9C_651/2023 (f) du 22.01.2024 – Valeur probante de l’expertise médicale administrative – 44 LPGA / Expertise médicale judiciaire à charge de l’office AI – 45 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_651/2023 (f) du 22.01.2024

 

Consultable ici

 

Valeur probante de l’expertise médicale administrative / 44 LPGA

Expertise médicale judiciaire à charge de l’office AI – Lien entre défauts de l’instruction administrative et nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire / 45 LPGA

 

A la suite d’un premier refus de prestations AI, l’assuré, né en 1962, a déposé une nouvelle demande de prestations en juillet 2019. Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a soumis l’assuré à une expertise (rapport du Dr B.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, du 29.07.2021) et à un examen neuropsychologique (rapport du neuropsychologue C.__ du 10.03.2021). Par décision du 03.11.2021, il a nié le droit de l’assuré à une rente.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 95/14 – 85/2015 – consultable ici)

Expertise psychiatrique judiciaire mise en œuvre. Dans son rapport du 05.07.2023, la Dre D.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, a retenu les diagnostics d’épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques (F32.2), d’état de stress post-traumatique (F43.1) et de traits de personnalité dépendante; elle a conclu à une incapacité totale de travail dans toute activité depuis 2019.

Invitée à se prononcer sur l’expertise, l’administration a admis que les conclusions de la Dre D.__ sur la capacité de travail pouvaient être suivies et qu’il se justifiait de reconnaître le droit de A.__ à une rente entière d’invalidité depuis le 01.07.2020. L’assuré a conclu à l’octroi d’une rente entière d’invalidité à compter de juillet 2019.

Par jugement du 20.09.2023, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision du 03.11.2021. La cour cantonale a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité depuis le 01.05.2020 et mis les frais de l’expertise judiciaire, à hauteur de 7’105 fr. 69, à la charge de l’office AI.

 

TF

Consid. 3.2
Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d’assurance-invalidité (cf. ATF 139 V 496 consid. 4.3; 139 V 349 consid. 5.4), les frais qui découlent de la mise en œuvre d’une expertise judiciaire peuvent le cas échéant être mis à la charge de l’assurance-invalidité. En effet, lorsque l’autorité judiciaire de première instance ordonne la réalisation d’une expertise judiciaire parce qu’elle estime que l’instruction menée par l’autorité administrative est insuffisante (au sens du consid. 4.4.1.4 de l’ATF 137 V 210), elle intervient dans les faits en lieu et place de l’autorité administrative qui aurait dû, en principe, mettre en œuvre cette mesure d’instruction dans le cadre de la procédure administrative. Dans ces conditions, les frais de l’expertise ne constituent pas des frais de justice au sens de l’art. 69 al. 1bis LAI, mais des frais relatifs à la procédure administrative au sens de l’art. 45 LPGA qui doivent être pris en charge par l’assurance-invalidité. Cette règle ne saurait entraîner la mise systématique des frais d’une expertise judiciaire à la charge de l’autorité administrative. Encore faut-il que l’autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l’expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d’instruction administrative. En d’autres mots, il doit exister un lien entre les défauts de l’instruction administrative et la nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2; arrêt 9C_758/2019 du 4 février 2020 consid. 3.2; sur l’ensemble de la question, cf. aussi ERIK FURRER, Rechtliche und praktische Aspekte auf dem Weg zum Gerichtsgutachten in der Invalidenversicherung, RSAS 2019, p. 14).

Consid. 3.3
En l’espèce, le motif retenu par les juges cantonaux pour mettre les frais d’expertise en question à la charge de l’office AI met en évidence un lien entre des défauts de l’instruction administrative et la nécessité de mandater la Dre D.__. Ils ont considéré qu’il s’était avéré indispensable d’ordonner une expertise judiciaire en raison du fait que celle du Dr B.__ n’était pas probante. A cet égard, on constate, à la suite de la Cour de justice, que le Dr B.__ a rédigé son rapport sans tenir compte du rapport du Dr E.__, spécialiste en neurologie, du 27 mai 2021 (cf. la synthèse du dossier figurant sous le ch. 2 de l’expertise, où le dernier rapport mentionné est celui de la Dre F.__, médecin, du 16.02.2021). Si l’absence de prise en compte du rapport du Dr E.__ peut s’expliquer par le fait que le Dr B.__ a reçu le dossier de l’administration le 09.12.2020 et qu’il a vu l’expertisé le 22.01.2021, en revanche l’expert avait connaissance du rapport du neuropsychologue C.__ du 10.03.2021 au moment où il a rédigé son rapport, le 29.07.2021. A la lecture de l’expertise, on constate en effet que le Dr B.__ a mentionné le rapport du neuropsychologue C.__ dans les sources qu’il a utilisées (cf. ch. 1.3 de l’expertise). Or comme l’a expliqué de manière circonstanciée la juridiction cantonale dans son ordonnance d’expertise du 02.11.2022, le neuropsychologue C.__ avait suggéré, dans son rapport du 10.03.2021, de réaliser un examen neurologique avec une imagerie cérébrale si un doute subsistait quant à une possible étiologie démentielle. En l’occurrence, un tel doute subsistait puisque le Dr E.__ avait indiqué, dans son rapport du 27.05.2021, que le fonctionnement cognitif de l’assuré était très altéré et qu’un début de détérioration dû à une maladie neurodégénérative n’était pas exclu. Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter de la considération de la juridiction cantonale, selon laquelle cet élément remettait sérieusement en doute le diagnostic de majoration des symptômes psychiques et neuropsychologiques pour des raisons psychologiques et/ou simulation de symptômes psychiques et neuropsychologiques posé par le Dr B.__.

On ajoutera que l’instance cantonale a mis en évidence d’autres incohérences contenues dans le rapport du Dr B.__. Elle a notamment exposé de manière convaincante, concernant l’état dépressif de l’assuré, que le Dr B.__ avait exclu la présence d’un trouble dépressif récurrent pour le motif qu’il n’y avait pas eu d’épisode antérieur, alors même qu’il y en avait pourtant eu au moins deux (à savoir une période critique du 16.10.2017 au mois de janvier 2018 et une hospitalisation pour un soutien psychologique du 27.06.2019 au 11.07.2019 en raison d’un trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen à sévère). Partant, quoi qu’en dise l’office AI, ce ne sont pas des motifs d’opportunité qui ont conduit la juridiction cantonale à mettre en œuvre une expertise judiciaire, mais bien le fait que les conclusions du Dr B.__ n’étaient pas assez probantes. Dans ces conditions, l’instruction était lacunaire, de sorte que les frais de l’expertise judiciaire pouvaient être mis à la charge de l’office AI. Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_651/2023 consultable ici

 

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