Initiative parlementaire 19.410 « Abolir le monopole partiel de la CNA » rejeté par le Conseil national

Initiative parlementaire 19.410 « Abolir le monopole partiel de la CNA » rejeté par le Conseil national

 

Initiative parlementaire 19.410 consultable ici

Bulletin officiel, session du 10.09.2020 disponible ici

 

L’initiative vise à abolir l’obligation, pour toutes les entreprises, de s’assurer auprès de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (CNA). Plus précisément, l’objectif de l’initiative parlementaire est de permettre à tous les employeurs de choisir leur institution d’assurance-accidents, ce qui permettrait de mettre fin au monopole partiel de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (CNA).

Lors du débat du 25.06.2020, la majorité de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-CN) a estimé que la réglementation actuelle a fait ses preuves et qu’il n’y a dès lors pas lieu de légiférer dans le domaine concerné. La majorité de la commission a considéré que la CNA, qui fait partie du système des assurances sociales, fournit du bon travail. Elle a rappelé que cette dernière investit beaucoup et avec succès dans la prévention des accidents du travail et que son monopole partiel lui permet d’assurer les mauvais risques et de proposer des primes plus basses. Selon la commission, en l’état, il manque une proposition définissant la manière dont les entreprises à hauts risques pourraient être assurées sans le monopole partiel de la CNA. Elle a ajouté que la LAA révisée n’est en vigueur que depuis le 01.01.2017 ; or, il s’agit d’une réforme qui a abouti en tant que proposition de révision consensuelle entre les partenaires sociaux, la CNA et l’Association suisse d’assurances, après un processus de plusieurs années et après l’échec d’un premier projet de révision.

La minorité de la commission a pensé que la levée du monopole partiel aurait permis d’accroître la concurrence et de baisser les primes. Elle a estimé que la CNA est solide, qu’elle peut rivaliser sur le marché et que plus de concurrence lui donnerait la possibilité de s’atteler à de nouveaux domaines. Par ailleurs, la minorité de la commission a critiqué le manque de transparence de la CNA en matière de gouvernance et de finances.

Lors de la session au Parlement du 10.09.2020, les rapporteurs de la commission (Katharina Prelicz-Huber et Benjamin Roduit) ont rappelé que la CNA faisait du bon boulot. Le rapporteur francophone a précisé que cela repose sur trois axes :

  • Premièrement, les prestations d’assurance : sa solide structure lui permet d’assurer les mauvais risques dans des branches qu’aucune assurance privée ne veut couvrir, si ce n’est avec des primes excessives.
  • Deuxièmement, la prévention des accidents du travail : la CNA s’investit avec beaucoup de visibilité, de compétence, d’efficacité. En dix ans, on assiste à une diminution des accidents mortels au travail de 90 à 60 par année.
  • Troisièmement, la rééducation : elle se situe à la pointe de ce qui se fait de mieux dans ce domaine au niveau international. Benjamin Roduit a invité ses collègues à venir en Valais, à Sion, visiter la clinique romande de réadaptation, dont le niveau est très haut. Les résultats sont là : 90 pour cent des assurés réintègrent le monde du travail et 20 pour cent pourront renoncer à la rente AI.

Katharina Prelicz-Huber a rappelé que le système obligatoire actuel a permis à la CNA d’avoir les primes les plus basses de tous les assureurs accidents, bien qu’elle assure également les « mauvais risques ». Cela signifie plus de pouvoir d’achat pour les employés et les employeurs, moins d’accidents, de meilleures prestations et des avantages plus étendus. La CNA peut également investir sur une période beaucoup plus longue et ainsi générer des réserves. La CNA ne peut pas fonctionner sur une base lucrative et ne verse pas de dividendes. Elle réalise ainsi des investissements qu’aucune compagnie d’assurance-accidents privée ne peut fournir. Elle permet une prévention efficace des accidents. Les normes de la CNA sont reconnues, efficaces et s’appliquent ensuite à tous. La sécurité des employés et du lieu de travail a été renforcée avec l’aide de la CNA, en particulier dans les cas spéciaux et complexes. C’est d’ailleurs l’une des raisons importantes qui ont motivé l’introduction de l’assurance obligatoire partielle. Elle mène également des recherches, des formations continues, gère des cliniques de réadaptation et joue un rôle de pionnier dans le domaine de la numérisation. Selon Katharina Prelicz-Huber, l’abolition du monopole entraînerait des coûts supplémentaires d’environ 1 milliard de francs. La commission veut conserver le système actuel ; en fait elle préférerait de loin voir une extension.

