8C_308/2022 (f) du 18.08.2022 – Refus de subside pour le paiement des primes d’assurance-maladie / Assuré qui, par choix personnel, a décidé de ne pas travailler ni rechercher un emploi

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_308/2022 (f) du 18.08.2022

 

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Refus de subside pour le paiement des primes d’assurance-maladie / 65 LAMal – LVLAMal (loi d’application vaudoise de la loi fédérale sur l’assurance-maladie)

Assuré qui, par choix personnel, a décidé de ne pas travailler ni rechercher un emploi

 

Assuré, né en 1976, a bénéficié d’un subside pour le paiement de ses primes d’assurance-maladie à partir du 01.06.2015 du fait qu’il était en formation dans un premier temps, puis à l’aide sociale. Le requérant ayant renoncé à bénéficier de l’aide sociale à partir du mois d’avril 2020, l’Office vaudois de l’assurance-maladie (ci-après: l’OVAM) l’a informé de la suppression de son droit au subside dès le 30.09.2020. Le 29.09.2020, l’intéressé a déposé une nouvelle demande de prestations auprès de l’Agence d’assurances sociales de Nyon, expliquant qu’il ne sollicitait plus le revenu d’insertion car il ne voulait plus dépendre de l’aide sociale, qu’il vivait uniquement avec le soutien financier de sa famille et n’avait pas de fortune.

Par décision du 15.01.2021, l’OVAM a refusé de lui allouer toute aide pour le paiement de ses primes d’assurance-maladie dès le 01.10.2020. Il a confirmé ce refus par une décision sur réclamation du 27.07.2021. L’OVAM a retenu que le requérant ne pouvait pas être considéré comme étant de condition économique modeste, dès lors que par choix personnel, il n’exerçait aucune activité lucrative ni ne recherchait un emploi qui lui procurerait certainement un revenu supérieur aux limites légales applicables ou, tout au moins, conditionnerait l’octroi d’un subside.

 

Procédure cantonale (arrêt LAVAM 8/21-4/2022 – consultable ici)

Par jugement du 12.04.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 65 LAMal, les cantons accordent des réductions de primes aux assurés de condition économique modeste (al. 1); les réductions sont fixées de telle manière que les subsides annuels de la Confédération et des cantons au sens de l’art. 66 LAMal soient en principe versés intégralement (al. 2). La jurisprudence rendue à propos de l’art. 65 al. 1 LAMal considère que les cantons jouissent d’une grande liberté dans l’aménagement de la réduction des primes, dans la mesure où ils peuvent définir de manière autonome ce qu’il faut entendre par « condition économique modeste ». En effet, les conditions auxquelles sont soumises les réductions des primes ne sont pas réglées par le droit fédéral, du moment que le législateur a renoncé à préciser la notion d’« assurés de condition économique modeste ». Aussi, les règles édictées par les cantons en matière de réduction des primes dans l’assurance-maladie constituent du droit cantonal autonome (ATF 131 V 202 consid. 3.2.2; 125 V 183 consid. 2b), que le Tribunal fédéral n’examine que sous l’angle restreint de l’arbitraire (cf. ATF 144 II 313 consid. 5.3; 134 II 207 consid. 2; arrêts 2C_686/2018 du 21 janvier 2019 consid. 4; 2C_1117/2018 du 17 décembre 2018 consid. 4.2).

Consid. 3.2
Selon l’art. 9 al. 2 LVLAMal, sont considérées comme étant de condition économique modeste les personnes dont le revenu calculé conformément aux art. 11 et 12 LVLAMal est égal ou inférieur aux limites fixées par le Conseil d’État ou qui remplissent les conditions d’octroi d’un subside spécifique au sens de l’art. 17a (al. 2). Aux termes de l’art. 9 al. 3 LVLAMal, n’est notamment pas considérée comme étant de condition économique modeste toute personne disposant de ressources financières insuffisantes en raison d’un choix délibéré de sa part. L’art. 17 al. 1 du règlement du Conseil d’État du 18 septembre 1996 concernant la LVLAMal (RLVLAMal; BLV 832.01.1) précise que tel est le cas, en particulier, de la personne qui, par choix personnel, a intentionnellement et librement renoncé à mettre toute sa capacité de gain à contribution (let. c).

 

Consid. 5.1
Le recourant fait valoir qu’en faisant dépendre l’octroi d’un subside pour l’assurance-maladie de la « capacité de gain » d’une personne et en réservant le subside aux seuls assurés exerçant une activité lucrative, les dispositions vaudoises d’application de l’art. 65 al. 1 LAMal (art. 9 al. 2 LVLAMal et art. 17 al. 1 let. c RLVLAMal précités) violeraient également sa liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et sa liberté économique (art. 27 Cst.), ainsi que l’interdiction d’être astreint à un travail obligatoire (art. 4 par. 2 CEDH). Il invoque en outre une violation du principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.).

Consid. 5.2.1
La liberté personnelle au sens de l’art. 10 al. 2 Cst. garantit le droit à l’intégrité physique et psychique, la liberté de mouvement et, de manière générale, toutes les facultés élémentaires dont l’exercice est indispensable à l’épanouissement de la personne humaine. Sa portée ne peut pas être définie de manière générale mais doit être déterminée de cas en cas, en tenant compte des buts de la liberté, de l’intensité de l’atteinte qui y est portée, ainsi que de la personnalité de ses destinataires (ATF 142 I 195 consid. 3.2; 134 I 214 consid. 5.1, tous deux avec références). La liberté personnelle se conçoit comme une garantie générale et subsidiaire à laquelle le citoyen peut se référer pour la protection de sa personnalité ou de sa dignité, en l’absence d’un droit fondamental plus spécifique (ATF 123 I 112 consid. 4; arrêt 2D_7/2013 du 30 mai 2013 consid. 8.1; concernant la dignité humaine, cf. ATF 132 I 49 consid. 5.1). En l’occurrence, le droit fondamental à des conditions minimales d’existence, soit à la couverture des besoins élémentaires pour survivre d’une manière conforme aux exigences de la dignité humaine, tels que la nourriture, le logement, l’habillement et les soins médicaux de base est garanti par l’art. 12 Cst. (cf. ATF 146 I 1 consid. 5.1 et les références).

Les droits fondamentaux ont avant tout une fonction de défense contre les atteintes causées par l’État (cf ATF 144 I 50 consid. 4.1; 138 I 225 consid. 3.5; 135 I 113 consid. 2.1) et peuvent également fonder un devoir étatique de protection contre des atteintes provoquées par des tiers (cf. ATF 146 IV 76 consid. 4.2; 126 II 300 consid. 5a). Cela vaut en particulier pour l’art. 10 Cst. (cf. ATF 140 II 315 consid. 4.8; 138 IV 86 consid. 3.1.2; 136 I 167 consid. 2.2; 133 I 58 consid. 6.2.1). Un droit à une prestation positive de l’État ne peut en principe pas être déduit directement des droits fondamentaux; un tel droit ne peut tout au plus exister qu’exceptionnellement et de façon ponctuelle (cf. ATF 138 I 225 consid. 3.5).

Consid. 5.2.2
Il découle de ce qui précède que le recourant ne peut pas se prévaloir de l’art. 10 al. 2 Cst. pour s’opposer à la décision de l’OVAM. Cette disposition est en effet subsidiaire à l’art. 12 Cst. et ne confère pas, dans les présentes circonstances, un droit à une prestation positive de l’État (cf. consid. 5.2.1 supra). Le recourant n’expose pas et on ne voit pas dans quelle mesure le domaine de protection de la liberté personnelle serait touché par la présente décision de l’OVAM. L’assuré demeure libre dans son choix de ne pas travailler, mais il n’appartient pas à la collectivité de le soutenir financièrement dans ce choix par l’octroi de subsides pour le paiement de ses primes d’assurance-maladie.

Consid. 5.2.3
Par ailleurs, la question de la possibilité de refuser l’octroi d’un subside en lien avec l’art. 12 Cst. doit être laissée ouverte. En effet, le recourant n’invoque pas cette disposition et celle-ci ne peut pas être examinée d’office (art. 106 al. 2 LTF). Au demeurant, même s’il l’avait invoquée, il faudrait constater que le recourant n’allègue pas, ni ne démontre qu’il se trouverait dans une situation de détresse. En particulier, il n’établit pas qu’il ne disposerait pas des moyens de subvenir à son entretien et de s’acquitter de ses primes d’assurance-maladie.

Consid. 5.2.4
En matière d’aide sociale, le Tribunal fédéral a déjà constaté à plusieurs reprises que celui qui, objectivement, serait en mesure de se procurer les ressources indispensables à sa survie par ses propres moyens – en particulier en acceptant un travail convenable – ne remplit pas les conditions du droit à l’aide sociale (ATF 139 I 218 consid. 5.2; 130 I 71 consid. 4.3).

Les considérations qui sont à la base de cette jurisprudence, en particulier dans le domaine des prestations de l’aide sociale, peuvent également être invoquées en matière de subsides d’assurance-maladie, vu l’évidente analogie entre ces deux types de prestations. Dans les deux domaines, les prestations sont régies par le principe de la subsidiarité par rapport à d’autres sources de revenus (cf. ATF 134 I 313 consid. 5.6.1; voir aussi RUDOLF URSPRUNG/DOROTHEA RIEDI HUNOLD, Verfahrensgrundsätze und Grundrechtsbeschränkungen in der Sozialhilfe, ZBl 8/2015 p. 422; KATHRIN AMSTUTZ, Das Grundrecht auf Existenzsicherung: Bedeutung und inhaltliche Ausgestaltung des Art. 12 der neuen Bundesverfassung, Berne 2002, p. 169).

 

Consid. 5.3
Selon l’art. 27 al. 1 Cst., la liberté économique est garantie. Elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2 Cst.). Cette liberté protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d’un gain ou d’un revenu (ATF 141 V 557 consid. 7.1 et les références). Cette disposition constitutionnelle ne confère par ailleurs aucun droit à une prestation positive de l’État (ATF 130 I 26 consid. 4.1). Par conséquent, le refus de l’OVAM d’accorder au recourant des subsides pour le paiement de ses primes d’assurance-maladie ne viole manifestement pas sa liberté économique.

 

Consid. 5.4
Le recourant invoque enfin l’art. 4 par. 2 CEDH, selon lequel « nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ». En l’occurrence, on ne saurait voir, dans le refus de subside pour le paiement des primes d’assurance-maladie, une atteinte à l’interdiction du travail obligatoire. Le recourant demeure libre dans son choix de ne pas travailler, mais il n’appartient pas à la collectivité de le soutenir financièrement dans ce choix (cf. consid. 5.2.2 supra).

 

Consid. 6
Le recourant demande à titre subsidiaire d’être exempté de l’assurance-maladie obligatoire. Cette conclusion n’ayant pas été prise en instance cantonale, il s’agit d’une conclusion nouvelle qui est irrecevable devant le Tribunal fédéral (art. 99 al. 2 LTF).

Au demeurant, l’un des buts principaux de la LAMal est de rendre l’assurance-maladie obligatoire pour l’ensemble de la population en Suisse (ATF 129 V 77 consid. 4.1; 125 V 266 consid. 5b). Aussi bien l’art. 3 al. 1 LAMal pose-t-il le principe de l’obligation d’assurance pour toute personne domiciliée en Suisse (ATF 129 V 77 consid. 4.2). Or il est constant que le recourant, domicilié en Suisse, est soumis à l’assurance obligatoire des soins (art. 3 al. 1 LAMal). Il ne saurait se soustraire au principe de l’obligation d’assurance. C’est en vain qu’il invoque que la loi serait contraire à ses droits fondamentaux. En effet, selon l’art. 190 Cst., le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_308/2022 consultable ici

 

1C_135/2022 (f) du 24.08.2022 – Retrait du permis de conduire – Perte de maîtrise du véhicule sur l’autoroute sur chaussée mouillée en roulant à 90-100 km/h – Rappel de la jurisprudence relative à l’aquaplaning

Arrêt du Tribunal fédéral 1C_135/2022 (f) du 24.08.2022

 

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Violation grave des règles de la circulation – Retrait du permis de conduire / 16c al. 2 let. a LCR

Perte de maîtrise du véhicule sur l’autoroute sur chaussée mouillée en roulant à 90-100 km/h / 31 al. 1 LCR – 32 al. 1 LCR

Rappel de la jurisprudence relative à l’aquaplaning

 

Selon le rapport de la gendarmerie cantonale, A.__ circulait, le 24.06.2021 vers 17h40, sur l’autoroute A12 de Lausanne en direction de Fribourg sur une chaussée mouillée et par temps pluvieux. Alors qu’elle effectuait un dépassement, à une vitesse, selon ses dires, d’environ 100 km/h, elle a perdu la maîtrise de son véhicule et a heurté la voiture qui circulait sur la voie de droite; celle-ci s’est alors déportée latéralement avant d’entrer en collision frontale avec la berme centrale. A.__ s’est immédiatement arrêtée sur la bande d’arrêt d’urgence.

Par décision du 19.08.2021, La Commission des mesures administratives en matière de circulation routière (ci-après: CMA) a prononcé le retrait du permis de conduire de A.__ pour une durée de trois mois, qualifiant l’infraction commise par l’intéressée de grave.

