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Suspension de l’attribution de mandats de l’AI au centre d’expertises PMEDA

Suspension de l’attribution de mandats de l’AI au centre d’expertises PMEDA

 

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L’assurance-invalidité n’attribue plus d’expertise médicale à la société PMEDA. Elle suit ainsi la recommandation de la Commission fédérale d’assurance qualité des expertises médicales (COQEM), qui a relevé des insuffisances dans la forme et le fond des expertises médicales de PMEDA.

Jusqu’ici, la société PMEDA réalisait, pour le compte des offices AI, des expertises bi- ou pluridisciplinaires, c’est-à-dire des expertises impliquant deux ou plusieurs spécialités médicales. Depuis le 1er juillet 2023, elle n’a plus accepté aucun mandat et a résilié les contrats relatifs à l’activité d’expertise.

L’OFAS a chargé les offices AI de soumettre à un contrôle de qualité supplémentaire les expertises déjà réalisées par PMEDA pour lesquelles aucune décision d’octroi de prestation n’a encore été rendue. Les décisions d’octroi de prestations déjà entrées en force sont maintenues.

La COQEM n’a encore communiqué, ni ses recommandations concernant les exigences et normes de qualité à appliquer (art. 7p, al. 1, let. a, OPGA), ni aucune information sur les insuffisances qu’elle a constatées dans la forme et le fond des expertises de PMEDA. Dès que l’OFAS aura reçu ces informations, il en instruira les offices AI et les services médicaux régionaux (SMR). Si une expertise satisfait aux critères de la COQEM, l’office AI pourra rendre sa décision. Dans le cas contraire, il devra ordonner une nouvelle expertise.

Actuellement, 16 expertises bidisciplinaires et 55 expertises pluridisciplinaires – attribuées avant le 1er juillet – sont encore en cours chez PMEDA. Celles-ci devront également être soumises à un contrôle de qualité dès qu’elles seront en la possession de l’office AI.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 04.10.2023 consultable ici

Recommandation de la COQEM du 04.10.2023 disponible ici

 

8C_741/2022 (f) du 06.07.2023 – Lésions de la coiffe des rotateurs – Récusation tardive de l’expert judiciaire / 10 al. 1 PA – 36 al. 1 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_741/2022 (f) du 06.07.2023

 

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Lésions de la coiffe des rotateurs – Récusation tardive de l’expert judiciaire / 10 al. 1 PA – 36 al. 1 LPGA

Causalité naturelle / 6 LAA

 

A.__, né en 1962, travaillait depuis le 01.07.2018 comme instructeur de fitness. Le 13.07.2018, il a chuté dans les escaliers du studio dans lequel il travaillait et a subi des lésions au niveau de l’épaule et du genou gauches. Diagnostic échographique : enthésopathie de l’insertion du supra-épineux associée à une calcification tendineuse de 7 mm et à une bursite sous-acromio-deltoïdienne expliquant vraisemblablement la symptomatologie. Intervention au genou gauche le 19.09.2018.

Consultation le 12.02.2019 auprès du docteur D.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur et spécialisé en chirurgie de l’épaule et du coude, en raison de douleurs persistantes à l’épaule gauche. Le docteur D.__ a indiqué douter que l’assuré puisse reprendre une activité professionnelle avec les lésions d’allure traumatique retrouvées au niveau de son tendon sous-scapulaire. Selon lui, l’état de l’assuré nécessitait une arthroscopie du long chef du biceps, une réinsertion du tendon sous-scapulaire et une simple évaluation de la coiffe des rotateurs supérieurs.

Examen à la demande de l’assurance par le docteur E.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. L’assuré avait fait état d’un faux mouvement survenu en mai 2016 et intéressant l’épaule gauche. Il avait également appris que l’assuré avait été opéré le 04.03.2019 par le docteur D.__. Dans son rapport, le docteur E.__ a conclu que la contusion de l’épaule gauche de l’assuré avait dû cesser de déployer ses effets délétères après un délai maximal de trois mois. Au-delà, le cursus de cette épaule était régi par son état pathologique préexistant. La relation de causalité naturelle entre l’événement du 13.07.2018 et les lésions de la coiffe des rotateurs de l’épaule était hautement, voire très hautement improbable. Il en allait de même pour l’arthropathie acromio-claviculaire.

Par décision du 15.08.2019, confirmée sur opposition le 15.01.2020, l’assurance-accidents a mis un terme à ses prestations concernant l’épaule gauche à compter du 12.10.2018 et concernant le genou gauche à compter du 18.03.2019, en se fondant sur le rapport du docteur E.__.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/977/2022 – consultable ici)

Par avis du 22.02.2021, la Présidente de la cour cantonale a informé les parties qu’elle entendait confier une expertise au docteur Pierre-Alexandre F.__, spécialiste FMH en orthopédie et traumatologie de l’appareil locomoteur. L’assurance-accidents a récusé ce médecin, au motif qu’il était co-fondateur aux côtés du docteur D.__ de l’Hôpital G.__, et a proposé de mandater à sa place un autre spécialiste.

Par ordonnance d’expertise du 08.04.2021, la Présidente de la cour cantonale a écarté les motifs de récusation invoqués, ordonné une expertise orthopédique et désigné le docteur F.__ en tant qu’expert. Le docteur F.__ a rendu son rapport d’expertise judiciaire le 21.01.2022.

Par jugement du 09.11.2022, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 1.3
Sont de nature formelle les motifs de récusation qui sont énoncés dans la loi (cf. art. 10 al. 1 PA et 36 al. 1 LPGA) parce qu’ils sont propres à éveiller la méfiance à l’égard de l’impartialité de l’expert. En revanche, les motifs de nature matérielle, dirigés contre l’expertise elle-même ou contre la personne de l’expert, ne mettent pas en cause son impartialité (arrêt 8C_510/2013 du 10 février 2014 consid. 2.1 et les références citées). De tels motifs doivent en principe être examinés avec la décision sur le fond dans le cadre de l’appréciation des preuves.

Consid. 1.4
Dans son recours en matière de droit public et son recours constitutionnel subsidiaire, l’assurance-accidents reproche en premier lieu à la cour cantonale de ne pas avoir admis sa demande de récusation de l’expert judiciaire. Elle invoque une violation de son droit à un expert indépendant et impartial tel qu’il est garanti par les art. 29 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. La « connivence d’intérêts » et les relations privilégiées qu’entretiendraient ces deux médecins feraient naître, selon l’assurance-accidents, des doutes objectivement justifiés quant à l’équité de la procédure d’expertise et, par conséquent, de la procédure judiciaire dans son ensemble, d’autant que la cour cantonale aurait tranché le litige en prenant appui de façon déterminante sur le rapport d’expertise judiciaire.

Consid. 1.5
En l’occurrence, les griefs à l’encontre de l’expert judiciaire soulevés par l’assurance-accidents dans le cadre de son recours contre l’arrêt final du 09.11.2022 sont de nature formelle puisqu’ils mettent en cause l’impartialité de l’expert. Ils auraient dû, conformément à l’art. 92 al. 1 LTF, faire l’objet d’un recours immédiat au Tribunal fédéral, sans attendre la suite de la procédure (arrêt 8C_467/2014 du 29 mai 2015 consid. 2 et 4, publié in SVR 2015 IV n° 34 p. 108; arrêt 6B_1149/2014 du 16 juillet 2015 consid. 3.2). Invoqués par l’assurance-accidents seulement dans le cadre de son recours en matière de droit public ou dans son recours constitutionnel subsidiaire, les griefs à l’encontre de l’expert sont donc tardifs puisqu’ils n’ont pas été interjetés dans les 30 jours à compter de la réception de l’ordonnance incidente sur expertise du 08.04.2021. Il est sans importance que la décision du 08.04.2021 ne comportait aucune indication sur la voie de recours (cf. arrêt 6B_35/2017 du 26 février 2018 consid. 1.2.2). En l’occurrence, il ne pouvait pas échapper à l’assurance-accidents, représentée par un avocat, que la question de la récusation de l’expert judiciaire nécessitait d’être réglée définitivement avant qu’il soit statué sur le fond. Nonobstant l’absence d’indication de voie de droit dans la décision du 08.04.2021, l’assurance-accidents devait donc agir aussitôt contre cette décision et saisir le Tribunal fédéral. L’assurance-accidents est désormais forclose à se plaindre de la non-récusation de l’expert judiciaire, que ce soit par un recours en matière de droit public (art. 92 al. 2 LTF) ou par un recours constitutionnel subsidiaire (art. 117 LTF). Son grief est irrecevable.

Consid. 3.3.1
C’est la tâche du médecin de porter un jugement sur l’état de santé et d’indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2; 125 V 256 consid. 4 et les arrêts cités). En matière d’appréciation des preuves médicales, le juge doit examiner objectivement tous les documents à disposition, quelle que soit leur provenance, puis décider s’ils permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. S’il existe des avis contradictoires, il ne peut pas trancher l’affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion plutôt qu’une autre. En ce qui concerne la valeur probante d’un rapport médical, ce qui est déterminant, c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a; 122 V 157 consid. 1c et les références).

Consid. 3.3.2
S’agissant de la valeur probante d’une expertise judiciaire, le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et la référence citée).

Consid. 3.4
En l’occurrence, la cour cantonale n’a pas écarté sans raison l’avis du docteur E.__. Comme cela ressort de l’ordonnance d’expertise du 08.04.2021, c’est parce que l’assuré a établi, par l’avis du docteur D.__, des éléments objectivables suffisamment pertinents pour susciter des doutes quant à la valeur probante du rapport du docteur E.__ que la cour cantonale a mis en œuvre une expertise judiciaire. La cour cantonale a ainsi ordonné une expertise judiciaire pour trancher entre l’avis du docteur E.__ et celui du docteur D.__; elle ne s’est pas fondée sur le seul avis du docteur D.__ comme le lui reproche l’assurance-accidents. On ajoutera que, contrairement à ce qu’affirme l’assurance-accidents, le docteur D.__ n’avait pas omis de rappeler les antécédents de son patient, bien au contraire. Dans son ordonnance d’expertise du 08.04.2021, la cour cantonale a constaté que le docteur D.__ avait indiqué, dans son rapport du 3 mars 2020, être d’accord avec le docteur E.__ sur le fait que les lésions du supra-épineux étaient déjà préexistantes et n’étaient pas en lien de causalité avec l’accident; il avait en revanche ajouté que la déchirure de la coiffe antérieure, sous-scapulaire, n’était quant à elle pas préexistante.

