9C_291/2023 (f) du 30.01.2024 – Suppression de la rente AI lors du premier octroi à un assuré de plus de 55 ans

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_291/2023 (f) du 30.01.2024

 

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Suppression de la rente AI lors du premier octroi à un assuré de plus de 55 ans

 

A la suite d’un premier refus de prestations de l’assurance-invalidité (avril 2017), l’assuré, né en 1965, a déposé une nouvelle demande de prestations en septembre 2019, en relation avec un accident survenu sur son lieu de travail le 11.03.2019. Il exerçait l’activité de monteur en échafaudages. Après avoir notamment fait verser au dossier celui de l’assureur-accidents et sollicité des renseignements auprès des médecins traitants de l’assuré, l’office AI lui a octroyé une rente entière d’invalidité du 01.03.2020 au 30.11.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 335/22 ap. TF – 83/2023 – consultable ici)

Par jugement du 23.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 6.2.1
Selon la jurisprudence, s’il est vrai que des facteurs tels que l’âge, le manque de formation ou les difficultés linguistiques jouent un rôle non négligeable pour déterminer dans un cas concret les activités que l’on peut encore raisonnablement exiger d’un assuré, ils ne constituent pas, en règle générale, des circonstances supplémentaires qui, à part le caractère raisonnablement exigible d’une activité, sont susceptibles d’influencer l’étendue de l’invalidité, même s’ils rendent parfois difficile, voire impossible la recherche d’une place et, partant, l’utilisation de la capacité de travail résiduelle (arrêt 9C_774/2016 du 30 juin 2017 consid. 5.2 et la référence).

Consid. 6.2.2
En l’espèce, âgé de 55 ans au moment où il a été examiné par les médecins de la clinique de réadaptation en août 2020 (sur le moment où la question de la mise en valeur de la capacité [résiduelle] de travail pour un assuré proche de l’âge de la retraite sur le marché de l’emploi doit être examinée, voir ATF 138 V 457 consid. 3.3), l’assuré n’avait pas encore atteint l’âge à partir duquel la jurisprudence considère généralement qu’il n’existe plus de possibilité réaliste de mise en valeur de la capacité résiduelle de travail sur un marché du travail supposé équilibré (sur ce point, voir ATF 143 V 431 consid. 4.5.2). C’est donc à bon droit que la juridiction cantonale n’a pas appliqué cette jurisprudence en l’occurrence.

Les juges cantonaux ont en revanche expliqué de manière convaincante que les limitations fonctionnelles retenues par les médecins de la clinique de réadaptation (épaule gauche: pas de port de charges lourdes répétitif ni de travail prolongé ou répétitif avec le membre supérieur gauche au-dessus du plan des épaules et en porte-à-faux; rachis: éviter les activités nécessitant le maintien prolongé du tronc en porte-à-faux, les flexions et torsions répétées du tronc et le port de charges lourdes) ne présentaient pas de spécificités telles qu’elles rendraient illusoire l’exercice d’une activité professionnelle. Ils ont exposé à cet égard que le marché du travail offrait un large éventail d’activités légères, dont un certain nombre étaient adaptées aux limitations de l’assuré et accessibles sans aucune formation particulière. Au regard de la liste des activités compatibles avec les limitations fonctionnelles de l’assuré établie par l’office intimé (travail simple et répétitif dans le domaine industriel léger, par exemple montage, contrôle ou surveillance d’un processus de production, ouvrier à l’établi dans des activités simples et légères, ouvrier dans le conditionnement), on constate en effet que la juridiction de première instance n’a pas violé le droit en admettant qu’il existait de réelles possibilités d’embauche sur le marché équilibré de l’emploi (à ce sujet, voir arrêt 9C_286/2015 du 12 janvier 2016 consid. 4.2 et les arrêts cités). Quant à l’absence de formation de l’assuré et à sa maîtrise imparfaite du français, elles ne constituent pas un obstacle à l’exercice des activités adaptées entrant en ligne de compte en l’occurrence (arrêts 9C_344/2015 du 25 novembre 2015 consid. 2.3; 9C_426/2014 du 18 août 2014 consid. 4.2). En conséquence, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations de la juridiction cantonale quant à l’exigibilité d’une capacité de travail totale dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assuré dès le mois d’août 2020.

Consid. 6.3.1
[…] Par ailleurs, en ce qu’il requiert l’application du TA1_skill_level, total hommes, niveau de compétence 1 dans le secteur de l’industrie manufacturière (ligne 10-33; salaire mensuel de 5’462 fr.), l’assuré perd de vue que dans le domaine de l’assurance-invalidité, il convient de déterminer le revenu avec invalidité en se fondant, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans le tableau TA1_tirage_skill_level, à la ligne « total secteur privé » (arrêt 9C_325/2022 du 25 mai 2023 consid. 6.2 et les références), soit un salaire mensuel de 5’261 fr. selon l’ESS 2020, respectivement de 5’417 fr. selon l’ESS 2018. Au demeurant, on ne voit pas en quoi la prise en compte du salaire applicable au secteur de l’industrie manufacturière (ligne 10-33; salaire mensuel de 5’462 fr. selon l’ESS 2020, respectivement de 5’614 fr. selon l’ESS 2018) pour déterminer le revenu avec invalidité serait plus favorable à l’assuré que l’application du salaire correspondant à la ligne « total secteur privé » (salaire mensuel de 5’261 fr. selon l’ESS 2020, respectivement de 5’417 fr. selon l’ESS 2018), dès lors que le salaire mentionné à la ligne 10-33 est supérieur à celui figurant à la ligne « total secteur privé ».

Consid. 6.4
En définitive, les considérations des juges cantonaux quant à un taux d’invalidité de 6% (résultant de la comparaison entre un revenu sans invalidité de 69’108 fr. et un revenu avec invalidité de 65’023 fr. 75, tenant compte d’un abattement de 5%) doivent être confirmées. Ce taux est insuffisant pour maintenir le droit à une rente de l’assurance-invalidité.

 

Consid. 7.2
Selon la jurisprudence à laquelle se réfère l’assuré, dûment rappelée par les juges cantonaux, il existe des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans révolus ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cette jurisprudence qui est également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5), ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, les organes de l’assurance-invalidité doivent vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel, même si ce dernier a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste (cf. arrêts 9C_211/2021 du 5 novembre 2021 consid. 3.1; 9C_276/2020 du 18 décembre 2020 consid. 6 et les arrêts cités). Des exceptions ont déjà été admises lorsque la personne concernée avait maintenu une activité lucrative malgré le versement de la rente – de sorte qu’il n’existait pas une longue période d’éloignement professionnel – ou lorsqu’elle disposait d’emblée de capacités suffisantes lui permettant une réadaptation par soi-même (arrêts 8C_582/2017 du 22 mars 2018 consid. 6.3; 9C_183/2015 du 19 août 2015 consid. 5).

Consid. 7.3
Il est constant que l’assuré, né en 1965, était âgé de plus de 55 ans lorsqu’il a été mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité limitée dans le temps par décision du 27.05.2021 (concernant le moment auquel il convient de déterminer si l’âge de référence de 55 ans est atteint [date de la décision de l’office AI], cf. ATF 148 V 321 consid. 7.3). Il appartient donc à la catégorie d’assurés dont il convient de présumer qu’ils ne peuvent en principe pas entreprendre de leur propre chef tout ce que l’on peut raisonnablement attendre d’eux pour tirer profit de leur capacité résiduelle de travail.

Or en l’espèce, l’office AI n’a pas examiné si l’assuré avait besoin de mesures d’ordre professionnel, ni ne lui en a partant proposées, avant de statuer sur son droit à une rente d’invalidité limitée dans le temps, comme cela ressort du reste de ses déterminations adressées à la juridiction cantonale le 30.11.2021. Dans ce contexte, en présumant que l’intéressé aurait de toute façon refusé de telles mesures à supposer que l’office AI lui en eût proposées, de sorte qu’elles étaient vaines car vouées à l’échec, les juges cantonaux ont commis une violation du droit en ne faisant pas une application correcte de la jurisprudence (consid. 7.2 supra). A cet égard, on rappellera que la motivation de l’assuré par rapport aux mesures de réadaptation doit faire l’objet d’un examen approfondi (arrêt 8C_235/2019 du 20 janvier 2020, consid. 3.2.3). En l’occurrence, un tel examen n’a pas eu lieu, la juridiction cantonale s’étant bornée à déduire une absence de volonté subjective de l’assuré à participer à des mesures d’ordre professionnel de son attitude au cours des thérapies mises en œuvre lors de son séjour à la clinique de réadaptation durant les mois de juillet et août 2020 (difficultés à se mobiliser et participation faible). En l’état, il n’apparaît par ailleurs à première vue pas vraisemblable que l’assuré puisse reprendre du jour au lendemain une activité lucrative à 100% sans que ne soient mises préalablement en œuvre des mesures destinées à l’aider à se réinsérer dans le monde du travail. A ce propos, c’est à bon droit que l’instance précédente a considéré que l’argumentation développée par l’office AI dans son écriture du 30.11.2021, selon laquelle les nombreux métiers exercés par l’assuré sont significatifs d’une « grande capacité d’adaptation », n’était pas déterminante, dès lors que l’intéressé est une personne sans formation professionnelle, qui a exercé en dernier lieu une activité de monteur en échafaudages pendant plus de vingt ans. La cause doit dès lors être renvoyée à l’office AI afin qu’il examine concrètement le besoin de mesures de réadaptation avant la suppression de la rente de l’assuré. Il y a ainsi lieu d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il porte sur la suppression du droit à la rente d’invalidité au 30.11.2020.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_291/2023 consultable ici

 

 

Remarques :
La jurisprudence relative aux personnes assurées de plus de 55 ans ne concerne que le domaine de l’assurance-invalidité et non l’assurance-accidents.

 

8C_163/2023 (d) du 07.02.2024 – Revenu sans invalidité selon l’ESS – Résiliation du contrat de travail pour des raisons indépendantes à l’état de santé – Employeur ayant fait faillite

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_163/2023 (d) du 07.02.2024

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Détermination du revenu sans invalidité selon l’ESS – Résiliation du contrat de travail pour des raisons indépendantes à l’état de santé – Employeur ayant fait faillite / 16 LPGA

Allocations familiales non comprises dans le revenu sans invalidité

Niveau de compétences 1 en l’absence de formation professionnelle achevée – Expérience professionnelle écartée

 

Assuré, né en 1975, employé depuis le 01.05.2013 par la société B.__ AG en tant que monteur d’échafaudages, a subi un accident le 18.12.2014 (a sauté au sol depuis une hauteur d’un mètre en démontant un échafaudage). Diagnostic initial : traumatisme en supination de l’articulation talo-calcanéenne supérieure droite.

Le 07.01.2016, l’employeur a licencié l’assuré avec effet immédiat pour des raisons sans rapport avec son état de santé. En septembre de la même année, la société a été déclarée en faillite.

Par décision du 29.04.2021, l’assurance-accidents a octroyé dès le 01.04.2021 une rente d’invalidité fondée sur un taux de 30% et une IPAI de 25%. L’opposition a été admise partiellement, le taux d’invalidité étant porté à 31%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 01.02.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Pour déterminer le revenu hypothétique réalisable sans atteinte à la santé, il est déterminant de savoir ce que la personne assurée aurait gagné au moment déterminant (début de la rente ; cf. ATF 135 V 58 consid. 3.1) sur la base de ses capacités professionnelles et de sa situation personnelle, au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 145 V 141 consid. 5.2.1), et non ce qu’elle pourrait gagner dans le meilleur des cas (ATF 135 V 58 consid. 3.1).

En règle générale, on se fonde sur le dernier salaire réalisé avant l’atteinte à la santé, adapté si nécessaire au renchérissement et à l’évolution réelle du revenu, , en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Des exceptions ne sauraient être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2 p. 30; 135 V 58 consid. 3.1 p. 59 et la référence). Ce n’est que lorsque les circonstances réelles ne permettent pas de chiffrer le revenu sans invalidité avec suffisamment de précision qu’il est possible de recourir à des valeurs statistiques telles que les enquêtes sur la structure des salaires (ESS) publiées par l’Office fédéral de la statistique, pour autant que les facteurs personnels et professionnels déterminants pour la rémunération dans le cas d’espèce soient pris en compte (ATF 144 I 103 consid. 5.3 ; 139 V 28 consid. 3.3.2). En particulier lorsque la personne assurée, en bonne santé, ne travaillerait plus à son ancien poste, le revenu de valide doit être déterminé, conformément à la pratique, en faisant application des valeurs statistiques moyennes (arrêt 8C_581/2020 du 3 février 2021 consid. 6.3 et les références).

