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8C_479/2022 (f) du 22.02.2023 – Revenu d’invalide pour un assuré tétraplégique incomplet – 16 LPGA / ESS – Niveau de compétences 4 – Capacité de travail exigible de 60% – Abattement de 5% confirmé par le TF

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_479/2022 (f) du 22.02.2023

 

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Revenu d’invalide pour un assuré tétraplégique incomplet / 16 LPGA

ESS – Niveau de compétences 4 – Capacité de travail exigible de 60% – Abattement de 5% confirmé par le TF

 

Assuré, né en 1964, a travaillé à plein temps en tant que directeur régional auprès de B.__ SA (ci-après: B.__) à compter du 01.11.2001. Le 06.04.2011, il a subi une fracture et une luxation cervicales C6-C7. Diagnostics : tétraplégie sensorimotrice incomplète C6, troubles dysautonomiques vésicaux, intestinaux et sexuels, douleurs lombaires chroniques, paralysie récurrentielle droite. L’assuré a repris son travail chez B.__ à 20% le 01.10.2011, augmentant progressivement son taux jusqu’à 60% à partir du 01.10.2014.

Ensuite de la conclusion d’un nouveau contrat de travail avec B.__, l’intéressé a occupé le poste de « Key account manager » à 60% dès le 01.05.2016, jusqu’à son licenciement avec effet au 30.04.2018 pour cause de réorganisation interne. A compter du 07.08.2018, il a travaillé à 60% pour F.__ AG (actuellement G.__ AG), active dans l’immobilier, en qualité de responsable des ventes pour la Suisse romande. Le 01.02.2019, son taux d’activité a été réduit à 20% en raison de difficultés financières de la société. Après la fin de son contrat avec F.__ AG le 31.07.2019, il a été engagé à partir du 01.09.2019 comme secrétaire général par H.__ à un taux de 40%; il était à la recherche d’une activité supplémentaire à 20%.

Par décision du 06.10.2015, confirmée sur opposition le 21.08.2020, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 40% dès le 01.06.2015 et une IPAI de 60%.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 90/20 – 65/2022 – consultable ici)

Par jugement du 13.06.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens qu’une rente d’invalidité fondée sur des taux de 55% du 01.06.2015 au 30.04.2018 et de 65% dès le 01.05.2018 est allouée à l’assuré. S’agissant de l’lPAI, la décision sur opposition a été annulée et la cause renvoyée à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

 

TF

Consid. 3.2
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 3.3
Aux termes de l’art. 17 al. 1 LPGA (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 et donc applicable ratione temporis au cas d’espèce [cf. ATF 148 V 174 consid. 4.1 et les arrêts cités]), si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée. Dans le domaine de l’assurance-accidents, le caractère notable de la modification est admis lorsque le degré d’invalidité diffère d’au moins de 5% du taux initial (ATF 140 V 85 consid. 4.3; 133 V 545 consid. 6.2).

 

Consid. 4.1
Depuis la dixième édition de l’ESS (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession. Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.2.3 et les arrêts cités).

Consid. 4.2
Les juges cantonaux ont relevé qu’entre le 01.06.2015 et le 30.04.2016, l’assuré avait conservé son activité de directeur régional auprès de B.__, à un taux de 60%. Le revenu d’invalide pour cette période était donc celui de 86’915 fr. 40 réalisé auprès de cet employeur. Mis en rapport avec le revenu sans invalidité fixé à 191’320 fr., il en résultait un taux d’invalidité de 55%. Constatant que la poursuite par l’assuré de son activité habituelle de direction était incompatible avec son état de santé, les juges cantonaux ont retenu que sa nouvelle fonction de « Key account manager » à 60% auprès de B.__ n’impliquait pas, selon l’employeur, de direction d’équipe, d’effort administratif ou de représentation. Toujours selon l’employeur, l’assuré était en outre moins exposé à la pression et au stress. Le nouveau revenu (d’invalide) réalisé dans la fonction de « Key account manager », par 87’750 fr., aboutissait à un taux d’invalidité de 57%, compte tenu d’un revenu sans invalidité après indexation de 203’889 fr. 56. La différence de 2% ne constituant pas une modification de l’état de fait sensible ou notable au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA, il n’y avait pas lieu de modifier le taux de 55% entre le 01.05.2016 et le 30.04.2018.

La cour cantonale a ensuite constaté que la situation professionnelle de l’assuré avait perdu en stabilité ensuite de son licenciement par B.__ pour le 30.04.2018. Quand bien même sa capacité de travail dans son activité habituelle était toujours de 60%, ses revenus avaient diminué ensuite de son départ de cette société. Il n’était ainsi pas possible de se fonder sur les revenus effectifs – variables et instables – de l’assuré pour calculer le taux d’invalidité. Sa formation et son expérience professionnelle démontraient cependant que la poursuite d’une activité dans son domaine de compétence lui demeurait accessible. Il convenait donc de calculer le revenu d’invalide en se référant aux données de l’ESS. Se basant sur le tableau TA1_skill_level, rubrique 68 (activités immobilières), de l’ESS 2018, les juges cantonaux ont pris en compte le salaire mensuel de référence correspondant au niveau de compétence 4, lequel était en adéquation avec le profil de l’assuré qui exerçait une activité de direction. Il en résultait un revenu d’invalide de 72’871 fr. 72, compte tenu d’un abattement de 5%. Le revenu sans invalidité s’élevant après indexation à 207’775 fr. 70, le taux d’invalidité était de 65%. La rente devait être portée à ce taux à compter du 01.05.2018, la différence de 10% constituant une modification de l’état de fait selon l’art. 17 al. 1 LPGA.

 

Consid. 5.2
Les juges cantonaux ont estimé qu’un abattement de 5% se justifiait à un double titre. Il s’agissait d’une part de tenir compte des empêchements et obstacles liés à la tétraplégie sensorimotrice incomplète, dès lors que le docteur D.__ avait fait état de difficultés dans les déplacements ainsi que de la nécessité d’un accès rapide aux toilettes. D’autre part, le taux d’occupation de 60% pour un poste à responsabilités limitait les possibilités d’emploi, les postes de cadres à des taux inférieurs à 80% étant notoirement inusuels.

Consid. 5.3
L’assuré soutient que la cour cantonale aurait exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit. Un abattement de seulement 5% ne serait pas compatible avec les handicaps résultant de la tétraplégie, les difficultés de déplacement et surtout la nécessité de l’accès aux toilettes n’ayant pas été suffisamment prises en compte. En outre, selon la jurisprudence (cf. arrêt 8C_74/2022 du 22 septembre 2022), une diminution de salaire résultant du seul fait qu’une activité supposée exigible ne peut être exercée qu’à temps partiel justifierait un abattement d’au moins 10%. Un abattement global de 15% serait justifié dans le cas d’espèce.

Consid. 5.4
Les limitations fonctionnelles de l’assuré ont été prises en considération pour déterminer sa capacité de travail dans une activité adaptée à son état de santé. Or, lorsque comme en l’espèce, un nombre suffisant d’activités correspondent à des travaux respectant les limitations fonctionnelles de l’assuré, une déduction supplémentaire sur le salaire statistique ne se justifie en principe pas pour tenir compte des circonstances liées au handicap. En effet, un abattement n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêt 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.1 et l’arrêt cité). Dans l’arrêt 8C_74/2022 invoqué par l’assuré (cf. en particulier les consid. 4.4.1 et 4.4.2), le Tribunal fédéral a retenu que l’activité adaptée exigible de l’assuré (à savoir, en substance, une activité très légère, en position assise, sans nécessité de se pencher en avant, sans rotations fréquentes du rachis et sans maintien forcé de la position des pieds) était caractérisée par d’importantes limitations également dans des emplois non qualifiés incluant des tâches physiques légères; en outre, l’activité adaptée n’était exigible qu’à temps partiel et le poste à temps partiel impliquait statistiquement une baisse de salaire d’en tout cas 4%; en définitive, le cumul de ces facteurs devait conduire à un abattement d’au moins 10%. Dans le cas d’espèce, les limitations fonctionnelles de l’assuré – qui a conservé sa capacité de travail, certes à temps partiel, dans son domaine d’activité habituel – sont sans commune mesure avec celles de l’assuré concerné par l’arrêt précité. Un abattement de 5% prend suffisamment en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré – étant entendu que l’accès à des toilettes ne devrait pas poser problème dans une activité de bureau – ainsi que les désavantages liés à l’exercice d’une activité à 60%.

L’arrêt entrepris échappe ainsi à la critique et le recours, mal fondé, doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_479/2022 consultable ici

 

4A_219/2021 (f) du 25.01.2023 – Poursuites – Commandement de payer – Acte de poursuite interruptif de la prescription – 135 CO – 138 CO / Suspension de la prescription à l’égard des créances des époux l’un contre l’autre, pendant le mariage – Dies a quo de la reprise du cours de la prescription – 134 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_219/2021 (f) du 25.01.2023

 

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Poursuites – Commandement de payer – Acte de poursuite interruptif de la prescription / 135 CO – 138 CO

Suspension de la prescription à l’égard des créances des époux l’un contre l’autre, pendant le mariage – Dies a quo de la reprise du cours de la prescription / 134 CO

 

A.__ et C.__ se sont mariés en janvier 1995. C.__ était alors copropriétaire avec un tiers d’un bateau à moteur, assuré en responsabilité civile auprès de D.__, qui deviendra B.__ SA (ci-après: B.__ ou la compagnie d’assurance).

Le 29.05.1999, les époux naviguaient sur le lac Léman avec des amis afin d’y pratiquer le ski nautique. C.__ pilotait le bateau. Alors qu’elle se trouvait à l’avant, A.__ est tombée par-dessus bord après le passage d’une vague. Le pilote, qui observait le skieur qu’il traînait, n’a pas vu sa compagne chuter. Il a effectué un virage à droite. A.__ a alors passé sous le bateau et sa jambe gauche a été happée par l’hélice au niveau du genou, lui causant de graves lésions. Elle a subi de nombreuses opérations et une longue rééducation.

A.__ et C.__ se sont séparés en juin 2000. Leur divorce a été prononcé le 25.04.2012 par le Tribunal d’arrondissement de l’Est vaudois, dont le jugement est devenu définitif et exécutoire le 29.05.2012.

Le 17.12.2003, B.__ a fait opposition au commandement de payer la somme de 500’000 fr., notifié sur requête de A.__.

Le 27.05.2004, A.__ a déposé une plainte pénale contre son époux. Le 13.01.2006, le Tribunal correctionnel a condamné C.__ pour lésions corporelles graves par négligence à 200 fr. d’amende et donné acte à A.__ de ses réserves civiles.

Le 09.11.2004, la compagnie d’assurance a renoncé à se prévaloir de la prescription, sous réserve que celle-ci n’ait pas été d’ores et déjà acquise. Entre le 19.12.2005 et le 06.09.2011, elle renoncera à se prévaloir de la prescription à huit reprises. Le 23.12.2011, elle a renoncé à se prévaloir de la prescription jusqu’au 29.02.2012.

Le 29.02.2012, A.__ a déposé une réquisition de poursuite pour un montant de 4’000’000 fr. contre B.__, laquelle a fait opposition au commandement de payer notifié le 16.03.2012.

Le 11.03.2013, elle a déposé une réquisition de poursuite contre B.__, laquelle a fait opposition au commandement de payer notifié le 13.03.2013.

Le 25.02.2014, le 26.02.2015, le 22.02.2016, en janvier 2017 à une date indéterminée et le 17.01.2018, la lésée a introduit des poursuites contre la compagnie d’assurance, laquelle a fait opposition aux commandements de payer qui lui avaient été notifiés le 28.02.2014, le 02.03.2015, le 22.02.2016, le 26.01.2017 et le 22.01.2018.

Le 13.04.2017, A.__ a déposé une réquisition de poursuite contre C.__, lequel a fait opposition le 28.04.2017 au commandement de payer qui lui avait été notifié le 25.04.2017.

Le 18.04.2018, la lésée a déposé une réquisition de poursuite contre son ex-époux.

 

Procédures cantonales

Le 31.05.2018, A.__ a déposé une requête de conciliation à l’encontre de B.__ et de C.__.

Après l’échec de la conciliation, elle a, par demande du 17.12.2018, conclu, sur action partielle, à ce que les défendeurs soient condamnés, conjointement et solidairement, subsidiairement B.__ seule et plus subsidiairement C.__ seul, à lui payer 15’000 fr. avec intérêts à 5% dès le 31.12.2008 et 15’000 fr. avec intérêts à 5% dès le 29.11.2008, et à ce que le solde de ses prétentions à leur égard en lien avec l’accident du 29.05.1999 et ses suites soit réservé. C.__ et B.__ ont conclu au déboutement de la demanderesse, soulevant notamment l’exception de prescription.

