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4A_426/2021 (f) du 15.02.2022 – Contrat d’assurance de protection juridique – For – Compétence à raison du lieu – 32 al. 1 CPC / Conditions générales d’assurance contenant expressément une clause sur le for de l’action du consommateur

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_426/2021 (f) du 15.02.2022

 

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Contrat d’assurance de protection juridique – For – Compétence à raison du lieu / 32 al. 1 CPC

Conditions générales d’assurance contenant expressément une clause sur le for de l’action du consommateur

Question de savoir si l’agence régional de l’assureur constitue un établissement restée indécise

 

A.__ est domicilié dans le canton de Vaud. B.__ SA (ci-après: B.__) a pour but l’exploitation d’une assurance de protection juridique. Son siège est dans le canton de Zurich. B.__ est une société du Groupe X.__.

A.__ (ci-après: l’assuré) et B.__ sont liés par un contrat d’assurance de protection juridique combinée. L’assuré a également souscrit au supplément de protection juridique pour immeuble, avec une somme garantie s’élevant à 100’000 fr. Le contrat d’assurance a été conclu le 15.12.2016 auprès de C.__ (ci-après: l’Agence), à Genève. Il a été signé par l’assuré et B.__ et renvoie aux conditions générales de l’assurance de protection juridique.

Le 10.05.2018, l’assuré a informé B.__ de l’existence d’un litige survenu avec le bureau d’architecte D.__ SA et l’entreprise de gypserie-peinture E.__ SA, mandatés dans le cadre d’un projet de rénovation de sa villa. Il a sollicité une couverture d’assurance de protection juridique, laquelle a été refusée par B.__.

 

Procédures cantonales

Après une tentative infructueuse de conciliation, l’assuré a saisi le Tribunal de première instance du canton de Genève. Dans sa réponse, B.__ a conclu, préalablement, à ce que le tribunal déclare la demande irrecevable faute de compétence à raison du lieu. Statuant le 11.11.2020, le tribunal a accueilli l’exception d’incompétence et a déclaré la demande irrecevable.

Par arrêt du 29.06.2021 (arrêt ACJC/853/2021), la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté l’appel formé par l’assuré et a confirmé le jugement attaqué. Elle a relevé que l’Agence ne constituait pas un établissement de B.__ au sens de l’art. 12 CPC. Par ailleurs, le contrat signé entre les parties renvoyait aux conditions générales de l’assurance de protection juridique, lesquelles prévoyaient au point D1 que les plaintes du preneur d’assurance contre B.__ devaient être déposées au domicile suisse de celui-ci, in casu dans le canton de Vaud, ou au siège de B.__ à…. Ces conditions générales étaient conformes au texte de l’art. 32 CPC, applicable en l’espèce.

 

TF

Consid. 3
Le recourant dénonce une violation de l’art. 12 CPC, dans la mesure où la cour cantonale a nié l’application du for de l’établissement ou de la succursale prévu par cette disposition. Il soutient que l’Agence constitue un établissement de B.__ à Genève. Il fait également valoir, en se fondant sur l’art. 32 CPC, que le for de l’art. 12 CPC est partiellement impératif et que la limitation du for au domicile du preneur d’assurance, en l’occurrence dans le canton de Vaud, ou au siège de B.__, telle que prévue par les conditions générales, n’est pas valable.

Il n’y a pas besoin d’examiner si B.__ dispose d’un établissement au sens de l’art. 12 CPC à Genève, dès lors que le for de cette disposition n’est pas applicable en l’espèce, pour les motifs qui suivent.

Consid. 3.1.1
En vertu de l’art. 17 al. 1 CPC, sauf disposition contraire de la loi, les parties peuvent convenir d’un for pour le règlement d’un différend présent ou à venir résultant d’un rapport de droit déterminé; sauf disposition conventionnelle contraire, l’action ne peut être intentée que devant le for élu.

Consid. 3.1.2
En cas de litige concernant un contrat conclu avec un consommateur, comme en l’espèce, l’art. 32 al. 1 CPC prévoit que le for est celui du domicile ou du siège de l’une des parties lorsque l’action est intentée par le consommateur (let. a), ou celui du domicile du défendeur lorsque l’action est intentée par le fournisseur (let. b).

