait en outre remarquer que la Prof. em. Riemer-Kafka et al. sont parvenus à la même conclusion dans une contribution (Invalideneinkommen Tabellenlöhne, in: Jusletter vom 22. März 2021). Dans cette contribution, les auteurs sont également partis du principe que les valeurs médianes de l’ESS pour les personnes atteintes dans leur santé se situaient en dehors de la réalité et que les tables de l’ESS se concentraient sur les personnes en pleine possession de leurs moyens. Il serait nécessaire d’affiner les tables de l’ESS et d’appliquer de manière plus différenciée les abattements liés à l’état de santé aux circonstances réelles, dans le but d’obtenir une égalité de traitement lors de l’évaluation du degré d’invalidité. La pratique actuelle du Tribunal fédéral s’éloigne de cette réalité et conduit à une inégalité de traitement. Le niveau de compétences 1 comprend de nombreuses activités physiques généralement pénibles qui ne peuvent habituellement plus être exigées des assurés concernés. Les personnes atteintes dans leur santé ne sont en outre pas géographiquement mobiles, raison pour laquelle la référence à l’ESS pour l’ensemble de la Suisse sans différenciation régionale du salaire n’est pas appropriée pour ces personnes. Une possibilité d’évaluation différenciée du degré d’invalidité serait de prendre en compte les valeurs quartiles de l’ESS. Une autre solution consisterait à appliquer des barèmes en fonction de la profession ou de la formation, ou encore des barèmes conformes à l’invalidité.

 

Consid. 8.3
Enfin, dans son mémoire complémentaire du 15.11.2021, l’assuré renvoie à l’article « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn ». Il fait notamment valoir que les nouvelles tables KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » mentionnées dans l’annexe relative à l’ESS TA1_tirage_skill_level corroborent les conclusions scientifiques des expertises présentées lors du symposium Weissenstein et donc l’effet discriminatoire de la pratique actuelle. Ainsi, dans le tableau TA1, après élimination des facteurs de distorsion et des activités physiquement pénibles, on constate des salaires médians plus bas, en particulier pour les hommes. La différence de salaire ainsi calculée entre le KN 1 et le KN1 « light-moderate » est d’environ 5 %, et même de 16 % par rapport au KN1 « light ».

 

Consid. 9.1
La détermination du degré d’invalidité est réglée par l’art. 16 LPGA et donc, dans les grandes lignes, par la loi. Sur la base de cette disposition (en relation avec l’art. 7 al. 1 LPGA), le point de référence pour l’évaluation de l’invalidité dans le domaine de l’activité lucrative est le marché du travail supposé équilibré (ATF 147 V 124 consid. 6.2), contrairement au marché du travail effectif. Le fait de se référer au marché du travail équilibré selon l’art. 16 LPGA sert également à délimiter le domaine des prestations de l’assurance-invalidité de celui de l’assurance-chômage (ATF 141 V 351 consid. 5.2). Le marché du travail équilibré est une notion théorique et abstraite. Elle ne tient pas compte de la situation concrète du marché du travail, englobe également, en période de difficultés économiques, des offres d’emploi effectivement inexistantes et fait abstraction de l’absence ou de la diminution des chances des personnes atteintes dans leur santé de trouver effectivement un emploi convenable et acceptable. Il englobe d’une part un certain équilibre entre l’offre et la demande d’emploi ; d’autre part, il désigne un marché du travail qui, de par sa structure, laisse ouvert un éventail de postes différents (ATF 134 V 64 consid. 4.2.1 avec référence ; 110 V 273 consid. 4b ; cf. arrêt 8C_131/2019 du 26 juin 2019 consid. 4.2.2). Le marché du travail équilibré comprend également les emplois dits de niche, c’est-à-dire les offres d’emploi et de travail pour lesquelles les personnes handicapées peuvent compter sur une certaine obligeance de la part de l’employeur. On ne peut toutefois pas parler d’opportunité de travail lorsque l’activité raisonnablement exigible n’est possible que sous une forme si limitée qu’elle est pratiquement inconnue sur le marché équilibré du travail ou qu’elle n’est possible qu’avec la complaisance irréaliste d’un employeur moyen et que la recherche d’un emploi correspondant semble donc d’emblée exclue (SVR 2021 IV n° 26 p. 80, 8C_416/2020 E. 4 ; cf. Christoph Frey/Nathalie Lang, in : Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, N. 72 ad art. 16 LPGA).

Avec le concept d’un marché du travail équilibré, le législateur part donc du principe que même les personnes atteintes dans leur santé ont accès à un emploi correspondant à leurs capacités (restantes). Même si l’éventail des offres d’emploi et de travail s’est modifié au cours des dernières décennies, notamment en raison de la désindustrialisation et des mutations structurelles, il n’est pas permis de s’écarter du concept de marché du travail équilibré prescrit par la loi en se référant à des possibilités d’emploi ou à des conditions concrètes du marché du travail. Dans cette mesure, la critique des experts mentionnée au considérant 8.1.2 (thèse 1), selon laquelle la notion de marché du travail équilibré a été insidieusement renforcée par la pratique administrative et judiciaire pour devenir une considération largement fictive, ne peut pas constituer un motif de modification de la jurisprudence.