Consid. 3.2.1
La cour cantonale a reconnu que même sans accident, l’assuré n’aurait plus été employé par son dernier employeur. Par conséquent, le revenu sans invalidité de CHF 70’303.83 a été déterminé au moyen de la table TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, niveau de compétence 1, hommes, secteur de la construction (ch. 41-43), adapté au temps de travail hebdomadaire moyen dans le secteur de la construction (41,3 heures) ainsi qu’à l’évolution des salaires nominaux en 2021.

Consid. 3.2.2
Le revenu d’invalide 2021 de CHF 48’732.40 a été déterminé sur la base du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, ligne Total, hommes, niveau de compétence 1, après adaptation de l’horaire hebdomadaire (41,7 heures), à l’évolution du salaire nominal, et prise en compte de la capacité de travail exigible de 75% et enfin d’un abattement de 5% en raison des limitations fonctionnelles.

Consid. 6.1.1
En premier lieu, il convient de rappeler que la date du début de la rente (en l’occurrence le 01.04.2021) est déterminante pour le calcul du revenu sans invalidité (cf. consid. 2.3 supra). Le grief de l’assuré selon lequel la date de l’accident est déterminante est à cet égard dénué de pertinence. Il n’est pas contesté que l’ancien employeur a été mis en faillite en septembre 2016. A cela s’ajoute le fait que celui-ci avait déjà résilié le contrat de travail de l’assuré en janvier 2016 pour des raisons indépendantes de son état de santé. L’assuré n’aurait donc plus travaillé chez son ancien employeur en avril 2021, et ce pour deux raisons. Il ne peut donc pas se prévaloir du fait qu’il y aurait (hypothétiquement) encore travaillé sans atteinte à la santé. Conformément à la jurisprudence, le revenu sans invalidité doit en principe être déterminé au moyen de valeurs statistiques (cf. consid. 2.3 supra).

Consid. 6.1.2
Pour que l’on puisse malgré tout se fonder sur le salaire obtenu auprès de l’ancien employeur, il faudrait établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré aurait continué à l’obtenir dans un autre emploi et que les tables de l’ESS ne sont pas en mesure de fournir à cet égard des résultats plausibles (sur l’ensemble : cf. arrêt 8C_581/2020 du 3 février 2021 consid. 6.1 et 6.3 et les références, in : SVR 2021 UV no 26 p. 123).

Or, l’assuré ne le démontre pas. Il fait valoir qu’il a réalisé en 2014 un revenu de CHF 88’062 auprès de son ancien employeur, revenu qu’il aurait également pu obtenir dans un autre emploi s’il n’y avait pas eu d’accident. Il n’explique pas de manière compréhensible comment il est parvenu à ce salaire pour l’année en question. Quoi qu’il en soit, ce salaire ne ressort pas de l’extrait du compte individuel (CI). Selon ce relevé, il a perçu d’avril à décembre 2014 un salaire de CHF 58’843. Durant les trois autres mois de 2014, il a perçu des indemnités de chômage d’un montant de 12’136 francs.

Dans la mesure où il voudrait se baser, pour le revenu de l’année 2014, sur le gain assuré [ndt : pour la rente] déterminé par l’assurance-accidents, l’assuré oublie d’une part que ce montant a déjà été revalorisé jusqu’en 2020 [ndt : application de l’art. 24 al. 2 OLAA] et ne peut donc pas correspondre au salaire annuel de 2014. D’autre part, les allocations familiales comprises dans le gain assuré ne doivent pas être prises en compte pour le calcul du revenu sans invalidité (arrêt 8C_541/2022 du 8 mai 2023 consid. 3.3 avec référence). Il ne parvient en outre pas à démontrer que son salaire, déduction faite des allocations pour enfants, aurait effectivement augmenté jusqu’en 2021 pour atteindre environ CHF 88’000. En effet, en mars 2018, l’assurance-accidents s’est renseignée auprès de l’ancien employeur sur l’évolution du salaire jusqu’à cette date. Au vu de ses déclarations, le salaire de base qu’elle aurait versé n’aurait augmenté de moins de CHF 1’000 au total entre 2014 et 2018 (salaire de base 2014 par mois : 5’800 francs x 13 ; salaire de base 2018 par mois : 5’848 francs x 13).

L’instance cantonale a démontré de manière convaincante que l’assuré n’aurait pas gagné autant dans un nouvel emploi que chez son ancien employeur. Il ressort de l’extrait du CI qu’avant de travailler pour son dernier employeur, où il était employé depuis le 01.05.2013, il percevait des revenus nettement inférieurs et qu’il avait également été au chômage à plusieurs reprises. A cela s’ajoute le fait que l’assuré ne peut faire état d’une formation professionnelle achevée. Il convient de préciser que ce qui est déterminant en fin de compte n’est pas ce qu’il aurait pu gagner au mieux au moment déterminant en bonne santé, mais ce qu’il aurait pu effectivement gagner au degré de la vraisemblance prépondérante (consid. 2.3 supra). Compte tenu de ce qui précède, la cour cantonale a déterminé le revenu sans invalidité conformément au droit fédéral au moyen de valeurs statistiques basées sur les données de l’ESS (cf. consid. 2.3 et consid. 3.2.1 supra).

L’expérience professionnelle invoquée par l’assuré ne saurait, au regard de l’absence de formation professionnelle achevée, justifier à elle seule le recours au salaire du niveau de compétences 2 (cf. arrêt 8C_728/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.3), comme l’a reconnu à juste titre la cour cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_163/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_163/2023 (d) du 07.02.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/03/8c_163-2023)

 

8C_215/2023 (d) du 01.02.2024 – Revenu d’invalide – Abattement nié (longue absence du marché du travail, âge avancé, connaissances linguistiques insuffisantes, permis B, limitations fonctionnelles)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_215/2023 (d) du 01.02.2024

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu d’invalide – Abattement en raison de la longue absence du marché du travail, de l’âge avancé, de connaissances linguistiques insuffisantes, du permis B et des limitations fonctionnelles (activités légères à moyennement lourdes) nié / 16 LPGA

Revenu sans invalidité d’un assuré d’âge moyen (commentaires et remarques personnelles) / 28 al. 4 OLAA

 

Assuré, né en 1960, travaillait depuis le 01.01.2018 en qualité de nettoyeur pour la société B.__ GmbH, qui a entre-temps été déclarée en faillite. Le 23.06.2019, il s’est blessé au genou gauche lors d’une chute.

Stabilisation de l’état de santé décrété le 10.03.2022, avec fin du versement des frais médicaux et des indemnités journalières au 30.04.2022. Décision du 26.04.2022, confirmée sur opposition : octroi d’une IPAI de 20% et droit à une rente d’invalidité nié.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2022.379 – consultable ici)

Par jugement du 06.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Il n’est pas contesté que tant le revenu d’invalide mais également le revenu sans invalidité – à la suite de la faillite du dernier employeur – doivent être déterminés sur la base de l’ESS 2020. […]

Consid. 4.2
Pour l’année 2022 (début de la rente), l’assurance-accidents a initialement fixé le revenu sans invalidité à CHF 60’558 dans sa décision, en se basant sur le tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, branches économiques 77-82 « Activités de services admin. et de soutien », niveau de compétences 1, hommes. Elle a évalué le revenu d’invalide à CHF 69’061 sur la base du total du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, niveau de compétence 1, hommes, ce qui, comparé au revenu valide, a conduit à un taux d’invalidité de 0%. Dans la décision sur opposition, la Suva a en revanche considéré qu’en raison de l’âge avancé de l’assuré, l’art. 28 al. 4 OLAA s’appliquait, raison pour laquelle il fallait se baser « alternativement » sur le tableau T17 de l’ESS, désormais la plus récente, pour les hommes dans la tranche d’âge entre 30 et 49 ans du groupe professionnel 91 (« aides de ménage »). Il en résulte un revenu sans invalidité de CHF 56’258.65 pour l’année 2022. En ce qui concerne le revenu d’invalide, elle a également procédé à un nouveau calcul sur la base de l’ESS 2020 publiée entre-temps. Sur la base du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2020, ligne Total, il en résulte un revenu annuel de CHF 66’997.15, et sur la base du tableau T17 de l’ESS 2020, secteur 9 « Professions élémentaires », un revenu de CHF 66’548. Sur la base de ces chiffres actualisés, le taux d’invalidité était toutefois toujours de 0%.

L’instance cantonale n’est pas parvenue à une conclusion différente, bien qu’elle n’ait pas été d’accord avec l’assurance-accidents sur tous les points. Pour la comparaison des revenus, elle s’est basée sur le revenu sans invalidité fixé par la Suva dans la décision sur opposition sur la base du tableau T17 de l’ESS 2020 à CHF 56’258.65 et, alternativement, sur un revenu d’invalide de CHF 66’997.15 (sur la base du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2020) ou de CHF 66’548.80 (sur la base du tableau T17 de l’ESS 2020).

Consid. 4.2.1
L’assuré critique les incohérences de l’arrêt cantonal, notamment en ce qui concerne le revenu sans invalidité ; elles sont dues au fait que le tribunal cantonal – contrairement à l’assurance-accidents – a appliqué l’art. 28 al. 4 OLAA dans le cas d’espèce, mais s’est tout de même basé sur un revenu d’un assuré d’âge moyen selon la T17 (alternativement, pour le revenu d’invalide, sur la ligne Total du TA1_tirage_skill_level) pour déterminer les revenus à comparer.

Consid. 4.2.2
La réglementation spéciale de l’art. 28 al. 4 OLAA s’applique dans le domaine de l’assurance-accidents lorsqu’une personne assurée ne reprend plus d’activité lucrative après l’accident en raison de son âge (variante I) ou lorsque la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé (d’environ 60 ans) (variante II). Selon l’art. 28 al. 4 OLAA, dans un tel cas, les revenus déterminants pour la fixation du degré d’invalidité sont ceux qu’un assuré d’âge moyen pourrait obtenir s’il présentait une atteinte à la santé de même gravité. Il est ainsi tenu compte, lors de l’évaluation de l’invalidité, du fait que, outre l’invalidité due à l’accident – en principe seule assurée –, l’âge avancé peut également entraîner des répercussions bien plus importantes sur la capacité de gain (sur l’ensemble : ATF 148 V 419 consid. 7.2 et les références).

Dans les cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA, un abattement en raison de l’âge avancé de la personne assurée n’entre pas en ligne de compte (ATF 148 V 419 consid. 8). La question de savoir si les conditions d’application de la réglementation spéciale de l’art. 28 al. 4 OLAA sont remplies dans le cas présent (selon l’assurance-accidents) ou si leur présence (selon l’instance cantonale) doit être niée (l’assuré lui-même ne s’exprime pas à ce sujet) peut rester ouverte. En effet, comme on le verra plus loin, il n’en résulte pas, d’une manière ou d’une autre, un taux d’invalidité donnant droit à une rente.

Consid. 5.1
Se référant à l’expertise du Bureau BASS SA « Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung » du 08.01.2021 (ci-après : expertise BASS), l’assuré argue que le revenu d’invalide doit être réduit de 15%. Au vu du profil d’exigibilité défini par le médecin-conseil de l’assurance-accidents et en référence à l’avis de droit du 22.01.2021 (« Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung » [ci-après : avis de droit] et des conclusions in « Fakten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen. Schlussfolgerungen aus dem Rechtsgutachten »), il faudrait en outre procéder à un abattement en raison des limitations fonctionnelles. Dans le détail, il en résulterait un abattement de 15% en raison des limitations dues à l’état de santé, de 10% en raison des possibilités de travail limitées et moins bien rémunérées au niveau de compétence 1, de 10% en raison de son âge de 62 ans au moment de la décision, de 5% en raison de la désintégration sur le marché du travail, de 12,4% sur la base de son statut de séjour B, de 10% en raison du manque d’expérience professionnelle en Suisse et dans différentes activités ainsi qu’en raison du manque de connaissances linguistiques. Au total, la déduction maximale possible de 25% devrait donc être accordée.