Le législateur fédéral a rangé cette disposition dans la catégorie des fors partiellement impératifs, instituée par l’art. 35 CPC. Ces derniers découlent du concept de procès civil à caractère social et visent à assurer la protection de la partie dite faible au contrat, tel que le consommateur (art. 35 al. 1 let. a CPC). L’art. 35 al. 1 CPC interdit ainsi à ces parties de renoncer à l’avance ou par acceptation tacite aux fors spéciaux prévus aux art. 32 à 34 CPC (cf. ATF 137 III 311 consid. 4.1.1 et les références citées).

Consid. 3.1.3
Selon l’art. 12 CPC, le tribunal du domicile ou du siège du défendeur ou du lieu où il a son établissement ou sa succursale est compétent pour statuer sur les actions découlant des activités commerciales ou professionnelles d’un établissement ou d’une succursale.

De telles actions peuvent être introduites, en matière de droit des contrats, aux fors spéciaux prévus par les art. 31 à 34 CPC et au for de l’établissement ou d’une succursale de l’art. 12 CPC (for alternatif; cf. ATF 129 III 31 consid. 3.2 concernant une action fondée sur le droit du travail).

La loi ne prévoit pas que le for institué par l’art. 12 CPC serait partiellement impératif, ou impératif (cf. art. 9 CPC). Il doit ainsi être considéré comme un for dispositif (cf. DOMINIK INFANGER, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3e éd. 2017, n° 2 ad art. 12 CPC; FELLER/BLOCH, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3e éd. 2016, no 2 ad art. 12 CPC; IVO SCHWANDER, in ZPO Schweizerische Zivilprozessordnung, 2e éd. 2016, n° 2 ad art. 12 CPC; BERNHARD BERGER, in Berner Kommentar, 2012, no 4 ad art. 12 CPC; FRANZ SCHENKER, in Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], Baker & McKenzie [éd.], 2010, n° 3 ad art. 12 CPC; voir également FABIENNE HOHL, Procédure civile, t. II, 2e éd. 2010, n° 164 p. 48). L’art. 12 CPC n’est donc pas réservé par l’art. 17 al. 1 in initio CPC, de sorte que les parties peuvent convenir librement d’un autre for (cf. art. 17 et 18 CPC).

Consid. 3.2
En l’espèce, la cour cantonale retient que les conditions générales auxquelles renvoie le contrat signé par les parties contiennent expressément une clause sur le for de l’action du consommateur. La cour cantonale relève que cette clause prévoit que les plaintes du preneur d’assurance contre B.__ doivent être déposées à son domicile suisse ou au siège de B.__ à…, ce qui est conforme au texte de l’art. 32 al. 1 let. a CPC.

Tel est bien le cas. On doit toutefois également considérer que cette clause limite les fors de l’action du consommateur à ceux prévus par l’art. 32 al. 1 let. a CPC uniquement. Elle ne prévoit pas le for de la succursale ou de l’établissement, de sorte que le for dispositif de l’art. 12 CPC est exclu, et l’action ne peut y être intentée (cf. art. 17 al. 1, 2ème phrase, CPC).

Contrairement à ce que soutient le recourant, le fait que le for au domicile ou au siège du défendeur est partiellement impératif lorsque l’action est intentée par le consommateur (art. 32 al. 1 let. a CPC en lien avec l’art. 35 al. 1 let. a CPC) n’a pas pour effet de rendre également partiellement impératif le for du lieu de la succursale ou de l’établissement (art. 12 CPC). Les deux références doctrinales auxquelles il renvoie n’appuient pas cette thèse. PATRICIA DIETSCHY-MARTENET relève d’ailleurs expressément que le for de l’art. 12 CPC est dispositif (in Code de procédure civile, Petit commentaire, Chabloz et al. [éd.], 2021, n° 2 ad art. 12 CPC). Le recourant n’élève pas d’autres critiques à l’encontre de cette clause d’élection de for.