Par jugement du 11.05.2020, le Tribunal de première instance a admis l’exception de prescription soulevée par chaque défendeur, a constaté que les créances objets de la demande en paiement étaient prescrites et a débouté A.__ de toutes ses conclusions.

Statuant le 23.02.2021 sur appel de la demanderesse, la Chambre civile de la Cour de justice a confirmé le jugement de première instance.

 

TF

Consid. 5
Aux termes de l’art. 135 ch. 2 CO, la prescription est interrompue lorsque le créancier fait valoir ses droits par des poursuites (« durch Schuldbetreibung »; « mediante atti di esecuzione »), par une requête de conciliation, par une action ou une exception devant un tribunal ou un tribunal arbitral ou par une intervention dans une faillite. Un nouveau délai commence à courir dès l’interruption (art. 137 al. 1 CO). Sous le titre marginal « Fait du créancier » (« Bei Handlungen des Gläubigers »; « In caso di atti del creditore »), l’art. 138 CO prévoit, à son alinéa 2, que si l’interruption résulte de poursuites (« Schuldbetreibung »; « esecuzione per debiti »), la prescription reprend son cours à compter de chaque acte de poursuite (« mit jedem Betreibungsakt »; « ad ogni singolo atto esecutivo »).

Consid. 5.1
Déterminer à quelles conditions une poursuite pour dettes a pour effet d’interrompre la prescription est une question de droit matériel à trancher par le juge (ATF 144 III 425 consid. 2.1). Selon une jurisprudence ancienne et constante, la réquisition de poursuite remplissant les conditions posées à l’art. 67 LP est un acte interruptif de prescription au sens de l’art. 135 ch. 2 CO; le Tribunal fédéral n’a ainsi pas pris en compte l’art. 38 al. 2 LP aux termes duquel la poursuite commence par la notification du commandement de payer (ATF 39 II 66 consid. 2 [sous l’empire de l’art. 154 aCO analogue à l’art. 135 CO]; 51 II 563 consid. 1 p. 566; 57 II 462 consid. 2; 101 II 77 consid. 2c in fine; 104 III 20 consid. 2; 114 II 261 consid. 2a; cf. également ATF 138 III 328 consid. 4.1). Le moment déterminant est celui de la remise à la poste ou à l’office des poursuites de la réquisition de poursuite (ATF 49 II 38 consid. 2 p. 42; 114 II 261 consid. 2a; arrêt 2C_426/2008 du 18 février 2009 consid. 6.6.1; pour la transmission électronique: cf. art. 143 al. 2 CPC; ROBERT K. DÄPPEN, in Basler Kommentar, Obligationenrecht I, 7e éd. 2020, n° 6 ad art. 135 CO; GAUCH/SCHLUEP/EMMENEGGER, OR AT Schweizerisches Obligationenrecht Allgemeiner Teil, tome II, 11e éd. 2020, n. 3345 p. 276; ALFRED KOLLER, OR AT Schweizerisches Obligationenrecht Allgemeiner Teil, 4e éd. 2017, n. 69.04 p. 1215).

Consid. 5.2
En l’espèce, le litige porte sur le point de savoir si la prescription est interrompue une nouvelle fois lors de la notification du commandement de payer.

Selon STOFFEL/CHABLOZ, auxquels la cour cantonale se réfère, l’interruption de la prescription par la poursuite, au sens de l’art. 135 ch. 2 CO, suppose un commandement de payer valablement notifié, lequel n’a donc d’autre effet que de faire rétroagir l’interruption au moment du dépôt de la réquisition de poursuite (Voies d’exécution, 3e éd. 2016, n. 28 p. 109 et n. 42 p. 111).

Une telle manière de voir se heurte à la jurisprudence. Le Tribunal fédéral a jugé plusieurs fois qu’il n’était pas nécessaire qu’un commandement de payer soit notifié pour que la réquisition de poursuite interrompe la prescription (ATF 104 III 20 consid. 2; 101 II 77 consid. 2c in fine; 57 II 462 consid. 2; arrêt 5P.339/2000 du 13 novembre 2000 consid. 3c; cf. également ATF 114 II 261 consid. a; cf. toutefois ATF 83 II 41 consid. 5 et 69 II 162 consid. 2b p. 175 [une réquisition de poursuite adressée à un office incompétent ratione loci interrompt la prescription pour autant que le commandement de payer soit finalement notifié au débiteur et ne soit pas annulé sur plainte]).

Cela étant, il s’agit ici de déterminer si le commandement de payer est un acte de poursuite interruptif de la prescription au sens de l’art. 138 al. 2 CO.

Il convient d’emblée d’écarter la thèse des intimés selon laquelle le titre marginal de l’art. 138 CO exclurait tout acte de poursuite n’émanant pas du créancier. La référence au « fait du créancier » établit simplement le lien avec l’art. 135 ch. 2 CO, qui décrit les actes interruptifs du créancier après l’énumération, à l’art. 135 ch. 1 CO, des actes interruptifs du débiteur. Il est ainsi largement admis que l’acte de poursuite mentionné à l’art. 138 al. 2 CO peut émaner du créancier comme de l’office des poursuites (ATF 81 II 135 consid. 1; WILDHABER/DEDE, Berner Kommentar, 2021, n° 34 ad art. 138 CO; GAUCH/SCHLUEP/EMMENEGGER, op. cit., n. 3346 p. 276; ALFRED KOLLER, op. cit., n. 69.07 p. 1216; PETER NABHOLZ, Verjährung und Verwirkung als Rechtsuntergangsgründe infolge Zeitablaufs, 1958, p. 117).

Le Tribunal fédéral a précisé que l’acte interruptif devait introduire une nouvelle phase dans la poursuite, ce qui n’était pas le cas de la communication prévue à l’art. 76 LP, lorsque l’office des poursuites remet au créancier un exemplaire du commandement de payer attestant de l’opposition ou de l’absence d’opposition; il en a déduit dans le cas particulier que la prescription avait été interrompue la dernière fois lors de la notification du commandement de payer (ATF 81 II 135 consid. 1; cf. également arrêt 2C.1/1998 du 21 février 2000 consid. 2c).

Déjà dans l’ATF 39 II 66, le Tribunal fédéral avait indiqué expressément que la prescription interrompue une première fois par le dépôt de la réquisition de poursuite l’était une deuxième fois par la notification du commandement de payer (consid. 2). La possibilité d’une double interruption de la prescription au début des poursuites est également rendue par la formule selon laquelle la remise de la réquisition de poursuite – et non seulement (« nicht erst ») la notification du commandement de payer – est un acte interruptif (ATF 51 II 563 consid. 1). A d’autres reprises, le nouveau délai de prescription a simplement été calculé à partir de la notification du commandement de payer (ATF 70 II 85 consid. 3; arrêt 4A_513/2010 du 30 août 2011 consid. 4.1 non publié in ATF 137 III 453).

La notification du commandement de payer est également citée en doctrine à titre d’exemple d’acte de poursuite interruptif de la prescription au sens de l’art. 138 al. 2 CO (IVO SCHWANDER, in OR Kommentar, Kren Kostkiewicz et al. [éd.], 4e éd. 2023, n° 2 ad art. 138 CO; WILDHABER/DEDE, op. cit., n° 34 ad art. 138 CO; PASCAL PICHONNAZ, in Commentaire romand, Code des obligations I, 3e éd. 2021, n° 9 ad art. 138 CO; DÄPPEN, op. cit., n° 5 ad art. 138 CO; BLAISE CARRON et NIELS FAVRE, La révision de la prescription dans la partie générale du Code des obligations, in Le nouveau droit de la prescription, François Bohnet et Anne-Sylvie Dupont [éd.], 2019, n. 129 p. 50; FRÉDÉRIC KRAUSKOPF, Das Management der privatrechtlichen Verjährung, in Le insidie della prescrizione, 2019, p. 29; DANIEL WUFFLI, Verjährungsunterbrechung durch Betreibung, in Die Verjährung – Antworten auf brennende Fragen zum alten und neuen Verjährungsrecht, Frédéric Krauskopf [éd.], 2018, p. 168; KOLLER, op. cit., n. 69.07 p. 1216; STEPHEN BERTI, Zürcher Kommentar, 3e éd. 2002, n° 40 ad art. 138 CO; PIERRE-ROBERT GILLIÉRON, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, Articles 1-88, 1999, n° 135 ad art. 67 LP; LE MÊME, in Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 5e éd. 2012, n. 665 p. 161, paraît toutefois exclure que le commandement de payer interrompe la prescription.).

Consid. 5.3
Il apparaît ainsi que la jurisprudence, approuvée par la doctrine, a attribué de longue date un effet interruptif de la prescription à la notification du commandement de payer.

Ni les considérants de l’arrêt attaqué, ni la motivation développée par les intimés ne recèlent de motifs sérieux justifiant un changement de jurisprudence (cf. ATF 147 III 14 consid. 8.2), lequel porterait manifestement atteinte à la sécurité juridique requise par le régime de la prescription (cf. ATF 137 III 16 consid. 2.1).

Il s’ensuit que, contrairement à ce que la cour cantonale a jugé, la réquisition de poursuite déposée le 11.03.2013 contre l’intimée a interrompu la prescription dès lors qu’elle est intervenue moins d’une année après la notification d’un commandement de payer en date du 16.03.2012; tel est également l’effet des réquisitions de poursuite du 26.02.2015 et du 17.01.2018, déposées plus d’un an après les réquisitions précédentes, mais moins d’un an après la notification de commandements de payer le 28.02.2014, respectivement le 26.01.2017.

En conclusion, la cour cantonale a violé le droit fédéral en jugeant prescrites les créances envers les intimés au motif que la recourante avait laissé passer plus d’une année entre le dépôt de deux réquisitions de poursuite.

 

Consid. 6.2
Aux termes de l’art. 134 al. 1 ch. 3 CO, la prescription ne court point et, si elle avait commencé à courir, elle est suspendue à l’égard des créances des époux l’un contre l’autre, pendant le mariage. La prescription commence à courir, ou reprend son cours, dès l’expiration du jour où cessent les causes qui la suspendent (art. 134 al. 2 CO).

La recourante et l’intimé étaient mariés lors de l’accident du 29.05.1999. Le délai de prescription n’a dès lors commencé de courir qu’à partir du jour où le jugement de divorce est devenu définitif et exécutoire, soit le 29.05.2012.

Est en jeu le délai de prescription extraordinaire applicable aux créances découlant d’actes punissables, calculé selon l’art. 60 al. 2 CO dans sa version en vigueur jusqu’au 31.12.2019. Par exception aux principes posés à l’art. 60 al. 1 aCO, l’art. 60 al. 2 aCO prévoit que, si les dommages-intérêts dérivent d’un acte punissable soumis par les lois pénales à une prescription de plus longue durée, cette prescription s’applique à l’action civile. Le droit pénal ne sert qu’à déterminer le point de départ et la durée de la prescription de la prétention civile; pour le reste, les règles du droit civil s’appliquent (cf. art. 127 ss CO) (ATF 101 II 321 consid. 3).

En l’espèce, le délit de lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 2 CP) retenu par le juge pénal à l’encontre de l’intimé se prescrivait par cinq ans selon l’ancien art. 70 CP, applicable en vertu de la lex mitior dès lors que l’infraction avait été commise avant l’entrée en vigueur de la nouvelle version de cette disposition le 01.10.2002. Si la recourante et l’intimé n’avaient pas été mariés, le délai de cinq ans, déterminant pour la prescription de l’action civile, aurait commencé de courir à partir du jour de l’accident. C’est donc ce délai qui, au sens de l’art. 134 al. 1 et 2 CO, a été « empêché » de s’écouler durant le mariage et qui a pris son cours dès que le jugement de divorce est devenu définitif et exécutoire.

L’art. 60 al. 2 aCO tend à harmoniser la prescription du droit civil avec celle du droit pénal, dans l’idée qu’il serait choquant que le lésé ne puisse plus agir contre le responsable à un moment où celui-ci demeure exposé à une poursuite pénale (ATF 137 III 481 consid. 2.3; 131 III 430 consid. 1.2; 127 III 538 consid. 4c). Eu égard à ce but, il n’y a certes, comme l’intimé le fait observer, aucune nécessité de faire partir un délai pénal de plus longue durée à un moment où la prescription pénale est acquise. Le Tribunal fédéral l’a reconnu en jugeant que les actes interruptifs de prescription au sens des art. 135 ou 138 CO survenant après l’expiration de la prescription pénale ne pouvaient faire partir que le délai de prescription de droit civil de l’art. 60 al. 1 CO (ATF 131 III 430 consid. 1.4). Cependant, la jurisprudence constante, fondée sur l’interprétation littérale de l’art. 60 al. 2 aCO, a été maintenue sur le principe lorsque l’acte interruptif se produit avant que la prescription de l’action pénale soit acquise: l’interruption de la prescription fait partir, en vertu de l’art. 137 CO, un nouveau délai égal à la durée initiale prévue par le droit pénal (ATF 131 III 430 consid. 1.2; 127 III 538 consid. 4c et 4d).