Consid. 3.6
En définitive, l’arrêt entrepris échappe à la critique en tant qu’il retient, sur la base des conclusions de l’expertise judiciaire, que l’assuré a droit aux prestations de l’assurance-accidents en relation avec les lésions de son épaule gauche résultant de l’accident du 13.07.2018 jusqu’au 11.10.2019, date à laquelle le statu quo a été atteint.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_741/2022 consultable ici

 

La COQEM décide d’une enquête systématique sur le vécu de la situation d’expertise

La COQEM décide d’une enquête systématique sur le vécu de la situation d’expertise

 

Communiqué de presse de la Commission fédérale pour l’assurance qualité dans le domaine de l’expertise médicale (COQEM) du 31.08.2023 consultable ici

 

La Commission fédérale pour l’assurance qualité dans le domaine de l’expertise médicale (COQEM) veut enquêter systématiquement sur la manière dont les personnes engagées dans une procédure d’instruction de l’AI vivent la situation d’expertise. La situation d’expertise n’est pas comparable à une situation thérapeutique, elle sert à établir les faits médicaux dans le cadre d’une procédure juridique. Pour les personnes concernées, elle représente une situation exceptionnelle tout à fait éprouvante. Il faut s’assurer que l’expert·e informe de manière compréhensible sur le but, l’objectif et le déroulement de l’expertise et que l’expert·e garantisse une conduite d’entretien aimable et empathique ainsi qu’une situation d’examen adéquate. De même, en fonction des faits concrets, l’expert·e doit prendre suffisamment de temps pour procéder aux investigations nécessaires et recueillir la description subjective des plaintes.

Il convient de constater que la conduite d’un entretien d’expertise et le déroulement de l’examen ont été de plus en plus abordés ces dernières années dans le cadre de la formation des experts et font désormais partie intégrante de celle-ci. Afin d’améliorer la transparence dans le domaine des examens d’expertise, les entretiens entre la personne expertisée et l’expert sont documentés sous forme d’enregistrements sonores et versés au dossier depuis 2022 déjà (art. 44 al. 6 LPGA, art. 7k OPGA). Ces enregistrements permettent de vérifier l’établissement des faits dans des cas individuels litigieux. Pour l’analyse systématique de l’interaction entre les experts et les personnes expertisées, l’écoute et l’analyse des enregistrements sonores ne sont pas réalisables en raison de l’énorme quantité de données et ne sont possibles que dans quelques cas. Les données actuelles dans ce domaine reposent donc sur quelques cas litigieux ainsi que sur les enquêtes menées jusqu’à présent par les organisations de patients et de personnes handicapées et ne permettent pas encore de tirer des conclusions représentatives. C’est pourquoi la COQEM veut prendre en compte la perspective des assurés dans le sens d’un contrôle global de la qualité et d’établir une vue d’ensemble de la situation actuelle en matière d’expertises en Suisse pour déterminer les éventuelles mesures à prendre, notamment en ce qui concerne la formation en matière d’expertises et les lignes directrices professionnelles.

Afin de clarifier la question de l’utilité des enquêtes de satisfaction auprès des personnes concernées, la COQEM a préalablement commandé une étude externe basée sur la littérature, qui présente l’état scientifique d’une telle méthode et spécifie dans quelles conditions un tel instrument pourrait être utilisé efficacement pour l’amélioration de la qualité dans l’expertise médicale. (Rapport de la Prof. Muschalla et al.).

L’enquête doit permettre aux personnes évaluées de faire part à une instance indépendante de leur retour sur l’examen d’expertise sans craindre de conséquences négatives sur les résultats de l’expertise ou sur une future décision de prestation. L’enquête sera réalisée immédiatement après l’examen, avant que le résultat de l’expertise ne soit connu, afin d’exclure toute influence du résultat de l’expertise sur les personnes évaluées (voir à ce sujet Muschalla et al.).

L’enquête à l’intention de la COQEM sera réalisée par voie électronique sur une plateforme en ligne et ne donnera lieu qu’exceptionnellement à un questionnaire imprimé sur papier.

Les résultats de l’enquête permettront d’identifier les éventuelles mesures et de formuler des recommandations y concernant et d’entamer un dialogue sur la qualité avec certain·s expert·s ou centre d’expertise.

 

 

Communiqué de presse de la Commission fédérale pour l’assurance qualité dans le domaine de l’expertise médicale (COQEM) du 31.08.2023 consultable ici

Étude thématique « Utilité des enquêtes auprès des personnes concernées pour l’assurance qualité des expertises médico-assurantielles, particulièrement, en termes d’équité et de satisfaction à l’égard du déroulement des expertises », Muschalla B. et al. (2023), rapport disponible ici

 

Casso VD AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023 – Valeur probante d’une expertise psychiatrique – 43 LPGA / Enregistrement sonore exploitable à la suite d’un problème d’ordre technique – 44 al. 6 LPGA – 7k OPGA / Retrait du rapport d’expertise litigieux du dossier AI

Arrêt de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’une expertise psychiatrique / 43 LPGA

Enregistrement sonore inexploitable à la suite d’un problème d’ordre technique / 44 al. 6 LPGA – 7k OPGA

Retrait du rapport d’expertise litigieux du dossier AI

 

Remarques liminaires

Une fois n’est pas coutume, un arrêt cantonal est résumé sur notre site. Il s’agit l’un des premiers arrêts (en tout cas le premier à notre connaissance) concernant l’enregistrement sonore défaillant lors d’une expertise médicale mise en œuvre par un assureur social. Au moment de la publication de notre résumé, l’arrêt n’est pas entré en force. On soulignera que la juridiction cantonale a renvoyé la cause à l’office AI pour qu’il complète l’instruction et rende une nouvelle décision sur le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

En fait

Assurée, de nationalité irakienne, mariée et mère de trois enfants, au bénéfice d’une formation d’auxiliaire de santé. Depuis le 01.10.2009, l’assurée a travaillé comme femme de chambre auprès d’une hôtel. Incapacité de travail attestée à 100% dès le 24.08.2017, puis à 50% dès le 09.10.2017.

L’assureur perte de gain maladie de l’employeur a versé des indemnités journalières jusqu’au 31.07.2018, conformément aux rapports d’expertise d’un spécialiste en rhumatologie et d’un spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie (Dr C.__ ; rapport du 24.03.2018).

Le 25.07.2018, l’assurée a déposé une demande AI. Se basant sur un rapport d’examen du SMR daté du 25.07.2019, l’office AI a informé l’assurée de son intention de rejeter sa demande de prestations. Selon ce rapport, à l’expiration de la période d’attente d’un an, si elle présentait une capacité de travail de 50% dans son activité habituelle, l’intéressée était en mesure de travailler à plein temps dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles.

L’assurée, assistée de son assurance protection juridique, a contesté ce préavis négatif, en fournissant divers rapports médicaux.

L’office AI a mis en œuvre une expertise bidisciplinaire (rhumatologie et psychiatrie). Sur le plan psychiatrique, le Dr G.__, spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie, a retenu les diagnostics incapacitants de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère, sans symptôme psychotique (F33.2), et de modification durable de la personnalité après une expérience de catastrophe (F62.0). Au plan somatique, la capacité de travail de l’assurée était entière dans une activité adaptée alors que sur le plan psychiatrique sa capacité de travail était nulle dans toute activité depuis l’été 2020 « selon le rapport de la Dre I.__ [psychiatre traitant] ».

Le SMR a proposé de réinterroger les médecins-experts au motif que leurs conclusions restaient floues et/ou insuffisamment discutées. Au vu de l’ampleur des informations complémentaires à apporter, on ne pouvait exclure la nécessité d’une nouvelle évaluation bidisciplinaire. Les experts ont répondu aux questions complémentaires le 08.09.2021.

Le médecin du SMR a estimé que si l’expert rhumatologue apportait un complément suffisant à son expertise, il était toutefois nécessaire de procéder à une nouvelle expertise psychiatrique de l’assurée, laquelle a été confiée par l’office AI au Dr W.__, spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie.

Dans son rapport d’expertise psychiatrique, le Dr W.__ a posé le diagnostic incapacitant de trouble dépressif récurrent avec syndrome somatique léger (F33.0) et a estimé la capacité de travail de l’assurée à 50% dans toutes activités dès novembre 2019. Il a précisé que, d’un point de vue psychiatrique, toute activité adaptée aux compétences et à la motivation de l’intéressée était envisageable alors que les limitations fonctionnelles ressortaient du registre strictement rhumatologique, sur la base d’un emploi exercé à mi-temps.

Le médecin du SMR a relevé le caractère probant du rapport d’expertise psychiatrique précité, mais a cependant requis un complément d’information auprès du Dr W.__. En réponse aux questions complémentaires de l’office AI, le Dr W.__ a fait savoir que le traitement médicamenteux était largement insuffisant par rapport au diagnostic allégué et à la reconnaissance d’une incapacité de travail complète par le médecin de famille. Le Dr W.__ a indiqué qu’il lui semblait judicieux de réévaluer la situation « par un œil extérieur » six mois après la réadaptation du traitement.

L’office AI a, par décision du 04.08.2022, confirmé la teneur de son préavis négatif du 21.10.2019. L’office AI a précisé que son projet de décision reposait sur une instruction complète et était conforme en tous points aux dispositions légales.

 

L’assurée, par la plume de son nouveau conseil, a déféré cette décision devant la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal.

Dans sa réplique du 26.10.2022, l’assurée a produit un courrier de l’office AI du 18.10.2022 à son conseil indiquant que l’enregistrement sonore de l’entretien d’expertise n’était malheureusement pas exploitable suite à un problème d’ordre technique. Or, elle considère que l’enregistrement précité est indispensable, élément qui fait défaut et dont elle soutient qu’il est à l’origine d’une violation de son droit d’être entendue ainsi que des garanties liées à la transparence des expertises voulue par le législateur ; selon elle, l’expert psychiatre n’a pas tenu compte de ses plaintes subjectives ou les a, à tout le moins, fortement minimisées dans l’anamnèse. L’assurée a requis de la cour cantonale de retrancher du dossier le rapport d’expertise du Dr. W.__ ainsi que son complément. Elle propose dès lors de retenir sa capacité de travail nulle dans une activité adaptée depuis l’été 2020 reconnue par l’expertise bidisciplinaire et corroborée par la psychiatre traitant.

