Archives par mot-clé : Affections psychosomatiques

8C_520/2023 (f) du 28.02.2024 – Valeur probante de l’expertise médicale – Contradiction entre les experts dans l’évaluation consensuelle – 44 LPGA / Vraisemblance d’un diagnostic somatique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_520/2023 (f) du 28.02.2024

 

Consultable ici

 

Valeur probante de l’expertise médicale – Contradiction entre les experts dans l’évaluation consensuelle / 44 LPGA

Vraisemblance d’un diagnostic somatique

 

L’assurée, née en 1970 et domiciliée en France, a travaillé en Suisse dans la gestion de projets. Elle a subi deux accidents : une blessure à la main gauche le 28.03.2015 et une collision frontale en voiture le 02.03.2017, causant diverses contusions.

L’office AI a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire (médecine interne, psychiatrie, neurologie et orthopédie). Dans leur rapport du 30.10.2018, les experts n’ont diagnostiqué aucune atteinte ayant un impact sur sa capacité de travail, estimant celle-ci complète sauf pour de courtes périodes après les accidents et lors d’hospitalisations.

Dans un avis du 05.02.2019, la médecin du SMR, s’écartant des conclusions des médecins experts, a retenu que l’assurée avait présenté une incapacité de travail totale du 02.03.2017 au 31.10.2018, en raison d’un probable syndrome douloureux régional complexe (SDRC) à la main gauche, la capacité de travail étant entière à compter de cette dernière date.

Par décisions du 18.01.2021, l’Office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (OAIE) a alloué à l’assurée un quart de rente d’invalidité pour la période du 01.10.2016 au 21.05.2017, une rente entière du 01.06.2017 au 31.01.2019, ainsi que les rentes pour enfants liées à ces prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt C-884/2021 – consultable ici)

Par jugement du 08.06.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 7.1 [résumé]
L’assurée conteste la décision de la juridiction de première instance, arguant d’un établissement inexact des faits et d’une appréciation arbitraire des preuves. Elle critique la primauté accordée aux conclusions des médecins experts sur les autres documents médicaux. Elle met en avant un rapport du Dr C.__, spécialiste en chirurgie thoracique, daté du 29.03.2019, qui pose un nouveau diagnostic : un syndrome du défilé thoracique à compensation neurogène et veineuse. Ce diagnostic, établi après un examen approfondi et des consultations avec d’autres spécialistes, expliquerait ses symptômes et remettrait en question le diagnostic d’entorse chondro-sternale. L’assurée souligne que ce nouveau diagnostic, ainsi que la proposition de prise en charge chirurgicale, démontreraient l’existence d’une pathologie somatique réelle, contrairement aux conclusions des experts. Elle argue que de nombreux documents médicaux confirment son incapacité de travail et ses limitations fonctionnelles. Elle estime que les experts, n’ayant pas eu connaissance de cette nouvelle appréciation, n’auraient pas dû être suivis dans leurs conclusions. Elle critique également le fait que les juges aient écarté les limitations fonctionnelles liées aux effets secondaires de sa médication.

 

Consid. 7.2.1
Selon les faits constatés par les premiers juges – qui lient le Tribunal fédéral – une IRM de la cage thoracique pratiquée le 05.07.2017 a mis en évidence une disjonction (ou entorse) chondro-sternale au niveau du premier arc à droite, associée à une importante réaction inflammatoire. Par la suite, ce diagnostic a été repris par plusieurs médecins, notamment ceux de la Clinique de réadaptation dans un rapport de sortie du 03.07.2018, certains, comme ceux de l’hôpital D.__, le qualifiant ou le mettant en lien avec une pseudarthrose.

Consid. 7.2.2
Il ressort en outre des constatations de la cour cantonale que les médecins experts ont fait état d’une douleur thoracique antérieure irradiant dans le membre supérieur droit, avec douleur non systématisée de la main droite depuis mars 2017 (pseudarthrose costale). Ils n’en ont toutefois déduit aucune incapacité de travail. Certaines de leurs explications – exposées dans l’arrêt entrepris – en lien avec la pathologie observée s’avèrent toutefois discordantes et donc peu convaincantes. Dans leur évaluation consensuelle, ils ont tout d’abord relevé, au plan orthopédique, que « la douleur costale droite séquellaire de l’accident de la circulation, avec pseudarthrose ostéo-chondrale de la première côte, et les douleurs de la main droite, [n’avaient] pas de substrat organique, la pseudarthrose [pouvant] provoquer une gêne mais pas [la] douleur ressentie par la personne assurée » (p. 8 du rapport). Ils ont ensuite indiqué, sur le plan neurologique, que « la douleur parfaitement crédible et objectivée radiologiquement d’une atteinte articulaire costo-sternale de l’articulation entre la première côte et le sternum, dans les suites du choc important que la personne assurée a subi, n'[était] pas discutable », en précisant que les conséquences fonctionnelles (impossibilité d’usage normal du membre supérieur droit) de cette atteinte n’étaient pas explicables par la simple douleur costo-sternale, qui restait aussi importante après une année d’évolution (p. 9 du rapport). Les experts semblent donc se contredire, en excluant d’abord que la pseudarthrose chondro-sternale puisse être à l’origine des douleurs de l’assurée, puis en imputant ces mêmes douleurs à cette atteinte costo-sternale objectivée par IRM. On peut se demander si les experts ont voulu distinguer l’existence ou non de douleurs dues à un substrat organique selon le point de vue orthopédique d’une part, et neurologique d’autre part; cela ne paraît toutefois pas être le cas, dès lors que même au plan neurologique, il est fait référence à une atteinte douloureuse articulaire. Quoi qu’il en soit, les experts ont ensuite exclu tout trouble sur le plan neurologique (p. 10 du rapport).

Consid. 7.2.3 [résumé]
Contrairement aux conclusions de l’expertise, plusieurs médecins ont rapporté des troubles neurologiques chez l’assurée. Le Dr E.__, anesthésiologue, a noté des douleurs sternales et des douleurs neurogènes au membre supérieur droit, avec une asymétrie de température et une tuméfaction de la main droite. La Dre F.__, neurologue, a mentionné des thoracodynies et brachialgies, évoquant une névralgie du nerf inter-costo-brachial, bien que l’examen électroneuromyographique, techniquement difficile, n’ait pu confirmer la pathologie.

Les médecins de l’hôpital D.__ ont diagnostiqué un déconditionnement sur douleur probablement neuropathique au membre supérieur droit, lié à une pseudarthrose chondro-sternale. Plusieurs médecins, dont la Dre F.__ et le Dr G.__, ont souligné la nécessité d’un traitement antalgique important, incluant une médication morphinique.

Consid. 7.2.4 [résumé]
C’est dans ce contexte que le Dr C.__ a émis deux avis sur le cas de l’assurée. Dans son premier avis du 20.03.2019, il a conclu à une entorse chondro-sternale du premier arc droit, sans lien apparent avec les brachialgies et troubles sensitifs décrits. Le 29.03.2019, après une analyse plus approfondie incluant la littérature médicale, la relecture de l’IRM et des discussions avec des collègues de différentes spécialités, il a proposé un nouveau diagnostic : un syndrome du défilé thoracique à composante neurogène et veineuse. Selon le Dr C.__, ce diagnostic expliquerait mieux l’ensemble des symptômes de l’assurée que la seule disjonction chondro-sternale. Il proposait, malgré le contexte psychologique et assécurologique défavorable, une résection de la première côte par voie transaxillaire droite, qui permettrait possiblement de soulager une partie des symptômes.

Les premiers juges ne pouvaient donc manifestement pas constater que le docteur C.__ ne faisait pas état d’éléments objectifs expliquant les plaintes de l’assurée. Quand bien même le syndrome du défilé thoracique n’est cité qu’à titre hypothétique et le rapport du 29.03.2019 est assez sommaire, l’avis du docteur C.__ fait naître, compte tenu des lacunes de l’expertise pluridisciplinaire (cf. consid. 7.2.2 supra) et des rapports faisant état d’une composante neurogène (cf. consid. 7.2.3 supra), de très sérieux doutes sur la pertinence des conclusions de l’expertise concernant l’origine et l’ampleur des atteintes thoraciques et au membre supérieur droit, ainsi que la capacité de travail qui en découle. On ajoutera que les médecine experts n’ont pas été confrontés aux avis postérieurs à leur expertise, en particulier à l’appréciation du docteur C.__.

En vue de lever ces doutes, un complément d’instruction est nécessaire, sous la forme d’une expertise judiciaire, compte tenu par ailleurs des discordances de l’expertise pluridisciplinaire mises en évidences au consid. 7.2.2. Etant donné la nature de l’affection évoquée par le docteur C.__ (syndrome du défilé thoracique à composante neurogène et veineuse), l’expertise devra comprendre un volet neurologique et un volet angiologique.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_520/2023 consultable ici

 

Troubles psychiques : plus d’ouverture dans l’examen du droit à la rente AI

Troubles psychiques : plus d’ouverture dans l’examen du droit à la rente AI

 

Article de Christian Bolliger, Madleina Ganzeboom, Jürg Guggisberg, Tabea Kaderli paru in Sécurité sociale CHSS du 19.09.2024 consultable ici

 

Depuis l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves en 2015, les offices AI examinent avec plus d’ouverture le droit à la rente en cas de troubles psychiques. Aujourd’hui, cette catégorie d’assurés constitue près de la moitié de l’effectif des bénéficiaires de rente.

Depuis 2015, le Tribunal fédéral (TF) a progressivement introduit la procédure structurée d’administration des preuves pour les demandes liées à des troubles psychiques. Cette procédure permet à l’AI d’examiner le droit à la rente des assurés concernés. Comme les conséquences de troubles psychiques sur la capacité de travail de l’assuré sont plus difficiles à établir que celles d’affections d’ordre somatique, les offices AI évaluent cette capacité en se fondant sur certains indicateurs. Ces derniers couvrent, d’une part, la gravité de l’atteinte à la santé, la personnalité et le contexte social dans lequel évolue l’assuré, ainsi que les interactions entre ces trois facteurs. D’autre part, ces indicateurs se rapportent au comportement de l’assuré dans son quotidien, en thérapie et pendant les mesures de réadaptation (ces observations renseignant sur la «cohérence» de l’assuré, voir OFAS 2024, Annexe 1).

De plus, avec la procédure structurée d’administration des preuves, le TF a abandonné l’hypothèse selon laquelle certains troubles psychiques ne sauraient être invalidants, ou alors seulement dans des cas exceptionnels.

 

Changement de paradigme à partir de 2015

En 2015, le TF n’a d’abord introduit la procédure structurée d’administration des preuves que pour les affections psychosomatiques (ATF 141 V 281). Auparavant, l’AI partait du principe que de telles maladies n’entraînaient une invalidité que dans des cas exceptionnels, car elles étaient considérées comme étant en principe curables (présomption de surmontabilité).

Deux ans plus tard, le TF a étendu la procédure structurée d’administration des preuves à toutes les maladies psychiques (ATF 143 V 409). De plus, en cas de dépression légère à modérée, la résistance au traitement n’était plus une condition obligatoire pour qu’un droit à la rente soit examiné de plus près (ATF 143 V 418). En 2019, le TF a finalement reconnu qu’une addiction était également à classer parmi les «états pathologiques» (ATF 145 V 215). C’est depuis cette date que la procédure structurée d’administration des preuves a été mise en œuvre pour les addictions. Auparavant, la dépendance n’était prise en compte par l’AI que si elle était à l’origine d’une maladie invalidante ou d’un accident, ou si, à l’inverse, elle survenait à la suite d’une maladie.

