4A_327/2016 (d) du 27.09.2016, publié aux ATF 142 III 767 – Droit aux indemnités journalières maladie LCA – Convention de libre passage (CLP) – Pas de notion d’assurance rétroactive – 9 aLCA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_327/2016 (d) du 27.09.2016, publié aux ATF 142 III 767

 

ATF 142 III 767 consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Droit aux indemnités journalières maladie LCA – Convention de libre passage (CLP) – Pas de notion d’assurance rétroactive / 9 aLCA

 

TF

Consid. 7.1
La Convention de libre passage (CLP) est un accord entre les assureurs ; ceux-ci ne sont pas (directement) liés entre eux par l’art. 9 LCA, étant donné que l’art. 9 LCA concerne la conclusion du contrat d’assurance, c’est-à-dire la relation entre l’assureur et l’assuré ou le preneur d’assurance. La doctrine présente différentes opinions sur la manière de classer juridiquement cette CLP. Selon l’avis de l’Association Suisse d’Assurances elle-même, il ne s’agit pas d’un vrai contrat au bénéfice de tiers qui accorde aux assurés un droit direct contre les assureurs concernés. Dans cette mesure, il n’y a pas de conflit avec l’art. 9 LCA (Thomas Mattig, Freizügigkeit in der Krankentaggeldversicherung nach VVG, in: Krankentaggeldversicherung: Arbeits- und versicherungsrechtliche Aspekte, 2007, p. 106 s. ; suivi par Häberli/Husmann, Krankentaggeld, versicherungs- und arbeitsrechtliche Aspekte, 2015, p. 208). Selon un autre avis, le contenu de l’accord fait partie « de manière évidente du contrat collectif individuel [respectif] », car la CLP engage tous les principaux assureurs d’indemnités journalières LCA à fournir ces prestations. Toutefois, dans la mesure où la CLP promet une couverture pour des événements qui remplissent les conditions de l’art. 9 LCA, la personne assurée ne peut pas faire valoir de droit contractuel à l’encontre de l’assureur, mais tout au plus un droit à des dommages-intérêts, si tant est qu’il faille lui reconnaître un droit de créance autonome (Gebhard Eugster, Vergleich der Krankentaggeldversicherung [KTGV] nach KVG und nach VVG, in: Krankentaggeldversicherung: Arbeits- und versicherungsrechtliche Aspekte, 2007, p. 72 f.)

L’assuré soutient qu’il s’agit d’un contrat au bénéfice de tiers. Il fonde son argumentation sur l’art. 5 al. 1 CLP, selon lequel le nouvel assureur doit accorder les conditions de passage prévue par la CLP sans demande particulière du preneur d’assurance. Cette disposition indique que le nouvel assureur a cette obligation, mais elle ne précise pas envers qui – cette question n’est justement pas résolue.

La question de savoir s’il s’agit d’un contrat au bénéfice de tiers peut finalement rester ouverte ici. En effet, en application de la CLP, l’art. 9 al. 1 lit. a des Conditions générales d’assurance (ci-après: CGA) de la compagnie d’assurance dispose qu’il n’y a pas de couverture d’assurance pour les maladies qui existent au moment de l’entrée en service ou du début de l’assurance, tant qu’elles entraînent une incapacité de travail, « sauf si [la compagnie d’assurance] ne doive garantir le maintien de la couverture d’assurance en vertu d’accords de libre passage entre assureurs ». Dans la mesure où la CLP oblige à prendre en charge un cas de sinistre en cours ou une rechute, le contrat d’assurance lui-même confère ainsi aux assurés un droit direct correspondant à l’encontre de la compagnie d’assurance intimée. Il est donc décisif de savoir si la CLP contient des dispositions dont le contenu contrevient à l’interdiction de l’assurance rétroactive selon l’art. 9 LCA et qui, en conséquence, ne peuvent pas être convenues entre l’assureur et l’assuré ou le preneur d’assurance (par exemple – comme c’est le cas ici – en incluant la CLP dans les CGA).

 

Consid. 7.2
En l’espèce,  il n’est plus contesté que l’incapacité de travail à partir du 14 mars 2014 constitue une rechute.

Cette situation est couverte par l’art. 4 al. 2 CLP, selon lequel le nouvel assureur doit prendre en charge le sinistre en cours (voir également l’exemple correspondant dans Mattig, op. cit., p. 105). L’art. 4 al. 4 CLP contient en outre une disposition spécifique concernant la rechute. Si l’on considère isolément la nouvelle relation d’assurance avec l’assureur du nouvel employeur, cela constituerait un cas d’assurance rétroactive interdite selon l’art. 9 LCA (comme le soutient également Mattig, op. cit., p. 106 ; Eugster, op. cit., p. 73 ; Häberli/Husmann, op. cit., p. 208), si cela était également applicable ici.