Dans sa duplique, l’office a constaté après réexamen que l’assurée avait droit à un quart de rente, sur la base d’un degré d’invalidité de 41,47%. Pour le surplus, s’il était certes regrettable que l’enregistrement ne soit pas exploitable, celui-ci ne semblait pas déterminant « à supposer qu’on puisse l’apprécier ».

 

En droit

Consid. 4d/aa
Depuis le 1er janvier 2022, sauf avis contraire de l’assuré, les entretiens entre l’assuré et l’expert font l’objet d’enregistrements sonores, lesquels sont conservés dans le dossier de l’assureur (art. 44 al. 6 LPGA). L’entretien comprend l’ensemble de l’entrevue de bilan. Celle-ci inclut l’anamnèse et la description, par l’assuré, de l’atteinte à sa santé (art. 7k al. 1 OPGA. Au moyen d’une déclaration écrite adressée à l’organe d’exécution, l’assuré peut annoncer avant l’expertise qu’il renonce à l’enregistrement sonore (art. 7k al. 3 let. a OPGA) ou demander la destruction de l’enregistrement jusqu’à dix jours après l’entretien (art. 7k al. 3 let. b OPGA). Avant l’entretien, il peut révoquer sa renonciation au sens de l’al. 7k al. 3 let. a OPGA auprès de l’organe d’exécution (art. 7k al. 4 OPGA). L’enregistrement sonore doit être réalisé par l’expert conformément à des prescriptions techniques simples. Les assureurs garantissent l’uniformité de ces prescriptions dans les mandats d’expertise. L’expert veille à ce que l’enregistrement sonore de l’entretien se déroule correctement sur le plan technique (art. 7k al. 5 OPGA). Les experts et les centres d’expertises transmettent l’enregistrement sonore à l’assureur sous forme électronique sécurisée en même temps que l’expertise (art. 7k al. 7 OPGA). Si l’assuré, après avoir écouté l’enregistrement sonore et constaté des manquements techniques, conteste le caractère vérifiable de l’expertise, l’assuré et l’organe d’exécution tentent de s’accorder sur la suite de la procédure (art. 7k al. 8 OPGA). Si la personne assurée et l’office AI ne parviennent pas à se mettre d’accord à ce sujet, l’OAI rendra une décision incidente (Circulaire sur la procédure dans l’assurance-invalidité [CPAI], état au 1er janvier 2022, n°3127).

Consid. 4d/bb
Compte tenu de la finalité de l’enregistrement sonore et de sa forme particulière de conservation, les directives prévoient que lorsque l’assuré demande l’accès à son dossier, l’enregistrement n’est pas transmis d’office avec les actes, dès lors que l’enregistrement a pour but de vérifier, en cas de litige, ce qui a été effectivement dit lors de l’entretien (Michela Messi, AI : les enregistrements favorisent la transparence, in Sécurité sociale [CHSS] 2022).

La personne assurée peut toutefois demander expressément de l’écouter. Par exemple lorsque, en lisant l’expertise, qui en soi sert de base à la décision de l’office AI, elle estime que le rapport d’expertise ne reproduit pas correctement les déclarations faites pendant l’entretien. Dans ce cas, l’office lui transmettra les instructions ainsi que les données nécessaires pour accéder électroniquement à l’enregistrement sonore et pouvoir ainsi l’écouter.

Pour que les experts puissent enregistrer facilement les entretiens et les transmettre aux offices AI, une solution informatique dédiée à l’assurance-invalidité a été créée. Une application pour smartphones permet aux experts d’enregistrer un entretien, de le réécouter et de le transmettre à l’office AI. L’enregistrement sonore n’est pas conservé sur le smartphone, mais téléchargé et stocké sur une plateforme sécurisée. Les experts peuvent également réaliser l’enregistrement avec un dictaphone et le télécharger ensuite sur la plateforme. Vu qu’il s’agit de données particulièrement sensibles, une grande attention a été accordée à la sécurité et à la protection des données lors de la mise en œuvre de l’application.

Pour des raisons de protection des données, l’accès à l’enregistrement sonore a été limité à un groupe très restreint de personnes et institutions : l’assuré même et son représentant, l’organe d’exécution compétent (l’office AI dans les cas AI) ainsi que les tribunaux appelés à statuer sur un éventuel recours.

Consid. 4d/cc
En l’espèce, l’assurée a invoqué des contradictions et des incohérences dans l’anamnèse relatée par le Dr W.__, ainsi que dans les explications de l’expert s’agissant du fils qu’elle a dû laisser en Irak en pleine guerre, provoquant un traumatisme majeur selon l’assurée. Dans le cadre de son recours, elle a contesté différentes affirmations de l’expert, qui ne correspondent pas, selon elle, à la réalité. Elle observe que les indications d’une « mère gentille » et de « souvenir d’une enfance tout à fait normale ou tout à fait heureuse » par l’expert sont en contradiction avec le fait qu’elle a été élevée par sa grand-mère car sa mère ne voulait pas d’elle, comme l’a relevé l’experte G.__, et que, selon ses propres dires, elle était « une enfant qui avait peur ». S’agissant du fils qu’elle a dû laisser en Irak, pour des raisons économiques selon l’expert, elle indique qu’elle avait voulu fuir la guerre en Irak avec ses trois enfants, mais qu’elle avait été forcée de laisser un de ses fils dans son pays d’origine, en pleine guerre. Elle ajoute qu’il ressort clairement des appréciations des Dres G.__ et I.__ que cet épisode a été particulièrement traumatique. Selon l’assurée, le rapport du Dr W.__ comporte également un certain nombre d’incohérences : par exemple, l’expert indique qu’elle n’est pas dramatique tout en signalant peu après que ses douleurs prennent « volontiers une teinte assez dramatique ». L’expert explique également que l’assurée peut reconstituer de manière très claire et précise son histoire personnelle, avec des repères temporels et dates bien maintenues, tout en reprochant dans le même temps à la recourante « une certaine imprécision ». Elle ne comprend pas l’expert lorsqu’il déclare que l’on ne pourrait pas parler de « suicidalité » alors même qu’une tentative et des pensées suicidaires sont attestées par les Dres G.__ et I.__. De plus, l’appréciation de l’expert pour exclure le diagnostic de modification durable de la personnalité après expérience de catastrophe ne correspondrait pas à la réalité avec une tentative de suicide rapportée en 2005 par les médecins, la venue de son fils fortement traumatisé par la guerre (ayant notamment assisté à la mort des membres de sa famille) et celle de son mari avec la reprise des violences conjugales (psychiques et sexuelles ayant perduré de nombreuses années), pour lesquelles on ne saurait parler de simple « conflit de couple » comme l’a fait l’expert. Le tableau clinique décrit par l’expert, symptomatique d’une dépression moyenne à légère, ne correspondrait pas aux descriptions des Dres G.__ et I.__, cette dernière faisant état, dans son rapport du 02.03.2022, de la persistance de la symptomatologie dépressive, anxieuse, algique et du registre traumatique, avec des flash-backs, des symptômes dissociatifs et des voyages pathologiques, éléments toutefois passés sous silence par l’expert. L’assurée conteste que sa prise en charge psychiatrique depuis 2017 serait due à une « certaine insatisfaction professionnelle probable » « voire des soucis quant à l’un de ses fils », analyse qui sous-évalue ses troubles psychiques et qui est également en contradiction avec les avis de ses médecins. Elle reproche en outre à l’expert, en lien avec l’aggravation de la symptomatologie en 2019, de se borner à déclarer qu’elle serait en contradiction avec les éléments objectifs, soit le voyage en Irak durant cette année-là, sans toutefois se prononcer sur les explications fournies par la Dre I.__. De l’avis de l’assurée, les diagnostics de trouble dépressif récurrent avec syndrome somatique léger et de « conflit de couple ; insatisfaction professionnelle, divers » posés par l’expert résultent ainsi d’une analyse tronquée, « minimisant grandement » les troubles présentés. Enfin s’agissant de la capacité de travail, l’assurée observe que l’expert évalue sa capacité de travail médico-théorique à 50% dans une activité adaptée à ses compétences et ses limitations somatiques objectives. Puis à la question « A quel pourcentage évaluez-vous globalement la capacité de travail de l’assuré(e) dans cette activité, par rapport à un 100% ? », l’expert répond : « 50% dès novembre 2019 sur la base d’un plein temps soit 08h00 par jour, cinq jours sur sept ». Interpellé par la suite par le médecin du SMR, il n’a pas été en mesure de préciser l’évolution probable de la capacité de travail dans son complément. L’expert n’aurait en outre pas tenu compte de ses plaintes. En d’autres termes, l’assurée affirme dans ses écritures que le rapport d’expertise reproduirait incorrectement les déclarations qu’elle a faites pendant l’entretien avec l’expert.

Consid. 4d/cc
En définitive, dès lors que l’office AI a confirmé dans un courrier du 18.10.2022 au conseil de l’assurée que l’enregistrement sonore de l’expertise du Dr W.__ n’était pas exploitable, la cour cantonale n’est pas en mesure de déterminer si les déclarations de l’assurée ont été saisies correctement et reprises avec exactitude dans le rapport de l’expert. Un tel enregistrement sonore s’avère pourtant indispensable pour savoir si l’expert psychiatre a correctement tenu compte des plaintes de l’assurée, sans les minimiser, ce d’autant plus que le tableau clinique dressé par le Dr W.__ diffère des observations des Drs G.__ et I.__.

Quoi qu’en dise l’office AI dans sa duplique du 28.11.2022, l’enregistrement sonore de l’expertise menée par le Dr W.__ est un élément indispensable pour permettre au tribunal cantonal de statuer sur les critiques soulevées par l’assurée en lien avec la vérification de l’expertise. Par conséquent, faute d’enregistrement sonore, l’expertise psychiatrique du 05.05.2022 du Dr W.__ ainsi que son complément du 21.07.2022 devront être retirés du dossier.