 

Consid. 9.2
Jusqu’à présent, la détermination des revenus de l’activité lucrative sur lesquels se fonde la comparaison des revenus prévue à l’art. 16 LPGA (revenus sans invalidité et d’invalide) n’était pas réglée par la loi. La jurisprudence exposée aux considérants 6.2 à 6.5 s’est formée et développée au fil des ans.

Consid. 9.2.1
Conformément à la jurisprudence actuelle, on se base en premier lieu sur la situation professionnelle concrète, en ce sens que la détermination du revenu sans invalidité se fonde sur le gain réalisé dans l’activité exercée jusqu’alors et que celle du revenu d’invalide se base sur la situation professionnelle et lucrative dans laquelle se trouve la personne assurée après la survenance de l’invalidité.

S’il n’est pas possible de déterminer le revenu sans invalidité et/ou d’invalide selon les circonstances du cas d’espèce, on se base subsidiairement sur les statistiques salariales, en règle générale sur les salaires des tables de l’ESS. Dans ce sens, l’utilisation des ESS dans le cadre de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA est, selon une jurisprudence constante, l’ultima ratio (cf. ATF 142 V 178 consid. 2.5.7 et les références) et n’est en principe pas contestée. Les ESS reposent sur une enquête menée tous les deux ans auprès des entreprises en Suisse ; elles s’appuient donc sur des données complètes et concrètes du marché effectif du travail et reflètent l’ensemble des salaires en Suisse.

Lorsque le Tribunal fédéral utilise les salaires bruts standardisés de l’ESS, il se base sur la valeur dite centrale (médiane), ce qui signifie qu’une moitié des salariés gagne moins et l’autre moitié gagne plus. En règle générale, le salaire médian est inférieur à la moyenne arithmétique (« salaire moyen ») dans la répartition des salaires (revenus) et, en comparaison, il est relativement peu sensible [statistiquement parlant] à la prise en compte de valeurs extrêmes (salaires très bas ou très élevés) (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa et la référence ; arrêt 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1). Ce revenu médian peut donc en principe servir de valeur de référence pour déterminer le revenu d’invalide sur un marché du travail équilibré, en partant du principe que les personnes atteintes dans leur santé ont également accès à un emploi correspondant à leurs capacités (restantes).

Consid. 9.2.2
Afin de tenir compte du fait qu’une personne atteinte dans sa santé ne peut, dans certaines circonstances, mettre à profit sa capacité de travail résiduelle qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne, même sur un marché du travail équilibré, la jurisprudence actuelle accorde, lors de la détermination du revenu d’invalide basé sur les données statistiques, la possibilité d’un abattement allant jusqu’à 25%. Cette déduction permet de tenir compte des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier qui justifient une réduction du salaire médian.

L’abattement revêt une importance primordiale en tant qu’instrument de correction lors de la fixation d’un revenu d’invalide aussi concret que possible – ce que reconnaissent également les experts dans l’avis de droit du 22 janvier 2021 (p. 181, n. 687) et dans les conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 (p. 33, n. 93). Le Tribunal fédéral est et a toujours été conscient du fait que l’ESS recense des revenus effectivement réalisés par des personnes le plus souvent non handicapées (ATF 139 V 592 consid. 7.4).

L’expertise BASS n’apporte donc rien de nouveau en ce qui concerne la constatation que l’ESS contient principalement des revenus de personnes en bonne santé. Il met toutefois en évidence les dimensions quantitatives de l’écart des salaires des personnes atteintes dans leur santé et favorise la prise en compte du quartile inférieur Q1 plutôt que de la valeur centrale ou médiane. Jusqu’à présent, le Tribunal fédéral a explicitement refusé – en se référant à la possibilité d’un abattement en raison du handicap – de se baser sur le quartile inférieur Q1 de la valeur statistique au lieu du salaire médian ESS tant pour compenser les pertes liées au handicap que pour tenir compte des différences salariales régionales (arrêt 8C_190/2019 du 12 février 2020 consid. 4.1 et les références).

Outre l’abattement sur le salaire statistique, le parallélisme, en tant qu’autre instrument de correction, poursuit également le but de tenir compte du cas particulier lors de la comparaison des revenus par rapport à une considération standardisée. Dans la mesure où l’assuré fait valoir, en se référant à la critique des experts mentionnée au consid. 8.1.2 ci-dessus (thèses 5 et 6), que la pratique des tribunaux, notamment en matière d’abattement, est excessive et incohérente, il convient d’objecter que le taux de l’abattement indiqué dans le cas concret constitue une question d’appréciation et ne peut être corrigé en dernière instance qu’en cas d’excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou en abusant de celui-ci (cf. consid. 6.5 ci-dessus).

Dans la mesure où la jurisprudence du Tribunal fédéral ne permet pas de déduire quelle déduction est appropriée pour quelles caractéristiques dans un cas concret, elle démontre simplement – mais toujours – si une certaine déduction constitue ou non une erreur de droit dans l’exercice du pouvoir d’appréciation.

