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8C_152/2023 (f) du 14.11.2023 – Mise en œuvre d’une expertise bidisciplinaire et bilan psychologique et neuropsychologique – 44 LPGA / Invocation du motif de récusation tardif / Traduction réalisée par la sœur de l’expertisée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_152/2023 (f) du 14.11.2023

 

Consultable ici

 

Mise en œuvre d’une expertise bidisciplinaire et bilan psychologique et neuropsychologique / 44 LPGA

Invocation du motif de récusation tardif

Bilan psychologique – Traduction réalisée par la sœur de l’expertisée

 

Assurée, née en 1981, exerçait l’activité de garde d’enfants à domicile et d’aide soignante de personnes âgées et handicapées. Elle a déposé une demande de prestations auprès l’office AI sur la base d’une incapacité totale de travail depuis le 01.11.2019.

Mise en œuvre par l’office AI d’une expertise bidisciplinaire neurologique et psychiatrique avec bilan neuropsychologique, confiée à un centre d’expertise, plus particulièrement la Dre  B.__, spécialiste FMH en neurologie, et Dre C.__, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. L’expertise a été réalisée le 25.08.2021. Sur demande des expertes, une psychologue FSP a effectué un bilan psychologique. Puis une spécialiste en neuropsychologie FSP a évalué l’assurée dans son cabinet et a établi un rapport neuropsychologique à l’attention du centre d’expertise. Tous deux rapports ont été intégrés dans le rapport d’expertise en tant que documents annexes. Le 04.11.2021, les expertes ont transmis leur rapport à l’office AI, concluant à une pleine capacité de travail de l’expertisée dans l’activité professionnelle habituelle et dans une activité adaptée. Le 08.11.2021, le SMR a proposé à l’office AI de suivre les conclusions des expertes, selon lui claires, motivées et cohérentes. L’office AI a rejeté la demande AI.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/47/2023 – consultable ici)

Dans le cadre de son recours, l’assurée a déposé des rapports de sa psychiatre traitante. Dans sa réponse, l’office AI a reconsidéré sa décision en ce sens que l’intéressée ne pouvait plus exercer son activité habituelle de garde d’enfants et d’auxiliaire de santé, mais avait une capacité de travail de 60% dès août 2020 puis de 100% à partir d’août 2021 dans une activité adaptée, ouvrant ainsi le droit à un quart de rente limité dans le temps de février à novembre 2021.

Par arrêt du 31 janvier 2023, la cour cantonale a partiellement admis le recours et a réformé la décision en ce sens que l’assurée avait droit à un quart de rente d’invalidité du 01.02.2021 au 30.11.2021. Elle a confirmé la décision pour le surplus.

 

TF

Consid. 3.2
Selon l’art. 44 LPGA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties. Du point de vue de l’assuré, la communication du nom de l’expert doit lui permettre de reconnaître s’il s’agit d’une personne à l’encontre de laquelle il pourrait disposer d’un motif de récusation (ATF 146 V 9 consid. 4.2.1). Ce droit à la communication, en tant que droit de participation de l’assuré à la procédure d’expertise, constitue un aspect du droit d’être entendu (cf. arrêt 8C_741/2009 du 11 mai 2010 consid. 3.3, Revue de l’avocat 9/2010 p. 376). Comme la connaissance du nom des experts doit permettre à l’intéressé de faire valoir un motif de récusation, le défaut de communication constitue un vice de procédure, dont la personne concernée doit faire état le plus tôt possible, conformément au principe de la bonne foi en procédure (arrêt 8C_805/2018 du 21 février 2019 consid. 7.3.5). L’invocation d’un vice de forme trouve en effet ses limites dans le principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.), qui oblige celui qui s’estime victime d’une violation de son droit d’être entendu ou d’un autre vice de procédure de le signaler immédiatement, à la première occasion possible (ATF 143 V 66 consid. 4.3; arrêt 9C_557/2021 du 20 octobre 2022 consid. 5.3.2 et les arrêts cités). En particulier, la partie qui a connaissance d’un motif de récusation doit l’invoquer aussitôt, sous peine d’être déchue du droit de s’en prévaloir ultérieurement (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 et les arrêts cités). Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi de garder en réserve le moyen tiré d’une suspicion de prévention pour ne l’invoquer qu’en cas d’issue défavorable (ATF 148 V 225 consid. 3.2; arrêt 8C_358/2022 du 12 avril 2023 consid. 4.2.6).

Consid. 3.3
Le point de savoir si une expertise réalise les exigences de l’art. 44 LPGA constitue une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement (ATF 146 V 9 consid. 4.1).

 

Consid. 4.1
Invoquant une violation de l’art. 44 LPGA, l’assurée reproche aux juges cantonaux de ne pas avoir eu la possibilité de formuler des objections quant aux domaines concernés (neuropsychologie et psychologie) et aux choix des psychologues avant les examens effectués aux cabinets de celles-ci ni d’avoir pu faire valoir d’éventuels motifs de récusation contre elles.

Consid. 4.2
Dans le cadre de l’expertise, l’assurée a été convoquée dans les cabinets respectifs de la psychologue et de la neuropsychologue les 04.10.2021 et 12.10.2021, où elle a été évaluée. Elle a donc nécessairement eu connaissance de l’identité des (neuro) psychologues, ainsi que de leur domaine de spécialisation avant la réalisation de ces examens et aurait déjà pu, à ce moment-là, récuser les expertes pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. Ce n’est finalement que le 17.03.2022, dans son complément de recours, que l’assurée s’est plainte de ne pas avoir pu exercer son droit d’être entendue, tant à propos des domaines concernés (neuropsychologie et psychologie) que sur le choix des expertes. Aussi, en vertu du principe de la bonne foi, si elle estimait avoir des objections quant aux domaines de spécialisation ou des motifs de récusation contre la neuropsychologue ou la psychologue, elle aurait dû s’en prévaloir immédiatement, sous peine d’en être déchue. Au demeurant, comme l’ont dûment constaté les juges cantonaux, l’assurée n’a toujours pas exposé quels motifs de récusation elle aurait souhaité soulever, ni pour quels motifs des examens psychologiques et neuropsychologiques n’auraient pas dû être ordonnés.

Consid. 4.3
En ce qui concerne le grief de l’absence de traducteur pour les examens auxiliaires, on rappellera que la question de savoir si, dans un cas concret, un examen médical doit se dérouler dans la langue maternelle de l’assuré ou avec l’assistance d’un interprète, est en principe laissée à la libre appréciation de l’expert, responsable de la bonne exécution du mandat (arrêts 9C_295/2021 du 23 novembre 2021 consid. 4.1.1; 9C_509/2010 du 4 février 2011 consid. 4.1.1). En l’occurrence, l’examen neuropsychologique a été effectué en italien, soit dans la langue maternelle de l’assurée. Quant à l’examen psychologique, il est établi et non contesté que lors de l’examen, l’assurée était assistée de sa sœur qui était chargée d’assumer la traduction. Sur ce point, l’experte a précisé dans son rapport que l’assurée s’exprimait dans un français approximatif et qu’il a été possible de se comprendre sans traducteur externe. Même s’il n’est dans ce contexte pas idéal que la sœur de l’assurée ait été chargée de cette tâche, cela ne suffit pas pour nier d’emblée la valeur probante du rapport établi par la psychologue. On relèvera au demeurant que l’assurée ne soutient pas que, dans le cadre de l’expertise, ses propos auraient été mal retranscrits ou de manière lacunaire, ni qu’elle n’aurait pas compris certaines questions.

 

Consid. 5.2.1
Dans leur rapport d’expertise, les doctoresses B.__ et C.__ ont diagnostiqué, sur le plan somatique, des céphalées tensionnelles chroniques et, sur le plan psychique, une anxiété généralisée (CIM-10 F41.1) ainsi qu’un trouble mixte de la personnalité évitante et schizoïde (CIM-10 F61.0). Elles ont indiqué que la capacité de travail de l’expertisée – tant sur le plan somatique que psychique – était entière depuis toujours dans l’activité professionnelle habituelle et dans une activité adaptée, en précisant que les seules limitations fonctionnelles mises en évidence étaient le fait qu’elle ne pouvait pas effectuer les travaux de nuit à des horaires irréguliers.

Consid. 5.2.2
Le SMR a d’abord proposé à l’office AI de suivre les conclusions claires, motivées et cohérentes des expertes. En procédure de recours toutefois, après notamment avoir pris connaissance des derniers rapports de la psychiatre traitante de l’assurée, faisant état d’une évolution positive depuis août/septembre 2022 avec une capacité de travail de 80% à 100% dans une activité adaptée, le SMR a modifié son appréciation. Dans son avis du 08.04.2022, il a retenu que la capacité de travail de l’assurée était nulle dans l’activité habituelle dès le 01.11.2019. Dans une activité adaptée, elle était de 60% dès août 2020, puis entière dès août 2021, en respectant les limitations fonctionnelles suivantes : les activités habituelles de garde d’enfants et d’auxiliaire de santé, qui impliquent une responsabilité, la capacité de prendre des décisions et peuvent impliquer un certain niveau de stress ne sont plus exigibles, l’assurée ne pouvant exercer qu’une activité en tant qu’exécutante.

Consid. 5.3
A juste titre, les juges cantonaux ne se sont pas limités à constater que les réquisits jurisprudentiels pour accorder pleine valeur probante à l’expertise des doctoresses B.__ et C.__ étaient remplis. En effet, le fait d’accorder pleine valeur probante à un rapport médical ne délie pas le juge de son obligation d’apprécier librement les preuves (art. 61 let. c LPGA), notamment en confrontant les conclusions des divers rapports médicaux versés au dossier (cf. arrêt 8C_711/2020 consid. 4.3 du 2 juillet 2021; publié in SVR 2022 UV n° 18 p. 75). C’est bien ce à quoi la cour cantonale a procédé. Après avoir passé en revue les rapports des différents médecins traitants de l’assurée et comparé les conclusions des expertes avec celles du SMR du 08.04.2022, les juges cantonaux ont retenu que ces dernières ne remettaient pas en cause la pleine valeur de l’expertise, mais qu’elles s’en écartaient sur deux seuls points: premièrement, l’évolution de l’état de santé et la capacité de travail de l’assurée avant les examens cliniques du 25.08.2021 (effectués par lesdites expertes), soit sur des circonstances dont celles-ci ne pouvaient pas avoir une connaissance directe, et, deuxièmement, la prise en compte des limitations fonctionnelles, celles retenues par le SMR tenant notamment compte des difficultés et limites de l’assurée au plan cognitif. Se fondant sur les conclusions du SMR ainsi que du psychiatre traitant, les juges cantonaux ont retenu l’existence d’une amélioration sensible de l’état de santé et de la capacité de travail de l’assurée à partir d’août 2021.

En affirmant qu’elle peinait à comprendre comment les juges cantonaux pouvaient accorder pleine valeur probante au rapport d’expertise des doctoresse C.__ et B.__, alors que les conclusions du SMR s’en écartaient sur des points essentiels, l’assurée passe sous silence l’appréciation des preuves minutieuse à laquelle ont procédé les juges cantonaux et ne parvient pas à démontrer que celle-ci serait contraire au droit fédéral. On précisera dans ce contexte que les juges cantonaux ont dûment exposé pour quels motifs ils ne tenaient pas pour probantes les dernières attestations de la psychiatre traitante (jugement entrepris consid. 10.4.5), sans que l’assurée soulève de grief précis sur ce point.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_152/2023 consultable ici

 

8C_613/2022 (d) du 06.10.2023 – Automutilation – 37 al. 1 LAA / Valeur probante de l’expertise médicale pluridisciplinaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_613/2022 (d) du 06.10.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Automutilation / 37 al. 1 LAA

Valeur probante de l’expertise médicale pluridisciplinaire

 

Assurée, pizzaiola née en 1983, s’est blessée le 03.02.2018 au pied gauche sur le bord d’une marche d’escalier (perforation avec une barre de fer). Traitement initial aux services des urgences. Par la suite, le médecin de famille a refermé la plaie, d’abord laissée ouverte, mais qui s’est rouverte dix jours plus tard et a entraîné par la suite de nombreux traitements en raison d’un trouble de la cicatrisation.

