9C_660/2021 (f) du 30.11.2022 – Valeur probante du rapport d’expertise – 44 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_660/2021 (f) du 30.11.2022

 

Consultable ici

 

Valeur probante du rapport d’expertise / 44 LPGA

Obligation d’organiser des débats publics / 6 par. 1 CEDH

 

Dépôt de la demande AI en septembre 2016. Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a mandaté un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie pour une expertise. Il a ensuite rejeté la demande, par décision du 11.11.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 408/20 – 352/2021 – consultable ici)

Par jugement du 15.11.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2
L’obligation d’organiser des débats publics au sens de l’art. 6 par. 1 CEDH suppose une demande formulée de manière claire et indiscutable de l’une des parties au procès. Une requête de preuve (demande tendant à la comparution personnelle, à l’interrogatoire des parties, à l’audition de témoins ou à une inspection locale) ne suffit pas à fonder une telle obligation (ATF 136 I 279 consid. 1 et les arrêts cités). Saisi d’une demande tendant à la mise en œuvre de débats publics, le juge doit en principe y donner suite. Il peut cependant s’en abstenir dans les cas prévus par l’art. 6 par. 1, deuxième phrase, CEDH, lorsque la demande est abusive, chicanière, ou dilatoire, lorsqu’il apparaît clairement que le recours est infondé, irrecevable ou, au contraire, manifestement bien fondé ou encore lorsque l’objet du litige porte sur des questions hautement techniques (ATF 136 I 279 consid. 1; 134 I 331 consid. 2.3; 122 V 47 consid. 3b). Le Tribunal fédéral a par ailleurs précisé qu’il ne pouvait être renoncé à des débats publics au motif que la procédure écrite convenait mieux pour discuter de questions d’ordre médical, même si l’objet du litige porte essentiellement sur la confrontation d’avis spécialisés au sujet de l’état de santé et de l’incapacité de travail d’un assuré en matière d’assurance-invalidité (ATF 136 I 279 précité consid. 3).

Consid. 4.3
En l’espèce, dans la procédure cantonale, l’assuré n’a pas formulé de demande claire et indiscutable pour la tenue de débats publics. Dans son recours à l’autorité cantonale et ses écritures, il a seulement demandé à être entendu « afin de présenter au mieux sa situation » et a requis l’audition de sa compagne et du psychiatre traitant en tant que témoins, ainsi que la mise en œuvre d’une nouvelle expertise. Cette requête correspond à une offre de preuve. Pour ce motif déjà, l’argumentation de l’assuré selon laquelle les juges cantonaux ne pouvaient pas invoquer la « spécialisation technique du débat » pour renoncer aux auditions qu’il avait sollicitées est mal fondée. A défaut de demande claire et indiscutable pour la tenue de débats publics, la juridiction cantonale n’a commis aucune violation de l’art. 6 par. 1 CEDH.

 

Consid. 5.2
Il appartient aux médecins d’évaluer l’état de santé d’un assuré (c’est-à-dire, de procéder aux constatations nécessaires en effectuant des examens médicaux appropriés, de tenir compte des plaintes de l’intéressé et de poser les diagnostics). En particulier, poser un diagnostic relève de la tâche exclusive des médecins. Il leur appartient aussi de décrire l’incidence de ou des atteintes à la santé constatées sur la capacité de travail. Leur compétence ne va cependant pas jusqu’à trancher définitivement cette question mais consiste à motiver aussi substantiellement que possible leur point de vue, qui constitue un élément important de l’appréciation juridique visant à évaluer quels travaux sont encore exigibles de l’assuré. Il revient en effet aux organes chargés de l’application du droit (soit à l’administration ou au tribunal en cas de litige) de procéder à l’appréciation définitive de la capacité de travail de l’intéressé (ATF 140 V 193 consid. 3.2; arrêt 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 7.1).

On ajoutera que l’évaluation de la capacité de travail par un médecin psychiatre est soumise à un contrôle (libre) des organes chargés de l’application du droit à la lumière de l’ATF 141 V 281 (ATF 145 V 361 consid. 4.3), dont les principes ont ultérieurement été étendus à l’ensemble des troubles psychiques ou psychosomatiques (cf. ATF 143 V 409 et 418; ATF 145 V 215).