Ordonnance pénale du 03.12.2021 : A.__ a été reconnu coupable de violation simple des règles de la circulation routière (art. 90 al. 1 LCR), l’intéressée ayant perdu le contrôle de son véhicule en raison d’une vitesse inadaptée aux circonstances de la route, soit aux conditions météorologiques ainsi qu’à l’état de la chaussée. Cette ordonnance n’a pas été contestée.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 19.01.2022, le Tribunal cantonal a retenu que A.__ circulait sur la voie de dépassement de l’autoroute à une vitesse inadaptée aux conditions météorologiques (à savoir environ 100 km/h alors qu’il pleuvait et que la chaussée était détrempée); elle avait perdu la maîtrise de son véhicule, ce qui avait provoqué un accident avec la voiture qui circulait sur la voie de droite. L’autorité cantonale a considéré que l’intéressée avait violé une règle élémentaire de prudence, dont la violation, nécessairement délibérée, devait être considérée comme grave. De plus, la faute commise avait été à l’origine d’une mise en danger concrète de la circulation, le véhicule de A.__ ayant percuté la voiture qu’elle dépassait, provoquant un accident; le fait qu’il n’y ait pas eu de blessés relevait du cas fortuit et ne saurait lui profiter. Dès lors, tant la faute que la mise en danger devaient être qualifiées de graves au sens de l’art. 16c al. 2 let. a LCR.

 

TF

Consid. 2.1
A ses art. 16a à 16c, la LCR distingue les infractions légères, moyennement graves et graves. Selon l’art. 16a al. 1 LCR, commet une infraction légère la personne qui, en violant les règles de la circulation routière, met légèrement en danger la sécurité d’autrui et à laquelle seule une faute bénigne peut être imputée. Commet en revanche une infraction grave selon l’art. 16c al. 1 let. a LCR la personne qui, en violant gravement les règles de la circulation routière, met sérieusement en danger la sécurité d’autrui ou en prend le risque. Conformément à l’art. 16c al. 2 let. a LCR, le permis de conduire est retiré pour trois mois au minimum après une infraction grave. Entre ces deux extrêmes, se trouve l’infraction moyennement grave, soit celle que commet la personne qui, en violant les règles de la circulation routière, crée un danger pour la sécurité d’autrui ou en prend le risque (art. 16b al. 1 let. a LCR). Dans cette hypothèse, le permis est retiré pour un mois au minimum (art. 16b al. 2 let. a LCR).

Le législateur conçoit l’art. 16b al. 1 let. a LCR comme l’élément dit de regroupement. Cette disposition n’est ainsi pas applicable aux infractions qui tombent sous le coup des art. 16a al. 1 let. a et 16c al. 1 let. a LCR. Dès lors, l’infraction est toujours considérée comme moyennement grave lorsque tous les éléments constitutifs qui permettent de la privilégier comme légère ou au contraire de la qualifier de grave ne sont pas réunis. Tel est par exemple le cas lorsque la faute est grave et la mise en danger bénigne ou, inversement, si la faute est légère et la mise en danger grave (ATF 136 II 447 consid. 3.2). Ainsi, par rapport à une infraction légère, où tant la mise en danger que la faute doivent être légères, on parle d’infraction moyennement grave dès que la mise en danger ou la faute n’est pas légère, alors qu’une infraction grave suppose le cumul d’une faute grave et d’une mise en danger grave (cf. ATF 135 II 138 consid. 2.2.3; arrêts 1C_144/2018 du 10 décembre 2018 consid. 2.2; 1C_525/2012 du 24 octobre 2013 consid. 2.1).

D’un point de vue objectif, il y a création d’un danger sérieux pour la sécurité d’autrui au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR non seulement en cas de mise en danger concrète, mais déjà en cas de mise en danger abstraite accrue; la réalisation d’un tel danger s’examine en fonction des circonstances spécifiques du cas d’espèce (ATF 143 IV 508 consid. 1.3; 142 IV 93 consid. 3.1; arrêts 1C_51/2021 du 4 avril 2022 consid. 2.1.1; 1C_592/2018 du 27 juin 2019 consid. 3.1). Sur le plan subjectif, l’art. 16c al. 1 let. a LCR, dont la portée est identique à celle de l’art. 90 ch. 2 LCR, exige un comportement sans scrupules ou gravement contraire aux règles de la circulation, c’est-à-dire une faute grave, donnée en cas de dol direct ou de dol éventuel et, en cas d’acte commis par négligence, découlant au minimum d’une négligence grossière (ATF 142 IV 93 consid. 3.1; 131 IV 133 consid. 3.2; arrêts 1C_436/2019 du 30 septembre 2019 consid. 2.1; 1C_442/2017 du 26 avril 2018 consid. 2.1; BUSSY/RUSCONI/JEANNERET/KUHN/MIZEL/ MÜLLER, Code suisse de la circulation routière commenté, 4e éd. 2015, nos 1.2 ss ad art. 16c LCR). Cette condition est réalisée si l’auteur est conscient du danger que représente sa manière de conduire ou si, contrairement à ses devoirs, il ne tient pas compte du fait qu’il met en danger les autres usagers, c’est-à-dire s’il agit avec une négligence inconsciente; tel sera le cas lorsque le conducteur est inattentif, qu’il apprécie mal une situation, ou qu’il évalue mal les conséquences de son comportement. Dans un tel cas, il faut toutefois faire preuve de retenue. Une négligence grossière ne peut être admise que si l’absence de prise de conscience du danger créé pour autrui est particulièrement blâmable – notamment en méconnaissant un risque clair – ou repose elle-même sur une absence de scrupules (ATF 131 IV 133 consid. 3.2 et les réf. cit.; arrêt 1C_436/2019 du 30 septembre 2019 consid. 2.1; BUSSY/RUSCONI/JEANNERET/KUHN/MIZEL/MÜLLER, op. cit., n° 1.2.2 ad art. 16c LCR). Plus la violation de la règle de la circulation est objectivement grave, plus on admettra l’existence d’une absence de scrupules, sauf indice particulier permettant de retenir le contraire (ATF 142 IV 93 consid. 3.1).

En revanche, une faute moyennement grave au sens de l’art. 16b al. 1 let. a LCR correspond, lorsqu’aucune circonstance particulière n’exige une prudence très élevée (cf. arrêt 1C_525/2012 du 24 octobre 2013 consid. 2.4), à une absence de prise en considération des risques d’accident, alors que ceux-ci étaient reconnaissables pour un conducteur moyen normalement prudent (cf. ATF 126 II 192 consid. 2b) et vouant toute attention à la chaussée au sens de l’art. 3 al. 1 de l’ordonnance sur les règles de la circulation routière (OCR; RS 741.11; BUSSY/RUSCONI/JEANNERET/KUHN/MIZEL/MÜLLER, op. cit., n° 1.4 ad art. 16b LCR).

 

Consid. 2.2
A teneur de l’art. 31 al. 1 LCR, le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence. Cela signifie qu’il doit être à tout moment en mesure de réagir utilement aux circonstances (arrêt 1C_577/2018 du 9 avril 2019 consid. 2.2). Le conducteur doit vouer à la route et au trafic toute l’attention possible (cf. art. 3 al. 1 OCR), le degré de cette attention devant être apprécié au regard de toutes les circonstances, telles que la densité du trafic, la configuration des lieux, l’heure, la visibilité et les sources de danger prévisibles (ATF 137 IV 290 consid. 3.6; 129 IV 282 consid. 2.2.1 et la réf. cit.; arrêt 1C_249/2021 du 17 décembre 2021 consid. 3.2).

Selon la jurisprudence, la perte de maîtrise du véhicule ne constitue pas toujours une infraction grave au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR. Selon ces circonstances – en particulier selon le degré de mise en danger de la sécurité d’autrui et selon la faute de l’intéressé – l’infraction peut être qualifiée de moyennement grave au sens de l’art. 16b al. 1 let. a LCR, voire même de légère au sens de l’art. 16a al. 1 let. a LCR (arrêt 1C_525/2012 du 24 octobre 2013 consid. 2.2 et la réf. cit.).

Selon l’art. 32 al. 1 LCR, la vitesse doit toujours être adaptée aux circonstances, notamment aux particularités du véhicule et du chargement, ainsi qu’aux conditions de la route, de la circulation et de la visibilité. Cette règle implique notamment qu’on ne peut circuler à la vitesse maximale autorisée que si les conditions de la route, du trafic et de visibilité sont favorables (ATF 121 IV 286 consid. 4b; 121 II 127 consid. 4a; cf. art. 4a OCR). En effet, s’il veut pouvoir se conformer aux règles de prudence au sens de l’art. 31 al. 1 LCR, le conducteur devra, avant tout, adapter sa vitesse, pour qu’elle ne constitue ni une cause d’accident ni une gêne excessive pour la circulation (BUSSY/ RUSCONI/JEANNERET/KUHN/MIZEL/MÜLLER, op. cit., n° 1.1 ad art. 32 LCR).

Ont été qualifiées de fautes graves certaines pertes de maîtrise avérées alors que les conditions de circulation requéraient une attention particulière, par exemple sur une autoroute détrempée avec risque d’aquaplaning (ATF 120 1b 312 consid. 4c; arrêt 1C_249/2012 du 27 mars 2013 consid. 2.2.5). Le phénomène dit « d’aquaplaning » (dû au glissement des pneus sur un plan d’eau, sans adhérence avec le sol) et qui se manifeste surtout sur les autoroutes, est en effet assez connu pour devoir être pris en considération par tous les conducteurs et il peut déjà se produire à des vitesses inférieures à 80 km/h (ATF 120 Ib 312 consid. 4c; BUSSY/RUSCONI/JEANNERET/KUHN/MIZEL/MÜLLER, op. cit., n° 1.6 ad art. 32 LCR).

L’examen de l’adaptation de la vitesse aux circonstances, dans leur ensemble, est en principe une question de droit que le Tribunal fédéral peut examiner librement. Mais, comme la réponse dépend pour beaucoup de l’appréciation des circonstances locales par l’autorité cantonale, à laquelle il faut laisser une certaine latitude, le Tribunal fédéral ne s’écarte de cette appréciation que lorsque des raisons impérieuses l’exigent (ATF 99 IV 227 consid. 2; arrêts 1C_51/2021 du 4 avril 2022 consid. 2.1.2; 6B_23/2016 du 9 décembre 2016 consid. 3.1; 6B_1247/2013 du 13 mars 2014 consid. 3.1).

 

Consid. 2.4
En l’espèce,
il n’est pas contesté que A.__, en effectuant un dépassement sur l’autoroute à une vitesse d’environ 90-100 km/h, a perdu la maîtrise de son véhicule et a ainsi causé un accident avec la voiture qui circulait sur la voie de droite. Il n’est pas non plus contesté que la perte de maîtrise du véhicule a été causée par de l’aquaplaning.

A.__ admet qu’elle « avait parfaitement conscience du danger que représentait l’aquaplaning »; ainsi, si, selon ses dires, elle avait réduit sa vitesse à environ 90-100 km/h, elle avait tout de même « sans doute mal évalué ou sous-estimé l’état de la route ». Ce faisant, A.__ a mis en danger les autres usagers, si ce n’est pas déjà par dol éventuel, pour le moins en faisant preuve d’une négligence inconsciente: en effet, en plus d’avoir mal apprécié la situation, elle a aussi mal évalué les conséquences de son acte lorsqu’elle a engagé une manœuvre de dépassement à environ 90-100 km/h sur une autoroute détrempée avec risque d’aquaplaning, alors que les conditions météorologiques requéraient, dans un tel cas de figure, une attention particulière et une prudence accrue. Comme rappelé à juste titre par le Tribunal cantonal, le risque d’aquaplaning, bien connu, commande à tout conducteur prudent et respectueux des règles de la circulation routière d’adapter et même de réduire conséquemment sa vitesse en cas de fortes pluies, étant en particulier conseillé aux automobilistes de ne pas dépasser les 80 km/h (cf. supra consid. 2.2); en roulant à 90-100 km/h, A.__ a ainsi méconnu un risque clair.

Au demeurant, l’état de fait cantonal ne contient aucun élément faisant apparaître le comportement de A.__ comme moins grave. En effet, le Tribunal cantonal a relevé que la vitesse excessive ayant causé l’aquaplaning s’accompagnait, comme on l’a vu, d’une tentative de dépassement; dès lors, l’absence de prudence accrue de A.__ qui a engagé une manœuvre de dépassement en méconnaissant le risque clair d’aquaplaning à une vitesse d’environ 90-100 km/h, laquelle a engendré la perte de maîtrise du véhicule, puis l’accident, apparaissent particulièrement blâmables. Dans ce contexte et contrairement à l’avis de A.__, la situation du cas d’espèce peut se rapprocher de celles de l’ATF 120 Ib 312 et de l’arrêt 1C_249/2012 du 27 mars 2013: s’il est vrai que dans les deux affaires les recourants semblaient conduire à une vitesse de 120 km/h, cette différence ne suffit pas, à elle seule, à retenir que, dans le cas d’espèce, A.__ n’aurait pas commis de faute grave. A.__ a en effet adopté un comportement dont le caractère manifestement dangereux ne pouvait pas lui échapper. Il y a donc là, à tout le moins, une négligence grossière de sa part. Le fait que le rapport de police ne fasse pas état de pneus lisses concernant le véhicule de A.__ ne change rien à cette appréciation.