Consid. 4g
En l’absence d’une appréciation psychiatrique suffisamment motivée pour établir de manière objective si l’assurée présente une atteinte psychique d’une gravité telle que la mise en valeur de sa capacité de travail sur le marché du travail ne peut plus du tout ou seulement partiellement être exigible de sa part, il s’avère nécessaire de faire compléter l’instruction médicale. Il convient par conséquent de renvoyer la cause à l’office AI, autorité à qui il incombe en premier lieu d’instruire, conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 43 al. 1 LPGA). Compte tenu de l’absence d’atteinte objective d’origine somatique et de la prévalence d’une symptomatologie douloureuse sans substrat organique, l’office AI mettra en œuvre une nouvelle expertise psychiatrique auprès d’un spécialiste en psychiatrie, autre que le Dr W.__. Même si le praticien précité s’efforçait d’occulter complètement son évaluation basée sur le premier entretien, on ne peut pas garantir qu’il ne continuerait pas à être influencé par cet entretien, si sa deuxième expertise psychiatrique contenait les mêmes conclusions. Cela fait, il appartiendra à l’office AI de rendre une nouvelle décision statuant sur la demande de l’assurée.

Consid. 5a
Le recours doit être admis, ce qui entraîne l’annulation de la décision rendue par l’office AI, la cause lui étant renvoyée pour mise en œuvre d’une expertise psychiatrique dans le sens des considérants, puis nouvelle décision, étant précisé que l’expertise psychiatrique du 05.05.2022 du Dr W.__ ainsi que son complément du 21.07.2022 doivent être retirés du dossier.

 

Arrêt de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023 consultable ici

 

 

8C_717/2022 (i) du 07.06.2023, destiné à la publication – Refus de se soumettre à une expertise ordonnée par l’AI : aide sociale refusée à tort

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_717/2022 (i) du 07.06.2023, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 18.07.2023 disponible ici

 

Refus de se soumettre à une expertise ordonnée par l’AI : aide sociale refusée à tort

 

Le refus de collaborer à l’établissement du droit à la rente de l’assurance-invalidité ne justifie pas le refus de toute aide sociale. En rendant une décision dans ce sens, le Tribunal des assurances du canton du Tessin a violé le droit fondamental à l’aide d’urgence de la personne intéressée.

En 2021, l’Office d’aide sociale et d’insertion du canton du Tessin a refusé de faire bénéficier ultérieurement un homme de l’aide sociale. Il a motivé sa décision par le fait que l’intéressé avait refusé, à plusieurs reprises, de se soumettre à une expertise psychiatrique visant à établir son éventuel droit à une rente de l’assurance-invalidité (AI). Selon le droit cantonal, aucune aide sociale ne doit être versée tant qu’il existe un droit à des prestations d’assurances sociales (principe de la subsidiarité). Le Tribunal cantonal des assurances a rejeté le recours de l’intéressé en 2022.

Le Tribunal fédéral admet partiellement son recours et renvoie la cause à l’Office d’aide sociale et d’insertion pour nouvelle décision. Selon l’article 12 de la Constitution fédérale (Cst.), quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. Le droit à l’aide d’urgence présuppose que la personne ne peut pas subvenir à ses besoins elle-même et que toute autre source d’aide disponible ne puisse être obtenue à temps (principe de la subsidiarité). Ainsi, celui qui serait objectivement en mesure de se procurer les ressources indispensables à sa survie par ses propres moyens ne remplit pas les conditions du droit. Selon la jurisprudence, il en est ainsi lorsqu’une personne refuse d’accepter un travail rémunéré convenablement.

Dans le cas d’espèce, de par le refus de toute aide sociale – et donc également de toute aide d’urgence pour la nourriture, le logement, l’habillement et les soins médicaux de base – le principe de la subsidiarité n’a pas été appliqué correctement et l’article 12 Cst. a été violé. Le recourant ne pouvait disposer d’une autre source de revenu à temps et dans une mesure suffisante. Il est vrai qu’en refusant de se soumettre à une expertise, il a certes contribué à l’impossibilité d’établir son droit à des prestations de l’AI. Toutefois, tant qu’une décision formelle n’a pas été rendue par les autorités de l’AI, ce droit n’est qu’hypothétique ; de surcroît, le montant de l’éventuelle rente reste incertain. Dès lors, l’intéressé n’aurait disposé d’aucun moyen de subsistance jusqu’à ladite décision. La question de savoir si l’aide d’urgence peut être réduite ou refusée en cas d’abus de droit de la personne requérante a été laissée ouverte jusqu’ici par le Tribunal fédéral. Elle peut demeurer indécise dès lors que les critères pour retenir un comportement abusif du recourant ne sont pas donnés. Les autorités disposaient d’autres possibilités en vertu du droit cantonal pour sanctionner son comportement. L’Office d’aide sociale et d’insertion devra rendre une nouvelle décision en ce sens.

 

Arrêt 8C_717/2022 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 18.07.2023 disponible ici

 

Mancata partecipazione ad una perizia ordinata dall’AI: assistenza sociale negata ingiustamente, comunicato stampa del Tribunale federale, 18.07.2023

Verweigerte Mitwirkung für IV-Begutachtung: Sozialhilfe zu Unrecht gestrichen, Medienmitteilung des Schweizerischen Bundesgerichts, 18.07.2023

 

Liste des experts mandatés : première vue d’ensemble des expertises

Liste des experts mandatés : première vue d’ensemble des expertises

 

Liste publique des experts et centres d’expertises mandatés dans l’assurance-invalidité – 2022 (publication du 01.07.2023) consultable ici

Michela Messi/Daniel Salamanca, Expertises AI : la pénurie de médecins entraîne des temps d’attente, in Sécurité sociale CHSS, 03.07.2023, consultable ici

Ralf Kocher, Les listes d’attribution des expertises améliorent la transparence dans l’AI, in Sécurité sociale CHSS, 03.07.2023, consultable ici

 

En juillet 2023, l’AI a publié pour la première fois une liste des experts mandatés au cours de l’année précédente dans tout le pays, liste basée sur les données que chaque office AI a publiée en mars 2023. Il en découle une plus grande transparence pour les assurés. Ces données constituent également une source d’information intéressante pour la Commission fédérale d’assurance qualité des expertises médicales. . La publication des données est une prescription légale introduite par la réforme de l’AI entrée en vigueur en janvier 2022.

En 2022, les offices AI ont mandaté au total 11’293 expertises médicales. Dans près de 44% des cas, il s’agissait d’une expertise pluridisciplinaire et dans 39% des cas d’une expertise monodisciplinaire. Les expertises bidisciplinaires représentent moins de 18% du total.

La répartition par type de mandat (mono-, bi- ou pluridisciplinaire) diffère entre les régions linguistiques. En Suisse alémanique, la part des expertises pluridisciplinaires dans le total est plus élevée qu’en Suisse romande et qu’au Tessin. Dans ces deux régions, les offices AI attribuent principalement des expertises médicales monodisciplinaires. Les expertises les moins souvent mandatées, toutes régions confondues, sont les expertises médicales bidisciplinaires.

En 2022, plus de la moitié des experts ayant reçu des mandats d’expertise médicale monodisciplinaire sont des spécialistes en psychiatrie et psychothérapie et 86% des mandats d’expertise monodisciplinaire attribués avait pour discipline la psychiatrie et psychothérapie. Cette discipline est la plus demandée dans toutes les régions linguistiques.

En 2022, sur un total de 2’003 mandats d’expertise bidisciplinaire, 1’354 ont été attribués aux centres d’expertises et 649 aux binômes d’experts. Dans 97% des mandats attribués aux binômes d’experts, la psychiatrie et psychothérapie fait partie de l’une des deux disciplines demandées. Le plus souvent, la deuxième discipline demandée est la rhumatologie, la chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, la médecine interne générale ou la neurologie.

En ce qui concerne les expertises pluridisciplinaires, les disciplines les plus demandées sont la psychiatrie et psychothérapie, présente dans 94% des mandats déposés, la neurologie (57%) et la rhumatologie (44%). Suivent la chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur (36%) et la neuropsychologie (26%). La médecine interne générale, en revanche, est et doit, conformément à la convention tarifaire concernant la réalisation d’expertises médicales pluridisciplinaires, être toujours représentée.

La moitié des mandats d’expertise pluridisciplinaire attribués présente 4 disciplines, 28% des mandats 3 disciplines, 19% 5 disciplines et 3% 6 disciplines. Les mandats impliquant 7 disciplines ou plus sont très rares.

 

Majorité des mandats à une minorité d’experts

Sur les 386 experts monodisciplinaires, 76% ont reçu entre 1 et 9 mandats en 2022. Ils cumulent entre eux un total de 812 mandats, ce qui représente un peu moins de 20% de tous les mandats monodisciplinaires attribués cette année-là. La grande majorité des mandats est répartie parmi une minorité d’experts.

En 2022, 54% des binômes d’experts ont reçu entre 1 et 4 mandats ; 18% entre 5 et 9. 28% des binômes d’experts ont reçu entre 10 et 55. Les 4933 mandats d’expertises pluridisciplinaires ont été répartis entre 31 centres d’expertises médicales liés à l’OFAS par une convention.

On constate des différences importantes entre les centres d’expertises quant au nombre de mandats reçus. Cela s’explique par le fait que les capacités offertes sur la plateforme d’attribution varient d’un centre à l’autre. Comme déjà mentionné, la répartition des mandats bidisciplinaires et pluridisciplinaires se fait de manière aléatoire, en fonction des disciplines et de la langue du mandat.

Avec plus de 350 mandats chacun, 5 centres ont obtenu à eux seuls 43% des mandats d’expertises pluridisciplinaires. 15 centres ont obtenu entre 100 et 300 mandats et 11 centres moins de 100.

1’354 mandats d’expertise bidisciplinaire ont été attribués aux 22 centres d’expertises ayant conclu une convention avec l’OFAS. Deux d’entre eux ont obtenu plus de 250 mandats (BEM Riviera, Montreux et Swiss Expertises Médicales, Aigle). Les autres centres en ont obtenu une centaine ou moins. Ici aussi, les capacités offertes sur la plateforme d’attribution aléatoire ont une influence sur le nombre de mandats obtenus.

 

Les tribunaux suivent la plupart du temps les expertises

Trois-quarts des expertises médicales bidisciplinaires ayant fait l’objet d’une décision d’un tribunal ont été jugées probantes par celui-ci. La proportion est un peu plus faible pour les expertises mono- et pluridisciplinaires, mais il y a de grandes disparités cantonales.

En 2022, la rémunération globale des experts, des binômes et des centres d’expertises s’est élevée à plus de 87 millions de francs. Les expertises médicales pluridisciplinaires représentent près de 62% de ces coûts. Les centres d’expertises bi- et pluridisciplinaires récoltent trois quarts des revenus du marché des expertises médicales.