Consid. 9.2.3
En résumé, pour déterminer le degré d’invalidité de la manière la plus réaliste possible au moyen d’une comparaison des revenus au sens de l’art. 16 LPGA, la jurisprudence actuelle s’oriente subsidiairement, en l’absence de données salariales concrètes, sur les valeurs centrales ou médianes de l’ESS, qui reflètent un marché du travail équilibré. Les possibilités de déduction sur le salaire statistique et de parallélisation constituent des instruments de correction pour une prise en compte adaptée au cas individuel par rapport à une prise en compte standardisée.

La question de savoir dans quelle mesure la détermination du revenu d’invalide sur la base des valeurs médianes de l’ESS, éventuellement corrigées par un abattement lié au handicap et/ou une parallélisation, serait discriminatoire, n’a pas été soulevée de manière étayée dans le recours et n’apparaît pas clairement au regard des arguments avancés par l’assuré. Il ne ressort pas non plus de l’expertise BASS du 8 janvier 2021, ni de l’expertise juridique du 22 janvier 2021, ni des conclusions de l’expertise juridique du 27 janvier 2021, que le fait de partir de la valeur médiane, éventuellement corrigée par un abattement lié au handicap et/ou une parallélisation, serait discriminatoire. Au contraire, les experts dans l’avis de droit et dans les conclusions de l’avis de droit soulignent eux-mêmes l’importance primordiale de l’abattement en tant qu’instrument de correction pour la fixation d’un revenu d’invalide aussi correct que possible. A cet égard, il convient de relever que, d’une part, le salaire médian est en partie atteint par des personnes atteintes dans leur santé et que, d’autre part, les instruments de correction actuels, notamment la possibilité de réduire jusqu’à 25% la valeur médiane, permettent de déterminer un revenu d’invalide inférieur au quartile inférieur Q1.

Il n’y a donc pas de motifs sérieux et objectifs pour modifier la jurisprudence relative au revenu d’invalide déterminé sur la base de données statistiques. On ne peut notamment pas partir du principe que le fait de se baser sur le quartile inférieur Q1 au lieu de la valeur médiane correspond à une meilleure compréhension du but de la loi, à une modification des circonstances de fait ou à l’évolution des conceptions juridiques, comme cela serait nécessaire pour un changement de jurisprudence.

Ce constat est illustré par l’assurance-accidents, dans laquelle le degré d’invalidité est également déterminé selon l’art. 16 LPGA. Le Tribunal fédéral part du principe de l’uniformité de la notion d’invalidité (ATF 133 V 549 consid. 6.1 ; cf. Christoph Frey/Nathalie Lang, op. cit., n. 2, 5 et 79 concernant l’art. 16 LPGA). Se baser sur le quartile inférieur Q1 plutôt que sur la valeur médiane pour déterminer le revenu d’invalide d’un assuré victime d’un accident qui ne peut plus exercer son activité habituelle aurait pour conséquence l’attribution fréquente d’une rente d’invalidité de l’assurance-accidents – étant donné qu’un degré d’invalidité de 10% est déjà déterminant pour l’octroi d’une rente (art. 18 al. 1 LAA). Dans ce contexte, on est surpris que l’OFSP ait renoncé à prendre position sur le recours [Vernehmlassung], faute d’être concerné.

 

Consid. 9.2.4
Enfin, même si les nouveaux tableaux KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » relatifs à l’ESS TA1_tirage_skill_level, mentionnés dans l’annexe de la revue RSAS précitée, n’étaient pas qualifiés de véritables nova (cf. consid. 2.2 et 2.3 ci-dessus), ils ne constituent pas non plus un motif sérieux et objectif pour modifier la jurisprudence relative au revenu d’invalide déterminé sur la base de données statistiques. On peut se référer dans une large mesure au considérant précédent. Dans son mémoire complémentaire, l’assuré ne démontre pas non plus en quoi le calcul du revenu d’invalide sur la base des valeurs médianes du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS, éventuellement corrigées par un abattement lié au handicap et/ou une parallélisation, serait discriminatoire. Se contenter de renvoyer à de nouveaux tableaux avec des valeurs médianes corrigées ne suffit pas à cet effet, d’autant plus que les écarts allégués de 5% pour le tableau KN 1 « light-moderate » et de 16 % pour le KN 1 « light » peuvent être pris en compte avec les instruments de correction actuels, notamment avec la possibilité d’une déduction de la valeur médiane pouvant atteindre 25%.

En outre, le salaire médian selon le tableau TA1_tirage_skill_level est également atteint par des personnes atteintes dans leur santé – comme mentionné ci-dessus – et n’est pas une valeur fantaisiste. Les auteurs de la contribution parlent, à propos des deux nouveaux tableaux, d’un instrument développé sur une base scientifique et interdisciplinaire qui devrait contribuer à la discussion sur le développement de salaires comparatifs plus conformes à l’invalidité, qui pourrait peut-être même convaincre les instances chargées d’appliquer le droit et qui pourrait être utilisé dans la pratique dans l’intérêt d’une plus grande justice et d’un traitement équitable (RSAS 2021 p. 295).