Expertise pluridisciplinaire (orthopédie, psychiatrie et neurologie) mise en œuvre par l’assurance-accidents. Rapport d’expertise du 30.09.2020 et rapport complémentaire du 30.03.2021. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a suspendu les prestations avec effet rétroactif au 29.10.2020, en se basant sur les évaluations des experts. Elle a expliqué que l’automutilation de l’assurée avait entraîné des complications qui avaient nécessité d’autres traitements. Les troubles actuels ne seraient, selon toute vraisemblance, pas en lien de causalité avec l’accident du 03.02.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2021.502 – consultable ici)

Par jugement du 16.09.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assurée conteste en premier lieu la valeur probante (cf. ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 125 V 351 consid. 3a) de l’expertise pluridisciplinaire. Elle fait valoir qu’il aurait encore fallu faire appel à un expert en plaies ainsi qu’à un médecin spécialisé en infectiologie.

Consid. 4.2
Les experts disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix des méthodes d’examen (cf. par ex. les arrêts 8C_260/2016 du 13 juillet 2016 consid. 5.1 et les références; 8C_780/2014 du 25 mars 2015 consid. 5.1 et les références). Le choix des examens médicaux spécialisés à effectuer en fait également partie (arrêt 8C_820/2016 du 27 septembre 2017 consid. 5.5 et les références). Il appartient donc aux personnes chargées de l’expertise de décider si le recours à d’autres spécialités est nécessaire (arrêt 8C_495/2021 du 16 mars 2022 consid. 4.3 et les référence). Selon le texte introductif de l’expertise, l’assurance-accidents a accordé aux experts du centre d’expertises la possibilité de faire appel à d’autres spécialistes, après consultation avec elle. Les experts ont manifestement estimé être en mesure d’évaluer de manière définitive l’état de santé avec les disciplines de l’orthopédie, de la psychiatrie et de la neurologie, raison pour laquelle on ne peut pas reprocher à l’instance cantonale d’avoir accordé à l’expertise une valeur probante même en l’absence de spécialistes supplémentaires.

 

Consid. 5.2
Selon l’art. 37 al. 1 LAA, l’automutilation et le suicide présupposent un acte intentionnel. Le dol éventuel est également suffisant (ATF 143 V 285 consid. 4.2.4). La question de savoir si l’on est en présence d’une automutilation s’apprécie selon le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante, usuel en droit des assurances sociales. En l’occurrence, compte tenu des difficultés pratiques de preuve, il ne faut pas poser d’exigences excessives à la preuve d’une automutilation volontaire (arrêts 8C_828/2019 du 17 avril 2020 consid. 4.4.1 ; 8C_663/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.4 et les références). Contrairement au suicide, l’automutilation ne bénéficie pas de la présomption naturelle selon laquelle, en raison de la puissance de l’instinct de conservation, il faut généralement partir du principe qu’un tel acte est involontaire (cf. arrêts 8C_591/2015 du 19 janvier 2016 consid. 3.1 ; 8C_663/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.3 et 2.4).

 

Consid. 5.3.1
Les médecins experts ont pris connaissance du rapport du médecin traitant, le professeur E.__, spécialiste en chirurgie. Celui-ci s’est exprimé sur les résultats qui, selon lui, indiquaient une automutilation. Dans le cadre de l’anamnèse, le centre d’expertises a contacté le professeur E.__ par téléphone. Il a confirmé une nouvelle fois ce qui avait déjà été dit dans le rapport d’opération. Il a fait remarquer que lors de la révision de la plaie, des germes tout à fait inhabituels pour des infections cutanées (deux germes intestinaux et Klebsiella) avaient été mis en évidence. En outre, lors d’une intervention chirurgicale, il avait découvert au microscope un point de piqûre dorsal par rapport à la blessure initiale, raison pour laquelle il avait soupçonné une automutilation avec un instrument en forme d’aiguille. Par la suite, il a administré le « scotchcast » pendant le traitement chirurgical et a ainsi étanchéifié toute la zone d’infection. L’assurée n’a ensuite plus pu manipuler la plaie. Pendant ce temps, la situation s’est calmée et aucune autre infection n’est survenue. Selon le professeur E.__, il a été frappé par le fait que la dernière infection était survenue alors que l’assurée n’était pas sous surveillance médicale ou thérapeutique. Cette circonstance a clairement renforcé ses soupçons d’une infection auto-infligée.

L’expert orthopédique a rapporté que la blessure subie par l’assurée le 03.02.2018 aurait guéri au plus tard après six à neuf mois, même en cas d’apparition d’une infection dans la profondeur de la jambe gauche. L’état déplorable constaté lors des examens était exclusivement lié à la maladie. Il ressort de l’expertise psychiatrique que l’automutilation est un trouble auto-infligé (CIM-10 F68.10). Le psychiatre a précisé que le seul critère diagnostique à remettre en question était la condition selon laquelle le comportement manifesté ne pouvait pas être mieux expliqué par un autre trouble psychique (p. ex. un trouble délirant ou un autre trouble psychotique). Il a conclu qu’il existait chez l’assurée une suspicion de trouble de la personnalité borderline (CIM-10 F60.31). Les automutilations sont relativement fréquentes dans ce trouble. De plus, selon le rapport de sortie de la clinique F.__, des phénomènes psychotiques et de déréalisation auraient été observés chez l’assurée. Cependant, dans les troubles de la personnalité borderline ainsi que dans les troubles psychotiques, les comportements d’automutilation ne sont généralement pas dissimulés. De plus, dans le cas d’automutilations liées à des troubles mentaux, l’assistance médicale n’est généralement pas l’objectif premier de la personne concernée. Dans le cas d’espèce, la simulation évidente d’un trouble a apparemment eu pour effet de la considérer comme handicapée, et par conséquent, aucune activité professionnelle ne lui serait plus exigible dans ce contexte. Les circonstances présentes plaident donc plutôt contre une automutilation due à un trouble mental.

Dans leur avis complémentaire, les experts ont à nouveau confirmé que le trouble de la cicatrisation avait été causé par une automutilation. Il est difficile de déterminer quand celle-ci a commencé. Au plus tard depuis que le professeur E.__ a pris en charge le traitement chirurgical et pris des mesures (« Scotchcast »), le soupçon d’automutilation s’est renforcé.

Consid. 5.3.2
La cour cantonale a reconnu qu’il était établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les limitations encore présentes reposaient sur une automutilation intentionnelle. L’assurée ne présente aucun élément concret qui contredise l’appréciation des preuves de la juridiction cantonale. Elle expose essentiellement sa propre vision de la manière dont le trouble de la cicatrisation s’est développé, comment interpréter les documents médicaux, et quelles conclusions en tirer. Cela n’est pas suffisant pour rendre l’appréciation de la cour cantonale contraire au droit fédéral (arrêt 8C_380/2022 du 27 décembre 2022 consid. 11.1 et la référence).

L’assurée affirme notamment que le canal de piqûre, dont le professeur E.__ et les médecins-experts déduiraient l’automutilation, serait dû au fait que des abcès auraient été percés à la fois à l’hôpital et à la clinique F.__. Or, comme elle le constate elle-même, cela n’est pas documenté dans les rapports respectifs. De plus, l’allégation de la recourante selon laquelle les professionnels de la santé l’auraient traitée à plusieurs reprises sans gants d’hygiène n’est pas étayée. En outre, l’instance cantonale a correctement constaté que, pour les médecins-experts, il était resté incertain depuis quand exactement les germes inhabituels étaient présents dans la plaie.

Ils sont toutefois partis du principe que cela avait été le cas au plus tard à partir de la date du traitement par le professeur E.__ (date de l’opération : 17.02.2020). On ne voit pas dans quelle mesure le tribunal cantonal aurait violé le droit fédéral en se basant sur le moment fixé par l’expertise pour déterminer le moment de l’automutilation. Comme le fait remarquer à juste titre l’assurée, il n’est pas exclu que la contamination de la plaie ait eu lieu plus tôt, mais cela ne changerait rien en sa faveur quant à la fin du droit aux prestations à compter du 29.10.2020.

Pour la même raison, le renvoi de l’assurée au rapport de la clinique F.__ du 21.11.2019 et le reproche qui y est lié, à savoir qu’une manipulation (de la plaie) n’était pas reconnaissable à l’époque, est sans objet. A ce sujet également, il convient de noter que les médecins-experts n’ont admis l’existence d’une automutilation qu’à une date ultérieure et que l’assurance-accidents a en conséquence cessé de prester qu’en octobre 2020.

 

Consid. 5.4.1
Au vu de ce qui précède, l’instance cantonale a, dans une appréciation anticipée des preuves (arrêt 144 V 361 consid. 6.5), renoncé à d’autres investigations, conformément au droit fédéral. Conformément à l’expertise pluridisciplinaire, la cour cantonale a jugé que les troubles encore présents étaient attribuables à l’automutilation, position qui peut être suivie. La conclusion du tribunal cantonal selon lequel les causes dues à l’accident, étayées par les résultats de l’expertise, auraient guéri sans conséquences notables au plus tard neuf mois après l’événement du 03.02.2018, en l’absence du trouble auto-infligé, n’est pas non plus critiquable. Comme l’a à juste titre retenu la cour cantonale, il faut partir du principe que l’atteinte à la santé a été auto-infligée (au moins par dol éventuel) (cf. art. 37 al. 1 LAA et consid. 5.2 ci-dessus).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_613/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_613/2022 (d) du 06.10.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/11/8c_613-2022)

 

Casso VD AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023 – Valeur probante d’une expertise psychiatrique – 43 LPGA / Enregistrement sonore exploitable à la suite d’un problème d’ordre technique – 44 al. 6 LPGA – 7k OPGA / Retrait du rapport d’expertise litigieux du dossier AI

Arrêt de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’une expertise psychiatrique / 43 LPGA

Enregistrement sonore inexploitable à la suite d’un problème d’ordre technique / 44 al. 6 LPGA – 7k OPGA

Retrait du rapport d’expertise litigieux du dossier AI

 

Remarques liminaires

Une fois n’est pas coutume, un arrêt cantonal est résumé sur notre site. Il s’agit l’un des premiers arrêts (en tout cas le premier à notre connaissance) concernant l’enregistrement sonore défaillant lors d’une expertise médicale mise en œuvre par un assureur social. Au moment de la publication de notre résumé, l’arrêt n’est pas entré en force. On soulignera que la juridiction cantonale a renvoyé la cause à l’office AI pour qu’il complète l’instruction et rende une nouvelle décision sur le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

En fait

Assurée, de nationalité irakienne, mariée et mère de trois enfants, au bénéfice d’une formation d’auxiliaire de santé. Depuis le 01.10.2009, l’assurée a travaillé comme femme de chambre auprès d’une hôtel. Incapacité de travail attestée à 100% dès le 24.08.2017, puis à 50% dès le 09.10.2017.

L’assureur perte de gain maladie de l’employeur a versé des indemnités journalières jusqu’au 31.07.2018, conformément aux rapports d’expertise d’un spécialiste en rhumatologie et d’un spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie (Dr C.__ ; rapport du 24.03.2018).

Le 25.07.2018, l’assurée a déposé une demande AI. Se basant sur un rapport d’examen du SMR daté du 25.07.2019, l’office AI a informé l’assurée de son intention de rejeter sa demande de prestations. Selon ce rapport, à l’expiration de la période d’attente d’un an, si elle présentait une capacité de travail de 50% dans son activité habituelle, l’intéressée était en mesure de travailler à plein temps dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles.

L’assurée, assistée de son assurance protection juridique, a contesté ce préavis négatif, en fournissant divers rapports médicaux.

L’office AI a mis en œuvre une expertise bidisciplinaire (rhumatologie et psychiatrie). Sur le plan psychiatrique, le Dr G.__, spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie, a retenu les diagnostics incapacitants de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère, sans symptôme psychotique (F33.2), et de modification durable de la personnalité après une expérience de catastrophe (F62.0). Au plan somatique, la capacité de travail de l’assurée était entière dans une activité adaptée alors que sur le plan psychiatrique sa capacité de travail était nulle dans toute activité depuis l’été 2020 « selon le rapport de la Dre I.__ [psychiatre traitant] ».