Comme rappelé par le Tribunal cantonal, dans les arrêts mentionnés plus haut il a été jugé qu’une perte de maîtrise due à une conduite inadaptée sur l’autoroute, où la circulation est toujours très rapide, malgré l’attention particulière que requiert le risque d’aquaplaning, constitue une grave mise en danger de la sécurité routière – ce qui n’est pas contesté par A.__ – et suppose une faute grave. Il existe en particulier un risque de collision avec les véhicules qui précèdent impliquant des conséquences considérables pour les personnes concernées (ATF 120 Ib 312 consid. 4c; arrêt 1C_249/2012 du 27 mars 2013 consid. 2.2.4 et 2.2.5). Vu ces éléments et compte tenu du fait que, comme susmentionné, plus la violation d’une règle de la circulation routière est objectivement grave plus cela conduit en principe à retenir une négligence grossière sur le plan subjectif, la situation du cas d’espèce diffère de celles qui ont fait l’objet des arrêts 6A.9/2004 du 23 avril 2004 et 6A.65/2003 du 27 novembre 2003, auxquels A.__ se réfère: en particulier étant donné que, dans ces arrêts, la perte de maîtrise du véhicule, due à une vitesse excessive, n’a pas eu lieu sur l’autoroute et qu’aucun aquaplaning n’a été constaté. La présente cause se distingue également de celle de l’arrêt 1C_525/2012 du 24 octobre 2013, où le Tribunal fédéral a retenu une faute moyennement grave. Bien que, dans cette affaire, la personne circulait sur l’autoroute, une forte pluie ou de l’aquaplaning – qui auraient exigé une prudence accrue – n’ont pas été constatés (cf. arrêt 1C_525/2012 du 24 octobre 2013 consid. 2.4); de même, le recourant n’avait pas engagé une manœuvre de dépassement et n’avait pas causé d’accident avec une autre voiture.

Enfin, A.__ ne saurait tirer argument du fait que sur le plan pénal elle a été condamnée pour infraction simple selon l’art. 90 al. 1 LCR. En effet, si les faits retenus au pénal lient en principe l’autorité et le juge administratifs (ATF 139 II 95 consid. 3.2 et les arrêts cités), il en va différemment des questions de droit, en particulier de l’appréciation de la faute et de la mise en danger (arrêt 1C_202/2018 du 18 septembre 2018 consid. 2.2).

 

Consid. 2.5
Dans ces circonstances, le Tribunal cantonal n’a pas violé le droit fédéral en retenant que A.__ avait commis une infraction grave au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR. Pour le surplus, A.__ ne conteste pas que, dans cette hypothèse, son permis de conduire devait lui être retiré pour une durée de trois mois en application de l’art. 16c al. 2 let. a LCR, s’agissant de la durée minimale pour une infraction grave.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 1C_135/2022 consultable ici

 

9C_354/2022 (f) du 26.09.2022 – Exigence de la signature originale et manuscrite d’un recours – Pas de formalisme excessif – 52 PA – 37 LTAF

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_354/2022 (f) du 26.09.2022

 

Consultable ici

 

Exigence de la signature originale et manuscrite d’un recours – Pas de formalisme excessif / 52 PA – 37 LTAF

 

Par décision du 23.05.2022, la caisse de compensation a rejeté la demande de l’assuré tendant à la reconsidération de la décision de rente qu’elle avait rendue le 20.11.2020. L’assuré a invité la caisse de compensation à reconsidérer sa position par une correspondance du 30.05.2022, non signée manuscritement en original. La caisse a transmis ce courrier au Tribunal administratif fédéral comme objet de sa compétence.

Par ordonnance du 13.06.2022, le Tribunal administratif fédéral a imparti à l’assuré un délai de cinq jours pour lui communiquer s’il entendait former recours contre la décision de la caisse de compensation du 23.05.2022 et, le cas, échéant, pour déposer une écriture comportant des conclusions claires et motivées ainsi que sa signature originale et manuscrite, avec l’avertissement qu’à défaut, le recours serait déclaré irrecevable. Après que l’assuré a conclu à la reconsidération de la décision de la caisse de compensation du 20.11.2020, par correspondances des 17.06.2022 et 20.06.2022 – non signées manuscritement en original -, le Tribunal administratif fédéral a déclaré le recours irrecevable (arrêt C-2542/2022 du 28.06.2022).

 

TF

Consid. 3.1
Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la mise en œuvre du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 145 I 201 consid. 4.2.1 et les arrêts cités). En tant qu’elle sanctionne un comportement répréhensible de l’autorité dans ses relations avec le justiciable, l’interdiction du formalisme excessif vise le même but que le principe de la bonne foi consacré aux art. 5 al. 3 et 9 Cst. Ce principe commande à l’autorité d’éviter de sanctionner par l’irrecevabilité les vices de procédure aisément reconnaissables qui auraient pu être redressés à temps, lorsqu’elle pouvait s’en rendre compte suffisamment tôt et les signaler utilement au plaideur (ATF 125 I 166 consid. 3a et les références; arrêt 8D_5/2019 du 4 juin 2020 consid. 4.2.1). De manière générale, la seule application stricte des règles de forme n’est pas constitutive de formalisme excessif (ATF 142 IV 299 consid. 1.3.3; arrêt 8C_145/2019 du 3 juin 2020 consid. 6.3.3).

Consid. 3.2
L’exigence de la signature d’un recours est une condition de sa recevabilité, étant précisé que la signature doit être manuscrite et que l’acte sur lequel la signature n’est que reproduite (photocopie, fac-similé) n’est pas valable (ATF 142 V 152 consid. 4 et les arrêts cités). Selon la jurisprudence, il n’est pas arbitraire, de la part de l’autorité saisie, de déclarer irrecevable une requête dépourvue de signature (valable). En outre, l’interdiction du formalisme excessif n’oblige pas l’autorité à inviter l’auteur à réparer l’irrégularité en lui fixant à cette fin un délai allant au-delà du délai légal de recours, sauf disposition contraire (ATF 108 Ia 289 consid. 2). En revanche, l’autorité qui reçoit un recours non signé (valablement) a le devoir d’attirer l’attention de l’auteur sur ce défaut, pour autant qu’en raison des circonstances, celui-ci doive normalement être aperçu d’emblée et que le délai encore disponible permette de mettre l’auteur en mesure de le réparer à temps (ATF 142 V 152 précité consid. 4.3).

 

Consid. 4.1
En l’espèce, le Tribunal administratif fédéral n’est pas entré en matière sur le recours de l’assuré, motif pris qu’il n’avait pas donné suite en temps utile à l’ordonnance du 13.06.2022, notifiée le 16.06.2022, par laquelle il lui avait imparti un délai de cinq jours pour régulariser l’acte de recours, notamment en y apposant sa signature originale et manuscrite. Il s’est fondé pour cela sur l’art. 52 de la loi fédérale sur la procédure administrative (PA), applicable à la procédure devant le Tribunal administratif fédéral (art. 37 LTAF), selon lequel le mémoire de recours doit, entre autres conditions, porter la signature du recourant ou de son mandataire (al. 1), étant précisé que si le recours ne satisfait pas à cette exigence, l’autorité de recours impartit au recourant un court délai supplémentaire pour régulariser le recours (al. 2), en l’avisant en même temps que si la signature manque, elle déclarera le recours irrecevable (al. 3).

Consid. 4.2.1
Quoi qu’en dise le recourant, le Tribunal administratif fédéral a constaté que l’écriture du 30.05.2022 et les correspondances des 17.06.2022 et 20.06.2022 ne comportaient pas la signature originale et manuscrite de l’assuré ou d’un représentant dûment mandaté, mais des versions scannées de celle-ci, et que le recours n’avait pas été régularisé dans le délai imparti pour ce faire, qui était arrivé à échéance le 21.06.2022, compte tenu de la notification le 16.06.2022 de l’ordonnance du 13.06.2022. En ce qu’il se limite à affirmer que sa « signature manuscrite est bien présente et respecte l’art. 52 al. 1 PA qui ne mentionne pas d’invalidation numérique », l’argumentation du recourant est appellatoire et ne satisfait pas aux exigences de motivation qualifiées de l’art. 105 al. 2 LTF. Au regard de la jurisprudence précédemment rappelée (consid. 3 supra), on ne peut que constater que la juridiction précédente n’a pas violé le droit fédéral en déclarant irrecevable le recours porté devant elle.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_354/2022 consultable ici

 

8C_59/2022 (f) du 06.09.2022 – Couverture d’assurance obligatoire – 1a LAA / Examen du rapport de subordination et du droit au salaire pour un ouvrier cultivant du cannabis / Contrat de travail de complaisance – Vraisemblance de l’existence d’une relation de travail niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_59/2022 (f) du 06.09.2022

 

Consultable ici

 

Couverture d’assurance obligatoire / 1a LAA – 1 OLAA

Examen du rapport de subordination et du droit au salaire pour un ouvrier cultivant du cannabis

Contrat de travail de complaisance – Vraisemblance de l’existence d’une relation de travail niée

Question laissée indécise sur le caractère illégal de l’activité (production de stupéfiants)

 

Le 13.06.2018, A.__, né en 1989, a été grièvement blessé lors d’une explosion, suivie d’un incendie, survenue dans l’appartement qu’il occupait dans un bâtiment agricole, propriété des époux B.__ et C.__. Deux procédures pénales ont été ouvertes par le Ministère public du canton de Genève à la suite de cet événement.

Par courriel du 26.06.2018, AgriGenève, association faîtière de l’agriculture genevoise, a adressé à l’assurance-accidents une déclaration d’accident signée par C.__, qui y était inscrit comme employeur, dans laquelle il était notamment indiqué que A.__ avait été engagé le 01.04.2017 en qualité d’employé agricole.

Par courrier du 24.12.2018, B.__ a informé l’assurance-accidents qu’elle avait conclu un contrat de travail avec A.__ « à la demande » de ce dernier. Elle avait « agi dans le seul but de [lui] rendre service » et se rendait compte qu’elle avait été « très naïve ». L’intéressé n’avait toutefois jamais travaillé pour elle, elle ne lui avait jamais versé de salaire et le « contrat ne correspond[ait] pas à la réalité ».

Par décision du 18.02.2019, confirmée sur opposition, l’assurance a refusé de prendre en charge les suites de l’accident du 13.06.2018, au motif que A.__ n’était pas un travailleur occupé dans l’exploitation agricole de C.__.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1270/2021 – consultable ici)

Par jugement du 10.12.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 1a al. 1 let. a LAA, sont assurés à titre obligatoire contre les accidents les travailleurs occupés en Suisse. Aux termes de l’art. 1 OLAA, est réputé travailleur selon l’art. 1a al. 1 LAA quiconque exerce une activité lucrative dépendante au sens de la législation fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants. De manière générale, la jurisprudence considère comme tel la personne qui, dans un but lucratif ou de formation et sans devoir supporter de risque économique propre, exécute durablement ou provisoirement un travail pour un employeur, auquel il est plus ou moins subordonné (ATF 144 V 411 consid. 4.2; 115 V 55). Ce sont donc avant tout les personnes au bénéfice d’un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO ou qui sont soumises à des rapports de service de droit public qui sont ici visées. Dans le doute, la qualité de travailleur doit être déterminée, de cas en cas, à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment au regard de l’existence d’une prestation de travail, d’un lien de subordination et d’un droit au salaire sous quelque forme que ce soit (arrêts 8C_611/2019 du 11 mai 2020 consid. 3.1 et les références; 8C_538/2019 du 24 janvier 2020 consid. 2.3 et les références, in SVR 2020 UV n° 22 p. 85).

Consid. 3.2
La cour cantonale a d’abord exposé que le recourant indiquait avoir travaillé pour le compte de C.__ en cultivant des plants de cannabis et en procédant à leur transformation dans la cave se trouvant au sous-sol du bâtiment propriété des époux B.__ et C.__. Le recourant se prévalait de la jurisprudence selon laquelle, dans l’assurance-accidents, le gain pouvait aussi bien provenir d’une activité licite que d’une occupation illicite, en particulier d’un « travail au noir » (arrêt 8C_676/2007 du 11 mars 2008 consid. 3.3.4; cf. ATF 121 V 321 à propos d’un ouvrier agricole étranger sans permis de travail) pour soutenir qu’il devait être considéré comme un travailleur au sens de la LAA, alors que selon l’assurance-accidents, la jurisprudence en question visait des activités légales mais non autorisées pour des raisons administratives. Les juges cantonaux ont relevé qu’à suivre le raisonnement du recourant, le contrat de travail le liant à C.__ portait sur des produits stupéfiants. Il devrait donc être considéré comme nul en application de l’art. 20 CO dès lors que les cocontractants poursuivaient un but illicite (cf. arrêt 6B_986/2008 du 20 avril 2009 consid. 4.2), ce qui n’était pas le cas du contrat de travail par lequel l’employeur utilisait les services d’un travailleur étranger qui n’était pas au bénéfice d’une autorisation de travail (cf. ATF 137 IV 305 consid. 3.3 et les références). Dans la mesure où la nullité déployait un effet ex tunc, le droit à des prestations de l’assurance-accidents était exclu pour ce motif déjà, le recourant ne revêtant pas la qualité de travailleur au sens de l’art. 1a aI. 1 let. a LAA.

Consid. 3.3
La cour cantonale a ensuite exposé que le recourant n’avait de toute manière pas réussi à démontrer, au degré de la vraisemblance prépondérante requise en assurances sociales (cf. ATF 135 V 39 consid. 5.1; 126 V 353 consid. 5b), l’existence d’une relation de travail le liant aux époux B.__ et C.__.