B.__ a excipé de l’incompétence du tribunal saisi (cf. art. 18 CPC) en se fondant sur cette clause. Ainsi, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en retenant que ce tribunal était incompétent à raison du lieu.

Dans ces conditions, la question de savoir si l’Agence constitue un établissement de B.__ au sens de l’art. 12 CPC peut rester indécise. Les arguments du recourant à cet égard n’ont donc pas à être analysés.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 4A_426/2021 consultable ici

 

Cour de justice de l’Union européenne Affaire C-913/19 – Litige transfrontalier entre un professionnel qui s’est vu transférer la créance d’une victime d’un accident de la circulation sur une entreprise d’assurances et cette entreprise : la Cour précise les règles de compétence juridictionnelle

Cour de justice de l’Union européenne Affaire C-913/19 – Arrêt du 20.05.2021

 

Communiqué de presse du 20.05.2021 consultable ici

Arrêt de la CJUE consultable ici

 

Le 28 février 2018, un accident de la route survenu en Pologne implique deux véhicules entrés en collision. La personne responsable de l’accident avait souscrit un contrat d’assurance de la responsabilité civile automobile auprès de Gefion Insurance A/S (ci-après « Gefion »), compagnie d’assurances ayant son siège au Danemark. Le 1er mars 2018, la personne lésée a loué un véhicule de remplacement auprès de l’atelier de réparation auquel son véhicule endommagé avait été confié. En règlement de cette prestation de location, cette personne a transféré à l’atelier de réparation la créance sur Gefion. Le 25 juin 2018, l’atelier de réparation a ensuite cédé cette même créance à CNP spółka z ograniczoną odpowiedzialnością.

Par lettre du 25 juin 2018, CNP a demandé à Gefion de lui verser le montant facturé pour la location du véhicule de remplacement.

Par lettre du 16 août 2018, Crawford Polska sp. z o.o., société établie en Pologne et chargée par Gefion du règlement du sinistre, a partiellement approuvé la facture relative à la location du véhicule de remplacement et accordé à CNP une partie du montant facturé pour cette location. Dans la partie finale de cette lettre, Crawford Polska a indiqué qu’une réclamation pouvait être introduite à son égard, en sa qualité d’organisme agréé par Gefion, ou directement à l’encontre de Gefion, « soit selon les règles de compétence générale, soit devant la juridiction du domicile ou du siège du preneur d’assurance, de l’assuré, du bénéficiaire ou de l’ayant droit en vertu du contrat d’assurance ».

Le 20 août 2018, CNP a assigné Gefion devant le Sąd Rejonowy w Białymstoku (tribunal d’arrondissement de Białystok, Pologne).

Le 11 décembre 2018, une injonction de payer a été émise par cette juridiction.

Gefion a formé opposition à l’injonction de payer en contestant la compétence des juridictions polonaises pour connaître du litige. Dans ce contexte, la juridiction polonaise a décidé de solliciter la Cour de justice quant à l’interprétation du règlement (UE) n° 1215/2012 sur la compétence judiciaire en matière civile et commerciale.

Par son arrêt de ce jour, la Cour examine, premièrement, la question de savoir si le droit de l’Union fait obstacle à ce que, en cas de litige entre, d’une part, un professionnel ayant acquis une créance initialement détenue par une personne lésée sur une entreprise d’assurances et, d’autre part, cette même entreprise d’assurances, la compétence juridictionnelle soit fondée, le cas échéant, de manière autonome, sur les dispositions de l’article 7 du règlement n° 1215/2012 en vertu desquelles sont compétents les tribunaux du lieu où le fait dommageable s’est produit (point 2) et ceux du lieu de situation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement d’une entreprise principale, pour des actions introduites contre cette dernière au titre d’activités impliquant la succursale, l’agence ou l’établissement (point 5) (article 7, points 2 et 5).