Le SMR a proposé de réinterroger les médecins-experts au motif que leurs conclusions restaient floues et/ou insuffisamment discutées. Au vu de l’ampleur des informations complémentaires à apporter, on ne pouvait exclure la nécessité d’une nouvelle évaluation bidisciplinaire. Les experts ont répondu aux questions complémentaires le 08.09.2021.

Le médecin du SMR a estimé que si l’expert rhumatologue apportait un complément suffisant à son expertise, il était toutefois nécessaire de procéder à une nouvelle expertise psychiatrique de l’assurée, laquelle a été confiée par l’office AI au Dr W.__, spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie.

Dans son rapport d’expertise psychiatrique, le Dr W.__ a posé le diagnostic incapacitant de trouble dépressif récurrent avec syndrome somatique léger (F33.0) et a estimé la capacité de travail de l’assurée à 50% dans toutes activités dès novembre 2019. Il a précisé que, d’un point de vue psychiatrique, toute activité adaptée aux compétences et à la motivation de l’intéressée était envisageable alors que les limitations fonctionnelles ressortaient du registre strictement rhumatologique, sur la base d’un emploi exercé à mi-temps.

Le médecin du SMR a relevé le caractère probant du rapport d’expertise psychiatrique précité, mais a cependant requis un complément d’information auprès du Dr W.__. En réponse aux questions complémentaires de l’office AI, le Dr W.__ a fait savoir que le traitement médicamenteux était largement insuffisant par rapport au diagnostic allégué et à la reconnaissance d’une incapacité de travail complète par le médecin de famille. Le Dr W.__ a indiqué qu’il lui semblait judicieux de réévaluer la situation « par un œil extérieur » six mois après la réadaptation du traitement.

L’office AI a, par décision du 04.08.2022, confirmé la teneur de son préavis négatif du 21.10.2019. L’office AI a précisé que son projet de décision reposait sur une instruction complète et était conforme en tous points aux dispositions légales.

 

L’assurée, par la plume de son nouveau conseil, a déféré cette décision devant la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal.

Dans sa réplique du 26.10.2022, l’assurée a produit un courrier de l’office AI du 18.10.2022 à son conseil indiquant que l’enregistrement sonore de l’entretien d’expertise n’était malheureusement pas exploitable suite à un problème d’ordre technique. Or, elle considère que l’enregistrement précité est indispensable, élément qui fait défaut et dont elle soutient qu’il est à l’origine d’une violation de son droit d’être entendue ainsi que des garanties liées à la transparence des expertises voulue par le législateur ; selon elle, l’expert psychiatre n’a pas tenu compte de ses plaintes subjectives ou les a, à tout le moins, fortement minimisées dans l’anamnèse. L’assurée a requis de la cour cantonale de retrancher du dossier le rapport d’expertise du Dr. W.__ ainsi que son complément. Elle propose dès lors de retenir sa capacité de travail nulle dans une activité adaptée depuis l’été 2020 reconnue par l’expertise bidisciplinaire et corroborée par la psychiatre traitant.

Dans sa duplique, l’office a constaté après réexamen que l’assurée avait droit à un quart de rente, sur la base d’un degré d’invalidité de 41,47%. Pour le surplus, s’il était certes regrettable que l’enregistrement ne soit pas exploitable, celui-ci ne semblait pas déterminant « à supposer qu’on puisse l’apprécier ».

 

En droit

Consid. 4d/aa
Depuis le 1er janvier 2022, sauf avis contraire de l’assuré, les entretiens entre l’assuré et l’expert font l’objet d’enregistrements sonores, lesquels sont conservés dans le dossier de l’assureur (art. 44 al. 6 LPGA). L’entretien comprend l’ensemble de l’entrevue de bilan. Celle-ci inclut l’anamnèse et la description, par l’assuré, de l’atteinte à sa santé (art. 7k al. 1 OPGA. Au moyen d’une déclaration écrite adressée à l’organe d’exécution, l’assuré peut annoncer avant l’expertise qu’il renonce à l’enregistrement sonore (art. 7k al. 3 let. a OPGA) ou demander la destruction de l’enregistrement jusqu’à dix jours après l’entretien (art. 7k al. 3 let. b OPGA). Avant l’entretien, il peut révoquer sa renonciation au sens de l’al. 7k al. 3 let. a OPGA auprès de l’organe d’exécution (art. 7k al. 4 OPGA). L’enregistrement sonore doit être réalisé par l’expert conformément à des prescriptions techniques simples. Les assureurs garantissent l’uniformité de ces prescriptions dans les mandats d’expertise. L’expert veille à ce que l’enregistrement sonore de l’entretien se déroule correctement sur le plan technique (art. 7k al. 5 OPGA). Les experts et les centres d’expertises transmettent l’enregistrement sonore à l’assureur sous forme électronique sécurisée en même temps que l’expertise (art. 7k al. 7 OPGA). Si l’assuré, après avoir écouté l’enregistrement sonore et constaté des manquements techniques, conteste le caractère vérifiable de l’expertise, l’assuré et l’organe d’exécution tentent de s’accorder sur la suite de la procédure (art. 7k al. 8 OPGA). Si la personne assurée et l’office AI ne parviennent pas à se mettre d’accord à ce sujet, l’OAI rendra une décision incidente (Circulaire sur la procédure dans l’assurance-invalidité [CPAI], état au 1er janvier 2022, n°3127).

Consid. 4d/bb
Compte tenu de la finalité de l’enregistrement sonore et de sa forme particulière de conservation, les directives prévoient que lorsque l’assuré demande l’accès à son dossier, l’enregistrement n’est pas transmis d’office avec les actes, dès lors que l’enregistrement a pour but de vérifier, en cas de litige, ce qui a été effectivement dit lors de l’entretien (Michela Messi, AI : les enregistrements favorisent la transparence, in Sécurité sociale [CHSS] 2022).

La personne assurée peut toutefois demander expressément de l’écouter. Par exemple lorsque, en lisant l’expertise, qui en soi sert de base à la décision de l’office AI, elle estime que le rapport d’expertise ne reproduit pas correctement les déclarations faites pendant l’entretien. Dans ce cas, l’office lui transmettra les instructions ainsi que les données nécessaires pour accéder électroniquement à l’enregistrement sonore et pouvoir ainsi l’écouter.

Pour que les experts puissent enregistrer facilement les entretiens et les transmettre aux offices AI, une solution informatique dédiée à l’assurance-invalidité a été créée. Une application pour smartphones permet aux experts d’enregistrer un entretien, de le réécouter et de le transmettre à l’office AI. L’enregistrement sonore n’est pas conservé sur le smartphone, mais téléchargé et stocké sur une plateforme sécurisée. Les experts peuvent également réaliser l’enregistrement avec un dictaphone et le télécharger ensuite sur la plateforme. Vu qu’il s’agit de données particulièrement sensibles, une grande attention a été accordée à la sécurité et à la protection des données lors de la mise en œuvre de l’application.

Pour des raisons de protection des données, l’accès à l’enregistrement sonore a été limité à un groupe très restreint de personnes et institutions : l’assuré même et son représentant, l’organe d’exécution compétent (l’office AI dans les cas AI) ainsi que les tribunaux appelés à statuer sur un éventuel recours.

Consid. 4d/cc
En l’espèce, l’assurée a invoqué des contradictions et des incohérences dans l’anamnèse relatée par le Dr W.__, ainsi que dans les explications de l’expert s’agissant du fils qu’elle a dû laisser en Irak en pleine guerre, provoquant un traumatisme majeur selon l’assurée. Dans le cadre de son recours, elle a contesté différentes affirmations de l’expert, qui ne correspondent pas, selon elle, à la réalité. Elle observe que les indications d’une « mère gentille » et de « souvenir d’une enfance tout à fait normale ou tout à fait heureuse » par l’expert sont en contradiction avec le fait qu’elle a été élevée par sa grand-mère car sa mère ne voulait pas d’elle, comme l’a relevé l’experte G.__, et que, selon ses propres dires, elle était « une enfant qui avait peur ». S’agissant du fils qu’elle a dû laisser en Irak, pour des raisons économiques selon l’expert, elle indique qu’elle avait voulu fuir la guerre en Irak avec ses trois enfants, mais qu’elle avait été forcée de laisser un de ses fils dans son pays d’origine, en pleine guerre. Elle ajoute qu’il ressort clairement des appréciations des Dres G.__ et I.__ que cet épisode a été particulièrement traumatique. Selon l’assurée, le rapport du Dr W.__ comporte également un certain nombre d’incohérences : par exemple, l’expert indique qu’elle n’est pas dramatique tout en signalant peu après que ses douleurs prennent « volontiers une teinte assez dramatique ». L’expert explique également que l’assurée peut reconstituer de manière très claire et précise son histoire personnelle, avec des repères temporels et dates bien maintenues, tout en reprochant dans le même temps à la recourante « une certaine imprécision ». Elle ne comprend pas l’expert lorsqu’il déclare que l’on ne pourrait pas parler de « suicidalité » alors même qu’une tentative et des pensées suicidaires sont attestées par les Dres G.__ et I.__. De plus, l’appréciation de l’expert pour exclure le diagnostic de modification durable de la personnalité après expérience de catastrophe ne correspondrait pas à la réalité avec une tentative de suicide rapportée en 2005 par les médecins, la venue de son fils fortement traumatisé par la guerre (ayant notamment assisté à la mort des membres de sa famille) et celle de son mari avec la reprise des violences conjugales (psychiques et sexuelles ayant perduré de nombreuses années), pour lesquelles on ne saurait parler de simple « conflit de couple » comme l’a fait l’expert. Le tableau clinique décrit par l’expert, symptomatique d’une dépression moyenne à légère, ne correspondrait pas aux descriptions des Dres G.__ et I.__, cette dernière faisant état, dans son rapport du 02.03.2022, de la persistance de la symptomatologie dépressive, anxieuse, algique et du registre traumatique, avec des flash-backs, des symptômes dissociatifs et des voyages pathologiques, éléments toutefois passés sous silence par l’expert. L’assurée conteste que sa prise en charge psychiatrique depuis 2017 serait due à une « certaine insatisfaction professionnelle probable » « voire des soucis quant à l’un de ses fils », analyse qui sous-évalue ses troubles psychiques et qui est également en contradiction avec les avis de ses médecins. Elle reproche en outre à l’expert, en lien avec l’aggravation de la symptomatologie en 2019, de se borner à déclarer qu’elle serait en contradiction avec les éléments objectifs, soit le voyage en Irak durant cette année-là, sans toutefois se prononcer sur les explications fournies par la Dre I.__. De l’avis de l’assurée, les diagnostics de trouble dépressif récurrent avec syndrome somatique léger et de « conflit de couple ; insatisfaction professionnelle, divers » posés par l’expert résultent ainsi d’une analyse tronquée, « minimisant grandement » les troubles présentés. Enfin s’agissant de la capacité de travail, l’assurée observe que l’expert évalue sa capacité de travail médico-théorique à 50% dans une activité adaptée à ses compétences et ses limitations somatiques objectives. Puis à la question « A quel pourcentage évaluez-vous globalement la capacité de travail de l’assuré(e) dans cette activité, par rapport à un 100% ? », l’expert répond : « 50% dès novembre 2019 sur la base d’un plein temps soit 08h00 par jour, cinq jours sur sept ». Interpellé par la suite par le médecin du SMR, il n’a pas été en mesure de préciser l’évolution probable de la capacité de travail dans son complément. L’expert n’aurait en outre pas tenu compte de ses plaintes. En d’autres termes, l’assurée affirme dans ses écritures que le rapport d’expertise reproduirait incorrectement les déclarations qu’elle a faites pendant l’entretien avec l’expert.