Consid. 3.3.1
A cet égard, il convenait d’emblée de rappeler que le recourant et les époux B.__ et C.__ avaient adopté des positions diamétralement opposées s’agissant du caractère fictif du contrat de travail mentionnant une entrée en fonction le 01.04.2017 et un salaire mensuel brut de 3576 fr. 35. […] Au vu des positions très différentes du recourant et des époux B.__ et C.__ quant au caractère fictif du contrat de travail, il convenait d’examiner l’ensemble des circonstances afin de déterminer si le recourant dépendait des époux B.__ et C.__ quant à l’organisation du travail et du point de vue économique. A ce sujet, la cour cantonale a relevé qu’outre le contrat de travail écrit (non daté, conclu entre C.__ et le recourant) – qui ne suffisait pas en tant que tel à établir un rapport de travail -, le recourant avait également produit un extrait de compte individuel faisant état d’un revenu de 32’187 fr. en 2017, un certificat de salaire pour l’année 2017 mentionnant un salaire brut de 32’187 fr. 15, une déclaration de cessation définitive d’activité indépendante « suite à [son] engagement en tant que salarié » adressée à l’Office cantonal des assurances sociales le 13 juillet 2017 ainsi que deux contrats de bail, dont le premier, daté du 1er août 2016 et non signé, mentionnait un loyer de 1500 fr. par mois tandis que le deuxième, signé et daté du 01.04.2017, mentionnait un loyer de 300 fr.

Consid. 3.3.2
S’agissant d’abord du rapport de subordination, le dossier ne permettait pas de retenir que les époux B.__ et C.__ intervenaient dans l’organisation du travail du recourant en lui donnant des ordres ou en exigeant des comptes. Au contraire, lors de son audition devant la police judiciaire, le recourant avait expliqué qu’il achetait les graines, qu’il plantait et arrosait dans la cave; il s’occupait de la vente et tenait la comptabilité pour « notre business »; il recevait ainsi le produit des ventes qu’il reversait aux époux B.__ et C.__. Or ce fonctionnement reflétait davantage celui d’un indépendant, d’autant plus que le recourant avait lui-même recruté un associé qu’il payait lui-même en lui fournissant du cannabis. Quant à la nature de ses activités, le recourant avait indiqué en audience que son travail était principalement consacré à la plantation. Lorsqu’il n’y avait plus de travail, il faisait d’autres tâches (balayage, nettoyage), étant précisé que, devant la police judiciaire, il avait estimé qu’il travaillait à 80% pour la plantation et le reste autour de la ferme. Or, entendus dans le cadre de la procédure pénale, les employés de la ferme avaient tous déclaré n’avoir jamais aperçu le recourant travailler sur la ferme. Tous ces éléments parlaient ainsi en défaveur d’une situation de subordination.

Consid. 3.3.3
S’agissant ensuite de l’existence d’un droit au salaire en juin 2018, les juges cantonaux ont relevé que le recourant n’avait pas été en mesure d’apporter la preuve qu’un salaire aurait effectivement été versé. Aucune fiche de salaire, ni virement bancaire ou décompte de paiement en faveur du recourant, n’avaient été versés au dossier, étant précisé que, dans le cadre de la procédure pénale, les époux B.__ et C.__ avaient nié avoir versé un salaire au recourant. Or l’absence de versement de salaire tendait à démontrer l’absence d’une relation de travail. Si l’instruction avait certes permis d’établir que les époux B.__ et C.__ avaient pour habitude de verser l’ensemble des salaires des employés en espèces, il n’en restait pas moins qu’il existait de nombreuses incohérences dans les déclarations du recourant quant au montant et au mode de versement du salaire.

On pouvait d’ailleurs d’emblée s’étonner du salaire mensuel brut de 3576 fr. 35 convenu dans le contrat de travail, qui ne correspondait pas aux salaires pratiqués par les époux B.__ et C.__ pour les employés de l’exploitation agricole; il ressortait en effet du témoignage de D.__, employée de la fiduciaire, que ce salaire était « beaucoup plus élevé » que les salaires prévus dans les autres contrats de l’exploitation. À cela s’ajoutait qu’en plus de ce salaire, le recourant bénéficiait d’une réduction de loyer de 1200 fr., comme cela ressortait de la différence des contrats de bail. Une telle rémunération paraissait peu réaliste, en particulier dans le contexte d’une situation agricole difficile, D.__ ayant du reste précisé devant la Chambre des assurances sociales que le salaire lui paraissait trop élevé, compte tenu de la situation financière des époux B.__ et C.__.

Quant au mode de versement du salaire, force était de constater que les déclarations du recourant avaient varié. Questionné par la police judiciaire le 6 juin 2019, il avait expliqué qu’il faisait trois récoltes par an pour un chiffre d’affaires de 42’000 fr. par récolte, donnait 25’000 fr. sur chaque récolte aux époux B.__ et C.__, payait le matériel nécessaire à la plantation et gardait le solde (soit 17’000 fr.) comme salaire. En revanche, entendu en audience devant la Chambre des assurances sociales, il avait indiqué qu’un salaire d’environ 3500 fr. lui était versé chaque mois en mains propres dans une enveloppe.

Consid. 3.3.4
Il existait enfin de nombreuses contradictions s’agissant des circonstances entourant la conclusion du contrat de travail. D’après le recourant, le contrat avait été signé en présence d’une employée de la Fiduciaire E.__ SA. Or, entendues en audience devant la Chambre des assurances sociales, ni F.__, administratrice de ladite fiduciaire, ni D.__, employée de la fiduciaire à l’époque des faits, n’avaient déclaré avoir été présentes lors de la signature du contrat. D.__ avait par ailleurs indiqué devant la police judiciaire avoir rédigé le contrat de travail – ainsi que le bail à loyer – à la demande expresse de B.__ qui lui avait « clairement dit que c’était pour arranger la situation financière et administrative de A.__ et ce à sa demande. Il s’agi[ssait] de contrats de complaisance ». La témoin était certes partiellement revenue sur cette déclaration lors de son audition devant la Chambre des assurances sociales en déclarant qu’à l’époque, elle ne se demandait pas s’il s’agissait d’un contrat fictif, car pour elle, le recourant était employé de l’exploitation. Force était toutefois de constater que ses premières déclarations, selon lesquelles le contrat de travail était un contrat de complaisance, étaient corroborées par les éléments au dossier, soit en particulier l’absence de rapport de subordination et de droit au salaire.

Consid. 3.3.5
En définitive, il apparaissait que l’arrangement entre le recourant et les époux B.__ et C.__ était confus, compte tenu notamment des nombreuses contradictions entre les déclarations des intéressés. Tout portait à croire que les époux B.__ et C.__ et le recourant avaient trouvé un accord visant à servir les intérêts de chacun. Or cet arrangement paraissait davantage se rapprocher d’une société simple que d’un véritable contrat de travail. Autant d’incohérences et de contradictions notamment quant à l’existence d’une relation de travail, d’une rémunération et d’un rapport de subordination ne permettaient pas d’établir au degré de la vraisemblance prépondérante que le recourant était au bénéfice d’un contrat de travail soumis à rémunération lors de l’événement du 13.06.2018.

 

Consid. 4.2.1
Le recourant conteste d’abord l’appréciation des juges cantonaux selon laquelle le contrat de travail écrit conclu avec C.__ est un contrat de complaisance. Il se réfère aux déclarations faites par la témoin D.__ devant la Chambre des assurances sociales, à savoir notamment que si le salaire convenu était « beaucoup plus élevé que les salaires des autres contrats de l’exploitation », elle n’était « toutefois pas vraiment surprise vu qu’il s’agissait d’un ami du fils des époux B.__ et C.__ », que « la complaisance résidait dans le fait que [le recourant] était payé plus généreusement que les autres employés » et qu’ « il ne s’agissait pas d’un faux contrat, car [le recourant] travaillait dans l’entreprise ». Il se réfère en outre aux déclarations de la témoin F.__ selon lesquelles « pour [elle], il s’agissait de vrais contrats ».

Toutefois, les déclarations de la témoin D.__ devant la Chambre des assurances sociales contredisent celles qu’elle avait faites devant la police, lesquelles sont davantage susceptibles de refléter la réalité dès lors qu’elles sont plus proches dans le temps des faits litigieux et que selon la jurisprudence, il convient en principe de retenir les premières déclarations, faites alors que leur auteur n’était pas encore conscient des conséquences juridiques qu’elles auraient, tandis les nouvelles explications peuvent être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (ATF 121 V 45 consid. 2a et les références). Au surplus, la témoin D.__ a précisé qu’elle n’avait jamais mis les pieds sur le site, au contraire des employés de l’exploitation qui ont tous déclaré n’avoir jamais aperçu le recourant travailler sur la ferme. Quant à la témoin F.__, une citation complète de la phrase tronquée citée par le recourant montre que celle-ci ne lui est d’aucun secours, puisqu’il en ressort ce qui suit: « Vous me questionnez au sujet de la déclaration de Mme D.__ devant la Police le 9 janvier 2020. Je vous réponds que je n’avais pas connaissance du fait que les contrats de travail et de bail avaient été rédigés sur demande expresse de Mme B.__. Pour moi, il s’agissait de vrais contrats. Ce n’est qu’en décembre 2018 que je me suis rendu compte que les contrats n’étaient pas vrais, vu qu’il n’y avait pas de contre-prestations ». Le grief du recourant tombe par conséquent à faux.

 

Consid. 4.2.2
Le recourant conteste ensuite l’appréciation de la cour cantonale selon laquelle il n’a pas apporté la preuve qu’un salaire aurait effectivement été versé.

Il invoque à cet égard d’abord le fait que les époux B.__ et C.__ avaient l’habitude de verser les salaires en espèces, ainsi que les témoignages de D.__ et de F.__ selon lesquelles la fiduciaire enregistrait les salaires tels qu’indiqués sur les fiches de salaire, sans vérifier s’ils avaient été versés. Toutefois, si ces témoignages ne permettent pas d’exclure qu’un salaire ait été versé en espèces, ils ne permettent pas davantage d’établir que tel aurait été le cas.

Le recourant soutient également que son salaire n’était supérieur que de 8 à 15% à ceux des autres employés de l’exploitation (compris entre 3100 fr. et 3300 fr. selon la témoin D.__) et conteste que ses déclarations sur le versement du salaire aient été incohérentes. Force est toutefois de constater que le recourant a déclaré que son salaire lui était versé chaque mois dans une enveloppe, qu’il était d’environ 3500 fr. et comprenait une réduction de loyer, ce dont il faut déduire que son salaire effectif, compte tenu de la réduction de loyer de 1200 fr., aurait bel et bien été beaucoup plus élevé que celui des autres employés. Par ailleurs, les déclarations du recourant sur le montant et le versement de son salaire sont tout sauf « claires et constantes » comme il le prétend: il suffit de renvoyer sur ce point aux constatations de la cour cantonale.

 

Consid. 4.2.3
Le recourant conteste enfin l’appréciation de la cour cantonale selon laquelle le dossier ne permet pas de retenir l’existence d’un rapport de subordination. On ne voit toutefois pas ce qu’il entend tirer à cet égard de l’affirmation qu’il ne serait guère surprenant qu’aucun témoin ne l’ait vu travailler dans l’exploitation des époux B.__ et C.__ dès lors que son activité était illégale et qu’il devait ainsi faire preuve de discrétion. On ne voit pas non plus en quoi le fait qu’il donnait 25’000 fr. sur chaque récolte aux époux B.__ et C.__ en gardant comme rémunération le solde qui restait après avoir payé le matériel nécessaire à la plantation serait révélateur d’un lien de subordination. Pour le surplus, le recourant fonde son argumentation sur des faits qui ne trouvent aucune assise dans l’état de fait de l’arrêt attaqué, sans démontrer en quoi celui-ci aurait été établi de manière arbitraire.

 

Consid. 4.3
Il résulte de ce qui précède que l’arrêt attaqué échappe à la critique en tant qu’il retient qu’il n’est pas établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que le recourant était au bénéfice d’un contrat de travail soumis à rémunération lors de l’événement du 13.06.2018. Dans ces conditions, il n’y a pas matière à examiner si, dans l’hypothèse où le recourant aurait été partie à un contrat de travail, le caractère illégal de son activité (production de stupéfiants) aurait exclu qu’il soit considéré comme travailleur au sens de l’art. 1a al. 1 let. a LAA.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 8C_59/2022 consultable ici

 

Motion Gysi 22.4480 « Instaurer l’équité en permettant l’exportation des rentes d’invalidité extraordinaires » – Avis du Conseil fédéral du 22.02.2023

Motion Gysi 22.4480 « Instaurer l’équité en permettant l’exportation des rentes d’invalidité extraordinaires » – Avis du Conseil fédéral du 22.02.2023

 

Motion 22.4480 consultable ici

 

Texte déposé

Le Conseil fédéral est chargé de présenter un projet de modification de la législation sur l’invalidité (art. 39 LAI) de manière à permettre l’exportation des rentes d’invalidité extraordinaires.

 

Développement

L’exportation de rentes extraordinaires pour les personnes handicapées précoces est exclue par la loi, ce qui a pour conséquence que les personnes concernées doivent rester domiciliées en Suisse pour ne pas perdre le droit à une rente dont ils dépendent pour vivre.

Cette situation donne régulièrement lieu à des cas dramatiques. Par exemple, les cas où des citoyens suisses au bénéfice d’une rente d’invalidité extraordinaire souhaitent s’installer dans un pays non membre de l’UE ou ceux où des citoyens d’une autre nationalité souhaitent retourner dans leur pays d’origine, mais ne peuvent le faire que s’ils continuent à toucher leur rente. Il y a aussi les cas où des citoyens suisses qui n’ont jamais pu exercer une activité lucrative en raison de leur grave handicap souhaitent s’installer dans un pays de l’UE ou de l’AELE.