Elle rappelle à cet égard que la section 3 du chapitre II du règlement n° 1215/2012, intitulée « Compétence en matière d’assurances », établit un système autonome de répartition des compétences juridictionnelles en matière d’assurances. L’objectif de cette section est de protéger la partie la plus faible au contrat au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales, et qu’un tel objectif implique que l’application des règles de compétence spéciales prévues à cette section (prévues aux articles 10 à 16 du règlement no 1215/2012) ne soit pas étendue à des personnes pour lesquelles cette protection ne se justifie pas. Par ailleurs, si un cessionnaire des droits de la personne lésée, qui peut être lui-même considéré comme partie faible, doit pouvoir profiter des règles spéciales de compétence juridictionnelle (définies aux dispositions combinées de l’article 11, paragraphe 1, sous b), et de l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012), aucune protection spéciale ne se justifie dans les rapports entre des professionnels du secteur des assurances, dont aucun d’entre eux ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport à l’autre. En l’espèce, CNP a pour activité le recouvrement de créances auprès d’entreprises d’assurances. Cette circonstance, qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, fait obstacle à ce que cette société puisse être considérée comme étant une partie en position de faiblesse par rapport à la partie adverse, de sorte qu’elle ne saurait bénéficier des règles spéciales de compétence juridictionnelle.

Par conséquent, la section 3 du chapitre II du règlement no 1215/2012 ne s’applique pas en cas de litige entre, d’une part, un professionnel ayant acquis une créance détenue, à l’origine, par une personne lésée sur une entreprise d’assurances de responsabilité civile et, d’autre part, cette même entreprise d’assurances de responsabilité civile, de sorte qu’il n’y a pas d’obstacle à ce que la compétence juridictionnelle pour connaître d’un tel litige soit fondée, le cas échéant, sur l’article 7, point 2, ou sur l’article 7, point 5, de ce règlement.

Deuxièmement, la Cour poursuit en examinant si une société qui exerce, dans un État membre, en vertu d’un contrat conclu avec une entreprise d’assurances établie dans un autre État membre, au nom et pour le compte de cette dernière, une activité de liquidation de dommages dans le cadre de l’assurance de responsabilité civile automobile doit être considérée comme étant une succursale, une agence ou tout autre établissement, au sens de l’article 7, point 5, du règlement n° 1215/2012. Elle relève à cet égard que la règle de compétence spéciale prévue par cette disposition est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions qui peuvent être appelées à en connaître, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès.

La Cour rappelle que deux critères permettent de déterminer si une contestation est relative à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement. En premier lieu, ces notions supposent l’existence d’un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère. Ce centre doit être pourvu d’une direction et être matériellement équipé de façon à pouvoir négocier avec des tiers qui sont ainsi dispensés de s’adresser directement à la maison mère. En second lieu, le litige doit concerner soit des actes relatifs à l’exploitation d’une succursale, soit des engagements pris par celle-ci au nom de la maison mère.

Concernant le premier critère, la Cour souligne que Crawford Polska dispose, en tant que personne morale, d’une existence juridique indépendante et est pourvue d’une direction. Par ailleurs, il apparaît qu’elle a tout pouvoir pour exercer l’activité de règlement et de liquidation des sinistres, ce qui produit des effets juridiques pour l’entreprise d’assurances, de sorte que Crawford Polska doit être regardée comme étant un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère. En revanche, il appartiendra à la juridiction nationale de vérifier si ce centre est matériellement équipé de façon à pouvoir négocier avec des tiers et à dispenser ceux-ci de s’adresser directement à la maison mère.

Quant au second critère, la Cour observe que Gefion a mandaté Crawford Polska pour procéder au règlement et à la liquidation du sinistre au principal. En outre, c’est Crawford Polska elle-même qui a pris, au nom et pour le compte de Gefion, la décision de n’accorder à CNP qu’une partie de l’indemnisation demandée. Or, si cette circonstance devait être confirmée par la juridiction nationale, il en résulterait que Crawford Polska n’a pas été un simple intermédiaire chargé de transmettre des informations, mais a contribué activement à la situation juridique à l’origine du litige devant la juridiction polonaise. Ce litige devrait être alors regardé, compte tenu de l’implication de Crawford Polska dans la relation juridique entre les parties au principal, comme concernant des engagements pris par Crawford Polska au nom de Gefion.