 

Une première étape est franchie

Pour cette première publication, les offices AI ont saisi manuellement les données durant l’année 2022 pour établir leur liste des experts. En parallèle, une solution informatique permettant une saisie centralisée des données a été développée. Cette solution doit permettre de faciliter la saisie des données, de diminuer le risque d’erreurs, d’automatiser les contrôles et d’améliorer ainsi la qualité des informations pour les listes publiques futures, notamment en ce qui concerne les jugements des tribunaux.

Cette amélioration des données permettra à l’avenir des analyses statistiques plus précises et des comparaisons annuelles.

 

Plusieurs défis

Les listes des expertises peuvent également être utilisées comme outil de travail : elles donnent par exemple une vue d’ensemble des experts et des centres d’expertise disponibles ainsi que de leur orientation spécifique et de leur charge de travail. Ces données montrent l’offre dont disposent les offices AI pour attribuer le plus rapidement possible les mandats d’expertise.

Différents défis se posent pour les expertises. Les offices AI doivent ainsi attribuer aussi vite que possible les nombreuses expertises aux experts et centres d’expertises disponibles afin d’éviter des retards dans la procédure, tout en sachant que le cercle d’experts entrant en ligne de compte en Suisse est très restreint et que l’on a déjà enregistré quelques défections en raison des nouveautés lourdes sur le plan administratif (enregistrements sonores et répartition selon le principe aléatoire). La pression des médias et de la politique sur les centres d’expertises et les experts, pression qui n’est pas toujours fondée sur des faits, joue probablement un rôle, comme les plaintes pénales déposées dans certains cas.

Pour terminer, on observe que les hôpitaux publics ne s’engagent guère dans le domaine des expertises médicales et que l’on accorde trop peu d’attention à la formation de nouveaux experts.

 

 

Liste publique des experts et centres d’expertises mandatés dans l’assurance-invalidité – 2022 (publication du 01.07.2023) consultable ici

Michela Messi/Daniel Salamanca, Expertises AI : la pénurie de médecins entraîne des temps d’attente, in Sécurité sociale CHSS, 03.07.2023, consultable ici

Ralf Kocher, Les listes d’attribution des expertises améliorent la transparence dans l’AI, in Sécurité sociale CHSS, 03.07.2023, consultable ici

 

8C_643/2022 (f) du 07.06.2023 – Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) pour polytraumatisme – Calcul du taux global – 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA / Expertise médicale judiciaire – Questionnaire de la cour cantonale conduisant à influencer les experts dans leurs réponses

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_643/2022 (f) du 07.06.2023

 

Consultable ici

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) pour polytraumatisme – Calcul du taux global / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Expertise médicale judiciaire – Questionnaire de la cour cantonale conduisant à influencer les experts dans leurs réponses

 

Assuré, né en 1964, directeur d’une société anonyme, a été victime d’un accident le 23.11.2011 : alors qu’il roulait au volant de sa voiture, il est entré en collision avec un camion militaire venant en sens inverse. Polytraumatisé, il a notamment subi de nombreuses fractures du visage et des membres inférieurs.

Dans le cadre de l’instruction médicale, l’assurance-accidents a confié une expertise pluridisciplinaire à un centre d’expertise médicale, qui a rendu son rapport le 05.02.2015. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a – entre autres – a reconnu le droit de l’assuré à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) fondée sur un taux de 40%. Admission du recours par le tribunal cantonal (arrêt du 27.06.2019). Par arrêt du 06.07.2020 (8C_554/2019), le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours formé par l’assurance-accidents contre l’arrêt du 27.06.2019 et a renvoyé l’affaire à la juridiction cantonale pour qu’elle ordonne une expertise judiciaire. Ce renvoi était motivé par le fait qu’il existait des doutes concernant le bien-fondé du rapport d’expertise du centre d’expertise, notamment par rapport à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 74/20 ap. TF – 122/2022 – consultable ici)

Expertise judiciaire qui a été confiée à Hôpital C.___.

Par jugement du 29.09.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, portant le taux d’IPAI globale à 60%.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 25 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital (al. 1, première phrase); elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité (al. 1, seconde phrase); le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur le calcul de l’indemnité (al. 2).

Consid. 3.2
Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_580/2022 du 31 mars 2023 consid. 4.1.1 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). En cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, dues à un ou plusieurs accidents, l’indemnité est fixée d’après l’ensemble du dommage (art. 36 al. 3, première phrase, OLAA). L’indemnité totale ne peut dépasser le montant maximum du gain annuel assuré (art. 36 al. 3, deuxième phrase, OLAA). Il sera équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité; une révision n’est possible qu’en cas exceptionnel, si l’aggravation est importante et n’était pas prévisible (art. 36 al. 4 OLAA).

Consid. 4.1
En l’espèce, la cour cantonale a d’abord constaté que le rapport du 11 juillet 2022 de l’expertise judiciaire qu’elle avait confiée à l’Hôpital C.___ ensuite de l’arrêt 8C_554/2019 pouvait se voir conférer pleine valeur probante. Sur ces éléments, elle a constaté que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité globale s’élevait, « comme déjà estimée par le centre d’expertise médicale », à un taux de 60%, mais pour des motifs différents, à savoir: sur le plan orthopédique, un taux de 10% pour chaque genou et de 15% pour le coude gauche, soit un taux arithmétique total de 35% (10% + 10% + 15%) pour l’ensemble des atteintes à la santé sur cet axe; sur le plan ophtalmique, un taux de 10% lié à la diplopie binoculaire au regard vers le haut, dès 15°, sur limitation de l’œil gauche et de 5% liée à la sécheresse oculaire, soit un taux arithmétique total de 15% (10% + 5%) pour les deux affections oculaires; sur le plan esthétique, un taux de 10% pour l’hypoglobie, l’affaissement de la pommette gauche ainsi que l’asymétrie de la fente palpébrale, « en l’absence de débat y relatif »; sur le plan ORL, un taux de 0% en raison de l’absence de séquelles de cet ordre.

 

Consid. 4.3
On rappellera d’abord que dans son arrêt du 06.07.2020, le Tribunal fédéral a considéré qu’il existait des indices concrets qui permettaient de douter du bien-fondé de l’expertise du centre d’expertise, notamment en ce qui concernait l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité. Les experts avaient évalué chaque atteinte séparément (affections oculaires 5%; dommages esthétiques 10%; arthrose modérée genou droit 10%; arthrose modérée genou gauche 10%; arthrose avancée huméro-cubitale coude gauche mais pronosupination pas touchée 15%; syndrome d’apnée obstructive du sommeil 5%), sans tenir compte des aggravations prévisibles qui avaient été estimées par les experts à 25% pour le coude et à 30% pour chacun des genoux. En se fondant sur ces chiffres, le Tribunal fédéral a retenu que le taux total qui en résulterait serait de 115% et dépasserait donc le seuil légal de 100%, raison pour laquelle la cour cantonale ne pouvait pas se fonder sur les conclusions émanant des experts du centre d’expertise (arrêt 8C_554/2019 du 6 juillet 2020 consid. 3.6 et 4).

Malgré cette injonction, la cour cantonale a adressé aux experts judiciaires un questionnaire dans lequel elle indiquait les taux et les atteintes précédemment évalués par les experts du centre d’expertise médicale et leur demandait s’ils pouvaient confirmer ces taux. Cette manière de poser les questions conduit cependant à influencer les experts dans leurs réponses. Par ailleurs, les juges cantonaux semblent avoir déterminé le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en mélangeant les réponses données dans le rapport d’expertise du centre d’expertise médicale avec celles ressortant de l’expertise judiciaire, alors même que le rapport du centre d’expertise médicale avait été qualifié de non probant. Quoi qu’il en soit, l’assurance-accidents a également adressé ses questions aux experts judiciaires, en formulant les questions de manière neutre et ouverte. Aussi, c’est sur cette base qu’il convient de déterminer l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Consid. 4.4
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être évaluée sur la base des éléments suivants:

Sur le plan orthopédique, le spécialiste en orthopédie a indiqué que les atteintes des deux genoux et du coude gauche étaient graves et définitives; il a évalué le taux à 10% pour chaque genou et à 15% pour le coude gauche selon le tableau 5 de la CNA (atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses), en précisant que le taux arithmétique était de 35%, respectivement de 30% après pondération.

Sur le plan ophtalmologique, le spécialiste en neurologie, chef de clinique en neuro-ophtalmologie, et le spécialiste FMH en ophtalmologie ont retenu une indemnité pour atteinte à l’intégrité globale de 15%, se composant d’un taux de 10% pour la diplopie binoculaire sur limitation de l’élévation de l’oeil gauche et d’un taux de 5% pour la sécheresse oculaire, en précisant que cette dernière était probablement liée à une atteinte antérieure, qui avait très probablement été aggravée par l’accident.

Sur le plan otorhinolaryngologique, le spécialiste en ORL n’a pas retenu d’atteinte à l’intégrité.

 

Consid. 4.5
Au vu de ces appréciations médicales, il y a lieu de constater avec l’assurance-accidents que sur le plan esthétique, aucune atteinte à l’intégrité n’a été retenue par les experts judiciaires et que sur le plan orthopédique, ceux-ci ont retenu un taux pondéré de 30%. En additionnant ainsi les taux de 30% (sur le plan orthopédique) et de 15% (sur le plan ophtalmologique), le taux global de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité s’élève à 45% (cf. arrêt U 23/87 du 6 avril 1989 consid. 3f, publié in RAMA 1989 U 78 p. 357). On rappellera aussi que selon l’art. 36 al. 3 OLAA, en cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est fixée d’après l’ensemble du dommage. En pratique, il est recommandé d’évaluer d’abord chaque dommage séparément et ensuite de procéder à une évaluation globale des atteintes (cf. THOMAS FREI, Die Integritätsentschädigung nach Art. 24 und 25 des Bundesgesetzes über die Unfallversicherung, thèse Fribourg 1998, p. 45). Même si en l’occurrence, une appréciation globale des atteintes à l’intégrité n’a pas été effectuée dans le cadre de l’évaluation consensuelle de l’expertise, le taux de 45% qu’on obtient en additionnant les taux individuels apparaît néanmoins équitable, dès lors que les atteintes concernent différentes parties du corps, qui n’ont pas d’influence les unes sur les autres (cf. FREI, loc. cit.).

