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8C_622/2023 (f) du 27.05.2024 – Révision d’une décision entrée en force – Droit aux indemnités chômage / Mandataire professionnel ne faisant non pas une opposition mais demandant la révison/reconsidération d’une décision non entrée en force – Pas de formalisme excessif de l’autorité

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_622/2023 (f) du 27.05.2024

 

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Révision d’une décision entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Existence d’un domicile en Suisse – Droit aux indemnités chômage

Mandataire professionnel ne faisant non pas une opposition mais demandant la révison/reconsidération d’une décision non entrée en force – Pas de formalisme excessif de l’autorité

 

L’assurée a notamment bénéficié d’un délai-cadre d’indemnisation de chômage du 01.07.2020 au 30.11.2022. A la suite d’une dénonciation, l’Office cantonal genevois de l’emploi (ci-après: OCE) a demandé une enquête sur le domicile de la prénommée au bureau des enquêtes de l’Office cantonal genevois de la population et des migrations (ci-après: OCPM). Il ressort d’un rapport d’aide administrative interdépartementale établi le 01.06.2022 que l’assurée ne résidait pas à la rue B.__ à Genève, mais à U.__ en France.

Par décision du 03.06.2022, adressée par pli recommandé, l’OCE a nié à l’assurée son droit à l’indemnité de chômage depuis le 01.07.2020, au motif qu’elle n’avait pas de domicile dans le canton de Genève, à tout le moins depuis cette date. Cette décision n’ayant pas été retirée dans le délai de garde postal, l’OCE l’a renvoyée à l’assurée le 20.06.2022, par courrier simple, en précisant que le « délai de recours » avait commencé à courir à l’échéance du délai de garde.

Le 20.07.2022, l’assurée, assistée d’un avocat, a informé l’OCE n’avoir eu connaissance de la décision du 03.06.2022 que par le biais du pli simple du 20.06.2022. Elle a expliqué ne plus habiter à la rue B.__ depuis le 05.06.2022 et ne pas avoir été en mesure de prendre connaissance de la décision dans le délai de garde postal. Niant être domiciliée en France, elle a réclamé l’annulation de la décision par reconsidération ou révision. Par décision du 22.08.2022, l’OCE a refusé d’entrer en matière sur la demande de l’assurée. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une contestation.

Le 27.09.2022, l’assurée a formulé une nouvelle demande de reconsidération, s’appuyant sur une décision de l’OCE du 22.09.2022 reconnaissant son domicile à Genève du 03.04.2017 au 02.04.2019, ainsi que sur des attestations de tiers concernant son domicile après le 05.06.2022. Cette demande a été rejetée le 01.12.2022.

Parallèlement, l’OCPM a d’abord conclu à l’absence de domicile en Suisse de l’assurée depuis le 06.02.2020, avant d’annuler cette décision le 02.03.2023, reconnaissant finalement son domicile en Suisse sur la base des éléments fournis dans le cadre de la procédure avec l’OCE.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/632/2023 – consultable ici)

Par jugement du 23.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2
Il convient de définir l’objet du litige, plusieurs décisions ayant été rendues par l’OCE concernant la situation de l’assurée. L’arrêt attaqué porte sur la contestation par l’assurée de la décision du 01.12.2022 rejetant la demande de reconsidération et révision formée le 27.09.2022. Cette demande visait à obtenir la révision, respectivement la reconsidération de la décision de l’OCE du 03.06.2022 niant le droit de l’assurée à l’indemnité de chômage depuis le 01.07.2020, au motif qu’elle n’était pas domiciliée dans le canton de Genève. Le présent litige porte dès lors sur la réalisation des conditions d’une révision de cette dernière décision au moment du dépôt de la demande du 27.09.2022. Le recours est dès lors irrecevable en tant qu’il conclut au constat d’un domicile à Genève dès le 01.07.2020 et à la reconnaissance du droit à l’indemnité de chômage à partir de cette date.

Consid. 4.1
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant. Aussi, par analogie avec la révision des décisions rendues par les autorités judiciaires, l’administration est tenue de procéder à la révision (dite procédurale) d’une décision formellement passée en force lorsque sont découverts des faits nouveaux importants ou de nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits avant et qui sont susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 148 V 277 consid. 4.3 et la référence).

Sont « nouveaux », au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus du requérant malgré toute sa diligence. En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de la décision dont la révision est demandée et conduire à une solution différente en fonction d’une appréciation juridique correcte. Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants, qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment du requérant. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers (arrêt 8C_778/2021 du 1 er juillet 2022 consid. 3.2 et 3.3 et les arrêts cités).

 

Consid. 4.2
La cour cantonale a considéré que la décision sur opposition rendue par l’OCE le 22.09.2022 et la décision rendue par l’OPCM le 02.03.2023 ne constituaient pas des nouveaux moyens de preuve au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Ces décisions se fondaient sur des témoignages qui auraient pu être présentés en temps utile par l’assurée dans le cadre d’un recours contre la décision de l’OCE du 03.06.2022. Celui-ci avait considéré à tort que cette décision avait été valablement notifiée à l’échéance du délai de garde de son pli recommandé, car la fiction de la notification ne s’appliquait pas lorsque comme en l’espèce, la destinataire ne faisait l’objet d’aucune procédure. La décision du 03.06.2022 avait donc été notifiée par pli simple du 20.06.2022. L’assurée ne pouvait toutefois pas se prévaloir du principe de la bonne foi, car son conseil aurait pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement contenu dans ce courrier. Dès lors, l’assurée aurait dû former une opposition à la décision du 03.06.2022, et non une demande de révision ou reconsidération. Dans la mesure où cette demande avait été formée dans le délai d’opposition, l’assurée aurait encore pu contester dans le délai de 30 jours la décision de l’OCE du 22.08.2022, quand bien même cette décision ne mentionnait pas la possibilité de la contester.

Consid. 4.3 [résumé]
L’assurée soutient que la décision sur opposition de l’OCE du 22.09.2022 constitue un nouveau moyen de preuve avec des faits nouveaux, car elle est postérieure aux décisions précédentes et démontre son domicile à Genève depuis 2016, sauf pour une courte période en 2022. Elle invoque également la décision de l’OCPM du 02.03.2023 qui annule une précédente décision niant son domicile en Suisse, en se basant sur la décision de l’OCE du 22.09.2022 et les documents fournis. L’assurée argue que ces éléments remettent en question le rapport d’enquête administrative de l’OCPM du 01.06.2022 sur lequel l’OCE s’était appuyé.

Consid. 4.4
Il convient de déterminer si les faits dont l’assurée se prévaut, soit l’existence d’un domicile genevois, peuvent constituer des faits nouveaux ouvrant la voie à une révision de la décision du 03.06.2022. L’assurée ne conteste pas que les décisions des 22.09.2022 et 02.03.2023 reposent sur des témoignages qui auraient pu être présentés lors de la procédure contre la décision du 03.06.2022. Les preuves qu’elle tente d’introduire sont des attestations de témoins de juillet et août 2022, relatives à son domicile, utilisées dans la procédure ayant conduit à la décision du 22.09.2022. Les juges cantonaux ont correctement conclu que l’assurée aurait pu présenter ces preuves lors de la procédure d’opposition ou de recours contre la décision du 03.06.2022. Par conséquent, les conditions pour une révision selon l’art. 53 al. 1 LPGA ne sont pas remplies, et le grief de violation de cette disposition doit être rejeté.

Consid. 5 [résumé]
L’assurée allègue une violation de l’interdiction de l’arbitraire et du principe de la bonne foi, arguant que l’arrêt est arbitraire dans sa motivation et son résultat, la décision de l’OCE du 03.06.2022 étant selon elle erronée. Cet argument se confond avec celui précédemment examiné (cf. consid. 4 supra) concernant les conditions de révision, et n’a donc pas plus de portée. Il en va de même du grief tiré d’une prétendue nullité de la décision du 03.06.2022, l’assurée n’exposant pas sur quelle base légales fonde une quelconque cause de nullité.

L’assurée soutient également que la cour cantonale aurait dû analyser les pièces produites sous l’angle de la reconsidération, arguant que le refus de l’OCE de reconsidérer sa décision constituerait un abus de droit et une violation de l’interdiction de l’arbitraire. Le fondement de l’argumentation de l’assurée est nébuleux. Comme l’assurée le reconnaît elle-même, aucune voie de recours n’existe contre un refus de reconsidération (cf. ATF 133 V 50 consid. 4). Les juges cantonaux n’étaient donc pas tenus d’examiner ce refus, et ce grief est rejeté.

 

Consid. 8.1
A titre subsidiaire, l’assurée soutient que les juges cantonaux auraient dû admettre que son courrier du 20.07.2022 adressé à l’OCE était une opposition et qu’à défaut, ils auraient violé l’art. 52 al. 1 et 2 LPGA. On déduit de son argumentation qu’en réalité, l’assurée se plaint que l’OCE n’ait pas interprété le courrier litigieux, qui requérait la reconsidération et la révision de la décision précitée, comme une opposition. Elle se plaint en conséquence d’un formalisme excessif de la part de l’OCE.

Consid. 8.2
Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 149 IV 9 consid. 7.2; 145 I 201 consid. 4.2.1; 142 IV 299 consid. 1.3.2).

Les formes procédurales sont nécessaires à la mise en œuvre des voies de droit pour assurer le déroulement de la procédure conformément au principe de l’égalité de traitement, ainsi que pour garantir l’application du droit matériel; toutes les exigences formelles ne se trouvent donc pas en contradiction avec la prohibition du formalisme excessif découlant de l’art. 29 al. 1 Cst. (ATF 142 V 152 consid. 4.2; arrêts 4A_254/2023 du 12 juin 2023 consid. 5.4; 5A_18/2018 du 16 mars 2018 consid. 3.3.1). En outre, selon la jurisprudence, l’avocat est non seulement représentant mais encore collaborateur de la justice, de sorte que le juge est en droit d’admettre qu’il agit en pleine connaissance de cause: l’avocat est présumé capable, en raison de sa formation particulière, de représenter utilement la partie; il se justifie dès lors de se montrer plus rigoureux en présence de ses procédés qu’en présence d’un plaideur ignorant du droit (ATF 113 Ia 84 consid. 3d; arrêt 2C_511/2012 du 15 janvier 2013 consid. 7.2).

Consid. 8.3
Il convient de rappeler que l’assurée n’a pas retiré durant le délai de garde postal la décision rendue le 03.06.2022. L’OCE l’a lui a renvoyée par pli simple du 20.06.2022, en indiquant que le délai d’opposition avait commencé à courir à l’échéance du délai de garde postal. Dans son acte du 20.07.2022, rédigé par son conseil, l’assurée a requis l’annulation de la décision de l’OCE du 03.06.2022 par reconsidération ou révision, et n’a pas formulé d’opposition. Il n’est pas contesté que la décision précitée n’était alors pas entrée en force, le délai d’opposition n’ayant débuté qu’après réception du second envoi.

Consid. 8.4
L’assurée expose s’être fondée sur les indications erronées fournies par l’OCE dans son envoi du 20.06.2022, ce dont on ne devrait pas lui tenir rigueur dans la mesure où son conseil aurait été constitué en urgence, soit le 18.07.2022 et donc deux jours à peine avant l’échéance pour agir contre la décision du 03.06.2022. Elle évoque pour le reste que son acte du 20.07.2022 pouvait être considéré comme une opposition, répondant aux conditions de forme et de fond nécessaires.