Lors des auditions menées par la commission le 25.06.2020, aucun partenaire n’a pu présenter une solution de rechange convaincante. Le rapporteur pose la question de savoir quelle assurance privée accepterait d’assurer de telles prestations, et cela à des prix défiants toute concurrence. Il ajoute que le nœud du problème se trouve là. La CNA, dont le monopole partiel est contrôlé par la Confédération, permet clairement de proposer des primes plus basses et stables.

Enfin, pour mémoire, la CNA concerne la moitié de la population active en Suisse, un peu plus d’une entreprise sur cinq. Elle gère aussi l’assurance militaire. Nous sommes conscients du fait qu’elle peut encore s’améliorer, en garantissant plus de transparence, en ayant moins de réserves et en assurant toujours une stabilité des primes. Cependant, il est bon de savoir que la gestion de la CNA est basée sur un vrai partenariat social, celle-ci étant dotée d’un conseil composé de seize représentants de travailleurs, seize représentants d’employeurs et huit représentants de la Confédération.

En conclusion, la majorité de la commission est d’avis que l’initiative s’appuie sur quelques mauvaises expériences liées à des cas particuliers et que, dans une démarche ultralibérale, elle remet en question l’une de nos assurances sociales, car c’en est une, des plus efficientes de notre pays.

L’initiative parlementaire a été rejetée par 104 voix contre 78 (et 3 abstentions).

 

 

Initiative parlementaire 19.410 « Abolir le monopole partiel de la CNA » consultable ici

Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du 25.06.2020 consultable ici

Bulletin officiel, session du 10.09.2020 disponible ici

 

 

4A_140/2020 (f) du 09.07.2020 – Piéton traversant la chaussée en dehors d’un passage pour piétons – Collision avec une voiture à 4m80 du passage pour piétons / Faute grave exclusive du piéton – Absence de responsabilité de l’automobiliste – 58 al. 1 LCR – 59 al. 1 LCR

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_140/2020 (f) du 09.07.2020

 

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Piéton traversant la chaussée en dehors d’un passage pour piétons – Collision avec une voiture à 4m80 du passage pour piétons

Faute grave exclusive du piéton – Absence de responsabilité de l’automobiliste / 58 al. 1 LCR – 59 al. 1 LCR

 

Le 03.03.2010 vers 18h55, X.__ cheminait à pied sur un trottoir. Elle a entrepris de traverser la chaussée en dehors mais à moins de cinquante mètres d’un passage pour piétons. Au même moment, sur sa droite, une automobile conduite par W.__ sortait d’un giratoire, s’engageait dans l’avenue et franchissait le passage pour piétons le plus proche. L’avant gauche de cette automobile a heurté X.__, laquelle a subi de graves blessures. Il faisait nuit et la chaussée était mouillée.

 

Procédure cantonale

L’action ouverte contre la compagnie d’assurances devant le Tribunal de première instance a été rejeté le 19.06.2019, au motif que l’automobiliste n’était pas responsable. La Chambre civile de la Cour de justice a statué le 05.02.2020 sur l’appel de X.__ ; elle a confirmé le jugement (arrêt C/4705/2017, ACJC/201/2020).

 

TF

A teneur de l’art. 58 al. 1 LCR, la personne blessée par suite de l’emploi d’un véhicule automobile peut demander réparation au détenteur de ce véhicule ; l’art. 65 al. 1 LCR l’autorise à élever ses prétentions directement contre l’assureur de la responsabilité civile du détenteur.

En vertu de l’art. 59 al. 1 et 2 LCR, le détenteur et son assureur sont libérés de leur responsabilité s’ils prouvent que l’accident a été causé par la force majeure ou par une faute grave du lésé ou d’un tiers, sans que le détenteur ou les personnes dont il est responsable n’aient commis de faute, et sans qu’une défectuosité du véhicule n’ait contribué à l’accident (al. 1) ; si néanmoins le détenteur et l’assureur ne parviennent pas à se libérer mais prouvent qu’une faute du lésé a contribué à l’accident, le juge fixe l’indemnité en tenant compte de toutes les circonstances (al. 2).

Il est constant qu’aucune défectuosité de l’automobile conduite par W.__ n’a contribué à l’accident survenu le 03.03.2010. En l’état de la cause, il est également constant que ce conducteur n’a commis aucune faute. Pour le surplus, les autorités cantonales retiennent que la piétonne a commis, elle, une faute grave en traversant la chaussée hors d’un passage pour piétons et sans prêter une attention suffisante au trafic. Par suite, ces autorités exonèrent l’automobiliste de toute responsabilité sur la base de l’art. 59 al. 1 LCR.