Dans leurs prises de position, l’OFAS et l’OFSP indiquent que le Conseil fédéral a reconnu la nécessité d’agir dans ce sens et qu’il a chargé l’OFAS, dans le cadre du Développement continu de l’AI, d’examiner s’il était possible de développer des bases de calcul spécifiquement adaptées à l’assurance-invalidité. Dans le cadre de cet examen, l’OFAS tiendra bien entendu compte de l’analyse du bureau BASS, de l’avis de droit du Prof. Dr. iur. Gächter et al. ainsi que de l’étude de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler. Selon l’OFAS, il convient de noter que les corrections proposées, notamment pour la dernière étude mentionnée, se concentrent sur les personnes assurées souffrant de troubles physiques. L’accent des nouvelles bases de calcul pour les salaires statistiques est donc mis sur l’élimination des activités qui représentent une (lourde) charge physique. Il convient toutefois de noter que, dans l’assurance-invalidité, près de la moitié des bénéficiaires de rentes souffrent de troubles psychiques à l’origine de leur incapacité de gain et que les travaux physiques pénibles demeurent en soi exigibles pour ces assurés. Selon l’OFAS, il conviendra donc d’examiner entre autres comment la solution proposée se répercutera sur l’ensemble des assurés, également sous l’angle de l’égalité de traitement, si elle est compatible avec le concept d’un marché du travail équilibré, comment elle devrait être coordonnée avec les instruments de correction actuels et, enfin, si et comment elle s’intègre dans la structure de l’évaluation de l’invalidité selon le Développement continu de l’AI. Pour ce faire, il faudrait analyser et développer d’éventuels nouveaux tableaux en tenant compte du cadre légal, des conséquences financières et des répercussions sur les autres assurances sociales.

En l’état actuel des choses, on ne peut donc pas partir du principe que le fait de se baser sur les valeurs médianes corrigées des nouveaux tableaux au lieu de la valeur médiane actuelle du tableau TA1_tirage_skill_level correspond à une meilleure compréhension du but de la loi, à une modification des circonstances de fait ou à l’évolution des conceptions juridiques.

Consid. 9.2.5
En résumé, à l’aune de ce qui précède, les conditions d’une modification de la jurisprudence ne sont pas remplies. On ne peut toutefois pas en déduire que la jurisprudence ne peut pas évoluer – notamment sous une situation juridique révisée – puisque le Tribunal fédéral a déjà constaté que des démarches étaient en cours en vue d’un setting plus précis concernant l’utilisation de l’ESS dans l’assurance-invalidité (ATF 142 V 178 consid. 2.5.8.1). Dans ce sens, l’examen de tableaux plus différenciés pour déterminer notamment le revenu d’invalide sur la base de valeurs statistiques constitue un pas dans la bonne direction. Il convient de saluer le fait que, comme le mentionne l’OFAS, les relevés et les analyses de l’expertise BASS du 8 janvier 2021, de l’avis de droit du 22 janvier 2021, des conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 ainsi que de la contribution de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler publiée dans la RSAS doivent dans ce cadre être pris en considération.

 

Consid. 9.3
Enfin, une modification de la jurisprudence n’est pas non plus opportune compte tenu de la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 01.01.2022. Même si la situation juridique concernant la détermination du revenu d’invalide des personnes atteintes dans leur santé peut ne pas être satisfaisante en tous points, il convient de constater que la critique fondamentale formulée dans l’avis de droit du 22 janvier 2021 et dans les conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 est essentiellement dirigée contre certaines parties de la révision de l’AI (Développement continu de l’AI). Les enquêtes et analyses correspondantes seront intégrées – tout comme celles contenues dans la contribution de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler – dans l’examen du développement de bases de calcul spécifiquement adaptées à l’assurance-invalidité qui doit être effectué dans le cadre du Développement continu de l’AI (cf. consid. 9.2.4 ci-dessus).

Il n’est pas possible dans le cadre de la présente procédure de se pencher plus en détail sur la révision entrée en vigueur le 01.01.2022, étant donné que le présent cas doit être tranché selon l’ancien droit. Dans la mesure où la critique porte sur la jurisprudence actuelle, il n’est pas indiqué de la modifier, notamment au vu de la durée d’application limitée par la révision entrée en vigueur entre-temps.

 

Consid. 10 [non publié aux ATF 148 V 174]
Les conditions d’un changement de jurisprudence n’étant pas remplies, il reste à examiner si l’instance cantonale a violé le droit fédéral en déterminant le revenu d’invalide de l’assuré.

Consid. 10.1 [non publié aux ATF 148 V 174]
Le fait de se référer à l’ESS n’est pas contesté. Dans la mesure où l’assuré fait valoir un revenu d’invalide en tant que travailleur non-qualifié, niveau de compétence 1, quartile inférieur Q1 selon le tableau 9 ou 10 de l’ESS, il ne soulève pas de griefs concrets à l’encontre du tableau TA1_tirage_skill_level utilisé par l’instance cantonale, mais à l’encontre de l’utilisation de la valeur médiane qui y est indiquée. Le fait de se référer au tableau TA1_tirage_skill_level, à la ligne « Total » et à la valeur centrale (médiane) correspond toutefois à la jurisprudence. Selon les considérations ci-dessus, il n’y a aucune raison de s’en écarter et de se baser sur le quartile inférieur Q1.