Consid. 8.5
Il est manifeste en l’espèce que le conseil de l’assurée pouvait, et devait, se rendre compte que la décision du 03.06.2022 n’avait pas été notifiée à l’échéance du délai de garde postal. La jurisprudence y relative (cf. ATF 146 IV 30 consid. 1.1.2 in fine; 139 IV 228 consid. 1.1) est en effet constante et doit être connue de tout conseil professionnel. En outre, le délai d’opposition n’étant pas échu au moment de sa constitution, le conseil devait procéder par cette voie et non requérir la révision ou la reconsidération de la décision litigieuse. Pour le reste, les conclusions de l’acte du 20.07.2022 sont claires et se limitent à requérir la reconsidération ou la révision de la décision du 03.06.2022. L’OCE – et la cour cantonale – n’a donc commis aucun arbitraire en s’en tenant à ce que l’assurée demandait. L’assurée omet au surplus de prendre en compte que sa requête de reconsidération et de révision du 20.07.2022 a fait l’objet d’une décision rendue le 22.08.2022 par l’OCE, contre laquelle elle n’a pas recouru. Si elle entendait faire valoir que sa requête constituait une opposition, c’est dans le cadre d’un tel recours qu’elle aurait dû agir en ce sens. Son grief s’avère mal fondé.

 

Consid. 9
Au vu de ce qui précède, le recours, manifestement mal fondé, doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. L’assurée, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). Au regard des motifs avancés dans le mémoire de recours, celui-ci apparaissait d’emblée dénué de chances de succès et la requête d’assistance judiciaire doit dès lors être rejetée. L’assurée doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_622/2023 consultable ici

 

8C_188/2023 (f) du 31.05.2024 – Révision d’une décision sur opposition entrée en force – 53 al. 1 LPGA / Omission, de manière négligente, de l’assuré de faire valoir un « nouveau » moyen de preuve dans la procédure ordinaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_188/2023 (f) du 31.05.2024

 

Consultable ici

 

Révision d’une décision sur opposition entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Omission, de manière négligente, de l’assuré de faire valoir un « nouveau » moyen de preuve dans la procédure ordinaire

 

Le 01.05.2018, l’assuré a conclu un contrat à durée déterminée avec B.__ SA pour un poste de maçon. Le 28.05.2018, il a été victime d’un accident professionnel en chutant d’un échafaudage.

Un désaccord est survenu concernant sa fonction exacte :

  • Le 19.11.2018, un certificat de travail le désignait comme chef d’équipe.
  • Le 15.10.2020, l’employeur a déclaré à l’assurance-accidents que l’assuré était maçon avec quelques responsabilités supplémentaires. Il a précisé que durant l’engagement, il avait été convenu que l’assuré aurait un peu plus de responsabilités afin d’acquérir de l’expérience en tant que chef d’équipe ; toutefois, au vu de sa courte période de travail et compte tenu du peu d’expérience accumulée, il n’était pas possible de qualifier l’assuré en tant que chef d’équipe.
  • L’assuré a maintenu avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe.

Par décision du 23.11.2020, elle lui a nié le droit à une rente, au motif que le taux d’invalidité était inférieur au degré d’invalidité minimum de 10%.

Le 06.01.2021, l’assuré a formé opposition contre la décision, affirmant avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe, ce qui influait sur son salaire, les indemnités journalières et le calcul de la rente d’invalidité.

Le 22.02.2021, l’assuré a affirmé à l’assurance-accidents avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe, contredisant la déclaration de B.__ SA du 15.10.2020. Il a fourni des documents appuyant sa position, dont des rapports de travail le désignant comme chef de chantier. Le 10.03.2021, via un syndicat, il a demandé à son ancien employeur de rectifier sa déclaration et de lui verser la différence de salaire, invoquant également un certificat et une attestation de travail confirmant sa fonction de chef d’équipe. Le même jour, il a sollicité une réanalyse de sa situation auprès de l’assurance-accidents.

Par décision sur opposition du 12.03.2021, l’assurance-accidents a confirmé sa décision du 23.11.2020.

Le 25.03.2021, le conseil de la société a répondu au courrier de l’assuré du 10.03.2021 en maintenant sa position quant à sa fonction de maçon. Il a ajouté que le certificat de travail du 19.11.2018 et l’attestation de travail du 02.12.2020 avaient été rédigés à la requête de l’assuré, sans que la société n’ait été informée de leur but.

Non contestée, la décision sur opposition du 12.03.2021 est entrée en force.

Le 11.11.2021, l’assuré a déposé une demande de révision de la décision du 23.11.2020 et de la décision sur opposition du 12.03.2021. Il a expliqué qu’à l’occasion d’une audience de conciliation, tenue le 26.10.2021 dans la procédure civile initiée à l’encontre de son ancien employeur, celui-ci avait reconnu que l’assuré travaillait en qualité de chef d’équipe, acceptant de ce fait de lui payer la différence de salaire correspondante et de corriger son certificat de travail. Ces éléments avaient été consignés dans une convention qui valait jugement définitif et constituait donc un fait ou un moyen de preuve nouveau. Par décision du 16.12.2021 confirmée le 25.05.2022, l’assurance-accidents a refusé d’entrer en matière sur la demande de révision.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 74/22 – 19/2023 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont estimé que le statut de chef d’équipe de l’assuré n’était pas un fait nouveau au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Cependant, ils ont considéré que la convention conclue entre l’assuré et son ancien employeur, ayant valeur de jugement définitif, constituait un nouveau moyen de preuve important. Cette convention, établie après la décision sur opposition du 12.03.2021, attestait de la fonction de chef d’équipe de l’assuré et du salaire correspondant, éléments que l’assuré n’avait pas pu prouver auparavant.

Le tribunal cantonal a jugé que ce nouveau moyen de preuve était susceptible d’influencer significativement la décision de l’assurance-accidents concernant le montant des indemnités journalières et le droit à la rente d’invalidité. La convention ne servait pas à réévaluer un fait connu, mais à établir un fait objectif définitif. Par conséquent, le tribunal a conclu qu’il s’agissait bien d’un nouveau moyen de preuve selon l’art. 53 al. 1 LPGA.

Par jugement du 15.02.2023, admission du recours interjeté par l’assuré, toujours représenté par le syndicat, et renvoi de la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient pas être produits auparavant.

Consid. 3.1
Sont « nouveaux » au sens de cette disposition les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus de la personne requérant la révision, malgré toute sa diligence (ATF 134 III 669 consid. 2.2 et les références). En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de l’arrêt entrepris et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte (ATF 144 V 245 consid. 5.2; 143 III 272 consid. 2.2; 134 IV 48 consid. 1.2).

Consid. 3.2
Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment de la personne qui requiert la révision de la décision. Si les nouveaux moyens de preuve sont destinés à prouver des faits allégués antérieurement, le requérant doit aussi démontrer qu’il ne pouvait pas les invoquer dans la procédure précédente. Une preuve est considérée comme concluante lorsqu’il faut admettre qu’elle aurait conduit le juge à statuer autrement s’il en avait eu connaissance dans la procédure principale. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers. Il n’y a ainsi pas motif à révision du seul fait que l’administration ou le tribunal paraît avoir mal interprété des faits connus déjà lors de la décision principale. L’appréciation inexacte doit être, bien plutôt, la conséquence de l’ignorance ou de l’absence de preuve de faits essentiels pour la décision (ATF 144 V 245 consid. 5.3; 127 V 353 consid. 5b).

Consid. 3.3
Comme condition supplémentaire à la révision au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, il faut que les faits ou moyens de preuve n’aient pas été connus de la personne requérant la révision ou de l’assureur social qui entend réviser sa décision, malgré toute sa diligence. Il appartient au requérant qui se fonde sur un nouveau moyen de preuve destiné à prouver des faits allégués antérieurement dans la procédure précédente de démontrer qu’il ne pouvait pas invoquer ce moyen précédemment. Il doit pouvoir se prévaloir d’une excuse valable pour justifier le fait que le moyen en cause n’a pas été invoqué en temps utile. En effet, la révision ne doit pas servir à réparer une omission qui aurait pu être évitée par un requérant diligent. En cela, elle est un moyen subsidiaire par rapport aux voies de droit ordinaires. On appréciera la diligence requise avec moins de sévérité en ce qui concerne l’ignorance des faits, dont la découverte est souvent due au hasard, que l’insuffisance des preuves au sujet de faits connus, la partie ayant le devoir de tout mettre en œuvre pour prouver ceux-ci dans la procédure principale (MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 54 ad art. 53 LPGA; THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar ATSG, 2020, n° 26 ad art. 53 LPGA; arrêts 8C_334/2013 du 15 novembre 2013 consid. 3.3; U 561/06 du 28 mai 2007 consid. 6.2).

 

Consid. 5.1
En l’espèce, la juridiction cantonale a retenu que la convention constituait un nouveau moyen de preuve dès lors qu’elle permettait d’établir, et non seulement d’apprécier, des faits connus au moment de la décision de l’assurance-accidents du 23.11.2020 confirmée sur opposition le 12.03.2021. La question de savoir si c’est à tort ou à raison que les juges cantonaux ont admis que cette convention constituait réellement un « nouveau » moyen de preuve concluant pour établir le statut de chef d’équipe de l’assuré peut demeurer ouverte. En effet, même en présence d’un nouveau moyen de preuve, si la personne requérant la révision ou son représentant omet, de manière négligente, de faire valoir celui-ci dans la procédure ordinaire, la révision n’est pas possible. Le seul facteur décisif est donc celui de savoir si l’assuré aurait déjà pu présenter son nouveau moyen de preuve dans la procédure ordinaire. Le but de la procédure extraordinaire de révision n’est en effet pas de réparer les omissions évitables du requérant commises au cours de la procédure ordinaire (cf. consid. 3.3 supra).

Consid. 5.2
Il ressort des faits constatés par la juridiction cantonale que l’assuré avait correspondu avec son employeur avant et après la décision sur opposition du 12.03.2021 au sujet de sa position au sein de la société. En effet, le 10.03.2021, il avait écrit à son ancien employeur pour lui demander de rectifier son courrier du 15.10.2020 confirmant sa position de maçon auprès de l’assurance-accidents. En date du 08.04.2021, il avait réitéré auprès de son ancien employeur sa demande du 10.03.2021. Bien qu’il estimait que sa position de chef d’équipe avait des conséquences sur son droit à une rente d’invalidité de l’assurance-accident et qu’il ait allégué ces faits devant l’assurance-accidents en tentant de les étayer par divers moyens de preuve, l’assuré n’a cependant pas recouru contre la décision sur opposition du 12.03.2021 devant la juridiction cantonale. Or rien n’indique qu’il aurait été empêché de le faire. Devant l’instance cantonale de recours, dans la mesure où la question du poste qu’il occupait au sein de la société était au cœur du litige, l’assuré aurait pu et dû défendre sa position de chef d’équipe en invoquant ses échanges de courriers avec son ancien employeur et en fournissant les moyens de preuve se trouvant déjà au dossier qu’il a produit ultérieurement devant le Tribunal de prud’hommes. Au besoin, après avoir recouru en temps utile contre la décision sur opposition du 12.03.2021, il aurait pu demander au tribunal des assurances de suspendre la procédure jusqu’à ce que le Tribunal de prud’hommes ait rendu un jugement ou que les parties aient trouvé un accord. Pour des raisons inexplicables, il n’a non seulement pas recouru contre la décision sur opposition du 12.03.2021 mais il a en outre attendu près de six mois après cette décision pour ouvrir action contre son ancien employeur devant le Tribunal de prud’hommes. L’assuré ne saurait cependant faire reposer sa demande de révision sur un élément qu’il aurait, à tout le moins, pu tenter d’invoquer dans le cadre de la procédure initiale. Il faut dès lors conclure à un manque de diligence de sa part puisque la découverte des éléments prétendument nouveaux sur lesquels il fonde sa demande de révision résulte de démarches qui auraient pu et dû être effectuées durant la procédure précédente. La voie de la révision ne constitue pas uniquement la continuation de la procédure précédente, mais bel et bien un moyen de droit extraordinaire et il appartient ainsi aux parties de contribuer en temps utile à l’établissement des faits litigieux conformément aux règles de procédure applicables (arrêt 8C_334/2013 déjà cité consid. 3.3 et les références).

Consid. 6
Compte tenu de ce qui précède, c’est de manière contraire au droit fédéral que la juridiction cantonale a admis que l’on était en présence d’un nouveau moyen de preuve au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Il s’ensuit que le recours est bien fondé.