 

 

Communiqué de presse du 20.05.2021 consultable ici

Arrêt de la CJUE consultable ici

 

 

8C_872/2017 (f) du 03.09.2018 – destiné à la publication – Compétence à raison du lieu de l’autorité de recours cantonale – 58 LPGA / Détermination du for en fonction du canton de domicile du dernier employeur suisse – Existence d’un for au lieu de la succursale de l’employeur / Interprétation de l’art. 58 al. 2 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_872/2017 (f) du 03.09.2018, destiné à la publication

 

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Compétence à raison du lieu de l’autorité de recours cantonale / 58 LPGA

Détermination du for en fonction du canton de domicile du dernier employeur suisse – Existence d’un for au lieu de la succursale de l’employeur / 58 al. 2 LPGA

Interprétation de l’art. 58 al. 2 LPGA

 

Assuré, né en 1962, domicilié en France, a travaillé comme maçon pour une entreprise, dont le siège est dans le canton de Vaud, du 15.11.2010 au 14.02.2011. Le 15.02.2011, il a débuté une mission temporaire par le biais d’une entreprise de placement de personnel dans la construction, ayant pour siège principal depuis le 10.01.2017 dans le canton de Neuchâtel. Cette société de placement de personnel avait antérieurement son siège principal dans le canton de Vaud. Cette entreprise a par ailleurs des succursales dans plusieurs cantons, dont le canton de Genève.

Auparavant, le 01.02.2011, l’assuré a été victime d’un accident et s’est blessé au membre supérieur gauche. Il a toutefois été en mesure de poursuivre son activité professionnelle, jusqu’à ce qu’il subisse une rechute le 21.06.2011.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’incapacité de gain de 12% à compter du 01.07.2014. Le 25.08.2016, la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Chambre des assurances sociales) a rejeté le recours interjeté par l’assuré contre la décision sur opposition.

Entre-temps, en raison d’une rechute annoncée en septembre 2015, l’assuré a perçu des indemnités journalières du 04.09.2015 au 31.03.2017. Par nouvelle décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a maintenu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité au taux de 12%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/984/2017 – consultable ici)

L’assuré a déféré la nouvelle décision sur opposition à la Chambre des assurances sociales. L’assurance-accidents a soulevé l’exception d’incompétence à raison du lieu et demandé à ce que la cause soit transmise au Tribunal cantonal neuchâtelois, soit dans le canton du siège principal de la société de placement de personnel.

La Chambre des assurances sociales a retenu qu’en dernier lieu l’assuré avait travaillé dans le canton de Genève pour la succursale de l’entreprise de placement de personnel. En outre, l’assuré y était soigné pour les séquelles de son accident et il s’agissait du canton le plus proche de son domicile. Au demeurant, l’assurance-accidents elle-même avait transmis le dossier pour traitement à son agence de Genève. Partant, même si le siège principal de la société se situait dans le canton de Neuchâtel, il y avait lieu de considérer que le domicile du dernier employeur était au siège de la succursale, soit dans le canton de Genève.

Par arrêt incident du 02.11.2017, la Chambre des assurances sociales s’est déclarée compétente ratione loci.

 

TF

Aux termes de l’art. 58 al. 1 LPGA, en liaison avec l’art. 1er al. 1 LAA, le tribunal des assurances compétent pour connaître d’un recours contre une décision en matière d’assurance-accidents obligatoire est celui du canton de domicile de l’assuré ou d’une autre partie au moment du dépôt du recours. Selon l’al. 2, si l’assuré ou une autre partie sont domiciliés à l’étranger, le tribunal des assurances compétent est celui du canton de leur dernier domicile en Suisse ou celui du canton de domicile de leur dernier employeur suisse; si aucun de ces domiciles ne peut être déterminé, le tribunal des assurances compétent est celui du canton où l’organe d’exécution a son siège.

En l’espèce, il est constant que l’assuré était domicilié en France au moment du recours contre la décision sur opposition et qu’il n’a pas élu domicile en Suisse antérieurement. Quant à l’assurance-accidents, elle n’est pas une « autre partie » au sens de l’art. 58 al. 1 LPGA (ATF 135 V 153 consid. 4.9 et 4.10 p. 161; arrêt dans les causes jointes 8C_466/2011, 8C_565/2011 et 8C_832/2011 du 10 mai 2012 consid. 5). Il s’ensuit que le for doit être déterminé en fonction du canton de domicile du dernier employeur suisse, conformément à l’art. 58 al. 2 LPGA.