Consid. 5.2.1
Dans l’ATF 148 V 174, le Tribunal fédéral s’est déjà penché sur les expertises et contributions invoquées par l’assuré et a confirmé la jurisprudence actuelle selon laquelle le revenu d’invalide peut toujours être déterminé à partir de la valeur centrale ou médiane de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 9.2.3 et 9.2.4 ; arrêt 8C_682/2021 du 13 avril 2022 consid. 12.1 s.). Il n’y a pas lieu de revenir en l’espèce sur ce résultat, également important dans le domaine de l’assurance-accidents sociale (arrêt 8C_121/2022 du 27 juin 2022 consid. 5.4.2 in fine et les références). L’assuré ne démontre pas de raisons pour un changement de pratique et de telles raisons ne sont d’ailleurs pas visibles (à ce sujet, cf. ATF 145 V 304 consid. 4.4).

Consid. 5.2.2.1
L’assuré cite ensuite l’éloignement du marché du travail comme l’un des motifs d’abattement sur le revenu d’invalide, n’ayant travaillé en Suisse que pendant huit mois jusqu’à l’accident du 23.06.2019 et n’ayant depuis lors plus exercé d’activité lucrative. La longue absence du marché du travail concerne le critère des années de service, dont l’importance diminue, selon la jurisprudence dans le secteur privé, plus le profil d’exigences à prendre en compte est bas (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc ; arrêt 8C_383/2022 du 10 novembre 2022 consid. 4.2.7 et les références). A cela s’ajoute le fait que, selon la jurisprudence, une longue absence du marché du travail n’a de toute façon pas nécessairement pour effet de diminuer le salaire (cf. arrêt 8C_111/2021 du 30 avril 2021 consid. 4.3.3 et les références). Contrairement aux allégations de l’assuré, on ne peut pas déduire sans autre de la table T15 de l’ESS 2020 que l’ancienneté dans l’entreprise a une influence à la hausse sur le salaire, même pour un travail non qualifié. D’une part, ce tableau ne couvre pas le secteur privé pertinent, mais le secteur privé et le secteur public ensemble, et d’autre part, il ne différencie pas selon le niveau d’exigences (cf. aussi arrêt 8C_361/2011 du 20 juillet 2011 consid. 6.6 concernant le tableau T15 de l’ESS 2008). Dans l’ensemble, l’assuré ne démontre pas et on ne voit pas en quoi un abattement serait néanmoins approprié à cet égard.

Consid. 5.2.2.2
Dans la mesure où l’assuré invoque à nouveau son âge comme facteur d’abattement, la question de savoir si – en dehors du champ d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA – un abattement en raison de l’âge avancé est admissible peut rester ouverte (ATF 148 V 419 consid. 8.3 et les références). A cet égard, il convient de noter avec l’instance cantonale que ce sont précisément les travaux non qualifiés qui sont demandés sur le marché équilibré du travail déterminant, indépendamment de l’âge, et que pour ces activités, un âge avancé n’a pas nécessairement pour effet de diminuer le salaire (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1 et les références ; arrêt 8C_128/2022 du 15 décembre 2022 consid. 6.2.3).

De même, des connaissances linguistiques insuffisantes ne justifient pas, en règle générale, un abattement sur le salaire statistique pour le niveau de compétence 1 applicable en l’espèce (arrêt 8C_703/2021 du 28 juin 2022 consid. 5.3 et la référence). L’assuré n’invoque pas de raisons pour une exception à ce principe. En ce qui concerne le statut d’étranger (permis de séjour B), il n’apparaît pas que celui-ci réduirait considérablement la possibilité pour l’assuré de pouvoir obtenir un salaire moyen sur le marché équilibré du travail qui entre en ligne de compte (cf. également les arrêts 8C_339/2022 du 9 novembre 2022 consid. 6.4.2 et 8C_314/2019 du 10 septembre 2019 consid. 6.2, tous deux avec référence à la table TA12).

Consid. 5.2.2.3
Ce ne sont pas seulement des activités légères qui peuvent être raisonnablement exigées de l’assuré, mais des activités légères à moyennement lourdes, raison pour laquelle aucun abattement sur le revenu statistique n’est en principe justifiée à cet égard (cf. arrêt 9C_449/2015 du 21 octobre 2015 consid. 4.2.4 avec référence). Les limitations qualitatives de la capacité de travail, qui restreignent encore l’éventail des activités pouvant être raisonnablement exigées de lui, ne donnent pas lieu à un abattement de façon systématique (cf. arrêt 9C_312/2022 du 5 janvier 2023 consid. 5.5.2 avec référence à l’ATF 148 V 174). La question de savoir dans quelle mesure les troubles liés à la lésion au genou pourraient avoir des conséquences économiques plus importantes dans le cadre d’une activité adaptée (notamment sans travaux sur terrain accidenté, sur des échelles ou des échafaudages, sans travaux à genoux ou accroupi, sans monter des escaliers de manière répétitive), dans le sens où l’assuré devrait d’emblée s’attendre à une discrimination salariale par rapport à une personne en bonne santé exerçant la même activité, n’est pas exposée de manière substantielle dans le recours et n’est pas non plus facilement identifiable.

Consid. 5.3
En résumé, l’instance cantonale n’a pas violé le droit fédéral en refusant une « déduction préalable » forfaitaire et un abattement supplémentaire sur le revenu d’invalide. Si aucun abattement n’entre en ligne de compte pour le revenu d’invalide, la comparaison avec le revenu sans invalidité aboutit, dans toutes les variantes de calcul envisagées jusqu’ici (cf. consid. 4.2 supra), à un taux d’invalidité excluant l’octroi d’une rente.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_215/2023 consultable ici

 

Remarques/Commentaires

S’agissant du revenu sans invalidité d’un assuré d’âge moyen (art. 28 al. 4 OLAA), le recours au tableau T17 semble critiquable. En effet, cette table se rapporte au secteur privé et secteur public ensemble, contrairement à la table TA1_tirage_skill_level (secteur privé uniquement). Puisque le revenu d’invalide est déterminé sur la base du secteur privé uniquement (TA1_tirage_skill_level), il semble plus approprié de recourir au même secteur économique pour évaluer le revenu sans invalidité. Ainsi, à mon sens, le revenu sans invalidité dans la décision initiale me semble moins critiquable (TA1_tirage_skill_level, branches 77-82 « Activités de services admin. et de soutien », niveau de compétences 1). De surcroît, comme le Tribunal fédéral le relève lui-même au consid. 5.2.2.1, seul le secteur privé pertinent.

Dans un souci de cohérence, soit la personne assurée a accès au secteur privé et au secteur public et il convient de déterminer le revenu sans invalidité sur la base de la T17 et le revenu d’invalide sur la base de la T1_tirage_skill_level (secteur privé et secteur public ensemble), soit elle n’a accès qu’au secteur privé et les revenus à comparer sont déterminés sur la base du seul secteur privé (TA1_tirage_skill_level).

On rappellera encore que les revenus statistiques des hommes et des femmes ressortant de la table TA1_tirage_skill_level correspondent à ceux obtenus par l’ensemble des travailleurs, respectivement des travailleuses, quel que soit leur âge. On peut admettre que les revenus par niveau de compétences et branches économiques correspondent à ceux d’un·e travailleur·euse d’âge moyen.

Pour l’abattement sur le revenu d’invalide, le critère de la nationalité et l’autorisation de séjour mériterait à l’occasion une appréciation claire de la part du Tribunal fédéral. Comme l’a encore relevé l’OFS dans son communiqué de presse pour les premiers résultats de l’ESS 2022, les salaires varient fortement selon les permis de séjour. Pour les postes de travail n’exigeant pas de responsabilité hiérarchique, la rémunération des salariés de nationalité suisse (CHF 6’496) est supérieure aux salaires versés à la main-d’œuvre étrangère (CHF 5’300 pour les permis B, CHF 5’787 pour les permis C et CHF 5’859 pour les permis G). La différence atteignant au moins 5% (cf. a contrario l’ATF 146 V 16), cet élément statistique devrait être pris en compte. Cela étant, il est probable que notre Haute Cour rappelle que le permis de séjour et/ou la nationalité de la personne assurée ne constituent pas per se un facteur de réduction du salaire statistique. L’effet du critère «nationalité / autorisation de séjour» doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels, tels que la formation et l’expérience professionnelle de la personne assurée concernée (cf. David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022, ch. 255).

 

Proposition de citation : 8C_215/2023 (d) du 01.02.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/03/8c_215-2023)

 

8C_548/2023 (d) du 21.02.2024 – Notion d’accident – Acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance – 4 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_548/2023 (d) du 21.02.2024

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges, non pulié)

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Notion d’accident – Acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance / 4 LPGA

Traumatisme psychique – Effroi – Schreckereignis – Absence de souvenirs

Evénement d’une grande violence survenu en présence de la personne assurée

 

Assurée, née en 1993, a déposé une plainte pénale contre inconnu le 25.10.2021 pour acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance («Schändung»), en indiquant avoir été victime d’une agression sexuelle le 24.10.2021 par un homme qu’elle ne connaissait pas. Par décision du 28.03.2022, le ministère public a suspendu la procédure pénale, l’auteur n’ayant pas pu être identifié malgré d’importants efforts.

L’assurée a déclaré l’accident le 29.11.2021 en raison de l’agression sexuelle dénoncée. Par décision du 26.07.2022, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié l’existence d’un accident.

 

Procédure cantonale (nb : arrêt non disponible sur le site du tribunal cantonal)

Par jugement du 25.07.2023, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Comme l’a exposé à juste titre l’instance cantonale, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La jurisprudence et la doctrine ont toujours reconnu les influences soudaines sur le psychisme dues à la peur comme des atteintes au corps humain (au sens de la notion d’accident en vigueur) et ont développé des règles particulières pour leur traitement dans le cadre de l’assurance-accidents. Selon ces règles, la présomption d’un accident présuppose qu’il s’agisse d’un événement extraordinairement effrayant, lié à un choc psychique correspondant ; le traumatisme psychique doit être le résultat d’un événement d’une grande violence survenu en présence de la personne assurée et que l’événement dramatique est propre à provoquer des effets de peur et d’effroi typiques (tels que paralyses, battements de cœur, etc.) même chez une personne moins capable de supporter certains chocs nerveux (ATF 129 V 177 consid. 2.1 ; SVR 2020 UV NR. 21 p. 83, 8C_600/2019 consid. 3.1 ; SVR 2019 UV Nr. 20 S. 71, 8C_609/2018 consid. 2.2). L’ancien Tribunal fédéral des assurances, respectivement l’actuel Tribunal fédéral, a confirmé cette jurisprudence à plusieurs reprises et l’a précisée en ce sens que, même en cas de frayeur («Schreckereignis»), la réaction d’une personne en bonne santé (psychique) ne peut pas servir de critère de comparaison, mais que, dans ce contexte, il faut également se baser sur un «cercle plus large» d’assurés. En même temps, le Tribunal fédéral a souligné, en se référant à la notion d’accident (ATF 118 V 59 consid. 2b et 2a; cf. ATF 122 V 230 consid. 1 et les références), que le caractère extraordinaire de l’atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Dès lors il importe peu que le facteur extérieur ait entraîné des conséquences graves ou inattendues (ATF 129 V 177 consid. 2.1 ; SVR 2019 UV Nr. 20 S. 71, 8C_609/2018 consid. 2.2.2). Entrent par exemple dans cette catégorie les catastrophes dues à un incendie ou à un tremblement de terre, les accidents de chemin de fer ou d’avion, les graves collisions de voitures, les effondrements de ponts, les bombardements, les brigandages ou autres dangers de mort subite ainsi que les raz-de-marée, dans lesquels, contrairement à ce qui se passe dans le cadre des accidents « habituels », la situation de stress psychique est au premier plan, alors qu’aucune importance (décisive) ne peut être accordée aux conséquences somatiques. Des exigences strictes doivent être posées en ce qui concerne la preuve des faits qui ont déclenché le traumatisme psychique («Schreckereignis»), le caractère exceptionnel de cet événement ainsi que le choc psychique subi (SVR 2019 UV Nr. 20 S. 71, 8C_609/2018 E. 2.2; SVR 2016 UV Nr. 29 S. 95, 8C_167/2016 E. 2.2 et les références ; cf. également ANDRÉ NABOLD in: Kommentar zum Schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, N. 35 zu Art. 6 et les références).