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_188/2023 consultable ici

 

9C_540/2023 (f) du 03.06.2024 – Montant de la rente AVS succédant à une rente AI – 33bis LAVS / Convention de sécurité sociale Suisse-Portugal – ALCP et Règlement (CE) n° 883/2004

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_540/2023 (f) du 03.06.2024

 

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Montant de la rente AVS succédant à une rente AI / 33bis LAVS

Convention de sécurité sociale Suisse-Portugal – ALCP et Règlement (CE) n° 883/2004

 

Assuré, né en octobre 1956 au Portugal. Il y a travaillé et accompli des périodes de cotisations jusqu’à son entrée en Suisse le 02.04.1987, cotisant depuis lors au système suisse d’assurances sociales. Souffrant des séquelles d’un accident survenu le 09.10.1991, il a été mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité à compter du 01.10.1992. Sa rente s’élevait à CHF 2’390 par mois depuis le 01.01.2021 et était calculée en fonction d’une durée de cotisations de quinze ans, de l’échelle de rente 44, de bonifications pour tâches éducatives (2.5), d’un revenu annuel moyen déterminant de 67’398 fr. et d’une durée de cotisations pour ce dernier de quatre ans et cinq mois. Elle tenait compte des périodes de cotisations au Portugal et d’un supplément pour veuvage (décision du 24.02.2021). Ayant atteint l’âge de la retraite, la caisse de compensation (ci-après: la caisse) lui a accordé une rente de vieillesse de CHF 1’310 par mois depuis le 01.11.2021. La rente était calculée en fonction d’une durée de cotisations de trente-quatre ans et cinq mois, de l’échelle de rente 34, de bonifications pour tâches éducatives (3.0), d’un revenu annuel moyen déterminant de 24’378 fr. et d’une durée de cotisations pour ce dernier de trente-trois ans et sept mois. Elle ne tenait plus compte des périodes de cotisations au Portugal mais toujours d’un supplément pour veuvage.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2023 32 – consultable ici)

Par jugement du 06.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
La rente d’invalidité accordée à l’assuré tenait compte des périodes de cotisations au Portugal, conformément à l’art. 12 par. 1 de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal (RS 0831.109.654.1; ci-après: la convention Suisse-Portugal). Le système de cette convention, dite de « type A », se caractérise par le principe du risque, selon lequel l’invalide qui en remplit les conditions reçoit une seule rente d’invalidité (au lieu de deux rentes partielles versées par les assurances des deux pays concernés [rentes partielles calculées au prorata des périodes d’assurance accomplies; convention dite de « type B »]). Cette rente unique est versée par l’assurance à laquelle l’assuré est affilié lors de la survenance de l’invalidité (en l’espèce la Suisse). L’assurance prend en considération la totalité des périodes de cotisations, y compris celles qui ont été accomplies dans l’autre pays (cf. ATF 130 V 247 consid. 4). La rente de vieillesse de l’assuré, qui a en l’occurrence succédé à sa rente d’invalidité, a en revanche été calculée sur la base des seules cotisations à l’assurance suisse. La caisse intimée a procédé au calcul comparatif prévu par l’art. 33bis al. 1 LAVS. Selon cette disposition, les rentes de vieillesse ou de survivants sont calculées sur la base des mêmes éléments que la rente d’invalidité à laquelle elles succèdent s’il en résulte un avantage pour l’ayant droit. L’administration n’a cependant pas appliqué cette disposition dans la mesure où elle n’avait relevé aucun avantage pour l’assuré.

Consid. 5.1
Les premiers juges sont partis du principe que, dans la mesure où l’assuré avait exercé son droit à la libre circulation en 1987 et où il avait bénéficié d’une rente d’invalidité depuis le mois d’octobre 1992, il fallait se référer à la convention Suisse-Portugal pour trancher le litige. Ils n’ont pas examiné si la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale mise en place à la suite de l’entrée en vigueur le 01.06.2002 de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) pouvait s’appliquer en l’espèce.

Consid. 5.2
On relèvera au préalable que, jusqu’au 31.03.2012, les parties à l’ALCP appliquaient entre elles le Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (RO 2004 121; ci-après: le règlement n° 1408/71). Une décision n° 1/2012 du Comité mixte du 31 mars 2012 (RO 2012 2345) a actualisé le contenu de l’Annexe II à l’ALCP avec effet au 01.04.2012. Il a été prévu, en particulier, que les Parties appliqueraient désormais entre elles le Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, modifié par le Règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (ci-après: le règlement n° 883/2004; RS 0.831.109.268.1). L’art. 153a al. 1 LAVS, dans sa teneur en vigueur depuis le 01.01.2017, renvoie à ces règlements de coordination.

Consid. 5.3
Il ressort des constatations cantonales que l’assuré a atteint l’âge de la retraite en Suisse en octobre 2021 (au Portugal en avril 2023), que son droit à la rente suisse de vieillesse est né le 01.11.2021 et que la décision administrative le constatant a été rendue le 05.10.2021. Ces événements, survenus postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ALCP, tombent dans le champ d’application temporel de cet accord et des règlements de coordination qui en découlent (cf. art. 1 par. 1 de l’annexe II à l’ALCP – intitulée « Coordination des systèmes de sécurité sociale », fondée sur l’art. 8 de l’accord et faisant partie intégrante de celui-ci [art. 15 ALCP] – en relation avec la section A de cette annexe), en particulier du règlement n° 883/2004. La rente de vieillesse, dont le calcul est en l’espèce litigieux, est en outre comprise dans le champ d’application matériel du règlement n° 883/2004 selon son art. 3 par. 1 let. d. Enfin, le champ d’application personnel du règlement n° 883/2004 est manifestement rempli dans la mesure où, selon l’art. 2 par. 1 dudit règlement, celui-ci s’applique notamment aux ressortissants de l’un des États membres qui – comme l’assuré qui a accompli des périodes de cotisations tant au Portugal qu’en Suisse – sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres.

Le litige relève ainsi de la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale mise en place à la suite de l’entrée en vigueur de l’ALCP, ce que les premiers juges auraient dû examiner d’office.

Consid. 5.4
Cela étant, dans l’ATF 149 V 97, confirmant l’ATF 142 V 112 auquel s’est référé le tribunal cantonal, le Tribunal fédéral a relevé que l’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 reprenait le principe de l’application des conventions de sécurité sociale plus favorables de l’art. 7 par. 2 let. c du règlement n° 1408/71 lorsqu’en particulier l’assuré avait, comme en l’espèce, exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP. Il a en outre considéré que la jurisprudence relative à l’applicabilité de ce principe, développée sous le régime du règlement n° 1408/71, restait applicable sous le régime du règlement n° 883/2004 (consid. 5.3).

Consid. 5.5
Il convient dès lors de déterminer, d’une part, quelles sont les conditions auxquelles une rente de vieillesse succède à une rente d’invalidité ou, selon les termes conventionnels, les conditions d’une conversion des prestations d’invalidité en prestations de vieillesse sous le régime du règlement n° 883/2004 et sous le régime de la convention Suisse-Portugal puis, d’autre part, lequel de ces deux régimes est le plus favorable à l’assuré.

Consid. 6.1
L’art. 48 du règlement n° 883/2004 prévoit la conversion de prestations d’invalidité en prestations de vieillesse selon les conditions prévues par la législation au titre de laquelle elles sont servies. Par ailleurs, l’institution, qui sert des prestations d’invalidité à un bénéficiaire admis à faire valoir son droit à des prestations de vieillesse en vertu de la législation d’un autre État membre, continue à verser les prestations d’invalidité tant que le bénéficiaire y a droit en vertu de la législation qu’elle applique. Ensuite, lorsque les prestations d’invalidité sont converties en prestations de vieillesse et que l’intéressé ne satisfait pas encore aux conditions de l’autre État pour avoir droit à ces mêmes prestations, l’intéressé bénéficie de la part de l’autre État membre de prestations d’invalidité à partir du jour de la conversion. Cette nouvelle disposition a succédé à l’art. 43 du règlement n° 1408/71. Elle y a seulement apporté des modifications d’ordre rédactionnel (Constanze Janda, in: Europäisches Sozialrecht, 8e éd. 2022, n° 1 ad art. 48 du règlement n° 883/2004, p. 428) et s’inscrit pleinement dans l’objectif de modernisation et de simplification du règlement n° 1408/71 essentiel à la mise en œuvre de la libre circulation des personnes (cf. ATF 149 V 97 consid. 5.3.3). Il n’y a dès lors pas de motif de remettre en cause la jurisprudence développée sous le régime du règlement n° 1408/71, exposée ci-après.

Consid. 6.2
Se référant notamment à l’art. 43 du règlement n° 1408/71, dans l’ATF 131 V 371, le Tribunal fédéral a été amené à examiner le cas de la conversion de la rente d’invalidité en rente de vieillesse d’une ressortissante néerlandaise, devenue suisse, qui avait accompli des périodes de cotisations aux Pays-Bas et en Suisse avant et après l’entrée en vigueur de l’ALCP. Il y a notamment retenu que les règlements de coordination n’obligeaient pas l’État, qui avait versé une rente d’invalidité intégrant les périodes d’assurance accomplies à l’étranger, à tenir compte desdites périodes pour le calcul de la rente de vieillesse qui la remplaçait. Aucune garantie de droits acquis n’était prévue pour le passage de la rente d’invalidité à la rente de vieillesse. La prise en compte des périodes de cotisations à l’étranger se faisait par le biais du versement par l’État, qui avait jusqu’alors été libéré du versement d’une prestation, d’une rente de vieillesse ou, si l’âge de la retraite prévu par cet État n’était pas atteint, d’une rente d’invalidité, sous réserve d’une solution bilatérale plus avantageuse (consid. 7-9).

Consid. 6.3
Il apparaît dès lors que, selon la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale applicable par l’entrée en vigueur de l’ALCP, l’assuré a droit à la conversion de sa rente suisse d’invalidité en une rente suisse de vieillesse calculée en fonction exclusivement des périodes suisses de cotisations dès qu’il a atteint l’âge de la retraite en Suisse de soixante-cinq ans (cf. art. 52 du règlement n° 883/2004 et la jurisprudence y relative, arrêt 9C_440/2019 du 2 mars 2020 consid. 3 avec la référence à l’ATF 130 V 51; cf. aussi ATF 131 V 371 consid. 6.4). Il ne peut en revanche pas prétendre une rente portugaise de vieillesse tant qu’il n’a pas atteint l’âge de la retraite au Portugal de soixante-six ans et six mois. Toutefois, dans l’intervalle de ces deux dates, il peut prétendre une rente portugaise transitoire d’invalidité, calculée en fonction des périodes portugaises de cotisations. Le cumul provisoire de la rente suisse de vieillesse et de la rente portugaise d’invalidité s’applique en l’occurrence, à moins que la convention Suisse-Portugal propose une solution plus favorable à l’assuré (voir consid. 7 infra). Il doit être procédé à un nouveau calcul de la rente suisse de vieillesse une fois atteint l’âge de la retraite au Portugal.

Consid. 6.4
Le Tribunal fédéral a en outre rappelé que la garantie des droits acquis prévue à l’art. 33bis al. 1 LAVS ne se rapportait pas au montant de la rente d’invalidité calculée en tenant compte des périodes d’assurance à l’étranger. La rente de vieillesse pouvait être inférieure à la rente d’invalidité perçue jusqu’alors sans que cela ne constitue une violation de l’art. 33bis al. 1 LAVS et le calcul comparatif se faisait en fonction des périodes suisses uniquement (ATF 133 V 329 consid. 4.3; 131 V 371 consid. 3).

 

Consid. 7.1
Comme l’assuré a exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP, il peut se prévaloir de l’application d’une convention de sécurité sociale plus favorable (cf. consid. 5.4 supra). Il faut donc déterminer si le système mis en place par la convention Suisse-Portugal est plus favorable que celui mis en place par l’ALCP.