Mutatis mutandis le même raisonnement peut être tenu en l’espèce. La condamnation pénale de l’intimé et la prescription pénale absolue intervenues pendant la durée du mariage sont sans incidence sur le délai de prescription applicable dès la fin de la cause de suspension, puisque la durée de ce délai est déterminée au jour de l’acte punissable, soit à un moment par définition antérieur à l’acquisition de la prescription pénale.

C’est dès lors bien un délai de cinq ans qui a commencé de courir à partir du 29.05.2012, de sorte que la recourante a interrompu la prescription en déposant une réquisition de poursuite le 13.04.2017.

 

Le TF admet le recours de A.__.

 

Arrêt 4A_219/2021 consultable ici

 

4A_22/2022 (f) du 21.02.2023, destiné à la publication – Conseils juridiques par l’assureur de protection juridique – Violation du devoir de diligence causant un préjudice à l’assuré / Délai de prescription de la prétention en responsabilité de l’assuré / Interprétation de l’art. 46 al. 1 aLCA et 46 al. 1 LCA par le TF

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_22/2022 (f) du 21.02.2023, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Conseils juridiques par l’assureur de protection juridique – Violation du devoir de diligence causant un préjudice à l’assuré

Délai de prescription de la prétention en responsabilité de l’assuré – 46 al. 1 aLCA vs 127 CO

Interprétation de l’art. 46 al. 1 aLCA et 46 al. 1 LCA par le TF

 

Assuré a contracté auprès de B.__ SA une assurance de protection juridique.

Suite à la réception d’un préavis du 05.06.2015 de l’Office AI prévoyant de lui octroyer trois quarts de rente invalidité, il a fait appel à son assureur pour l’assister dans ses démarches auprès dudit office. Représenté par l’entreprise d’assurance, l’assuré a émis des objections à l’encontre dudit préavis le 21.07.2015. L’Office AI a alors rendu un nouveau préavis remplaçant et annulant le précédent et indiquant qu’il n’existait finalement aucun droit à une rente invalidité. Toujours représenté par l’entreprise d’assurance, l’assuré a formulé des objections à l’encontre de ce préavis. Par décision du 14.12.2015, l’Office AI a refusé d’octroyer une rente invalidité à l’assuré. Il a indiqué avoir procédé à des investigations supplémentaires suite aux objections formulées et être arrivé à la conclusion que les conditions d’octroi d’une rente invalidité n’étaient pas remplies. Par jugement du 21.06.2016, le Tribunal administratif du canton de Berne a rejeté le recours formé par l’assuré, représenté par l’entreprise d’assurance, à l’encontre de cette décision.

 

Procédures cantonales

Après que la tentative de conciliation a échoué, l’assuré a déposé sa demande auprès du Tribunal régional le 26.06.2020, concluant à ce que l’entreprise d’assurance fût condamnée à lui payer la somme de 30’000 fr., intérêts en sus. En substance, l’assuré reproche à l’entreprise d’assurance d’avoir manqué de diligence dans les conseils prodigués et estime qu’elle aurait dû le rendre attentif aux risques que comportait la formulation d’objections suite au premier préavis.

Après avoir limité la procédure à la question de la prescription, le tribunal a rejeté la demande par décision du 29.03.2021. Il a considéré que le fait générateur de responsabilité résidait dans le dommage que l’assuré aurait subi suite à un manque de diligence de l’entreprise d’assurance, que ledit dommage était intervenu lors de l’entrée en force de chose jugée formelle de la décision de refus d’octroi de rente assurance-invalidité, soit avec la décision du Tribunal administratif du 21.06.2016, que la prescription avait été interrompue par requête de conciliation du 14.05.2020 et que la prétention éventuelle de l’assuré était dès lors prescrite en vertu de l’art. 46 al. 1 LCA.

Par décision du 03.12.2021 rendue en français, la 2e Chambre civile de la Cour suprême du canton de Berne a rejeté l’appel formé par l’assuré.

 

TF

Consid. 5
Est litigieuse la question de savoir si, lorsque l’assureur de protection juridique donne des conseils juridiques et qu’il viole à cette occasion son devoir de diligence et cause un préjudice à l’assuré, le délai de prescription de la prétention en responsabilité de l’assuré est régi par le délai plus court de l’art. 46 al. 1 LCA ou par le délai de dix ans de l’art. 127 CO.

Pour résoudre cette question, il y a lieu de procéder à l’interprétation de l’art. 46 al. 1 LCA, l’art. 127 CO n’entrant en considération que si l’art. 46 al. 1 LCA n’est pas applicable (art. 100 al. 1 LCA).

Consid. 5.1
La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte se prête à plusieurs interprétations, s’il y a de sérieuses raisons de penser qu’il ne correspond pas à la volonté du législateur, il convient de rechercher sa véritable portée au regard notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique) (arrêt 4A_531/2021 du 18 juillet 2022 consid. 5.2, destiné à la publication; ATF 147 III 78 consid. 6.4; 138 III 166 consid. 3.2; 136 III 283 consid. 2.3.1; 135 III 640 consid. 2.3.1). Lorsqu’il est appelé à interpréter une loi, le Tribunal fédéral adopte une position pragmatique en suivant ces différentes interprétations, sans les soumettre à un ordre de priorité (arrêt 4A_531/2021 précité consid. 5.2, destiné à la publication; ATF 147 III 78 consid. 6.4; 137 III 344 consid. 5.1; 133 III 257 consid. 2.4; 131 III 623 consid. 2.4.4 et les références citées).

Consid. 5.2
Selon l’art. 46 al. 1, 1e phrase, LCA, entré en vigueur le 01.01.2022, les créances qui découlent du contrat d’assurance se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait duquel naît l’obligation (« Die Forderungen aus dem Versicherungsvertrag verjähren […] fünf Jahre nach Eintritt der Tatsache, welche die Leistungspflicht begründet. »; « […] i crediti derivanti dal contratto di assicurazione si prescrivono in cinque anni dal fatto su cui è fondato l’obbligo di fornire la prestazione »). À part la durée du délai de prescription, qui a été portée de deux ans à cinq ans, la réserve de l’al. 3 et des modifications rédactionnelles, la nouvelle teneur n’a rien changé à la disposition précédemment en vigueur dans leurs versions en français et en allemand et applicable en l’espèce. Outre la réserve de l’al. 3 et la prolongation du délai de prescription, la version en italien a, quant à elle, précisé que ledit délai commence à courir non plus « dal fatto su cui è fondata l’obbligazione », mais « dal fatto su cui è fondato l’obbligo di fornire la prestazione ».

Pour répondre à la question litigieuse, il faut tenir compte non seulement des termes « créances qui découlent du contrat d’assurance », mais également de la précision apportée s’agissant du point de départ de la prescription de ces créances, à savoir les termes « fait duquel naît l’obligation », « Tatsache, welche die Leistungspflicht begründet » et « fatto su cui è fondato l’obbligo di fornire la prestazione ».

Consid. 5.2.1
Comme l’indiquent plus précisément les versions en allemand et en italien de l’art. 46 al. 1 LCA, l’ « obligation » visée par cette disposition est celle de l’assureur de fournir les prestations prévues dans le contrat d’assurance, par exemple, dans l’assurance-accidents, de verser les prestations convenues à raison de l’événement assuré (ATF 119 II 468 consid. 2a; 118 II 447 consid. 2b). Le « fait » est la réalisation du risque qui donne naissance à cette obligation de l’assureur. Ce « fait » n’est pas le même pour les prétentions issues des diverses catégories d’assurances (ATF 118 II 447 consid. 2b).

Consid. 5.2.2
Dans l’assurance de protection juridique, l’assureur fournit, d’une part, un service sous forme d’assistance juridique et, d’autre part, une prestation pécuniaire, ainsi que, dès le début du litige, l’obligation de garantir à son assuré le paiement des frais du litige (ATF 119 II 468 consid. 2c).

Selon la jurisprudence, dans cette assurance, le « fait » duquel naît l’obligation de l’assureur correspond à la réalisation du risque, à savoir l’apparition du besoin d’assistance juridique (ATF 126 III 278 consid. 7a; 119 II 468 consid. 2c; arrêt 4A_609/2010 du 7 février 2011 consid. 1.2.1). Le point de départ (dies a quo) du délai de prescription de l’art. 46 al. 1 LCA court donc dès ce moment-là, et non dès le début du litige avec celui qui est appelé à devenir la partie adverse au procès, ni dès la fin du procès, par jugement définitif ou transaction (ATF 119 II 468 consid. 2c; arrêt 4A_609/2010 précité consid. 1.2.1). Ainsi, notamment, dès la survenance du besoin d’assistance, l’assuré peut prétendre à une garantie de couverture; si l’assureur accorde sa garantie pour une partie du litige, cela équivaut au paiement d’un acompte (art. 135 ch. 1 CO), qui interrompt la prescription pour l’entier de la créance de l’assuré; si l’assureur refuse de garantir les frais de défense de son assuré, celui-ci peut ouvrir, aux fins de l’y contraindre, une action, qui est interruptive de la prescription. Une fois le litige clos, le paiement ne constitue que l’exécution d’un engagement préexistant (ATF 119 II 468 consid. 2c).

Les « créances [de l’assuré] qui découlent du contrat d’assurance » sont donc seulement celles dont l’assureur assume l’obligation en raison (née du fait) de la survenance du risque couvert, qui est le besoin d’assistance juridique, soit concrètement l’obligation de couvrir les frais d’un litige et/ou l’obligation de fournir des conseils. Il s’ensuit que la créance en dommages-intérêts, fondée sur la responsabilité contractuelle, qui est subséquente à la prestation d’assurance – les conseils fournis – et découle de la violation du devoir de diligence de l’assureur de protection juridique qui a fourni ces conseils, n’est pas visée par la lettre de l’art. 46 al. 1 LCA.

Consid. 5.3
On ne peut rien déduire des travaux préparatoires en ce qui concerne les créances visées par cette disposition.

Selon le Message du Conseil fédéral, la brièveté du délai (de deux ans) correspond avant tout à un besoin pressant de la pratique des affaires; il faut qu’après un laps de temps assez court, l’assureur puisse être au clair sur sa situation pécuniaire (Message du 2 février 1904 sur le projet d’une loi fédérale concernant le contrat d’assurance, FF 1904 I 292 ad art. 43).

La révision de la LCA du 19 juin 2020 n’apporte pas d’élément nouveau. Certes, le Conseil fédéral a considéré que la proposition d’un allongement du délai de prescription à dix ans paraissait problématique du point de vue de la sécurité du droit, car des besoins spécifiques à l’assurance en matière de surveillance de la situation financière de l’entreprise d’assurance ne seraient pas suffisamment pris en considération, raison pour laquelle il a proposé une prolongation du délai de prescription à cinq ans, les parties pouvant prévoir contractuellement un délai plus long (Message du 28 juin 2017 concernant la révision de la loi fédérale sur le contrat d’assurance, FF 2017 4781 ch. 1.6.3; cf. VINCENT BRULHART, Droit des assurances privées, 2e éd. 2017, p. 543 s. n. 1124; DIDIER ELSIG, in Commentaire romand, Loi sur le contrat d’assurance, 2022, no 1 ad art. 46 LCA).

Consid. 5.4
Admettre le délai de prescription de dix ans de l’art. 127 CO, dès lors que l’art. 46 al. 1 LCA n’est pas applicable (art. 100 al. 1 LCA), n’entre pas en conflit avec le but de l’art. 46 al. 1 LCA. En effet, contrairement aux prétentions de l’assuré nées du risque couvert au sens de l’art. 46 al. 1 LCA et ignorées de l’assureur tant que l’assuré ne les fait pas valoir, la créance en dommages-intérêts est fondée sur des faits dont l’assureur a connaissance.

Consid. 5.5
La soumission de la créance en dommages-intérêts au délai de prescription de dix ans de l’art. 127 CO est d’ailleurs approuvée par une partie de la doctrine qui s’est prononcée sur cette question.

Ainsi, KRAUSKOPF/MÄRKI considèrent que, puisque les conditions de la prétention en dommages-intérêts trouvent leur fondement dans le Code des obligations (art. 398 et 97 CO), il y a lieu de donner la préférence à l’art. 127 CO. En outre, l’art. 46 al. 1 LCA n’est pas adapté aux prétentions contractuelles en dommages-intérêts puisqu’il ne tient pas compte de moments subjectifs, tel que celui de la connaissance du dommage, de sorte que ces prétentions pourraient se prescrire avant même que l’assuré lésé ne connaisse ou puisse connaître son dommage. Par ailleurs, le but de tenir compte des besoins des entreprises d’assurance visé par l’art. 46 al. 1 LCA ne vaut pas pour les prétentions en dommages-intérêts qui découlent de la violation du contrat d’assurance et qui doivent se prescrire, comme pour les prétentions contre un avocat, selon l’art. 127 CO (KRAUSKOPF/MÄRKI, Juristische Dienstleistungen des Rechtsschutzversicherers, in Rechtsschutzversicherung und Anwalt, 2017, p. 179 s.).