Quel a été l’impact de ces évolutions de la jurisprudence ? C’est la question à laquelle tente de répondre une étude commandée par l’Office fédéral des assurances sociales (Bolliger et al. 2024). L’étude a tout d’abord analysé les effets de la procédure structurée d’administration des preuves sur la méthode de travail des offices AI lors de l’examen des rentes. Ensuite, elle a analysé les documents des offices AI de cinq cantons et conduit des entretiens avec leurs collaborateurs, avec les SMR, ainsi qu’avec les conseillers juridiques des assurés dans les cinq cantons concernés par l’étude. Puis, plusieurs analyses statistiques descriptives et multivariées ont permis de vérifier s’il existait des indices selon lesquels les évolutions de l’interprétation juridique auraient entraîné une hausse notable du nombre de nouvelles rentes.

 

Des décisions plus faciles à comprendre

L’analyse montre que la procédure structurée d’administration des preuves a sensiblement modifié la démarche de fond adoptée par les offices AI dans l’examen du droit à la rente. Les personnes interrogées considèrent que l’évaluation de la capacité de travail est mieux structurée, bien que plus complexe.

Dans l’ensemble, les modifications jurisprudentielles ont contribué à libérer les instructions des préjugés sur ses résultats et à clarifier le processus décisionnel. Bien que certaines personnes externes à l’AI déplorent un usage trop «mécanique» des indicateurs, les décisions de l’AI sont, aux dires des personnes interrogées, plus adéquates que précédemment, en particulier pour ce qui concerne l’addiction, mais également la dépression légère à moyenne. Selon elles, c’est parce qu’un examen approfondi du droit à la rente n’est plus exclu ou entravé par le seul fait du diagnostic.

Le rapprochement entre exigences juridiques et réalité médicale attendu après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves est également perceptible dans les pratiques quotidiennes de l’AI (cf. Jörg Jeger, Die neue Rechtsprechung zu psychosomatischen Krankheitsbildern – eine Stellungnahme aus ärztlicher Sicht, Jusletter du 13 juillet 2015). Quelques-unes des personnes interrogées ont cependant émis des critiques, faisant observer une tendance au retour à une jurisprudence fondée sur le diagnostic, c’est-à-dire à des décisions rendues sur la seule base du diagnostic disponible, sans analyses approfondies et menées au cas par cas des conséquences concrètes de la maladie sur la capacité de travail de l’assuré (cf. aussi Jörg Jeger, BGE 148 V 49: ist das Bundesgericht rückfällig geworden? Gedanken aus medizinischer Sicht, Jusletter du 10 octobre 2022).

 

La compétence professionnelle reste déterminante

L’examen du droit à la rente dans les cas de troubles psychiques demeure néanmoins un exercice complexe, même avec la procédure structurée d’administration des preuves. La compétence professionnelle des centres d’expertises, des SMR, des offices AI et des tribunaux reste cruciale pour une collecte, une description et une interprétation complètes et non biaisées des informations nécessaires.

Pour les acteurs interrogés, c’est l’indicateur «personnalité» (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles) qui est le plus délicat. Des expertises de haute qualité sont indispensables pour pouvoir évaluer au plus juste les interactions entre la personnalité et la maladie – souvent en raison notamment des lacunes que présentent, sur ce point, les rapports médicaux et les rapports destinés aux assurances.

L’examen de cohérence constitue un autre défi. Il est en effet compliqué d’évaluer la capacité de travail d’un assuré en s’appuyant sur son comportement au sein de son ménage ou dans ses loisirs. En outre, il est parfois difficile complexe de déterminer si une participation insuffisante à une thérapie ou à une réadaptation est la conséquence d’une faible souffrance ou si elle découle de la pathologie de l’assuré.

Les personnes interrogées internes et externes à l’AI mentionnent toutes que les expériences et les opinions individuelles des acteurs compétents continuent d’influencer l’instruction et son résultat. L’exemple le plus frappant est le seuil à partir duquel l’addiction est considérée comme une maladie ainsi que l’interprétation de ses effets.

 

Une augmentation disproportionnée

La proportion des nouvelles rentes octroyées à la suite de troubles psychiques par rapport au total des nouvelles rentes a fortement augmenté après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves, passant de 42% en 2017 à 49% en 2021. Cette hausse s’avère disproportionnée même si l’on tient compte des mutations dans la structure de l’effectif des nouvelles rentes concernant l’âge, le sexe, la nationalité et la région linguistique.

Derrière les mutations structurelles se cachent majoritairement des nouvelles rentes dues à des troubles réactifs du milieu ou psychogènes (code 646 de la statistique des infirmités et des prestations). Dans cette catégorie, on trouve probablement aussi de nombreuses personnes souffrant de maladies psychosomatiques ou de dépression, ce qui correspond aux diagnostics pour lesquels le TF a, à partir de 2015, facilité l’accès à un examen de la rente ne préjugeant pas des résultats. L’analyse statistique n’a cependant pas permis de mettre de tels cas en évidence de manière distincte.

D’autres maladies psychiques comme la schizophrénie, les accès maniaques dépressifs et les psychoses ont également contribué à l’augmentation des nouvelles rentes liées à une affection psychique, mais dans une mesure moins prononcée que les troubles réactifs du milieu ou psychogènes. L’augmentation de ces maladies psychiques n’a en effet commencé que plus tard, vers 2020.

C’est environ deux à quatre ans après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves que l’on peut constater une hausse disproportionnée du nombre de nouvelles rentes liées à des troubles psychiques. Elle est particulièrement marquée chez les moins de 35 ans et a commencé plus tôt chez les femmes que chez les hommes, et dans les cantons latins (2015) que dans les cantons alémaniques (2019).

 

Est-il devenu plus facile d’obtenir une rente de l’AI ?

Il semble plausible que les changements de la jurisprudence ici examinés, qui ont mené à un examen plus ouvert du droit à la rente depuis 2015, aient accru la probabilité d’obtenir une rente AI en cas de troubles psychiques. C’est ce que laisse à penser l’augmentation disproportionnée des nouvelles rentes dues à des troubles psychiques. Il n’est cependant pas possible d’apporter la preuve statistique que ces modifications soient à l’origine de cette augmentation. En effet, les données disponibles ne fournissent pas d’informations sur la mise en œuvre de la procédure structurée d’administration des preuves et ne permettent pas d’identifier de manière fiable les rentes octroyées en raison d’infirmités psychosomatiques ou de dépressions.

Afin de permettre aux analyses statistiques d’apporter des réponses plus précises concernant les raisons de l’évolution du nombre de nouvelles rentes (comme un transfert de nouvelles rentes accordées à la suite de troubles non psychiques vers des nouvelles rentes accordées à la suite de troubles psychiques), il serait nécessaire d’identifier systématiquement les lacunes des bases de données disponibles et de les combler de manière ciblée.

 

Résumé du rapport de recherche n° 5/24 « Entwicklung der Neurenten in der Invalidenversicherung: gemischte Methode, Sucht- und psychische Erkrankungen » (en allemand avec résumé en français, en italien et en anglais) de Christian Bolliger, Madleina Ganzeboom, Jürg Guggisberg et Tabea Kaderli

 

Questions de recherche et procédure

L’étude poursuivait deux objectifs : elle a d’abord examiné les effets des modifications juridiques sur l’octroi des rentes AI pour différents groupes d’assurés. Des analyses statistiques descriptives et multivariées ont permis de vérifier s’il existait des indices selon lesquels les modifications juridiques auraient entraîné une augmentation notable du nombre de nouvelles rentes. Ensuite, l’étude a analysé les effets de la procédure structurée d’administration des preuves sur la méthode de travail des offices AI lors de l’examen des rentes. Cette partie de l’étude s’est appuyée sur des analyses de documents et des entretiens avec des collaborateurs des offices AI et des services médicaux régionaux (SMR) ainsi qu’avec des conseillers juridiques externes à l’AI dans cinq cantons. Les conclusions principales de l’étude sont résumées ci-dessous.

 

Examen des rentes par les offices AI selon la procédure structurée d’administration des preuves

  • Offices AI et SMR – collaborer plutôt que coexister

La procédure structurée d’administration des preuves n’a modifié le déroulement de la procédure AI que de manière ponctuelle. Elle a cependant conduit à une intensification des échanges entre les SMR et les praticiens du droit. Les arrêts principaux du Tribunal fédéral ont toutefois induit un rapprochement des perspectives de la médecine et de l’application du droit, ce qui (avec une routine croissante) a en partie rendu ces échanges moins nécessaires. Depuis l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves, certains offices AI accordent probablement plus d’importance aux informations issues de la procédure de réadaptation, car le comportement de l’assuré à ce stade en dit potentiellement long sur ses souffrances.

 

  • L’examen de la rente est plus systématique, mais reste un défi

L’approche des offices AI concernant le contenu de l’examen de la rente a sensiblement changé avec la procédure structurée d’administration des preuves. Les personnes interrogées considèrent que l’évaluation de la capacité de travail est plus complexe, mais mieux structurée ; elles estiment par ailleurs que le fait de se concentrer non plus sur le diagnostic, mais sur les conséquences concrètes, est plus adéquat. Les personnes interrogées mentionnent deux éléments qui tendent à complexifier l’évaluation : premièrement, l’indicateur du diagnostic de la personnalité et des ressources personnelles. De bonnes expertises semblent ici particulièrement importantes pour la collecte d’informations et une appréciation correcte de l’interaction entre la personnalité et la maladie, notamment parce que les documents disponibles sont souvent lacunaires à cet égard. Le deuxième élément concerne l’examen de la cohérence : tirer des conclusions sur la capacité de travail à partir de différentes activités dans des domaines de vie comparables n’est pas chose aisée. En outre, il est parfois difficile de déterminer si une participation insuffisante à un traitement ou à une réadaptation est la conséquence d’une faible souffrance ou si elle a d’autres causes.

 

  • Une approche plus ouverte concernant les résultats et davantage de transparence, mais des éléments subjectifs toujours présents

Tant les offices AI que les conseillers juridiques externes estiment que la procédure structurée d’administration des preuves a globalement contribué à des instructions préjugeant moins des résultats, mais certains conseillers déplorent une application trop mécanique des indicateurs. Les deux parties mentionnent que les expériences et les opinions individuelles des acteurs compétents continuent d’influencer l’instruction. L’exemple le plus frappant est le seuil à partir duquel la toxicomanie est considérée comme une maladie ainsi que l’interprétation de ses effets. De manière générale, la procédure structurée d’administration des preuves a renforcé la transparence des décisions relatives aux rentes. Quant à savoir si ces dernières sont mieux acceptées par les assurés, les personnes interrogées ont toutefois donné des réponses contrastées.

 

  • Des décisions plus adéquates

Sur la base de leurs expériences, les personnes interrogées estiment que, dans l’ensemble, l’AI prend des décisions plus adéquates qu’auparavant, en particulier concernant les toxicomanies, mais aussi pour les maladies psychosomatiques et les dépressions légères à modérées : elles expliquent cette appréciation par le fait que le diagnostic ne suffit plus à exclure ou à entraver un examen approfondi de la rente. Certaines personnes interrogées ont toutefois fait remarquer de manière critique que, pour les dépressions, les décisions relatives aux rentes avaient tendance à se fonder à nouveau davantage sur le diagnostic, s’éloignant ainsi de l’analyse des effets concrets dans chaque cas particulier.