Consid. 10.2 [non publié aux ATF 148 V 174]
L’assuré fait valoir que l’abattement de 10% ne tient pas suffisamment compte des conséquences du handicap sur le revenu d’invalide ; en plus de la déduction, il faudrait se baser sur le quartile inférieur Q1. Il ressort du consid. 10.1 ci-dessus qu’il ne faut pas se baser sur le quartile Q1. L’étendue de l’abattement (indiqué dans le cas concret) est une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (cf. consid. 6.5 ci-dessus).

Le tribunal cantonal a confirmé l’abattement de 10% retenu par l’office AI en raison des limitations fonctionnelles. Il a expliqué que la limitation du port de charges avec la main droite dominante, l’interdiction de monter sur des échelles et des échafaudages ainsi que d’utiliser des machines dangereuses, la recommandation d’éviter les contacts sociaux continus et le fait que le port de charges très légères devait être alterné avaient déjà été pris en compte lors de la description de l’activité encore exigible et n’imposaient pas de limitations supplémentaires dans le cadre d’une activité adaptée.

Sa structure simple et son QI de 61 ont été pris en compte dans l’évaluation neuropsychologique et ont conduit, dans l’évaluation globale de l’incapacité de travail, à une prise en compte partiellement cumulative des différentes limitations dans les différentes disciplines médicales, raison pour laquelle une prise en compte supplémentaire est également exclue ici.

La présence maximale de cinq à huit heures ne change en rien le rendement de 40 ou 60% pour un taux d’occupation de 100%, raison pour laquelle l’office AI n’a, à juste titre, pas tenu compte d’un abattement en raison d’une activité à temps partiel.

Enfin, l’âge de l’assuré ne constitue pas un motif supplémentaire d’abattement. La situation actuelle due au Covid-19 n’est pas un motif pour s’écarter temporairement du marché du travail équilibré.

Consid. 10.3 [non publié aux ATF 148 V 174]
En résumé, les arguments avancés dans le recours ne font pas apparaître l’arrêt attaqué comme arbitraire ou contraire d’une autre manière au droit fédéral.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_256/2021 consultable ici

ATF 148 V 174 consultable ici 

 

Proposition de citation : 148 V 174 – Détermination du revenu d’invalide, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/04/8c_256-2021-148-v-174)

 

 

8C_88/2020 (d) du 14.04.2020 – Revenu sans invalidité supérieur au minimum CCT mais inférieur au revenu ESS – 16 LPGA / Pas de parallélisation

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_88/2020 (d) du 14.04.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu sans invalidité supérieur au minimum CCT mais inférieur au revenu ESS / 16 LPGA

Pas de parallélisation

 

Assuré, né en 1962, monteur de matériel, est tombé en marchant le 27.07.2014 et s’est blessé à l’épaule gauche. L’assuré a été licencié le 16.03.2015.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit à une rente d’invalidité en l’absence de perte de gain indemnisable.

 

Procédure cantonale

Concernant le revenu sans invalidité, la cour cantonale a retenu que le licenciement prononcé n’avait probablement pas été motivé par des raisons économiques, mais parce que l’assuré n’avait pas pu reprendre son travail en raison de l’accident et qu’un poste adapté au sein de l’entreprise n’avait pas été proposé. Le revenu à prendre en considération était donc celui qu’il aurait gagné dans l’entreprise dans laquelle il avait travaillé pendant plus de 20 ans, soit 61 750 CHF (13 x 4750 CHF). S’agissant du revenu d’invalide, l’instance cantonale s’est référée aux salaires statistiques (ESS). Contrairement à l’assurance-accidents, qui avait procédé à un abattement de 15% sur le revenu statistique, le tribunal cantonal n’a pas considéré qu’une déduction était justifiée. Selon la cour cantonale, il n’y a aucune raison de procéder à une parallélisation des revenus à comparer. Elle a ainsi conclu que la comparaison des deux revenus n’entraînait pas de perte de gain.

Par jugement du 19.12.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Dans le jugement contesté, le tribunal cantonal a déclaré que les circonstances étaient telles qu’il fallait partir du principe que l’assuré avait accepté volontairement le salaire perçu et que les conditions d’une augmentation de salaire n’étaient pas remplies. Ses revenus correspondaient alors aux conditions de la CCT dans l’industrie mécanique, électrique et métallurgique (MEM-Industrie) 2013-2018, selon lesquelles le salaire mensuel dans le canton de Berne était de 3600 CHF.

Compte tenu de cette situation de départ, le tribunal cantonal a estimé à juste titre qu’un revenu sans invalidité correspondant au salaire minimum prévu par la CCT ne pouvait pas être qualifié d’inférieur à la moyenne selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, même s’il était nettement inférieur au niveau de salaire ESS (cf. SVR 2018 UV Nr. 33 S. 115, 8C_759/2017 consid. 3.2.2 et les références). À cet égard, il n’est pas contraire au droit fédéral de se référer à une CCT régionale (cf. arrêt 8C_662/2019 du 26 février 2020 consid. 3.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_88/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_88/2020 (d) du 14.04.2020 – Revenu sans invalidité supérieur au minimum CCT mais inférieur au revenu ESS, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/06/8c_88-2020)

 

