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Arrêt CJUE – Affaire C-65/20 KRONE – Verlag – Un article dans un journal imprimé ne peut donc pas engager la responsabilité sans faute de l’éditeur ou de l’imprimeur dudit journal selon la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux

Arrêt CJUE du 10.06.2021 – Affaire C-65/20 KRONE – Verlag

 

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Communiqué de presse de la CJUE du 10.06.2021 consultable ici

 

Protection des consommateurs – Responsabilité du fait des produits défectueux – Notion de “produit défectueux” – Exemplaire physique d’un journal quotidien contenant un conseil de santé inexact / Directive 85/374/CEE

 

 

Un article dans un journal imprimé, qui dispense un conseil de santé inexact relatif à l’utilisation d’une plante, dont le respect a causé un dommage à la santé d’un lecteur, ne constitue pas un produit défectueux au sens du droit de l’Union. Un tel article ne peut donc pas engager la responsabilité sans faute de l’éditeur ou de l’imprimeur dudit journal selon la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux.

KRONE Verlag est une société de presse établie en Autriche. Elle est propriétaire de médias et l’éditrice d’une édition régionale du journal Kronen-Zeitung. Le 31 décembre 2016, elle a publié dans celui-ci un article sur les mérites d’une application de raifort râpé, signé par un membre d’un ordre religieux qui, en sa qualité d’expert dans le domaine des herbes médicinales, donne des conseils à titre gratuit dans une chronique publiée quotidiennement par ce journal.

Le texte de l’article était le suivant :

« Soulager les douleurs rhumatismales

Le raifort fraîchement râpé peut aider à réduire les douleurs qui apparaissent avec le rhumatisme. Les zones concernées sont au préalable frictionnées avec une huile grasse à base d’herbes ou avec du saindoux, avant d’y poser et d’y presser le raifort râpé. On peut tout à fait garder cette application pendant deux à cinq heures avant de l’enlever. Ce soin possède un bon effet révulsif. »

Cependant, la durée de deux à cinq heures indiquée dans l’article pendant laquelle la substance devait être appliquée était inexacte, le terme « heures » ayant été utilisé en lieu et place du terme « minutes ». La requérante, une ressortissante autrichienne, se fiant à la durée de traitement mentionnée dans l’article, a appliqué cette substance sur l’articulation de son pied pendant environ trois heures et ne l’a retirée qu’après avoir ressenti de fortes douleurs dues à une réaction cutanée toxique.

Estimant avoir subi un préjudice, la requérante a introduit une demande en réparation du fait du dommage corporel à l’encontre de KRONE-Verlag. Cette demande ayant été rejetée en première instance et en appel, la requérante a formé devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) un recours en Revision.

Saisie à titre préjudiciel par cette juridiction, la Cour de justice considère que ne constitue pas un « produit défectueux », au sens de la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux [1], un exemplaire d’un journal imprimé qui, traitant d’un sujet paramédical, dispense un conseil de santé inexact relatif à l’utilisation d’une plante, dont le respect a causé un dommage à la santé d’un lecteur de ce journal.

 

Appréciation de la Cour

La Cour souligne d’emblée qu’un produit est défectueux, au sens de la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux [2], lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle il est légitime de s’attendre. Son caractère défectueux est déterminé en fonction de certains éléments qui sont intrinsèques au produit même et qui sont liés notamment à sa présentation, à son usage ainsi qu’au moment de sa mise en circulation.

Ensuite, rappelant que l’absence de dispositions dans cette directive quant à la possibilité d’engager la responsabilité du fait des produits défectueux pour les dommages causés par un service dont le produit ne constitue que le support physique traduit la volonté du législateur de l’Union, la Cour relève que, en l’occurrence, le conseil inexact ne se rapporte pas au journal imprimé qui constitue son support. En particulier, ce service ne concerne ni la présentation ni l’usage de ce dernier, de sorte que ledit service ne fait pas partie des éléments qui sont intrinsèques au journal imprimé qui, eux seuls, permettent d’apprécier si ce produit est défectueux.

Enfin, soulignant que la responsabilité des prestataires de services et la responsabilité des fabricants de produits finis constituent deux régimes de responsabilité distincts, l’activité des prestataires de services n’étant pas assimilée à celle des producteurs, importateurs et fournisseurs, la Cour rappelle que, eu égard aux caractéristiques propres des services, le régime de responsabilité du prestataire devrait faire l’objet d’une réglementation distincte [3].

Dès lors, selon la Cour, un conseil de santé inexact, qui est publié dans un journal imprimé et qui concerne l’usage d’un autre bien corporel, échappe au champ d’application de la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux et n’est pas de nature à conférer un caractère défectueux à ce journal et à engager, sur le fondement de cette directive, la responsabilité sans faute du « producteur », qu’il soit l’éditeur ou l’imprimeur dudit journal ou encore l’auteur de l’article.

À cet égard, la Cour précise que, si la responsabilité sans faute du fait des produits défectueux, prévue par cette directive, n’est pas applicable à la présente affaire, d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute, peuvent être applicables.

 

 

[1] Article 2 de directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO 1985, L 210, p. 29), telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999 (JO 1999, L 141, p. 20), lu à la lumière de l’article 1er et de l’article 6 de cette directive.

[2] Article 6 de la directive.