 

Évolution des nouvelles rentes pour cause de maladie psychique

  • Augmentation disproportionnée des nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques (à l’exclusion des toxicomanies) deux à quatre ans après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves

Les analyses statistiques effectuées montrent que les nouvelles rentes pour raisons psychiques (à l’exclusion des toxicomanies) ont augmenté de manière disproportionnée au cours de la période 2019 à 2021, et ce même en tenant compte de l’évolution de la composition structurelle des nouveaux bénéficiaires de rente. Cela se reflète dans la part des nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques par rapport à l’ensemble des nouvelles rentes. Celle-ci augmente régulièrement, passant de 42% en 2017 à 49% en 2021, ce qui signifie que la part des nouvelles rentes octroyées pour des raisons non psychiques ne cesse de diminuer. Alors que, par rapport à la population assurée, la part des nouvelles rentes pour toutes les autres causes d’invalidité reste stable depuis 2018 à environ 1,7 pour mille, elle est passée durant la même période de 1,2 à 1,6 pour mille pour les nouvelles rentes d’origine psychique. Alors qu’en 2017 encore, la majorité des nouvelles rentes étaient octroyées pour des invalidités sans lien avec une maladie psychique, en 2021, les nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques sont presque aussi nombreuses que celles accordées pour toutes les autres causes d’invalidité.

Derrière ce transfert se cachent principalement des rentes dues à des troubles réactifs du milieu ou psychogènes, que les offices AI documentent avec le code d’infirmité AI 646 (code 646). Dans cette catégorie, on trouve probablement aussi de nombreuses personnes souffrant de maladies psychosomatiques et de dépression, c’est-à-dire les diagnostics pour lesquels le Tribunal fédéral a, à partir de 2015, facilité l’accès à un examen de la rente ne préjugeant pas des résultats. Pour ces rentes, l’augmentation disproportionnée a déjà commencé à partir de 2018. Si le nombre de nouvelles rentes dues à d’autres maladies psychiques augmente également, cette tendance est toutefois moins marquée que pour les rentes dues à des troubles réactifs du milieu ou psychogènes (code 646) et a été observée un peu plus tard (à partir de 2020).

L’augmentation du nombre de nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques intervient environ deux à quatre ans après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves. Elle ne peut donc pas s’expliquer uniquement par la recrudescence des nouvelles demandes, notamment du fait que ces dernières n’ont pas brusquement augmenté après l’introduction de la nouvelle procédure. Alors que le nombre de nouvelles rentes dues à des causes non psychiques est resté à peu près stable durant la période 2017 à 2020 malgré l’augmentation des nouvelles demandes, les offices AI ont enregistré sur la même période une hausse des rentes d’origine psychique. En d’autres termes, à partir de 2018 et 2020, le nombre de rentes octroyées chaque année pour des raisons psychiques croît plus rapidement que celui des autres rentes.

L’augmentation disproportionnée des nouvelles rentes d’origine psychique concerne davantage les jeunes jusqu’à 34 ans, tant chez les femmes que chez les hommes. Pour les infirmités documentées par le code 646, ce phénomène a toutefois été observé un peu plus tôt chez les femmes, à savoir dès 2015, contre 2019 pour les hommes. De même, cette tendance est plus précoce dans les cantons latins, où elle s’amorce dès 2015, alors qu’elle n’a été observée qu’à partir de 2019 dans les cantons alémaniques.

 

Évolution des nouvelles rentes pour cause de toxicomanie

  • Forte augmentation du nombre de nouvelles rentes codées comme toxicomanie à partir de 2019

Les résultats disponibles permettent de constater que le nombre de nouvelles rentes codées comme toxicomanie a augmenté suite à l’arrêt principal du Tribunal fédéral. En effet, ils révèlent une hausse soudaine de ces rentes pour l’année 2020. Entre 2013 et 2019, leur nombre était stable, augmentant nettement à partir de 2020. Ainsi, en 2021, près de 400 nouvelles rentes ont été octroyées sur la base de ce code. La part de ces nouvelles rentes par rapport à l’ensemble des nouvelles rentes est ainsi passée de 0,6% en 2018 à 2,2% en 2021.

En revanche, il n’est pas clair s’il s’agit d’un transfert (les mêmes personnes auraient déjà reçu une rente avant 2019, mais sous un autre code d’infirmité) ou d’une augmentation de la probabilité d’octroi d’une rente (des personnes qui ne recevaient pas de rente dans l’ancien système en reçoivent désormais une) ou si, suite à l’arrêt du Tribunal fédéral, davantage de personnes souffrant de toxicomanie ont déposé une demande auprès de l’AI. Il est également possible que ces trois causes soient toutes impliquées dans l’augmentation observée. Les déclarations des collaborateurs des offices AI interrogés dans le cadre de cette étude corroborent en effet cette hypothèse. Sur l’ensemble des rentes octroyées par l’AI, les nouvelles rentes pour cause de toxicomanie représentent toutefois toujours une part négligeable. La période d’observation étant trop courte, il n’est pas encore possible de déterminer si l’augmentation se poursuivra dans les années à venir ou si le nombre de rentes pour toxicomanie restera désormais stable.

 

Nouvelles rentes et révisions de la rente pour les personnes travaillant à temps partiel

  • L’accès facilité aux rentes pour les personnes travaillant à temps partiel profite surtout aux femmes

Les analyses statistiques montrent très clairement que l’adaptation du RAI entrée en vigueur le 1er janvier 2018, qui s’applique à toutes les personnes exerçant une activité lucrative à temps partiel et accomplissant par ailleurs des travaux habituels (art. 27bis, al. 2 à 4, RAI dans la version valable jusqu’au 31 décembre 2021), a entraîné une hausse soudaine du nombre de nouvelles rentes et de révisions de rente en utilisant la méthode mixte comme méthode de calcul. Cette augmentation des nouvelles rentes avec méthode mixte se reflète également dans la part des nouvelles rentes appliquant cette méthode. Celle-ci est d’abord passée de 9% à 13% avant de se stabiliser à 12% dès 2019. L’accès facilité profite en grande partie aux femmes qui travaillent à temps partiel et s’occupent du ménage. En raison de la méthode mixte, la part des personnes vivant dans un ménage d’une seule personne et celle des personnes divorcées ont progressivement augmenté parmi les nouveaux bénéficiaires de rente.

 

Conclusion

La procédure structurée d’administration des preuves a conduit à un examen plus ouvert du droit à la rente pour les maladies psychiques pour lesquelles ce droit n’était auparavant guère envisagé ou alors uniquement à titre exceptionnel. Ce constat est également valable pour la toxicomanie. L’examen des rentes n’en demeure pas moins exigeant. La compétence professionnelle des acteurs impliqués dans les centres d’expertises, les SMR, les offices AI et les tribunaux reste décisive pour que les informations nécessaires soient collectées, décrites et interprétées de manière complète et non biaisée.

Les analyses effectuées sur l’évolution des nouvelles rentes indiquent que l’abandon de la présomption de surmontabilité des affections psychosomatiques en 2015, l’introduction généralisée de la procédure structurée d’administration des preuves pour toutes les maladies psychiques ainsi que l’obligation d’examiner le droit aux prestations également en cas de dépression légère à modérée sans résistance au traitement en 2017 ont eu des répercussions sur la probabilité d’obtenir une rente en raison d’une maladie psychique. Il n’est toutefois pas possible d’apporter la preuve statistique que l’augmentation des rentes pour maladies psychiques est liée de manière causale à ces modifications juridiques. En effet, les données disponibles ne fournissent pas d’informations sur la mise en œuvre de la procédure structurée d’administration des preuves et ne permettent pas d’identifier de manière fiable les octrois de rentes en raison d’infirmités psychosomatiques et de dépressions. Il reste à voir comment les nouvelles rentes évolueront au cours des prochaines années afin d’obtenir, d’un point de vue statistique, une image plus concluante des raisons possibles de l’augmentation disproportionnée des nouvelles rentes pour maladies psychiques. L’évolution à venir des taux de perception des rentes des cohortes de nouveaux bénéficiaires fourniront notamment de précieuses indications.

Afin de permettre à l’avenir aux analyses statistiques de donner des réponses plus précises concernant les modifications des nouvelles rentes, comme le transfert de nouvelles rentes pour troubles non psychiques vers de nouvelles rentes pour troubles psychiques, il serait nécessaire d’identifier systématiquement les lacunes existantes dans les bases de données et de les combler de manière ciblée.

 

Christian Bolliger/Madleina Ganzeboom/Jürg Guggisberg/Tabea Kaderli, Troubles psychiques : plus d’ouverture dans l’examen du droit à la rente AI, paru in Sécurité sociale CHSS du 19.09.2024 consultable ici

Rapport de recherche n° 5/24 « Entwicklung der Neurenten in der Invalidenversicherung: gemischte Methode, Sucht- und psychische Erkrankungen » (en allemand avec résumé en français, en italien et en anglais) de Christian Bolliger, Madleina Ganzeboom, Jürg Guggisberg et Tabea Kaderli consultable ici

 

9C_487/2022 (f) du 03.06.2024 – Nouvelle demande AI / Notion de maladie – Syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM) / SCM non inscrit dans la CIM – Consensus scientifique sur la réalité du trouble et des symptômes le caractérisant

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_487/2022 (f) du 03.06.2024

 

Consultable ici

 

Nouvelle demande de prestations / 87 RAI – 17 LPGA

Notion de maladie – Syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM) et intolérance environnementale idiopathique (IEI)

SCM non inscrit dans la CIM – Consensus scientifique sur la réalité du trouble et des symptômes le caractérisant

 

Assurée, née en 1961, est au bénéfice d’un diplôme d’enseignante d’orgue électronique et a donné des cours de musique à titre indépendant. En novembre 1997, elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité, invoquant un asthme bronchique responsable d’infections pulmonaires à répétition. Sur la base d’une expertise réalisée par un spécialiste en médecine interne générale et en pneumologie (rapport du 17.07.2000), l’office AI a rejeté la demande, par décision du 24.08.2000, en l’absence de maladie physique ou psychique propre à entraîner une diminution permanente de la capacité de gain. Par jugement du 12.07.2001, le tribunal cantonal a rejeté le recours que l’assurée avait formé contre cette décision.

Le 11.10.2017, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations, invoquant des allergies à diverses substances et des problèmes respiratoires.

L’office AI a recueilli l’avis de la Dre C.__, spécialiste en médecine interne générale et médecin traitant, qui a notamment indiqué que la santé de sa patiente avait subi une aggravation progressive surtout depuis 10 ans et qu’elle souffrait d’un syndrome de sensibilité chimique multiple à l’origine d’une capacité de travail n’excédant pas 30%. L’assurée a aussi déposé des avis médicaux émanant du Dr D.__, spécialiste en génétique médicale, du Prof E.__, spécialiste en allergologie et immunologie et du Dr G.__, spécialiste en médecine interne et en phlébologie.

Le Dr H., médecin du SMR spécialisé en médecine interne et rhumatologie, a diagnostiqué chez l’assurée une pathologie immuno-allergique rare, provoquant des réactions allergiques à de nombreuses substances courantes. Compte tenu du caractère controversé de ce syndrome, il a recommandé une expertise psychiatrique. Le Dr I., psychiatre mandaté par l’office AI, n’a identifié aucun trouble psychiatrique et a conclu à une capacité de travail entière. Le Dr J., également médecin du SMR, a approuvé cette évaluation du Dr I..

Par décision du 25.11.2019, l’office AI a nié le droit à des prestations de l’assurance-invalidité (mesures professionnelles et rente), car la situation de l’assurée ne s’était pas modifiée de manière à influencer ses droits depuis la décision du 24.08.2000.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 7/20 – 285/2022 – consultable ici)

Par jugement du 15.09.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Se référant à un arrêt 8C_165/2007 du 5 mars 2008, les juges cantonaux ont retenu que la notion de syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM), également désigné par l’expression d’intolérance environnementale idiopathique (IEI) est fortement controversée dans la doctrine médicale spécialisée. D’après cette dernière, l’IEI correspond à une description clinique regroupant des symptômes d’étiologie inconnue attribués par les patients à de multiples expositions environnementales, lorsque toutes les autres explications médicales ont été exclues. Selon l’avis médical pris en compte dans l’affaire précitée, il existe de plus en plus de preuves à l’appui de la thèse selon laquelle l’IEI est souvent le résultat de crises de panique provoquées par des stimuli olfactifs conditionnés psychologiquement.