 

Selon les constatations de la Cour de justice, le conducteur n’a pas vu la piétonne traverser la chaussée et son véhicule l’a heurtée à 4m80 du passage pour piétons. La vitesse du véhicule était comprise entre 10 et 20 km/h. La Cour a rejeté les allégations de la piétonne selon lesquelles le choc s’est produit sur le passage pour piétons, après qu’elle avait vu le véhicule approcher, croisé le regard du conducteur et cru que celui-ci la laisserait traverser.

La piétonne conteste qu’une faute grave lui soit imputable. Avec raison, elle souligne que la preuve de sa faute grave incombait à l’automobiliste, conformément au libellé de l’art. 59 al. 1 LCR (cf. ATF 124 III 182 consid. 4a p. 184). De cette règle, il ne résulte toutefois pas que ses propres allégations concernant notamment l’emplacement où la collision s’est produite, d’une part, et le contact visuel prétendument établi entre elle et le conducteur, d’autre part, dussent être présumées conformes à la vérité ; il lui appartenait au contraire d’en apporter la preuve.

Selon les constatations de la Cour de justice, la piétonne a entrepris de traverser la chaussée hors du passage pour piétons, soit selon une trajectoire où elle ne jouissait pas de la priorité, devant une automobile qui approchait. Aucun élément de la situation ne l’autorisait objectivement à présumer que le conducteur l’avait vue et s’arrêterait pour la laisser passer. « L’attention accrue » qui est exigée des conducteurs dans le voisinage des passages pour piétons, selon l’argumentation présentée, n’était à cet égard pas suffisante. La piétonne ne prétend pas avoir momentanément manqué de la capacité de discernement nécessaire (cf. ATF 105 II 209 consid. 3 p. 212). Elle a adopté un comportement très hautement dangereux, à l’opposé de celui attendu d’une personne raisonnablement préoccupée de sa propre sécurité. Conformément à l’appréciation des juges d’appel, ce comportement est une faute grave aux termes de l’art. 59 al. 1 LCR. Ainsi, toutes les conditions cumulatives prévues par cette disposition sont accomplies, d’où il résulte que l’automobiliste n’assume aucune responsabilité.

 

Le TF rejette le recours de la piétonne.

 

 

Arrêt 4A_140/2020 consultable ici

 

 

4A_563/2019 (f) du 14.07.2020, destiné à la publication – Assurance collective perte de gain maladie – Indemnité journalière LCA / Distinction entre assurance de sommes et assurance de dommages / Personne assurée sans emploi n’ayant pas droit à des indemnités de l’assurance-chômage – Preuve (au degré de la vraisemblance prépondérante) qu’elle exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_563/2019 (f) du 14.07.2020, destiné à la publication

 

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Assurance collective perte de gain maladie – Indemnité journalière LCA

Distinction entre assurance de sommes et assurance de dommages

Personne assurée sans emploi n’ayant pas droit à des indemnités de l’assurance-chômage – Preuve (au degré de la vraisemblance prépondérante) qu’elle exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade

 

L’entreprise C.__ AG a engagé A.__ en qualité de chef de projet, par contrat de travail prenant effet le 01.02.2016 avec un temps d’essai de trois mois. A ce titre, le prénommé bénéficiait de l’assurance collective perte de gain maladie conclue par l’employeuse auprès de la compagnie B.__ SA (ci-après : la société d’assurance).

Le 10.03.2016, l’assuré a été licencié pour le 20.03.2016, « conformément au délai légal de 7 jours durant la période d’essai ».

Le même jour, il a consulté son psychiatre traitant, qui a diagnostiqué un épisode dépressif sévère. Le médecin a délivré un certificat d’incapacité de travail à 100% renouvelé chaque mois depuis lors. A la demande de la société d’assurance, l’intéressé a été examiné le 13.04.2016 par un spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, lequel a jugé que la capacité de travail serait recouvrée à 50% le 15.06.2016, puis à 100% le 15.07.2016.

A l’expiration d’un délai d’attente de 60 jours, la société d’assurance a versé à l’assuré de pleines indemnités journalières du 09.05.2016 au 14.06.2016, puis des demi-indemnités du 15.06.2016 au 14.07.2016, pour un montant total de 12’946 fr. 95.

Atteint d’une maladie polykystique rénale, l’assuré souffre d’une insuffisance rénale qui s’est aggravée au point d’annihiler sa capacité de travail depuis le 30.05.2016. Ultérieurement, il est apparu que l’assuré avait besoin d’une dialyse, voire d’une transplantation.

Le 16.05.2017, l’office AI a mis l’assuré au bénéfice d’une rente entière d’invalidité, à compter du 01.03.2017.