9C_17/2020 (d) du 30.03.2020 – Parallélisation des revenus à comparer pour un indépendant – 16 LPGA / Examen de l’ensemble de la biographie professionnelle

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_17/2020 (d) du 30.03.2020

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Consultable ici

 

Parallélisation des revenus à comparer pour un indépendant / 16 LPGA

Examen de l’ensemble de la biographie professionnelle

 

Assuré, né en 1964, a travaillé pour la dernière fois comme gérant d’un café-bar (statut d’indépendant). Après avoir bénéficié d’une rente entière d’invalidité du 01.10.2008 au 31.03.2009 en raison d’une lésion traumatique au genou, il a déposé une nouvelle demande AI en décembre 2014, invoquant une maladie diagnostiquée au printemps 2014. L’office AI a clarifié le statut de l’emploi et a réalisé une expertise pluridisciplinaire. Octroi d’une rente entière du 01.06.2015 au 31.03.2017. Dès le 01.04.2017, l’administration a refusé le droit à une rente (degré d’invalidité : 34 %).

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale s’est référée (implicitement) à l’évaluation des experts psychiatres, selon laquelle il était évident que l’assuré avait souffert, au début de sa vie adulte, d’un trouble de la personnalité ; il avait développé un manque d’orientation et une attitude négative envers ses parents et la société, ce qui s’était traduit par une consommation précoce d’alcool et de drogues, des comportements délinquants graves répétés ainsi qu’une peine de deux ans de prison. Dans ce contexte, le tribunal cantonal a estimé que, compte tenu de la biographie de l’assuré, on ne pouvait pas dire que celui-ci s’était contenté volontairement d’un revenu modeste. Les juges cantonaux ont ainsi procédé à une parallélisation des revenus à comparer.

Par jugement du 22.10.2019, admission du recours par le tribunal cantonal et octroi d’un quart de rente d’invalidité dès le 01.04.2017.

 

TF

L’assuré a probablement obtenu le revenu le plus élevé de sa carrière en travaillant pour le National Zeitung. Toutefois, le recours ne permet pas de déterminer dans quelle mesure il ne s’agit pas d’un événement exceptionnel, d’autant plus que même les revenus annuels qui y ont été réalisés étaient inférieurs à la moyenne (pour 1994 : revenus inscrit au compte individuel : 53 132 francs ; moyenne statistique, adaptée à la durée hebdomadaire habituelle de travail de l’entreprise : 61 264 francs) [ESS 1994, TA 1.1.1, niveau d’exigence 4, hommes, papier et papeterie : Fr. 4909.- x 12 = Fr. 58’908.- x 41,6 /40]). L’évolution des salaires documentée depuis la fin de l’apprentissage de coiffeur de deux ans en 1983 n’est pas du tout constante. En fait, l’extrait du compte individuel ne montre pratiquement que des revenus nettement inférieurs à ceux obtenu au National Zeitung. Cela vaut surtout pour la période suivant immédiatement l’achèvement de la formation professionnelle (1984 : Fr. 342 ; 1985 : Fr. 3236 ; 1986 : Fr. 3000 ; 1987 : Fr. 3000 et Fr. 544), mais aussi en ce qui concerne les dernières inscriptions enregistrées avant que l’assuré ne prenne un emploi de serveur et de gérant adjoint dans le café-bar repris par la suite (2002 : Fr. 7623 ; 2003 : Fr. 8307).

En outre, l’emploi au National Zeitung a pris fin en 1997, soit environ dix-sept ans avant que l’incapacité de travail en question ne survienne au printemps 2014, et rien n’indique que l’assuré aurait renoncé à cette activité parce qu’il se contentait volontairement d’un revenu inférieur. On ne peut pas non plus dire, en ce qui concerne l’ensemble de la biographie professionnelle, qu’il aurait pu – comme le prétend l’office AI – obtenir un emploi « normalement » rémunéré dans divers domaines, alors qu’il n’avait à aucun moment pu prendre pied dans sa profession apprise de coiffeur. Enfin, la juridiction cantonale a tenu compte du fait que les facteurs intervenant dans la parallélisation des revenus ne doivent pas être repris dans le cadre de l’abattement sur le salaire statistique (ici : 15 %).

La juridiction cantonale était autorisée à procéder à une parallélisation des revenus sans enfreindre la loi.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_17/2020 consultable ici

Proposition de citation : 9C_17/2020 (d) du 30.03.2020 – Parallélisation des revenus à comparer pour un indépendant – Examen de l’ensemble de la biographie professionnelle, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/05/9c_17-2020)

 

8C_310/2018 (f) du 18.12.2018 – Calcul des jours fériés dans le revenu sans invalidité – 16 LPGA / Parallélisme des revenus à comparer – Salaire minimum selon CCT / Non-prise en compte d’indemnité forfaitaire dans le revenu sans invalidité – 5 al. 2 LAVS – 9 RAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_310/2018 (f) du 18.12.2018

 

Consultable ici

 

Calcul des jours fériés dans le revenu sans invalidité / 16 LPGA

Parallélisme des revenus à comparer – Salaire minimum selon CCT

Non-prise en compte d’indemnité forfaitaire dans le revenu sans invalidité / 5 al. 2 LAVS – 9 RAVS

 

Assuré, né en 1965, travaillant en qualité de peintre en bâtiment, a été victime d’une entorse de la cheville droite à la suite d’un accident survenu sur un chantier le 17.10.2014. Dans la déclaration de sinistre, l’employeur a précisé que le salaire de base contractuel (brut) de l’intéressé s’élevait à 26 fr. par heure, montant qui ne comprenait ni les indemnités pour vacances et jours fériés, ni d’autres suppléments éventuels (13ème salaire, gratification, etc.). Quant au taux d’occupation, il était irrégulier et s’élevait à quatre heures par semaine, ce qui correspondait à 10% d’un horaire de travail à plein temps (40 heures).