Consid. 3.2
Dans l’arrêt 8C_412/2015 du 5 novembre 2015, le Tribunal fédéral a eu à juger d’un délit sexuel au cours duquel l’assurée a dû subir des actes sexuels (caresses sur les seins, pénétration répétée du vagin avec un doigt et baisers sur la bouche, le cou et la poitrine) de la part de l’auteur dans le compartiment des couchettes d’un train de nuit, sa résistance ayant été maîtrisée par la force. L’auteur a été définitivement condamné pour viol en Allemagne. Le Tribunal fédéral a considéré qu’il importait peu que l’agression sexuelle tombe sous le coup de la norme de l’art. 189 CP (contrainte sexuelle) en droit pénal suisse, d’autant plus qu’une contrainte sexuelle peut également représenter pour la victime une atteinte aussi grave qu’un viol. Il est donc sans importance que l’assurée ait dû ou non s’attendre à ce que le rapport sexuel soit consommé et que l’acte ait été accompagné de blessures physiques. Un tel acte a incontestablement déclenché une réaction immédiate de peur et d’effroi. Il s’agit – également au regard de la question soulevée par la cour cantonale de la soudaineté – d’un événement extraordinaire propre à susciter l’effroi répondant à la notion d’accident (SVR 2016 UV n° 11 p. 33, 8C_412/2015 consid. 6.1 ; cf. également U 193/06 du 20 octobre 2006 concernant une contrainte sexuelle ; cf. sur le viol en tant qu’accident : MYRIAM SCHWENDENER, Sexuelle Gewalt als Unfall, in: Jusletter vom 5. März 2007; MYRIAM SCHWENDENER, Vergewaltigung, Eine opferhilferechtlich relevante Straftat als sozialversicherungsrechtlicher Unfall, in: Martin Eckner/Tina Kempin [Hrsg.], Recht des Stärkeren – Recht des Schwächeren, 2005, S. 337 ff.).

Consid. 3.3
En ce qui concerne le critère – contesté en l’espèce – de l’événement survenu en présence de la personne assurée, il convient de se référer aux jugements suivants : Un événement terrifiant («Schreckereignis») a par exemple été nié dans un cas où la mère a retrouvé son fils qui avait été victime d’un homicide. Le fait que l’homicide ne s’était pas déroulé en sa présence immédiate était déterminant (RKUV 2000 n° U 365 p. 89, U 24/98 consid. 3). Dans l’arrêt U 273/02, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a jugé que l’assuré soit dans la centrale de commande d’une usine d’incinération et que la chute d’un collègue de travail soit survenue dans le four de la chambre de combustion de l’usine d’incinération des déchets ne répondait pas à la notion d’accident, en l’absence de la présence immédiate de l’assuré (RAMA 2004 n° U 497 p. 153, U 273/02 consid. 3.2). Dans l’arrêt 8C_376/2013, le Tribunal fédéral a eu à juger le cas d’un conducteur de locomotive qui, tôt le matin, a remarqué depuis sa cabine de conduite un objet gris allongé sur la voie ferrée qu’il a pris pour un tuyau ou quelque chose de similaire et qui, après avoir ressenti un léger grondement («leichten Rumpeln»), a été informé qu’il était entré en collision avec une personne allongée au sol qui avait subi des blessures mortelles. Le Tribunal fédéral a également nié l’immédiateté requise pour la reconnaissance d’un traumatisme psychique en tant qu’accident, au motif qu’il n’y avait pas de danger pour l’assuré lui-même ni de perception d’un événement effrayant ou de ses conséquences. Selon le Tribunal fédéral, il s’avère ainsi que l’incident en soi n’a pas eu d’effet psychique violent sur l’assuré. L’effroi aurait été provoqué uniquement par l’idée et la conscience ultérieure d’avoir renversé une personne allongée sur les rails (arrêt 8C_376/2013 du 9 octobre 2013 consid. 4.2). Dans l’arrêt 8C_609/2018, le Tribunal fédéral a nié l’existence d’un traumatisme psychique répondant à la notion d’accident, car l’assuré, qui s’était trouvé devant un « beach club » à l’occasion de l’attentat terroriste à Nice, n’avait pas été blessé et n’avait ni vu directement l’attentat ni assisté à la fusillade qui s’en était suivie entre la police et l’auteur de l’attentat. Au contraire, il avait seulement remarqué que quelque chose avait dû se passer lorsque des personnes sur la plage s’étaient précipitées vers le « beach club » devant lequel il se trouvait et avaient poussé des cris (SVR 2019 UV n° 20 p. 71, 8C_609/2018 consid. 3.2).

Consid. 4.1
En l’espèce, selon le rapport de police du 05.01.2022, l’assurée a porté plainte le 25.10.2021 contre inconnu pour acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance («Schändung»). Elle a indiqué que le samedi soir 23.10.2021, elle s’était rendue en ville de Zurich avec les transports publics pour sortir. Après minuit, elle s’est rendue dans un club avec un collègue. Son compagnon serait parti vers 04h00. Elle aurait quitté le club probablement seule vers 07h00 et se serait rendue dans la rue U.__. Elle ne se souvient pas d’autres détails et s’est réveillée quelques heures plus tard dans son propre lit, dans son appartement, vêtue seulement d’un T-shirt. Un homme qu’elle ne connaissait pas se trouvait à côté d’elle dans le lit. Lorsque celui-ci s’est réveillé en même temps qu’elle, il s’est habillé et a quitté l’appartement. Elle n’avait aucun souvenir des heures précédentes. Ensuite, en se douchant, elle a remarqué des résidus de préservatif dans son vagin. Cette description a fait naître le soupçon que l’auteur inconnu avait eu des rapports sexuels avec elle, après l’avoir probablement rendue inapte à la résistance avec des gouttes «KO».

Consid. 4.2
Sur la base de l’appréciation des moyens de preuve disponibles, la cour cantonale est arrivée à la conclusion qu’il ne faisait aucun doute que l’assurée, en état d’incapacité de résistance, avait dû subir un acte sexuel par un inconnu lors de l’événement en question du 24.10.2021 et qu’elle avait donc été victime d’un acte d’ordre sexuel en étant incapable de discernement ou de résistance («Schändung»). L’assurance-accidents ne peut pas être suivie lorsqu’elle estime que l’événement en question n’était pas un événement effrayant au sens de la jurisprudence, car il faut partir du principe que l’incident violent au sens d’une agression sexuelle ne s’est pas produit en sa présence immédiate. Selon le tribunal cantonal, l’assurée ne se souvient certes plus des détails, mais a tout de même de quelques images de l’événement. Il faut donc partir du principe que l’agression sexuelle a été vécue au moins en partie consciemment. En résumé, la cour cantonale a considéré que l’assurée avait été atteinte dans son autodétermination sexuelle et son intégrité psychique et sexuelle par l’acte d’ordre sexuel commis sur elle en étant incapable de discernement ou de résistance («Schändung»). Cet événement a déclenché chez elle une réaction immédiate de peur et d’effroi et a donc eu un effet soudain sur son psychisme, raison pour laquelle l’événement du 24.10.2021 est un événement extraordinairement effrayant qui remplit la notion d’accident. Le tribunal cantonal a donc renvoyé l’affaire à l’assurance-accidents afin qu’elle procède à une instruction complémentaire s’agissant de la question de savoir si les troubles dont se plaint l’assurée sont en relation de causalité naturelle et adéquate avec l’événement accidentel du 24.10.2021 et qu’elle statue ensuite à nouveau sur le droit aux prestations.

Consid. 4.3
En ce qui concerne le déroulement présumé des faits, l’assurance-accidents ne conteste pas la description faite dans l’arrêt attaqué, selon laquelle l’assurée aurait été victime d’une agression sexuelle. Elle conteste toutefois l’existence d’un événement effrayant («Schreckereignis»), étant donné que l’assurée n’a pas pris conscience de l’événement et que le critère de la soudaineté n’est donc pas rempli.

Consid. 5
Comme l’assurance-accidents part également du principe que l’assurée a été victime d’un acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance, il n’est pas nécessaire de s’étendre sur ce point. En revanche, il est contesté que l’assurée ait eu connaissance ou non de cet acte.

Consid. 5.1
Selon la règle dite des « premières déclarations ou des déclarations de la première heure », les déclarations spontanées de la personne assurée semblent plus fiables que les descriptions ultérieures qui peuvent être influencées – consciemment ou non – par des considérations de droit des assurances ou autres, raison pour laquelle la préférence doit être accordée aux premières (cf. ATF 143 V 168 consid. 5.2.2 ; 121 V 45 consid. 2a ; arrêt 8C_249/2023 du 6 octobre 2023 consid. 4.3.2 et les références).

Consid. 5.2
Comme le fait valoir à juste titre l’assurance-accidents, l’assurée a indiqué à plusieurs reprises lors de l’audition du 25.10.2021 par la police qu’elle ne se souvenait plus de rien. Elle n’avait aucun souvenir des heures précédentes et ne pouvait donner aucune indication sur les agressions sexuelles. Interrogée sur ce dont elle se souvenait, l’assurée a expliqué qu’elle s’était réveillée dans son lit le dimanche 24.10.2021, vers 12h00, qu’elle portait le t-shirt de la veille et qu’elle n’avait plus aucun autre vêtement sur elle. Un homme nu, qu’elle ne connaissait pas, était allongé sur son côté gauche. Lorsqu’elle l’a regardé, il s’est réveillé. Il se serait alors levé, se serait habillé et serait parti. Elle a alors pris une douche et a trouvé des morceaux de préservatif dans son vagin. Cela lui a fait tellement peur de ne plus se souvenir de rien, pas même « du sexe ». Le lendemain, elle a appelé son gynécologue, car elle s’inquiétait de sa santé et des risques de maladie. Elle aurait voulu se faire examiner parce qu’elle avait apparemment eu des rapports sexuels et que le préservatif s’était déchiré. L’assurée a également indiqué au médecin qu’elle ne savait pas ce qui s’était passé, car elle ne s’en souvenait pas. Selon le rapport de la clinique de gynécologie de l’hôpital C.__ du 26.10.2021, on ne savait pas avec certitude « quel type de rapport » a eu lieu. A la psychologue D.__, l’assurée a également mentionné qu’elle ne savait pas ce qui s’était passé pendant la nuit. En raison des morceaux de préservatif, il a dû se passer quelque chose, raison pour laquelle elle s’est fait examiner. L’assurée a fait valoir pour la première fois dans son opposition du 17.08.2022 qu’elle se souvenait par bribes des événements et de l’agression, par exemple de l’image de l’inconnu qui s’était penché sur elle, et de l’impuissance et de l’incapacité d’agir qu’elle avait ressenties à ce moment-là. Elle se réfère à cet égard au rapport d’évolution des Drs D.__ et E.__ du 12.07.2022. L’assurée s’en est tenue à cette descriptions dans ses écritures ultérieures.

Consid. 5.3
Selon la règle dite des « premières déclarations ou des déclarations de la première heure » (consid. 5.1 supra) et compte tenu de l’ensemble du dossier, on ne peut pas considérer, contrairement à l’avis de l’instance cantonale, que l’assurée se souvienne par bribes de certaines images de l’événement et qu’elle ait vécu l’acte d’ordre sexuel («Schändung») au moins en partie consciemment. Comme le relève à juste titre l’assurance-accidents, la cour cantonale a fait abstraction des déclarations de l’assurée, faites à réitérées reprises dans le cadre de l’interrogatoire de police et auprès de médecins et de la psychologue, selon lesquelles elle ne se souvenait de rien, même pas « du sexe », qu’elle ne se souvenait pas de ce qui s’était passé, mais qu’elle avait trouvé un préservatif dans son vagin, qu’elle n’était pas sûre de savoir « quel genre de rapport » avait eu lieu et qu’elle n’avait pas réalisé ce qui s’était passé cette nuit-là, mais qu’elle avait pris conscience, en voyant les restes du préservatif, qu’il avait dû se passer quelque chose. Sur la base de ces déclarations, il faut plutôt considérer comme établi que l’assurée n’avait pas perçu l’acte criminel. Les déclarations qu’elle a faites à ce sujet semblent crédibles et on ne voit pas pourquoi elle aurait fait de fausses déclarations à plusieurs reprises. Les descriptions ne peuvent pas être mises en doute par les souvenirs fragmentaires de l’événement, mentionnés pour la première fois dans le rapport d’évolution du 12.07.2022, environ neuf mois après l’événement en question, et auxquels se réfère l’instance cantonale.