La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique; ATF 142 IV 389 consid. 4.3.1 p. 397; 141 III 53 consid. 5.4.1 p. 59; 140 V 449 consid. 4.2 p. 455). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 142 IV 389 précité; 137 IV 180 consid. 3.4 p. 184).

Le libellé de l’art. 58 al. 2 LPGA ne donne pas d’indication claire sur la question du domicile du dernier employeur suisse (y compris dans ses versions allemande [« in dem ihr letzter schweizerischer Arbeitgeber Wohnsitz hat »] et italienne [« in cui il suo ultimo datore di lavoro aveva domicilio »]). Autrement dit, le texte ne permet pas d’emblée de reconnaître ou d’exclure le for de la succursale au titre de domicile du dernier employeur suisse, pas plus que la définition de l’employeur selon l’art. 11 LPGA (« celui qui emploie des salariés ») ou celle du domicile de l’art. 13 al. 1 LPGA qui ne vise pas les personnes morales. Les travaux préparatoires de la LPGA ne permettent pas non plus de trancher la question.

Selon la jurisprudence, une succursale est un établissement commercial qui, dans la dépendance d’une entreprise principale dont il fait juridiquement partie, exerce d’une façon durable, dans des locaux distincts, une activité similaire, en jouissant d’une certaine autonomie dans le monde économique et celui des affaires (ATF 117 II 85 consid. 3 p. 87; 116 V 307 consid. 4a p. 313). Même si elle est dépourvue d’existence juridique et n’a pas la capacité d’ester en justice (ATF 120 III 11 consid. 1a p. 13; arrêts 4A_510/2016 du 26 janvier 2017 consid. 3.2; 4A_533/2015 du 20 décembre 2016 consid. 2.3; 4A_422/2011 du 3 janvier 2012 consid. 2.3.1), son siège est susceptible de fonder un for dans divers domaines juridiques.

En droit privé, le for de la succursale est largement reconnu. En particulier, en procédure civile, l’art. 12 CPC prévoit un for alternatif au lieu où le défendeur a sa succursale pour les activités commerciales et professionnelles s’y rapportant (cf. aussi art. 5 ch. 5 CL [RS 0.275.12], concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale). En ce sens, la jurisprudence admet que les actions fondées sur le droit du travail peuvent être intentées non seulement au domicile ou au siège du défendeur ou encore au lieu de travail habituel, mais également au tribunal du siège de la succursale, lorsque le travail a été effectué pour celle-ci (ATF 129 III 31 consid. 3.2 p. 34 à propos de l’ancienne loi fédérale du 24 mars 2000 sur les fors en matière civile [LFors; RO 2000 2355]; voir aussi NOËLLE KAISER JOB, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3 e éd. 2017, n° 15 ad art. 34 CPC; FELLER/BLOCH, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], 3 e éd. 2016, n° 23 ad art. 34 CPC; JACQUES HALDY, Procédure civile suisse, 2014, p. 35). Ainsi, un for au lieu de la succursale se justifie si l’obligation contractuelle est en relation directe avec les opérations commerciales de celle-ci, cela quand bien même le contrat est conclu avec la société à son siège principal (FELLER/BLOCH, op. cit., n° 20 ad art. 12 CPC et les références citées).