Par ailleurs, l’instance précédente s’est référée à une publication, qu’elle a considérée comme sérieuse et exhaustive, de l’Institut national de santé publique du Québec du 29 juin 2021 (Gaétan Carrier [coordinateur]/Marie-Ève Tremblay/Rollande Allard et al., Syndrome de sensibilité chimique multiple, une approche intégrative pour identifier les mécanismes physiopathologiques, Rapport de recherche de la Direction de la santé environnementale et de la toxicologie de l’Institut national de santé publique du Québec, juin 2021 [ci-après: étude québécoise). Selon cette publication, les altérations observées (altération de l’humeur et des fonctions cognitives, troubles du sommeil, fatigue, perte de motivation et anhédonie) ne sont pas propres au syndrome de sensibilité chimique multiple; elles sont rapportées dans la fatigue chronique, le syndrome de stress post-traumatique, l’électrosensibilité, la fibromyalgie, la dépression, les troubles de somatisation, les troubles phobiques et le trouble panique; tous ces troubles ont en commun la présence d’anxiété chronique, ce qui permet d’expliquer l’ensemble des symptômes du syndrome de sensibilité chimique multiple car les mêmes altérations et dysfonctionnements y sont trouvés et mesurés. Pour la juridiction cantonale, cette recherche autorise à appliquer au syndrome de sensibilité chimique multiple la jurisprudence en matière de syndrome sans pathogenèse ni étiologie claire et sans constat de déficit organique (cf. ATF 141 V 281), ce d’autant que les parties n’ont opposé aucun avis médical contraire à cette étude.

 

Consid. 3.1
Plusieurs médecins se sont exprimés sur l’état de santé de l’assurée. La Dre C.__ a attesté que l’assurée souffrait d’un syndrome de sensibilité chimique multiple à l’origine d’une capacité de travail n’excédant pas 30%; elle a fait état de réaction à certaines odeurs provoquant une dyspnée ou crise d’asthme, un gonflement du visage érythémateux, des céphalées, des troubles de la concentration, une faiblesse musculaire et des palpitations. De son côté, le Prof E.__ a aussi mentionné ce syndrome qu’il a mis en relation avec le diagnostic d’hyperréactivité des muqueuses. Ce médecin a évoqué divers symptômes diffus, tels que des vertiges, maux de tête, troubles de la concentration, toux, difficultés respiratoires, ainsi que des troubles circulatoires, indiquant que leur origine découlait probablement de la présence d’odeurs dans la maison de l’assurée; il ne s’est pas exprimé sur la capacité de travail. Le Dr G.__ a attesté une sensibilité accrue à des produits chimiques présents dans l’environnement, en particulier la diffusion de parfums, qui affectent la mémoire et le sens de l’orientation de sa patiente. Il a aussi diagnostiqué un asthme allergique, ce que le Dr H.__ a également relevé en indiquant que l’assurée développait des réactions allergiques (notamment respiratoires) angoissantes à l’exposition de substances volatiles. Quant au Dr I.__, il a conclu à l’absence de tout diagnostic psychiatrique: les quelques indices (tendance neurasthénique, tendance obsessionnelle), faibles et non systématisés, ne suffisaient pas pour établir une véritable hypothèse diagnostique et encore moins pour retenir un trouble ayant un impact sur la capacité de travail. L’expert a précisé qu’il avait été frappé par l’absence d’observation, le testing (psychométrique) lors d’une exposition, proposé par le Dr G.__, n’avait jamais été effectuée.

Consid. 3.2.1
Le syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM) a été décrit par l’étude québécoise (p. 3) comme un trouble chronique, caractérisé par de multiples symptômes récurrents non spécifiques; les symptômes du SCM sont mal définis, associés à divers systèmes organiques et seraient provoqués ou exacerbés lors d’une exposition à des odeurs présentes dans l’environnement courant à de faibles concentrations, lesquelles sont tolérées par la plupart des gens. Médicalement, ce syndrome est considéré comme une pathologie inexpliquée dont le diagnostic est posé après une investigation clinique servant à exclure toute autre affection pouvant expliquer les symptômes; il s’agit d’un diagnostic d’exclusion (étude québécoise, p. 9). Parmi les symptômes dont se plaignent les personnes concernées, sont évoqués des symptômes neuropsychiatriques (troubles de la mémoire, troubles de concentration, fatigue et épuisement, etc.), des douleurs comme des céphalées ou des arthralgies, des symptômes gastro-intestinaux, sensoriels, neurovégétatifs et cutanés (étude québécoise, p. 63).

Comme l’ont retenu à juste titre les juges cantonaux, le syndrome de sensibilité chimique multiple diagnostiqué par les médecins traitants de l’assurée ne constitue pas une maladie reconnue dans la Classification internationale des maladies de l’OMS (CIM), qui ne comporte pas de code y relatif (CIM-10-German Modification). Des tentatives de faire inscrire le SCM au CIM n’ont pas abouti (voir par exemple, les propositions de déclarer le SCM sous un code singulier T78.5 faites au Bundesministerium für Gesundheit [Ministère allemand pour la santé] en 2018, www.dimdi.de, sous Klassifikationen/Downloads/ICD-10-GM/Vorschläge/2019). En Allemagne, le code T.78.4 CIM-10-GM (Allergie, sans précision) est utilisé pour appréhender le SCM, le code F45.0 (Somatisation) ayant également été évoqué (Katharina Harter/Gertrud Hammel/Megan Fleming/Claudia Traidl-Hoffmann, Multiple Chemikaliensensibilität [MCS] – Ein Leitfaden für die Dermatologie zum Umgang mit Betroffenen, Journal der Deutschen Dermatologischen Gesellschaft, 2020, p. 124).

Consid. 3.2.2
Les objectifs de l’étude québécoise, effectuée sur mandat du Ministère de la Santé et des Services sociaux à l’Institut national de santé publique du Québec, ont été d’identifier les mécanismes physiopathologiques qui permettraient d’expliquer le syndrome SCM au moyen d’une approche qui intègre l’ensemble des différentes recherches sur toutes les hypothèses proposées et de vérifier, dans le cas où de tels mécanismes ont été identifiés, si l’exposition à des produits chimiques odorants, présents dans l’environnement à de faibles concentrations, pourrait en être la cause (p. 3 de l’étude).

Au terme d’une analyse de plus de 4’000 articles de la littérature scientifique, les auteurs de l’étude québécoise ont dégagé plusieurs constats, qu’ils ont présentés sous le titre « Messages clés »: depuis les années 2000, les avancées réalisées en neurosciences et dans les techniques de mesure des paramètres biologiques et de l’imagerie cérébrale fonctionnelle ont apporté de nouveaux éléments permettant de mieux comprendre les mécanismes physiopathologiques de la SCM; ces avancées confirment que le psychique est absolument indissociable du biologique et du social; les personnes atteintes voient les odeurs comme une menace à leur santé, et la détection de celles-ci provoque chez elles des symptômes de stress aigu, qui se manifestent par des malaises qu’elles attribuent aux produits chimiques associés à l’odeur; cette cascade de réactions provoque des altérations biologiques du fonctionnement normal de l’organisme dans les systèmes immunitaire, endocrinien et nerveux; le système nerveux est altéré principalement dans les structures du système lymbique impliqué dans l’émotion, l’apprentissage et la mémoire; l’ensemble des altérations observées (altération de l’humeur et des fonctions cognitives, troubles du sommeil, fatigue, perte de motivation et anhédonie) explique la chronicité et la polysymptomatologie rapportées par les personnes atteintes de SCM; ces altérations ne sont pas propres au syndrome SCM et sont rapportées dans la fatigue chronique, le syndrome de stress post-traumatique, l’électrosensibilité, la fibromyalgie, l’anxiété chronique et la dépression, les troubles de somatisation, les troubles phobiques et le trouble panique, tous ces troubles ayant en commun la présence d’anxiété chronique; l’anxiété chronique permet d’expliquer l’ensemble des symptômes du syndrome SCM, les mêmes altérations et dysfonctionnements y étant trouvés et mesurés; à la longue, la répétition presque inévitable de ces épisodes de stress aigu entraîne chez les personnes atteintes le développement d’une neuroinflammation, d’un stress oxydatif et conséquemment une anxiété chronique; sur la base de ces nouvelles connaissances, les auteurs invalident l’hypothèse d’une association entre le SCM et la toxicité des produits chimiques trouvés aux concentrations habituelles; cependant, les perturbations biologiques chroniques observées, la sévérité des symptômes ressentis, les impacts sociaux et professionnels en résultant pour les personnes atteintes et la forte prévalence du syndrome SCM en font un réel enjeu de santé (« Messages clés », p. 1 s.).

Consid. 3.2.3
L’étude québécoise met aussi en évidence que le sujet du SCM divise deux écoles de pensées médicales, la première « psychologique » (« psychological school of thought » [cf. Adrianna Tetley, Do no harm: Multiple chemical sensitivity is not psychological, J. Allergy Clin Immunol Pract 2024, p. 266]) définissant ce syndrome comme une anxiété (p. ex. Karen E. Binkley, Multiple Chemical Sensitivity/Idiopathic Environmental Intolerance: A Practical Approach to Diagnosis and Management, J. Allergy Clin Immunol Pract. 2021, p. 3645 ss, à laquelle se réfère Tetley, op. cit.); la seconde, « biophysique-toxicologique » (« biophysical-toxicologic school of thought »), voit ce syndrome comme un trouble environnemental grave, complexe et récurrent avec un processus pathologique ayant des symptômes et signes notamment neurologiques, immunologiques, dermatologiques et allergiques (p. ex. Shahir Mari/Claudia S. Miller/Raymond F. Palmer/Nicholas Ashford, Perte de tolérance induite par les substances toxiques pour les produits chimiques, les aliments et les médicaments: évaluation des modèles d’exposition derrière un phénomène mondial [traduction française], Environ Sciences Europe 2021, 33, p. 1 ss, auxquels se réfère Tetley, op. cit.).

Consid. 3.2.4
À ce stade de la controverse médicale, et en l’espèce, le Tribunal fédéral n’a pas à prendre position sur celle-ci. Il suffit de constater que la science médicale reconnaît en tous les cas la survenance d’un trouble chronique ou mécanisme pathologique sous la forme de symptômes récurrents non spécifiques, semblables à ceux de l’allergie (qui ne correspondent cependant pas à la définition classique de l’allergie), observés, provoqués ou exacerbés, lors d’expositions à des odeurs (ou à des produits chimiques) présentes dans l’environnement à de faibles concentrations (qui sont tolérées par la majorité des gens). Ce trouble peut, selon le degré de sévérité des symptômes, affecter le fonctionnement normal des personnes atteintes.

Même si ce trouble n’est pas catégorisé en tant que tel dans la CIM ni saisi sous un code CIM singulier, il est, selon les pratiques médicales, décrit sous les codes T78.4 ou F45.0, ce qui reflète le débat mené par la science médicale sur sa nature somatique ou psychosomatique (sur les deux modèles, voir aussi Heinz Bolliger-Salzmann et al., Evaluation des MCS-Pilotprojetks der Wohnbaugenossenschaft Gesundes Wohnen MCS, Eine explorative Studie, Schlussbericht, mars 2015, p. 15 ss [Office fédéral du logement OFL; www.bwo.admin.ch, sous Le logement aujourd’hui/Études et publications »Le logement aujourd’hui »]). Nonobstant ce débat, et l’absence d’attribution d’un code CIM particulier, la réalité du trouble et des symptômes le caractérisant font l’objet d’un consensus scientifique, aucune des études consultées ne mettant en doute l’existence d’une pathologie pouvant, selon le degré de gravité, occasionner des limitations dans les fonctions de la vie courante et l’environnement professionnel. Dès lors que ce trouble peut être décrit selon une définition largement reconnue dans le milieu médical, en référence à un code CIM-10 somatique ou psychique, en fonction des pratiques et courants médicaux, on peut admettre qu’il repose sur un diagnostic pouvant être établi en fonction de critères médicaux suffisants, dont la validité peut être contrôlée (sur l’importance, sous l’angle juridique, d’un diagnostic posé lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu, cf. ATF 141 V 281 consid. 2.1).