Consid. 6.1
D’un point de vue juridique, il faut partir du principe qu’en l’absence de souvenir de l’assurée de ce qui s’est passé, celle-ci n’a pas perçu directement, c’est-à-dire avec ses propres sens, l’acte d’ordre sexuel («Schändung») commise en raison de son état. Elle n’a réalisé les événements que quelques heures plus tard, lorsqu’elle a remarqué des résidus de préservatif dans son vagin en prenant une douche et qu’elle a supposé – selon ses propres dires – qu’il y avait eu un rapport sexuel. Il est tout à fait compréhensible que l’assurée ait subi un choc psychique. Toutefois, le simple fait d’imaginer ce qui aurait pu se passer ne permet pas de remplir la condition de la présence immédiate, au sens de la perception consciente d’un incident violent, nécessaire pour qu’un événement effrayant («Schreckereignis») soit qualifié d’accident. Le Tribunal fédéral s’en tient toutefois à cette règle dans sa jurisprudence constante, comme indiqué au considérant 3.3 ci-dessus. Il l’a encore fait récemment en indiquant que renoncer à l’exigence d’un incident violent se déroulant en présence directe de la personne assurée conduirait à une extension inadmissible de la notion d’accident, dans la mesure où tout effet psychique soudain et extraordinaire suffirait (SVR 2020 UV Nr. 21 S. 83, 8C_600/2019 consid. 3.2 avec référence au RAMA 2000 Nr. U 365 S. 89, U 24/98 consid. 2b in fine). L’assurée n’expose pas non plus, et on ne voit pas aisément, en quoi la jurisprudence devrait être modifiée.

Consid. 6.2
En résumé, le tribunal cantonal a donc violé le droit fédéral en qualifiant l’événement du 24.10.2021 d’accident au sens de l’art. 4 LPGA […]. Le jugement du tribunal cantonal doit donc être annulé et la décision sur opposition du 09.11.2022 doit être confirmée.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_548/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_548/2023 (d) du 21.02.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/03/8c_548-2023)

 

8C_445/2023 (f) du 18.01.2024 – Droit à l’indemnité de chômage pour un enseignant-remplaçant / Perte de travail à prendre en considération – Contrat de travail sur appel et rapports de travail auxiliaire ou occasionnel

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_445/2023 (f) du 18.01.2024

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité de chômage pour un enseignant-remplaçant / 8 LACI

Perte de travail à prendre en considération – Contrat de travail sur appel et rapports de travail auxiliaire ou occasionnel / 11 al. 1 LACI

 

Assuré, au bénéfice d’une formation d’ingénieur en génie civil, a travaillé comme enseignant-remplaçant en mars 2020 et durant l’année scolaire 2020/2021. Les contrats d’engagements de durée déterminée ont été conclus oralement. Le dernier engagement a pris fin le 08.06.2021, date à laquelle il a fonctionné comme expert aux examens de mathématiques pour trois classes.

Le 09.06.2021, l’assuré s’est inscrit auprès de l’ORP et a revendiqué des prestations de la caisse de chômage à compter de cette date. Par décision du 27.09.2021, celle-ci lui a nié le droit à des indemnités de chômage au motif que, durant le délai-cadre de cotisation, soit du 09.06.2019 au 08.06.2021, il avait justifié des remplacements durant une période totale de 8,733 mois, soit une période inférieure aux douze mois requis par la loi. La caisse ne s’est pas prononcée sur la qualification du contrat. L’assuré a fait opposition à cette décision. Il estimait en substance que ce n’étaient pas les jours de cours individuels effectivement accomplis qui devaient être pris en compte comme période de cotisation, mais la totalité de la durée de la relation de travail. Ses griefs ont été rejetés par décision sur opposition du 25.11.2021.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 25.05.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Selon l’art. 8 al. 1 let. e LACI, l’assuré a droit à l’indemnité de chômage s’il remplit les conditions relatives à la période de cotisation ou en est libéré (art. 13 et 14 LACI). Aux termes de l’art. 13 al. 1 LACI, celui qui, dans les limites du délai-cadre prévu à cet effet (art. 9 al. 3 LACI), a exercé durant douze mois au moins une activité soumise à cotisation remplit les conditions relatives à la période de cotisation. En outre, le droit à l’indemnité suppose notamment que l’assuré ait subi une perte de travail à prendre en considération (art. 8 al. 1 let. b LACI). Il y a lieu de prendre en considération la perte de travail lorsqu’elle se traduit par un manque à gagner et dure au moins deux journées de travail consécutives (art. 11 al. 1 LACI).

Consid. 4.2
Selon la jurisprudence, la perte de travail est calculée en règle générale en fonction de l’horaire de travail habituel dans la profession ou le domaine d’activité concernés ou, le cas échéant, en fonction de l’horaire de travail prévu par une convention particulière. En cas de travail sur appel, le travailleur ne subit, en principe, pas de perte de travail, respectivement pas de perte de gain à prendre en considération lorsqu’il n’est pas appelé, car le nombre de jours où il est amené à travailler est considéré comme normal. Exceptionnellement, lorsque les appels diminuent après que l’assuré a été appelé de manière plus ou moins constante pendant une période prolongée (période de référence), une telle perte de travail et de gain peut être prise en considération. Plus les appels ont été réguliers, plus la période de référence sera courte (ATF 146 V 112 consid. 3.3; 107 V 59 consid. 1; arrêts 8C_812/2017 du 23 août 2018 consid. 5.3; 8C_379/2010 du 28 février 2011 consid. 1.2 et les références, in DTA 2011 p. 149).

Consid. 4.3
Sous chiffres B95 ss concernant le contrat de travail sur appel du bulletin LACI IC, dans leur teneur en vigueur depuis 2012, le SECO a établi des critères afin de trancher le point de savoir si l’activité exercée est suffisamment régulière au sens de la jurisprudence précitée. Selon le ch. B97, pour établir le temps de travail normal, on prendra en principe pour période de référence les douze derniers mois ou toute la durée du rapport de travail s’il a duré moins de douze mois; en dessous de six mois d’occupation, il est impossible de déterminer un temps de travail normal. Pour qu’un temps de travail puisse être présumé normal, il faut que ses fluctuations mensuelles ne dépassent pas 20%, en plus ou en moins, du nombre moyen des heures de travail fournies mensuellement pendant la période d’observation de douze mois ou 10% si cette période est de six mois seulement; si la période d’observation est inférieure à douze mois mais supérieure à six, le taux plafond des fluctuations admises sera proportionnellement ajusté; si les fluctuations dépassent ne serait-ce qu’un seul mois le plafond admis, il ne peut plus être question d’un temps de travail normal et, en conséquence, la perte de travail et la perte de gain ne peuvent pas être prises en considération.

Le Tribunal fédéral a admis que la méthode d’évaluation du SECO est appropriée en ce qui concerne les contrats de travail sur appel d’une relativement courte durée (cf. arrêt 8C_417/2013 du 30 décembre 2013 consid. 5.2.2). Pour une activité d’environ deux ans, une période de référence de douze mois a été jugée adéquate (cf. arrêt 8C_379/2010 précité consid. 2.2.3). Dans ce dernier arrêt (consid. 2.3), le Tribunal fédéral a jugé que lorsqu’il s’agit d’examiner une perte de travail éventuelle, les règles applicables aux contrats de travail sur appel le sont également aux rapports de travail auxiliaire ou occasionnel.

 

Consid. 5
En l’espèce, la cour cantonale a relevé qu’aucun contrat de travail n’avait été signé avec l’assuré et que les remplacements avaient été convenus oralement. L’assuré s’était inscrit sur une plateforme de bourse d’emploi permettant à tous les enseignants primaires et secondaires qui souhaitent effectuer des remplacements d’annoncer leurs disponibilités. L’État du Valais avait validé l’inscription de l’assuré pour effectuer des remplacements depuis le 22.08.2019. Toujours selon les juges cantonaux, il ne ressortait pas des pièces qu’une promesse d’heures de remplacements avait été faite. Ainsi, depuis lors, l’assuré pouvait être appelé à effectuer des remplacements en fonction de sa disponibilité. De fait, il avait été amené à pallier les absences de plusieurs professeurs, pour maladie et maternité notamment, pour des périodes plus ou moins longues et à des taux variables en fonction des absences des titulaires. Partant, l’horaire, voire le nombre d’heures de travail, avait été adapté ou modifié régulièrement en fonction des besoins de l’employeur. Dans son écriture, l’assuré s’était d’ailleurs lui-même référé aux règles applicables «lorsque des missions sont effectuées de manière irrégulière dans le cadre d’un seul et même contrat de travail (p. ex. pour le travail sur appel)»; il avait par ailleurs souligné que les enseignants-remplaçants «n’étaient appelés et engagés que pour des contrats de durée limitée en fonction des besoins d’établissement scolaires pour pallier l’absence d’enseignants à court terme» et que cela restait des emplois qui n’offraient «aucune sécurité». La cour cantonale en a déduit qu’il s’agissait clairement d’un cas de travail sur appel, à savoir de travail fourni par le travailleur selon les besoins de l’employeur sans garantie contractuelle d’un degré d’occupation minimum ou revenu minimum de l’employé.

La cour cantonale a ensuite examiné si les conditions permettant de retenir une perte d’emploi pour un travailleur sur appel étaient remplies. A cet effet, elle a déterminé la régularité des remplacements accomplis durant la période ayant précédé la demande de prestations de chômage sur la base des salaires versés. Pour les mois d’août 2020 à juin 2021, les juges cantonaux ont calculé un salaire moyen de 3’903 fr. 80. A l’aune des salaires perçus chaque mois, ils ont constaté que durant cette période, les fluctuations mensuelles avaient souvent dépassé la fourchette admissible de 20%. Dans ces conditions, la perte de travail et de gain subie par l’assuré ne pouvait pas être prise en considération et le droit aux indemnités de chômage ne lui était pas ouvert. A titre superfétatoire, l’instance cantonale a relevé que l’employeur n’avait nullement mis un terme à la possibilité de l’assuré d’accomplir des remplacements après juin 2021. De fait, il les avait repris après les vacances estivales dès la rentrée d’août 2021.

Les conditions du droit au chômage étant cumulatives, les juges cantonaux ont renoncé à examiner la condition de la durée de cotisation ayant fondé le refus de la caisse intimée. Ils ont ainsi rejeté le recours et confirmé la décision sur opposition.

 

Consid. 6.1
L’assuré reproche en premier lieu à l’instance cantonale d’avoir constaté les faits de façon inexacte. Il aurait en effet été engagé pour le congé maternité et allaitement d’une enseignante durant toute l’année scolaire 2020/2021. Il avait ainsi la garantie d’un revenu et d’un taux d’activité minimum de trois périodes hebdomadaires durant toute l’année scolaire. De plus, le 25.04.2022, l’État du Valais avait procédé à l’annualisation de son traitement selon l’art. 54 al. 5 de l’ordonnance cantonale du 20 juin 2012 concernant le traitement du personnel de la scolarité obligatoire et de l’enseignement secondaire du deuxième degré général et professionnel (OTSO; RS/VS 405.30). Cette disposition prévoit que si la durée du même remplacement en cours d’année scolaire est égale ou supérieure à 19 semaines effectives, le remplaçant reçoit le traitement prévu par la loi sur le traitement du personnel de la scolarité obligatoire et de l’enseignement secondaire du deuxième degré général et professionnel du 14 septembre 2011. Le calcul rectificatif se fait à la fin du remplacement. Selon l’assuré, ces éléments permettraient de démontrer qu’il était lié par contrat de durée déterminée d’une année scolaire et que son droit aux indemnités devrait être reconnu.

Consid. 6.2
Lorsqu’il est amené à qualifier ou interpréter un contrat, le juge doit tout d’abord s’efforcer de déterminer la commune et réelle intention des parties, sans s’arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO). S’il y parvient, le juge procède à une constatation de fait qui ne peut être contestée, en instance fédérale, que dans la mesure restreinte permise par l’art. 97 al. 1 LTF. Déterminer ce que les parties savent ou veulent au moment de conclure relève en effet de la constatation des faits (ATF 140 III 86 consid. 4.1). Au stade des déductions à opérer sur la base d’indices, lesquels relèvent eux aussi de la constatation des faits (ATF 139 II 316 consid. 8; 136 III 486 consid. 5; 128 III 390 consid. 4.3.3), le comportement que les cocontractants ont adopté dans l’exécution de leur accord peut éventuellement dénoter de quelle manière ils l’ont eux-mêmes compris, et révéler par là leur réelle et commune intention (ATF 143 III 157 consid. 1.2.2; 132 III 626 consid. 3.1; 129 III 675 consid. 2.3).