En droit des assurances sociales, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a eu l’occasion de s’exprimer sur la possibilité d’un for alternatif au lieu de la succursale en matière de responsabilité de l’employeur pour le non-paiement des cotisations sociales. Conformément à l’art. 52 al. 5 LAVS (anciennement art. 81 al. 3 RAVS, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002 [RO 2002 3710]), c’est le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié qui est compétent pour traiter les recours contre les décisions des caisses de compensation en réparation du dommage, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA. Lorsque l’employeur possède une succursale dans un canton différent de celui de l’établissement principal, c’est l’autorité de recours du canton dans lequel la caisse de compensation cantonale – à laquelle l’employeur est affilié – a son siège qui est compétente (ATF 110 V 351 consid. 5c p. 359 s.). Dans le cas où l’employeur est affilié à une caisse professionnelle et possède une ou plusieurs succursales situées dans des cantons différents de celui de l’établissement principal, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a jugé plus judicieux que l’autorité de recours du canton dans lequel la succursale a son siège soit compétente, lorsque celle-ci est affiliée à une autre caisse que celle de l’établissement principal en vertu de l’art. 117 al. 3 RAVS (ATF 124 V 104 consid. 4 p. 107; cf. MÉLANIE FRETZ, La responsabilité selon l’art. 52 LAVS: une comparaison avec les art. 78 LPGA et 52 LPP, REAS 3/2009 p. 247).

Sous l’empire de la loi fédérale du 13 juin 1911 sur l’assurance-maladie (LAMA), en vigueur jusqu’au 31 décembre 1995, le Tribunal fédéral des assurances a jugé que, pour les assurés qui n’ont pas de domicile en Suisse, les dispositions applicables en matière d’assurance-maladie ne reconnaissaient la compétence d’aucune autorité judiciaire autre que celle du canton où se trouvait l’administration centrale de la caisse défenderesse, à l’exclusion d’une section ou agence locale ou régionale (ATF 114 V 44 consid. 3a et 3b p. 47 ss). Il a toutefois précisé qu’il serait plus logique, notamment pour des motifs linguistiques, de permettre à l’assuré domicilié à l’étranger de saisir le juge du canton de domicile ou du siège de son employeur en Suisse mais qu’une telle solution ne pouvait intervenir que par voie législative (consid. 3a p. 48; à propos de l’ATF 114 V 44 cf. DANIELE CATTANEO, Tribunal compétent « ratione loci », Plädoyer 1989/2 p. 59 ss). La possibilité de former recours devant le tribunal des assurances du canton de domicile du dernier employeur suisse a été introduite avec l’entrée en vigueur de la LAMal, le 1er janvier 1996, répondant favorablement à une motion déposée en ce sens (art. 86 al. 3 LAMal, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002 [RO 2002 3371], qui correspond à l’art. 58 LPGA actuel; ATF 135 V 153 consid. 4.9 p. 161; Message du 6 novembre 1991 concernant la révision de l’assurance-maladie, FF 1992 I 77 p. 189).

Enfin, à propos d’un conflit négatif de compétence de deux tribunaux cantonaux des assurances, le Tribunal fédéral a jugé, en relation avec l’art. 58 al. 1 LPGA, que la procédure devait être conduite devant l’instance la plus proche des faits à apprécier et que le danger de jugements contradictoires (en cas de procédures engagées dans différents cantons) pouvait être évité par une suspension de procédure (ATF 135 V 153 précité consid. 4.11 p. 161 s.).

 

A l’aune de ce qui précède, il y a lieu d’admettre l’existence d’un for au lieu de la succursale – en tant que domicile du dernier employeur suisse – s’il constitue pour le litige un point de rattachement prépondérant. Tel est le cas lorsque l’assuré a travaillé pour la succursale d’une société, dans un canton différent du siège principal. Une telle solution est compatible avec le sens de l’art. 58 LPGA, dont le régime en cascade entend favoriser l’assuré. Il s’agit là d’une compétence alternative, dès lors qu’il est uniquement question de faciliter l’action en justice et que rien n’empêche un justiciable de saisir le tribunal du canton de l’établissement principal.

En l’espèce, il ressort des constatations de la cour cantonale que l’assuré a travaillé en dernier lieu dans le canton de Genève pour la succursale de l’entreprise de placement de personnel, inscrite au Registre du commerce de ce même canton (art. 641 CO). Dans ces conditions, le fait que le salaire et les cotisations sociales auraient été versés par l’administration centrale, sise dans le canton de Neuchâtel, n’apparaît pas décisif. Partant, la juridiction cantonale n’a pas violé l’art. 58 LPGA en se déclarant compétente ratione loci.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_872/2017 consultable ici