ANDREA EISNER-KIEFER, qui cite ces premiers auteurs, estime que l’appréciation de la violation du devoir de diligence s’apprécie selon les règles du mandat, de sorte qu’il paraît plus adapté d’appliquer l’art. 127 CO, et qu’il n’y a pas de motif fondé de prévoir que le délai de prescription serait plus court pour l’assureur que pour tous les autres débiteurs (ANDREA EISNER-KIEFER, Verjährung in der Privatversicherung, in Die Verjährung, 2018, p. 108 s.).

Au contraire, d’autres auteurs soutiennent que l’art. 46 al. 1 LCA est applicable. Dès lors qu’ils ne prennent en considération que les termes « créances qui découlent du contrat d’assurance » et font abstraction de la fin de l’alinéa et/ou ne discutent pas spécialement des créances en dommages-intérêts pour les conseils en matière d’assurance de protection juridique, leur position ne convainc pas.

Il en va ainsi de CHRISTOPH K. GRABER, qui considère que la prétention en dommages-intérêts pour violation du devoir de diligence constitue bien une prétention contractuelle découlant du rapport d’assurance (CHRISTOPH K. GRABER, in Basler Kommentar, Versicherungsvertragsgesetz, 2e éd. 2022, no 9 ad art. 46 LCA), de PASCAL PICHONNAZ, qui affirme que l’art. 46 al. 1 LCA est applicable (PASCAL PICHONNAZ, in Commentaire romand, Code des obligations, 3 e éd. 2021, n o 28 ad art. 127 CO p. 1116), de DIDIER ELSIG, qui mentionne uniquement les « prétentions en dommages-intérêts découlant du contrat d’assurance » (ELSIG, op. cit., no 12 ad art. 46 LCA), et de KELLER/ROELLI, qui se contentent de mentionner les prétentions contractuelles en dommages-intérêts dans une liste de prétentions qui sont, selon eux, soumises à l’art. 46 al. 1 LCA (KELLER/ROELLI, Kommentar zum Schweizerischen Bundesgesetz über den Versicherungsvertrag, t. I, 2 e éd. 1968, p. 665).

Consid. 5.6
En conclusion, dès lors que la créance litigieuse est fondée sur le prétendu dommage qu’aurait causé l’entreprise d’assurance intimée en prodiguant à l’assuré recourant des conseils juridiques et en violant prétendument à cette occasion son devoir de diligence, c’est à tort que la cour cantonale a appliqué le délai de prescription de l’art. 46 al. 1 aLCA. La question de savoir si, comme elle l’affirme, l’entreprise d’assurance est assurée en responsabilité civile n’est pas déterminante, pas plus que ne l’est la constitution d’une provision spécifique au présent litige, dès lors que le délai de prescription n’influe ici ni sur la durée de la procédure judiciaire ni sur celle de la provision. Le délai de prescription décennal de l’art. 127 CO étant applicable, la prétention invoquée par le demandeur recourant n’est pas prescrite.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 4A_22/2022 consultable ici

 

8C_310/2022 (f) du 02.11.2022 – Droit à l’indemnité chômage – Gain intermédiaire – Indemnité pour jours fériés – 24 LACI / Restitution des prestations indûment perçues – 25 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_310/2022 (f) du 02.11.2022

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité chômage – Gain intermédiaire – Indemnité pour jours fériés / 24 LACI

Restitution des prestations indûment perçues / 25 LPGA

 

Assuré, né en 1969, a perçu des indemnités de chômage à compter du 01.04.2018. Durant le délai-cadre d’indemnisation, il a réalisé des gains intermédiaires en travaillant comme chargé de cours durant les mois d’avril 2018 et de mars et avril 2020.

Par décision du 23.08. 2021, confirmée sur opposition le 16.12.2021, la caisse de chômage a demandé à l’assuré la restitution de la somme de CHF 671.80. Elle considérait que celui-ci avait déclaré des gains intermédiaires trop faibles pour les mois de mars et avril 2020; en effet, les gains en cause devaient être considérés comme provenant d’une activité salariée et non indépendante, de sorte que certaines déductions opérées par l’assuré n’avaient pas lieu d’être. Les gains intermédiaires à prendre en considération s’élevaient ainsi à CHF 1’473.70 pour chacun des deux mois en question. Après rectification des indemnités compensatoires, il en résultait que l’assuré avait reçu CHF 671.80 de trop.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/333/2022 – consultable ici)

Par jugement du 11.04.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et renvoyant la cause à la caisse de chômage pour nouveau calcul du montant à restituer.

 

TF

Consid. 2.1
Selon l’art. 25 al. 1, première phrase, LPGA, auquel renvoie l’art. 95 al. 1 LACI, les prestations indûment touchées doivent être restituées. L’obligation de restituer suppose que soient réunies les conditions d’une révision procédurale (art. 53 al. 1 LPGA) ou d’une reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA) de la décision par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 142 V 259 consid. 3.2; 138 V 426 consid. 5.2.1; 130 V 318 consid. 5.2 et les références citées).

Consid. 3.1
Aux termes de l’art. 24 LACI, est réputé intermédiaire tout gain que le chômeur retire d’une activité salariée ou indépendante durant une période de contrôle; l’assuré qui perçoit un gain intermédiaire a droit à la compensation de la perte de gain (al. 1, première et deuxième phrases).

Selon le ch. C125 du Bulletin LACI IC, publié par le SECO – dont les directives ne lient toutefois pas le juge (cf. ATF 145 V 84 consid. 6.1.1; 142 V 442 consid. 5.2) -, le gain intermédiaire est calculé normalement sur le total du revenu réalisé pendant la période de contrôle; y entrent le salaire de base, les indemnités pour jours fériés et autres éléments constitutifs du salaire auxquels l’assuré a droit, tels que 13e salaire, gratifications, commissions, allocations de résidence, allocation de renchérissement, supplément pour travail de nuit, travail du dimanche, travail en équipes, service de piquet, si l’assuré touche normalement ces suppléments en raison de la nature de ses activités ou de son horaire de travail. L’indemnité de vacances versée en plus du salaire de base n’est prise en compte comme gain intermédiaire qu’au moment où l’assuré prend effectivement ses vacances (C149 ss).

Consid. 3.2
Selon la jurisprudence, l’indemnité pour jours fériés versée en plus du salaire de base doit – comme pour la détermination du gain assuré (cf. à ce sujet ATF 125 V 50 consid. 8) – être prise en compte dans le calcul du gain intermédiaire; la prise en compte doit avoir lieu le mois au cours duquel elle est versée (arrêt C 41/99 du 24 décembre 1999 consid. 3b, in SVR 2000 ALV n° 22 p. 63).

Les juges cantonaux ont donc violé le droit en déduisant du salaire perçu par l’assuré l’indemnité pour jours fériés, puisque celle-ci fait partie du revenu à prendre en considération au titre de gain intermédiaire. La référence doctrinale sur laquelle ils se sont fondés pour justifier leur raisonnement (BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 11 ad art. 23 LACI relatif au gain assuré) est d’ailleurs erronée. Dans son commentaire de l’art. 24 LACI relatif à la question ici topique de la prise en considération du gain intermédiaire, l’auteur mentionne bel et bien que le gain intermédiaire est composé, entre autres éléments, des indemnités pour jours fériés (RUBIN, op. cit., n° 27 ad art. 24 LACI).

Consid. 3.3
Il y a donc lieu de s’en tenir au gain intermédiaire retenu par la caisse de chômage dans sa décision sur opposition. Quant aux autres conditions de la restitution, elles ne sont pas contestées. Il s’ensuit que le recours doit être admis, l’arrêt attaqué annulé et la décision sur opposition confirmée.

 

Le TF admet le recours de la caisse de chômage.

 

Arrêt 8C_310/2022 consultable ici

 

9C_526/2022 (f) du 01.02.2023 – Preuve du dépôt du recours dans le délai des 30 jours / 48 LTF – 100 LTF / Rappel par le TF des moyens de preuve du respect du délai en cas de doute

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_526/2022 (f) du 01.02.2023

 

Consultable ici

 

Preuve du dépôt du recours dans le délai des 30 jours / 48 LTF – 100 LTF

Rappel par le TF des moyens de preuve du respect du délai en cas de doute

Etiquette « Recommandé Prepaid » – Témoignage de l’apprentie de l’étude n’est pas une preuve stricte du dépôt du mémoire de recours à la Poste suisse dans le délai légal

 

TF

Consid. 2
Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification complète de l’expédition (art. 100 al. 1 LTF). Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l’attention de ce dernier, à La Poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

Un recours est présumé avoir été déposé à la date ressortant du sceau postal (ATF 147 IV 526 consid. 3.1; 142 V 389 consid. 2.2). En cas de doute, la preuve du respect du délai doit être apportée par celui qui soutient avoir agi en temps utile au degré de la certitude et non simplement au degré de la vraisemblance prépondérante; elle résulte en général de preuves « préconstituées » (sceau postal, récépissé d’envoi recommandé ou encore accusé de réception en cas de dépôt pendant les heures de bureau); la date d’affranchissement postal ou le code à barres pour lettres, avec justificatif de distribution, imprimés au moyen d’une machine privée ne constituent en revanche pas la preuve de la remise de l’envoi à la poste. D’autres modes de preuves sont toutefois possibles, en particulier l’attestation de la date de l’envoi par un ou plusieurs témoins mentionnés sur l’enveloppe; la présence de signatures sur l’enveloppe n’est pas, en soi, un moyen de preuve du dépôt en temps utile, la preuve résidant dans le témoignage du ou des signataires; il incombe dès lors à l’intéressé d’offrir cette preuve dans un délai adapté aux circonstances, en indiquant l’identité et l’adresse du ou des témoins (arrêt 6F_20/2022 du 24 août 2022 consid. 1.1 et les arrêts cités).

Consid. 3
Le jugement attaqué a été notifié à son destinataire le 12.10.2022. Le délai de recours de trente jours (art. 48 al. 1 et 100 al. 1 LTF) est ainsi arrivé à échéance vendredi 11.11.2022.

Le mémoire de recours, daté de ce jour-là, est parvenu par voie postale au Tribunal fédéral le lundi suivant. L’enveloppe ayant contenu le mémoire ne porte pas de cachet postal, mais uniquement une étiquette « Recommandé Prepaid » (n° yyy), apposée par la partie recourante. Aucune déclaration d’un témoin qui aurait pu attester du moment et du lieu du dépôt n’y est apposée (cf. ATF 147 IV 526 consid. 3.1). D’après le suivi des envois de la Poste, le pli a été trié la première fois par la Poste le dimanche 13.11.2022 à 20h09.

Invité à s’exprimer sur le respect du délai de recours, l’avocat a allégué que le recours avait été posté le vendredi 11.11.2022 aux alentours de 17h05, dans la boîte aux lettres de la Poste sise à la Place de la Riponne, à Lausanne, dont l’horaire de levée est 18h30, étant précisé qu’il n’y a pas de levée le samedi ou le dimanche (selon un extrait du site internet de la Poste qu’il a produit). Il a également déposé un courriel adressé à ses clients le 11.11.2022 à 16h23, contenant le recours en pièce jointe. L’avocat a encore remis une déclaration de son apprentie qui certifie avoir déposé le recours comme indiqué ci-avant. Il a ajouté un courriel de la Poste qui indiquait que la boîte aux lettres jaune avait été relevée le 13.11.2022; dans cette communication, la Poste le priait de déposer ses recommandés au guichet où la réception serait directement enregistrée.

Consid. 4
Le témoignage de l’apprentie de l’Etude ne saurait valoir preuve stricte du dépôt du mémoire de recours à la Poste suisse dans le délai légal. D’une part, ce témoignage a été fourni seulement en cours de procédure. D’autre part, pareille déclaration est sujette à caution, en raison notamment du rapport de subordination qui existe avec l’employeur.

Compte tenu de l’importance de l’envoi et du risque encouru par l’avocat (cf. ATF 147 IV 526 consid. 3.1), on peut s’interroger sur le fait d’avoir déposé un pli recommandé prépayé dans une boîte aux lettres de la Poste à la Place de la Riponne à 17h05, alors que les guichets y étaient ouverts jusqu’à 18h00. En outre, aucun dysfonctionnement des services postaux n’est établi, car l’allégué de la Poste relatif aux circonstances du dépôt du recours (temps et lieu) n’indique pas qu’il n’y a pas eu de levée le 11.11.2022 à 18h30, contrairement à ce que le mandataire des recourants semble affirmer. Dès lors que le mémoire de recours a pu être remis à la Poste aussi bien le 11, 12 ou 13 novembre 2022, dans une boîte aux lettres sise à la Place de la Riponne ou ailleurs, la date de son dépôt est incertaine.