Consid. 6.3
L’argumentation de l’assuré devant le Tribunal fédéral apparaît en nette contradiction avec ses allégations devant l’instance cantonale, où il avait mis en avant l’irrégularité de ses activités et l’absence de sécurité de son poste. En toutes hypothèses, la feuille «gérer mes remplacements» à laquelle l’assuré se réfère pour démontrer avoir été engagé pour le congé maternité et allaitement d’une enseignante durant toute l’année scolaire 2020/2021 montre au contraire que ces remplacements ont été octroyés de façon successive. Par ailleurs, l’annualisation du traitement de l’assuré sur la base de l’art. 54 al. 5 OTSO est étrangère à la volonté des parties. Elle relève de la politique de rémunération publique et revêt un caractère automatique dès qu’un remplacement atteint ou dépasse 19 semaines en cours d’année scolaire. L’annualisation du traitement ne saurait ainsi modifier la volonté des parties et, ce faisant, la qualification du contrat. L’assuré échoue à démontrer que les juges cantonaux auraient constaté les faits de façon manifestement inexacte.

 

Consid. 8.1
Finalement, l’assuré considère qu’appliquer la marge de fluctuation de 20% à son cas pour déterminer s’il a subi une perte d’emploi à prendre en considération est insoutenable et viole son droit à l’égalité de traitement (art. 8 Cst.). Il soutient avoir assumé exactement les mêmes tâches et travaillé le même nombre d’heures qu’un enseignant engagé par écrit à l’année; ses heures de travail et son salaire étaient annualisés, toute comme pour un enseignant ordinaire. Or, contrairement à l’assuré, cet enseignant aurait touché les indemnités de chômage s’il les avait sollicitées au même moment. L’ensemble des circonstances indiqueraient que l’assuré était engagé au moyen d’un contrat de durée déterminée et non d’un contrat sur appel. Par ailleurs, les quatorze semaines de vacances impliqueraient obligatoirement un nombre d’heures d’enseignement mensuel effectif variable avec une fluctuation supérieure à 20%. L’instance précédente aurait ainsi violé son droit à l’égalité de traitement et l’interdiction de l’arbitraire (art. 8 et 9 Cst.).

Consid. 8.2
Ce faisant, l’assuré remet à nouveau en question la qualification de son contrat comme contrat de travail sur appel, davantage qu’il ne se plaint d’une violation de son droit à l’égalité de traitement ou de l’interdiction de l’arbitraire. Dans le contrat de travail sur appel proprement dit, l’horaire et la durée du temps de travail sont fixés unilatéralement par l’employeur en fonction de ses besoins et le travailleur doit se tenir à disposition de celui-ci (arrêts 8C_641/2022 du 3 février 2022 consid. 5.2; 8C_318/2014 du 21 mai 2015 consid. 5.1). Or, les éléments mis en avant par l’assuré, à savoir la nature des tâches, le nombre d’heures de travail – par opposition à l’horaire proprement dit ou à la durée de l’engagement – et le salaire perçu, ne permettent pas de remettre en question la qualification opérée par la cour cantonale, respectivement de distinguer un contrat de travail sur appel d’un contrat de durée déterminée.

L’assuré renvoie encore au ch. B112 du bulletin LACI IC. Ce paragraphe indique qu’un enseignant engagé jusqu’aux vacances scolaires pour un remplacement, et qui se retrouve ensuite au chômage, devra faire déduire de la perte de travail les jours de vacances acquis depuis les vacances scolaires précédentes. Si l’assuré en déduit à juste titre qu’un enseignant engagé pour un remplacement peut subir une perte de travail, cela ne modifie pas pour autant la qualification de ses propres rapports de travail.

Enfin, en tant que l’assuré effectue des remplacements sur appel, il se trouve dans une situation différente de celle d’un enseignant ordinaire. Il ne peut ainsi se prévaloir d’une inégalité de traitement en ce qui a trait à la condition de la perte de gain à prendre en considération. Comme l’a relevé la cour cantonale, il faut au demeurant relever que l’employeur n’a pas mis fin au travail sur appel dès lors que les remplacements ont repris à la rentrée d’août 2021. Il semble plutôt que celui-ci n’ait, par la force des choses, pas sollicité l’assuré pendant les vacances scolaires. Le fait que l’intéressé n’est pas appelé durant les périodes de vacances est inhérent à la nature de son contrat de travail sur appel et s’inscrit donc dans son temps de travail normal (cf. arrêt C 304/05 du 20 janvier 2006 consid. 2.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_445/2023 consultable ici

 

Enquête suisse sur la structure des salaires en 2022: premiers résultats

Enquête suisse sur la structure des salaires en 2022: premiers résultats

 

Communiqué de presse de l’OFS du 19.03.2024 consultable ici

 

Au niveau global de l’économie (secteurs privé et public ensemble), le salaire médian pour un poste à plein temps s’élevait en 2022 à 6788 francs bruts par mois. Bien que la pyramide générale des salaires soit restée relativement stable entre 2008 et 2022, il existe d’importantes différences selon les branches économiques et les profils des salariés. Un tiers des salariés (33,6%) a perçu des bonus et 12,1% ont touché un bas salaire. C’est ce qu’indiquent les premiers résultats de l’enquête suisse sur la structure des salaires 2022 réalisée par l’Office fédéral de la statistique (OFS).

 

Commentaires personnelles / Remarques

Les tableaux TA1_skill-level, T1_skill-level et T17 utilisés dans le domaine des assurances sociales, n’a pas encore été publié par l’OFS (probablement au courant de l’été 2024).

Cela étant, les tableaux de l’ESS 2022 publiés ce jour par l’OFS, en particulier le tableau T1_b (Salaire mensuel brut [valeur centrale] selon les divisions économiques, la position professionnelle et le sexe, Secteur privé et secteur public ensemble), font apparaître une augmentation des revenus par rapport à ceux de l’ESS 2020. Le salaire médian était de CHF 6’665 selon l’ESS 2020 et est de CHF 6’788 selon l’ESS 2022. Pour les travailleuses sans fonction de cadre, le revenu médian était de CHF 5’787 selon l’ESS 2020 et est de CHF 5’944 selon l’ESS 2022 ; pour les travailleurs sans fonction de cadre, le revenu médian était de CHF 6’214 selon l’ESS 2020 et est de CHF 6’305 selon l’ESS 2022.

La question est ainsi posée de savoir si les données de l’ESS 2022 du TA1_skill-level notamment seront plus élevées que celles de l’ESS 2020 avec, comme corollaire, un revenu d’invalide plus élevé et un taux d’invalidité plus bas.

 

 

Communiqué de presse de l’OFS du 19.03.2024 consultable ici

 

9C_651/2023 (f) du 22.01.2024 – Valeur probante de l’expertise médicale administrative – 44 LPGA / Expertise médicale judiciaire à charge de l’office AI – 45 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_651/2023 (f) du 22.01.2024

 

Consultable ici

 

Valeur probante de l’expertise médicale administrative / 44 LPGA

Expertise médicale judiciaire à charge de l’office AI – Lien entre défauts de l’instruction administrative et nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire / 45 LPGA

 

A la suite d’un premier refus de prestations AI, l’assuré, né en 1962, a déposé une nouvelle demande de prestations en juillet 2019. Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a soumis l’assuré à une expertise (rapport du Dr B.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, du 29.07.2021) et à un examen neuropsychologique (rapport du neuropsychologue C.__ du 10.03.2021). Par décision du 03.11.2021, il a nié le droit de l’assuré à une rente.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 95/14 – 85/2015 – consultable ici)

Expertise psychiatrique judiciaire mise en œuvre. Dans son rapport du 05.07.2023, la Dre D.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, a retenu les diagnostics d’épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques (F32.2), d’état de stress post-traumatique (F43.1) et de traits de personnalité dépendante; elle a conclu à une incapacité totale de travail dans toute activité depuis 2019.

Invitée à se prononcer sur l’expertise, l’administration a admis que les conclusions de la Dre D.__ sur la capacité de travail pouvaient être suivies et qu’il se justifiait de reconnaître le droit de A.__ à une rente entière d’invalidité depuis le 01.07.2020. L’assuré a conclu à l’octroi d’une rente entière d’invalidité à compter de juillet 2019.

Par jugement du 20.09.2023, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision du 03.11.2021. La cour cantonale a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité depuis le 01.05.2020 et mis les frais de l’expertise judiciaire, à hauteur de 7’105 fr. 69, à la charge de l’office AI.

 

TF

Consid. 3.2
Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d’assurance-invalidité (cf. ATF 139 V 496 consid. 4.3; 139 V 349 consid. 5.4), les frais qui découlent de la mise en œuvre d’une expertise judiciaire peuvent le cas échéant être mis à la charge de l’assurance-invalidité. En effet, lorsque l’autorité judiciaire de première instance ordonne la réalisation d’une expertise judiciaire parce qu’elle estime que l’instruction menée par l’autorité administrative est insuffisante (au sens du consid. 4.4.1.4 de l’ATF 137 V 210), elle intervient dans les faits en lieu et place de l’autorité administrative qui aurait dû, en principe, mettre en œuvre cette mesure d’instruction dans le cadre de la procédure administrative. Dans ces conditions, les frais de l’expertise ne constituent pas des frais de justice au sens de l’art. 69 al. 1bis LAI, mais des frais relatifs à la procédure administrative au sens de l’art. 45 LPGA qui doivent être pris en charge par l’assurance-invalidité. Cette règle ne saurait entraîner la mise systématique des frais d’une expertise judiciaire à la charge de l’autorité administrative. Encore faut-il que l’autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l’expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d’instruction administrative. En d’autres mots, il doit exister un lien entre les défauts de l’instruction administrative et la nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2; arrêt 9C_758/2019 du 4 février 2020 consid. 3.2; sur l’ensemble de la question, cf. aussi ERIK FURRER, Rechtliche und praktische Aspekte auf dem Weg zum Gerichtsgutachten in der Invalidenversicherung, RSAS 2019, p. 14).

Consid. 3.3
En l’espèce, le motif retenu par les juges cantonaux pour mettre les frais d’expertise en question à la charge de l’office AI met en évidence un lien entre des défauts de l’instruction administrative et la nécessité de mandater la Dre D.__. Ils ont considéré qu’il s’était avéré indispensable d’ordonner une expertise judiciaire en raison du fait que celle du Dr B.__ n’était pas probante. A cet égard, on constate, à la suite de la Cour de justice, que le Dr B.__ a rédigé son rapport sans tenir compte du rapport du Dr E.__, spécialiste en neurologie, du 27 mai 2021 (cf. la synthèse du dossier figurant sous le ch. 2 de l’expertise, où le dernier rapport mentionné est celui de la Dre F.__, médecin, du 16.02.2021). Si l’absence de prise en compte du rapport du Dr E.__ peut s’expliquer par le fait que le Dr B.__ a reçu le dossier de l’administration le 09.12.2020 et qu’il a vu l’expertisé le 22.01.2021, en revanche l’expert avait connaissance du rapport du neuropsychologue C.__ du 10.03.2021 au moment où il a rédigé son rapport, le 29.07.2021. A la lecture de l’expertise, on constate en effet que le Dr B.__ a mentionné le rapport du neuropsychologue C.__ dans les sources qu’il a utilisées (cf. ch. 1.3 de l’expertise). Or comme l’a expliqué de manière circonstanciée la juridiction cantonale dans son ordonnance d’expertise du 02.11.2022, le neuropsychologue C.__ avait suggéré, dans son rapport du 10.03.2021, de réaliser un examen neurologique avec une imagerie cérébrale si un doute subsistait quant à une possible étiologie démentielle. En l’occurrence, un tel doute subsistait puisque le Dr E.__ avait indiqué, dans son rapport du 27.05.2021, que le fonctionnement cognitif de l’assuré était très altéré et qu’un début de détérioration dû à une maladie neurodégénérative n’était pas exclu. Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter de la considération de la juridiction cantonale, selon laquelle cet élément remettait sérieusement en doute le diagnostic de majoration des symptômes psychiques et neuropsychologiques pour des raisons psychologiques et/ou simulation de symptômes psychiques et neuropsychologiques posé par le Dr B.__.