Or, limiter l’analyse au seul contrat d’assurance avec l’assureur du nouvel employeur ignore le fait qu’il s’agit ici d’une coordination entre deux assureurs collectifs. C’est pourquoi il convient d’examiner s’il est conforme au sens et au but de l’art. 9 LCA d’interdire également une telle réglementation de coordination. L’assuré invoque implicitement ce point de vue lorsqu’il affirme qu’il s’agit d’une reprise de contrat (de l’ancien contrat d’assurance) par le nouvel assureur et non d’une assurance rétroactive. Il ne s’agit manifestement pas d’une reprise de contrat à proprement parler, car l’ancien contrat d’assurance n’est pas repris dans son intégralité. Il s’agit plutôt d’un problème de «prolongation de la couverture», c’est-à-dire de la responsabilité pour les sinistres en cours au-delà de la fin du contrat d’assurance. Dans le cas d’une véritable prolongation de la couverture, l’incapacité de travail survient après la fin des rapports de travail (ou de la durée du contrat).

Dans la pratique, les CGA des différents assureurs régissent ces cas de manière très différente. Par exemple, selon le chiffre 6 des CGA d’un assureur, la couverture d’assurance s’éteint à la fin des rapports de travail (c’est-à-dire lorsque l’assuré quitte le cercle des personnes assurées) ; une telle disposition laisse finalement ouverte la question de savoir comment la prolongation de la couverture est réglée (Stephan Fuhrer, Kollektive Krankentaggeldversicherung – aktuelle Fragen, in : Jahrbuch SGHVR 2014 p. 88 et note de bas de page 73, en se référant expressément au chiffre 6 de ces CGA). Dans une affaire où l’incapacité de travail était déjà survenue pendant la période d’assurance précédente et persistait à la fin de la relation de travail (cas d’assurance dit étendu ; cf. Fuhrer, op. cit., p. 87), le Tribunal fédéral a reconnu qu’en l’absence de clauses contractuelles contraires, l’assuré conserve son droit aux prestations même après la fin de la relation d’assurance et ce jusqu’à l’épuisement de la durée des prestations (ATF 127 III 106 consid. 3b ; cf. aussi Eugster, op. cit., p. 63). Certains estiment en outre qu’une disposition des CGA selon laquelle, dans les «cas d’assurance étendus», l’assureur ne doit plus verser de prestations lorsque le travailleur quitte l’entreprise assurée, serait inhabituelle et donc inadmissible (Fuhrer, op. cit., p. 89 s.).

En tout état de cause, rien ne s’opposerait à ce que l’ancien assureur d’indemnités journalières collectives assume expressément la prolongation de la couverture pour les sinistres en cours ou les rechutes. La réglementation contenue dans la CLP n’est rien d’autre, sur le fond, que la garantie d’une telle prolongation de la couverture pour les maladies qui existaient dans l’ancien rapport de travail et ayant déjà entraîné une incapacité de travail. Comme l’assuré le mentionne à juste titre, le fait qu’il s’agisse d’une prolongation de la couverture selon le contrat d’assurance en vigueur jusqu’alors ressort également du fait que les prestations doivent être versées selon les conditions du contrat existant auprès de l’ancien assureur et non selon le nouveau contrat d’assurance ; et ce aussi bien en ce qui concerne le montant de l’indemnité journalière, le délai d’attente et la durée des prestations (art. 4 al. 2 CLP) qu’en ce qui concerne la prise en compte des indemnités journalières déjà versées par l’ancien assureur dans la durée des prestations (art. 4 al. 4 CLP). On ne voit pas pourquoi un accord entre les assureurs, selon lequel le nouvel assureur assume cette prolongation de la couverture à la place de l’ancien assureur, aux conditions de l’ancien contrat d’assurance et de manière limitée à la durée des prestations de ce dernier, ne serait pas admissible sur le fond.

Il ne s’agit pas d’une « opération de contournement » interdite (cf. toutefois Eugster, op. cit., p. 72 à la note 76). Dans un cas de passage de l’assurance collective d’indemnités journalières à l’assurance individuelle d’indemnités journalières (du même assureur), dans laquelle l’assureur avait repris en tant qu’assureur individuel une éventuelle prolongation de la couverture résultant de l’assurance collective, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’y avait pas dans ce cas d’assurance rétroactive interdite, car la rechute en question était déjà assurée dans l’assurance collective (arrêt 4A_39/2009 du 7 avril 2009 consid. 3.5.2).

Par conséquent, l’assuré a droit, sur la base de l’art. 9 al. 1 lit. a CGA en relation avec l’art. 4 al. 2 et 4 de la CLP, à ce que la compagnie d’assurance intimée fournisse à son égard les prestations relevant de la prolongation de couverture aux conditions de l’ancien contrat d’assurance et limitées à la durée des prestations de celui-ci ; cela ne constitue aucunement une infraction à l’art. 9 LCA.

 

ATF 142 III 767 consultable ici

 

Proposition de citation : ATF 142 III 767, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/142_III_767)

 

 

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