Comme la preuve stricte du respect du délai du recours n’est pas rapportée, le recours doit être déclaré irrecevable pour cause de tardiveté (art. 48 al. 1 et 100 al. 1 LTF), en procédure simplifiée (art. 108 al. 1 let. a LTF).

 

Arrêt 9C_526/2022 consultable ici

 

9C_209/2022 (f) du 20.01.2023 – Survenance de l’incapacité de travail en lien avec un trouble affectif bipolaire – Rupture de la connexité temporelle – Troubles bipolaires similaires aux maladies évoluant par poussées – 23 let. a LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_209/2022 (f) du 20.01.2023

 

Consultable ici

 

Survenance de l’incapacité de travail en lien avec un trouble affectif bipolaire – Lien de connexité matérielle et temporelle / 23 let. a LPP

Rupture de la connexité temporelle – Troubles bipolaires similaires aux maladies évoluant par poussées

 

Assuré, né en 1984, ressortissant français domicilié en France, a travaillé du 01.05.2013 au 31.08. 2014 pour le compte de B.__ SA en qualité de technicien de maintenance. Il a subi un arrêt de travail du 12.05.2014 au 26.05.2014, puis du 02.06.2014 au 11.06.2014. Le 12.06.2014, l’employeur a résilié les rapports de travail avec effet au 31.08.2014.

L’assuré a ensuite notamment bénéficié d’indemnités journalières de la Caisse primaire d’assurance-maladie de Haute-Savoie (CPAM) et d’allocations chômage d’aide au retour à l’emploi (ARE) de l’assurance-chômage française de manière intermittente entre 2014 et 2018. A la suite d’une demande de prestations déposée en avril 2019, l’Office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger a, par décision du 31.01.2020, reconnu le droit de l’assuré à une rente entière dès le 01.10.2019.

De son côté, l’institution de prévoyance a informé l’assuré qu’elle refusait de lui allouer une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle, parce que les périodes de chômage avaient rompu la connexité temporelle « avec le cas d’incapacité de travail survenu le 01.01.2014 ».

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/221/2022 – consultable ici)

Le 11.11.2020, l’assuré a ouvert action contre l’institution de prévoyance.

La juridiction cantonale a admis l’existence d’un lien de connexité matérielle entre l’incapacité de travail liée à un trouble affectif bipolaire survenue dès mai 2014, soit pendant l’affiliation de l’assuré à l’institution de prévoyance, et l’invalidité ayant ouvert le droit de l’assuré à une rente AI dès octobre 2019. Les juges cantonaux ont ensuite constaté que l’assuré avait bénéficié de 513 jours d’allocations de chômage entre le 19.04.2016 et le 26.11.2017, soit pendant environ une période de 19 mois, laquelle avait été entrecoupée par de brefs arrêts de travail totalisant 19 jours à la fin de l’année 2016, puis par deux hospitalisations dans le courant de l’année 2017. Nonobstant ces brefs arrêts de travail, l’assuré avait été jugé apte au placement par les organes français de l’assurance-chômage et n’avait pas été hospitalisé entre novembre 2015 et juin 2017. En conséquence, pour la juridiction cantonale, la période pendant laquelle l’assuré avait reçu des allocations de chômage avait été suffisamment longue pour considérer que le lien de connexité temporelle entre l’incapacité de travail déterminante et l’invalidité subséquente avait était rompu.

Par jugement du 10.03.2022, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 6.1
Il convient de relever d’emblée que ce n’est pas seulement l’intervalle du 19.04.2016 au 26.11.2017 qui est déterminant pour examiner la condition de la connexité temporelle, mais bien la période courant d’avril 2014 à mai 2019. Celle-ci correspond en effet à la période entre l’incapacité de travail (de plus de 20% [cf. ATF 144 V 58 consid. 4.4]) survenue pendant l’affiliation de l’assuré à l’institution de prévoyance et celle ayant ouvert le droit à une rente de l’assurance-invalidité suisse.

Consid. 6.2
La connexité temporelle entre l’incapacité de travail survenue durant le rapport de prévoyance et l’invalidité ultérieure est interrompue lorsque la personne concernée dispose d’une capacité de travail de plus de 80% dans une activité adaptée pendant plus de trois mois et que celle-ci lui permet de réaliser un revenu excluant le droit à une rente (ATF 144 V 58 consid. 4.4 et les références). Toutefois, cette durée de trois mois doit être relativisée lorsque l’activité en question doit être considérée comme une tentative de réinsertion, en particulier lorsque l’invalidité résulte d’une maladie évoluant par poussées, telle que la sclérose en plaque ou la schizophrénie. Lorsque les tableaux cliniques sont caractérisés par des symptômes évoluant par vagues, avec une alternance des périodes d’exacerbation et de rémission, même une phase plus longue pendant laquelle la personne assurée avait pu reprendre le travail n’implique pas forcément une amélioration durable de l’état de santé et de la capacité de travail si chaque augmentation de la charge professionnelle entraîne après quelque temps, en règle générale, une recrudescence des symptômes conduisant à une nouvelle incapacité de travail notable. La jurisprudence essaie d’en tenir compte en accordant une signification particulière aux circonstances de chaque cas d’espèce (arrêt 9C_333/2020 du 23 février 2021 consid. 5.2 et les références). En cas de troubles bipolaires – comme en l’occurrence -, qui présentent une certaine similarité avec les maladies évoluant par poussées, on peut s’inspirer de ces principes (arrêts 9C_142/2016 du 9 novembre 2016 consid. 7.2 et 7.3.3 et les références; 9C_61/2014 du 23 juillet 2014 consid. 5.3.1).

Consid. 6.3
En premier lieu, on constate que la période pendant laquelle l’assuré a travaillé et a été mis au bénéfice d’indemnités de l’assurance-chômage française a été précédée et suivie d’incapacités totales de travail. Il a de ce fait perçu des indemnités journalières de l’assurance-maladie qui concernaient «un arrêt de travail en rapport à une affection de longue durée» du 16.11.2014 au 20.04.2016, puis du 30.11.2017 au 30.11.2018.

En deuxième lieu, il apparaît que même durant la période de perception de prestations de chômage d’avril 2016 à novembre 2017, l’assuré n’a pas récupéré durablement une capacité de travail d’au moins 80% (cf. ATF 144 V 58). En effet, lorsque celui-ci a travaillé du 28.09.2016 au 30.12.2016, il a présenté des incapacités totales de travail ayant donné lieu au versement d’indemnités journalières pour cause de maladie du 23.11.2016 au 27.11.2016, puis du 06.12.2016 au 19.12.2016. Pour cette période, le médecin-traitant et la psychiatre-traitante ont notamment indiqué qu’il présentait à nouveau des troubles du sommeil, ne dormait plus qu’une à deux heures par nuit en raison du travail, était angoissé, présentait des insomnies et « rechutait » dès qu’il travaillait. Si ces indications sont effectivement succinctes, comme le relève la juridiction cantonale, elles mettent cependant en évidence que l’assuré n’avait pas récupéré une capacité de travail déterminante pendant la période de chômage, puisque la reprise concrète d’une activité lucrative a mené à une nouvelle déstabilisation de son état de santé et à une recrudescence des symptômes psychiques avec des arrêts de travail. Les constatations en temps réel («echtzeitlich») du médecin traitant se recoupent avec ses conclusions du 24.03.2020, selon lesquelles malgré le fait que l’assuré a «basculé» du régime de l’assurance-maladie dans celui de l’assurance-chômage, la seule tentative de reprise de travail s’était soldée par un échec. Aussi, la reprise du travail pendant une brève période en 2016 doit être tout au plus qualifiée de tentative de réinsertion, sans que l’assuré n’ait réussi à réintégrer durablement la vie professionnelle.

Dans le même sens, le médecin examinateur auprès du service médical de l’Assurance-maladie française a conclu que la composante hypomaniaque du trouble bipolaire de l’assuré – bien qu’elle semblât émerger de temps en temps lors des séjours hospitaliers effectués – avait évolué depuis le début de ses difficultés médicales (en 2014) vers la «chronicisation» des troubles thymiques, formant un noyau symptomatique durable; pour ce praticien, un tableau clinique de dépression sévère persistait sur une période de cinq ans malgré les nombreuses tentatives thérapeutiques (rapport du 04.04.2019). Dans ces circonstances, il n’apparaît pas que la maladie psychique de l’assuré ait connu de rémission lui ayant permis de recouvrer une capacité de travail (de plus de 80% entre avril 2014 à mai 2019), et ce nonobstant l’absence d’hospitalisation durant la période mentionnée par les juges cantonaux.

Consid. 6.4
Il suit de ce qui précède que la cour cantonale a violé l’art. 23 LPP en retenant une rupture de la connexité temporelle entre l’incapacité de travail survenue à l’époque où l’intéressé était affilié auprès de l’institution de prévoyance et son invalidité ultérieure. L’assuré a droit à une rente de la prévoyance professionnelle de la part de l’institution de prévoyance.

 

Le TF admet le recours de l’assuré, annule le jugement cantonal et renvoie la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle statue à nouveau dans le sens des considérants.

 

Arrêt 9C_209/2022 consultable ici

 

8C_271/2022 (f) du 11.11.2022 – Droit à l’indemnité chômage – 8 LACI / Assuré expatrié – Retour en Suisse retardé par Covid-19 / Devoir de conseils de l’assureur social – Protection de la bonne foi niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_271/2022 (f) du 11.11.2022

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité chômage – Assuré expatrié – Retour en Suisse retardé par Covid-19/ 8 LACI

Devoir de conseils de l’assureur social – Protection de la bonne foi niée / 27 LPGA – 19a al. 1 aOACI – 22 al. 1 OACI

 

Assuré, né en 1962, de nationalité suisse, a conclu plusieurs contrats de travail avec l’Association B.__ et a travaillé à l’étranger en tant qu’expatrié depuis 2016. Le 10.04.2019, il a conclu avec l’Association B.__ un contrat de travail qui prévoyait une mission en Jordanie allant du 06.04.2019 au 05.04.2020. Par courriel du 02.04.2020, alors qu’il se trouvait toujours en poste en Jordanie, il a fait parvenir à l’ORP du canton de Genève une demande d’inscription à l’assurance-chômage. Le 03.04.2020, ensuite d’une conversation téléphonique, un collaborateur de l’ORP a adressé à l’assuré un courriel dans lequel il lui demandait d’envoyer sa demande d’inscription aux autorités vaudoises, dès lors que son dernier domicile en Suisse se trouvait à U.__.

Par courriel du 05.04.2020, l’assuré a répondu qu’en raison de la situation exceptionnelle due à la pandémie de Covid-19, il était bloqué en Jordanie ensuite de la fermeture de l’aéroport d’Amman; il avait envoyé son formulaire d’inscription à l’ORP de Genève car il comptait quitter la Jordanie dès que possible en vue de s’installer et d’élire domicile dans le canton de Genève; il demandait en outre un traitement particulier compte tenu de la situation sanitaire.

Par courriel du 06.04.2020, l’ORP de Genève a informé l’assuré qu’au vu de la situation exceptionnelle, il allait procéder à son inscription; l’attention de l’assuré était attirée sur l’importance qu’il établisse officiellement son domicile dans le canton dès son arrivée en Suisse. Un délai-cadre d’indemnisation lui a été ouvert à compter du 06.04.2020 et l’indemnité de chômage lui a été versée jusqu’en septembre 2020.

Par vol du 24.09.2020 en provenance d’Amman, l’assuré est rentré en Suisse, ensuite de quoi il a effectué un voyage de prospection en France. Il est revenu en Suisse le 17.10.2020 puis a observé une quarantaine d’une durée de dix jours. Son certificat de domicile pour confédérés, établi le 12.11.2020, indique le 09.11.2020 comme date de son arrivée dans le canton de Genève.

Par décision du 21.01.2021, confirmée sur opposition, l’Office cantonal de l’emploi (OCE) a déclaré l’assuré inapte au placement pour la période allant du 06.04.2020 au 25.10.2020, au motif que durant son séjour à l’étranger, tant en Jordanie qu’en France, ainsi que pendant sa quarantaine de dix jours, il n’avait pas pu suivre une mesure de marché du travail en présentiel, se rendre à un entretien d’embauche, effectuer un essai chez un employeur ou prendre un emploi.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/266/2022 – consultable ici)

Par jugement du 24.03.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’art. 8 al. 1 LACI énumère aux lettres a à g sept conditions du droit à l’indemnité de chômage. Ces conditions sont cumulatives (ATF 124 V 218 consid. 2). Le droit à l’indemnité de chômage suppose en particulier que l’assuré soit domicilié en Suisse (let. c) et qu’il soit apte au placement (let. f).