On ajoutera que l’instance cantonale a mis en évidence d’autres incohérences contenues dans le rapport du Dr B.__. Elle a notamment exposé de manière convaincante, concernant l’état dépressif de l’assuré, que le Dr B.__ avait exclu la présence d’un trouble dépressif récurrent pour le motif qu’il n’y avait pas eu d’épisode antérieur, alors même qu’il y en avait pourtant eu au moins deux (à savoir une période critique du 16.10.2017 au mois de janvier 2018 et une hospitalisation pour un soutien psychologique du 27.06.2019 au 11.07.2019 en raison d’un trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen à sévère). Partant, quoi qu’en dise l’office AI, ce ne sont pas des motifs d’opportunité qui ont conduit la juridiction cantonale à mettre en œuvre une expertise judiciaire, mais bien le fait que les conclusions du Dr B.__ n’étaient pas assez probantes. Dans ces conditions, l’instruction était lacunaire, de sorte que les frais de l’expertise judiciaire pouvaient être mis à la charge de l’office AI. Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_651/2023 consultable ici

 

Durée maximale de l’indemnisation en cas de réduction de l’horaire de travail

Durée maximale de l’indemnisation en cas de réduction de l’horaire de travail

 

Communiqué de presse du DEFR du 14.03.2024 consultable ici

 

Le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche mène les travaux préparatoires nécessaires pour faire passer de douze à dix-huit mois la durée maximale de l’indemnisation en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT). Il soumettra sa proposition au Conseil fédéral en été si la situation économique n’évolue pas d’ici là. Cette prolongation permettrait aux entreprises confrontées à des difficultés économiques d’avoir plus de temps pour s’adapter à la situation sur le marché. Les conditions générales à remplir pour toucher une indemnité en cas de RHT restent inchangées.

Les entreprises peuvent en règle générale requérir une indemnité en cas de RHT pendant douze mois au plus dans une période de deux ans. La loi donne au Conseil fédéral la possibilité de prolonger de six mois la durée maximale de l’indemnisation lorsque le nombre de préavis de RHT est supérieur à celui de six mois auparavant et que les prévisions du marché du travail de la Confédération pour les douze prochains mois ne laissent pas présager d’amélioration. Selon une première analyse du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), ces conditions sont actuellement remplies. C’est pourquoi le DEFR prépare une prolongation de la durée maximale de l’indemnisation en cas de RHT.

La forte augmentation des prix de l’énergie au début de la guerre en Ukraine a donné lieu à un recours accru aux indemnités en cas de RHT, surtout dans les branches énergivores. Si les prix de l’énergie sont certes redescendus par la suite, la situation conjoncturelle reste compliquée dans plusieurs branches. La prolongation de la durée maximale de l’indemnisation à dix-huit mois permettrait aux entreprises concernées d’avoir plus de temps pour s’adapter à la situation difficile et pour créer d’éventuels débouchés commerciaux.

Sur la base des travaux préparatoires, le Conseil fédéral décidera en été de l’opportunité de prolonger la durée maximale de l’indemnisation. Les autres conditions à remplir pour toucher une indemnité en cas de RHT resteront inchangées. L’indemnité est versée uniquement s’il ressort de l’examen individuel du dossier que toutes les conditions sont satisfaites.

 

Communiqué de presse du DEFR du 14.03.2024 consultable ici

 

Durata massima di riscossione dell’indennità per lavoro ridotto, comunicato stampa del DEFR, 14.03.2024, disponibile qui

Höchstbezugsdauer von Kurzarbeitsentschädigung, Medienmitteilung des WBF, 14.03.2024, hier abrufbar  

 

8C_441/2023 (f) du 21.12.2023 – Remboursement d’indemnités en cas de RHT – Absence de système de contrôle du temps de travail fiable / Demande de remise refusée – Bonne foi niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_441/2023 (f) du 21.12.2023

 

Consultable ici

 

Remboursement d’indemnités en cas de RHT – Absence de système de contrôle du temps de travail fiable / 31 al. 1 LACI – 46b OACI – 25 al. 1 LPGA

Demande de remise refusée – Bonne foi niée

 

 

Le 16.03.2020, A.__ SA (ci-après : la société), qui a pour but social « toutes activités de commerce de tous produits via internet », a déposé auprès de l’Office cantonal de l’emploi (OCE) un préavis de réduction de l’horaire de travail (RHT) du 20.03.2020 au 20.06.2020, pour 20 de ses 25 employés, en estimant la perte de travail à 75%.

L’indemnité en cas de RHT a été octroyée du 20.03.2020 au 19.06.2020. La société a transmis les décomptes signés et datés et a requis les indemnités en cas de RHT. Celles-ci ont été versées pour les mois de mars (73’661 fr. 40), avril (29’922 fr. 80) et mai 2020 (17’939 fr. 55).

Par décision du 30.03.2022, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a demandé à la société de rembourser à la caisse de chômage un montant de 121’523 fr. 75 pour les indemnités versées à tort entre mars et mai 2020. En l’absence d’un système de contrôle du temps de travail fiable ou d’autres documents pouvant justifier que les indemnités avaient été perçues à bon droit, en d’autres termes que la perte de travail était effectivement due à des facteurs d’ordre économique, il était impossible de procéder à une telle vérification, de sorte que le droit à l’indemnité en cas de RHT devait être nié. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une opposition.

Le 30.05.2022, la société a demandé à la caisse de chômage la remise de son obligation de restituer, en invoquant sa bonne foi et le fait qu’un remboursement l’exposerait à une situation de surendettement.

Par décision, confirmée sur opposition, l’OCE a refusé la remise de la somme de 121’523 fr. 75, motif pris que la société ne pouvait pas se prévaloir de sa bonne foi au moment de la perception des indemnités. Celle-ci savait – avant même de percevoir ces indemnités – qu’elle ne possédait pas de système de contrôle du temps de travail, alors que cette obligation ressortait de nombreux documents qu’elle avait signés. Son comportement était constitutif d’une négligence grave excluant la bonne foi.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/424/2023 – consultable ici)

Par jugement du 12.06.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail lorsqu’ils remplissent les conditions décrites à l’art. 31 al. 1 let. a à d LACI. Selon l’art. 31 al. 3 let. a LACI, n’ont notamment pas droit à l’indemnité les travailleurs dont la réduction de l’horaire de travail ne peut pas être déterminée ou dont l’horaire de travail n’est pas suffisamment contrôlable. Aux termes de l’art. 46b OACI, la perte de travail n’est suffisamment contrôlable que si le temps de travail est contrôlé par l’entreprise (al. 1); l’employeur conserve les documents relatifs au contrôle du temps de travail pendant cinq ans (al. 2).

Consid. 3.2.1
Aux termes de l’art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées (première phrase); la restitution ne peut être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile (seconde phrase). Ces deux conditions matérielles sont cumulatives et leur réalisation est nécessaire pour que la remise de l’obligation de restituer soit accordée (ATF 126 V 48 consid. 3c; arrêt 8C_207/2023 du 7 septembre 2023 consid. 3.3 et l’arrêt cité).

Consid. 3.2.2
Selon la jurisprudence, l’ignorance, par le bénéficiaire des prestations, du fait qu’il n’avait pas droit aux prestations ne suffit pas pour admettre sa bonne foi. Il faut bien plutôt que le requérant ne se soit rendu coupable, non seulement d’aucune intention malicieuse, mais aussi d’aucune négligence grave. Il s’ensuit que la bonne foi, en tant que condition de la remise, est exclue d’emblée lorsque les faits qui conduisent à l’obligation de restituer – comme par exemple une violation du devoir d’annoncer ou de renseigner – sont imputables à un comportement dolosif ou à une négligence grave. On parlera de négligence grave lorsque l’ayant droit ne se conforme pas à ce qui peut raisonnablement être exigé d’une personne capable de discernement dans une situation identique et dans les mêmes circonstances (ATF 110 V 176 consid. 3d; arrêt 8C_34/2022 du 4 août 2022 consid. 4.2). En revanche, le bénéficiaire peut invoquer sa bonne foi lorsque l’acte ou l’omission fautifs ne constituent qu’une violation légère de l’obligation d’annoncer ou de renseigner (ATF 138 V 218 consid. 4; 112 V 97 consid. 2c; arrêt 8C_34/2022 consid. 4.2 précité).

Les comportements excluant la bonne foi ne sont pas limités aux violations du devoir d’annoncer ou de renseigner; peuvent entrer en ligne de compte également d’autres comportements, notamment l’omission de se renseigner auprès de l’administration (arrêt 9C_318/2021 du 21 septembre 2021 consid. 3.1). La mesure de l’attention nécessaire qui peut être exigée doit être jugée selon des critères objectifs, où l’on ne peut occulter ce qui est possible et raisonnable dans la subjectivité de la personne concernée (faculté de jugement, état de santé, niveau de formation etc.; ATF 138 V 218 consid. 4). L’examen de l’attention exigible d’un ayant droit qui invoque sa bonne foi relève du droit et le Tribunal fédéral revoit librement ce point (ATF 122 V 221 consid. 3; 102 V 245 consid. b; arrêt 8C_557/2021 du 17 février 2022 consid. 4).

Consid. 5.2
Selon les faits constatés par les juges cantonaux, la société n’a mis en place aucun système de contrôle du temps de travail de ses collaborateurs pour lesquels elle a requis des indemnités en cas de RHT. Elle ne le conteste pas. Il est également constant que son attention a été attirée à maintes reprises sur son obligation d’effectuer un contrôle du temps de travail. Le préavis de RHT, la décision de l’OCE du 18.03.2020 ainsi que les décomptes de mars à mai 2020 mentionnaient clairement que la société devait instaurer un tel contrôle (au moyen par exemple de cartes de timbrage ou de rapports sur les heures) portant sur les heures de travail fournies quotidiennement, les heures perdues pour des raisons économiques et tout autre type d’absence. Ces informations détaillées ne pouvaient pas laisser penser à un employeur consciencieux qu’il pouvait être renoncé à l’introduction d’un système permettant d’attester les heures effectives de travail quotidiennes. La société recourante admet d’ailleurs avoir cherché à installer un tel système. En tant qu’elle soutient que l’administration aurait été saturée au début de la crise sanitaire, à tel point qu’il n’aurait pas été possible de se renseigner auprès de l’OCE, elle s’écarte des faits retenus dans l’arrêt entrepris, sans expliquer, conformément aux exigences de motivation posées par la loi, en quoi les constatations des juges cantonaux seraient manifestement inexactes ou incomplètes. Au demeurant, rien n’indique qu’à cette période, le site internet et/ou les lignes téléphoniques de l’OCE aient été surchargés au point que la société n’aurait pas pu obtenir des renseignements.

Ainsi, malgré la crise sanitaire et les difficultés qui y étaient liées, la société a été dûment informée de ses obligations de contrôle du temps de travail. Il lui était en outre loisible de requérir de plus amples informations auprès de l’OCE, notamment au moment où elle aurait pris conscience des entraves liées à la mise en place d’un système de contrôle. On ajoutera qu’il n’était pas exigé qu’elle aménageât un système complexe et/ou coûteux. Les heures de travail ne doivent en effet pas nécessairement être enregistrées mécaniquement ou électroniquement; une présentation suffisamment détaillée et un relevé quotidien en temps réel des heures de travail au moment où elles sont effectivement accomplies suffisent (arrêt 8C_699/2022 du 15 juin 2023 consid. 5.1.2 et les arrêts cités). On ne voit pas que les difficultés engendrées par la crise sanitaire aient pu faire obstacle à un simple relevé quotidien des heures de travail. Au vu de tout ce qui précède, c’est à bon droit que la cour cantonale a considéré que la société avait commis une négligence grave excluant sa bonne foi, de sorte que sa demande de remise devait être rejetée, sans qu’il soit nécessaire de trancher le point de savoir si la restitution des indemnités l’exposait à une situation économique difficile. Peu importe également de savoir si l’OCE s’est prononcé ou non sur cette seconde condition. L’arrêt attaqué échappe ainsi à la critique et le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de la société.