Consid. 7.2
Selon l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal, les rentes ordinaires de vieillesse ou de survivants de l’assurance suisse venant se substituer à un rente d’invalidité, fixée selon le paragraphe précédent, sont calculées sur la base des dispositions légales suisses compte tenu exclusivement des périodes de cotisations suisses. Si toutefois les périodes d’assurance portugaise, compte tenu de l’art. 20 de la Convention et des dispositions d’autres Conventions internationales, n’ouvrent exceptionnellement pas droit à une prestation portugaise analogue, elles sont également prises en compte pour déterminer les périodes de cotisations qui doivent servir de base de calcul des rentes suisses susmentionnées. Selon l’art. 20 de la convention Suisse-Portugal, lorsqu’un ressortissant de l’une ou l’autre des Parties contractantes a été soumis successivement ou alternativement aux législations des deux Parties contractantes, les périodes de cotisations et les périodes assimilées accomplies selon chacune de ces législations sont totalisées, du côté portugais, dans la mesure où c’est nécessaire, pour l’ouverture du droit aux prestations qui font l’objet de la présente section, en tant que lesdites périodes ne se superposent pas. Cette disposition ne s’applique que si la durée de cotisations dans les assurances portugaises est au moins égale à douze mois.

Consid. 7.3
La juridiction cantonale a conclu que les périodes portugaises de cotisations ne devaient en l’occurrence pas être prises en compte dans le calcul de la rente de vieillesse de l’assuré. Elle a considéré que l’exception de l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal n’était pas réalisée dans la mesure où l’assuré n’était pas définitivement privé de la possibilité d’obtenir une rente portugaise de vieillesse mais aurait droit à une telle rente, calculée sur la base des périodes portugaises de cotisations, lorsqu’il aurait atteint l’âge de soixante-six ans et six mois.

Consid. 7.4
Cette interprétation de l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal ne peut pas être suivie. Dans l’ATF 112 V 145 consid. 2 ss – invoqué par l’assuré -, le Tribunal fédéral a recherché le sens qu’il fallait donner au membre de phrase « n’ouvre exceptionnellement pas droit à une prestation espagnole analogue » figurant à l’art. 9 par. 4 de la Convention de sécurité sociale du 13 octobre 1969 entre la Confédération suisse et l’Espagne (ci-après: la convention Suisse-Espagne), identique à l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal. Il est parvenu à la conclusion que, lorsqu’une rente de vieillesse ou de survivants de l’assurance suisse succède à une rente de l’assurance-invalidité calculée selon l’art. 9 par. 3 de la convention Suisse-Espagne, la totalisation des périodes espagnoles d’assurance et des périodes suisses de cotisations doit être appliquée, si elle est plus avantageuse pour l’assuré, quand il est établi que ce dernier ne peut prétendre une prestation espagnole analogue au moment où s’ouvre le droit à une rente suisse. Si, par la suite, le droit de l’assuré à la prestation espagnole naît, la rente suisse sera à nouveau calculée en fonction des seules périodes suisses de cotisations, conformément à l’art. 9 par. 4 première phrase de la convention Suisse-Espagne.

Consid. 7.5
Dès lors que les textes des conventions Suisse-Portugal et Suisse-Espagne sont identiques, il n’y a pas lieu de faire une interprétation différente de l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal que celle qui a été faite de l’art. 9 par. 4 de la convention Suisse-Espagne dans l’ATF 112 V 145. La totalisation des périodes portugaises d’assurance et des périodes suisses de cotisations doit être appliquée, si elle est plus avantageuse pour l’assuré, quand il est établi que ce dernier ne peut prétendre une prestation portugaise analogue au moment où s’ouvre le droit à une rente suisse. Si, par la suite, le droit de l’assuré à la prestation portugaise naît, la rente suisse sera à nouveau calculée en fonction des seules périodes suisses de cotisations, conformément à l’art. 12 par. 2 première phrase de la convention Suisse-Portugal. Cela signifie concrètement que l’assuré peut prétendre la prise en compte des périodes de cotisations au Portugal dans le calcul de sa rente de vieillesse jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la retraite au Portugal, pour autant que cette solution soit plus favorable au système mis en place par le règlement n° 883/2004.

 

Consid. 8
Ni la caisse intimée ni la juridiction cantonale n’ont examiné si le système de la convention Suisse-Portugal (consid. 7) est plus favorable à l’assuré que le système du règlement n° 883/2004 (consid. 6), étant précisé que la totalisation des périodes de cotisations selon le premier système ou le cumul de la rente suisse de vieillesse et de la rente portugaise d’invalidité selon le second système ne saurait s’appliquer après que l’assuré aura atteint l’âge de soixante-six ans et six mois. Un nouveau calcul devrait alors être effectué. À cet égard, le Tribunal fédéral a déjà considéré que le point de savoir quel système était plus favorable à l’assuré nécessitait un calcul comparatif fondé sur des informations dont l’obtention ne soulevait guère de difficultés pratiques pour les autorités compétentes suisses qui pouvaient s’appuyer sur l’entraide administrative prévue dans les relations transfrontalières dans le domaine de la sécurité sociale (art. 7 de l’Arrangement administratif du 24 septembre 1976 fixant les modalités d’application de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal [RS 0.831.109.654.12]; art. 84 du règlement n° 1408/71; art. 76 ss du règlement n° 883/2004; art. 2 ss du Règlement [CE] n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale [RS 0.831.109.268.11]; ATF 149 V 97 consid. 5.4 et la référence). Il n’appartient au demeurant pas au Tribunal fédéral d’examiner ce point pour la première fois. En conséquence, il convient de rejeter la conclusion principale, en tant qu’elle postule le versement de la rente la plus favorable pour une durée indéterminée, et d’admettre la conclusion subsidiaire de renvoi. Il convient ainsi d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer la cause à l’administration pour qu’elle complète l’instruction dans le sens de ce qui précède et rende une nouvelle décision. Il n’y a pas lieu d’annuler la décision de rente litigieuse dont il n’est pas encore établi qu’elle soit contraire au droit.

Il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les autres griefs de l’assuré dans la mesure où la caisse intimée devra justifier ses nouveaux calculs.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_540/2023 consultable ici

 

8C_562/2023 (d) du 29.05.2024 – Revenu sans invalidité d’un assuré au chômage au moment de l’accident déterminé sur la base de la CCT et non de l’ESS – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_562/2023 (d) du 29.05.2024

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Revenu sans invalidité d’un assuré au chômage au moment de l’accident déterminé sur la base de la CCT et non de l’ESS / 16 LPGA

Refus du parallélisme pour un assuré travaillant depuis longtemps ou presque exclusivement de manière temporaire

Valeur probante du rapport du médecin-conseil

 

Assuré, né en 1963, aide plâtrier, était inscrit au chômage depuis le 22.12.2017. Le 17.02.2019, il a glissé sur une route verglacée et s’est blessé au métacarpe gauche. Le 20.06.2019, l’assurance-accidents a communiqué la fin du versement des indemnités journalières dès le 01.07.2019, l’assuré ayant retrouvé sa pleine capacité de travail. L’assuré a été opéré le 17.10.2019 (ablation du matériel d’ostéosynthèse). Les 14.05.2020 et 12.01.2021, l’assurance-accidents a considéré que l’assuré était à nouveau apte à travailler à 100% dans son activité habituelle, arrêtant le versement des prestations au 31.05.2020.

Le 30.05.2020, l’assuré a été victime d’un nouvel accident, entraînant fracture du radius distal intra-articulaire à plusieurs fragments du côté droit. L’assurance-accidents a octroyé les prestations, sous forme de traitement médical et d’indemnités journalières, pour ce nouvel événement. Par pli du 24.05.2022, l’assurance-accidents a considéré que l’état de santé en lien avec l’accident du 30.05.2020 était stabilisé, sur la base de l’avis de son médecin-conseil.

Par décision du 10.06.2022, confirmée sur opposition le 30.09.2022, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et a octroyé une IPAI de 15%.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2022.00207 – consultable ici)

Par jugement du 18.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’instance cantonale a considéré que l’avis du médecin-conseil était probant. Selon cette évaluation, l’assuré ne peut plus exercer son activité d’aide plâtrier ou de peintre en raison notamment des séquelles de l’accident du 30.05.2020. Une activité professionnelle à plein temps sans utilisation de la force de la main droite est exigible. Ont été retenues les limitations fonctionnelles suivantes : pas de soulèvement et de port de charges, jusqu’à hauteur du bassin, de plus de 5 kg, pas d’exposition au froid et aux vibrations, pas de travaux dans un milieu humide ou mouillé ou dans une chaleur excessive, pas d’activités nécessitant des poussées et tractions, pas de travaux sur des échelles et des échafaudages, pas de travaux en hauteur avec un déploiement de force. Etaient encore possibles la manipulation d’outils légers (motricité fine, clavier). La posture et la locomotion n’étaient pas limitées.

Consid. 3.2
Les juges cantonaux ont confirmé le revenu sans invalide déterminé par l’assurance-accidents sur la base de la convention collective de travail (CCT) pour le secteur de la plâtrerie de la ville de Zurich en vigueur à partir du 01.04.2020. Avec un salaire minimum pour l’année 2022 pour les ouvriers professionnels semi-qualifiés (âge 61 ; à partir de 5 ans de service) de CHF 5’046.95 par mois, soit un revenu annuel de CHF 65’610.35. Le salaire minimum pour le secteur de la plâtrerie de la ville de Zurich est ainsi supérieur à la CCT pour l’industrie de la peinture et de la plâtrerie de Suisse alémanique et du Tessin (sans la ville de Zurich) de CHF 4’691, valable à partir du 01.04.2021.

La cour cantonale a fixé le revenu d’invalide sur la base de l’ESS 2020 (tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé, total, niveau de compétence 1, hommes). Après prise en compte de la durée hebdomadaire de travail usuelle dans l’entreprise et de l’évolution du salaire nominal, le revenu d’invalide s’élevait à CHF 66’016 francs pour l’année 2022. Les juges cantonaux ont confirmé l’abattement de 10% en raison des limitations fonctionnelles. Il résultait de la comparaison du revenu d’invalide de CHF 59’414.05 avec le revenu sans invalidité de CHF 65’610.35 un taux d’invalidité de 9.44%, excluant le droit à une rente d’invalidité LAA.

 

Consid. 4.1.1 (revenu sans invalidité)
L’assuré fait valoir que le revenu sans invalidité ne doit pas être calculé sur la base des prescriptions minimales de la CCT, mais sur la base des valeurs statistiques de l’ESS. Il n’est pas contesté que l’assuré était au chômage au moment de l’accident, raison pour laquelle on ne peut pas se baser sur le dernier gain réalisé.

Consid. 4.1.2
Contrairement à l’avis de l’assuré, les objectifs des salaires minimaux minimum d’une CCT déclarée de force obligatoire par le Conseil fédéral dans la branche professionnelle correspondante ne sont pas utilisés uniquement pour examiner le caractère inférieur à la moyenne d’un revenu effectivement réalisé (cf. SVR 2022 UV Nr. 32 p. 130, 8C_541/2021 consid. 4.2.2, SVR 2022 UV Nr. 43 p. 172, 8C_528/2021 consid. 8.3 s.). Au contraire, la jurisprudence a, à diverses reprises, pris en compte les salaires dus en vertu de conventions collectives de travail pour déterminer le revenu sans invalidité, comme l’a déjà reconnu à juste titre l’instance cantonale (arrêts 8C_677/2021 du 31 janvier 2022 consid. 4.2.1 ; 8C_134/2021 du 8 septembre 2021 consid. 5.4 et les références).

Consid. 4.1.3
Le revenu qu’il obtiendrait hypothétiquement en bonne santé (revenu sans invalidité) doit être fixé aussi concrètement que possible (ATF 144 I 103 consid. 5.3; 135 V 58 consid. 3.1; cf. aussi ATF 135 V 297 consid. 5.1; 134 V 322 consid. 4.1). L’objection selon laquelle le salaire minimal selon la CCT ne correspond pas au revenu usuel de la branche n’est pas pertinente, car les revenus spécifiques à la branche y sont représentés de manière plus précise que dans l’ESS (au lieu de : arrêt 8C_756/2022 14 décembre 2023 consid. 5.1.2). En outre, l’instance cantonale et l’assurance-accidents ont souligné à juste titre que l’assuré n’avait jamais perçu un revenu aussi élevé avant son accident (cf. extrait du CI). L’assuré ne fait d’ailleurs pas valoir de tels arguments.