Consid. 3.2.1
L’art. 27 LPGA prévoit que dans les limites de leur domaine de compétence, les assureurs et les organes d’exécution des diverses assurances sociales sont tenus de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations (al. 1) et que chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations (al. 2, première phrase). Selon l’ancien art. 19a al. 1 OACI, abrogé avec effet au 01.07.2021 et remplacé dès cette date par l’art. 22 al. 1 OACI de même teneur, les organes d’exécution mentionnés à l’art. 76 al. 1 let. a à d LACI – parmi lesquels les ORP – renseignent les assurés sur leurs droits et obligations, notamment sur la procédure d’inscription et leur obligation de prévenir et d’abréger le chômage.

Consid. 3.2.2
Le devoir de conseils de l’assureur social au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA comprend l’obligation d’attirer l’attention de la personne intéressée sur le fait que son comportement pourrait mettre en péril la réalisation de l’une des conditions du droit aux prestations (ATF 139 V 524 consid. 2.2; 131 V 472 consid. 4.3). Les conseils ou renseignements portent sur les faits que la personne qui a besoin de conseils doit connaître pour pouvoir correctement user de ses droits et obligations dans une situation concrète face à l’assureur. Le devoir de conseils s’étend non seulement aux circonstances de fait déterminantes, mais également aux circonstances de nature juridique. Son contenu dépend entièrement de la situation concrète dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration (arrêt 9C_145/2019 du 29 mai 2019 consid. 4.3.1 et les références).

Consid. 3.2.3
Selon la jurisprudence, le défaut de renseignement dans une situation où une obligation de renseigner est prévue par la loi, ou lorsque les circonstances concrètes du cas particulier auraient commandé une information de l’assureur, est assimilé à une déclaration erronée de sa part qui peut, à certaines conditions, obliger l’autorité à consentir à un administré un avantage auquel il n’aurait pas pu prétendre, en vertu du principe de la protection de la bonne foi découlant de l’art. 9 Cst. Un renseignement ou une décision erronés de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (a) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (b) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (c) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement (« ohne weiteres ») de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore qu’il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour (d) prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et (e) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée. Ces principes s’appliquent par analogie au défaut de renseignement, la condition (c) devant toutefois être formulée de la façon suivante: que l’administré n’ait pas eu connaissance du contenu du renseignement omis ou que ce contenu était tellement évident qu’il n’avait pas à s’attendre à une autre information (ATF 143 V 341 consid. 5.2.1; 131 V 472 consid. 5).

Consid. 6.1
L’assuré, se plaignant d’une violation de l’art. 27 LPGA, soutient que toutes les conditions définies par la jurisprudence pour être mis au bénéfice du principe de la protection de la bonne foi seraient satisfaites. Il explique que l’ORP ne lui aurait jamais fait savoir que l’absence d’un domicile en Suisse l’empêcherait de toucher l’indemnité de chômage. Bien qu’il ait été conscient de l’importance de revenir en Suisse au plus vite, il n’aurait pas été au fait qu’un domicile dans ce pays était une condition impérative pour pouvoir percevoir ladite indemnité. L’ORP aurait omis de le renseigner à ce sujet. Par ailleurs, on lui aurait versé l’indemnité de chômage pendant six mois, alors même que son absence de domicile en Suisse était connue des autorités compétentes. […]

Consid. 6.2
Alors qu’il avait initialement redirigé l’assuré vers les autorités vaudoises, l’ORP de Genève a, dans son courriel du 06.04.2020, accepté de tenir compte de la situation exceptionnelle de l’intéressé et de procéder à son inscription à l’assurance-chômage dans le canton de Genève. Ce faisant, il a attiré l’attention de l’assuré – dont la dernière adresse connue en Suisse se trouvait dans le canton de Vaud – sur la nécessité d’élire officiellement domicile dans le canton de Genève dès son retour en Suisse. Dès lors que l’ORP n’a toutefois jamais indiqué ni même laissé entendre à l’assuré que celui-ci ne pouvait prétendre à l’allocation de l’indemnité de chômage qu’à la condition d’être domicilié en Suisse, il est douteux qu’il se soit conformé à son devoir de conseils. Il a, en sus, exposé tenir compte de la situation exceptionnelle de l’assuré, liée à la pandémie de Covid-19, et a procédé à son inscription, ce qui a entraîné le versement de l’indemnité de chômage jusqu’en septembre 2020, sans que l’absence de domicile en Suisse – pourtant connue des autorités genevoises – n’y ait fait obstacle. Ce n’est qu’en avril 2021, au stade de la décision sur opposition de l’intimé, que le défaut de domicile de l’assuré en Suisse lui a été opposé. Ainsi, quand bien même l’assuré a, dans son courriel du 05.04.2020, assuré avoir l’intention de quitter la Jordanie pour gagner la Suisse dès que possible, il n’est pas improbable qu’il ait cru être éligible à l’indemnité de chômage dès son inscription en avril 2020, même s’il était contraint de différer son retour en Suisse en raison de la situation sanitaire extraordinaire. Il n’est du reste pas contesté qu’il a parfaitement respecté ses obligations d’assuré malgré son éloignement géographique et les difficultés liées à la pandémie, effectuant notamment de nombreuses recherches d’emploi dès février 2020 ainsi que des entretiens d’embauche en juin et août 2020, ce qui suggère qu’il ignorait ne pas remplir l’une des conditions du droit à l’indemnité de chômage. Cela étant, le point de savoir si la condition (c) est satisfaite peut rester indécis au vu de ce qui suit.

Consid. 6.3
S’agissant de la condition (d), l’assuré n’expose pas – et on ne voit pas – à quelle autre source potentielle de revenu il aurait renoncé ensuite du versement de l’indemnité de chômage dès avril 2020. Indépendamment de la perception de cette indemnité, il était en outre de toute manière censé tout mettre en œuvre pour trouver au plus vite un nouvel emploi, conformément à ses obligations d’assuré. Le seul fait qu’il ait dépensé l’indemnité perçue entre avril et septembre 2020 ne saurait conduire à admettre qu’il a pris des dispositions auxquelles il ne peut pas renoncer sans subir de préjudice. Quant à l’argument tiré des « mesures plus radicales » qu’il aurait pu entreprendre – à défaut de versement de l’indemnité de chômage – pour revenir en Suisse plus tôt, il se heurte à ses propres déclarations selon lesquelles il aurait tout fait pour rejoindre la Suisse le plus tôt possible. La condition (d) n’est donc pas remplie.

Consid. 6.4
Il s’ensuit que la cour cantonale a considéré à bon droit que l’assuré ne pouvait pas être mis au bénéfice de la protection de sa bonne foi s’agissant de la condition du domicile en Suisse de l’art. 8 al. 1 let. c LACI.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_271/2022 consultable ici

 

8C_322/2022 (f) du 30.01.2023 – Réduction de l’horaire de travail (RHT) – Mesures de lutte contre le coronavirus / 31 LACI – 32 LACI / Droit à l’indemnité de RHT – Entreprise privée vs Entreprise du service public

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_322/2022 (f) du 30.01.2023

 

Consultable ici

 

Réduction de l’horaire de travail (RHT) – Mesures de lutte contre le coronavirus / 31 LACI – 32 LACI

Droit à l’indemnité de RHT – Entreprise privée vs Entreprise du service public

Entreprise de transport public de personnes

 

La société A.__ SA (ci-après: la société) est une société anonyme de droit privé active essentiellement dans le domaine du transport public de personnes, dont les actions sont détenues par la B.__ SA.

Le 31.03.2020, la société a transmis au Service de l’emploi du canton de Vaud (ci-après: le SDE) un préavis de réduction de l’horaire de travail (RHT) en raison des mesures officielles prises dans le cadre de la pandémie de coronavirus. Elle demandait l’octroi de l’indemnité en cas de RHT pour 78 employés dès le 01.04.2020, en évaluant à 50% la perte de travail due à la réduction de l’offre de transport entraînée par la généralisation de l’horaire du samedi à tous les jours de la semaine, sauf le dimanche où l’horaire était maintenu.

Après avoir soumis des questionnaires à la société, le SDE a rendu, le 11.06.2020, une décision par laquelle il a rejeté la demande tendant au versement de l’indemnité en cas de RHT. La société s’est opposée à cette décision en produisant divers documents, notamment les conventions collectives de travail, conventions de subventionnement et contrat d’exploitation qui la liaient. Par décision du 05.02.2021, le SDE a rejeté l’opposition et a confirmé sa décision du 11.06.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 55/21 – 55/2022 – consultable ici)

Par jugement du 05.04.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Selon l’art. 31 al. 1 LACI, les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail lorsque: ils sont tenus de cotiser à l’assurance ou qu’ils n’ont pas encore atteint l’âge minimum de l’assujettissement aux cotisations AVS (let. a); la perte de travail doit être prise en considération (art. 32 LACI; let. b); le congé n’a pas été donné (let. c); la réduction de l’horaire de travail est vraisemblablement temporaire, et si l’on peut admettre qu’elle permettra de maintenir les emplois en question (let. d).

L’art. 32 let. a et b LACI précise que la perte de travail est prise en considération lorsqu’elle est due à des facteurs d’ordre économique et est inévitable et qu’elle est d’au moins 10% de l’ensemble des heures normalement effectuées par les travailleurs de l’entreprise. Pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques ou à d’autres circonstances non imputables à l’employeur (art. 32 al. 3, première phrase, LACI). Le Conseil fédéral a ainsi notamment prévu à l’art. 51 al. 1 OACI que les pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, ou qui sont dues à d’autres motifs indépendants de la volonté de l’employeur, sont prises en considération lorsque l’employeur ne peut les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou faire répondre un tiers du dommage.

Consid. 4.2.1
Selon la jurisprudence, l‘indemnité en cas de RHT est une mesure préventive au sens large: l’allocation de cette indemnité a pour but d’éviter le chômage complet des travailleurs – soit leurs congés ou leurs licenciements – d’une part et, d’autre part, de maintenir simultanément les emplois dans l’intérêt des employeurs aussi bien que des travailleurs. Or en règle générale, les conditions précitées du droit à l’indemnité en cas de RHT ne sauraient être remplies si l’employeur est une entreprise de droit public, faute pour celle-ci d’assumer un risque propre d’exploitation. Au contraire, les tâches qui lui incombent de par la loi doivent être exécutées indépendamment de la situation économique, et les impasses financières, les excédents de dépenses ou les déficits peuvent être couverts au moyen des deniers publics (recettes des impôts). Bien plus, il n’existe en général aucune menace de perdre son emploi là où les travailleurs ont la possibilité d’être déplacés dans d’autres secteurs, ainsi que cela est le cas dans les communautés ou établissements publics d’une certaine importance. En revanche, compte tenu des formes multiples de l’action étatique, on ne saurait de prime abord exclure que, dans un cas concret, le personnel des services publics remplisse les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT. Ce qui est déterminant en fin de compte, conformément à la finalité du régime de la prestation, c’est de savoir si, par l’allocation de l’indemnité en cas de RHT, un licenciement peut être évité (ATF 121 V 362 consid. 3a et les références).

Consid. 4.2.2
C’est à brève échéance que le versement de l’indemnité en cas de RHT doit pouvoir éviter un licenciement. En effet, ces indemnités ont un caractère préventif. Il s’agit de mesures temporaires. Le statut du personnel touché par la réduction de l’horaire de travail est dès lors décisif pour l’allocation de l’indemnité. Ainsi, là où ce personnel est au bénéfice d’un statut de fonctionnaire ou d’un statut analogue limitant les possibilités de licenciement que connaît le contrat de travail, ce statut fait échec à court terme – éventuellement à moyen terme – à la suppression d’emploi. Dans ce cas, les conditions du droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail ne sont pas remplies. L’exigence d’un risque économique à court ou moyen terme concerne aussi l’entreprise. Cela ressort notamment de l’art. 32 al. 1 let. a LACI, selon lequel la perte de travail n’est prise en considération que si elle est due à des facteurs d’ordre économique et qu’elle est inévitable. A l’évidence, cette condition ne saurait être remplie si l’entreprise ne court aucun risque propre d’exploitation, à savoir un risque économique où l’existence même de l’entreprise est en jeu, par exemple le risque de faillite ou le risque de fermeture de l’exploitation. Or si l’entreprise privée risque l’exécution forcée, il n’en va pas de même du service public, dont l’existence n’est pas menacée par un exercice déficitaire (ATF 121 V 362 précité consid. 3b et les références).