Les personnes concernées qui décident de rester en Suisse demandent souvent des prestations complémentaires en plus de la rente extraordinaire ; en outre, elles peuvent générer des coûts supplémentaires si elles séjournent dans un home.

L’interdiction d’exporter les rentes d’invalidité extraordinaires est choquante et injuste pour des raisons sociales et politiques ; elle ne se justifie pas non plus d’un point de vue financier.

Les personnes concernées ne comprennent pas, à juste titre, pourquoi leurs rentes ne peuvent pas être exportées ; elles se sentent victimes d’un traitement injuste. Il est temps de mettre fin à cette injustice et de créer enfin une base légale permettant aussi d’exporter les rentes d’invalidité extraordinaires.

 

Avis du Conseil fédéral du 22.02.2023

Les rentes extraordinaires de l’assurance-invalidité (AI) visent à garantir le minimum vital des assurés invalides de naissance ou précoces en Suisse. Prestations à caractère non contributif, elles sont, comme les prestations complémentaires (PC) et les allocations pour impotent (API), financées exclusivement par les pouvoirs publics. Selon les dispositions du droit international en vigueur, les prestations à caractère non contributif qui sont versées en remplacement ou en complément de prestations d’assurance telles que les rentes de vieillesse, de survivants ou d’invalidité sont toujours versées par l’Etat dans lequel la personne concernée réside et où, le cas échéant, l’assujettissement à l’impôt est établi. Dans les messages relatifs à la 4e et à la 5e révision de l’AI (FF 2001 3045, 3117 et 2005 4215, 4308), le Conseil fédéral a explicitement exclu la possibilité d’exporter la prestation. La 6e révision de l’AI (FF 2010 1647, 1734) a rendu l’exportation possible, mais uniquement à la condition qu’une convention internationale le prévoie. Cependant, la Suisse n’a pas prévu l’exportation des rentes extraordinaires dans l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne (UE ; RS 0.142.112.681), pas plus que dans la Convention instituant l’Association européenne de libre-échange (AELE ; RS 0.632.31) ou dans toutes les conventions bilatérales de sécurité sociale. Même les conventions les plus récentes conclues avec la Tunisie (RS 0.831.109.758.1) et le Royaume-Uni (RS 0.831.109.367.2) ne prévoient pas cette possibilité. Ce n’est que dans le cas où les personnes concernées, de nationalité suisse ou ressortissantes de l’UE/AELE, exerçaient une activité lucrative avant la survenance de l’incapacité de travail que les règlements de coordination de l’UE applicables dans les relations avec l’UE et l’AELE prévoient la possibilité d’exporter des rentes extraordinaires dans les Etats concernés. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, la non-exportation des rentes extraordinaires ne constitue pas une violation de la Convention européenne des droits de l’homme et ne contrevient pas à l’interdiction de discrimination.

L’interdiction d’exportation diminue la tentation d’entrer en Suisse dans le seul but d’obtenir une rente. Sans cette interdiction, des personnes qui n’ont jamais exercé d’activité lucrative (par ex. des invalides de naissance) pourraient obtenir un droit à une rente extraordinaire si elles remplissent, lors de leur entrée en Suisse, les conditions peu élevées qui sont exigées. Et le jour où ces personnes quitteraient à nouveau la Suisse, les rentes extraordinaires acquises devraient donc être exportées.

De plus, si l’exportation des rentes extraordinaires était admise, toutes les conventions bilatérales de sécurité sociale devraient être révisées et le principe international de non-exportation des prestations spéciales à caractère non contributif, assoupli dans son ensemble. Cela créerait un précédent et les Etats contractants pourraient formuler de nouvelles exigences, par exemple en ce qui concerne les PC et les API.

 

Proposition du Conseil fédéral du 22.02.2023

Le Conseil fédéral propose de rejeter la motion.

 

Motion Gysi 22.4480 « Instaurer l’équité en permettant l’exportation des rentes d’invalidité extraordinaires » consultable ici

 

Adaptation intégrale des rentes AVS/AI au renchérissement

Adaptation intégrale des rentes AVS/AI au renchérissement

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 22.02.2023 consultable ici

 

Pour compenser pleinement le renchérissement, les rentes AVS/AI, les prestations complémentaires et les prestations transitoires doivent faire l’objet d’une augmentation supplémentaire par rapport à l’adaptation qui a déjà eu lieu. Lors de sa séance du 22 février 2023, le Conseil fédéral a adopté le message concernant une modification de la loi sur l’AVS en ce sens. Il répond ainsi à la volonté du Parlement de renforcer le pouvoir d’achat des bénéficiaires de rentes.

En règle générale, le Conseil fédéral adapte les rentes ordinaires de l’AVS et de l’AI tous les deux ans à l’évolution des salaires et des prix, en se fondant à chaque fois sur la moyenne arithmétique entre l’indice des salaires et l’indice des prix (indice mixte). La dernière adaptation est intervenue le 1er janvier 2023 et a donné lieu à une augmentation de 30 francs pour la rente minimale et de 60 francs pour la rente maximale (pour une durée de cotisation complète). Comme la hausse de l’indice des prix a exceptionnellement été supérieure à celle de l’indice des salaires en 2022, l’adaptation fondée sur l’indice mixte a eu pour conséquence un relèvement des rentes de 2,5% alors que le renchérissement atteignait cette année 2,8%. L’adaptation des rentes n’a par conséquent pas permis de compenser entièrement le renchérissement. En réponse à une motion, le Conseil fédéral a adopté un projet de modification de la loi sur l’AVS à l’intention du Parlement. Il propose une adaptation supplémentaire et extraordinaire des rentes pour compenser pleinement le renchérissement.

 

Mise en œuvre prévue de l’adaptation au renchérissement

Le projet de modification temporaire de la loi sur l’AVS transmis au Parlement prévoit une adaptation unique des rentes de vieillesse et de survivants. Cette adaptation extraordinaire, qui concernera également les rentes de l’AI, tiendra seulement compte de la hausse des prix, à l’exclusion de la progression des salaires. Les rentes seront ainsi augmentées de la part du renchérissement qui n’a pas été compensée par l’adaptation ordinaire des rentes au 1er janvier 2023. Si le Parlement adopte la modification de loi à la session de printemps 2023, la compensation du renchérissement pourra être mise en œuvre au plus tôt le 1er juillet 2023. La majoration supplémentaire des rentes devra être versée à partir de cette date et être calculée de manière à compenser également les mois de janvier à juin 2023.

 

Calcul de l’adaptation des rentes

Le calcul des nouvelles rentes se fondera sur le renchérissement de l’année 2022, soit 2,8%. La différence avec l’augmentation des rentes de 2,5% déjà effectuée est de 0,3 point de pourcentage. La rente mensuelle minimale devrait, sur cette base, être majorée de 5 francs. Si la modification entre en vigueur le 1er juillet 2023, l’adaptation au renchérissement comprendra une augmentation supplémentaire de 2 francs pour tenir compte des mois de janvier à juin 2023. Au total, la rente minimale sera donc relevée de 7 francs, passant de 1225 à 1232 francs, et la rente maximale de 14 francs, passant de 2450 à 2464 francs (pour une durée de cotisation complète). Cette adaptation extraordinaire des rentes au renchérissement ne modifie pas le rythme des adaptations ordinaires sur la base de l’indice mixte. Elle doit s’appliquer jusqu’à la prochaine adaptation ordinaire des rentes, prévue pour le 1er janvier 2025.

 

Adaptation des prestations complémentaires et transitoires

Les montants destinés à la couverture des besoins vitaux pris en compte dans le calcul des prestations complémentaires et des prestations transitoires seront majorés dans la même proportion que les rentes. Ces adaptations se feront au niveau de l’ordonnance. D’autres prestations de l’AVS et de l’AI, calculées directement sur la base de la rente minimale de l’AVS, seront adaptées en conséquence. Par contre, les montants-limites de la prévoyance professionnelle et les cotisations à l’AVS, à l’AI et au régime des APG des personnes exerçant une activité indépendante et des personnes sans activité lucrative ne seront pas modifiés.

 

Coût de l’augmentation des prestations

L’augmentation extraordinaire des rentes en plus de l’adaptation ordinaire entraînera pour l’AVS un coût supplémentaire de 418 millions de francs au total en 2023 et 2024. La Confédération participe au financement de l’AVS en versant chaque année une contribution correspondant à 20,2% des dépenses. Toutefois, elle ne devra exceptionnellement pas participer au financement de cette augmentation supplémentaire des rentes. L’AI assumera une dépense supplémentaire de 54 millions de francs. L’adaptation des prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI entraînera, quant à elle, des dépenses supplémentaires d’environ 2,5 millions de francs pour la Confédération et 0,9 million pour les cantons.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 22.02.2023 consultable ici

Message du Conseil fédéral (version provisoire) et modification de la LAVS (proposition) consultables ici

Motion 22.3792 « Protéger le pouvoir d’achat. Adapter immédiatement les rentes AVS au renchérissement » consultable ici

 

Arrêt de la CrEDH Berisha c. Suisse – Requête n° 4723/13 du 24.01.2023 – Remboursement plafonné des frais pour les soins à domicile d’une personne handicapée vivant chez ses parents (à l’inverse de celles vivant en institution)

Arrêt de la CrEDH Berisha c. Suisse – Requête n° 4723/13 du 24.01.2023

 

Arrêt consultable ici

Résumé juridique de février 2023 de la CrEDH consultable ici

 

Remboursement plafonné des frais pour les soins à domicile d’une personne handicapée vivant chez ses parents (à l’inverse de celles vivant en institution) / 8 CEDH

 

En fait

Lourdement handicapé depuis sa naissance, le requérant, vivant chez ses parents âgés, bénéficie d’une rente d’invalidité entière et d’une allocation pour impotent de degré grave.

En novembre 2010, la caisse de compensation du canton avisa le requérant que les dépenses dont il avait sollicité la prise en charge pour l’année 2010 dépassaient le plafond annuel de remboursement des frais de maladie et d’invalidité, fixé à CHF 90’000. Un montant de CHF 1’146 restait à la charge de l’intéressé, lequel n’était par ailleurs plus fondé à solliciter de la caisse de compensation le remboursement des frais qu’il aurait encore à supporter jusqu’à la fin de l’année considérée.

Les recours du requérant contre cette décision n’aboutirent pas.

Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint devant la Cour que le plafonnement du remboursement des frais de maladie et d’invalidité engagés pour les soins à son domicile le place dans une situation financière susceptible de le contraindre à s’installer dans une résidence spécialisée. Notant que ce plafonnement ne s’applique pas aux personnes soignées dans une institution, il se plaint également d’une discrimination et invoque l’article 14 combiné avec l’article 8.

 

En droit

Article 14 combiné avec l’article 8 :

1) Vie familiale – Dans l’affaire Beeler c. Suisse [GC], la Grande Chambre de la Cour a récemment eu l’occasion de clarifier les principes régissant la question de savoir si et dans quelle mesure les allocations sociales ressortent au domaine de la « vie familiale » au sens de l’article 8 et peuvent, dès lors, faire entrer en jeu l’article 14.

Dans le cas d’espèce, la Cour doit dès lors examiner si la prestation litigieuse, à savoir le remboursement des frais de maladie et d’invalidité prévu par la loi, vise à favoriser la vie familiale et si elle a nécessairement une incidence sur l’organisation de celle-ci. Elle doit prendre en compte l’ensemble des éléments pertinents permettant de déterminer la nature de cette prestation.

S’agissant du but que poursuit l’administration par le versement des prestations en question et des conditions de leur octroi, à la lumière de la législation pertinente, ces prestations sont « destinées à la couverture des besoins vitaux » des personnes souffrant d’une invalidité. Peuvent en bénéficier les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse dès lors qu’elles ont droit à une rente ou à une allocation pour impotent de l’assurance-invalidité (AI) ou qu’elles perçoivent des indemnités journalières de l’AI sans interruption pendant six mois au moins. Il ressort de ces dispositions que le versement des prestations complémentaires ne vise pas à favoriser la vie familiale du requérant, non plus qu’il ne suppose l’existence de pareille vie familiale.

Quant au calcul des prestations litigieuses, le droit fédéral fixe, en matière de prestations complémentaires, les montants minimaux que les cantons doivent respecter, et le canton en l’espèce a choisi de limiter à ces montants la prise en charge des frais de santé et d’invalidité des personnes concernées. Dans le cas du requérant, qui vit à domicile, le plafond est fixé à CHF 90’000 par an, tandis que si l’intéressé vivait dans une résidence spécialisée ou un hôpital, pareille limite ne trouverait pas à s’appliquer. Cette différence de traitement confirme que les prestations complémentaires n’ont pas pour but principal de favoriser la vie familiale. À cet égard, celles-ci se distinguent sensiblement de la contribution d’assistance qui a été instaurée à partir de janvier 2012 pour permettre à une personne bénéficiant d’une allocation pour impotent qui vit ou souhaite vivre à domicile et qui a besoin d’une aide régulière d’engager une personne qui lui fournisse l’assistance nécessaire.

Concernant les incidences réelles de la limitation des prestations en question sur la vie familiale du requérant, celui-ci a vécu avec ses parents, âgés, au moment du recours devant le Tribunal fédéral, de 81 ans pour son père et de 78 ans pour sa mère, lesquels ont pris en charge – et jusqu’à ce que l’âge avancé du père ne le lui permette plus – une part considérable des soins requis par l’intéressé. Par ailleurs, une autre part importante des soins aurait été fournie par la sœur du requérant. Il n’est dès lors pas exclu que le versement des prestations complémentaires ait eu une certaine incidence sur la vie familiale du requérant dans la mesure où il lui a permis de se faire soigner par ses proches à domicile.