Consid. 3.2.5
Il y a lieu, ensuite, de relever que le diagnostic en cause constitue un diagnostic d’exclusion, qui ne peut être posé qu’à l’issue d’un examen interdisciplinaire du cas particulier, une évaluation consensuelle et l’exclusion d’autres causes des troubles (Harter et al., op. cit., p. 124). Différents schémas d’évaluation ont été proposés (cf. Harter et al., op. cit., p. 122, tableau 1 « Konsensus-Kriterien zur Definition von multipler Chemikaliensensibilität [MCS]; Giovanni Damiani et al., Italian Expert Consensus on Clinical and Therapeutic Management of Multiple Chemical Sensitivity [MCS], International Journal of Environmental Research and Public Health 2021, 18, p. 5).

Or une telle évaluation n’a pas eu lieu en l’occurrence. En particulier, l’expertise psychiatrique a été rendue sans qu’il y ait eu un échange avec les médecins traitants (somaticiens) de l’assurée. Elle relève en outre, quoi qu’en dise la juridiction cantonale, d’une approche superficielle de la problématique médicale en cause. Ainsi, l’expert s’est limité à de strictes constatations sur l’attitude de l’assurée pendant son entretien, au sujet duquel il a indiqué que « par la force des choses et imposées par l’assurée, nous étions dans un entretien extrêmement précis et rapide et Mme A.__ a répondu à cela avec autant de précision et de rapidité que possible ». Il n’a pas pris position sur les limitations rapportées par l’assurée en relation avec son hypersensibilité, dont elle a donné un exemple en signalant son inconfort à cause de certaines émanations et odeurs sur le lieu de l’examen.

Consid. 3.3
Dans ces circonstances, la mise en œuvre d’une expertise médicale pluridisciplinaire, incluant notamment les volets immunologique, allergologique, pneumologique et psychiatrique, s’impose. Ce complément d’instruction est de la compétence de l’office AI, auquel la cause est renvoyée à cette fin et à l’issue duquel il se prononcera une nouvelle fois sur le droit éventuel de l’assurée à une rente d’invalidité, prestation dont elle demande l’octroi à partir du 01.01.2018. La conclusion subsidiaire du recours est bien fondée.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_487/2022 consultable ici

 

9C_701/2020 (f) du 06.09.2021 – Evaluation de l’invalidité – Caractère invalidant de troubles psychiques et autres syndromes sans substrat organique (troubles somatoformes douloureux/fibromyalgie) – 16 LPGA – 28a LAI / Valeur probante d’une expertise judiciaire bidisciplinaire (rhumato-psy)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_701/2020 (f) du 06.09.2021

 

Consultable ici

 

Evaluation de l’invalidité – Caractère invalidant de troubles psychiques et autres syndromes sans substrat organique (troubles somatoformes douloureux) / 16 LPGA – 28a LAI

Evaluation de la fibromyalgie sur le plan de la capacité de travail soumise à la grille d’évaluation grille d’évaluation normative et structurée du caractère invalidant des troubles psychiques au moyen d’indicateurs standards

Valeur probante d’une expertise judiciaire bidisciplinaire (rhumato-psy)

 

Assurée, née en 1963, engagée depuis septembre 1992 comme conseillère de vente, à temps partiel.

En incapacité de travail depuis juin 2015, l’assurée a déposé le 08.01.2016 une demande de prestations AI, en invoquant souffrir depuis 2012 notamment de douleurs chroniques des épaules ainsi que de douleurs cervico-brachiales et lombaires.

L’office AI a versé à son dossier celui de l’assurance-maladie de l’assurée, qui contenait notamment un rapport d’expertise pluridisciplinaire du 26.02.2016. Par décision du 03.03.2017, l’office AI a rejeté la demande de l’assurée, au motif qu’elle ne présentait pas d’atteinte à la santé au sens de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/821/2020 et ATAS/844/2020)

Entre autres mesures d’instruction et après avoir considéré que le rapport d’expertise pluridisciplinaire du 26.02.2016 n’était pas probant, la cour cantonale a ordonné une expertise psychiatrique et rhumatologique. Les experts ont rendu un avis consensuel le 23.04.2020, selon lequel l’assurée était totalement incapable de travailler dans toute activité depuis le mois de décembre 2015.

La cour cantonale a retenu que l’assurée était totalement incapable de travailler dans toute activité dès le mois de décembre 2015, en se fondant sur les conclusions des rapports d’expertise judiciaire, auxquelles elle a reconnu une pleine valeur probante. L’expert psychiatrique avait en particulier procédé à l’examen des indicateurs développés par le Tribunal fédéral, ce qui relevait de sa compétence. Il n’avait pas retenu une incapacité de travail sous l’angle purement psychiatrique, en réservant toutefois l’appréciation globale du cas, selon les conclusions de l’expert rhumatologue. Après avoir eu connaissance de ces dernières, il avait conclu de manière consensuelle avec l’expert rhumatologue que l’assurée était totalement incapable de travailler en raison de l’ensemble de ses atteintes physiques et psychiques, retenant que l’ensemble de ses atteintes réduisait ses ressources.

Par jugement du 30.09.2020, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision de l’office AI en ce sens que l’assurée avait droit à une rente entière d’invalidité dès le 01.12.2016.

 

TF

S’agissant de la valeur probante de rapports médicaux, que le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise judiciaire, la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2; 135 V 465 consid. 4.4; arrêt 8C_711/2020 du 2 juillet 2021 consid. 3.2 et la référence citée).

Le Tribunal fédéral a considéré qu’il se justifiait sous l’angle juridique, en l’état des connaissances médicales, d’appliquer par analogie les principes développés par la jurisprudence en matière de troubles somatoformes douloureux à l’appréciation du caractère invalidant d’une fibromyalgie, vu les nombreux points communs entre ces troubles (ATF 132 V 65 consid. 4). Quand bien même le diagnostic de fibromyalgie était d’abord le fait d’un médecin rhumatologue, il convenait ici aussi d’exiger le concours d’un médecin spécialiste en psychiatrie. Une expertise interdisciplinaire tenant à la fois compte des aspects rhumatologiques et psychiques apparaissait donc la mesure pour établir de manière objective si l’assuré présentait un état douloureux d’une gravité telle que la mise en valeur de sa capacité de travail sur le marché du travail ne pouvait plus du tout ou seulement partiellement être exigible de sa part (ATF 132 V 65 consid. 4.3; arrêt 9C_176/2018 du 16 août 2018 consid. 3.2.2). La modification de la jurisprudence ayant conduit à l’introduction d’une grille d’évaluation normative et structurée du caractère invalidant des troubles psychiques au moyen d’indicateurs standards (ATF 143 V 409; 143 V 418; 141 V 281) n’a rien changé à cette pratique : la fibromyalgie est toujours considérée comme faisant partie des pathologies psychosomatiques et son évaluation sur le plan de la capacité de travail est par conséquent soumise à la grille d’évaluation mentionnée (cf. arrêt 9C_808/2019 du 18 août 2020 consid. 5.2 et la référence citée).

Dans leur appréciation consensuelle du 23.04.2020, les experts n’ont pas retenu, sur le plan psychique, l’existence d’une atteinte durablement incapacitante, mais ont indiqué qu’il existait une certaine fragilité au niveau de la personnalité et de l’humeur, ce qui entraînait une légère diminution des ressources adaptatives renforçant l’effet délétère des atteintes physiques. Sur le plan somatique, ils ont relevé « des atteintes cliniques et surtout une diminution sévère des ressources (cf. texte de l’expertise pour les détails) dans le cadre du syndrome douloureux chronique, la polyarthrose (périphérique et au rachis), la polytendinopathie avec des bursites ». Les experts ont conclu que l’état de santé de l’expertisée et les répercussions fonctionnelles entraînaient une incapacité de travail totale dans toute activité depuis décembre 2015.

A l’instar de l’office AI recourant, on ne saurait suivre le raisonnement des juges cantonaux, selon lequel l’avis consensuel du 23.04.2020 constitue un examen global de l’état de santé et de la capacité de travail de l’assurée. En effet, en l’absence de diagnostic psychiatrique invalidant et compte tenu du fait que l’assurée dispose, selon le volet psychiatrique de l’expertise, de ressources mobilisables suffisantes pour contrebalancer les effets limitatifs de la dysthymie de gravité légère à moyenne, l’appréciation du rhumatologue, qui semble attester une incapacité de travail totale principalement sur la base des troubles psychosomatiques (syndrome douloureux chronique; « syndrome anxio-dépressif sévère ») apparaît contradictoire. L’expert rhumatologue a indiqué que l’incapacité totale de travail s’explique « surtout par une réduction des ressources dans la globalité de la patiente » présentant un syndrome anxio-dépressif sévère, tandis que l’expert psychiatre n’a pas retenu un tel diagnostic, ni une autre atteinte de degré sévère.

S’agissant ensuite de la question des limitations fonctionnelles, même si l’on se réfère aux rapports d’expertise respectifs, on ne parvient pas à comprendre en quoi celles-ci consistent concrètement ou de quel diagnostic elles résultent précisément, ni pourquoi elles limitent entièrement la capacité de travail de l’assurée. Ainsi, dans son rapport, l’expert rhumatologue énumère une liste de syndromes et d’atteintes somatiques dont souffre l’assurée, en indiquant de manière très générale que « tous les mouvements de la performance physique globale sont très limités », il en déduit directement une incapacité totale de travail sans expliquer en quoi les diagnostics posés ont des répercussions sur la capacité de travail, ni en quoi consistent celles-ci. Cela étant, l’avis consensuel fait plutôt apparaître un manque de cohérence entre les deux rapports d’expertises, dans lesquels les spécialistes renvoient – à tour de rôle – à l’appréciation de l’autre expert, particulièrement s’agissant de la fibromyalgie respectivement du trouble somatoforme douloureux, sans qu’il soit possible pour l’organe d’application du droit de comprendre si les critères de classification sont effectivement remplis (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1). Aussi, force est de constater qu’en l’état de l’instruction, la cour cantonale ne pouvait pas se fonder sur l’appréciation consensuelle du 23.04.2020 pour l’évaluation de la capacité de travail de l’assurée.

L’argumentation de l’office recourant est également fondée en tant qu’elle porte sur le grief selon lequel les juges cantonaux n’ont pas effectué d’évaluation du caractère invalidant des atteintes psychiatriques au regard des indicateurs développés par la jurisprudence (ATF 141 V 281). Dans la mesure où ils ont retenu une incapacité de travail totale sur la base de l’appréciation consensuelle, ils ne pouvaient pas renoncer à examiner les conclusions médicales en fonction de la grille d’évaluation déterminante. S’il est vrai qu’il appartient au médecin de poser un diagnostic selon les règles de la science médicale, il n’en demeure pas moins que l’évaluation du caractère invalidant au regard des indicateurs développés par la jurisprudence est du ressort de l’administration ou, en cas de litige, de celui du juge (cf. ATF 141 V 281 consid. 2.1.1. in initio, arrêt 9C_176/2018 du 16 août 2018 consid. 3.2.2 in fine).