Consid. 4.3.1
Dans le cadre des mesures prises par le Conseil fédéral dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec la pandémie de coronavirus (Covid-19), le SECO a rédigé des directives destinées à préciser les conditions d’octroi des prestations de l’assurance-chômage dans ce contexte.

Bien que les directives administratives ne lient en principe pas le juge, celui-ci est néanmoins tenu de les considérer dans son jugement, pour autant qu’elles permettent une interprétation des normes juridiques qui soit adaptée au cas d’espèce et équitable. Ainsi, si les directives administratives constituent une concrétisation convaincante des dispositions légales, le tribunal ne s’en départit pas sans motif pertinent. Dans cette mesure, il tient compte du but de l’administration tendant à garantir une application égale du droit (ATF 148 V 102 consid. 4.2; 146 V 224 consid. 4.4. et l’arrêt cité). En principe, il convient de tenir compte de la version qui était à la disposition de l’autorité de décision au moment de la décision (et qui a déployé un effet contraignant à son égard); des compléments ultérieurs peuvent éventuellement être pris en compte, notamment s’ils permettent de tirer des conclusions sur une pratique administrative déjà appliquée auparavant (cf. ATF 147 V 278 consid. 2.2 et les références).

Consid. 4.3.2
Sous l’intitulé « Préavis des fournisseurs de prestations publiques (employeurs publics, administrations, etc.) », la directive du SECO 2020/8 du 1er juin 2022 (tout comme les directives suivantes) prévoit ce qui suit: « Le but de l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail est de préserver les emplois. L’objectif est d’éviter des licenciements à court terme, consécutifs à un recul temporaire de la demande de biens et de services, et la perte de travail qui en résulte (cf. également ATF 121 V 362 c. 3a). De manière générale, ce risque (immédiat) de disparition d’emplois concerne uniquement les entreprises qui financent la fourniture de prestations exclusivement avec les revenus ainsi perçus ou avec des fonds privés. Contrairement aux entreprises privées, les fournisseurs de prestations publiques ne supportent pas de risque entrepreneurial ou de risque de faillite parce qu’ils doivent mener à bien les tâches qui leur ont été confiées par la loi indépendamment de la situation économique. Les éventuels problèmes de liquidités, les dépenses supplémentaires ou même les pertes résultant de l’activité de l’entreprise sont couverts par des moyens publics, qu’il s’agisse de subventions ou d’autres moyens financiers. Il n’existe pas dans ces cas de risque de disparition d’emplois. En vertu du mandat des fournisseurs de prestations publiques, considérant l’objectif visé par l’indemnité en cas de RHT, les prestataires n’ont globalement aucun droit à la RHT pour leurs travailleurs. Le versement de la RHT en cas de suspension temporaire de cette fourniture de prestations revient à répercuter les coûts du salaire sur le fonds de l’AC sans que le risque de licenciements à court terme pour ces entreprises publiques-privées, contre lequel se bat le législateur, ne soit avéré.

Ces réflexions s’appliquent aussi bien aux employeurs de droit public-privé eux-mêmes (en ce qui concerne les employés de la Confédération, des cantons et des communes) qu’aux secteurs privatisés qui fournissent des prestations sur mandat d’une institution publique sur la base d’un accord. La RHT ne peut être accordée aux travailleurs employés par des fournisseurs de prestations publiques que si les travailleurs concernés sont exposés à un risque concret et immédiat de licenciement. Cela peut également concerner un secteur d’un prestataire seulement. Par exemple, une entreprise de transports peut comprendre à la fois un secteur d’exploitation pour lequel elle a droit à la RHT en cas de chute du chiffre d’affaires (p. ex. bus touristiques), et un secteur d’exploitation pour lequel aucun droit à la RHT n’existe (exploitation subventionnée d’un bus local).

On considère qu’un risque immédiat et concret de disparition d’emplois est présent si, en cas de recul de la demande ou de réduction ordonnée de l’offre chez le mandataire, il n’existe pas de garantie que les coûts d’exploitation seront entièrement couverts, et si les entreprises concernées ont la possibilité de procéder à des licenciements immédiats dans l’objectif de faire baisser les coûts d’exploitation. Ces deux conditions doivent être cumulées.

L’ACt [l’autorité cantonale compétente] est tenue de vérifier uniquement si un risque immédiat et concret de disparition d’emplois existe et si l’employeur est en mesure de justifier ce risque en présentant des documents appropriés. Il incombe donc aux entreprises qui fournissent des prestations publiques (Service Public) de justifier de manière plausible à l’ACt qu’en cas de perte de travail, un risque immédiat et concret de licenciements existe, à l’aide de documents adaptés (règlements du personnel, contrats de travail, mandats de prestations, concessions, CCT, etc.). Il n’est pas nécessaire de procéder à d’autres examens. L’introduction de la réduction de l’horaire de travail doit être refusée uniquement si les documents remis par l’employeur ne justifient pas un risque de disparition d’emplois à satisfaction de droit.

Dans le cas d’une décision sur opposition, la réalisation des deux conditions du droit à l’indemnité susmentionnées (risque de disparition d’emplois concret et aucune couverture complète des coûts d’exploitation) doit être mentionnée clairement et explicitement sur le document justificatif comme motif. »

 

Consid. 7.1
Sur le fond, la société A.__ SA soutient qu’elle aurait droit à l’indemnité en cas de RHT. Elle invoque, d’une part, l’absence de garantie de déficit par les pouvoirs publics et, d’autre part, l’existence d’un risque concret pour les emplois.

Répondant à la question laissée indécise par les juges cantonaux, la société A.__ SA soutient que, tant pour le trafic régional de voyageurs que pour le trafic urbain, le déficit effectif causé par la pandémie de coronavirus ne sera pas pris en charge par une quelconque subvention. Contrairement aux causes à l’origine des arrêts 8C_558/2021 et 8C_559/2021 du 20 janvier 2022, ni la loi ni le texte des conventions de subventionnement applicables en l’espèce n’imposeraient une garantie de déficit, les subventions n’étant pas liées au coût effectif d’exploitation.

Ensuite, la société A.__ SA critique le raisonnement des juges cantonaux, en tant que ceux-ci ont retenu qu’elle n’aurait pas rendu vraisemblable l’exposition, à court terme, à des pertes de revenus suffisamment importantes pour mettre en cause les emplois, alors qu’ils ont admis que la réduction de l’offre avait entraîné des pertes de recettes qui n’avaient plus permis aux entreprises de transports publics de couvrir les coûts fixes en matière d’infrastructure et de personnel. En outre, la juridiction cantonale considérerait à tort qu’il serait objectivement impossible de ne pas respecter un mandat de prestation publique, contrairement à un autre mandat de droit privé. Ce point de vue serait manifestement inexact sous l’angle de la clausula rebus sic stantibus. La société A.__ SA conteste qu’en raison de leur mandat de droit public, les entreprises de transports publics n’auraient pas la possibilité de réduire leur masse salariale. Selon elle, l’existence de subventions et d’un mandat de service public ne constituerait pas en soi un obstacle dirimant à l’obtention de l’indemnité en cas de RHT.

 

Consid. 7.2
Comme on l’a vu (cf. consid. 4 supra), les entreprises qui fournissent des prestations publiques ne sont pas en tant que telles exclues du cercle des potentiels bénéficiaires du droit à l’indemnité en cas de RHT. Pour ces entreprises, on reconnaît un risque de disparition d’emplois si, en cas de recul de la demande ou de réduction de l’offre chez le mandataire, il n’existe pas de garantie que les coûts d’exploitation seront entièrement couverts, et si les entreprises concernées ont la possibilité de procéder à des licenciements à brève échéance dans l’objectif de faire baisser les coûts d’exploitation. En l’espèce, si la réduction du temps de travail du personnel roulant et technique touche des secteurs de la société A.__ SA dans lesquels il n’y a pas de garantie d’une couverture complète des coûts d’exploitation, celle-ci supporterait, comme toute entreprise privée, un risque d’exploitation ou de faillite correspondant, auquel une telle entreprise ferait face par des licenciements (cf. arrêt 8C_769/2021 du 3 mai 2022 consid. 6, qui concerne également une entreprise de transport public). Or, dans l’arrêt entrepris, la cour cantonale n’a pas clairement tranché la question de la couverture des coûts d’exploitation, en tout cas s’agissant du trafic régional. Elle a en effet retenu à cet égard qu’il appartenait à la société A.__ SA de couvrir le déficit provoqué par la chute des recettes, tout en évoquant la possibilité d’une garantie de déficit plus étendue. En outre, le fait de percevoir des subventions ne signifie pas encore que les coûts d’exploitation sont entièrement couverts par les pouvoirs publics (cf. arrêt 8C_157/2022 du 8 septembre 2022 consid. 3.4.1). Enfin, la possibilité de procéder à des licenciements à brève échéance s’examine non pas au regard de la main d’œuvre nécessaire pour fournir les prestations publiques selon l’offre soumise aux commanditaires, mais au regard de la règlementation applicable au personnel (cf. consid. 4.3.2 supra). L’arrêt attaqué ne dit rien à ce propos quand bien même la société A.__ SA a produit la documentation appropriée dans le cadre de son opposition. La cour cantonale a donc violé le droit fédéral en niant le droit de la société A.__ SA aux indemnités en cas de RHT sans instruire et examiner de manière approfondie l’étendue de la couverture des frais d’exploitation par les pouvoirs publics ainsi que les possibilités concrètes de résiliation sur la base du régime applicable au personnel.

 

Le TF admet le recours de la société A.__ SA, annule le jugement cantonal et renvoie la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

Arrêt 8C_322/2022 consultable ici

 

Cf. également les arrêts 8C_325/2022 et 8C_328/2022 du 30.01.2023 dans deux causes parallèles similaires.

 

9C_611/2021 (f) du 21.11.2022 – Revenu sans invalidité selon ESS TA1 – Deux professions définies séparément dans la classification internationale type des professions (CITP-08) – 16 LPGA / Augmentation du taux d’activité non retenue au degré de la vraisemblance prépondérante

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_611/2021 (f) du 21.11.2022

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité selon ESS TA1 – Deux professions définies séparément dans la classification internationale type des professions (CITP-08) / 16 LPGA

Revenu sans invalidité fixé sur la moyenne des revenus perçus lors des cinq années qui ont précédé l’atteinte à la santé puis indexée

Augmentation du taux d’activité non retenue au degré de la vraisemblance prépondérante

 

Assurée, titulaire d’un diplôme de comédienne, a travaillé, parallèlement à son activité de comédienne, en dernier lieu pour une association comme enseignante de théâtre, de danse et de yoga environ douze heures par semaine (du 20.09.2011 au 30.06.2012). En arrêt de travail depuis le 24.05.2012, elle a déposé une demande AI le 14.02.2013.

En se fondant sur l’avis du spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et médecin traitant, l’office AI a mis en œuvre différentes mesures de réadaptation d’ordre professionnel, dont le reclassement professionnel de l’assurée comme assistante de direction à 50% à compter du 06.04.2016. Au terme de sa formation, l’assurée a été engagée comme assistante marketing et communication à un taux d’activité de 45% dès le 01.09.2018.

L’office AI a octroyé à l’assurée une rente entière de l’assurance-invalidité du 01.08.2013 au 30.11.2018, puis une demi-rente d’invalidité dès le 01.12.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 285/21 ap. TF – 309/2021 – consultable ici)

Par jugement du 14.10.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
La juridiction cantonale a constaté que l’assurée avait durablement retrouvé une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée à ses restrictions fonctionnelles dès le mois de décembre 2015. Elle a fixé le revenu avec invalidité à l’issue du reclassement professionnel en 2018 de l’assurée à 28’445 fr. (ESS 2018, tableau TA1_skill_level, lignes 77, 79-82 « services administratifs », niveau de compétence 2 [« Tâches pratiques »], durée hebdomadaire de travail de 41,7 heures, abattement de 5%). En ce qui concerne le revenu sans invalidité de l’année 2018, la cour cantonale l’a fixé à 64’551 fr. (ESS 2018, tableau TA1_skill_level, ligne 90-93 « arts, spectacles et activités récréatives », niveau de compétence 2, durée hebdomadaire de travail de 41,7 heures). Le degré d’invalidité s’élevait dès lors à 56% (55,93%), donnant droit à une demi-rente d’invalidité dès le 01.12.2018, soit trois mois après la fin du reclassement professionnel.

 

Consid. 4.1
Pour déterminer le revenu sans invalidité, il faut établir ce que la personne assurée aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant si elle n’était pas devenue invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité (ATF 144 I 103 consid. 5.3; 139 V 28 consid. 3.3.2; arrêt 8C_934/2015 du 9 mai 2016 consid. 2.2 et les références). Le salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré comprend tous les revenus d’une activité lucrative (y compris les gains accessoires, la rémunération des heures supplémentaires effectuées de manière régulière) soumis aux cotisations à l’assurance-vieillesse et survivants (AVS; arrêt 8C_289/2021 du 3 février 2022 consid. 3.1.2 et la référence).