Consid. 4.6
Au vu de ce qui précède, l’intimé a droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 45%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_643/2022 consultable ici

 

9C_388/2022 (f) du 27.04.2023 – Devoir de collaborer de l’assuré durant la procédure d’instruction – Conséquences d’une violation de ce devoir – 43 LPGA / Refus de l’assuré de se rendre à l’expertise en raison de troubles psychiques

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_388/2022 (f) du 27.04.2023

 

Consultable ici

 

Devoir de collaborer de l’assuré durant la procédure d’instruction – Conséquences d’une violation de ce devoir / 43 LPGA

Refus de l’assuré de se rendre à l’expertise en raison de troubles psychiques

Libre choix de l’office AI de rendre une décision de non-entrée en matière au lieu d’examiner la demande de l’assuré en l’état du dossier / 43 al. 3 LPGA

Conséquence en cas de nouvelle demande ou lorsque l’assuré se déclare après coup prêt à se soumettre à l’expertise envisagée

 

Dépôt de la demande AI en février 2018 par l’assuré, né en 1973. Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a ordonné une expertise bidisciplinaire (psychiatrie et médecine interne-cardiologie) et en a informé l’assuré par courrier du 20.01.2020. L’intéressé ne s’étant pas présenté à l’expertise, l’administration l’a mis en demeure de respecter son devoir de collaborer, en lui indiquant qu’un défaut de collaboration pouvait conduire à une décision en l’état du dossier ou à un refus d’entrer en matière sur la demande (courrier du 19.05.2020). Après que l’assuré a produit un certificat médical d’un médecin praticien, du 20.05.2020, attestant de son appartenance à un groupe à risque et lui déconseillant d’emprunter les transports publics en raison de la pandémie de maladie à coronavirus 2019, l’office AI l’a sommé de collaborer activement à la procédure, en lui rappelant les conséquences d’un défaut de collaboration (courrier du 12.10.2020).

A la suite d’un courriel de l’assuré, par lequel il expliquait notamment souffrir de phobies sociales aiguës et d’agoraphobie l’empêchant de prendre les transports publics, l’administration a confirmé la nécessité d’une expertise, en lui rappelant également son obligation de collaborer; elle l’a convoqué auprès d’un centre d’expertises (courrier du 22.04.2021). L’assuré a ensuite produit une attestation de son médecin traitant, spécialiste en médecine interne générale et en psychiatrie et psychothérapie d’enfants et d’adolescents, datée du 17.08.2021. Par décision incidente du 30.09.2021, l’office AI a maintenu la nécessité de l’expertise; il a également informé l’assuré de la prise en charge des frais pour un transport individuel. Après que le centre d’expertises lui a fait savoir, le 15.10.2021, que l’assuré avait déclaré refuser de donner suite à la convocation pour l’expertise prévue, l’administration a refusé d’entrer en matière sur la demande de prestations, par décision du 11.01.2022.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 24.06.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Il n’y a violation de l’obligation de collaborer par l’assuré au sens de l’art. 43 al. 3 LPGA que si elle a été commise de manière inexcusable. En ce sens, elle doit être fautive, ce qui est le cas lorsqu’aucun motif justificatif n’est reconnaissable ou que le comportement de la personne assurée s’avère totalement incompréhensible (arrêt I 166/06 du 30 janvier 2007 consid. 5.1 et les références; sur les motifs rendant le défaut de collaboration excusable, cf. arrêt 8C_733/2010 du 10 décembre 2010 consid. 5.3 et les références).

Consid. 5.1
C’est en vain que l’assuré allègue d’abord, en se référant aux avis de son médecin traitant, que son refus de se rendre au centre d’expertises médicales mandaté par l’office AI est excusable. Contrairement à ce qu’il affirme, le psychiatre traitant s’est référé à la question des déplacements lorsqu’il a mentionné qu’une éventuelle convocation pour une expertise en Suisse allemande n’était pas envisageable pour le moment. Le médecin a mis en lien l’incapacité de son patient de se soumettre à l’expertise avec son impossibilité à utiliser les transports publics (« Concernant une éventuelle convocation de l’AI pour une évaluation en Suisse allemande, je pense qu’une telle intervention n’est pas envisageable pour le moment et devrait être reportée ultérieurement. En effet, l’idée d’utiliser les transports publics n’est pas envisageable pour le moment »). Si le psychiatre traitant a certes mentionné que la confrontation avec le monde extérieur, le stress ou les conflits font rapidement apparaître des attitudes de fuite et de replis, aggravant ainsi les symptômes dépressifs, il n’a cependant pas indiqué que l’assuré était dans l’impossibilité totale de se déplacer ou de se soumettre à une évaluation médicale. La constatation de la juridiction cantonale selon laquelle le psychiatre traitant n’a pas exclu expressément tout déplacement en véhicule privé, n’est donc pas manifestement inexacte et le Tribunal cantonal pouvait en inférer sans arbitraire qu’il était exigible de l’assuré de se rendre au centre d’expertises en transport individuel, par un service de transport pour personnes handicapées, comme l’avait proposé l’office AI.

Consid. 5.2
A l’inverse de ce que soutient ensuite l’assuré, sa situation n’est pas comparable à celle décrite dans l’arrêt 8C_396/2012 du 16 octobre 2012, dès lors déjà que l’assurée n’avait pas refusé de se soumettre à l’expertise ordonnée, mais simplement informé le centre d’expertises, puis l’assureur social compétent, que les dates d’examen proposées ne lui convenaient pas, en sollicitant un report de celles-ci. En l’espèce, selon les informations que le centre d’expertises a données à l’office AI – que l’assuré n’a jamais contestées – l’assuré a en revanche indiqué au centre qu’il ne donnerait pas suite à la convocation, pour des raisons personnelles, quelle que soit la date choisie, en précisant être conscient des conséquences de son refus.

L’assuré ne saurait rien déduire non plus en sa faveur de l’arrêt I 166/06 du 30 janvier 2007. Il s’agissait alors d’une assurée qui avait demandé, par l’intermédiaire de son médecin traitant, que l’expertise ordonnée par l’office AI ne soit pas effectuée à Bâle, mais à Zurich, où elle était domiciliée. Le Tribunal fédéral a considéré que l’intéressée n’avait pas violé de manière inexcusable son obligation de collaborer au sens de l’art. 43 al. 3 LPGA, car son médecin traitant avait attesté qu’un voyage à Bâle eût amené sa patiente aux limites de sa capacité de coopération et qu’en raison de ses atteintes à la santé, elle n’eût probablement pas été en mesure d’honorer les rendez-vous à Bâle (arrêt I 166/06 précité consid. 5.2). Or tel n’est pas le cas en l’occurrence, puisque le psychiatre traitant n’a pas exclu que son patient pût se rendre au centre d’expertises suisse allemand par le biais d’un service de transport pour personnes handicapées.

 

Consid. 5.3
L’assuré ne peut pas davantage être suivi lorsqu’il reproche à l’office AI de s’être « obstiné » à le faire examiner dans un centre d’expertises en Suisse allemande, sans avoir tenté de trouver une solution consensuelle, alors même qu’il avait demandé à plusieurs reprises d’être examiné par des experts francophones dans un centre d’expertises en Suisse romande. Si l’assuré a certes demandé à être examiné par des experts francophones dans un courriel du 13.10.2020, il n’a par la suite pas réitéré sa demande. Une fois informé de l’identité des experts du centre suisse allemand (courriers de l’office AI du 10.09.2021 et du centre d’expertise du 13.09.2021), l’assuré s’est en effet contenté de requérir que les informations relatives à l’expertise lui soient transmises en français (courriel du 20.09.2021). Après avoir reçu les informations demandées dans sa langue maternelle (courriel du centre d’expertises du 21.09.2021), l’assuré ne s’est plus manifesté. Dans ces conditions, l’office AI pouvait inférer de l’absence de réaction de l’assuré qu’il avait renoncé à une expertise en langue française dans le cadre du nouveau centre désigné. On rappellera au demeurant que lorsque l’administration ne donne pas suite à la demande d’un assuré de désigner un centre d’expertise où l’on s’exprime dans l’une des langues officielles de la Confédération qu’il maîtrise, l’intéressé a le droit non seulement d’être assisté par un interprète lors des examens médicaux mais encore d’obtenir gratuitement une traduction du rapport d’expertise (ATF 127 V 219 consid. 2b/bb; cf. aussi arrêt 9C_259/2022 du 20 septembre 2022 consid. 5.2 et les arrêts cités). Or en l’espèce, l’assuré ne prétend pas que la compréhension linguistique entre lui et les experts ne serait pas suffisante, en présence d’un interprète, pour garantir une expertise revêtant un caractère à la fois complet, compréhensible et concluant.

 

Consid. 5.4
L’assuré ne peut finalement rien tirer en sa faveur du fait que le refus de l’office AI d’entrer en matière sur sa demande de prestations a des conséquences financières importantes pour lui. Il soutient à cet égard que le refus de prestations ne devait pas « être décidé à la légère » et reproche à la juridiction cantonale de ne pas avoir examiné si la décision litigieuse était correcte à la lumière des pièces du dossier, que l’office AI aurait dû apprécier sous l’angle matériel.

Consid. 5.4.1
Le grief de l’assuré est mal fondé, dans la mesure où il est soulevé en lien avec l’affirmation que le caractère excusable du comportement de l’assuré est établi. Dès lors que tel n’est pas le cas en l’espèce, la juridiction cantonale – pas plus du reste que l’office AI – n’avait pas à examiner la demande « en l’état du dossier », l’art. 43 al. 3 LPGA prévoyant une alternative à cet égard. Conformément à cette disposition, lorsque l’assuré refuse de manière inexcusable de se conformer à son obligation de renseigner ou de collaborer à l’instruction, l’assureur peut en effet se prononcer en l’état du dossier ou clore l’instruction et décider de ne pas entrer en matière.