 

En l’absence d’une appréciation globale interdisciplinaire suffisamment motivée et tenant à la fois compte des aspects rhumatologiques et psychiques pour établir de manière objective si l’assurée présente un état douloureux d’une gravité telle que la mise en valeur de sa capacité de travail sur le marché du travail ne pouvait plus du tout ou seulement partiellement être exigible de sa part, il s’avère nécessaire de faire compléter l’instruction médicale. Contrairement à ce que fait valoir l’office recourant, on ne saurait se fonder sur l’avis de son service médical du 19.05.2020, dès lors déjà que celui-ci constitue non pas une appréciation du cas à proprement parler, mais plutôt une critique à l’égard de l’expertise judiciaire. Par conséquent, il convient de renvoyer l’affaire à l’instance précédente afin qu’elle procède à un complément d’expertise, en demandant par exemple aux médecins-experts une nouvelle prise de position consensuelle dûment motivée mettant en lien de manière coordonnée les diagnostics retenus et leurs effets éventuels sur la capacité de travail de l’assurée. Au besoin, il lui est loisible d’ordonner une nouvelle expertise.

 

Le TF admet le recours de l’office AI et annule le jugement cantonal, renvoyant la cause à l’autorité cantonale pour qu’elle complète l’instruction au sens des considérants et rende un nouvel arrêt.

 

 

 

Arrêt 9C_701/2020 consultable ici

 

 

9C_430/2020 (f) du 17.03.2021 – Assurance-invalidité – Pas de violation de la maxime inquisitoire / Troubles somatoformes douloureux et absence de diagnostic émanant d’un expert-psychiatre / Hypothèse de douleurs neuropathiques

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2020 (f) du 17.03.2021

 

Consultable ici

 

Assurance-invalidité – Pas de violation de la maxime inquisitoire

Examen sous l’angle des indicateurs développés par la jurisprudence en matière de troubles somatoformes douloureux justifié uniquement si un tel diagnostic émanant d’un expert-psychiatre et s’appuyant lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu a été posé

Hypothèse de douleurs neuropathiques ne peut être corroborée par une référence à la doctrine médicale qui traite de cette symptomatologie en général

 

Assurée, née en 1968, agente d’exploitation à 60% et animatrice à 30%. Dépôt demande AI le 27.01.2016, invoquant des hernies discales.

L’office AI a confié un mandat d’expertise à un spécialiste en rhumatologie et en médecine interne. Dans son rapport du 28.06.2018, complété le 17.07.2018, puis confirmé le 13.06.2019, ce médecin a diagnostiqué, avec répercussion sur la capacité de travail, des lombopygialgies récurrentes sans signe radiculaire irritatif ou déficitaire. Il a attesté une capacité de travail de 70% dès avril 2016, respectivement de 75% dès janvier 2017 dans l’ancienne activité de femme de ménage ; la capacité de travail était entière dans une activité adaptée.

Appliquant la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, l’office AI a nié le droit à une rente et à des mesures d’ordre professionnel, compte tenu d’un taux d’invalidité global de 2% (pour la période antérieure au 01.01.2018) et de 10% (dès cette date).

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2019 234 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que le médecin-expert avait conclu à l’absence d’éléments organiques pouvant expliquer l’origine des douleurs de l’assurée. Cette dernière, dans ses objections au projet de décision, avait produit un rapport du professeur C.__, spécialiste en neurochirurgie, qui avait évoqué une micro-instabilité discale. Elle avait aussi invoqué l’avis de la doctoresse D.__, médecin traitant et spécialiste en traitement de la douleur, laquelle avait attesté que les traitements mis en place ne permettaient que partiellement de juguler les douleurs. En procédure de recours, la doctoresse D.__ avait demandé que le cas de sa patiente fût apprécié sur la base d’une grille d’évaluation structurée prévue par la jurisprudence, en raison de la présence de douleurs neuropathiques sans déficit organique objectivable.

Pour la juridiction cantonale, la situation de l’assurée ne relevait pas a priori de ce cas de figure, car l’origine des douleurs pouvait être rattachée à une hernie discale et aux interventions qui en découlaient. L’expertise rhumatologique avait permis d’écarter toute atteinte organique, mais l’évolution récente tendait à démontrer l’impossibilité d’expliquer objectivement les plaintes de l’assurée et un glissement progressif vers une pathologie de type somatoforme. Selon les juges cantonaux, un examen sous l’angle des indicateurs développés par la jurisprudence en matière de troubles somatoformes douloureux comme l’assurée l’avait requis n’était pas justifié, car un tel diagnostic émanant d’un expert-psychiatre et s’appuyant lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu n’avait pas été posé. La seule évocation d’une fatigue et d’une surcharge psychologique par la doctoresse D.__, non spécialisée en psychiatrie, n’était pas suffisante. De surcroît, l’assurée n’avait pas consulté un spécialiste en psychiatrie et ses médecins ne l’avaient pas non plus incitée à le faire, si bien que l’office AI était fondé à limiter son instruction aux volets rhumatologique et neurologique.

Se fondant en définitive sur les conclusions de l’expertise du docteur B.__, qui n’étaient pas contestées par l’assurée, les juges cantonaux ont confirmé l’étendue de la capacité de travail de l’assurée telle que retenue par l’office AI.

Par jugement du 18.05.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique, de troubles somatoformes douloureux persistants ou de fibromyalgie, suppose la présence d’un diagnostic émanant d’un expert psychiatre et s’appuyant lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu (ATF 141 V 281).

La violation de la maxime inquisitoire, telle qu’invoquée par l’assurée, est une question qui se confond et qui n’a pas de portée propre par rapport au grief tiré d’une mauvaise appréciation des preuves (cf. arrêts 9C_384/2019 du 1er octobre 2019 consid. 4.1; 8C_15/2009 du 11 janvier 2010 consid. 3.2, in SVR 2010 IV n° 42 p. 132). L’assureur ou le juge peut effectivement renoncer à accomplir certains actes d’instruction sans que cela n’entraîne une violation du devoir d’administrer les preuves nécessaires (art. 43 al. 1 et 61 let. c LPGA) s’il est convaincu, en se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352), que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation (sur l’appréciation anticipée des preuves en général, cf. ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 298 s. et les références). L’appréciation (anticipée) des preuves doit être arbitraire non seulement en ce qui concerne les motifs évoqués par la juridiction cantonale, mais également dans son résultat (cf. ATF 140 I 201 consid. 6.1 p. 205; cf. aussi arrêt 9C_839/2017 du 24 avril 2018 consid. 5.2).

En l’espèce, l’existence d’affections d’ordre psychique n’a pas été mise en évidence au cours de l’instruction de la demande de prestations. Le professeur C.__ et le médecin-expert n’ont pas fait état d’éléments susceptibles de rendre plausible l’existence d’une problématique psychique dans leurs rapports respectifs. Le médecin-expert s’est certes référé à une expertise psychiatrique (qui n’avait jamais été envisagée) dans le champ « constatations psychiatriques », mais n’a pas observé de signes relatifs à de telles affections. Il a par ailleurs conclu que le socle somatique ne permettait pas d’expliquer l’ampleur de la symptomatologie douloureuse et l’impotence fonctionnelle décrite par l’assurée, sans toutefois mentionner de composante d’ordre psychiatrique. Le seul fait, invoqué par l’assurée, que l’expert a retenu comme diagnostic sans répercussion sur la capacité de travail une diminution du seuil de déclenchement à la douleur en lien avec un syndrome polyinsertionnel douloureux récurrent de type fibromyalgie, ne justifie pas des investigations sur le plan psychiatrique.

De son côté, la doctoresse D.__ a déploré la prise en compte, par l’office AI, de critères uniquement radiologiques et physiques pour évaluer la situation de santé de sa patiente, en mentionnant trois références jurisprudentielles relatives à la procédure probatoire structurée qui doit être conduite en présence d’affections psychiques (cf. ATF 143 V 409, 143 V 418 et 141 V 585). A l’instar de ses confrères C.__ et B.__, elle n’a toutefois pas non plus attesté de signes allant dans le sens d’une problématique psychique. Par ailleurs, l’assurée n’a pas indiqué qu’elle aurait consulté un psychiatre ou que ses médecins lui auraient recommandé de le faire. Dans ces conditions, la renonciation à une instruction complémentaire sur le plan psychique n’apparaissait pas arbitraire.

 

Il en va de même en ce qui concerne une éventuelle investigation sur le plan neurologique. A cet égard, la doctoresse D.__ a certes indiqué que des douleurs neuropathiques ne pouvaient être objectivées qu’avec une bonne anamnèse et des échelles d’évaluation de la douleur et d’autres tests supplémentaires. Les douleurs de type neuropathique dont elle fait état chez sa patiente ne reposent en définitive que sur les affirmations de cette dernière (cf. rapport du 25 juillet 2019). A l’inverse de ce que voudrait l’assurée, l’hypothèse de telles douleurs dans sa situation ne peut être corroborée par une référence à la doctrine médicale qui traite de cette symptomatologie en général (BÉNÉDICTE VERDU / ISABELLE DECOSTERD, Douleurs neuropathiques: quelques pistes pour une évaluation structurée et une prise en charge spécifique et globale, Revue médicale suisse 2008 p. 1480 ss).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_430/2020 consultable ici

 

 

8C_101/2020 (d) du 09.06.2020 – Lien de causalité adéquate – Troubles psychiques – 6 LAA / Collision voiture-arbre à 60-70 km/h – Moyennement grave stricto sensu / Circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou caractère particulièrement impressionnant de l’accident / Douleurs physiques persistantes

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_101/2020 (d) du 09.06.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt original fait foi.

 

Lien de causalité adéquate – Troubles psychiques / 6 LAA

Collision voiture-arbre à 60-70 km/h – Moyennement grave stricto sensu

Circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou caractère particulièrement impressionnant de l’accident / Douleurs physiques persistantes

 

Assuré, né en 1974, ouvrier du bâtiment, a subi un accident pendant ses vacances à l’étranger le 17.10.2015. Conduisant une voiture à une vitesse de 60-70 km/h, il a évité un animal et a heurté frontalement un arbre. La femme qui l’accompagnait a été soignée pour des blessures mineures dans un hôpital voisin. L’assuré n’a bénéficié d’un traitement médical pour des douleurs dorsales qu’après son retour en Suisse ; il a été opéré le 20.10.2015 pour une fracture d’une vertèbre lombaire (fusion D12-L2).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité basée sur un degré d’invalidité de 13% à compter du 01.03.2017 et une IPAI de 15%. Elle a nié l’existence d’un lien de causalité adéquat entre les troubles psychologiques et l’accident.

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a constaté que l’assuré roulait le 17.10.2015 à une vitesse de 60-70 km/h lorsqu’il a dû éviter un animal, a perdu la maîtrise du véhicule et a heurté un arbre. En se référant à la casuistique du Tribunal fédéral, elle a qualifié cet événement d’accident moyennement grave stricto sensu (cf. arrêts 8C_212/2019 du 21 août 2019 consid. 4.3.3 et 8C_434/2012 du 21 novembre 2012 consid. 7.2.2, et les arrêts 8C_720/2017 du 18 mars 2018 consid. 4.3 et 8C_885/2011 du 18 janvier 2012 consid. 5). Pour retenir un lien de causalité adéquate entre les troubles psychiques et l’accident, il faut un cumul de trois critères sur les sept ou au moins que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante pour l’accident (ATF 129 V 177 consid. 4.1 p. 183, 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140 ; arrêt 8C_632/2018 du 10 mai 2019 consid. 8.3). Par la suite, la cour cantonale, après une évaluation minutieuse et détaillée des dossiers médicaux et des autres circonstances, est arrivée à la conclusion qu’aucun critère n’était rempli. L’assurance-accidents a ainsi nié à juste titre l’existence d’un lien de causalité adéquate. Par conséquent, la question de la causalité naturelle peut demeurer ouverte, faute de pertinence pour la décision (ATF 135 V 465 consid. 5.1 p. 472 ; arrêt 8C_632/2018 du 10 mai 2019 consid. 7.3) et aucune autre clarification n’était nécessaire.