En revanche, le requérant ayant toujours vécu chez lui, ne s’est jamais vu contraint d’intégrer une résidence spécialisée ou un hôpital. En conséquence, les frais restés à sa charge ne correspondaient pas à des montants suffisamment élevés pour l’obliger à quitter son domicile. Ainsi le montant du plafonnement des prestations complémentaires n’a pas eu une incidence négative concrète sur la vie familiale du requérant. Par ailleurs, différentes prestations correspondant à des montants considérables lui ont été versées après l’arrêt litigieux du Tribunal fédéral, notamment au titre de la contribution d’assistance, prestations qui visaient, quant à elles, à renforcer l’autonomie du requérant et à lui permettre de vivre chez lui.

Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, c’est-à-dire compte tenu du but de la prestation litigieuse tel qu’il ressort de la législation, des conditions de son octroi, de la légalité du plafond appliqué et du fait que les effets réels de ce plafonnement sur la vie familiale de l’intéressé sont restés limités, la prestation en cause ne vise pas à favoriser la vie familiale et elle n’a pas nécessairement une incidence sur l’organisation de celle-ci. Les faits de l’espèce ne relèvent pas du champ de la « vie familiale » au sens de l’article 8 et, par conséquent, l’article 14 n’est pas applicable au cas d’espèce sous cet angle.

 

2) Vie privée – Le souhait formé par une personne lourdement handicapée, tel que le requérant, d’être soignée à domicile par ses proches pourrait a priori relever du droit au respect de la vie privée de la personne concernée, notamment sous l’angle du développement personnel et de l’autonomie. Toutefois la situation particulière du requérant doit également être prise en compte pour déterminer si sa « vie privée » était en jeu au moment pertinent, comme a été traité le volet de l’article 8 relatif à la « vie familiale » dans l’affaire Beeler. Or, le requérant n’a pas démontré que le plafonnement du remboursement des frais liés aux soins dont il avait besoin l’ait concrètement et effectivement empêché de satisfaire ce souhait. En effet, celui-ci n’a à aucun moment été contraint à intégrer une institution à la suite du plafonnement du remboursement des frais qu’il avait à engager pour ses soins. Sans nier la réalité des inconvénients subis par le requérant, ils sont de nature purement pécuniaire, aspect qui n’est pas en soi couvert par le droit au respect de la vie privée.

Ainsi, les faits de l’espèce ne relèvent pas du champ de la « vie privée » et, par conséquent, l’article 14 n’est pas applicable au cas d’espèce sous cet angle.

 

Conclusion : irrecevable (incompatible ratione materiae).

 

Arrêt de la CrEDH Berisha c. Suisse – Requête n° 4723/13 du 24.01.2023 consultable ici

Résumé juridique de février 2023 de la CrEDH consultable ici

 

9C_435/2021 (f) du 07.09.2022 – Notion de survenance de l’incapacité de travail – 23 LPP / Connexité matérielle et temporelle – Principes généraux en matière de droit transitoire

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_435/2021 (f) du 07.09.2022

 

Consultable ici

 

Notion de survenance de l’incapacité de travail / 23 LPP

Connexité matérielle et temporelle

Principes généraux en matière de droit transitoire

 

Assurée, née en 1963, a travaillé notamment comme secrétaire comptable auprès d’un grand magasin de 1985 à 1990, puis comme commise administrative à 50% auprès de l’Hôpital C.__ dès le 01.08.1996. A ce titre, elle était affiliée pour la prévoyance professionnelle auprès de la caisse de prévoyance CIA du 01.08.1996 au 31.01.2002, puis de la caisse de prévoyance CEH dès le 01.02.2002. Le 01.01.2014, la CEH a fusionné avec la CIA afin de constituer la Caisse de prévoyance de l’Etat de Genève (ci-après: la CPEG).

En mars 2017, l’assurée a déposé une demande AI. Dans un avis du 07.03.2018, le médecin auprès du SMR a diagnostiqué une anorexie mentale; l’assurée était en incapacité de travail à 50% depuis le 17.05.1989 et à 100% depuis le 25.04.2017. L’office AI a, en se fondant sur l’avis du médecin de son SMR, octroyé à l’assurée une rente entière de l’assurance-invalidité dès le 01.09.2017 (décision du 21.11.2018).

Donnant suite à la décision de l’office AI, la CPEG a nié le droit de l’assurée à des prestations de la prévoyance professionnelle au motif que l’incapacité de travail de celle-ci était survenue le 17.05.1989, soit avant l’affiliation du 01.08.1996.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/677/2021 – consultable ici)

Par jugement du 24.06.2021, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
La CPEG est une institution de prévoyance de droit public dite enveloppante, en ce sens qu’elle alloue à ses affiliés des prestations obligatoires et plus étendues (sur la notion d’institution de prévoyance enveloppante, voir ATF 140 V 169 consid. 6.1). Une telle institution est libre de définir, dans les limites des dispositions expressément réservées à l’art. 49 al. 2 LPP en matière d’organisation, de sécurité financière, de surveillance et de transparence, le régime de prestations, le mode de financement et l’organisation qui lui convient, pour autant qu’elle respecte les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité ainsi que l’interdiction de l’arbitraire (ATF 140 V 145 consid. 3.1 et les références).

La faculté réservée aux institutions de prévoyance en vertu de l’art. 49 al. 2 LPP n’implique cependant pas pour elles un pouvoir discrétionnaire. Lorsqu’elles adoptent dans leurs statuts ou règlements un certain système d’évaluation, elles doivent se conformer, dans l’application des critères retenus, aux conceptions de l’assurance sociale ou aux principes généraux (voir par exemple, en ce qui concerne la notion de l’invalidité, ATF 120 V 106 consid. 3c, ou en ce qui concerne la notion de l’événement assuré, arrêts B 31/03 du 23 janvier 2004 consid. 3; B 57/02 du 19 août 2003 consid. 3.3; B 40/93 du 22 juin 1995 consid. 4, in SVR 1995 LPP n° 43 p. 127). Autrement dit, si elles ont une pleine liberté dans le choix d’une notion, elles sont néanmoins tenues de donner à celle-ci sa signification usuelle et reconnue en matière d’assurance (arrêt 9C_52/2020 du 1 er février 2021 consid. 5.2.1, non publié in ATF 147 V 146).

Consid. 3.2
Le règlement d’une institution de prévoyance de droit public peut être modifié même en l’absence de toute disposition réservant un changement de réglementation, à condition toutefois de respecter les principes d’égalité de traitement et d’interdiction de l’arbitraire (ATF 135 V 382 consid. 6.1; 134 I 23 consid. 7.2 et les références citées). La nouvelle réglementation ne doit également pas porter atteinte aux droits acquis. Ces derniers ne naissent en faveur des personnes concernées que si la loi a fixé une fois pour toutes les relations en cause pour les soustraire aux effets des modifications légales, ou lorsque des assurances précises ont été données à l’occasion d’un engagement individuel (sur la notion de droits acquis, voir ATF 143 I 65 consid. 6.2; 134 I 23 consid. 7.2). En matière de prévoyance plus étendue, seul le droit à la rente comme tel constitue un droit acquis, lequel n’est pas touché par un changement des paramètres de calcul de la surindemnisation, même si ce changement peut avoir une incidence sur le montant des prestations d’assurance en cours (ATF 144 V 236 consid. 3.4.1; arrêt 9C_111/2018 du 14 septembre 2018 consid. 4.2 et les références).

 

Consid. 5.1
La juridiction cantonale a retenu que l’incapacité de travail de l’assurée était survenue le 17.05.1989, soit à une époque où l’intéressée n’était pas encore assurée auprès de la caisse de prévoyance. En raison d’une anorexie mentale, l’assurée avait été incapable de travailler à 50% du 17.05.1989 au 24.04.2017, puis à 100% dès le 25.04.2017. Dans la mesure où elle n’avait pas présenté une capacité de travail de plus de 80% dans une activité adaptée pendant plus de trois mois depuis le 17.05.1989, le lien de connexité matérielle et temporelle entre l’incapacité de travail survenue à cette date et l’invalidité reconnue « officiellement en septembre 2017 » n’avait par ailleurs pas été interrompu. Il n’incombait par conséquent pas à l’institution de prévoyance de prendre en charge le cas d’invalidité, l’incapacité de travail déterminante existant déjà à une époque où l’assurée n’était pas encore assurée auprès de la caisse de prévoyance.

Consid. 6.1
D’après les principes généraux en matière de droit transitoire, on applique, en cas de changement de règles de droit et sauf réglementation transitoire contraire, les dispositions en vigueur lors de la réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié juridiquement et qui a des conséquences juridiques. Ces principes valent également en cas de changement de dispositions réglementaires ou statutaires des institutions de prévoyance (ATF 138 V 176 consid. 7.1 et les références). Leur application ne soulève pas de difficultés en présence d’un événement unique, qui peut être facilement isolé dans le temps. S’agissant par exemple des prestations de survivants, on applique les règles en vigueur au moment du décès de l’assuré, c’est-à-dire la date à laquelle naît le droit aux prestations du bénéficiaire (ATF 137 V 105 consid. 5.3.1 et la référence).

En cas d’incapacité de travail donnant lieu à une rente d’invalidité, l’état de fait dont découle le droit aux prestations de la prévoyance professionnelle n’est pas la survenance de l’incapacité de travail, événement déterminé dans le temps, mais l’incapacité de travail comme telle, qui est un état durable. La situation juridique qui donne lieu à une rente d’invalidité n’est donc pas ponctuelle, mais perdure jusqu’à la naissance du droit aux prestations de la prévoyance professionnelle. En cas de modification réglementaire après la survenance de l’incapacité de travail, mais avant le début du droit aux prestations, ce sont donc les nouvelles règles qui sont applicables, sauf disposition contraire (ATF 121 V 97 consid. 1c).

Consid. 6.2
Ces principes conduisent à retenir que le droit de l’assurée à une rente de la prévoyance professionnelle (surobligatoire) doit être examiné conformément aux dispositions du RCPEG et non pas des statuts de la CEH, comme l’ont retenu à juste titre les juges cantonaux. En effet, l’état de fait dont découle le droit aux prestations – que ce soit en vertu de l’art. 27 des statuts ou de l’art. 33 RCPEG – est l’incapacité de remplir sa fonction ou l’incapacité de remplir au sens de l’assurance-invalidité comme telle, qui est un état de fait durable. La situation juridique qui donne lieu à une rente d’invalidité perdure donc jusqu’à la naissance du droit aux prestations, coïncidant ici avec celui du droit à une rente de l’assurance-invalidité (art. 33 al. 3 RCPEG; art. 27 al. 4 des statuts), soit le 01.09.2017. Le RCPEG ne contient en outre aucune disposition transitoire qui déclarerait applicables les anciennes dispositions en cas d’incapacité de travail survenue avant cette date.

Par ailleurs, l’art. 27 al. 1 des statuts de la CEH n’attache aucune conséquence juridique particulière à la date de la survenance de l’incapacité de travail, tant et aussi longtemps que cette incapacité ne fonde pas un droit à des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle. Dans la mesure où aucun droit à la rente en faveur de l’assurée n’a pris naissance sous l’empire des statuts de la CEH, l’assurée ne saurait par conséquent être suivie lorsqu’elle prétend être au bénéfice d’un droit acquis, qui conduirait, selon elle, à l’application des statuts de la CEH.

 

Consid. 7.1
Dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire, le versement des prestations d’invalidité incombe à l’institution de prévoyance auprès de laquelle la personne assurée était affiliée au moment de la survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité, même si celle-ci est survenue après la fin des rapports de prévoyance (art. 23 let. a LPP; ATF 138 V 227 consid. 5.1 et les références citées). Ce principe sert à délimiter les responsabilités entre institutions de prévoyance, notamment lorsque le travailleur, déjà atteint dans sa santé dans une mesure propre à influer sur sa capacité de travail, entre au service d’un nouvel employeur en changeant en même temps d’institution de prévoyance, et bénéficie, ultérieurement, d’une rente de l’assurance-invalidité (ATF 123 V 262 consid. 1c; 121 V 97 consid. 2a; arrêt 9C_797/2013 du 30 avril 2014 consid. 3.4).

Les mêmes principes sont applicables en matière de prévoyance professionnelle surobligatoire, à tout le moins en l’absence de dispositions réglementaires ou statutaires contraires (ATF 138 V 409 consid. 6.1; 136 V 65 consid. 3.2; 123 V 262 consid. 1b).

Consid. 7.2
En l’espèce, le RCPEG, applicable au présent litige, prévoit que le membre salarié reconnu invalide par l’AI l’est également par la caisse pour autant qu’il ait été assuré auprès de la caisse lorsqu’est survenue l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité (art. 33 al. 1 RCPEG). Cette disposition réglementaire a donc la même teneur que l’art. 23 let. a LPP, sur les points litigieux. Les principes posés par l’art. 23 let. a LPP s’imposent par conséquent dans le domaine de la prévoyance professionnelle surobligatoire, dans la mesure où le RCPEG n’y déroge aucunement.