Consid. 4d/cc
En définitive, dès lors que l’office AI a confirmé dans un courrier du 18.10.2022 au conseil de l’assurée que l’enregistrement sonore de l’expertise du Dr W.__ n’était pas exploitable, la cour cantonale n’est pas en mesure de déterminer si les déclarations de l’assurée ont été saisies correctement et reprises avec exactitude dans le rapport de l’expert. Un tel enregistrement sonore s’avère pourtant indispensable pour savoir si l’expert psychiatre a correctement tenu compte des plaintes de l’assurée, sans les minimiser, ce d’autant plus que le tableau clinique dressé par le Dr W.__ diffère des observations des Drs G.__ et I.__.

Quoi qu’en dise l’office AI dans sa duplique du 28.11.2022, l’enregistrement sonore de l’expertise menée par le Dr W.__ est un élément indispensable pour permettre au tribunal cantonal de statuer sur les critiques soulevées par l’assurée en lien avec la vérification de l’expertise. Par conséquent, faute d’enregistrement sonore, l’expertise psychiatrique du 05.05.2022 du Dr W.__ ainsi que son complément du 21.07.2022 devront être retirés du dossier.

Consid. 4g
En l’absence d’une appréciation psychiatrique suffisamment motivée pour établir de manière objective si l’assurée présente une atteinte psychique d’une gravité telle que la mise en valeur de sa capacité de travail sur le marché du travail ne peut plus du tout ou seulement partiellement être exigible de sa part, il s’avère nécessaire de faire compléter l’instruction médicale. Il convient par conséquent de renvoyer la cause à l’office AI, autorité à qui il incombe en premier lieu d’instruire, conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 43 al. 1 LPGA). Compte tenu de l’absence d’atteinte objective d’origine somatique et de la prévalence d’une symptomatologie douloureuse sans substrat organique, l’office AI mettra en œuvre une nouvelle expertise psychiatrique auprès d’un spécialiste en psychiatrie, autre que le Dr W.__. Même si le praticien précité s’efforçait d’occulter complètement son évaluation basée sur le premier entretien, on ne peut pas garantir qu’il ne continuerait pas à être influencé par cet entretien, si sa deuxième expertise psychiatrique contenait les mêmes conclusions. Cela fait, il appartiendra à l’office AI de rendre une nouvelle décision statuant sur la demande de l’assurée.

Consid. 5a
Le recours doit être admis, ce qui entraîne l’annulation de la décision rendue par l’office AI, la cause lui étant renvoyée pour mise en œuvre d’une expertise psychiatrique dans le sens des considérants, puis nouvelle décision, étant précisé que l’expertise psychiatrique du 05.05.2022 du Dr W.__ ainsi que son complément du 21.07.2022 doivent être retirés du dossier.

 

Arrêt de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023 consultable ici

 

 

9C_41/2023 (f) du 27.06.2023 – Evaluation de l’allocation pour impotent / 9 LPGA – 42 LAI – 37 RAI / Avis du SMR vs Rapport de l’enquête à domicile

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_41/2023 (f) du 27.06.2023

 

Consultable ici

 

Evaluation de l’allocation pour impotent / 9 LPGA – 42 LAI – 37 RAI

Avis du SMR vs Rapport de l’enquête à domicile

 

Par décision du 01.06.2018, l’office AI a octroyé à l’assurée, née en 1973 et mère de huit enfants (nés entre 1993 et 2010), un quart de rente d’invalidité depuis le 01.03.2017, fondé sur un taux d’invalidité de 40%, assorti de cinq rentes pour enfant. Cette décision a été confirmée successivement par le tribunal cantonal, puis par le Tribunal fédéral (arrêt 9C_628/2020 du 29.07.2021).

Entre-temps, en juin 2018, l’assurée a sollicité une allocation pour impotent. L’office AI a notamment diligenté une enquête à domicile (rapport du 17.06.2019). L’enquêtrice a fait état d’un besoin d’aide régulière et importante en relation avec les six actes ordinaires de la vie, depuis 2012 au minimum; elle a également attesté un besoin d’accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie et de surveillance personnelle. Après avoir soumis le rapport d’enquête à domicile au médecin du SMR, spécialiste en médecine interne générale, l’office AI a nié le droit de l’assurée à une allocation pour impotent, par décision du 16.10.2020.

Dans l’intervalle, en septembre 2020, l’assurée a demandé le réexamen de son droit à la rente d’invalidité, en alléguant une aggravation de son état de santé.

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a considéré que le rapport du 17.06.2019 de l’enquêtrice n’était pas probant et que c’était donc à juste titre que l’office AI s’en était écarté. Les juges cantonaux ont constaté à cet égard que le rapport d’enquête à domicile contenait plusieurs incohérences et certaines contradictions. Par ailleurs, en se fondant sur les conclusions du médecin du SMR, ils ont admis que l’enquêtrice n’avait pas apprécié de façon critique les déclarations et plaintes de l’assurée, mais qu’elle s’était contentée de les reprendre telles quelles, sans recul. L’instance cantonale a ensuite nié que les avis des médecins traitants de l’assurée fûssent suffisamment motivés et détaillés pour permettre de retenir un besoin d’aide régulière et importante pour l’accomplissement des actes élémentaires de la vie quotidienne au sens de l’art. 37 RAI. Pour le surplus, le Tribunal cantonal a constaté que les explications du médecin du SMR, selon lesquelles le trouble de la personnalité borderline de l’assurée favoriserait l’autolimitation et les comportements démonstratifs, n’étaient contredites par aucune pièce médicale au dossier. En conséquence, il a confirmé que l’assurée ne remplissait pas les conditions d’octroi d’une allocation pour impotent.

Par jugement du 01.12.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Comme le fait valoir à juste titre l’assurée, les juges cantonaux se sont avant tout fondés sur la situation de l’assurée telle qu’elle se présentait au moment de l’expertise pluridisciplinaire réalisée le 25 novembre 2016, dans le cadre de l’instruction de sa demande tendant à l’octroi d’une rente d’invalidité. En effet, en se référant au rapport du médecin du SMR pour nier son droit à une allocation pour impotent, ils ont repris l’appréciation qu’a faite ce médecin sur la base des conclusions de l’experte E.__, spécialiste en médecine interne générale et en rhumatologie. Dans son rapport, le médecin du SMR a indiqué que les résultats de l’enquête à domicile étaient « quasi-caricaturaux » et ne « fai[saien]t que refléter ce sur quoi la [doctoresse] E.__ nous a[vait] mis en garde: toute évaluation extérieure aboutira systématiquement à la présentation d’un tableau dramatique, sans proportion aucune avec les atteintes médicalement objectivables de cette assurée », sans se prononcer au sujet de la situation prévalant concrètement postérieurement à l’expertise.

Ce faisant, en rejetant des résultats de l’enquête à domicile tout en suivant les conclusions du médecin du SMR, la juridiction cantonale s’est fondée sur l’avis d’un médecin qui n’a pas évalué les capacités de l’assurée quant aux conditions de la prestation en cause en fonction d’un examen concret de l’assurée, alors qu’une enquête sur place pour déterminer les circonstances concrètes est en principe nécessaire pour l’évaluation de l’impotence. Dans la mesure où le médecin du SMR – qui n’est au demeurant pas psychiatre – estimait qu’un tel examen « externe » n’aboutirait à aucun résultat probant, il appartenait à l’office AI de procéder à une mesure d’instruction complémentaire, en convoquant par exemple l’assurée à une discussion, voire à un examen auprès du SMR. Par ailleurs, en expliquant que le trouble de la personnalité borderline favorisait « nettement le comportement catastrophiste de cette personne, qui s’autolimite en tout », le médecin du SMR n’indique pas si concrètement le diagnostic psychiatrique a des effets dans la vie quotidienne de l’assurée, par rapport aux actes ordinaires de la vie et au besoin d’accompagnement.

Consid. 4.2
Dans ces circonstances, la cause doit être renvoyée à l’office AI pour qu’il procède aux mesures d’instruction nécessaires quant au droit de l’assurée à une allocation pour impotent à la suite de la demande de prestations qu’elle a déposée en juin 2018. Il lui incombera ensuite de rendre une nouvelle décision sur ce point, au besoin en tenant compte du résultat de la procédure concernant le réexamen du droit de l’assurée à la rente d’invalidité, initiée en septembre 2020. La conclusion subsidiaire de l’assurée se révèle bien fondée.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_41/2023 consultable ici

 

8C_580/2022 (f) du 31.03.2023 – Abattement sur le revenu d’invalide ESS – Excès du pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal / IPAI – Rôle du médecin vs tâches de l’administration et du juge – Appréciation médicale n’est pas du ressort des juges

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_580/2022 (f) du 31.03.2023

 

Consultable ici

 

Abattement sur le revenu d’invalide ESS – Excès du pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal / 16 LPGA

IPAI – Rôle du médecin vs tâches de l’administration et du juge – Appréciation médicale n’est pas du ressort des juges / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

 

Assuré, né en 1969, a travaillé à plein temps comme maçon à compter du 06.08.2018. Le 04.10.2018, il a été victime d’une chute alors qu’il transportait des panneaux de coffrage, se blessant au membre inférieur gauche et à l’épaule gauche. Le 18.09.2019, l’assuré s’est blessé à l’épaule droite ensuite d’une chute dans les escaliers de son immeuble. Du 12.02.2020 au 11.03.2020, l’intéressé a séjourné à la Clinique romande de réadaptation (CRR).

Dans son rapport d’examen final du 28.09.2020, le médecin-conseil a estimé que l’assuré disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles (à savoir sans port de charges supérieures à 20 kg, sans port répété de charges supérieures à 10 kg, sans travail avec le membre supérieur gauche au-dessus du plan du thorax avec de façon idéale le coude et l’avant-bras gauche reposant sur un support, sans mouvement de rotation répété du membre supérieur gauche, sans marche en terrain irrégulier, sans déplacement prolongé, sans utilisation d’échelles, sans travail sur les toits ou les échafaudages, sans travail en position accroupie ou à genoux). Ce médecin a évalué l’IPAI à 30% (10% pour l’épaule gauche et 20% pour la cheville gauche).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et lui a alloué une IPAI de 30%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 02.09.2022, admission du recours et réformation de la décision sur opposition en ce sens qu’une rente d’invalidité fondée sur un taux de 11% dès le 01.09.2020, ainsi qu’une IPAI de 35%, sont octroyées à l’assuré.

 

TF

Consid. 3.1.4
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 3.1.5
Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le tribunal des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 consid. 5.2 et l’arrêt cité).

Consid. 3.2.1
Dans sa décision sur opposition, l’assurance-accidents a fixé le revenu d’invalide sur la base de l’ESS 2018, TA1_tirage_skill_level, niveau de compétence 1, total hommes. Compte tenu d’un abattement de 5% appliqué en raison des limitations fonctionnelles de l’assuré, le revenu d’invalide s’élevait à 65’805 fr. En présence d’un revenu sans invalidité de 69’599 fr., le taux d’invalidité n’était que de 5%.

Consid. 3.2.2
Les juges cantonaux ont retenu que l’assuré présentait des limitations notables des fonctions du membre supérieur gauche, ce qui rendait plus difficile l’exploitation de sa capacité de travail dans des travaux manuels proprement dits, comme ceux prévus au niveau de compétence 1 de l’ESS. Références jurisprudentielles à l’appui, ils ont relevé qu’un abattement de 10 à 15% était en règle générale appliqué lorsque l’assuré était privé de l’usage d’une main, et qu’un abattement de 10% était généralement retenu lorsque celui-ci pouvait exercer certaines activités bimanuelles ponctuelles malgré un usage restreint de la main. Dès lors que les limitations fonctionnelles de l’assuré relatives à son membre supérieur gauche apparaissaient moins graves que celles précitées, un abattement de 10% semblait dans le cas d’espèce quelque peu élevé. Les limitations fonctionnelles touchaient toutefois également le membre inférieur gauche, de sorte qu’un abattement de 10% devait au final être appliqué, ce qui conduisait à un revenu d’invalide de 62’341 fr. 20. Mis en rapport avec le revenu sans invalidité de 69’599 fr., ce revenu d’invalide conduisait à un taux d’invalidité de 10,43%, arrondi par l’instance précédente à 11%.