Par jugement du 17.12.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Qualification de l’accident

L’assuré évoque qu’un accident comparable, dans lequel le conducteur a heurté une clôture en grillage métallique hors de la route à une vitesse de 80 km/h, a été qualifié de grave par le Tribunal fédéral. Or, cet incident a plutôt été évalué comme moyennement grave stricto sensu dans le jugement 8C_609/2007 du 22 août 2008 (consid. 4.1.2 et 4.1.3 de l’arrêt ; cf. également arrêt 8C_212/2019 du 21 août 2019 consid. 4.2.2).

 

Circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou caractère particulièrement impressionnant de l’accident

Le critère relatif aux circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou au caractère particulièrement impressionnant de l’accident doit être examiné d’une manière objective et non pas en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse ou de peur qui en résulte (ATF 140 V 356 consid. 5.6.1 p. 366). Des exigences nettement plus élevées sont imposées à sa réalisation, puisque tous les accidents qualifiés de moyennement graves présentent déjà un certain degré d’impression (arrêt 8C_627/2019 du 10 mars 2020 5.4.1 avec références).

Il n’y a pas de circonstances qui pourraient justifier ce critère. La cour cantonale doit au contraire s’assurer que le déroulement de l’accident impliquant la collision avec l’arbre à une vitesse de 60-70 km/h lorsque l’airbag est déployé ne dépasse pas l’impression inhérente à tout accident de catégorie moyenne stricto sensu.

 

Douleurs physiques persistantes

L’assuré se réfère à la douleur intense existant depuis l’accident. Les juges cantonaux ont précisé que seuls les troubles physiques ou somatiques doivent être pris en compte lors de l’examen des critères d’adéquation, tandis que les troubles psychologiques ne doivent pas être inclus (ATF 134 V 109 consid. 2.1 p. 112).

Cela peut être évalué de manière fiable à partir du moment où l’on ne peut attendre aucune amélioration significative de la poursuite du traitement médical des troubles somatiques (ATF 134 V 109 consid. 6.1 p. 116).

L’instance cantonale a constaté que l’état de santé était stabilisé le 18.01.2017. En ce qui concerne le critère de la douleur physique persistantes, en particulier, les plaintes de l’assuré, importantes sur le plan physique mais qui ne sont pas suffisamment démontrables sur le plan objectif, doivent être écartées (arrêts 8C_632/2018 du 10 mai 2019 consid. 10.2, in: SVR 2019 UV Nr. 41 S. 155; 8C_123/2018 du 18 septembre 2018 consid. 5.2.2.1, 8C_236/2016 du 11 août 2016 consid. 6.2.4 et 8C_825/2008 du 9 avril 2009 consid. 4.6).

À cet égard, la cour cantonale a démontré – sans contradiction – que la douleur avait été de plus en plus « psychologique » à partir du moment où l’assuré a quitté la clinique de réadaptation à la fin du mois de mai 2016, de sorte qu’elle ne pouvait pas être prise en compte.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_101/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_101/2020 (d) du 09.06.2020 – Lien de causalité adéquate – Troubles psychiques – Collision voiture-arbre à 60-70 km/h, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/08/8c_101-2020)

 

Capacité de travail des personnes atteintes de problèmes psychiques : une formation réduit les écarts entre les expertises

Capacité de travail : une formation réduit les écarts entre les expertises

 

Communiqué de presse du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) du 03.07.2019 consultable ici

 

Les assurances sociales font appel à des psychiatres afin d’évaluer la capacité de travail des personnes atteintes de problèmes psychiques. Or, ces expertises divergent trop. Une nouvelle formation proposée dans le cadre d’une étude financée par le FNS vise à réduire ces écarts.

Toute personne ne pouvant pas travailler à plein temps du fait de troubles psychiques a droit à une rente. Or, le montant de celle-ci dépend de la capacité de travail évaluée par les psychiatres. Dans l’idéal, les expertises devraient recommander des taux d’occupation similaires pour des situations comparables, mais c’est loin d’être le cas. Parfois, les évaluations sont même radicalement opposées. Aux yeux des avocats, des juges, des assurances et des expert-e-s, cette situation est tout à fait insatisfaisante.

Grâce à une nouvelle forme d’évaluation orientée sur les capacités fonctionnelles et à des formations spécifiques destinées aux psychiatres, les chercheuses et chercheurs sont parvenus à obtenir des appréciations plus cohérentes de la capacité de travail.

Dans l’étude financée par le Fonds national suisse (FNS), l’Office fédéral des assurances sociales et la Suva, la variation statistique des évaluations a baissé de plus d’un cinquième. Les spécialistes exerçant dans ce domaine souhaitent toutefois voir une réduction nettement plus importante des divergences. A l’inverse, les requérant-e-s et expert-e-s estiment que le nouveau processus est juste et transparent. « C’est important car les expertises ont un impact déterminant sur la vie des individus concernés », explique la directrice de l’étude, Regina Kunz, de l’Hôpital universitaire de Bâle. L’étude a été publiée dans la revue BMC Psychiatry (*).

 

Evoquer concrètement le travail

Dans le nouveau processus d’expertise, orienté sur les capacités fonctionnelles, les psychiatres placent le travail plutôt que la maladie au centre de la discussion, et ce dès le début de l’entretien. Ils interrogent notamment la personne sur les activités qu’impliquait son dernier emploi, sur celles qui sont encore possibles et sur ce qui pourrait débloquer la situation – une approche centrée sur la solution. Enfin, les spécialistes doivent encore classer 13 capacités liées au travail qui sont fréquemment limitées chez les personnes atteintes de troubles psychiques. Sur cette base, ils évaluent ainsi le taux d’occupation envisageable.

Pour l’étude, les chercheuses et chercheurs ont comparé les expertises de 35 psychiatres, portant sur la capacité de travail de 40 individus. Les entretiens ont été filmés et évalués à chaque fois par trois autres spécialistes indépendant-e-s. A la fin, on a obtenu ainsi quatre évaluations différentes par requérant-e. Les divergences entre ces expertises ont alors été comparées avec celles d’une série antérieure d’évaluations, pour lesquelles les psychiatres avaient bénéficié d’une formation nettement plus courte, remontant d’ailleurs à plus d’une année au moment de l’expertise. Dans ce cadre, 19 spécialistes avaient évalué la capacité de travail de 30 requérant-e-s.

 

Des attentes trop élevées ?

On a calculé à quelle fréquence deux expertises divergeaient de 25 points de pourcentage maximum en matière d’évaluation de la capacité de travail : dans le groupe témoin, 39% des comparaisons entre deux expertises dépassaient ce seuil. La formation a permis de réduire cette part à 26% – un effet statistiquement significatif.

Afin de déterminer la divergence maximale acceptable dans la pratique entre deux expertises concernant une même personne, les scientifiques ont préalablement effectué une enquête auprès de 700 expert-e-s en Suisse : évaluateurs, représentant-e-s des assurances sociales, avocats et juges estiment ainsi qu’un écart maximum de 25 points de pourcentage est tolérable pour que le processus reste juste (**). « Nous n’avons bien sûr jamais pensé que notre approche résoudrait tous les problèmes », remarque Regina Kunz, directrice de l’étude. « Mais nous sommes quand même déçus que les évaluations ne soient pas un peu plus unanimes. »

Elle tire toutefois un bilan positif de l’étude : « Les requérant-e-s et les spécialistes étaient satisfaits du nouveau processus car il pourrait clairement améliorer la transparence et la clarté des expertises pour les assurances et la justice. » Dans une autre étude, Regina Kunz et ses collègues cherchent à savoir si une formation plus approfondie des psychiatres pourrait encore améliorer la situation.

Ce n’est toutefois guère suffisant pour répondre aux attentes des parties prenantes. Le problème des fortes variations touche tout le monde occidental, comme le révèle une étude globale systématique publiée précédemment (***). « Les médecins ne sont pas des experts du travail, comme ils le soulignent eux-mêmes », explique Regina Kunz. « La formation à elle seule ne suffira pas. » Il faudrait donc réfléchir autrement, et elle suggère à titre d’exemple d’envisager de tous nouveaux systèmes d’évaluation : « Aux Pays-Bas, les psychiatres se concentrent sur la thérapie, et les évaluations sont faites par des personnes spécialement formées à cet effet. »

 

 

(*) R. Kunz et al.: The reproducibility of psychiatric evaluations of work disability: Two reliability and agreement studies. BMC Psychiatry (2019). DOI: 10.1186/s12888-019-2171-y

(**) S. Schandelmaier et al.: Attitudes towards evaluation of psychiatric disability claims: a survey of Swiss stakeholders. Swiss Medical Weekly (2015). DOI:10.4414/smw.2015.14160

(***) J. Barth et al.: Inter-rater agreement in evaluation of disability: systematic review of reproducibility studies. BMJ (2017). DOI: 10.1136/bmj.j14

 

 

Communiqué de presse du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) du 03.07.2019 consultable ici

Lien du projet financé par le Fonds national suisse (FNS)

 

 

Rente AI pour dépression : changement de pratique du Tribunal fédéral

Rente AI pour dépression : changement de pratique du Tribunal fédéral

 

Article de Petra Kern, d’Inclusion Handicap, paru in « Droit et Handicap 02/2018 du 30.01.2018 » consultable ici : http://bit.ly/2EDp5hq

 

Le 30 novembre 2017, le Tribunal fédéral a rendu deux jugements concernant le droit à la rente AI des personnes souffrant de dépressions: dans l’un, il a déclaré que la «procédure structurée d’administration des preuves», applicable en cas de troubles douloureux somatoformes et d’affections psychosomatiques assimilées, était également pertinente en cas de dépressions; dans l’autre, il a modifié sa pratique qui consistait jusqu’à présent à n’admettre le caractère invalidant des dépressions légères à moyennes que si leur résistance au traitement était démontrée (arrêts 8C_130/2017 et 8C_841/2016).

Pour les détails, nous renvoyons le lecteur à l’article de Petra Kern d’Inclusion Handicap paru in « Droit et Handicap 02/2018 du 30.01.2018 », qui relate également la genèse de ce changement de jurisprudence. L’auteure y fait une rétrospective (2016 / 2017) de la pratique du Tribunal fédéral concernant les maladies dépressives, détaille la modification de la pratique et aborde également les nouvelles directives concernant l’expertise médicale dans l’AI dès le 01.01.2018.

 

 

 

Article de Petra Kern, d’Inclusion Handicap, paru in « Droit et Handicap 02/2018 du 30.01.2018 » consultable ici : http://bit.ly/2EDp5hq

 

Cf. également

8C_841/2016 (d) et 8C_130/2017 (d) du 30.11.2017 – destinés à la publication – Rente AI pour des troubles psychiques : changement de la jurisprudence

 

 

 

8C_841/2016 (d) et 8C_130/2017 (d) du 30.11.2017 – destinés à la publication – Rente AI pour des troubles psychiques : changement de la jurisprudence

Arrêts du Tribunal fédéral 8C_841/2016 (d) du 30.11.2017, destiné à la publication, et 8C 130/2017 (d) du 30.11.2017, destiné à la publication

 

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 14.12.2017 consultable ici : http://bit.ly/2BKgsPY

 

 

Rente AI pour des troubles psychiques : changement de la jurisprudence

 

Le Tribunal fédéral modifie sa pratique lors de l’examen du droit à une rente AI en cas de troubles psychiques. La jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux, selon laquelle il y a lieu d’examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d’une procédure structurée d’administration des preuves à l’aide d’indicateurs, s’applique dorénavant à toutes les maladies psychiques. Pour les dépressions légères à moyennes en particulier, cela a pour conséquence que le critère de « résistance à la thérapie » comme condition pour obtenir une rente AI n’a plus la même importance.