 

Consid. 5.3.1
Contrairement à ce qu’affirme en premier lieu l’assuré, l’expert psychiatre n’a pas fait « aucune référence à [s]a vie professionnelle » dans son anamnèse (hormis la période d’activité indépendante). Sous le titre « Anamnèse professionnelle et sociale », le médecin a notamment indiqué, en se référant aussi aux extraits du compte AVS de l’assuré, qu’il avait travaillé pendant dix-sept ans dans différentes entreprises de charpente, sans période de chômage. Il a précisé que l’assuré avait ensuite travaillé dans une entreprise fabriquant des maisons clefs en main entre 2006 et 2009, puis qu’il s’était mis à son compte en 2009, avant d’accepter plusieurs engagements de courte durée dans des entreprises de charpente, entre 2011 et 2015.

Consid. 5.3.2
Quoi qu’en dise ensuite l’assuré, le rapport d’expertise ne contient pas de contradictions. En particulier, la constatation de l’expert psychiatre, selon laquelle l’assuré présente une intelligence dans la norme, n’est pas contradictoire, ni incomplète du seul fait invoqué que l’expert ne lui a pas fait passer de test d’intelligence. Elle résulte des observations faites par le médecin durant l’examen et a ensuite été confirmée par un test d’intelligence effectué par les psychologues (« efficience intellectuelle » et « indice d’aptitude générale » dans la zone dite « moyenne »), comme l’admet du reste l’intéressé. L’expert psychiatre ne s’est pas non plus contredit lorsqu’il a indiqué que la dépendance aux sédatifs n’avait pas de conséquence sur la capacité de travail et que la problématique anxieuse était objectivement modeste. S’agissant de la dépendance aux sédatifs, l’expert a posé le diagnostic de troubles mentaux et troubles du comportement liés à l’utilisation de sédatifs, utilisation continue sous prescription médicale (F 13.25). Il a expliqué les raisons pour lesquelles ce diagnostic n’était pas incapacitant. D’une part, l’expert psychiatre a exposé qu’il n’y avait jamais eu d’excès dans l’utilisation des sédatifs; d’autre part, le médecin a expliqué qu’un sevrage était exigible et techniquement possible et qu’il existait des alternatives médicamenteuses et non médicamenteuses. Concernant la problématique de l’anxiété, le médecin expert a posé le diagnostic d’autre trouble anxieux mixte, d’incidence clinique faible (F 41.3), après avoir confronté les plaintes de l’assuré aux résultats des tests psychologiques et complémentaires qu’il avait effectués et à ses propres constatations. Il a considéré que les « quelques traits anxieux constatés étaient très peu spécifiques, diffus et accentués de la part de l’assuré » et qu’ils n’atteignaient pas le niveau d’une « pathologie anxieuse sévère/significative/invalidante ». A cet égard, comme l’ont dûment expliqué les juges cantonaux, l’expert psychiatre a en particulier relevé un décalage entre l’importance des symptômes anxieux décrits par l’assuré et ses observations cliniques (« décalage entre subjectif et objectif »), ainsi que les effets positifs que pourrait avoir une médication anxiolytique ponctuelle.