Consid. 4.1.4
Dans la mesure où la question du caractère inférieur à la moyenne du revenu effectivement réalisé se pose, il n’est certes pas admissible d’imputer à la personne assurée un revenu sans invalidité fictif à hauteur d’un salaire minimum CCT pour nier sur cette base le caractère inférieur à la moyenne du revenu (SVR 2022 UV Nr. 43 p. 172, 8C_528/2021 consid. 8.3.3). Comme dans le cas cité supra, l’assuré travaillait depuis longtemps ou, en l’occurrence, presque exclusivement de manière temporaire, raison pour laquelle il existe de sérieux indices qu’il s’est contenté de son plein gré d’un bas revenu. Il n’y a donc pas lieu de procéder à un parallélisme des revenus à comparer (ATF 134 V 322 consid. 4.1). Rien d’autre ne ressort de l’ATF 148 V 174, invoqué dans le recours, qui traite de l’évaluation du revenu d’invalide sur la base de l’ESS. Il n’y a donc pas lieu de reconnaître une violation du droit fédéral dans la procédure de l’instance cantonale.

 

Consid. 4.2.1 à 4.2.4 (revenu d’invalide ; résumé)
L’assuré conteste l’évaluation de sa capacité de travail dans une activité adaptée, remettant en question la valeur probante de l’exigibilité par le médecin-conseil. L’instance cantonale a écarté tout doute quant à cette évaluation, qui concordait avec le diagnostic non contesté et les limitations indiquées par le chirurgien traitant. L’appréciation du médecin de famille concernant l’impossibilité d’augmenter le taux d’occupation n’a pas été jugée suffisamment motivée pour être prise en compte.

Le rapport du chirurgien traitant, sur lequel s’est basé le médecin-conseil, a été jugé trop succinct et dépourvu d’évaluation quantitative de la capacité de travail. L’évaluation du médecin-conseil a été considérée comme sommaire, d’autant plus qu’il n’y a pas eu d’examen clinique personnel. L’assuré se plaignait de douleurs au poignet, mais l’avis du médecin-conseil ne précise pas comment et dans quelles circonstances ces douleurs se manifestent, se contentant de mentionner des « douleurs au poignet ». Il n’y a donc pas de discussion détaillée sur la description des douleurs, rendant les conclusions peu convaincantes.

Le Tribunal fédéral a estimé que les juges cantonaux ont violé le droit fédéral en procédant à une appréciation définitive des preuves sans investigations supplémentaires, compte tenu des doutes subsistants. En conséquence, le jugement du tribunal cantonal et la décision sur opposition sont annulés, et l’affaire est renvoyée à l’assurance-accidents pour qu’elle mette en œuvre une expertise médicale (art. 44 LPGA) avant de statuer à nouveau sur le droit aux prestations de l’assuré.

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_562/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_562/2023 (d) du 29.05.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/07/8c_562-2023)

 

 

9C_6/2024 (f) du 27.05.2024 – Délai légal de l’art. 57a LAI non prolongeable – Délai pour produire des rapports médicaux après le dépôt des objections au préavis

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_6/2024 (f) du 27.05.2024

 

Consultable ici

 

Délai légal de l’art. 57a LAI non prolongeable – Délai pour produire des rapports médicaux après le dépôt des objections au préavis

 

Dépôt d’une demande de prestations AI en février 2017. Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a diligenté une évaluation multidisciplinaire (rapport d’expertise du 26.05.2021). Par projet de décision du 11.12.2021, l’office AI a informé l’assuré qu’il entendait lui allouer trois quarts de rente d’invalidité du 01.10.2017 au 31.03.2018. Le 25.01.2022, l’assuré a formulé des objections à l’encontre de ce projet de décision, en indiquant qu’il allait produire des rapports médicaux. L’administration lui a octroyé un délai supplémentaire au 31.03.2022 pour faire part de ses éventuelles objections et transmettre tous documents permettant d’étayer ses arguments. À la demande de l’assuré (correspondance du 31.03.2022), l’office AI lui a accordé un ultime et dernier délai au 30.04.2022, en lui indiquant qu’aucune nouvelle prolongation ne serait accordée et qu’à l’échéance du délai prolongé, il prendrait position en tenant compte des éléments en sa possession (correspondance du 01.04.2022). Le 29.04.2022, l’assuré a sollicité une nouvelle prolongation du délai au 30.09.2022, en indiquant qu’il allait soumettre le rapport d’expertise à un expert indépendant, ce qui prenait du temps. Par décision du 20.07.2022, l’administration a reconnu le droit de l’assuré à trois quarts de rente d’invalidité du 01.10.2017 au 31.03.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 210/22-333/2023 – consultable ici)

Par jugement du 28.11.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
À la suite de l’instance cantonale, on rappellera que conformément à l’art. 57a al. 1 LAI, au moyen d’un préavis, l’office AI communique à l’assuré toute décision finale qu’il entend prendre au sujet d’une demande de prestations, ou au sujet de la suppression ou de la réduction d’une prestation déjà allouée ainsi que toute décision qu’il entend prendre au sujet d’une suspension à titre provisionnel des prestations. Selon l’al. 3 de cette disposition (introduit avec effet au 1er janvier 2021 [RO 2020 5143]), les parties peuvent faire part de leurs observations concernant le préavis dans un délai de 30 jours.

Consid. 4.1
À l’appui de son recours, l’assuré se prévaut d’une constatation manifestement inexacte des faits « en lien avec l’art. 57a al. 1 LAI », ainsi que d’une violation de son droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) et de son droit à un procès équitable (art. 6 par. 1 CEDH). Il reproche à l’instance précédente d’avoir admis que l’office intimé était fondé à statuer sur son droit à la rente sans au préalable lui avoir accordé une troisième prolongation de délai, à hauteur de cinq mois supplémentaires, alors qu’il avait déjà bénéficié de deux prolongations (d’abord jusqu’au 31.03.2022, puis jusqu’au 30.04.2022).

Consid. 4.2
Les griefs de l’assuré sont mal fondés. En effet, comme l’ont dûment exposé les juges cantonaux, le délai de 30 jours accordé aux parties par l’art. 57a al. 3 LAI pour faire part de leurs observations concernant les préavis rendus par les offices AI conformément à l’art. 57a al. 1 LAI est un délai légal non prolongeable (cf. ATF 143 V 71 consid. 4.3.4 sur l’art. 57a al. 3 Projet-LAI [FF 2011 5301, 5400 ch. 2]; cf. aussi arrêt 8C_557/2023 du 22 mai 2024 consid. 5.3.1), ce que l’assuré ne conteste du reste pas. À cet égard, l’argumentation de l’assuré selon laquelle il n’aurait pas sollicité une prolongation du délai légal de 30 jours, dès lors qu’il avait déposé des objections le 25.01.2022, ne peut pas être suivie, au regard déjà de la demande de prolongation y figurant ainsi que de ses courriers successifs des 31.03.2022 et 29.04.2022, dans lesquels il requiert expressément « une prolongation de délai ». Il affirme à ce propos que dans la mesure où il avait respecté le délai légal, il devait pouvoir, dans un deuxième temps, disposer du temps nécessaire à l’obtention des rapports médicaux afin de « compléter ses objections, par la mise en œuvre d’une contre-expertise », sous peine d’être « privé de la garantie du double degré de juridiction ». Or ce point de vue n’est pas pertinent dès lors déjà que la démarche annoncée par l’assuré le 25.01.2022 (« nous allons produire des rapports médicaux ») n’a apparemment pas été concrétisée plus avant au terme de la prolongation du délai accordée par l’office intimé au 30.04.2022. À ce moment-là, l’assuré s’est limité à requérir un nouveau délai, sans alléguer ni partant démontrer qu’il avait effectivement entrepris des démarches pour produire le rapport médical annoncé dans ses objections du 25.01.2022.

Au demeurant, l’argumentation de l’assuré ne met pas en évidence que les juges cantonaux auraient méconnu la portée de l’art. 57a al. 3 LAI, ni qu’ils auraient mal compris les raisons pour lesquelles le législateur a instauré cette règle légale, voire que celui-ci entendait faire une distinction entre un « délai pour adresser des objections » et un « délai pour compléter ses objections ». Il n’est dès lors pas nécessaire de se prononcer plus avant sur le changement législatif qui a modifié le système du délai d’ordre qui prévalait avant l’adoption de l’art. 57a al. 3 LAI (cf. art. 73ter al. 1 aRAI; ATF 143 V 71 consid. 4.3.5).

En tout état de cause, même dans l’hypothèse où le droit d’être entendu de l’assuré aurait été violé, cette violation aurait pu être guérie devant la juridiction cantonale, qui est dotée d’un plein pouvoir d’examen (à ce sujet, cf. arrêts 9C_23/2021 du 25 octobre 2021 consid. 5.2; 9C_205/2013 du 1er octobre 2013 consid. 1). Dans son écriture de recours devant le Tribunal fédéral, l’assuré admet en effet qu’il a obtenu en juillet 2023 le rapport médical qu’il avait sollicité pour contester l’expertise de la CRR, si bien qu’il lui aurait été loisible de produire le rapport médical annoncé durant la procédure de recours cantonal, comme l’ont exposé les juges cantonaux. Or le mandataire de l’assuré explique avoir « fait le choix délibéré de ne pas produire ce rapport » devant l’instance précédente. Un tel choix de renoncer à produire une preuve ne saurait conduire à admettre une « violation des garanties procédurales élémentaires » de l’assuré, dès lors déjà qu’il appartient aux parties d’exercer concrètement leur droit de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort du litige, droit précisément déduit de l’art. 29 Cst.

De plus c’est en vain que l’assuré produit ce rapport devant le Tribunal fédéral. Il s’agit en effet d’un « faux nova », qui n’a pas à être pris en considération par le Tribunal fédéral (cf. art. 99 al. 1 LTF; ATF 143 V 19 consid. 1.2; 134 V 223 consid. 2.2.1).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_6/2024 consultable ici

 

8C_557/2023 (f) du 22.05.2024 – Nouvelle demande AI – Plausibilité d’une aggravation de l’état de santé – 87 RAI / Délai légal de l’art. 57a LAI non prolongeable

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_557/2023 (f) du 22.05.2024

 

Consultable ici

NB : arrêt à 5 juges, non destiné à la publication

 

Nouvelle demande AI – Plausibilité d’une aggravation de l’état de santé / 87 RAI

Délai légal de l’art. 57a LAI (dans sa version dès le 1er janvier 2021) non prolongeable

 

Par décision du 07.03.2001, l’office AI a octroyé à l’assurée, née en 1968, une demi-rente d’invalidité à partir du 01.11.1998. Après avoir diligenté une expertise bidisciplinaire, l’office AI a, par décision du 28.09.2017, supprimé cette demi-rente d’invalidité au 01.11.2017.

Le 25.05.2022, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations auprès de l’office AI, arguant souffrir de douleurs corporelles diffuses sur une probable fibromyalgie, d’une hyperlaxité ligamentaire, d’une maladie des petites fibres à éliminer, d’un syndrome anxio-dépressif, d’un status post-chirurgie de la cheville droite en 2018 et de migraines. Statuant le 26.09.2022, l’office AI a refusé d’entrer en matière sur cette nouvelle demande, motif pris que l’assurée n’avait pas rendu plausible la péjoration de son état de santé.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 179 – consultable ici)

Par jugement du 06.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
En vertu de l’art. 87 al. 2 et 3 RAI, lorsque la rente a été refusée parce que le degré d’invalidité était insuffisant, la nouvelle demande ne peut être examinée que si l’assuré rend plausible que son invalidité s’est modifiée de manière à influencer ses droits. Cette exigence doit permettre à l’administration qui a précédemment rendu une décision de refus de prestations entrée en force d’écarter sans plus ample examen de nouvelles demandes dans lesquelles l’assuré se borne à répéter les mêmes arguments, sans alléguer une modification des faits déterminants (ATF 133 V 108 consid. 5.2; 130 V 64 consid. 5.2.3; 117 V 198 consid. 4b et les références). Lorsqu’elle est saisie d’une nouvelle demande, l’administration doit commencer par examiner si les allégations de l’assuré sont, d’une manière générale, plausibles. Si tel n’est pas le cas, l’affaire est liquidée d’entrée de cause et sans autres investigations par un refus d’entrer en matière (ATF 117 V 198 consid. 3a).