Consid. 7.3
La référence de l’assurée à l’arrêt B 101/02 n’y change rien. Dans le cadre de la prévoyance professionnelle surobligatoire, les institutions de prévoyance sont libres de définir, dans les limites des dispositions expressément réservées à l’art. 49 al. 2 LPP, le régime de prestations qui leur convient (arrêt B 101/02 précité consid. 4.1). A cet égard, elles peuvent notamment faire dépendre le droit à une rente d’invalidité étendue (respectivement le droit à la part étendue de la rente d’invalidité en cas de solutions de prévoyance enveloppantes) de l’existence du rapport de prévoyance au moment de la survenance, respectivement de l’aggravation de l’invalidité définie réglementairement (ATF 118 V 158 consid. 5a; arrêt 9C_658/2016 du 3 mars 2017 consid. 6.4.2; HÜRZELER, Commentaire LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 5 et 58 ad art. 23 LPP et les références). Le cas échéant, elles ont alors la possibilité d’instituer une réserve pour l’affection qui est à l’origine de l’invalidité (arrêt B 101/02 précité consid. 4.4; ATF 118 V 158 consid. 5a). Dans l’arrêt B 101/02, le Tribunal fédéral a jugé qu’une obligation de prester à la charge des institutions de prévoyance peut découler de l’interprétation de leur règlement de prévoyance selon le principe de la confiance lorsqu’elles renoncent à instituer une réserve, alors qu’elles ont dûment connaissance d’une atteinte à la santé préexistante. Tel est le cas de l’institution de prévoyance qui confirme expressément à la personne concernée, sur la base d’investigations médicales qui ont révélé une atteinte à la santé préexistante, qu’elle l’assure sans réserve pour sa capacité de gain résiduelle (arrêt B 101/02 consid. 4.4).

A l’inverse de la situation qui a donné lieu à l’arrêt B 101/02 précité, l’assurée n’a pas établi en l’espèce que la caisse de prévoyance avait eu connaissance du certificat d’examen médical du 18.01.2002. Il s’agit en effet d’un certificat d’aptitude demandé par l’employeur, singulièrement par la Direction des ressources humaines de l’Hôpital C.__. On ne voit dès lors pas ce que ce certificat médical, qui n’a pas été porté à la connaissance de la caisse de prévoyance, apporterait de plus à l’interprétation littérale de l’art. 33 al. 1 RCPEG. Qui plus est, le médecin qui a rédigé ce certificat a uniquement confirmé l’aptitude de l’assurée à exercer sa fonction à un taux d’activité de 50% et n’a pas mentionné une atteinte à la santé préexistante (voire une incapacité de travail pour les 50% restants). Dans ces circonstances, les motifs invoqués par l’assurée, en particulier le fait qu’elle a été assurée sans réserve par la caisse de prévoyance (à ce sujet, voir arrêt 9C_536/2012 du 28 décembre 2012 consid. 2.4), ne justifient aucunement de s’écarter des conditions d’assurance résultant du RCPEG.

Consid. 7.4
Finalement, l’assurée ne prétend pas que le lien de connexité temporelle et matérielle entre l’incapacité de travail survenue dès 1989 et l’invalidité ultérieure a été interrompue. Il s’ensuit que la juridiction cantonale a retenu à juste titre que l’institution de prévoyance intimée, auprès de laquelle l’assurée n’était pas affiliée lors de la survenance de l’incapacité de travail déterminante en 1989, n’est pas tenue de prendre en charge le cas d’invalidité ainsi que son aggravation.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_435/2021 consultable ici

 

9C_273/2022 (f) du 23.08.2022 – Rente d’invalidité – Conditions générales d’assurances – 36 al. 1 LAI / Motivation insuffisante d’un avis du SMR se distançant des constatations et conclusions du psychiatre traitant

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_273/2022 (f) du 23.08.2022

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité – Conditions générales d’assurances / 36 al. 1 LAI

Motivation insuffisante d’un avis du SMR se distançant des constatations et conclusions du psychiatre traitant

Evaluation de la capacité de travail relève de l’appréciation médicale

 

Assurée, née en 1977, originaire de Turquie et entrée en Suisse en septembre 2012, a présenté une demande AI en juillet 2020. Au terme de la procédure d’instruction, l’office AI a rejeté la demande de prestations au motif que l’intéressée ne remplissait pas les conditions générales d’assurance. En bref, il a considéré que l’assurée présentait une incapacité de travail totale depuis 2006 et que l’atteinte à la santé était donc antérieure à son entrée en Suisse.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/365/2022 – consultable ici)

Après avoir notamment entendu la doctoresse B.__, psychiatre traitante, ainsi que l’assurée, le tribunal cantonal a admis le recours (arrêt du 20.04.2022), annulé la décision litigieuse et reconnu le droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité dès le 01.02.2021.

 

TF

Consid. 3.2
A droit à une rente ordinaire l’assuré qui, lors de la survenance de l’invalidité, compte trois années au moins de cotisations (art. 36 al. 1 LAI) et que la condition de la durée minimale de cotisations pour ouvrir le droit à une rente ordinaire doit être remplie au moment de la survenance de l’invalidité (ATF 126 V 5 consid. 2c et les arrêts cités; arrêt 9C_145/2019 du 29 mai 2019 consid. 4.1).

Consid. 4
En se fondant sur les déclarations et conclusions de la psychiatre traitante, la juridiction cantonale a admis que l’assurée était en incapacité totale de travail depuis avril 2019. S’il ne pouvait être nié que l’assurée présentait déjà des troubles psychiques lorsqu’elle est entrée en Suisse, en 2012, soit notamment une modification durable de la personnalité après un événement de catastrophe, à la suite du trouble de stress post-traumatique survenu en 2008 (au moment où sa fille aînée, alors âgée de douze ans, lui avait fait part des abus commis par son père), ceux-ci n’étaient cependant pas incapacitants. A cet égard, l’intéressée avait en effet travaillé à plein temps comme cuisinière dans une famille en Turquie, jusqu’à son départ pour la Suisse. Si elle n’avait certes pas exercé une activité lucrative depuis son entrée en Suisse, cela pouvait s’expliquer en raison de son statut de requérante d’asile, qui lui interdisait de travailler au début, ainsi que de la méconnaissance de la langue française. Après avoir constaté que l’assurée remplissait la condition de la durée minimale de cotisations pour ouvrir le droit à une rente ordinaire prévue par l’art. 36 al. 1 LAI (dès lors qu’il ressortait de son compte individuel qu’elle avait cotisé depuis octobre 2012), les juges cantonaux lui ont reconnu le droit à une rente entière d’invalidité depuis le 01.02.2021, compte tenu de la date du dépôt de la demande de prestations, en juillet 2020 (art. 29 al. 1 LAI).

Consid. 5.2.1
Conformément à l’art. 43 LPGA, il incombe en premier lieu à l’administration de prendre d’office les mesures d’instruction nécessaires, singulièrement de recueillir un avis médical circonstancié lui permettant de statuer en connaissance de cause.

Or en l’espèce, la juridiction cantonale a dûment apprécié le rapport médical de la psychiatre traitante, en procédant également à l’audition de ce médecin. La cour cantonale a exposé les raisons pour lesquelles elle a considéré que les conclusions et déclarations de la psychiatre traitante étaient suffisantes pour admettre que l’état de santé de l’assurée s’était modifié depuis 2019 et que celle-ci présentait une incapacité totale de travail depuis le 26.04.2019. Les juges cantonaux ont en effet expliqué que la psychiatre traitante, qui avait suivi l’assurée à compter de 2017, n’avait pas tout de suite constaté d’incapacité de travail puisqu’elle n’en avait attestée une que depuis le 26.04.2019, en faisant alors état d’une aggravation de l’état de santé de sa patiente (cf. rapport du 29.08.2020). Lors de son audition du 25.02.2022, la psychiatre traitante avait précisé que l’assurée présentait seulement, au début du suivi, un état dépressif léger à moyen en relation avec les difficultés avec sa fille aînée et qu’elle était capable de travailler, le trouble dépressif s’étant ensuite aggravé lorsque les troubles psychiques de sa fille s’étaient péjorés avec des crises classiques et un comportement violent.

Consid. 5.2.2
La simple affirmation de l’office recourant, selon laquelle ce n’est qu’après la décision litigieuse, par laquelle il a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité pour défaut de condition d’assurance, que la psychiatre traitante a indiqué que les limitations psychiatriques de sa patiente étaient en lien avec le comportement de sa fille aînée (et non pas avec la situation dramatique vécue lorsqu’elle était en Turquie), n’est pas suffisante pour remettre en cause la valeur probante du rapport médical sur lequel les juges cantonaux se sont fondés. Au vu des informations claires et motivées contenues dans le rapport de la psychiatre traitante du 29.08.2020 quant à la date de la survenance de l’incapacité de travail (le 26.04.2019), il eût appartenu à l’office AI de compléter l’instruction médicale avant de rendre sa décision s’il avait des doutes quant aux conclusions de la psychiatre traitante, mais à tout le moins d’expliquer les motifs pour lesquels il s’en est distancié et a considéré que l’incapacité de travail existait depuis 2006 déjà. A cet égard, le rapport du médecin au SMR n’est d’aucun secours à l’office recourant. Appelé à se prononcer au sujet du rapport de la psychiatre traitante, le médecin du SMR s’est en effet contenté d’indiquer que la psychiatre traitante expliquait « très clairement » que les atteintes à la santé psychique avaient débuté en Turquie et qu’à la lecture de son rapport, il était manifeste que l’état psychique de l’assurée ne lui permettait pas d’exercer une activité professionnelle depuis 2006. Ce faisant, le médecin mentionne une incapacité de travail bien antérieure à celle attestée par la psychiatre traitante sans aucunement motiver son affirmation et expliquer son appréciation divergente sur ce point; son avis ne saurait dès lors être suivi. Partant, le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 5.3
L’argumentation de l’office recourant à l’appui de l’«évaluation de la vraisemblance prépondérante arbitraire en violation du droit fédéral» à laquelle la juridiction de première instance aurait procédé pour admettre que l’incapacité de travail de l’assurée avait débuté en 2019, au moment de l’aggravation de son état de santé attestée par la doctoresse B.__, et non lors de son arrivée en Suisse, en 2012, voire antérieurement, n’est pas davantage fondée. On rappellera à cet égard que compte tenu de son pouvoir d’examen restreint en la matière, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de procéder une nouvelle fois à l’appréciation des preuves administrées, mais à la partie recourante d’établir en quoi celle opérée par l’autorité précédente serait manifestement inexacte ou incomplète, ou en quoi les faits constatés auraient été établis au mépris de règles essentielles de procédure. Or en l’occurrence, l’office recourant n’expose pas d’éléments concrets et objectifs susceptibles de remettre en cause l’appréciation des preuves effectuée par les juges cantonaux.

En particulier, c’est en vain que l’office recourant se réfère à la demande de prestations déposée par l’assurée en juillet 2020. S’il y est certes fait mention d’une incapacité de travail depuis 2012, les juges cantonaux ont cependant expliqué de manière convaincante que ce document avait été rempli par deux personnes différentes, à savoir la psychiatre traitante, et, probablement, l’assistante sociale de l’assurée, et que la psychiatre traitante y avait indiqué, au point 6.1, que l’atteinte à la santé existait depuis 2019. La mention d’une incapacité de travail depuis le 18 septembre 2012, au point 4.3, n’émanait pas de la psychiatre traitante, si bien qu’il s’agissait manifestement d’une erreur. Quoi qu’en dise l’office recourant à cet égard, l’évaluation de la capacité de travail relève de l’appréciation médicale. Par conséquent, le fait que l’assurée a également indiqué (notamment lors de son audition) qu’elle n’avait pas réussi à travailler lors de son arrivée en Suisse, en 2012, en raison de ses problèmes de santé – des troubles de mémoire l’empêchant d’apprendre le français selon elle – n’est pas déterminant. Le recours est mal fondé sur ce point également.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_273/2022 consultable ici

 

8C_469/2021 (f) du 04.08.2022 – Restitution de prestations cantonales de la rente-pont – 28 al. 1 LPCFam / Subsidiarité de la rente-pont par rapport aux prestations d’assurances sociales octroyées à titre rétroactif – 28 al. 1bis LPCFam

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_469/2021 (f) du 04.08.2022

 

Consultable ici

 

Restitution de prestations cantonales de la rente-pont / 28 al. 1 LPCFam

Subsidiarité de la rente-pont par rapport aux prestations d’assurances sociales octroyées à titre rétroactif / 28 al. 1bis LPCFam

 

Feu A.__, née en 1950, était mariée à C.__, né en 1951. Les deux époux faisaient ménage commun.

Le 23.01.2013, feu A.__ a rempli un formulaire de demande de rente-pont auprès de la Caisse cantonale vaudoise de compensation AVS (ci-après: la CCVD). Le 05.02.2013, C.__ a signé un avis de cession en faveur de la CCVD, pour le cas où une rente AI et des prestations complémentaires AVS/AI lui seraient accordées avec effet rétroactif.

Par décision du 30.05.2013, la CCVD a reconnu à feu A.__ le droit à une rente-pont cantonale de 3039 fr. par mois à compter du 01.01.2013; cette rente, dont le montant a ensuite varié entre 2739 fr. et 3977 fr. par mois, a pris fin au 31.12.2014, l’intéressée ayant atteint l’âge de 64 ans révolus.

Le 21.05.2015, l’office de l’assurance-invalidité a rendu une décision d’octroi de rente AI en faveur de C.__ pour la période allant du 01.01.2013 au 31.12.2014; il en est résulté que ce dernier était créancier d’un montant rétroactif de 58’213 fr.