Consid. 5.4.2
Le dépôt d’une nouvelle demande ensuite de la décision de non-entrée en matière a certes pour conséquence que le droit à d’éventuelles prestations d’assurance ne pourra effectivement prendre naissance au plus tôt qu’à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle cette nouvelle demande a été présentée (cf. art. 29 al. 1 LAI). Cela étant, cette situation est la conséquence juridique de la violation, par l’assuré, de son devoir de collaborer à l’instruction (art. 43 al. 3 LPGA). Selon la jurisprudence, en effet, l’assureur social peut, conformément au principe de proportionnalité, suspendre ses prestations, respectivement ne pas entrer en matière sur la demande, jusqu’à ce que l’assuré se déclare prêt à se soumettre sans réserve à l’expertise ordonnée par une décision entrée en force. Mais l’accord de l’assuré à la mesure d’instruction ordonnée, exprimé postérieurement au prononcé de la décision fondée sur l’art. 43 al. 3 LPGA, ne rend pas sans effet le refus initial ayant entraîné la non-entrée en matière. C’est pourquoi un recours dans lequel l’assuré se déclare après coup prêt à se soumettre à l’expertise envisagée doit, cas échéant, être considéré comme une nouvelle demande. Ce nouvel examen du droit à la prestation pour le futur permet, sous l’angle du principe de la proportionnalité, de prendre en considération le fait que la sanction décidée (en l’espèce, non-entrée en matière) ne concerne que la période pendant laquelle l’assuré refuse de collaborer (ATF 139 V 585 consid. 6.3.7.5; arrêt 9C_477/2018 du 28 août 2018 consid. 5.1 et les arrêts cités). L’arrêt 9C_961/2008 du 30 novembre 2009, auquel l’assuré se réfère, ne lui est d’aucun secours, dès lors déjà qu’il s’agissait d’un cas de révision (art. 17 LPGA) et que l’alternative du refus d’entrer en matière n’était donc pas pertinente (cf. arrêt 9C_961/2008 précité consid. 6.3.2). Conformément aux éventualités prévues par l’art. 43 al. 3 LPGA, l’office AI était en droit de choisir de rendre une décision de non-entrée en matière au lieu d’examiner la demande de l’assuré en l’état du dossier. Le reproche soulevé à ce sujet n’est pas pertinent. La juridiction cantonale n’avait pas à examiner la décision de l’office AI « sous l’angle matériel ».

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_388/2022 consultable ici

 

9C_457/2022 (f) du 03.04.2023 – Conditions pour révision procédurale de décision entrée en force – 53 al. 1 LPGA / Délais applicables en matière de révision – Délai de péremption absolu de 10 ans – 55 al. 1 PA – 67 al. 1 PA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_457/2022 (f) du 03.04.2023

 

Consultable ici

 

Conditions pour révision procédurale de décision entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Délais applicables en matière de révision – Délai de péremption absolu de 10 ans / 55 al. 1 PA – 67 al. 1 PA

 

Assuré a déposé une première demande de prestations de l’assurance-invalidité le 12.10.2004. Dans le cadre de l’instruction de cette demande, l’office AI a notamment mis en œuvre une expertise psychiatrique. Le 15.11.2007, l’office AI a, en se fondant sur les conclusions de l’expertise psychiatrique, nié le droit de l’assuré à des prestations de l’assurance-invalidité.

Par décision du 29.08.2013, l’office AI a rejeté la deuxième demande de prestations déposée par l’assuré en date du 10.05.2012. Il a constaté qu’il n’existait aucun fait médical nouveau depuis la décision du 15.11.2007.

Le 05.01.2021, l’assuré a déposé une troisième demande de prestations. Par décision du 02.09.2021, l’office AI a rejeté cette nouvelle demande.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 363/21 – 273/2022 – consultable ici)

Par jugement du 29.08.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision du 02.09.2021 et renvoyant la cause à l’office AI pour qu’il complète l’instruction dans le sens des considérants puis rende une nouvelle décision.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant.

Aussi, par analogie avec la révision des décisions rendues par les autorités judiciaires, l’administration est tenue de procéder à la révision (dite procédurale) d’une décision formellement passée en force lorsque sont découverts des faits nouveaux importants ou de nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits avant et qui sont susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 148 V 277 consid. 4.3 et la référence). La notion de faits ou moyens de preuve nouveaux s’apprécie de la même manière en cas de révision (dite procédurale) d’une décision administrative (art. 53 al. 1 LPGA), de révision d’un jugement cantonal (art. 61 let. i LPGA) ou de révision d’un arrêt du Tribunal fédéral fondée sur l’art. 123 al. 2 let. a LTF (qui correspond à l’ancien art. 137 let. b OJ et auquel s’applique la jurisprudence rendue à propos de cette norme, cf. ATF 144 V 245 consid. 5.1). La révision suppose la réalisation de cinq conditions:

  1. le requérant invoque un ou des faits;
  2. ce ou ces faits sont « pertinents », dans le sens d’importants (« erhebliche »), c’est-à-dire qu’ils sont de nature à modifier l’état de fait qui est à la base du jugement et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte;
  3. ces faits existaient déjà lorsque le jugement a été rendu: il s’agit de pseudo-nova (« unechte Noven »), c’est-à-dire de faits antérieurs au jugement ou, plus précisément, de faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables;
  4. ces faits ont été découverts après coup (« nachträglich »), soit postérieurement au jugement, ou, plus précisément, après l’ultime moment auquel ils pouvaient encore être utilement invoqués dans la procédure principale;
  5. le requérant n’a pas pu, malgré toute sa diligence, invoquer ces faits dans la procédure précédente (ATF 143 III 272 consid. 2.2; arrêt 8C_562/2020 du 14 avril 2021 consid. 3.2).

Consid. 3.2
S’agissant des délais applicables en matière de révision, l’art. 53 al. 1 LPGA n’en prévoit pas. En vertu du renvoi prévu par l’art. 55 al. 1 PA, sont déterminants les délais applicables à la révision de décisions rendues sur recours par une autorité soumise à la PA (ATF 143 V 105 consid. 2.1). A cet égard, l’art. 67 al. 1 PA prévoit un délai (de péremption) absolu de dix ans dès la notification de la décision sur recours (soit la décision soumise à révision; ATF 148 V 277 consid. 4.3). La jurisprudence a précisé que ce délai absolu de dix ans était aussi applicable lorsque la révision procédurale porte sur une décision de l’administration (ATF 140 V 514 consid. 3.3; arrêt 8C_377/2017 du 28 février 2018 consid. 7.2 et la référence).

Après dix ans, la révision ne peut être demandée qu’en vertu de l’art. 66 al. 1 PA (art. 67 al. 2 PA; ATF 140 V 514 consid. 3.3). Aux termes de cette disposition, l’autorité de recours procède, d’office ou à la demande d’une partie, à la révision de sa décision lorsqu’un crime ou un délit l’a influencée.

Consid. 3.3
Sur le vu des éléments qui précèdent, la demande de révision procédurale de la décision du 15.11.2007 devait être adressée par écrit à l’autorité qui a rendu la décision dans les 90 jours qui suivaient la découverte du motif de révision, mais au plus tard dix ans après la notification de la décision (art. 67 al. 1 PA en corrélation avec l’art. 55 al. 1 LPGA; arrêt 8C_434/2011 du 8 août 2011 consid. 3, in SVR 2012 UV n° 17 p. 63). En agissant le 05.01.2021, soit plus de 13 ans après la notification de la décision du 15.11.2007, l’assuré a agi tardivement. Il ne prétend par ailleurs pas qu’un crime ou un délit a influencé cette décision (révision « propter falsa », au sens de l’art. 66 al. 1 PA).

Dans ces conditions, le droit de demander la révision procédurale de la décision du 15.11.2007, fondée sur les irrégularités alléguées de l’expertise psychiatrique du 25.11.2005, était périmé au moment où l’assuré s’en est prévalu le 05.01.2021. Les conditions d’une révision procédurale au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA ne sont dès lors pas réalisées, sans qu’il y ait lieu de trancher les autres questions soulevées dans le recours.

Consid. 4
L’introduction du délai absolu de 10 ans de l’art. 67 al. 2 PA a pour double finalité de garantir la sécurité juridique et de faciliter le bon fonctionnement de l’administration, en stabilisant définitivement des rapports de droit après l’écoulement d’un certain temps, sans que cette durée ne puisse être prolongée. Aussi, après un délai de 10 ans, l’assuré ne saurait demander la révision procédurale de la décision du 15.11.2007 qui est entrée en force, ni la révision procédurale de la décision ultérieure du 29.08.2013 en raison d’éléments – l’expertise psychiatrique du 25.11.2005 – qui ont déjà fondé la décision du 15.11.2007.

A moins qu’il existe un motif de révision matérielle (art. 17 LPGA), l’autorité de la chose décidée interdit de recommencer la procédure qui a conduit à la décision du 15.11.2007 sur le même objet. Pour demander la révision procédurale de la décision du 29.08.2013, l’assuré devait invoquer, conformément aux exigences découlant de la sécurité du droit, des faits nouveaux importants ou des nouveaux moyens de preuve qui ne fondent pas déjà la décision du 15.11.2007. La répétition des moyens invoqués tardivement pour demander la révision de la décision du 15.11.2007 ne saurait par conséquent ouvrir la voie de la révision « propter nova » de la décision du 29.08.2013.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_457/2022 consultable ici

 

9C_523/2022 (f) du 30.03.2023 – Révision d’une rente d’invalidité / Obligation d’annonce de l’assuré – 31 LPGA – 77 RAI / Détermination du revenu sans invalidité selon la table ESS TA1 et non T1_b / Niv. de comp. 2 pour le revenu sans invalidité pour un carrossier indépendant

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_523/2022 (f) du 30.03.2023

 

Consultable ici

 

Révision d’une rente d’invalidité / 17 LPGA

Obligation d’annonce de l’assuré / 31 LPGA – 77 RAI

Détermination du revenu sans invalidité selon la table ESS TA1 et non T1_b / 16 LPGA

Niveau de compétences 2 pour le revenu sans invalidité pour un carrossier indépendant

Frais d’expertise privée à charge de l’office AI / 45 LPGA

 

Assuré, né en 1973, a travaillé depuis 1998 comme carrossier à titre indépendant. Par décision du 19.03.2012, l’office AI lui a reconnu le droit à un quart de rente d’invalidité du 01.08.2006 au 31.08.2010, puis à une rente entière dès le 01.09.2010. Le droit à la rente a été confirmé par communication du 06.09.2013.

En 2015, après avoir eu connaissance de l’inscription au registre du commerce, en date du 18.06.2013, de la société B.__ SA, dont l’administrateur unique avec signature individuelle était l’assuré, l’office AI a initié une révision du droit à la rente. L’office AI a notamment soumis l’assuré à une expertise auprès d’un spécialiste en médecine interne générale et en rhumatologie. Il a ensuite supprimé la rente d’invalidité de l’assuré avec effet rétroactif au 01.06.2013 (décisions des 18.04.2017 et 12.05.2017).