Le 06.11.2014, l’employeur a informé l’assurance-accidents que l’indemnité pour les jours fériés et le 13ème salaire s’élevait à 8,33%. Le 11.11.2014, l’assuré a informé l’assureur que le taux d’occupation et l’horaire de travail annoncés par l’employeur dans la déclaration d’accident étaient erronés. Il a joint à son envoi un décompte de salaire relatif au mois d’octobre 2014, lequel faisait état d’un revenu brut de 2’146 fr., montant qui correspondait à septante-six heures de travail à 26 fr. et dix indemnités forfaitaires à 17 fr. Quant au droit aux vacances brut, il s’élevait à 10,64% de 1’976 fr. Le 27.04.2015 l’assuré a fait parvenir à l’assureur LAA d’autres décomptes de salaire pour 2013 et 2014.

Par jugement du 19.12.2016, le Tribunal des Prud’hommes a condamné l’employeur à verser à l’assuré des arriérés de salaire pour la période du 03.10.2013 au 17.10.2014, soit un montant brut de 47’941 fr. 55 (436,80 h x 24 fr. 65 du 3 octobre au 31 décembre 2013 et 1’392,30 h x 26 fr. 70 du 1er janvier au 17 octobre 2014). S’y ajoutaient, pour la même période, le droit à cinq semaines de vacances annuelles (10,64% de 47’941 fr. 55), le droit à un treizième salaire (8,33% de 47’941 fr. 55), ainsi que des indemnités forfaitaires (234,5 jours à 17 fr.). Le tribunal a considéré que l’assuré n’était pas parvenu à prouver qu’il effectuait un travail à plein temps, son temps de travail devait être fixé à 39 heures hebdomadaires ou 7,8 heures par jour, ce qui correspondait à la durée minimale de travail qui pouvait être fixée par une entreprise au regard de la convention collective.

Par décision du 06.03.2017, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une indemnité pour atteinte à l’intégrité, ainsi qu’à une rente d’invalidité au motif que le taux d’incapacité de gain (8,4%) était insuffisant pour ouvrir droit à une telle prestation.

L’assureur LAA a déterminé le revenu sans invalidité selon la formule suivante : (26,7 + [8,33% x 26,7]) x 40 (heures) x 52 (semaines) : 12 (mois) = 5’013,51. Il a ensuite porté ce montant à 5’068 fr. 66 pour tenir compte de l’évolution nominale des salaires (1,1%). En ce qui concerne le montant du salaire horaire, l’assureur s’est référé à la classe salariale B de la Convention collective de travail du second œuvre romand 2011 (ci-après: CCT-SOR).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/178/2018 – consultable ici)

La cour cantonale a, dans un premier temps, considéré que le salaire horaire brut de 26 fr. payé par l’employeur en 2013 et en 2014, ne tenait pas compte des sommes nettes (non déclarées) que l’assuré indiquait avoir déjà reçues en parallèle et que le nombre d’heures de travail déclarées mensuellement ne correspondait pratiquement jamais à un 10%. En ce qui concerne le salaire horaire, la cour cantonale a considéré que l’assuré appartenait à la classe salariale B au plus tard à partir du 01.01.2014, ce qui correspondait, pour le canton de Genève, à un salaire horaire minimum de 26 fr. 70, montant augmenté de 30 centimes pour les travailleurs des classes CE, A, B et C à partir du 01.03.2016. La cour cantonale a tenu compte d’un salaire horaire de 27 fr., d’un treizième salaire (8,33%), d’une indemnité pour cinq semaines de vacances (10,64%), d’une indemnité pour neuf jours fériés (3,96%) et elle a fixé à 62’416 fr. le salaire annuel en 2016 selon la formule : (27 + [8,33% x 27] + [10,64% x 27] + [3,96% x 27]) x 40 (heures) x (52 – 5 [semaines]).

Dans un second temps, la cour cantonale a procédé à une parallélisation du revenu de 62’416 fr. et du salaire statistique usuel de la branche, soit 69’982 fr. Constatant que ce revenu usuel de la branche dépassait de plus 5% le salaire qu’aurait réalisé l’assuré dans son dernier emploi en 2016 (62’416 fr.), les juges cantonaux ont parallélisé les revenus à comparer à concurrence de la part qui excédait le taux minimal déterminant de 5%, ce qui donne en l’occurrence un revenu sans invalidité de 66’483 fr. 20 (69’982 fr. 30 – [5% x 69’982 fr. 30]).

Par jugement du 06.03.2018, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et reconnaissant le droit à une rente d’invalidité de 16% à partir du 01.01.2017.