Consid. 3.2.3
L’assurance-accidents soutient qu’un abattement de 5% prendrait suffisamment en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré. Au demeurant, dans l’hypothèse d’un taux d’invalidité de 10,43%, la cour cantonale aurait dû, selon la jurisprudence (ATF 130 V 121), arrondir ce taux vers le bas et l’arrêter à 10%.

Consid. 3.2.4
Les limitations fonctionnelles de l’assuré ont été prises en considération pour déterminer sa capacité de travail dans une activité adaptée à son état de santé. Par ailleurs, au regard des nombreuses activités que recouvrent les secteurs de la production et des services (ESS 2018, tableau TA1_skill_level, niveau de compétence 1), un nombre suffisant d’entre elles correspondent à des travaux respectant lesdites limitations fonctionnelles, lesquelles n’entravent pas l’usage par l’assuré de ses mains et ne l’empêchent pas de se tenir debout, de se déplacer et d’être en position assise. Or, lorsqu’un nombre suffisant d’activités correspondent à des travaux respectant les limitations fonctionnelles de l’assuré, une déduction supplémentaire sur le salaire statistique ne se justifie en principe pas pour tenir compte des circonstances liées au handicap. En effet, un abattement n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêt 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.1 et l’arrêt cité). Un abattement de 5% prend donc suffisamment en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré.

Consid. 3.2.5
Il s’ensuit que les premiers juges ont opéré à tort un abattement de 10% sur le salaire issu de l’ESS, substituant sans motif pertinent leur propre appréciation à celle de l’assurance-accidents (cf. consid. 3.1.5 supra). S’agissant du revenu d’invalide, le salaire mensuel de référence – part au treizième salaire comprise – pris en compte (ESS 2018, TA1_tirage_skill_level, niveau de compétence 1, total hommes) se monte à 5’417 fr. L’assurance-accidents a correctement adapté ce salaire à la durée normale hebdomadaire du travail en Suisse (41,7 heures) et à l’évolution des salaires nominaux pour les hommes (+ 0,9% en 2019, + 0,8% en 2020 et + 0,5% en 2021). Il en résulte un revenu annuel de 69’268 fr. 17, soit 65’804 fr. 77 avec 5% d’abattement. Comparé au revenu sans invalidité de 69’599 fr., ce revenu d’invalide aboutit à un taux d’invalidité de 5,45%, insuffisant au regard de l’art. 18 al. 1 LAA pour ouvrir le droit à une rente. C’est donc à bon droit que l’assurance-accidents a, par décision sur opposition du 10 août 2021, nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 25 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital (al. 1, première phrase); elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité (al. 1, seconde phrase); le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur le calcul de l’indemnité (al. 2).

Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 3 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). En cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, dues à un ou plusieurs accidents, l’indemnité est fixée d’après l’ensemble du dommage (art. 36 al. 3, première phrase, OLAA).

Selon l’art. 36 al. 2, première phrase, LAA, les rentes d’invalidité, les indemnités pour atteinte à l’intégrité ainsi que les rentes de survivants sont réduites de manière équitable lorsque l’atteinte à la santé ou le décès ne sont que partiellement imputables à l’accident.

Consid. 4.1.2
Dans le cadre de l’examen du droit à une IPAI, il appartient au médecin – qui dispose des connaissances spécifiques nécessaires – de procéder aux constatations médicales; telle n’est pas la tâche de l’assureur ou du juge, lesquels se limitent à faire une appréciation des indications données par le médecin. Le fait que l’administration et le juge doivent s’en tenir aux constatations médicales du médecin ne change rien au fait que l’évaluation de l’IPAI – en tant que fondement du droit aux prestations légales – est en fin de compte l’affaire de l’administration ou, en cas de litige, du juge, et non celle du médecin. En contrepartie, l’autorité d’application du droit doit à cet égard respecter certaines limites, dans la mesure où des connaissances médicales – dont elle ne dispose pas – revêtent une importance déterminante pour l’évaluation du droit aux prestations. Si, au terme d’une libre appréciation des preuves, elle arrive à la conclusion que les constatations médicales ne sont pas concluantes, il lui appartient en règle générale d’ordonner un complément d’instruction sur le plan médical. Il n’est en revanche pas admissible que le tribunal ne tienne pas compte des éléments pertinents et qu’il fasse prévaloir d’autres considérations sur les constats médicaux (arrêt 8C_68/2021 du 6 mai 2021 consid. 4.3 et les références).

Consid. 4.2.1
En l’espèce, les juges cantonaux ont relevé que le médecin-conseil avait indiqué que le taux de l’IPAI de 20% correspondant aux atteintes de l’épaule gauche devait être réduit de 50% en raison d’importants troubles dégénératifs préexistants. Il ressortait toutefois d’une arthro-IRM pratiquée le 14.01.2019 que l’articulation acromio-claviculaire apparaissait discrètement dégénérative, avec de petites géodes de la partie distale de la clavicule et un discret épanchement intra-articulaire peu significatif. Il en découlait que les troubles dégénératifs préexistants ne pouvaient pas être considérés comme importants, de sorte qu’une réduction du taux de 25% correspondait mieux aux légers troubles dégénératifs préexistants. Le taux de l’IPAI pour l’épaule gauche devait donc être fixé à 15% et non à 10%. En sus du taux de 20% retenu à juste titre par l’assurance-accidents pour la cheville gauche, l’assuré avait ainsi droit à une IPAI de 35%.

 

Consid. 4.2.2
L’assurance-accidents reproche à l’autorité cantonale d’avoir tiré des conclusions qui seraient du ressort des médecins. L’appréciation du médecin-conseil, qui se serait exprimé en connaissance de l’arthro-IRM du 14.01.2019, n’aurait été remise en cause par aucun autre médecin, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de s’écarter des conclusions de son rapport d’estimation de l’IPAI.

Consid. 4.2.3
Dans le rapport précité, le médecin-conseil a fait état d’une limitation des amplitudes articulaires des deux épaules, lesquelles présentaient des troubles dégénératifs préexistants aux accidents de 2018 et 2019. Les troubles de la mobilité de l’épaule droite étaient d’ordre exclusivement dégénératif, alors que l’accident du 04.10.2018 participait partiellement à la diminution des amplitudes articulaires de l’épaule gauche. Côté gauche, l’assuré n’arrivait pas à lever le bras jusqu’à l’horizontale – comme du côté droit -, mais les amplitudes articulaires étaient meilleures qu’avec une épaule rigide en adduction, ce qui correspondait à un taux d’IPAI de 20%. Ce taux devait être réduit de moitié en raison des troubles dégénératifs importants préexistants, compte tenu également du fait que l’assuré présentait des troubles dégénératifs semblables à l’épaule droite sans traumatisme connu, avec des limitations articulaires même plus importantes que celles constatées du côté gauche. Une IPAI de 10% devait ainsi être retenue pour l’épaule gauche.

Consid. 4.2.4
L’appréciation médicale du médecin-conseil, motivée et convaincante, est basée sur un examen complet du dossier. La cour cantonale s’en est (partiellement) écartée en se focalisant sur un extrait du rapport radiologique (arthro-IRM de l’épaule gauche) du 14.01.2019, où il est relevé que « l’articulation acromio-claviculaire apparaît discrètement dégénérative avec de petites géodes de la partie distale de la clavicule et un discret épanchement intra-articulaire, peu significatif ». En estimant eux-mêmes, sur la seule base de ce bref extrait, que le taux de 20% devait être réduit de seulement 25%, les premiers juges se sont livrés à une appréciation médicale qui n’était pas de leur ressort. En cas d’atteinte à la santé causée par un accident ainsi que par un état dégénératif préexistant, il n’appartient en effet pas au juge, mais au médecin, d’évaluer la mesure dans laquelle les troubles dégénératifs influent sur l’atteinte à la santé.

La juridiction cantonale ne pouvait donc pas, comme elle l’a fait, fixer de son propre chef la réduction du taux de l’IPAI à 25%, sans expliquer de surcroît pour quelle raison le constat effectué dans le rapport radiologique du 14.01.2019 devait prévaloir sur les autres éléments au dossier, en particulier les constatations du médecin-conseil. En tout état de cause, un autre avis médical ne se justifiait pas sur la seule base de l’extrait de ce rapport radiologique mis en exergue par la cour cantonale. Le seul fait que l’articulation acromio-claviculaire gauche ait été qualifiée de « discrètement dégénérative » dans ledit rapport – dont le médecin-conseil a tenu compte dans son évaluation du 06.11.2020 – ne suffit pas à faire douter de la pertinence de l’appréciation de ce médecin, dont il n’y a pas lieu de s’écarter. C’est donc en violation du droit que les juges cantonaux ont octroyé à l’assuré une IPAI de 35% en lieu et place d’une IPAI de 30%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_580/2022 consultable ici

 

8C_93/2022 (f) du 19.10.2022 – Stabilisation de l’état de santé – 19 LAA / Troubles psychiques et causalité adéquate – 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_93/2022 (f) du 19.10.2022

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 LAA

Troubles psychiques et causalité adéquate / 6 LAA

Examen du critère de la durée anormalement longue du traitement médical et celui du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques

 

Assuré, maçon, victime d’un accident de chantier le 09.08.2016, entraînant une fracture du calcanéum gauche.

L’assuré a été opéré le 17.08.2016 (réduction ouverte et fixation interne). Du 19.04.2017 au 16.05.2017, il a séjourné à la Clinique romande de réadaptation (CRR). Selon les médecins de la CRR, la situation n’était pas encore stabilisée du point de vue médical, mais on pouvait s’attendre à ce qu’elle le soit trois à quatre mois après l’ablation du matériel d’ostéosynthèse. Le pronostic de réinsertion était certes défavorable en ce qui concernait la profession antérieure; il était en revanche favorable dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles ayant trait à la station debout et aux marches prolongées, notamment sur du terrain irrégulier, à la position accroupie, à l’utilisation répétée d’escaliers ou d’échelles, ainsi qu’au port de charges moyennes à lourdes.

Le 13.11.2017, l’assuré a subi une nouvelle opération (AMO et résection d’une marche d’escalier au niveau de l’articulation sous-talienne postérieure). Dans un rapport d’examen final du 09.04.2018, le médecin-conseil, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, a constaté que les bilans radiologiques étaient plutôt rassurants et qu’il en ressortait une bonne reconstitution du calcanéum gauche. La mobilité restait toutefois limitée, tout comme l’activité « en force ». Le cas était suffisamment stabilisé et les limitations fonctionnelles énoncées de façon provisoire par la CRR étaient désormais définitives. Moyennant le respect de ces limitations fonctionnelles, l’assuré pouvait travailler à temps complet, sans diminution de rendement. Ce médecin a en outre fixé le taux de l’atteinte à l’intégrité à 5%, correspondant à la fourchette inférieure pour une arthrose moyenne selon les tables d’indemnisation de la CNA.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a accordé à l’assuré, dès le 01.10.2018, une IPAI de 5% et une rente d’invalidité de 21%, considérant qu’en dépit des séquelles accidentelles, l’intéressé demeurait capable d’exercer à plein temps une activité adaptée à son état de santé.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1342/2021 – consultable ici)

Le 11.03.2019, l’assuré a saisi le tribunal cantonal.

L’assuré a subi de nouvelles interventions (le 26.06.2020 : arthrodèse sous-talienne ; le 13.05.2021 : révision de cicatrice du pied gauche et décompression d’un névrome).

Par jugement du 22.12.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Stabilisation de l’état de santé

Consid. 4.2
Les juges cantonaux ont constaté qu’il ne ressortait pas des rapports médicaux versés au dossier que postérieurement au 01.10.2018, il y avait lieu d’attendre de la poursuite du traitement une sensible amélioration de l’état de santé et de la capacité de travail de l’assuré (cf. art. 19 al. 1 LAA). Le fait qu’une nouvelle intervention chirurgicale (arthrodèse sous-talienne) ait été pratiquée en juin 2020 ne permettait pas de conclure à un état de santé non stabilisé, dès lors qu’il n’était pas établi que cette intervention était propre à améliorer notablement l’état de santé et la capacité de travail de l’assuré. Il en allait de même avec la révision de cicatrice du pied gauche pratiquée en mai 2021. Au demeurant, ces deux dernières interventions avaient été pratiquées postérieurement au prononcé de la décision sur opposition; or le juge des assurances sociales appréciait la légalité des décisions attaquées, en règle générale, d’après l’état de fait existant au moment où la décision litigieuse était rendue (ATF 121 V 362 consid. 1b). En outre, le fait que l’assuré s’était vu prescrire de la physiothérapie et une infiltration postérieurement à la décision attaquée ne remettait pas en question la stabilisation de l’état de santé, dès lors que selon la jurisprudence, la prescription d’antalgiques et de séances de physiothérapie était compatible avec un état stabilisé (arrêt U 316/03 du 26 mars 2004 consid. 3.3).