 

En 2015, le Tribunal fédéral avait modifié sa pratique de clarification du droit à une rente AI en cas de troubles douloureux sans causes organiques explicables (troubles somatoformes douloureux) et troubles psychosomatiques analogues (ATF 141 V 281). La décision sur le droit à une rente AI doit dans ces cas être rendue à l’issue d’une procédure structurée d’administration des preuves. Dans ce cadre, il convient d’évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée en tenant compte, d’une part, des facteurs contraignants extérieurs limitant les capacités fonctionnelles et, d’autre part, les potentiels de compensation (ressources). Les indicateurs pertinents sont notamment l’expression des constatations et des symptômes, le recours aux thérapies, leur déroulement et leurs effets, les efforts de réadaptation professionnelle, les comorbidités, le développement et la structure de la personnalité, le contexte social de la personne concernée ainsi que la survenance des restrictions alléguées dans les différents domaines de la vie (travail et loisirs). La personne assurée supporte le fardeau de la preuve.

Dans les deux arrêts du 30 novembre 2017, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que cette approche pour clarifier le droit à une rente AI doit s’appliquer dorénavant à tous les troubles psychiques, en particulier aussi aux dépressions légères à moyennes. En principe, les maladies psychiques ne peuvent être déterminées ou prouvées sur la base de critères objectifs que de manière limitée. Même si la classification diagnostique est médicalement nécessaire et qu’un diagnostic posé selon les règles de l’art est indispensable, on ne peut en rester là sur le plan juridique. Ce qui importe le plus est la question des effets fonctionnels d’un trouble. Dans cette évaluation des conséquences d’un trouble psychique, le diagnostic n’est plus au centre. Aucune déclaration fiable sur les limitations fonctionnelles de la personne concernée ne saurait être déduite du seul diagnostic. Il convient plutôt d’appliquer à toutes les maladies psychiques la procédure d’administration des preuves à l’aide des indicateurs, dès lors que des problèmes de preuve analogues se posent pour ce type de troubles. Au mieux, en fonction du tableau clinique, des ajustements devront être faits en conséquence lors de l’évaluation de certains indicateurs. Pour des questions de proportionnalité, il peut être renoncé à la procédure structurée d’administration des preuves lorsque celle-ci n’est pas nécessaire ou qu’elle ne convient pas. Cela dépendra du besoin concret de preuve. La preuve d’une invalidité ouvrant droit à une rente ne peut en principe être considérée comme rapportée que lorsqu’il existe une cohérence au niveau des limitations dans tous les domaines de la vie. Si ce n’est pas le cas, la preuve d’une limitation de la capacité de travail invalidante n’est pas rapportée et l’absence de preuve doit être supportée par la personne concernée.

Selon la jurisprudence rendue jusque-là à propos des dépressions légères à moyennes, les maladies en question n’étaient considérées comme invalidantes que lorsqu’on pouvait apporter la preuve qu’elles étaient « résistantes à la thérapie ». Avec le changement de pratique adopté par le Tribunal fédéral, cela ne vaut plus de manière aussi absolue. La question déterminante est de savoir, comme pour les autres maladies psychiques, si la personne concernée peut objectivement apporter la preuve d’une incapacité de travail et de gain invalidante. Le fait qu’une dépression légère à moyenne est en principe traitable au moyen d’une thérapie, doit continuer à être pris en compte dans l’appréciation globale des preuves, compte tenu du fait qu’une thérapie adéquate et suivie de manière conséquente est considérée comme raisonnablement exigible.

 

 

Arrêt 8C 130/2017 consultable ici : http://bit.ly/2BKVX5s

Arrêt 8C_841/2016 consultable ici : http://bit.ly/2kIDEnc

 

 

9C_422/2016 (f) du 23.01.2017 – Trouble dissociatif moteur – Trouble somatoforme douloureux ou d’autres troubles psychosomatiques comparables / Exception quant à la nécessité de disposer préalablement d’une expertise psychiatrique

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_422/2016 (f) du 23.01.2017

 

Consultable ici : http://bit.ly/2lQFwdN

 

Trouble dissociatif moteur – Trouble somatoforme douloureux ou d’autres troubles psychosomatiques comparables – 7 LPGA – 8 LPGA – 4 LAI

Exception quant à la nécessité de disposer préalablement d’une expertise psychiatrique

 

Assurée atteinte d’une possible érythromélalgie et d’un éventuel tremblement essentiel avec hystérisation ou symptômes de conversion. L’office AI a rejeté la demande.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/370/2016 – consultable ici : http://bit.ly/2lQTUTi)

Expertise judiciaire réalisées par deux spécialistes en neurologie. Les experts ont attesté un tremblement psychogène et un trouble moteur dissociatif, de nature psychologique probable. Ils ont conclu à une capacité résiduelle de travail de 60% dans une activité adaptée, en raison de l’impotence fonctionnelle du membre supérieur droit; toute activité nécessitant l’usage conjoint des deux membres supérieurs n’était plus adaptée. Pour les experts, qui n’ont décelé aucun problème orthopédique, un avis psychiatrique n’était pas nécessaire. L’office AI a proposé la mise en œuvre d’une expertise psychiatrique.

Par jugement du 12.05.2016, admission partielle du recours, annulation de la décision et fixation de l’étendue de la capacité résiduelle de travail de l’assurée à 60% dans une activité adaptée. La cause est renvoyée à l’office AI pour investigations complémentaires au sens des considérants, calcul du degré d’invalidité, examen de l’octroi éventuel de mesures de réadaptation et nouvelle décision.

 

TF

Le trouble dissociatif moteur – tel que diagnostiqué en l’espèce par les experts judiciaires – figure au ch. F44.4 de la Classification internationale des maladies (CIM-10), selon lequel « dans les formes les plus fréquentes, il existe une perte de la capacité de bouger une partie ou la totalité d’un membre ou de plusieurs membres; les manifestations de ce trouble peuvent ressembler à celles de pratiquement toutes les formes d’ataxie, d’apraxie, d’akinésie, d’aphonie, de dysarthrie, de dyskinésie, de convulsions ou de paralysie ».

Selon la doctrine médicale, le trouble dissociatif, dont la clinique neurologique atypique implique une démarche diagnostique complexe à l’interface de la neurologie et de la psychiatrie, se présente sous forme d’un syndrome « pseudo-neurologique » pouvant mimer une atteinte motrice, sensitive ou sensorielle, des crises de type épileptique ou des mouvements anormaux, dont des troubles de la marche. Le diagnostic repose sur la présence de signes dits « positifs » qui, lorsqu’ils sont présents, suggèrent fortement le diagnostic de trouble dissociatif. Si certains de ces signes ont été validés, la plupart n’ont pas de spécificité ni de sensibilité établies. C’est donc l’ensemble du tableau clinique qui permet au neurologue d’établir le diagnostic, en évitant de restreindre ce dernier à un diagnostic d’exclusion. Le tremblement dissociatif (le plus fréquent des mouvements anormaux dissociatifs) est reconnu lorsqu’il est variable, qu’il change lorsque le sujet est distrait ou qu’il est entraîné par une autre fréquence (lors d’un mouvement rythmique de l’autre main, par exemple) (M. HUBSCHMID/S. AYBEK/F. VINGERHOETS/A. BERNEY, Trouble dissociatif: une clinique à l’interface de la neurologie et de la psychiatrie, in Revue médicale suisse 2008 p. 412-413).

Selon la jurisprudence, la reconnaissance d’une invalidité ouvrant le droit à une rente en raison d’un trouble somatoforme douloureux ou d’autres troubles psychosomatiques comparables, dont les troubles moteurs dissociatifs (cf. ATF 140 V 8 consid. 2.2.1.3 p. 14; arrêt 9C_903/2007 du 30 avril 2008 consid. 3.4), suppose au préalable qu’un diagnostic psychiatrique relevant de ce champ pathologique ait été posé selon les règles de l’art (ATF 141 V 281 consid. 2 p. 285; arrêt 9C_905/2015 du 29 août 2016 consid. 5.3.1). En d’autres termes, l’avis d’un spécialiste, en l’occurrence d’un psychiatre, est en principe nécessaire lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’incapacité de travail que ce genre de troubles est susceptible d’entraîner chez l’assuré (cf. ATF 130 V 352 consid. 2.2.2 p. 353, 396 consid. 5.3.2 p. 398 ss).

Les constatations de la juridiction cantonale quant au diagnostic et aux répercussions de celui-ci sur la capacité de travail de l’assurée sont fondées sur une expertise réalisée par deux spécialistes en neurologie. Au regard des difficultés de délimitation du trouble dissociatif moteur quant à son origine neurologique ou psychiatrique, il convient de reconnaître aux experts judiciaires la compétence de poser le diagnostic de trouble dissociatif moteur et d’en évaluer les effets dans une certaine mesure, même s’ils ne sont pas spécialistes en psychiatrie. C’est le lieu de rappeler que la jurisprudence a déjà reconnu qu’un spécialiste en rhumatologie dispose d’une certaine compétence d’appréciation en relation avec un tableau clinique de troubles psychosomatiques. Il a ainsi la faculté de se prononcer sur le caractère invalidant des douleurs alléguées, mais il doit alors s’exprimer sur la nécessité de recueillir un avis psychiatrique (cf. arrêts 9C_621/2010 du 22 décembre 2010 consid. 2.2.2, résumé in RSAS 2011 p. 299, I 704/03 du 28 décembre 2004 consid. 4.1.1).

Le principe de la nécessité de disposer préalablement d’une expertise psychiatrique pour se prononcer sur le caractère invalidant d’un trouble somatoforme douloureux ou d’une affection psychosomatique comparable peut souffrir d’exceptions. Tel est le cas lorsque, comme en l’espèce, la manifestation du trouble moteur dissociatif – en l’occurrence, un tremblement du membre supérieur droit de repos, postural et d’action, asymétrique, dont la fréquence n’est pas identifiable, variable en amplitude et non inhibé sur la volonté – et ses conséquences sont mises en évidence de façon convaincante et motivée sur le plan médical, alors qu’une expertise complémentaire sur le plan psychiatrique ne changerait rien aux constatations médicales quant au caractère non surmontable, non maîtrisé et indépendant de la volonté de l’assurée de l’expression physique (tremblement) du trouble.

On rappellera à ce sujet que les constatations effectuées par le spécialiste en psychiatrie au regard des indicateurs définis par la jurisprudence (cf. ATF 141 V 281 consid. 4 p. 296) ont pour fonction d’apporter des indices afin de pallier le manque de preuves (directes) en relation avec l’évaluation de l’incapacité de travail des troubles somatoformes douloureux et d’autres troubles psychosomatiques semblables, lorsqu’il s’agit, en particulier, d’apprécier l’existence de douleurs et des ses effets, qui ne sont que très difficilement objectivables (ATF 141 V 281 consid. 4.1 in fine p. 298 en relation avec les consid. 3.4.1.2 et 3.7.2).

En l’occurrence, les constatations objectives des experts judiciaires suffisent à convaincre de l’existence des atteintes psychiques de l’assurée et surtout de leurs effets physiques, dûment mis en évidence et expliqués, sans qu’on distingue, dans l’argumentation de l’office recourant, quel indice supplémentaire admis par un psychiatre pourrait conduire à nier le tremblement du membre supérieur de l’assurée et ses effets incapacitants. Dans cette constellation particulière, la juridiction cantonale était en droit de renoncer (exceptionnellement) à l’administration de preuves requise par l’office AI, sans que son appréciation n’apparaisse insoutenable ou contraire à la jurisprudence en matière de troubles somatoformes douloureux. Par conséquent, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations des premiers juges quant à la capacité de travail résiduelle de l’assurée.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_422/2016 consultable ici : http://bit.ly/2lQFwdN