Consid. 3.2
Le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’autorité (cf. art. 43 al. 1 LPGA), ne s’applique pas à la procédure de l’art. 87 al. 3 RAI (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5). Eu égard au caractère atypique de celle-ci dans le droit des assurances sociales, le Tribunal fédéral a précisé que l’administration devait appliquer par analogie l’art. 73a RAI (cf. art. 43 al. 3 LPGA depuis le 1er janvier 2003) – qui permet aux organes de l’AI de statuer en l’état du dossier en cas de refus de l’assuré de coopérer – à la procédure régie par l’art. 87 al. 3 RAI, ce qui se justifiait aussi sous l’angle de la protection de la bonne foi (cf. art. 5 al. 3 et 9 Cst.). Ainsi, lorsqu’un assuré introduit une nouvelle demande de prestations ou une procédure de révision sans rendre plausible que son invalidité s’est modifiée, notamment en se bornant à renvoyer à des pièces médicales qu’il propose de produire ultérieurement ou à des avis médicaux qui devraient selon lui être recueillis d’office, l’administration doit lui impartir un délai raisonnable pour déposer ses moyens de preuve, en l’avertissant qu’elle n’entrera pas en matière sur sa demande pour le cas où il ne se plierait pas à ses injonctions. Cela présuppose que les moyens proposés soient pertinents, en d’autres termes qu’ils soient de nature à rendre plausibles les faits allégués.

Si cette procédure est respectée, le juge doit examiner la situation d’après l’état de fait tel qu’il se présentait à l’administration au moment où celle-ci a statué (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5; arrêts 8C_308/2015 du 8 octobre 2015 consid. 3.2 in fine, 9C_789/2012 du 27 juillet 2013 consid. 2.3 in fine et les arrêts cités). Cela signifie que des rapports médicaux produits postérieurement à la décision de non-entrée en matière ne peuvent pas être pris en considération par le juge, même s’ils auraient pu avoir une influence sur l’appréciation de l’autorité au moment où elle s’est prononcée (ATF 130 V 64 consid. 5; arrêts 9C_92/2020 du 17 mars 2020 consid. 3.2 in fine; 9C_51/2018 du 7 février 2019 consid. 3.4 in fine).

Consid. 3.3
L’art. 57a LAI – dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2021, applicable au cas d’espèce – dispose qu’au moyen d’un préavis, l’office AI communique à l’assuré toute décision finale qu’il entend prendre au sujet d’une demande de prestations, ou au sujet de la suppression ou de la réduction d’une prestation déjà allouée ainsi que toute décision qu’il entend prendre au sujet d’une suspension à titre provisionnel des prestation (al. 1, première phrase); l’assuré a le droit d’être entendu, conformément à l’art. 42 LPGA (al. 1, seconde phrase); les parties peuvent faire part de leurs observations concernant le préavis dans un délai de 30 jours (al. 3).

 

Consid. 5.1
En instance cantonale, l’assurée a reproché à l’office AI de ne pas avoir attendu un rapport de son psychiatre traitant avant de rendre sa décision de non-entrée en matière du 26.09.2022. A ce propos, les juges cantonaux ont constaté que dans son projet de décision du 25.07.2022, l’office AI avait informé l’assurée qu’elle disposait d’un délai de 30 jours pour transmettre les documents médicaux étayant sa nouvelle demande de prestations. L’assurée avait alors produit plusieurs avis médicaux, parmi lesquels un rapport du docteur C.__, spécialiste en anesthésiologie, qui indiquait avoir programmé un rendez-vous auprès du docteur D.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Le 05.09.2022, le curateur de l’assurée avait invité l’office AI à demander un rapport au docteur D.__, qui suivait l’assurée. Le 08.09.2022, ce même curateur avait informé l’office AI que ce psychiatre ne pouvait pas adresser de rapport avant le 15.09.2022; il demandait à l’office AI de patienter avant de statuer. Le 26.09.2022, ce dernier avait rendu sa décision de non-entrée en matière.

La cour cantonale a retenu qu’au vu de ces éléments, l’office AI était pleinement conscient que l’assurée était suivie par le docteur D.__. Cependant, il n’avait pas violé le droit d’être entendue de l’assurée. La décision de non-entrée en matière avait en effet été rendue plus de 40 jours après l’échéance du délai – légal (art. 57a al. 3 LAI) et non prolongeable – indiqué dans le projet de décision et plus de dix jours après l’échéance du terme indiqué par le curateur de l’assurée. Dans ce contexte, l’office AI avait pleinement donné à l’assurée la possibilité de fournir les moyens de preuve qu’elle entendait produire. En l’absence d’envoi du rapport annoncé du docteur D.__ ou d’une intervention de l’assurée au terme du délai indiqué, l’office AI était légitimé à rendre sa décision sans plus attendre, d’autant plus qu’à ce stade, il ne lui incombait pas de procéder à des mesures d’instruction, sous la forme d’un éventuel rappel au médecin concerné.

Consid. 5.2
L’assurée expose avoir déposé ses observations à l’encontre du projet de décision du 26.07.2022 dans le délai de l’art. 57a al. 3 LAI. A l’appui de son écriture, elle aurait produit plusieurs rapports médicaux, dont un avis du 18.08.2022 du docteur B.__, médecin praticien. Le SMR ne se serait toutefois pas prononcé sur cet avis dans son appréciation du 30.08.2022, ce qui serait déjà constitutif d’une violation du droit d’être entendu.

L’assurée soutient en outre avoir sollicité l’octroi d’un délai supplémentaire pour produire un rapport du docteur D.__. L’office AI aurait dû y donner suite, le curateur de l’assurée ne pouvant de surcroît pas être considéré comme un mandataire professionnel rompu à la procédure administrative. Par ailleurs, il serait notoire qu’il faudrait parfois un certain temps pour obtenir un rapport médical auprès d’un médecin. L’office AI n’aurait eu aucune raison de s’empresser de rendre sa décision quelques jours seulement après l’échéance du délai indiqué par l’assurée, sans avoir accusé réception de sa requête et sans avoir attiré son attention sur le fait que sans nouvelles de sa part, il serait statué en l’état du dossier. Dès lors que le juge de première instance ne peut pas prendre en compte des rapports postérieurs à la décision de non-entrée en matière, il aurait été d’autant plus nécessaire d’accorder à l’assurée le temps utile à la production d’un rapport du docteur D.__.

 

Consid. 5.3.1
Avant l’entrée en vigueur de l’art. 57a al. 3 LAI, le délai à disposition des parties pour déposer des observations sur un préavis de l’office AI était réglé à l’art. 73ter al. 1 RAI (abrogé avec effet au 1er janvier 2022), qui prévoyait que les parties pouvaient faire part à l’office AI de leurs observations sur le préavis dans un délai de 30 jours. Dans un arrêt publié aux ATF 143 V 71, le Tribunal fédéral a jugé que le délai de 30 jours de l’ancien art. 73ter al. 1 RAI – qui était alors encore en vigueur – était un délai d’ordre, prolongeable pour de justes motifs. Les juges fédéraux ont précisé que si le législateur souhaitait en faire un délai légal, et donc non prolongeable, il devait l’inscrire dans la loi (ATF 143 V 71 consid. 4.3.5), ce qui s’est produit avec l’adoption de l’art. 57a al. 3 LAI. Le délai de 30 jours, imposé aux parties pour faire part de leurs observations concernant les préavis des offices AI, est donc un délai légal depuis le 1er janvier 2021. Il n’est pas prolongeable, comme l’ont souligné à juste titre les juges cantonaux.

Consid. 5.3.2
En l’espèce, l’assurée a – par l’intermédiaire de son curateur – déposé ses observations sur le projet de décision du 25.07.2022 le 05.09.2022, soit dans le respect du délai légal de 30 jours, compte tenu des féries judiciaires du 15 juillet au 15 août (cf. art. 38 al. 4 let. b LPGA), ce que les parties ne contestent pas. Dans ce même délai de 30 jours, l’office AI a invité l’assurée à lui transmettre des rapports médicaux, dès lors que celle-ci n’en avait produit aucun à l’appui de sa nouvelle demande du 25.05.2022. Ce faisant, l’office AI lui a octroyé un délai raisonnable pour étayer cette nouvelle demande, ce qui lui a permis de déposer plusieurs avis médicaux portant essentiellement sur des lésions somatiques. S’agissant des troubles psychiques, force est de constater que l’assurée a d’abord demandé à l’office AI de solliciter lui-même un rapport du psychiatre traitant, ce à quoi il n’était pas tenu de donner suite dans le cadre d’une procédure non régie par le principe inquisitoire (cf. consid. 3.2 supra). Ensuite, l’assurée a certes évoqué l’envoi – pas avant le 15.09.2022 – d’un rapport du docteur D.__, mais sans que cette intention se soit concrétisée à cette date ou dans les jours suivants. Dans ces conditions et en l’absence d’une requête en ce sens de l’assurée, qui était représentée par un curateur professionnel, l’office AI n’avait pas à accorder un nouveau délai à l’assurée pour la production d’un rapport médical. Compte tenu des particularités régissant la procédure de l’art. 87 al. 3 RAI, l’office AI était au contraire fondé à rendre une décision de non-entrée en matière le 26.09.2022 sans attendre la production d’un rapport du psychiatre traitant. Il n’y a pas non plus de violation du droit d’être entendue de l’assurée du seul fait que le médecin du SMR ne s’est pas référé à un rapport du docteur B.__. Les griefs de l’assurée, mal fondés, doivent être rejetés.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_557/2023 consultable ici

 

8C_691/2023 (f) du 18.04.2024 – Calcul gain assuré pour un courtier en immobilier – Commissions et provisions / 23 al. 1 LACI – 37 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_691/2023 (f) du 18.04.2024

 

Consultable ici

 

Calcul gain assuré pour un courtier en immobilier – Commissions et provisions / 23 al. 1 LACI – 37 OACI

 

Assuré, né en 1970, a travaillé comme courtier en immobilier pour B.__ SA à compter du 01.05.2020. Le contrat d’engagement prévoyait une rémunération mensuelle fixe de 3’000 fr., versée douze fois l’an, ainsi qu’un taux de commissionnement calculé à raison de 25% de la commission nette d’agence pour les objets de revente, respectivement de 20% pour les ventes portant sur des programmes de promotions développés par l’employeur ou d’éventuels promoteurs. Le 26.05.2021, l’assuré a été licencié avec effet au 31.07.2021. Il s’est inscrit à l’Office régional de placement (ORP) comme demandeur d’emploi à 100% dès le 01.08.2021 et a sollicité l’octroi d’indemnités de chômage auprès de la caisse de chômage à partir de cette date. Le 03.11.2021, il a informé la caisse que durant sa période d’activité pour B.__ SA, il avait réalisé trois ventes, en septembre et novembre 2020 ainsi qu’en mars 2021.