Consid. 4.3
L’assuré ne discute pas cette motivation, laquelle n’est au demeurant pas critiquable. Il ressort en effet des pièces du dossier qu’avant le médecin-conseil de l’assurance-accidents, les médecins de la CRR avaient indiqué que l’on pouvait s’attendre à une stabilisation sous l’angle médical trois à quatre mois après l’ablation du matériel d’ostéosynthèse (soit en février-mars 2018). Quant au chirurgien qui avait réalisé l’opération précitée en novembre 2017, il avait exposé dans ses rapports de janvier 2019 qu’au moment où l’assurance-accidents avait rendu sa décision initiale en novembre 2018, l’état de santé était relativement stable. Lors d’une consultation en janvier 2019, il avait été constaté une amélioration d’un point de vue fonctionnel, en ce sens que le patient s’était présenté pour la première fois sans moyen auxiliaire, bien qu’il semblât toujours handicapé par les douleurs. A la question de savoir si une dégradation de l’état de santé – ensuite de l’accident du 09.08.2016 – avait été constatée, en particulier avant le prononcé de la décision du 27.11.2018, le chirurgien traitant avait répondu que les symptômes étaient restés stables depuis la première consultation et que l’état de santé ne s’était pas dégradé depuis le prononcé de l’assurance-accidents. Interrogé par le conseil de l’assuré au sujet de futures interventions chirurgicales, le chirurgien traitant avait encore indiqué qu’une arthrodèse sous-talienne et calcanéocuboïdienne pouvait éventuellement être envisagée et que la question devait être rediscutée, mais qu’il était fortement improbable qu’une nouvelle chirurgie améliore la situation. Une telle intervention paraissait impropre à se répercuter sur la capacité résiduelle de travail et dans ce genre de situation, chez des travailleurs de force, les résultats étaient systématiquement décevants.

Consid. 4.4
Vu ce qui précède, il n’est pas établi que la poursuite du traitement médical, en particulier les nouvelles interventions chirurgicales pratiquées en juin 2020 et mai 2021, aient été propres à améliorer sensiblement l’état de santé et la capacité de travail de l’assuré.

 

Troubles psychiques et causalité adéquate

Consid. 5.1
L’assuré soutient qu’en refusant de considérer que ses affections psychiques étaient en lien de causalité avec l’accident, la juridiction cantonale aurait violé le droit fédéral. Selon lui, le critère de la durée anormalement longue du traitement médical et celui de la durée de l’incapacité de travail dues aux lésions physiques seraient réalisés en l’espèce.

Consid. 5.2
Les juges cantonaux ont constaté à juste titre qu’ensuite de son accident, l’assuré avait subi une première intervention en deux temps chirurgicaux en août 2016 et en novembre 2017 (réduction de la fracture du calcanéum gauche, puis AMO). Il avait ensuite été opéré une nouvelle fois en juin 2020 (arthrodèse sous-talienne). Ces opérations s’étaient bien déroulées et avaient occasionné des hospitalisations de courte durée. Pour le reste, le traitement avait essentiellement consisté en des mesures conservatrices, de sorte que le critère de la durée anormalement longue du traitement médical n’était pas réalisé. Ces considérations échappent à la critique.

Consid. 5.3
Quant au critère du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques, il doit se rapporter aux seules lésions physiques et ne se mesure pas uniquement au regard de la profession antérieurement exercée par l’assuré. Ainsi, il n’est pas rempli lorsque l’assuré est apte, même après un certain laps de temps, à exercer à plein temps une activité adaptée aux séquelles accidentelles qu’il présente (p. ex. arrêt 8C_209/2020 du 18 janvier 2021 consid. 5.2.2). En l’occurrence, ce critère ne peut donc pas non plus être retenu dès lors que, comme l’ont déjà constaté les juges cantonaux, le médecin-conseil avait conclu à une pleine capacité de travail dans toute activité adaptée aux limitations fonctionnelles lors de son examen final du 09.04.2018.

 

Consid. 6.1
Enfin, l’assuré reproche aux juges cantonaux d’avoir violé le droit fédéral en refusant de procéder aux mesures d’instruction requises – à savoir l’audition de témoins, voire la mise en oeuvre d’une expertise judiciaire – et en se satisfaisant à tort des conclusions anciennes, partielles et partiales du médecin-conseil de l’assurance-accidents.

Consid. 6.2
Les juges cantonaux ont retenu que les mesures d’instruction requises par l’assuré étaient superflues dès lors que les avis exprimés par ses médecins traitants rejoignaient très largement celui du médecin-conseil. Par ailleurs, l’audition de ces médecins ne se justifiait pas non plus dans la mesure où ceux-ci avaient eu l’occasion de s’exprimer par écrit à maintes reprises comme en témoignaient les nombreux rapports versés à la procédure.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_93/2022 consultable ici

 

9C_232/2022 (f) du 04.10.2022 – Expertise psychiatrique – Théâtralité, amplification des symptômes ou caractère revendicateur constituent des éléments décisifs pour évaluer la pertinence du diagnostic – 44 LPGA / Pas de délai en AI pour chercher un emploi adapté ou pour se réhabituer au travail / 28 LAI – 29 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_232/2022 (f) du 04.10.2022

 

Consultable ici

 

Expertise psychiatrique en assurance-invalidité – Théâtralité, amplification des symptômes ou caractère revendicateur constituent des éléments décisifs pour évaluer la pertinence du diagnostic / 44 LPGA

Evaluation de la capacité de travail sur une période remontant à plusieurs années dans le passé

Langue dans laquelle l’expertise a été conduite – Expertise en allemand pour un assuré francophone et un dossier en français

Valeur probante du rapport d’expertise vs avis du psychiatre traitant

Pas de report du délai d’exigibilité fixé par les experts – Pas de délai en AI pour chercher un emploi adapté ou pour se réhabituer au travail / 28 LAI – 29 LAI

 

1e demande AI déposée en décembre 2012 par l’assuré, né en 1988. Il y indiquait souffrir de lésions nerveuses et vasculaires des tendons de la main droite à la suite d’une chute survenue le 04.11.2011. Par décision du 10.07.2013, l’office AI a nié le droit de l’assuré à une rente et à des mesures professionnelles.

Nouvelle demande AI, déposée en janvier 2015 par l’assuré, désormais père d’un enfant (né en 2014). Expertise rhumatologique et psychiatrique : dans leur appréciation consensuelle, les experts ont conclu que, du point de vue rhumatologique, l’assuré présentait une pleine capacité de travail dans une activité adaptée au plus tard deux ans après l’accident du 04.11.2011 et que du point de vue psychiatrique, une pleine capacité de travail de l’assuré était exigible au moins depuis 2015 (rapport du 16.12.2019). L’office AI a octroyé à l’assuré une rente entière d’invalidité du 01.04.2014 au 31.03.2016, assortie d’une rente pour enfant dès le 01.05.2014.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 152/21 – 109/2022 – consultable ici)

Par jugement du 31.03.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Dans un premier grief, l’assuré invoque plusieurs vices qui entacheraient l’expertise diligentée par l’office AI. Il allègue en particulier que l’expert psychiatre aurait manifesté un parti pris à son encontre, au motif qu’il aurait notamment constaté de manière inexacte sa « théâtralité », son « handicap largement imaginaire […] », ainsi qu’une « motivation […] en termes de reprise d’activité professionnelle […] abolie ». L’assuré soutient également que l’expertise serait « totalement irréaliste » en tant qu’elle se distancierait des « appréciations fouillées » du spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et médecin traitant de l’assuré et qu’il serait « hasardeux » qu’un expert examine en 2019 une capacité de travail exigible à compter de fin 2015. L’assuré fait également valoir que dans la mesure où l’expert ne parlait pas français, il aurait rendu une expertise « totalement déconnectée de la réalité » et dépourvue de force probante, puisqu’il se serait notamment fondé sur une documentation médicale rédigée dans une langue qu’il n’était pas en mesure de comprendre.

Consid. 4.1.1
L ‘argumentation de l’assuré sur la prévention de l’expert psychiatre, sur laquelle le Tribunal fédéral peut se prononcer librement (arrêt 9C_410/2019 du 18 mai 2020 consid. 4.2 et les références), ne peut pas être suivie. Il convient en effet de rappeler que des circonstances indiquant une exagération (telles qu’une amplification des symptômes ou un caractère revendicateur), ainsi que l’éventuel manque de motivation de l’assuré constituent des éléments décisifs pour évaluer la pertinence du diagnostic; l’expert était ainsi fondé, sans s’exposer à un reproche de prévention, à examiner les déclarations de l’assuré sur ces aspects, afin d’en tirer des conclusions quant au caractère invalidant du trouble analysé (cf. arrêt 9C_179/2022 du 24 août 2022 consid. 6.2 et la référence; sur le rôle de l’expert psychiatre, ATF 145 V 361 consid. 4.3).

Consid. 4.1.2
L’assuré ne saurait non plus être suivi lorsqu’il soutient que l’expertise psychiatrique serait dépourvue de valeur probante, en se référant à l’opinion de son psychiatre traitant. On rappellera en effet qu’au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d’expertise (ATF 124 I 170 consid. 4), on ne saurait mettre en cause les conclusions d’une expertise médicale du seul fait qu’un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contraire, sauf si ceux-ci font état d’éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l’expertise et qui sont suffisamment pertinents pour mettre en cause les conclusions de l’expertise (arrêt 9C_459/2019 du 5 novembre 2019 consid. 4). Or dans le cas d’espèce, les juges cantonaux ont dûment exposé les raisons pour lesquelles ils ont accordé une pleine force probante aux conclusions de l’expert psychiatre et n’ont pas suivi l’avis du psychiatre traitant, ainsi que celles pour lesquelles ils ont conclu que le second n’apportait aucun élément probant pour remettre en doute l’appréciation étayée et convaincante du premier. En ce qu’il se contente d’indiquer que les appréciations de l’expert psychiatre sont notamment « irréaliste[s] », « surréaliste[s] » ou « contrefactuel[les] », l’assuré ne démontre pas en quoi les constatations de la juridiction cantonale seraient manifestement inexactes, pas plus qu’il ne critique concrètement le raisonnement qu’elle a suivi. Il s’ensuit qu’ il n’y a pas lieu de s’écarter des conclusions de l’expert psychiatre qui, du reste, pouvait évaluer la capacité de travail de l’assuré sur une période remontant à plusieurs années dans le passé, par une appréciation rétrospective de la situation à l’aide des données du dossier et de l’examen de la personne concernée (cf. arrêt 9C_291/2018 du 3 août 2018 consid. 5.1).

Consid. 4.1.3
Enfin, s’agissant du grief relatif à la langue dans laquelle l’expertise a été conduite, il convient de rappeler, comme le souligne du reste l’assuré lui-même, qu’il n’existe pas de droit inconditionnel à la réalisation d’un examen médical dans la langue maternelle de l’assuré (arrêt 9C_262/2015 du 8 janvier 2015 consid. 6 et les références). Ceci dit, l’assuré ne démontre nullement que la compréhension linguistique entre lui-même et l’expert psychiatre n’était pas, en présence d’une interprète, suffisante pour garantir une expertise revêtant un caractère à la fois complet, compréhensible et concluant. De plus, l’expert psychiatre était en mesure de comprendre les différents rapports médicaux de langue française figurant au dossier, puisqu’il les a mentionnés et résumés dans le rapport d’expertise. Il a de plus, à titre d’exemple, écarté par une analyse détaillée le diagnostic d’état de stress post-traumatique posé par le psychiatre traitant de l’assuré, démontrant qu’il maîtrisait la langue dans laquelle son confrère s’était exprimé.