Consid. 4.2
En l’espèce, la juridiction cantonale a constaté, de manière à lier le Tribunal fédéral, que l’assurée était comédienne et dispensait parallèlement à cette activité des cours dans le domaine artistique (théâtre, danse et yoga) au moment de la survenance de son atteinte à la santé. A l’inverse de ce que la juridiction cantonale a retenu, il ne s’agit pas là d’un ensemble d’emplois dont les principales tâches se caractérisent par un degré élevé de similarité, mais de deux professions définies séparément dans la classification internationale type des professions (CITP-08).

La ligne 85 de l’ESS 2018 (enseignement) comprend ainsi l’enseignement culturel, soit les activités de formation dans le domaine des arts, du théâtre et de la musique (branche 855200). Les structures dispensant ce type de formation (écoles, ateliers, classes, etc.) offrent des cours formellement organisés, principalement à des fins récréatives, de loisirs ou de développement personnel, et ces cours ne débouchent pas sur un diplôme professionnel.

L’activité de comédienne est intégrée, pour sa part, dans les activités « Arts, spectacles et activités récréatives » de la ligne 90 de l’ESS 2018, laquelle comprend les prestations de services en vue de répondre aux intérêts des clients en matière de culture et de divertissement, singulièrement la fourniture de compétences artistiques, créatives et techniques nécessaires à la production de spectacle et de produits artistiques (branche 900101 [troupes de théâtre et de ballet]).

Consid. 4.3
La juridiction cantonale ne pouvait par conséquent pas se fonder sur la ligne 90 de l’ESS 2018 pour déterminer le revenu sans invalidité de l’assurée pour l’année 2018. Selon les faits constatés par les juges cantonaux, l’assurée a en revanche perçu de ses différentes activités un revenu annuel (brut) total de 54’751 fr. en 2006, de 65’479 fr. en 2007, de 65’069 fr. en 2008, de 60’494 fr. en 2009, de 61’614 fr. en 2010 et de 53’796 fr. en 2011. On cherche en vain dans le recours quel élément concret aurait permis à l’assurée d’augmenter significativement ses revenus entre la période courant de 2007 à 2011 (cinq années qui ont précédé la survenance de son atteinte à la santé) et l’année 2018. Elle ne prétend en particulier pas qu’elle s’attendait à une évolution significative de sa carrière de comédienne et que cette évolution aurait été entravée par la survenance de son atteinte à la santé en 2012. Le fait qu’elle élevait seule ses deux enfants, nés en 1998 et 2003, ou qu’elle était une comédienne « particulièrement brillante », ne suffit en particulier pas à établir que le revenu de son activité de comédienne aurait augmenté de manière significative en 2018.

En se fondant sur l’attestation de l’association du 07.04.2021, l’assurée affirme en revanche qu’elle aurait augmenté son taux d’activité comme enseignante de 40% à 50% dès le 01.09.2013, ce qui aurait permis d’augmenter ses revenus. Selon les faits constatés par la juridiction cantonale, cette attestation contredit cependant pour partie les renseignements communiqués par l’association le 01.03.2013 et est signée notamment par le frère de l’assurée. Le 01.03.2013, à l’invitation de l’office AI, l’association avait ainsi indiqué que l’assurée avait travaillé à environ 40% et que son contrat de travail avait pris fin le 30.06.2012; elle n’avait nullement mentionné à l’époque une augmentation du taux d’activité de l’assurée (ni d’ailleurs une prolongation du contrat de travail au-delà du 30.06.2012). Dans ces conditions, les juges cantonaux ont considéré sans arbitraire que les attestations produites en 2021, soit plusieurs années après la fin du contrat de travail de l’assurée, ne permettaient pas d’établir, au degré de la vraisemblance prépondérante applicable dans le domaine des assurances sociales, que l’assurée aurait augmenté son taux d’activité à 50% comme enseignante en 2013 et au-delà. Au demeurant, dans la mesure où l’assurée avait débuté les répétitions en vue de l’interprétation d’une nouvelle pièce de théâtre en 2011, il apparaît peu vraisemblable qu’elle eût simultanément convenu avec son employeur d’augmenter son taux d’activité comme enseignante.

Consid. 4.4
Par conséquent, le Tribunal fédéral retient que la moyenne des revenus perçus lors des cinq années qui ont précédé l’atteinte à la santé (2012) exprime de manière suffisamment vraisemblable le revenu qui aurait été celui de l’assurée en 2018, après la prise en compte de l’évolution des salaires nominaux. L’assurée aurait ainsi perçu un revenu annuel (brut) de 63’974 fr. 29 en 2018 ([65’479 fr. + 65’069 fr. + 60’494 fr. + 61’614 fr. + 53’796 fr.] / 5 x 131.1 / 125.6 [évolution de l’indice des salaires nominaux, 2011-2018]). Comparé avec un revenu d’invalide (non contesté) de 28’445 fr. en 2018, le taux d’invalidité de l’assurée s’élève à 56% (55,54%). Il est insuffisant pour donner droit à trois quarts de rente (anc. art. 28 al. 2 LAI).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_611/2021 consultable ici

 

9C_641/2021 (f) du 10.11.2022 – Revenu sans invalidité selon T17 au lieu du TA1_skill_level – 16 LPGA / Revenu d’invalide selon le niveau de compétences 2 du TA1_skill_level

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_641/2021 (f) du 10.11.2022

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité selon T17 au lieu du TA1_skill_level / 16 LPGA

Revenu d’invalide selon le niveau de compétences 2 du TA1_skill_level

 

Assurée, née en 1991, travaillait pour un hôpital à 70% depuis son engagement le 01.03.2015 puis à 50% depuis le 01.01.2017. Elle accomplissait diverses tâches (service à la clientèle, achalandage, nettoyage, réapprovisionnement des stocks, commande, rangement) au sein du restaurant et du kiosque. Invoquant un angiome au bras droit apparu en 2000 et totalement incapacitant dès le 04.01.2017, elle a déposé une demande AI le 05.01.2017.

Expertise pluridisciplinaire (spécialistes en chirurgie orthopédique, neurologie et médecine interne générale) mise en œuvre par l’office AI. Les experts ont diagnostiqué un hémangiome caverneux avec foyer d’hémangio-endothéliome intra-vasculaire végétant de Masson et avec douleurs chroniques localisées à la région trois fois opérée en 2001, 2007 et 2017 de la partie proximale de l’avant-bras droit. D’après eux, l’intéressée pouvait exercer son métier de gestionnaire en intendance à 54% (taux horaire de 60% avec diminution de rendement de 10%) et toute autre activité mieux adaptée à sa situation médicale à 72% (taux horaire de 80% avec diminution de rendement de 10%) sans interruption depuis 2007 hormis durant les périodes d’incapacité totale de travail de trois mois liées aux opérations (rapport d’expertise du 09.12.2019). Le médecin du SMR a déduit des rapports médicaux récoltés qu’à l’exception de la période du 04.01.2017 au 24.11.2017, au cours de laquelle elle avait occasionné une incapacité totale de travail, l’affection en cause avait permis depuis 2007 et permettait encore l’exercice de l’activité habituelle ou d’une activité adaptée aux taux fixés par les experts.

Se fondant sur le rapport de son médecin-conseil, l’office AI a alloué à l’assurée une rente entière d’invalidité du 01.07.2017 au 28.02.2018.

 

Procédure cantonale

Saisie du recours de l’assurée, confirmé après l’annonce d’une possible modification de la décision administrative, la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel l’a rejeté. Il a réformé la décision entreprise en ce sens que la demande de prestations présentée par l’intéressée le 5 janvier 2017 était rejetée (arrêt du 29 octobre 2021).

 

Par jugement du 29.10.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal et reformatio in peius (décision réformée en ce sens que la demande de prestations présentée par l’intéressée le 05.01.2017 était rejetée)

 

TF

Consid. 4
Se fondant sur le rapport d’expertise, jugé probant, la juridiction cantonale a constaté que l’assurée avait une capacité de travail de 54% dans l’activité habituelle et de 72% dans une activité adaptée sans interruption depuis 2007 sauf durant les trois mois ayant suivi l’opération du 24.08.2017. Elle a par conséquent considéré que l’office AI avait indûment alloué à l’assurée une rente entière du 01.07.2017 au 28.02.2018. En effet, les conclusions des experts ne permettaient ni de retenir une incapacité totale de travail au moment du dépôt de la demande de prestations le 05.01.2017 ou à l’échéance du délai de carence le 01.07.2017, ni de conclure à une amélioration de la situation à compter du 25.11.2017. Procédant à l’évaluation du taux d’invalidité, elle a comparé un revenu sans invalidité de 54’330 fr. par an (reposant sur l’ESS 2016, Tableau T17, groupe 51, total femmes, tous âges confondus, adapté à l’horaire moyen de la branche et à l’évolution des salaires nominaux pour 2017) à un revenu avec invalidité de 43’697 fr. par an (fondé également sur l’ESS 2016, Tableau TA1_tirage_skill_level, total femmes, niveau de compétence 2, adapté à l’horaire moyen de la branche et à l’évolution des salaires nominaux pour 2017), auquel elle a appliqué un abattement de 15%. Elle a abouti à un degré d’invalidité de 32% insuffisant pour donner droit à une rente. Elle est parvenue à la même conclusion en se référant au niveau de compétence 1 du Tableau TA1_tirage_skill_ level pour déterminer le revenu d’invalide (de 33’537 fr. 25; taux d’invalidité de 38%). Elle a dès lors réformé la décision litigieuse, en ce sens que la demande de l’assurée était rejetée.

 

Consid. 6.2.1
S’agissant d’abord du revenu sans invalidité, l’assurée soutient que le choix du Tableau T17, groupe 51, de l’ESS (« personnel des services directs aux particuliers » en lien avec le chiffre 515 de la Classification internationale des types de professions [CITP-08], qui comprenait les gouvernantes et les concierges en plus des intendants) était arbitraire et réducteur dans la mesure où, avec un CFC, elle aurait pu prétendre un salaire supérieur. Elle considère que la juridiction cantonale n’aurait pas dû s’écarter du choix pertinent de l’office AI qui s’était porté sur la ligne 45-96 (« secteur des services ») ou la ligne 86-88 (« santé humaine et action sociale ») du Tableau TA1_tirage_skill_level.

Consid. 6.2.2
Vu l’apprentissage de gestionnaire en intendance que l’assurée avait entrepris mais n’avait pas pu achever en raison de son handicap, la juridiction cantonale a déterminé le revenu sans invalidité en se référant au Tableau T17 de l’ESS 2016 pour mieux prendre en considération les circonstances du cas particulier conformément à la jurisprudence (cf. arrêt 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.2 et les références). En se limitant à soutenir que le choix du groupe 51 du Tableau T17 par le tribunal cantonal était réducteur, l’assurée ne démontre pas que ce choix était contraire au droit dans la mesure où, selon la CITP-08, le groupe en question contient précisément les professionnels qui exercent le métier qu’elle aurait pu pratiquer sans son invalidité selon la description non contestée qu’en a fait la juridiction cantonale. Le choix de ce groupe était donc plus pertinent que les lignes 45-96 ou 86-88 du Tableau TA1_tirage_skill_level retenu par l’office AI dès lors qu’il permet de déterminer plus exactement le revenu sans invalidité.

 

Consid. 6.3.1
S’agissant ensuite du revenu d’invalide, l’assurée fait valoir qu’il convient de retenir le niveau de compétence 1 du Tableau TA1_tirage_skill_level appliqué par le tribunal cantonal dès lors que le niveau de compétence 2 conduit au constat arbitraire qu’elle serait en mesure de gagner plus en mauvaise santé qu’en bonne santé.

Consid. 6.3.2
Le choix du niveau de compétence applicable est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4; 132 V 393 consid. 3.3). Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession. Quatre niveaux de compétence ont été définis. Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé. Entre ces deux extrêmes figurent les professions intermédiaires. Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé. Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (cf. arrêt 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.1 et les références). Si l’on peut douter avec l’assurée du choix du niveau de compétence 2 pour déterminer le revenu d’invalide au regard de la jurisprudence à cet égard (cf. arrêts 8C_156/2022 du 29 juin 2022 consid. 7.2; 8C_131/2021 du 2 août 2021 consid. 7.4.1 et les références), la question peut toutefois rester ouverte. En effet, les premiers juges ont également procédé à la comparaison des revenus en se fondant sur le niveau de compétence 1 du Tableau TA1_tirage_skill_level et ont abouti à un taux d’invalidité de 38% n’ouvrant pas le droit à une rente.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_641/2021 consultable ici