Par décision du 29.03.2022, la caisse a fixé le montant de l’indemnité journalière à 396 fr. 55 dès le 02.08.2021, compte tenu d’un gain assuré de 10’756 fr. 20, arrondi à 10’756 fr., calculé sur la base des douze derniers mois d’engagement. Statuant le 30.11.2022, elle a rejeté l’opposition formée par l’assuré contre cette décision et a réformé celle-ci, en ce sens que le gain assuré s’élevait à 10’526 fr. 95.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 4/23-100/2023 – consultable ici)

Conformément à l’art. 37 al. 1 et 2 OACI, il convenait de déterminer si le salaire des six derniers mois (soit du 01.02.2021 au 31.07.2021) ou des douze derniers mois (soit du 01.08.2020 au 31.07.2021) devait être pris en considération pour fixer le gain assuré. Selon ses déclarations, l’assuré avait réalisé trois ventes pour B.__ SA durant sa période de travail. L’employeur avait précisé les montants perçus par l’assuré à titre de commission à partir du 01.08.2020, à savoir 36’153 fr. 70 et 13’425 fr. pour des contrats conclus respectivement les 22.09.2020 et 15.10.2020, et 50’000 fr. pour un acte conclu le 29.01.2021, soit un montant total de 99’578 fr. 70. Cette somme n’avait pas à être répartie au prorata sur les mois de mai à juillet 2020 – comme l’avait fait la caisse de chômage – mais devait uniquement être prise en compte à titre de revenu dans le cadre de la période de référence pertinente, laquelle avait débuté au plus tôt le 01.08.2020. La prime Covid de 500 fr. versée à l’assuré en décembre 2020, assimilable à une prime spéciale, ne pouvait en revanche pas être prise en considération.

Procédant au nouveau calcul du gain assuré, la juridiction cantonale a retenu qu’en tenant compte d’une période de référence de six mois, l’assuré n’avait touché aucune commission ni prime, de sorte que seul le salaire mensuel de 3’000 fr. devait être pris en compte. Ce montant correspondait ainsi au gain assuré. En se basant sur une période de référence de douze mois, il convenait d’ajouter au salaire fixe mensuel de 3’000 fr. le montant des commissions perçues par l’assuré pour ses trois ventes des, ce qui représentait un gain annuel de 135’578 fr. 70 (36’000 fr. + 99’578 fr. 70), soit un gain assuré arrondi de 11’298 fr. 25. Il ressortait ainsi du calcul comparatif que le gain assuré le plus élevé était celui relatif aux douze derniers mois de salaire.

Par jugement du 13.09.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision en ce sens que le gain assuré a été fixé à 11’298 fr. 25.

 

TF

Consid. 3
L’arrêt attaqué expose de manière complète les dispositions légales et la jurisprudence relatives à la notion de gain assuré et à son calcul (art. 23 al. 1 LACI et 37 OACI), en particulier s’agissant de la prise en compte de commissions et de provisions au regard du principe de la survenance (ATF 122 V 367 consid. 5b; cf. aussi arrêt 8C_246/2021 du 2 juillet 2021 consid. 4.2 et les arrêts cités). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 5.1
L’assuré reproche aux juges cantonaux d’avoir omis de prendre en compte, dans le calcul du salaire des douze derniers mois d’activité, un montant de 11’809 fr. 30, qui correspondrait à des commissions moyennes pour les mois de juin et juillet 2021 versées dans le cadre de son licenciement. Ce montant brut s’obtiendrait à partir d’un montant net de 10’987 fr. 35, qui figurerait sur un décompte de salaire du 25 août 2021 produit en instance cantonale, et conduirait à un revenu annuel de 147’388 fr., qui donnerait un gain assuré de 12’282 fr. 30.

Consid. 5.2
Le décompte de salaire du 25.08.2021 fait état de « commissions ventes (commissions moyennes juin et juillet 2021)  » équivalentes à un salaire net de 15’566 fr. 70 et à un salaire payé (après soustraction d’un « salaire négatif juillet 2021 ») de 10’987 fr. 35. Ce décompte ne mentionne pas à quelle (s) vente (s) ces commissions se rapportent et l’assuré ne le précise pas. Or, celui-ci ne conteste pas avoir réalisé en tout et pour tout trois ventes pour le compte de son ancien employeur, pour un montant total de commissions de 99’578 fr. 70. Ce montant a été intégralement pris en compte par la cour cantonale pour fixer le gain annuel déterminant, ce que l’assuré ne dément pas non plus. En l’absence d’une vente supplémentaire réalisée par celui-ci durant les douze derniers mois de son engagement, on ne voit pas à quelle commission supplémentaire il pourrait prétendre. Au vu des faits constatés par l’instance cantonale et à défaut d’éclaircissements de la part de l’assuré, tout porte à croire que les « commissions moyennes juin et juillet 2021 » correspondent à une partie des commissions touchées par l’assuré pour les trois ventes réalisées entre septembre 2020 et janvier 2021. Les premiers juges n’ont donc pas établi les faits de manière arbitraire et leur arrêt échappe à la critique, de sorte que le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_691/2023 consultable ici

 

9C_513/2023 (f) du 08.04.2024 – Restitution par les héritiers de rentes de vieillesse indûment perçues / 25 LPGA – 2 OPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_513/2023 (f) du 08.04.2024

 

Consultable ici

 

Restitution par les héritiers de rentes de vieillesse indûment perçues / 25 LPGA – 2 OPGA

 

B.__, né en 1938, a perçu dès le 01.08.2003 une rente de vieillesse de l’AVS. L’assuré est retourné vivre en Espagne, où il est décédé en mars 2015. La caisse de compensation a continué à verser la rente de vieillesse sur le compte de feu l’assuré sur la foi de certificats d’existence en vie, d’état civil et de domicile établis les 24.11.2015, 18.11.2016 et 28.11.2017 et assortis d’un timbre de la ville de domicile du défunt.

Après avoir eu connaissance du décès de feu l’assuré le 29.08.2018, la caisse de compensation a réclamé à chacun des trois enfants du défunt (A.__, C.__ et D.__) la restitution intégrale d’un montant de 87’576 fr., correspondant à 41 rentes d’un montant mensuel de 2’136 fr. versées indûment du 01.04.2015 au 31.08.2018 (décisions du 20.02.2019). A cette occasion, la caisse de compensation a également informé les intéressés de la possibilité de demander une remise de la somme à restituer dans les trente jours à compter de l’entrée en force de la décision de restitution. Le 28.02.2019, A.__ a formé opposition à la décision de restitution, en demandant à être « totalement désolidarisé de cette affaire ». La caisse de compensation a rejeté l’opposition du prénommé et confirmé sa décision du 20.02.2019 le concernant (décision sur opposition du 17.05.2019).

 

Procédure cantonale (arrêt C-2998/2019 – consultable ici)

Par jugement du 27.06.2023, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 2.1
Le litige porte sur l’obligation du recourant de restituer le montant de 87’576 fr., correspondant aux rentes de vieillesse versées indûment par la caisse de compensation sur le compte de feu son père en vertu des art. 25 al. 1, 1re phrase, LPGA et 2 al. 1 let. a OPGA. Compte tenu des motifs et conclusions du recours, est seule litigieuse la question de savoir si cette obligation est opposable à A.__.

Le prénommé ne conteste pas le caractère indu des rentes versées d’avril 2015 à août 2018 (soit dès le mois suivant celui au cours duquel est survenu le décès de son père; cf. art. 21 al. 2 LAVS; arrêt H 339/01 du 17 juin 2002 consid. 4b), ni le montant à restituer. Il ne prétend pas non plus que la caisse de compensation n’aurait pas respecté les délais de péremption relatif (d’une année dès la connaissance le 29.08.2018 du décès de B.__ survenu mars 2015) et absolu (de cinq ans après le versement des prestations servies dès avril 2015) prévus par l’art. 25 al. 2 LPGA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, applicable en l’espèce (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1).

Consid. 2.2
A la suite des juges précédents, on rappellera que selon l’art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile. Aux termes de l’art. 2 al. 1 let. a OPGA, sont soumis à l’obligation de restituer le bénéficiaire des prestations allouées indûment ou ses héritiers.

 

Consid. 3.2.1
Comme l’a dûment exposé l’instance précédente, l’art. 2 al. 1 let. a OPGA concrétise la jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances, selon laquelle la dette de la personne tenue à restitution passe aux héritiers – sauf répudiation de la succession – au décès de cette dernière (ATF 105 V 82 consid. 3; 96 V 73 consid. 1), même lorsque l’administration n’a pas fait valoir la créance en restitution du vivant de la personne tenue à restitution (ATF 129 V 70 consid. 3 et l’arrêt cité). En effet, les droits et les obligations pécuniaires du de cujus qui ressortissent au droit public sont transmis aux héritiers avec le reste de son patrimoine; par conséquent, la dette en restitution du défunt devient une dette personnelle des héritiers. L’obligation de restitution du de cujus passe aux héritiers (à condition qu’ils acceptent la succession) même lorsqu’elle n’a pas encore fait l’objet d’une décision; il suffit pour cela que la dette découle d’un rapport de droit que l’assuré a créé de son vivant. En vertu du principe de l’universalité de la succession, les héritiers peuvent, même dans ce cas, être recherchés personnellement pour l’entier de la dette (rapport externe; arrêt P 32/06 du 14 novembre 2006 consid. 3.3 et les références citées). Celui des héritiers qui restitue effectivement le montant indûment perçu est libre, dans un second temps, d’intenter une action récursoire contre les autres héritiers (ici, le frère et la sœur du recourant) afin qu’ils assument leur part de la dette (rapport interne).

Consid. 3.2.2
Le recourant ne conteste pas les considérations de la juridiction de première instance sur le droit des successions espagnol, en particulier sur le principe de la succession universelle et sur la dévolution successorale, ni celles selon lesquelles il a accepté purement et simplement de manière tacite la succession de feu son père et doit être considéré comme son héritier au sens de l’art. 2 al. 1 let. a OPGA.

En conséquence, dès lors que la créance en restitution porte sur des prestations versées (en trop) à B.__ pour la période allant du 01.04.2015 au 31.08.2018 et relève d’un rapport de droit créé du vivant de celui-ci (à savoir la décision du 11.07.2003 portant sur la rente de vieillesse à partir du 01.08.2003), l’obligation de restitution a passé au recourant, même si c’est après le décès de feu l’assuré que les prestations ont été versées de manière indue et que la décision de restitution a été prise par la caisse de compensation, comme l’ont dûment exposé les juges précédents.

Consid. 3.2.3
Par ailleurs, c’est en vain que le recourant se prévaut des « agissements » de sa soeur. Etant donné que le principe de la restitution prévue par l’art. 25 al. 1, 1re phrase, LPGA doit permettre de rétablir l’ordre légal après la découverte du fait nouveau, il n’est tempéré ni par une éventuelle absence de violation de l’obligation de renseigner ni par un élément d’ordre subjectif comme la faute; ces questions ne se posent que dans le cadre d’un éventuel examen sur la remise de la somme à restituer (cf. ATF 139 V 6 consid. 3; 132 V 134 consid. 2e), qu’il est loisible au recourant de demander dans les 30 jours à compter du prononcé du présent arrêt (cf. art. 25 al. 1, 2e phrase, LPGA et art. 4 al. 4 OPGA).

Consid. 3.3
En définitive, il n’y a pas lieu de s’écarter de la conclusion de la juridiction précédente, selon laquelle le recourant est tenu de restituer le montant de 87’576 fr. versé indûment par la caisse de compensation à feu son père en vertu des art. 25 al. 1, 1re phrase, LPGA et 2 al. 1 let. a OPGA. Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 9C_513/2023 consultable ici

 

8C_384/2023 (d) du 04.04.2024 – Troubles psychiques – Plaie au visage par une tronçonneuse – Causalité adéquate niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_384/2023 (d) du 04.04.2024

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité et troubles psychiques / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Plaie au visage par une tronçonneuse – Accident de gravité moyenne stricto sensu – Circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou caractère particulièrement impressionnant de l’accident pas présent de de manière particulièrement marquante

Causalité adéquate niée / 6 LAA

 

Assuré, né en 1960, ouvrier qualifié du bâtiment depuis le 01.12.1982. Le 28.02.2019, lors d’un accident de travail avec la tronçonneuse à moteur, il a subi une coupure complexe dans la partie droite du visage, qui a été traitée chirurgicalement le jour même à la clinique de chirurgie plastique et de chirurgie de la main de l’hôpital C.__.

Par courrier du 23.04.2020, l’assurance-accidents a informé l’assuré de la fin de la prise en charge des frais de traitement médical et des indemnités journalières au 31.05.2020. Par décision du 05.05.2020, elle a nié le droit à une rente d’invalidité et a précisé que le montant de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité serait décidé ultérieurement. Par décision sur opposition du 28.08.2020, entrée en force, l’assurance-accidents a maintenu sa position.