Par décision du 06.08.2015, la CCVD a réclamé à feu A.__, ensuite de la décision d’octroi de la rente AI en faveur de C.__, la restitution de la rente-pont qu’elle avait perçue entre le 01.01.2013 et le 31.12.2014 pour un montant total de 81’540 fr. Après diverses péripéties procédurales, la CCVD a rejeté, par décision du 08.01.2019, la réclamation que feu A.__ avait formée contre la décision du 06.08.2015. Dite décision a été annulée par arrêt de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du 11.12.2019.

Après que la CCVD a constaté que les époux A.__ et C.__ avaient bénéficié de prestations complémentaires AVS/AI dès le mois de janvier 2013, le Centre régional de décision rente-pont, Agence d’Assurances Sociales (qui dans l’intervalle a repris la gestion des prestations cantonales de la rente-pont), a rejeté la réclamation de feu A.__ contre la demande de restitution du 06.08.2015 (décision du 25.11.2020).

 

Procédure cantonale (arrêt PS.2021.0003 – consultable ici)

Par jugement du 25.11.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’arrêt entrepris repose sur la loi cantonale vaudoise du 23 novembre 2010 sur les prestations complémentaires cantonales pour familles et les prestations cantonales de la rente-pont (LPCFam; BLV 850.053), dont il sied de rappeler les dispositions appliquées par les premiers juges.

Selon l’art. 16 al. 1 de cette loi, ont droit aux prestations cantonales de la rente-pont jusqu’à l’âge d’ouverture ordinaire du droit à la rente de vieillesse prévu par la loi fédérale du 20 LAVS, sous réserve de l’al. 2, les personnes qui remplissent les conditions cumulatives suivantes: elles ont leur domicile dans le canton de Vaud depuis trois ans au moins au moment où elles déposent la demande de rente-pont (let. a); elles ont atteint l’âge ouvrant le droit à la rente anticipée au sens de la LAVS, ou elles relèvent du revenu d’insertion (RI) ou en remplissent les conditions d’accès et sont au plus à deux ans d’atteindre l’âge ouvrant le droit à la rente anticipée au sens de la LAVS (let. b); elles n’ont pas droit à des indemnités de chômage ou ont épuisé leur droit à de telles indemnités (let. c); leurs dépenses reconnues et revenus déterminants, y compris les normes de fortunes, sont inférieurs aux limites imposées par la LPC pour ouvrir le droit à des prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (let. e); elles n’ont pas fait valoir leur droit à une rente de vieillesse anticipée au sens de la LAVS ou elles ont déposé une demande de rente anticipée et sont dans l’attente de la décision d’octroi, respectivement du versement de la rente anticipée; les prestations de la rente-pont accordées à ce titre sont considérées comme avance et doivent être restituées par le bénéficiaire conformément à l’article 28 al. 1bis (let. f). L’art. 16 al. 2 LPCFam précise que le droit aux prestations cantonales de la rente-pont n’est en revanche pas ouvert aux personnes qui atteignent l’âge de la retraite anticipée au sens de la LAVS, et dont la situation financière est telle que l’autorité peut anticiper qu’elles pourront prétendre à des prestations complémentaires au sens de la LPC si elles exercent leur droit à une rente de vieillesse à l’âge ordinaire prévu par la LAVS.

Les prestations cantonales de la rente-pont sont calculées conformément aux critères de la prestation complémentaire annuelle au sens de la LPC (art. 18 al. 1, 1e phrase, LPCFam). Le règlement cantonal du 17 août 2011 d’application de la LPCFam (RLPCFam; BLV 850.053.1) prévoit que les dispositions du chapitre I, lettre A, section II de l’OPC-AVS/AI (RS 831.301) sont, sauf dispositions contraires de la LPCFam ou du règlement, applicables par analogie à la fixation des dépenses reconnues et du revenu déterminant (art. 34 al. 1 RLPCFam [dans sa teneur en vigueur avant le 1er juillet 2021]). L’art. 11 LPC est par ailleurs également applicable par analogie à la détermination du revenu déterminant (art. 35a al. 2 RLPCFam); le revenu déterminant comprend notamment les rentes, pensions et autres prestations périodiques, y compris les rentes de l’AVS et de l’AI (art. 11 al. 1 let. d LPC).

L’art. 28 al. 1 LPCFam prévoit que les prestations complémentaires cantonales pour familles et les prestations cantonales de la rente-pont perçues indûment doivent être restituées. En outre, lorsqu’une prestation d’assurance sociale est octroyée rétroactivement, les prestations complémentaires cantonales pour familles et les prestations cantonales de la rente-pont versées précédemment à titre d’avance doivent être restituées, à concurrence de l’avance perçue (art. 28 al. 1bis LPCFam). La restitution ne peut toutefois être exigée lorsque le bénéficiaire était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile (art. 28 al. 2 LPCFam).

Consid. 3.2
En l’espèce,
l’autorité cantonale a constaté que des prestations complémentaires AVS/AI avaient été versées aux époux A.__ et C.__ à compter de janvier 2013 pour un montant total, jusqu’en décembre 2014, de 20’816 fr. Avec le rétroactif des montants dus au titre de la rente AI en faveur de C.__ et des prestations AI pour enfant, des prestations d’assurance sociale et des prestations complémentaires pour un montant total de 92’680 fr. avaient été versées aux époux A.__ et C.__ durant la période précitée. Comme feu A.__ se trouvait dans un cas de figure visé par l’art. 28 al. 1bis LPCFam, la restitution de la rente-pont perçue entre janvier 2013 et décembre 2014 devait être confirmée. Les juges cantonaux ont par ailleurs rejeté l’argument de feu A.__, selon lequel les prestations de nature et de but identiques qui sont accordées à l’assuré en raison d’un événement dommageable sont prises en considération pour déterminer si l’ayant-droit est surindemnisé au sens de l’art. 69 al. 1 LPGA. Ils ont jugé que les prestations complémentaires fédérales et la rente-pont poursuivaient un but analogue et que les secondes revêtaient un caractère subsidiaire par rapport aux premières. L’octroi d’une rente-pont était d’ailleurs exclu lorsqu’un droit à une prestation complémentaire AVS/AI était reconnu (art. 16 al. 2 LPCFam). Les premiers juges ont également rappelé que les revenus déterminants des époux faisant ménage commun devaient être additionnés dans le calcul de la rente-pont (art. 4 OPC-AVS/AI; cf. en outre art. 9 al. 2 LPC) et que feu A.__ avait elle-même perçu des prestations complémentaires AVS/AI, au vu des art. 4 al. 1 let. a LPC et 37 al. 1bis LAI, ensuite de l’ouverture du droit en faveur de son époux.

 

Consid. 4.1
Dans son acte de recours, feu A.__ se plaignait d’une application arbitraire de l’art. 28 al. 1bis LPCFam. Elle faisait valoir, en se référant au principe de la concordance des droits concrétisé à l’art. 69 al. 1 LPGA, qu’elle seule était bénéficiaire de la rente-pont et que seul son époux était bénéficiaire de la rente AI. L’art. 16 al. 2 LPCFam serait ainsi « inopérant » en l’espèce parce qu’il ne réglerait que les situations dans lesquelles une seule et même personne peut prétendre, pour la même période, à une rente d’invalidité et à une rente-pont. Feu A.__ faisait valoir à cet égard que la personne dont le revenu et la fortune sont pris en compte dans le calcul d’une prestation n’est pas pour autant bénéficiaire de cette dernière. La décision entreprise reviendrait à exiger d’elle qu’elle rembourse sa rente-pont motif pris du versement d’une rente AI et de prestations complémentaires AVS/AI à son époux, alors qu’elle n’aurait pas touché ces dernières. Feu A.__ reprochait d’ailleurs à l’autorité cantonale d’avoir arbitrairement retenu qu’elle avait touché des prestations complémentaires AVS/AI, alors que seul son mari en avait perçues.

Consid. 4.2
L’argumentation est mal fondée. En effet, la rente AI versée rétroactivement à C.__ devait être pris en compte dans l’examen du droit de feu A.__ à la rente-pont, respectivement dans la fixation de cette prestation cantonale. Comme on l’a vu, la rente-pont est calculée conformément aux critères des prestations complémentaires au sens de la LPC (art. 18 al. 1 LPCFam). Or l’art. 9 al. 2 LPC prévoit le principe selon lequel les dépenses reconnues et les revenus déterminants des conjoints sont additionnés pour déterminer le montant des prestations complémentaires AVS/AI. Les revenus déterminants comprennent notamment les rentes, pensions et autres prestations périodiques, y compris les rentes de l’AVS et de l’AI (art. 11 al. 1 let. d LPC). Partant, peu importe que l’un ou l’autre des époux A.__ et C.__ fût bénéficiaire de la rente AI versée rétroactivement dans la mesure où, selon le droit cantonal pertinent, c’est l’ensemble des revenus du couple qui est déterminant. En tant que de besoin, on soulignera encore que la jurisprudence citée dans l’acte de recours (arrêt 9C_211/2009 du 26 février 2010; arrêt de la CDAP PS.2017.0101 du 16 avril 2018) n’est d’aucun secours au recourant, les situations qui y étaient traitées n’étant pas comparables à celle de feu A.__. En outre, l’allégation selon laquelle cette dernière n’aurait elle-même pas perçu de prestations complémentaires AVS/AI est dénuée de fondement. Indépendamment de la pertinence des dispositions citées par les premiers juges (art. 4 al. 1 let. a LPC et art. 37 al. 1bis LAI; consid. 3.2 supra), il ressort des décisions d’allocation de prestations complémentaires du 27.10.2015 que feu A.__ était également l’ayant droit des prestations accordées rétroactivement.

En ce qui concerne précisément les prestations complémentaires AVS/AI perçus par le couple, c’est sans arbitraire que les juges cantonaux ont considéré que la rente-pont leur était subsidiaire. L’octroi d’une prestation complémentaire AVS/AI vise à assurer la couverture des besoins vitaux non seulement de l’ayant droit mais également des membres de sa famille (MICHEL VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, 2015, n° 10 ad art. 9 LPC). Il en va de même s’agissant de la rente-pont puisque les prestations sont calculées conformément aux critères régissant les prestations complémentaires AVS/AI. Les prestations complémentaires AVS/AI et la rente-pont ont dès lors bien un but analogue (cf. Exposé de motifs sur la stratégie cantonale de lutte contre la pauvreté, in Bulletin du Grand Conseil du canton de Vaud 2007-2012, tome 17, p. 476 ss [ci-après: exposé de motifs], p. 504). Dans ce contexte, l’art. 28 al. 1bis LPCFam consacre le principe de la subsidiarité de la rente-pont par rapport aux prestations d’assurances sociales octroyées à titre rétroactif. Ce principe se retrouve également dans la LPC puisqu’il y est rappelé en particulier à l’art. 11 al. 3 LPC que les prestations d’aide sociale (let. b) ainsi que les prestations provenant de personnes et d’institutions publiques ou privées ayant un caractère d’assistance manifeste (let. c) ne sont pas prises en compte dans le calcul des revenus déterminants. En lien avec l’art. 11 al. 3 let. c LPC, les Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (DPC) de l’OFAS précisent que « sont également considérées comme prestations ayant manifestement un caractère d’assistance les prestations cantonales et communales d’aide aux personnes âgées, aux survivants, aux invalides, aux chômeurs et autres, ainsi que les prestations d’assurance-vieillesse, survivants et invalidité cantonales ayant le caractère d’assistance » (ch. 3412.06). Sans qu’il soit ici nécessaire de trancher la question de la nature de la rente-pont, on observera que cette dernière a été mise en place pour éviter aux personnes proches de l’âge de la retraite n’ayant pas ou plus droit aux indemnités de chômage de devoir recourir au revenu d’insertion, que le droit à cette prestation ne dépend pas du versement de cotisations et qu’elle fait l’objet d’une révision périodique (cf., en lien avec l’art. 11 al. 3 let. b LPC, arrêt 2C_95/2019 du 13 mai 2019 consid. 3.4.4 où la rente-pont est qualifiée d’alternative à l’aide sociale). La rente-pont relève dès lors à tout le moins de l’art. 11 al. 3 let. c LPC et ne doit donc pas être prise en considération dans le calcul des revenus déterminants au sens de la LPC (sur la coordination « extrasystémique » entre les prestations complémentaires AVS/AI, d’une part, et l’aide sociale et les prestations d’assistance, d’autre part, cf. JÖHL/USINGER-EGGER, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 1916, n. 217-218). Feu A.__ ne prétendait d’ailleurs pas que la rente-pont aurait été prise en compte dans le calcul des prestations complémentaires AVS/AI versées rétroactivement aux époux à compter de janvier 2013. La rente-pont apparaît dès lors clairement comme étant subsidiaire aux prestations complémentaires AVS/AI. En outre, dans le cadre de la demande de ladite prestation, la CCVD a pris soin de faire signer à C.__ un avis de cession des prestations de rente AI et des prestations complémentaires AVS/AI accordées à titre rétroactif. Ainsi, feu A.__ ne saurait se prévaloir du principe de la concordance des droits ancré à l’art. 69 LPGA, lequel présuppose que les prestations soient cumulables (FRÉSARD-FELLAY/FRÉSARD, in Commentaire romand, LPGA, 2018, n° 6 ad art. 69 LPGA).

Il résulte de ce qui précède que les juges cantonaux n’ont pas fait preuve d’arbitraire en confirmant la demande de restitution des prestations de la rente-pont versées à feu A.__ entre le 01.01.2013 et le 31.12.2014.

 

Le TF rejette le recours de feu A.__.

 

Arrêt 8C_469/2021 consultable ici

 

Suisse