Saisie d’un recours de l’assuré contre la décision du 18.04.2017, la juridiction cantonale l’a admis, après avoir notamment diligenté une expertise bidisciplinaire (médecine interne générale et en rhumatologie et psychiatrie et psychothérapie). Elle a annulé la décision litigieuse et renvoyé la cause à l’office AI pour qu’il procède au calcul du taux d’invalidité de l’assuré en 2013, puis rende une nouvelle décision sur le droit à des prestations de l’assurance-invalidité dès le 01.06.2013. Par décisions des 03.07.2020 et 28.07.2020, l’administration a reconnu le droit de l’assuré à trois quarts de rente à partir du 01.06.2013.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 224/20 & AI 272/20 – 300/2022 – consultable ici)

Par jugement du 03.10.2022, rejet par le tribunal cantonal du recours formé par l’assuré contre ces décisions.

 

TF

Consid. 4

Dans l’arrêt entrepris du 03.10.2022, les juges cantonaux ont examiné si le calcul du taux d’invalidité de l’assuré opéré par l’office AI était ou non critiquable. Ils ont d’abord confirmé le revenu d’invalide arrêté par l’office AI, dans sa décision du 03.07.2020, à 26’499 fr. 46 (en se référant aux salaires statistiques de l’Enquête suisse sur la structure des salaires [ESS] 2012, tableau TA1, niveau de compétence 1, après adaptation à la durée hebdomadaire moyenne usuelle dans les entreprises en 2013 [41,7 heures] et compte tenu d’une capacité de travail de 50% avec une baisse de rendement moyenne de 15% et d’un abattement de 5%). Ensuite, ils ont fixé le revenu de valide à 70’781 fr. 94 (et non à 73’508 fr., comme l’avait fait l’office AI en application de la méthode extraordinaire à la suite de sa décision du 19 mars 2012). Pour ce faire, la juridiction cantonale s’est fondée sur le tableau TA1 de l’ESS 2012, niveau de compétence 2 dans le secteur du commerce de gros et de la réparation d’automobiles (lignes 45-46 du TA1_skill_level, secteur privé), soit un salaire mensuel de 5’539 fr., qu’elle a adapté à la durée hebdomadaire moyenne usuelle de la branche considérée en 2013 [42,3 heures] et indexé à l’année 2013. Après comparaison des revenus avec et sans invalidité, il en résultait un taux d’invalidité de 63%, ouvrant le droit à trois quarts de rente depuis juin 2013.

 

Consid. 5.4
Le grief de l’assuré tiré de la « soi-disant » violation de son devoir d’informer l’office AI en lien avec l’inscription d’une société au registre du commerce en 2013 n’est pas davantage fondé. On rappellera qu’en vertu des art. 31 LPGA et 77 RAI, les assurés sont tenus de communiquer les activités exercées, en tout temps. Chaque assuré doit annoncer immédiatement toute modification de la situation susceptible d’entraîner la suppression, une diminution ou une augmentation de la prestation allouée, singulièrement une modification du revenu de l’activité lucrative, de la capacité de travail ou de l’état de santé lorsqu’il est au bénéfice d’une rente d’invalidité. Pareille obligation était d’ailleurs mentionnée dans la décision d’octroi de rente du 19.03.2012, ainsi que dans la communication du 06.09.2013 confirmant le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité.

En l’espèce, il n’appartenait pas à l’assuré de choisir les activités qu’il devait annoncer à l’office AI. Il ne pouvait en effet pas ignorer que l’exercice d’une activité, quelle qu’elle fût, était susceptible d’entraîner une nouvelle appréciation de ses capacités de travail et de gain, pouvant aboutir le cas échéant à une modification de la rente, ce qui s’est d’ailleurs produit à l’issue de l’instruction du cas. Le fait de créer une société anonyme, d’en être l’administrateur unique et de s’impliquer dans son fonctionnement, même à titre « occupationnel » et sans en retirer « un quelconque revenu » comme le soutient l’assuré, constituait des circonstances qui devaient être annoncées à l’office AI, dans la mesure où elles étaient susceptibles d’avoir une influence sur son droit aux prestations (cf. arrêts 9C_16/2019 du 25 avril 2019 consid. 7; 9C_107/2017 du 8 septembre 2017 consid. 5.1). Partant, en retenant que l’assuré avait contrevenu à son obligation de renseigner en n’informant pas l’office AI de la création de B.__ SA, avec pour conséquence qu’elle a confirmé, dans l’arrêt incident du 10.11.2016, qu’une éventuelle suppression ou diminution du droit à la rente pouvait prendre effet de manière rétroactive au 01.06.2013, en application de l’art. 88bis al. 2 let. b RAI, la juridiction cantonale n’a pas violé le droit.

Consid. 5.5
Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de s’écarter des considérations de l’instance précédente, selon lesquelles l’assuré dispose d’une capacité de travail de 50% avec une diminution de rendement de 10 à 20% depuis 2013 et qu’une éventuelle suppression ou diminution du droit à la rente pourrait, selon le taux d’invalidité de l’assuré en 2013, prendre effet de manière rétroactive au 01.06.2013 (art. 88bis al. 2 let. b RAI), au vu de la violation de l’obligation de renseigner. Le recours est mal fondé sur ce point.

 

Consid. 6.2
Concernant d’abord le grief de l’assuré relatif au « Choix du tableau ESS« , on rappellera que selon la jurisprudence, les statistiques du tableau TA1, secteur privé, salaires bruts standardisés sont en principe déterminantes (ATF 126 V 75 consid. 7a; 124 V 321 consid. 3b/aa; arrêt 8C_128/2022 du 15 décembre 2022 consid. 6.2.1). En l’occurrence, les juges cantonaux ont considéré il n’y avait pas lieu d’appliquer la table T1_b, qui regroupe les données salariales des secteurs privés et publics confondus. En ce qu’il se limite à affirmer, en citant des extraits de jurisprudence, que « [t]out indique » qu’il faut appliquer le tableau T1_b, branche 45-47 « commerce, réparation d’automobiles », de l’ESS 2012, en tenant compte du niveau de compétence maximal, avec pour conséquence, selon lui, que le revenu de valide devait être fixé à 119’553 fr., l’assuré ne fait pas état de circonstances qui justifieraient de ne pas appliquer le TA1 de l’ESS 2012 en l’espèce. Il ne conteste en particulier pas les constatations cantonales selon lesquelles, avant ses problèmes de santé, il n’avait été actif que dans le secteur privé. Partant, le grief de l’assuré est mal fondé.

Consid. 6.3
L’assuré reproche également à la juridiction de première instance d’avoir pris comme référence le niveau de compétence 2 du TA1 de l’ESS 2012, dans le secteur du commerce de gros et de la réparation d’automobiles (lignes 45-46 du TA1_skill_level, secteur privé). Il soutient, en se référant à sa fonction de « chef d’entreprise avec deux employés », qu’un niveau de compétence plus élevé devait être retenu.

Consid. 6.3.1
Le choix du niveau de compétence est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4). A la suite des juges cantonaux, on rappellera que depuis la dixième édition de l’ESS 2012, les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession (arrêt 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.2.3 et les arrêts cités). Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 précité consid. 4.2.3 et les arrêts cités).

Consid. 6.3.2
Selon les constatations de la juridiction cantonale, non contestées par l’assuré, il est titulaire d’un CFC de tôlier en carrosserie, effectuait tous types de travaux de carrosserie dans son entreprise, s’occupait des contacts, ainsi que des devis et factures, et avait deux employés. Cette activité coïncide avec la définition du niveau de compétence 2 (comp. arrêt 8C_444/2021 précité consid. 4.2.4). En ce qui concerne l’expérience professionnelle de plusieurs années dont peut se prévaloir l’assuré – sans formation commerciale ni autres qualifications particulières acquises pendant l’exercice de la profession -, elle ne justifie pas à elle seule un classement supérieur au niveau de compétence 2 (cf. arrêts 8C_581/2021 du 19 janvier 2022 consid. 4.4; 9C_148/2016 du 2 novembre 2016 consid. 2.2), comme l’ont dûment rappelé les juges cantonaux. Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter du revenu sans invalidité qu’ils ont arrêté à 70’781 fr. 94. Le recours est mal fondé sur ce point également.

 

Consid. 7.1
L’assuré se plaint finalement d’une violation de l’art. 45 LPGA, en ce que la juridiction cantonale n’a pas mis les frais d’établissement de l’expertise du docteur G.__ du 18.07.2016 (1’500 fr.) à la charge de l’office AI. Il fait valoir à cet égard que l’expertise privée « a joué un rôle déterminant dans la résolution du litige », puisque le docteur G.__ aurait démontré que les conclusions du docteur C.__ étaient en contradiction avec la doctrine médicale, et affirme que sans celle-ci, le Tribunal cantonal n’aurait pas mis en œuvre l’expertise judiciaire bidisciplinaire.

Consid. 7.2
Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures; à défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’expertise font partie des frais de procédure. Les frais d’expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c; arrêt 9C_519/2020 du 6 mai 2021 consid. 2.2 et les arrêts cités).

Consid. 7.3
En l’espèce, dans l’arrêt du 02.12.2019, la juridiction cantonale a rejeté la demande de l’assuré au motif que le rapport du docteur G.__ du 18.07.2016 n’avait pas permis d’établir de manière concluante l’état de fait médical en palliant un défaut d’instruction de la part de l’office AI. Or dans la mesure où elle a considéré qu’une expertise judiciaire « s’avérait nécessaire afin de départager l’avis du [docteur] G.__ de celui du [docteur] C.__ », il convient d’admettre que le rapport du docteur G.__ a joué un rôle déterminant dans la résolution du litige. Par conséquent, les frais relatifs à cette expertise doivent être imputés à l’office AI. Le recours est bien fondé sur ce point.

Etant donné l’issue de la procédure, qui repose sur une situation juridique claire et dans laquelle l’assuré obtient gain de cause sur un point très accessoire, il convient de renoncer à un échange d’écritures (art. 102 al. 1 LTF; cf. arrêt 9C_474/2021 du 20 avril 2022 consid. 6.4 et la référence).

 

Le TF admet très partiellement le recours de l’assuré, réformant le jugement cantonal réformé en ce sens que les frais de l’expertise du docteur G.__ du 18 juillet 2016 (1’500 fr.) sont mis à la charge de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_523/2022 consultable ici