 

Consid. 4.2
En confirmant l’exigibilité de la capacité entière de travail dans une activité adaptée à partir du début de l’année 2016, la juridiction cantonale a tenu compte d’un délai d’accoutumance de trois mois pour permettre un renforcement de l’utilisation de la main droite comme main de secours, tel que préconisé par les experts. En effet, l’expert somaticien avait attesté d’une capacité de travail entière dans une activité adaptée au plus tard deux ans après l’accident du 04.11.2011, sous réserve de périodes d’incapacité de travail de quelques mois liées aux interventions chirurgicales postérieures (en février 2016 et mars 2017). Dès lors que la juridiction cantonale a retenu sans arbitraire qu’une activité adaptée était exigible depuis début 2016, il ne se justifie pas, comme le demande l’assuré, de « reporter le délai d’exigibilité fixé par les experts ». En effet, le droit à une rente de l’assurance-invalidité prend naissance selon les conditions prévues aux art. 28 et 29 LAI, sans que la loi ne consacre un délai pour chercher un emploi adapté (arrêt 8C_39/2020 du 19 juin 2020 consid. 4.3 et les références) ou pour se réhabituer au travail.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_232/2022 consultable ici

 

9C_273/2022 (f) du 23.08.2022 – Rente d’invalidité – Conditions générales d’assurances – 36 al. 1 LAI / Motivation insuffisante d’un avis du SMR se distançant des constatations et conclusions du psychiatre traitant

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_273/2022 (f) du 23.08.2022

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité – Conditions générales d’assurances / 36 al. 1 LAI

Motivation insuffisante d’un avis du SMR se distançant des constatations et conclusions du psychiatre traitant

Evaluation de la capacité de travail relève de l’appréciation médicale

 

Assurée, née en 1977, originaire de Turquie et entrée en Suisse en septembre 2012, a présenté une demande AI en juillet 2020. Au terme de la procédure d’instruction, l’office AI a rejeté la demande de prestations au motif que l’intéressée ne remplissait pas les conditions générales d’assurance. En bref, il a considéré que l’assurée présentait une incapacité de travail totale depuis 2006 et que l’atteinte à la santé était donc antérieure à son entrée en Suisse.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/365/2022 – consultable ici)

Après avoir notamment entendu la doctoresse B.__, psychiatre traitante, ainsi que l’assurée, le tribunal cantonal a admis le recours (arrêt du 20.04.2022), annulé la décision litigieuse et reconnu le droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité dès le 01.02.2021.

 

TF

Consid. 3.2
A droit à une rente ordinaire l’assuré qui, lors de la survenance de l’invalidité, compte trois années au moins de cotisations (art. 36 al. 1 LAI) et que la condition de la durée minimale de cotisations pour ouvrir le droit à une rente ordinaire doit être remplie au moment de la survenance de l’invalidité (ATF 126 V 5 consid. 2c et les arrêts cités; arrêt 9C_145/2019 du 29 mai 2019 consid. 4.1).

Consid. 4
En se fondant sur les déclarations et conclusions de la psychiatre traitante, la juridiction cantonale a admis que l’assurée était en incapacité totale de travail depuis avril 2019. S’il ne pouvait être nié que l’assurée présentait déjà des troubles psychiques lorsqu’elle est entrée en Suisse, en 2012, soit notamment une modification durable de la personnalité après un événement de catastrophe, à la suite du trouble de stress post-traumatique survenu en 2008 (au moment où sa fille aînée, alors âgée de douze ans, lui avait fait part des abus commis par son père), ceux-ci n’étaient cependant pas incapacitants. A cet égard, l’intéressée avait en effet travaillé à plein temps comme cuisinière dans une famille en Turquie, jusqu’à son départ pour la Suisse. Si elle n’avait certes pas exercé une activité lucrative depuis son entrée en Suisse, cela pouvait s’expliquer en raison de son statut de requérante d’asile, qui lui interdisait de travailler au début, ainsi que de la méconnaissance de la langue française. Après avoir constaté que l’assurée remplissait la condition de la durée minimale de cotisations pour ouvrir le droit à une rente ordinaire prévue par l’art. 36 al. 1 LAI (dès lors qu’il ressortait de son compte individuel qu’elle avait cotisé depuis octobre 2012), les juges cantonaux lui ont reconnu le droit à une rente entière d’invalidité depuis le 01.02.2021, compte tenu de la date du dépôt de la demande de prestations, en juillet 2020 (art. 29 al. 1 LAI).

Consid. 5.2.1
Conformément à l’art. 43 LPGA, il incombe en premier lieu à l’administration de prendre d’office les mesures d’instruction nécessaires, singulièrement de recueillir un avis médical circonstancié lui permettant de statuer en connaissance de cause.

Or en l’espèce, la juridiction cantonale a dûment apprécié le rapport médical de la psychiatre traitante, en procédant également à l’audition de ce médecin. La cour cantonale a exposé les raisons pour lesquelles elle a considéré que les conclusions et déclarations de la psychiatre traitante étaient suffisantes pour admettre que l’état de santé de l’assurée s’était modifié depuis 2019 et que celle-ci présentait une incapacité totale de travail depuis le 26.04.2019. Les juges cantonaux ont en effet expliqué que la psychiatre traitante, qui avait suivi l’assurée à compter de 2017, n’avait pas tout de suite constaté d’incapacité de travail puisqu’elle n’en avait attestée une que depuis le 26.04.2019, en faisant alors état d’une aggravation de l’état de santé de sa patiente (cf. rapport du 29.08.2020). Lors de son audition du 25.02.2022, la psychiatre traitante avait précisé que l’assurée présentait seulement, au début du suivi, un état dépressif léger à moyen en relation avec les difficultés avec sa fille aînée et qu’elle était capable de travailler, le trouble dépressif s’étant ensuite aggravé lorsque les troubles psychiques de sa fille s’étaient péjorés avec des crises classiques et un comportement violent.

Consid. 5.2.2
La simple affirmation de l’office recourant, selon laquelle ce n’est qu’après la décision litigieuse, par laquelle il a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité pour défaut de condition d’assurance, que la psychiatre traitante a indiqué que les limitations psychiatriques de sa patiente étaient en lien avec le comportement de sa fille aînée (et non pas avec la situation dramatique vécue lorsqu’elle était en Turquie), n’est pas suffisante pour remettre en cause la valeur probante du rapport médical sur lequel les juges cantonaux se sont fondés. Au vu des informations claires et motivées contenues dans le rapport de la psychiatre traitante du 29.08.2020 quant à la date de la survenance de l’incapacité de travail (le 26.04.2019), il eût appartenu à l’office AI de compléter l’instruction médicale avant de rendre sa décision s’il avait des doutes quant aux conclusions de la psychiatre traitante, mais à tout le moins d’expliquer les motifs pour lesquels il s’en est distancié et a considéré que l’incapacité de travail existait depuis 2006 déjà. A cet égard, le rapport du médecin au SMR n’est d’aucun secours à l’office recourant. Appelé à se prononcer au sujet du rapport de la psychiatre traitante, le médecin du SMR s’est en effet contenté d’indiquer que la psychiatre traitante expliquait « très clairement » que les atteintes à la santé psychique avaient débuté en Turquie et qu’à la lecture de son rapport, il était manifeste que l’état psychique de l’assurée ne lui permettait pas d’exercer une activité professionnelle depuis 2006. Ce faisant, le médecin mentionne une incapacité de travail bien antérieure à celle attestée par la psychiatre traitante sans aucunement motiver son affirmation et expliquer son appréciation divergente sur ce point; son avis ne saurait dès lors être suivi. Partant, le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 5.3
L’argumentation de l’office recourant à l’appui de l’«évaluation de la vraisemblance prépondérante arbitraire en violation du droit fédéral» à laquelle la juridiction de première instance aurait procédé pour admettre que l’incapacité de travail de l’assurée avait débuté en 2019, au moment de l’aggravation de son état de santé attestée par la doctoresse B.__, et non lors de son arrivée en Suisse, en 2012, voire antérieurement, n’est pas davantage fondée. On rappellera à cet égard que compte tenu de son pouvoir d’examen restreint en la matière, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de procéder une nouvelle fois à l’appréciation des preuves administrées, mais à la partie recourante d’établir en quoi celle opérée par l’autorité précédente serait manifestement inexacte ou incomplète, ou en quoi les faits constatés auraient été établis au mépris de règles essentielles de procédure. Or en l’occurrence, l’office recourant n’expose pas d’éléments concrets et objectifs susceptibles de remettre en cause l’appréciation des preuves effectuée par les juges cantonaux.

En particulier, c’est en vain que l’office recourant se réfère à la demande de prestations déposée par l’assurée en juillet 2020. S’il y est certes fait mention d’une incapacité de travail depuis 2012, les juges cantonaux ont cependant expliqué de manière convaincante que ce document avait été rempli par deux personnes différentes, à savoir la psychiatre traitante, et, probablement, l’assistante sociale de l’assurée, et que la psychiatre traitante y avait indiqué, au point 6.1, que l’atteinte à la santé existait depuis 2019. La mention d’une incapacité de travail depuis le 18 septembre 2012, au point 4.3, n’émanait pas de la psychiatre traitante, si bien qu’il s’agissait manifestement d’une erreur. Quoi qu’en dise l’office recourant à cet égard, l’évaluation de la capacité de travail relève de l’appréciation médicale. Par conséquent, le fait que l’assurée a également indiqué (notamment lors de son audition) qu’elle n’avait pas réussi à travailler lors de son arrivée en Suisse, en 2012, en raison de ses problèmes de santé – des troubles de mémoire l’empêchant d’apprendre le français selon elle – n’est pas déterminant. Le recours est mal fondé sur ce point également.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_273/2022 consultable ici

 

8C_724/2021 (f) du 08.06.2022 – Causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – 6 LAA / Les juges cantonaux ne peuvent pas départager des appréciations médicales divergentes en se basant sur des sites internet (sans en vérifier l’exactitude) ni s’ériger en spécialistes médicaux

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_724/2021 (f) du 08.06.2022

 

Consultable ici

 

Causalité naturelle – Statu quo sine vel ante / 6 LAA

Les juges cantonaux ne peuvent pas départager des appréciations médicales divergentes en se basant sur des sites internet (sans en vérifier l’exactitude) ni s’ériger en spécialistes médicaux

 

Assuré, né en 1988, Senior Trader depuis le 01.06.2018 a été victime, le 13.08.2019, d’un accident en se tordant le genou gauche lors d’un cours de jiu-jitsu. L’IRM du 19.08.2019 a révélé pour l’essentiel une fissuration profonde et irrégulière du cartilage de la facette rotulienne interne ainsi qu’une fissure profonde et focale du cartilage de la crête de la rotule, au genou gauche, tandis que le genou droit n’a montré qu’une érosion superficielle du cartilage de la facette rotulienne interne. Le 16.10.2019, l’assurance-accidents a provisoirement refusé de garantir la prise en charge des coûts d’une hospitalisation (arthroscopie du genou). Le docteur C.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, a attesté d’un trauma en valgus au genou gauche, nécessitant une réparation par arthroscopie qui aurait dû être effectuée le 29.10.2019.

Le 17.10.2019, l’assuré a informé l’assurance-accidents qu’il avait requis un second avis médical du docteur D.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. Ce dernier a diagnostiqué une entorse du ligament collatéral médial (LCM = ligament latéral interne [LLI]) au genou gauche, nécessitant un traitement conservateur et a adressé l’assuré au docteur E.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation. Ce praticien a attesté d’une fracture chondrale de la rotule gauche, nécessitant de la physiothérapie.