Par décision du 09.03.2021, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une IPAI de 5%. Dans le cadre de la procédure d’opposition, l’administration a annulé la décision litigieuse et a procédé à des examens médicaux complémentaires. Par nouvelle décision du 11.02.2022, confirmée sur opposition le 20.06.2022, l’assurance-accidents a confirmé l’IPAI de 5%.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2022.00135 – consultable ici)

Par jugement du 27.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
En ce qui concerne les limitations psychiques invoquées comme atteinte à l’intégrité, l’instance cantonale a laissé ouverte la question du lien de causalité naturelle et a examiné la causalité adéquate selon la jurisprudence relative aux conséquences psychiques d’un accident (ATF 115 V 133). Ce faisant, elle s’est basée sur un accident de gravité moyenne stricto sensu et a considéré que, parmi les critères pertinents, tout au plus celui des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques était rempli, mais pas de manière particulièrement marquée. Selon le tribunal cantonal, le lien de causalité adéquate entre l’accident et les troubles psychiques dont se plaint l’assuré n’étant pas établi, aucune IPAI ne pouvait être versée. Il a ajouté que – partant d’un accident de gravité moyenne – le critère de la durabilité d’une atteinte à l’intégrité psychique, nécessaire pour avoir droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité, devait également être nié.

Consid. 3.2.1
Selon la jurisprudence, pour procéder à la classification de l’accident, il faut uniquement se fonder, d’un point de vue objectif, sur l’événement accidentel lui-même et les forces générées par l’accident. Les conséquences de l’accident ou les circonstances concomitantes qui ne peuvent pas être directement attribuées à l’accident ne sont pas pertinentes ; de tels facteurs doivent être pris en compte, le cas échéant, dans les critères objectifs pour juger du caractère adéquat du lien de causalité (ATF 148 V 301 consid. 4.3.1 et les références).

Consid. 3.2.2
L’événement a été un accident de travail avec la tronçonneuse à moteur, au cours duquel la lame de celle-ci s’est coincée dans la glissière de sécurité, a rebondi et a occasionné à l’assuré, équipé d’un équipement de protection complet (vêtements de protection/casque/lunettes de protection/chaussures de sécurité), une large coupure dans la moitié droite du visage. Au regard de la jurisprudence, l’assurance-accidents a qualifié cet événement d’accident de gravité moyenne stricto sensu, ce que l’instance cantonale a confirmé au vu du déroulement objectif de l’accident. Le caractère particulièrement impressionnant du déroulement de l’accident ainsi que les lésions, a fortiori les blessures qu’il aurait pu avoir, ne sont pas pris en considération dans la classification de l’accident dans l’une des trois catégories prévues par la jurisprudence mais sont pris en compte, le cas échéant, dans les critères objectifs pour juger du caractère adéquat du lien de causalité (cf. également l’arrêt 8C_596/2022 du 11 janvier 2023 consid. 4.4.1 et les références). Il ne saurait ainsi être question d’une violation du droit lors de la classification de l’événement accidentel.

 

Consid. 3.3
De manière générale, lorsque l’on se trouve en présence d’un accident de gravité moyenne stricto sensu, il faut un cumul de trois critères sur les sept, ou au moins que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa ; SVR 2019 UV n° 41 p. 155, 8C_632/2018 consid. 8.3 ; 2013 UV n° 3 p. 7, 8C_398/2012 consid. 6 ; arrêt 8C_581/2022 du 15 juin 2023 consid. 5.3 et les références).

Consid. 3.3.1
L’assuré considère que le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident est présent – tout comme l’assurance-accidents et l’instance cantonale – de manière particulièrement marquante.

Consid. 3.3.2
L’examen du critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances d’espèce et non en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse. Il faut en effet observer qu’à tout accident de gravité moyenne est associé un certain caractère impressionnant, lequel ne suffit pas pour admettre l’existence du critère en question (ATF 148 V 301 consid. 4.4.3 et les références). Le critère peut être considéré comme rempli lorsqu’il y avait objectivement une menace directe pour la vie (arrêts 8C_703/2022 du 1er septembre 2023 consid. 4.3 ; 8C_500/2022 du 4 mai 2023 consid. 5.2.3 ; 8C_799/2008 du 11 février 2009 consid. 3.2.3).

L’assuré affirme que des artères ou les yeux auraient pu être touché, ce qui aurait pu entraîner la mort ou la perte de la vue. Il n’invoque toutefois pas de circonstances objectives mettant directement en danger sa vie, et aucun élément du dossier médical ne permet de l’affirmer. Le recours ne démontre pas dans quelle mesure le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident, ou encore au moins deux autres critères d’adéquation, seraient remplis.

Consid. 3.4
En résumé, la conclusion de l’instance cantonale, selon laquelle d’éventuels troubles psychiques ne sont pas en lien de causalité adéquate avec l’accident du 28.02.2019 et ne donnent par conséquent pas droit à une indemnité (plus élevée) pour atteinte à l’intégrité, est conforme au droit fédéral.

 

Consid. 4.1
S’agissant de l’atteinte à l’intégrité physique, la cour cantonale a retenu qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 5% se justifiait pour la cicatrice, qui s’étendait sur l’aile droite du nez selon un angle similaire à celui du sillon nasogénien et n’entraînait pas de défiguration grave du visage, ainsi que pour les paresthésies et les hypoesthésies. En ce qui concerne les sécrétions nasales aqueuses invoquées par l’assuré, respectivement la rhinopathie vasomotrice, l’instance cantonale a estimé que le lien de causalité naturelle n’avait pas été établi à satisfaction de droit.

Consid. 4.2.2
En ce qui concerne la cicatrice sur l’aile droite du nez et les paresthésies et hypoesthésies, le tribunal cantonal a exposé de manière concluante que l’atteinte à l’intégrité avait été fixée à juste titre à 5% sur la base des évaluations médicales internes à l’assurance ayant pleine valeur probante. Cela n’est pas contesté de manière substantielle par l’assuré et, au vu de l’annexe 3 de l’OLAA et de la table 18 de la Suva (« Atteinte à l’intégrité en cas de lésions de la peau « ), ne donne pas lieu à d’autres développements.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_384/2023 consultable ici

 

Remarques/Commentaires

Sur la base des éléments ressortant de l’arrêt du Tribunal fédéral, l’examen de la causalité adéquate peut paraître rigoureux.

De l’arrêt cantonal, il ressort que les diagnostics initiaux concernaient une blessure complexe au visage droit avec ouverture du sinus maxillaire, section de la lèvre supérieure droite sur toutes ses couches, et ouverture de la paroi latérale du nez. Le dermatologue a noté que la cicatrisation était très réussie du point de vue dermatologique, avec encore diverses possibilités d’améliorer la cicatrice.

En comparant ces éléments à ceux de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_96/2017 du 24 janvier 2018 (notamment une plaie buccale d’environ 11 cm et une plaie sur la joue et la parotide dépassant les 25 cm), l’analyse dans l’arrêt du 4 avril 2024 semble appropriée.

Cependant, cet arrêt illustre la difficulté à faire reconnaître des troubles psychiques liés à un accident.

 

Proposition de citation : 8C_384/2023 (d) du 04.04.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/06/8c_384-2023)

 

 

9C_453/2023 (f) du 03.05.2024 – Délai de 30 jours pour faire part des observations concernant un préavis de l’office AI – 57a al. 3 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_453/2023 (f) du 03.05.2024

 

Consultable ici

 

Délai de 30 jours pour faire part des observations concernant un préavis de l’office AI / 57a al. 3 LAI

 

Assurée, née en 1972, bénéficiaire d’une rente entière de l’assurance-invalidité depuis le 01.06.2020, a requis l’octroi d’une allocation pour impotent le 20.01.2021. Elle a indiqué qu’elle avait besoin de soins médicaux dispensés quotidiennement par le Centre B.__ depuis décembre 2020 pour la nutrition par cathéter et d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie, dans la mesure où son époux assumait la totalité des tâches ménagères.

L’office AI a mis en œuvre une enquête destinée à évaluer l’impotence de l’assurée. Dans son rapport du 30.09.2021, l’enquêtrice a retenu que l’assurée avait besoin d’aide pour l’accomplissement de deux actes ordinaires de la vie (manger et faire sa toilette) et de soins permanents depuis décembre 2020.

Dans un projet de décision du 01.12.2021, l’office AI a informé l’assurée qu’il entendait lui octroyer une allocation pour impotent de degré faible depuis ce jour-là. Le 10.01.2022, à la demande de l’assurée, l’administration lui a accordé un délai au 11.02.2022 pour compléter ses objections, précisant qu’aucune nouvelle prolongation ne serait accordée. Le 09.02.2022, l’assurée a sollicité une ultime prolongation du délai, de deux mois, requête à laquelle l’office AI a opposé un refus le 24.02.2022. Le 01.03.2022, il a alloué à l’assurée une allocation pour impotent de degré faible à partir du 01.12.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 82/22 – 161/2023 – consultable ici)

Par jugement du 08.06.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
L’assurée se plaint ensuite d’une violation de son droit d’être entendue en lien avec l’art. 57a al. 3 LAI. Elle soutient qu’elle aurait dû bénéficier d’une prolongation du délai de 30 jours pour se déterminer sur le préavis de l’office AI comme elle l’avait requis. À son avis, il faudrait distinguer d’une part le délai légal pour déposer des objections (« délai pour objecter »), qu’elle a respecté et, d’autre part le délai destiné à compléter ses objections, qui découlerait d’un « usage » (ce qui ne lui a pas été accordé). Le refus de l’office AI de lui accorder la (deuxième) et « ultime prolongation sollicitée » occulterait l’existence, à ce stade de la procédure, d’une inégalité de traitement entre les assurés et les assureurs, ces derniers disposant de ressources importantes pour obtenir des avis médicaux, dont elle ne bénéficie pas. Son droit d’être entendue n’aurait dès lors pas été respecté en raison du refus de l’office AI de lui accorder une prolongation de délai pour compléter ses objections.

Consid. 5.2
Selon l’art. 57a al. 3 LAI (en vigueur depuis le 1er janvier 2021; RO 2020 5137), les parties peuvent faire part de leurs observations concernant le préavis dans un délai de 30 jours. Se référant aux travaux préparatoires (cf. Message du Conseil fédéral du 2 mars 2018 concernant la modification de la LPGA [FF 2018 1597, 1636]), l’instance cantonale a retenu que le législateur ne voulait pas prolonger le délai de préavis de 30 jours, lequel a dès lors été inscrit dans la loi.

L’argumentation de l’assurée ne met pas en évidence que les juges cantonaux auraient méconnu la portée de l’art. 57a al. 3 LAI, ni qu’ils auraient mal compris les raisons pour lesquelles le législateur a instauré cette règle légale, voire que celui-ci entendait faire une distinction entre un « délai pour objecter » et un « délai pour compléter ses objections ». Cela étant, il n’est pas nécessaire de se prononcer plus avant sur le changement législatif qui a modifié le système du délai d’ordre qui prévalait avant l’adoption de l’art. 57a al. 3 LAI (cf. art. 73ter al. 1 aRAI; ATF 143 V 71 consid. 4.3.5). En effet, l’assurée a été en mesure de produire, devant la juridiction cantonale, les pièces médicales dont elle ne disposait pas encore à l’échéance de la prolongation du délai que lui avait accordé l’office AI pour se déterminer sur le préavis du 01.12.2021. Elle a donc eu l’occasion de se prononcer et de produire des moyens de preuve devant une autorité de recours de première instance dotée d’un plein pouvoir d’examen (cf. art. 61 let. c LPGA). Dans ces circonstances, à supposer que le droit d’être entendue de l’assurée ait été violé, les juges cantonaux ont guéri cette atteinte (sur les conditions d’une telle guérison, ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 et les références). Le grief tiré de la violation du droit d’être entendue est dès lors également mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_453/2023 consultable ici