 

Arrêt 8C_441/2023 consultable ici

 

8C_514/2023+8C_516/2023 (f) du 12.12.2023 – Efficacité et adéquation d’une mesure médicale – 10 LAA / Base prospective de l’évaluation de l’indication opératoire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_514/2023+8C_516/2023 (f) du 12.12.2023

 

Consultable ici

 

Efficacité et adéquation d’une mesure médicale / 10 LAA

Base prospective de l’évaluation de l’indication opératoire

Causalité naturelle / 6 LAA

 

Assuré, né en 1967, travaillait comme chauffeur de poids lourds. Le 10.03.2020, alors qu’il était en train de charger un camion, il a glissé sur une passerelle mouillée, puis il est tombé de sa hauteur en se réceptionnant « sur sa main et son genou ». Il a été en incapacité de travail du 12.03.2020 au 27.03.2020. Dans le rapport médical initial, le médecin traitant a précisé que l’assuré avait chuté avec réception sur le genou gauche.

Le 10.06.2020, une IRM des deux genoux a été réalisée. Une intervention chirurgicale sur le genou gauche a été pratiquée le 10.07.2020 par le docteur C.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. Celui-ci a attesté une incapacité de travail totale dès cette date.

Le 23.07.2020, l’assurance-accidents a reçu une nouvelle demande de garantie pour le cas d’hospitalisation. Le 02.09.2020, une arthroscopie, cette fois-ci du genou droit, a été effectuée par le docteur C.__.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations d’assurance avec effet au 01.09.2020, au motif que selon l’appréciation du médecin-conseil, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, les troubles au-delà du 31.08.2020 n’avaient plus aucun lien avec l’accident.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/457/2023 – consultable ici)

La cour cantonale a mis en œuvre une expertise judiciaire qu’elle a confiée au docteur E.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur.

Par arrêt du 20.06.2023, la cour cantonale a annulé la décision sur opposition et a condamné l’assurance-accidents « à prendre en charge l’arthroscopie du 02.09.2020 et les contrôles post-opératoires y relatifs, ainsi qu’à verser les indemnités journalières pour l’incapacité de travail en septembre 2020, pour autant que ces prestations n’aient pas été accordées par l’assureur-maladie et l’assurance perte de gain de l’employeur ».

 

TF

Consid. 2.1
On précisera que s’agissant de l’atteinte au genou gauche, la cessation des prestations d’assurance au 01.09.2020 n’est pas contestée. Le litige porte donc en premier lieu sur le droit de l’assuré à des prestations d’assurance-accidents pour les troubles de son genou droit.

Consid. 3.2.2
Les prestations pour soins sont des prestations en nature fournies par l’assurance-accidents. Le traitement doit être efficace, approprié et économique, l’efficacité devant être démontrée selon des méthodes scientifiques (ATF 123 V 53 consid. 2b/bb; cf. ég. arrêt 8C_55/2015 du 12 février 2016 consid. 6.2, publié in: SVR 2016 UV n° 37 p. 125). Une prestation médicale est ainsi considérée comme efficace lorsqu’il est largement admis par les chercheurs et les scientifiques, dans le domaine médical, qu’elle permet objectivement d’obtenir le résultat diagnostique ou thérapeutique recherché (ATF 145 V 116 consid. 3.2.1; 139 V 135 consid. 4.4.1; 133 V 115 consid. 3.1). L’adéquation d’une mesure nécessite d’évaluer de manière prospective, toujours sur la base de critères scientifiques, la somme des effets positifs de la mesure envisagée et de la comparer avec les effets positifs de mesures alternatives ou par rapport à la solution consistant à renoncer à toute mesure. Est appropriée la mesure qui présente, compte tenu des risques existants, le meilleur bilan diagnostique ou thérapeutique (ATF 145 V 116 consid. 3.2.2; 139 V 135 consid. 4.4.2). La question de l’adéquation se confond normalement avec celle de l’indication médicale: lorsque l’indication médicale est établie, il convient d’admettre que l’exigence du caractère approprié de la mesure est réalisée (ATF 139 V 135 consid. 4.4.2 cité). Le prestataire de soins doit limiter ses prestations à ce qui est indiqué dans l’intérêt du patient et nécessaire à la réussite du traitement (ATF 145 V 116 consid. 3.2.3).

Consid. 4.1
Appelé à se déterminer sur la prise en charge de l’intervention du genou droit, le médecin-conseil a indiqué que l’assuré avait annoncé son problème au genou droit plusieurs mois après le sinistre. Il n’y avait aucune information concernant ce genou droit dans le rapport établi le 12.03.2020 par le médecin traitant de l’assuré. Des éléments dégénératifs nombreux du genou droit, comme la méniscose externe et les fissures cartilagineuses, étaient présents. Ces fissurations n’étaient pas associées à un œdème osseux, ce qui serait visible en cas de lésion récente. Une entorse du ligament interne était signalée, mais deux ménisques étaient atteints. Or, un traumatisme ne pouvait pas entraîner des lésions des deux ménisques en même temps, sauf en cas de traumatisme à très haute énergie, ce qui n’était pas le cas du sinistre présent. Les lésions constatées comme le kyste du ménisque interne avec remaniements kystiques et graisseux dans le tibia proximal et antérieur ne pouvaient pas être en lien de causalité avec l’accident, un kyste ayant besoin de plusieurs mois pour se développer et l’accident du 10.03.2020 ayant été annoncé sans lésion clinique initiale du genou droit. En plus de l’absence de manifestation clinique de ce genou, le temps écoulé entre l’accident et les premières investigations (IRM) était de six mois. De ce fait, ces lésions étaient à considérer comme anciennes.

Consid. 4.2
Dans son rapport d’expertise, le docteur E.__ a posé le diagnostic d’une gonarthrose varisante bilatérale débutante symptomatique. A la question de l’existence d’un rapport de causalité entre les atteintes constatées au genou droit et l’accident du 10.03.2020, l’expert a indiqué qu’il ne pensait pas que les atteintes cartilagineuses et méniscales à droite étaient en rapport de causalité avec l’accident. Il a motivé ses conclusions en se référant à un article publié dans la revue médicale suisse, qui démontrait que les lésions méniscales dégénératives étaient définies comme des lésions non traumatiques se développant progressivement sous forme d’une fissure horizontale au sein du ménisque chez un patient de plus de 35 ans. Plus loin, il a ajouté que l’accident du 10.03.2020 avait décompensé une gonarthrose débutante et que cette décompensation avait atteint le statu quo sine en février 2022, soit le moment où le patient avait retrouvé une stabilité symptomatique des deux genoux. Il a précisé en outre qu’il partageait parfaitement l’avis du médecin-conseil, selon lequel la nature des lésions était en rapport avec un état maladif, sauf l’entorse du ligament collatéral interne du stade II, dont il estimait qu’elle était en relation de causalité avec l’accident. Le médecin-expert a nié, enfin, l’indication opératoire pour le traitement des troubles dégénératifs constatés, considérant qu’on ne pouvait pas attendre de cette intervention un réel bénéfice.

Consid. 4.3
Procédant à l’appréciation des preuves, en particulier à celle du rapport d’expertise, la cour cantonale a retenu qu’une pleine valeur probante pouvait en principe lui être attribuée, « sous réserve de ce qui suit ». D’après l’expert la symptomatologie douloureuse s’était stabilisée en février 2022 et c’était à ce moment que le statu quo sine avait été atteint. Il n’y avait aucune raison de douter de ce que la symptomatologie douloureuse était encore présente plus de cinq mois après l’accident en rapport avec celui-ci, comme admis par l’expert, dans la mesure où l’assuré ne souffrait pas des genoux auparavant et où il ne présentait qu’une arthrose débutante. Rien n’indiquait que celle-ci se serait tout d’un coup aggravée après mars 2020, sans la survenance de l’accident, au point de nécessiter des interventions chirurgicales. Il paraissait donc convaincant d’admettre une décompensation temporaire des lésions dégénératives des genoux, en particulier du genou droit, encore en septembre 2020. La cour cantonale a retenu qu’aussi longtemps que les suites de l’accident du 10.03.2020 constituaient encore une cause, même partielle, d’un traitement médical ou d’incapacité de travail, l’assurance-accidents devait fournir des prestations d’assurance à l’assuré, et ce, jusqu’à ce qu’il soit établi que les atteintes causées par cet accident ne constituaient plus une cause, même partielle des troubles du genou droit du recourant. En l’occurrence, en septembre 2020, la symptomatologie douloureuse était encore due à la décompensation des lésions dégénératives suite à l’accident. S’agissant de l’indication opératoire pour le traitement du genou droit, la cour cantonale s’est écartée des constatations de l’expert au motif que les lésions traitées étaient d’origine traumatique selon le chirurgien traitant, les douleurs étant apparues dans les suites de l’accident. Sous cet angle, la nécessité d’une arthroscopie du genou droit ne paraissait donc pas critiquable. Par ailleurs, l’assuré avait pu reprendre le travail rapidement après l’opération, soit après moins d’un mois, et il ne semblait plus avoir été en incapacité de travail par la suite, cela sans physiothérapie ni infiltrations. Cette évolution permettait de conclure que le traitement chirurgical avait été efficace, quand bien même ni l’expert judiciaire, ni le médecin-conseil, ne l’auraient préconisé.

Consid. 4.4.1
Le raisonnement de la cour cantonale n’est pas fondé. Les prestations d’assurance initiales, comme celles pour l’opération du 11.07.2020, ont été allouées par l’assurance-accidents en relation avec les troubles du genou gauche. Concernant les atteintes du genou droit, comme relevé à juste titre par le médecin-conseil, ce n’est que le 23.07.2020, soit plusieurs mois après l’accident, que l’assuré en a informé l’assurance-accidents. Contrairement à l’appréciation des juges cantonaux, le seul fait que les symptômes douloureux se soient manifestés après la survenance d’un accident ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet évènement (raisonnement « post hoc ergo propter hoc »; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb; arrêt U 215/97 du 23 février 1999 consid. 3b, in RAMA 1999 n° U 341 p. 407). En l’occurrence, tant le médecin-conseil que le médecin-expert s’entendent à qualifier les lésions méniscales et cartilagineuses constatées au genou droit comme étant de nature maladive.

Consid. 4.4.2
Il est vrai que le médecin-expert estime que l’accident a «décompensé» les atteintes dégénératives et qu’il admet l’origine accidentelle de l’atteinte ligamentaire, sans toutefois donner d’explication à ce dernier constat. Mais quoi qu’il en soit, l’ensemble des atteintes constatées au genou droit n’a entraîné aucune incapacité de travail jusqu’à l’intervention du 02.09.2020. En effet, l’incapacité de travail attestée par le chirurgien-traitant dès le 10.07.2020 était liée à l’opération pratiquée sur le genou gauche, l’assuré disposant auparavant d’une pleine capacité de travail et se plaignant uniquement «d’anomalies» au genou droit. L’incapacité de travail attestée ensuite en raison des troubles de genou droit, qui a persisté jusqu’au 30.09.2020, était donc due à l’arthroscopie et à la période de récupération nécessaire. Par ailleurs, cette intervention ne portait aucunement sur l’atteinte ligamentaire et l’expert judiciaire a nié l’indication opératoire. Contrairement aux considérations des juges cantonaux, on ne peut pas déduire du rétablissement du patient dans un bref délai après cette intervention qu’elle était indiquée. L’évaluation de l’indication opératoire doit reposer sur base prospective, en se demandant, avant le traitement et non après, si l’on peut en escompter un bénéfice thérapeutique, compte tenu également des risques existants. Statuer sur une base uniquement rétrospective reviendrait notamment à évacuer la question du risque de l’intervention et de ses incertitudes; une amélioration des plaintes après un traitement ne permet par ailleurs pas forcément de constater que son efficacité devrait désormais être scientifiquement reconnue.

Consid. 4.5
Il résulte de ce qui précède que l’assurance-accidents n’est pas tenue de prendre en charge l’intervention pratiquée le 02.09.2020, dont l’indication n’est pas établie en l’état du dossier et qui portait, quoi qu’il en soit, sur des lésions qui ne sont pas d’origine accidentelle. L’assurance-accidents n’a pas davantage à verser des indemnités journalières pour la période d’incapacité de travail qui en a découlé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré et admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

Arrêt 8C_514/2023+8C_516/2023 consultable ici