Le médecin-conseil de l’assurance, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, a retenu dans son rapport du 21.10.2019 un diagnostic d’entorse du LLI à gauche en voie de guérison ainsi qu’un état antérieur, soit une chondropathie fémoro-patellaire des deux côtés; l’accident avait entraîné une aggravation passagère et le statu quo sine vel ante était atteint selon le rapport médical du docteur D.__. Le 25.08.2020, le médecin-conseil a répété son avis, retenant que la seule lésion traumatique était une entorse mineure sans déchirure significative du LCM, que, contrairement à l’avis du docteur E.__, il n’y avait jamais eu de fracture chondrale patellaire gauche mais un état antérieur d’arthrose relativement marquée fémoro-patellaire à gauche (et débutante à droite) et que le statu quo sine avait été atteint au plus tard au 20.01.2020 (date du rapport du docteur E.__).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations avec effet au 20.01.2020, sans réclamer la restitution des prestations réglées à tort.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1003/2021 – consultable ici)

Par jugement du 27.09.2021, admission du recours du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que l’assurance-accidents devait prendre en charge les suites de l’accident du 13.08.2019, dans le sens des considérants

 

TF

Consid. 3.2
Le juge ne peut pas écarter un rapport médical au seul motif qu’il est établi par le médecin interne d’un assureur social, respectivement par le médecin traitant (ou l’expert privé) de la personne assurée, sans examiner autrement sa valeur probante. Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même minimes quant à la fiabilité et à la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2; 135 V 465 consid. 4.7).

Consid. 4.1
L’IRM du 19.08.2019 a objectivé une fissuration profonde et irrégulière du cartilage de la facette rotulienne interne, s’étendant jusqu’à l’os sous-chondral et décollant le cartilage sur toute son épaisseur sur une zone de 7.5 mm ainsi qu’une fissure profonde et focale du cartilage de la crête de la rotule s’étendant quasiment jusqu’à l’os sous-chondral.

Consid. 4.1.1
La cour cantonale a constaté que ces fissures avaient été qualifiées de lésion cartilagineuse par le docteur D.__, de fracture chondrale par le docteur E.__ et de lésion focale du cartilage ou de fracture chondrale par le docteur C.__. En se référant à des sites internet (www.larousse.fr et www.orthopedie-pediatrique.be), elle a considéré que la fracture était définie comme la rupture d’un os ou d’un cartilage dur ou une solution de la continuité des os ou des cartilages, de sorte que la notion de fracture retenue par les docteurs E.__ et C.__ correspondait à la description des lésions objectivées à l’IRM du 19.08.2019.

Consid. 4.1.2
Dans ce contexte, l’assurance-accidents rappelle qu’il n’appartient pas au juge de remettre en cause le diagnostic retenu par un médecin et de poser de son propre chef des conclusions qui relèvent de la science et des tâches du corps médical (arrêt 9C_719/2016 du 1er mai 2017 consid. 5.2.1; cf. arrêt 8C_549/2021 du 7 janvier 2022 consid. 7.1). C’est donc à juste titre qu’elle reproche aux juges cantonaux de ne pas s’être basés sur l’avis d’un expert, mais sur des sites internet (sans en vérifier l’exactitude) pour départager les appréciations médicales divergentes et de s’être ainsi érigés en spécialistes médicaux. Il ne s’agit ainsi pas d’un élément propre à mettre en doute la valeur probante des avis du médecin-conseil.

 

Consid. 4.3
Vu les avis contradictoires et impossibles à départager sans connaissances médicales spécialisées concernant l’origine traumatique ou dégénérative de la lésion cartilagineuse au genou gauche, force est de constater que l’instruction de la cause ne permet pas de statuer sur le droit de l’assuré à des prestations d’assurance au-delà du 20.01.2020. Dans ces circonstances, il se justifie de renvoyer la cause aux premiers juges, en admission partielle du recours, pour qu’ils ordonnent une expertise médicale.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et renvoyant la cause au tribunal cantonal pour nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_724/2021 consultable ici

 

8C_668/2021 (i) du 18.02.2022 – Récusation d’un juge du tribunal cantonal tessinois / Causalité naturelle – Valeur probante d’un rapport d’expertise – 44 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_668/2021 (i) du 18.02.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Récusation d’un juge du tribunal cantonal tessinois

Causalité naturelle – Valeur probante d’un rapport d’expertise / 44 LPGA

 

Le 06.07.1985, l’assurée, née en 1953, est tombée en sortant de la baignoire et s’est cognée le genou gauche, entraînant une rupture partielle du ménisque médian postérieur. Le cas a été pris en charge par l’assurance-accidents.

Le 02.08.2004, l’assurée a subi a subi une blessure par distorsion en valgus au genou droit en jouant avec son chien. Le même assureur-accidents a pris en charge les suites de cet événement.

L’assurée a été hospitalisée à la clinique de neurologie de l’hôpital B.__ du 27.07.2016 au 30.07.2016 et à la clinique C.__ du 18.10.2016 au 05.11.2016.

Par arrêt du 10.09.2018, le tribunal cantonal a condamné l’assurance-accidents à prendre en charge les frais à la Clinique C.__, tout en lui renvoyant l’affaire pour complément d’enquête s’agissant du séjour à l’Hôpital B.__.

Par jugement du 02.06.2020, le tribunal cantonal a rejeté le recours de l’assurée contre une décision incidente de l’assurance-accidents, qui avait attribué l’expertise au Prof. E.__. Le tribunal cantonal a nié l’existence d’un motif de récusation. Cette décision n’a pas fait l’objet d’un appel.

L’assurée a eu la possibilité de commenter le rapport rendu par le Prof. E.__. L’assurance-accidents a nié sa responsabilité pour le problème rachidien, en l’absence de lien de causalité naturelle.

 

Procédure cantonale (arrêt 35.2021.42 – consultable ici)

Par jugement du 30.08.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
Dans la mesure où l’assurée laisserait entendre que la fille du juge de la première instance, Ivano Ranzanici, aurait pu traiter le litige en tant qu’avocat de l’assureur-accidents, cette affirmation présentée sous forme d’hypothèse n’est étayée par aucun élément de preuve. De plus, l’arrêt cantonal du 10.09.2018 mentionnait précisément l’abstention (et non la récusation) du magistrat en question. Même dans ce cas, l’assurée pourrait en déduire qu’il pourrait y avoir un problème de parenté. Selon la pratique établie, fondée sur le principe de la bonne foi, la partie qui a connaissance d’un motif de récusation doit l’invoquer sans délai et non seulement si l’issue de la procédure lui est défavorable, faute de quoi elle est déchue du droit de l’invoquer (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3). La composition ordinaire du Tribunal cantonal des assurances figure également sur le site internet du canton et l’assurée avait donc déjà connaissance de la présence potentielle du juge Ranzanici avant le prononcé de l’arrêt attaqué. Dans ces circonstances particulières, l’assurée ne pouvait donc pas attendre l’issue défavorable du recours pour ne soulever des doutes sur le magistrat en question que plus tard, mais devait procéder immédiatement au recours cantonal.

 

Consid. 4.1
Le tribunal cantonal a relevé que le Prof. E.__ a expliqué dans son rapport du 26.10.2020 pourquoi il n’a pas jugé nécessaire d’examiner l’assurée à la lumière de la vaste documentation disponible. Le Prof. E.__ a noté que les altérations de la colonne vertébrale sont une expression de l’évolution naturelle et que les difficultés de la marche sont tout au plus une cause possible. Se référant à la littérature médicale, le Prof. E.__ a noté que les troubles rachidiens existaient depuis longtemps (les premières investigations radiologiques remontent à 1999), que l’assurée n’a présenté une boiterie importante qu’à partir de 2012 au moins, que le problème neurologique est apparu en 2007 dans le cadre de l’opération du genou, et qu’il y avait une corrélation claire entre l’arthrose du genou et la dégénérescence des disques intervertébraux, attribuable à une certaine disposition génétique.

Le Prof. E.__ s’est rallié à l’avis de l’hôpital B.__ selon lequel le trouble de la marche était d’origine multifonctionnelle. Il a toutefois relevé que le diagnostic de radiculopathie L5 n’apparaissait pas dans l’IRM de 2017. Le Prof. E.__ a en revanche contesté le rapport du Dr. F.__ du 20.05.2015, selon lequel le problème de dos était une conséquence indirecte de la boiterie à gauche. Les altérations dégénératives au niveau lombaire existaient déjà huit ans avant l’opération de la prothèse de genou. Le Prof. E.__ a relevé que la corrélation n’était que possible et que les études citées n’étaient pas considérées comme concluantes. L’expert a considéré que les conclusions des médecins de l’assureur-accidents étaient défendables, notamment lorsqu’ils ont affirmé, à la lumière des résultats objectifs de l’électromyographie (EMG), que la polyneuropathie et la radiculopathie L5 n’étaient pas des conséquences directes de l’accident.

Consid. 5.1
Il est de jurisprudence constante que les constatations de l’autorité cantonale de recours sur l’atteinte à la santé, la capacité de travail de la personne assurée et l’exigibilité – pour autant qu’elles ne soient pas fondées sur l’expérience générale de la vie – relèvent d’une question de fait et peuvent donc être contrôlées par le Tribunal fédéral uniquement sous l’angle restreint de l’arbitraire (ATF 132 V 393 consid. 3.2). Il n’appartient pas au Tribunal fédéral de réévaluer les éléments de preuve produits, mais au recourant d’établir pourquoi l’avis de la juridiction précédente serait manifestement inexact. Si le recourant veut s’écarter des faits établis par l’autorité précédente, il doit expliquer en détail pourquoi les conditions pour s’en écarter seraient remplies (ATF 145 V 188 consid. 2 ; 135 II 313 consid. 5.2.2 ; arrêt 8C_558/2021 du 20 janvier 2022 consid. 2.2).

Consid. 5.2
Contrairement aux (simples) rapports médicaux internes de l’assureur, pour lesquels un doute même minime quant à la fiabilité et la validité des constatations suffit pour que l’assuré soit soumis à un examen médical externe, les rapports établis par des médecins spécialistes externes dans le cadre d’une expertise administrative (art. 44 LPGA) ou judiciaire doivent se voir reconnaître une pleine force probante dans l’établissement des faits, dans la mesure où aucun indice concret de la fiabilité du rapport lui-même n’est présenté (ATF 135 V 465 consid. 4.4 ; 125 V 351 consid. 3b/bb). De tels rapports d’expertise ne peuvent être mis en doute simplement parce qu’ils arrivent à des conclusions différentes de celles des médecins traitants. Sont réservés les cas où un complément doit être demandé afin de clarifier certains aspects, les médecins traitants ayant laissé apparaître des aspects importants et pas seulement une interprétation médicale purement subjective. A cet égard, il convient de rappeler la nature différente du mandat de soins et d’expert (cf. entre autres arrêts 8C_55/2018 du 30 mai 2018 consid. 6.2 et 8C_820/2016 du 27 septembre 2017 consid. 5.3).

Consid. 5.3
L’assurée expose ses critiques comme si le rapport d’expertise du Prof. E.__ était librement « réexaminable » par le tribunal. Afin de réfuter les conclusions d’une expertise externe, des preuves concrètes sont nécessaires pour démontrer le manque de fiabilité du rapport. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Au contraire, le Prof. E.__ a exposé la situation médicale de l’assurée et les documents médicaux versés au dossier. [..] Il est vrai que le Prof. E.__ a abouti à des conclusions en partie divergentes de celle des rapports précédents, mais cette circonstance n’est pas suffisante pour infirmer les conclusions d’une expertise externe. Il ne s’agit que d’opinions divergentes et non pas d’indications concrètes qui pourraient conduire à douter de la validité du rapport d’expertise. En fait, le Prof. E. ________, après avoir résumé le contenu de l’ensemble du dossier de l’assurée, a jugé inutile de l’examiner à nouveau. L’expert a expliqué en détails les raisons pour lesquelles les lésions dorsales étaient dues à des troubles dégénératifs. La boiterie, quant à elle, était multifactorielle. L’expert a également répondu aux appréciations du Dr F.__ du 20.05.2015 et du Dr G.__ du 06.04.2018. A l’aune de ce qui précède, aucune violation du droit fédéral ne peut donc être retenue.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_668/2021 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_668/2021 (i) du 18.02.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/11/8c_668-2021)