 

TF

Calcul des jours fériés dans le revenu sans invalidité

Dans l’arrêt 8C_520/2016 du 14 août 2017 consid. 4.3.2, le taux de 3,58% correspondait bien à 9 jours fériés par année mais, à la différence de la présente affaire où l’assuré avait droit à 5 semaines de vacances, soit 25 jours, l’assuré bénéficiait de 7,3 semaines de vacances, soit 36,5 jours par année. Or, compte tenu de 5 semaines de vacances et sur la base de la méthode de calcul de la cour cantonale, 9 jours fériés par année correspondent bel et bien à un taux de 3,96%. Cela étant, le calcul du revenu sans invalidité doit néanmoins être rectifié afin de ne pas tenir compte deux fois des jours fériés et être porté à 60’116 fr. au lieu de 62’416 fr., selon la formule: (27 + [8,33% x 27] + [10,64% x 27] + [3,96% x 27]) x 8 (heures) x 226 jours ouvrés (52 [semaines] x 5 [jours ouvrés] – 25 [jours de vacances] – 9 [jours fériés]).

 

Parallélisme des revenus à comparer – Salaire minimum selon CCT

La jurisprudence n’exige pas que le revenu sans invalidité dépasse le minimum CN/CCT. Il suffit qu’il ne soit pas inférieur au salaire moyen tel que l’entend la jurisprudence en matière de parallélisation des revenus à comparer (cf. arrêts 8C_721/2017 du 26 septembre 2018 consid. 3.4.2; 8C_537/2016, déjà cité, consid. 5).

En l’espèce, le revenu sans invalidité de l’assuré (60’116 fr.) correspondant au salaire minimum selon la CCT-SOR, il n’y a pas lieu de paralléliser les revenus à comparer par une majoration du revenu sans invalidité. Il n’est pas décisif, au regard de la jurisprudence, que les salaires prévus dans une CCT peuvent être situés plus ou moins en-dessous des salaires moyens de la branche concernée.

 

Non-prise en compte d’indemnité forfaitaire dans le revenu sans invalidité

Le salaire déterminant comprend toute rémunération pour un travail dépendant, fourni pour un temps déterminé ou indéterminé. Il englobe les allocations de renchérissement et autres suppléments de salaire, les commissions, les gratifications, les prestations en nature, les indemnités de vacances ou pour jours fériés et autres prestations analogues, ainsi que les pourboires, s’ils représentent un élément important de la rémunération du travail (art. 5 al. 2 LAVS). Selon l’art. 9 RAVS, les frais généraux sont les dépenses résultant pour le salarié de l’exécution de ses travaux ; le dédommagement pour frais encourus n’est pas compris dans le salaire déterminant (al. 1) ; ne font pas partie des frais généraux les indemnités accordées régulièrement pour le déplacement du domicile au lieu de travail habituel et pour les repas courants pris au domicile ou au lieu de travail habituel ; ces indemnités font en principe partie du salaire déterminant (al. 2).

Selon l’art. 23 al. 1 let. a CCT-SOR, dans sa teneur au 01.01.2017, les déplacements de l’atelier aux chantiers occasionnant des frais supplémentaires pour le travailleur donnent droit à différentes indemnités. Pour le canton de Genève uniquement, l’art. 23 al. 2 CCT-SOR dispose qu’une indemnité forfaitaire par jour de travail de 17 fr. 50, respectivement 18 fr. dès le 01.01.2018, de transport professionnel, de repas pris à l’extérieur et d’outillage est due à tous les travailleurs ; elle est destinée à couvrir totalement ou partiellement les frais subis par les travailleurs.

Il ressort de l’art. 23 al. 1 let. a CCT-SOR que les indemnités prévues servent à couvrir les frais supplémentaires subis par le travailleur en raison des déplacements de l’atelier aux chantiers et des repas pris en dehors du domicile. Elles ne constituent donc pas des indemnités allouées régulièrement au salarié pour ses déplacements de son domicile au lieu de son travail habituel, ni des indemnités pour les repas courants pris au domicile ou au lieu de travail habituel. C’est pourquoi elles représentent incontestablement des indemnités pour frais encourus non comprises dans le salaire déterminant (art. 9 RAVS). Le fait que dans le canton de Genève, le remboursement de ces frais supplémentaires est réglé de manière forfaitaire à l’art. 23 al. 2 CCT-SOR ne change rien. Sur ce point, les faits de la présente affaire sont ainsi comparables à la situation jugée dans l’arrêt 8C_964/2012, quoi qu’en pense l’assuré.

Il n’y a pas lieu d’ajouter au revenu sans invalidité, déterminant pour la comparaison des revenus, l’indemnité forfaitaire allouée en vertu de l’art. 23 ch. 2 CCT-SOR.

 

En conséquence, le TF retient, au titre du revenu sans invalidité, un salaire de 60’116 fr. Le revenu d’invalide de 55’704 fr. n’étant pas contesté, on obtient un taux d’invalidité de 7%, soit un taux insuffisant pour ouvrir droit à une rente.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents et annule le jugement cantonal.

 

 

Arrêt 8C_310/2018 consultable ici