[3] Proposition de directive du Conseil sur la responsabilité du prestataire de services COM (90) 482 final (JO 1991, C 12, p. 8) présentée par la Commission le 9 novembre 1990.

 

 

Arrêt CJUE du 10.06.2021 – Affaire C-65/20 KRONE – Verlag consultable ici

Communiqué de presse de la CJUE du 10.06.2021 consultable ici

Conclusions de l’avocat général du 15.04.2021 consultable ici

 

 

C-503/13 CJUE – Responsabilité du fait des produits – Produit médical posé dans le corps humain

Arrêt dans les affaires jointes C-503/13 et C-504/13

Boston Scientific Medizintechnik GmbH c/AOK Sachsen-Anhalt – Die Gesundheitskasse (C503/13) et Betriebskrankenkasse RWE (C-504/13).

 

Arrêt de la CJUE du 05.03.2015 consultable ici : http://bit.ly/1Hf45o6

Conclusions de l’avocat général, présentées le 21.10.2014, consultables ici : http://bit.ly/1GGXNQ0

 

Responsabilité du fait des produits défectueux / Produit médical posé dans le corps humain

 

La directive sur les produits défectueux [Directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, (JO L 210, p. 29)] prévoit que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit.

Une entreprise commercialise en Allemagne des stimulateurs cardiaques ainsi que des défibrillateurs automatiques implantables. Des contrôles de qualité effectués ultérieurement par l’entreprise ont démontré que ces produits pouvaient être défectueux et constituer un danger pour la santé des patients. Face à cette situation, le producteur a recommandé aux médecins de remplacer les stimulateurs implantés dans le corps des patients par d’autres stimulateurs mis gratuitement à disposition. Parallèlement à cela, le fabricant a recommandé aux médecins traitants de désactiver un interrupteur dans les défibrillateurs.

Les assureurs des personnes dont le stimulateur ou le défibrillateur a été remplacé réclament au fabricant le remboursement des coûts liés aux interventions.

Saisi du litige entre les assureurs et l’entreprise commercialisant ces dispositifs médicaux et afin de pouvoir trancher le litige au principal, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale d’Allemagne) pose préalablement deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) : les stimulateurs cardiaques et le défibrillateur automatique qui ont remplacés et implantés dans l’organisme des assurés concernés, ne peuvent-ils pas être également considérés comme défectueux du fait que ces appareils appartiennent à un groupe de produits qui présentaient un risque de défaillance, alors qu’il n’a pas été constaté de défaut des appareils mais seulement un risque potentiel de défaillance ?

Si la réponse à cette question est oui, alors les coûts de l’opération de retrait du produit et de pose d’un appareil de remplacement constituent-ils un dommage causé par lésion corporelle ?

Dans son arrêt du 05.03.2015, la Cour constate que, eu égard à leur fonction et à la vulnérabilité des patients qui les utilisent, les dispositifs médicaux en cause sont soumis à des exigences de sécurité particulièrement élevées. À cet égard, la Cour souligne que le défaut potentiel de sécurité de ces produits, qui engage la responsabilité du producteur, réside dans la potentialité anormale du dommage qu’ils peuvent causer à la personne.

Dans ces conditions, la Cour juge que le constat d’un défaut potentiel d’un appareil médical permet de qualifier de défectueux tous les produits du même modèle, sans qu’il soit besoin de démontrer le défaut du produit dans chaque cas.

Par ailleurs, la Cour déclare que, s’agissant du remplacement des stimulateurs cardiaques effectué suite aux recommandations mêmes du producteur, les coûts liés à ce remplacement constituent un dommage dont le fabricant est responsable en vertu de la directive.

S’agissant des défibrillateurs automatiques implantables à l’égard desquels le producteur n’a recommandé que la désactivation d’un interrupteur, la Cour constate qu’il appartient à la juridiction allemande de vérifier si une telle désactivation est propre à éliminer le défaut des produits ou bien si leur remplacement est nécessaire à cette fin.

 

Décision de la CJUE :

1) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 85/374/CEE, doit être interprété en ce sens que le constat d’un défaut potentiel des produits appartenant au même groupe ou relevant de la même série de la production, tels que les stimulateurs cardiaques et les défibrillateurs automatiques implantables, permet de qualifier de défectueux un tel produit sans qu’il soit besoin de constater dans ce produit ledit défaut.

2) Les articles 1er et 9, premier alinéa, sous a), de la directive 85/374 doivent être interprétés en ce sens que le dommage causé par une opération chirurgicale de remplacement d’un produit défectueux, tel qu’un stimulateur cardiaque ou un défibrillateur automatique implantable, constitue un «dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles», dont le producteur est responsable, lorsque cette opération est nécessaire pour éliminer le défaut du produit considéré. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si cette condition est remplie dans les affaires au principal.

 

 

Communiqué de presse n° 31/15 du 05.03.2015 : http://bit.ly/18nuIuX

 

Pour une analyse de l’arrêt de la CJUE, je renvoie le lecteur à l’article de Philippe Fuchs paru dans la jusletter du 30.03.2015 (« Erhöhtes Ausfallrisiko als Produktfehler ? », accessible ici : http://bit.ly/1NujfYy ; accessible aux abonnés). La contribution se penche sur cet arrêt et explique les conséquences éventuelles dans le domaine des dispositifs médicaux pour le droit suisse sur la responsabilité du fait des produits.