Consid. 5.3.3
L’assuré reproche à l’expert psychiatre d’avoir accordé trop d’importances à ses publications sur les réseaux sociaux et affirme, en se référant aussi au rapport du psychiatre traitant, qu’il en aurait fait « une lecture au premier degré », sans tenir compte que celles-ci seraient « l’expression d’une personne mal assurée, qui a besoin de se mettre en valeur, d’une façon exagérée, afin de masquer ses troubles ». Cette argumentation ne suffit pas à mettre en doute les conclusions du médecin expert. A l’inverse de ce que suggère le psychiatre traitant, l’expert n’a pas fait état d’une « supposée simulation de la part de l’assuré »; il a relevé en revanche des éléments d’exagération. De plus, à la suite des juges cantonaux, on constate que le médecin expert a expliqué de manière objective et étayée les raisons pour lesquelles il convenait selon lui d’écarter les diagnostics posés par le psychiatre traitant (notamment, un trouble de la personnalité, F 60). A cet égard, le médecin expert n’a en particulier pas constaté de dysfonctionnement cognitif majeur dans l’examen clinique. S’agissant des axes « personnalité » et « contexte social », le médecin a retenu uniquement des traits de personnalité narcissique et indiqué que l’assuré disposait d’un bon réseau social, entretenait des relations positives avec sa famille et un cercle d’amis et organisait très régulièrement des loisirs. Sous l’angle également de la cohérence, l’expert psychiatre a qualifié les plaintes de l’assuré de particulièrement vagues et indiqué qu’elles ne se manifestaient pas en toutes circonstances, en particulier pas durant les activités de loisirs et très rarement dans les activités quotidiennes. Dans le complément du 26.10.2020, il a encore précisé les observations qui l’avaient amené à exclure le diagnostic posé précédemment par le psychiatre traitant.

Consid. 5.3.4
Quant au fait que le médecin expert a rencontré l’assuré à une seule reprise, durant trois heures et vingt minutes, il n’est pas non plus déterminant. Selon la jurisprudence, la durée de l’examen – qui n’est pas en soi un critère de la valeur probante d’un rapport médical -, ne saurait remettre en question la valeur du travail de l’expert, dont le rôle consiste notamment à se prononcer sur l’état de santé psychique de l’assuré dans un délai relativement bref (cf. arrêts 9C_457/2021 du 13 avril 2022 consid. 6.2; 9C_542/2020 du 16 décembre 2020 consid. 7.4 et les références).

Le fait que la position de l’expert psychiatre est « isolée » et partagée uniquement par le médecin au SMR de l’AI, ne suffit pas non plus pour nier la valeur probante de son expertise, sous l’angle du caractère convaincant des conclusions de celle-ci, quoi qu’en dise l’assuré à cet égard.

Consid. 5.4
L’assuré reproche ensuite aux juges cantonaux de ne pas avoir procédé à d’autres mesures d’instruction. Il allègue à cet égard, en se référant essentiellement aux avis de ses psychiatres traitants, qu’il présente une incapacité totale de travail à la suite d’une évolution défavorable de son état de santé et qu’il « est invalide ». Ce faisant, l’assuré ne critique pas l’appréciation de sa capacité de travail effectuée par la juridiction cantonale sous l’angle des indicateurs établis par l’ATF 141 V 281. Il ne met pas non plus en évidence des éléments concrets et objectifs susceptibles de remettre en cause les conclusions médicales suivies par les juges cantonaux, ni de motifs susceptibles d’établir le caractère arbitraire de leur appréciation. Il ne suffit pas à cet égard d’affirmer sans plus de précisions que « les indications qu’il [le rapport d’évaluation neuropsychologique du 22 février 2021] donne permettent de confirmer les problèmes psychiques de l’assuré ». En ce qu’elle tend à affirmer que la mise en œuvre de mesures d’instruction complémentaires pourrait apporter des renseignements supplémentaires, l’argumentation de l’assuré n’est par ailleurs pas suffisante pour mettre en évidence en quoi la juridiction cantonale aurait procédé de manière arbitraire à une appréciation anticipée des preuves (à ce sujet, voir ATF 140 I 285 consid. 6.3.1) ou aurait établi les faits de manière incomplète.

Quant à la considération de la juridiction cantonale selon laquelle la dépendance de l’assuré à l’égard de sa compagne ne constitue pas une atteinte à la santé, elle n’est pas manifestement erronée. A la lecture du rapport relatif à l’hospitalisation de l’assuré du 22.06.2018 au 27.06.2018, auquel l’intéressé se réfère, on constate qu’aucun diagnostic en lien avec une dépendance affective n’a été retenu. Les médecins ont en effet seulement fait état de « traits dépendants », en précisant qu’un diagnostic de trouble de la personnalité n’avait jamais été posé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_660/2021 consultable ici

 

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