L’assuré a vainement demandé à la société d’assurance qu’elle poursuive le versement des indemnités journalières. Le 07.02.2018, la société d’assurance a confirmé son refus de prester en arguant du fait que l’assuré n’éprouvait aucun dommage. Même sans l’affection qui s’était déclarée le jour du licenciement, il n’aurait pas pu toucher des indemnités de chômage – le délai-cadre d’indemnisation ayant été épuisé -, et il n’y avait pas lieu de penser qu’il aurait retrouvé, rapidement ou non, un nouvel emploi. C’était donc à tort que des indemnités journalières lui avaient été servies du 09.05.2016 au 14.07.2016. Eu égard au délai écoulé et afin de ne pas placer l’assuré dans la gêne, la société d’assurance renonçait à demander la restitution du montant corrélatif ; en revanche, elle excluait de verser de plus amples prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/890/2019 – consultable ici)

La Cour de justice a jugé en substance que pour avoir droit à des indemnités journalières, l’assuré devait subir une perte effective sur le plan économique du fait de l’état dépressif affectant sa capacité de travail. L’assurance en cause était une assurance collective qui, de par sa nature, était généralement conclue sous la forme d’une assurance de dommages. Cet axiome était en l’occurrence confirmé par les conditions générales (CGA) : le montant de l’indemnité dépendait de l’importance de l’incapacité de travail ; elle était calculée sur la base du salaire effectif et pouvait être diminuée en cas de surindemnisation.

L’assuré était tombé malade consécutivement à la résiliation de son contrat de travail. Il avait épuisé son droit aux prestations de l’assurance-chômage antérieurement à son engagement du 01.02.2016 et n’avait pas cotisé suffisamment pour entraîner l’ouverture d’un nouveau délai-cadre d’indemnisation. Il devait ainsi établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu’il aurait exercé une activité lucrative s’il n’avait pas souffert de troubles psychiques. Or, il avait échoué à rapporter une telle preuve. En effet, il n’avait pas établi avoir été l’objet d’une offre d’emploi sérieuse, les deux attestations produites étant inopérantes. Au demeurant, l’atteinte rénale dont il souffrait ne permettait pas de considérer qu’il aurait été apte à reprendre une quelconque activité, même en l’absence de troubles psychiques.

Par arrêt du 01.10.2019, rejet de la demande par la Cour de justice.

 

TF

La distinction entre assurance de sommes et assurance de dommages a occupé de longue date la doctrine et la jurisprudence. L’assurance de sommes garantit une prestation prédéfinie lors de la conclusion du contrat, qui doit être versée si l’événement assuré survient, sans égard à ses conséquences pécuniaires et à l’existence d’un possible dommage. En revanche, dans une assurance contre les dommages, les cocontractants font de la perte patrimoniale effective une condition autonome du droit aux prestations; une telle assurance vise à compenser totalement ou partiellement un dommage effectif. Toute assurance vise à parer à d’éventuels revers de fortune. Le critère de distinction ne réside donc pas dans le but, mais bien dans les conditions de la prestation d’assurance (cf. entre autres ATF 119 II 361 consid. 4 p. 364 s.; 104 II 44 consid. 4c; arrêt 4A_367/2016 du 20 mars 2017 consid. 3.2; 4A_53/2007 du 26 septembre 2007 consid. 4.4.2; GERHARD STOESSEL, Schadens- und Summenversicherung: Diskussion seit hundert Jahren, in Mélanges du Bureau National Suisse d’Assurance […], 2000, p. 504; VINCENT BRULHART, Droit des assurances privées [cité ci-après: Assurances privées], 2e éd. 2017, p. 521 s.).

L’assurance de sommes permet à l’assuré de cumuler les prétentions en versement des indemnités journalières prévues par le contrat d’assurance avec d’autres prétentions découlant du même événement dommageable. La surindemnisation est possible; conformément à l’art. 96 LCA, les droits que l’ayant droit aurait contre des tiers en raison du sinistre ne passent pas à l’assureur (ATF 133 III 527 consid. 3.2.5). L’assurance de dommages, en revanche, est gouvernée par le principe indemnitaire; pour éviter le cumul, l’art. 72 LCA a institué un droit de recours de l’assureur à l’encontre du tiers responsable (arrêt précité 4A_53/2007 consid. 4.4.2; BRULHART, Assurances privées, op. cit., p. 521).

Savoir si l’on est en présence d’une assurance de sommes ou de dommages dépend en définitive du contrat d’assurance et des conditions générales. L’expression « incapacité de gain » n’est pas déterminante dans la mesure où elle est parfois utilisée comme un synonyme de l’incapacité de travail (cf. arrêt 4A_332/2010 du 22 février 2011 consid. 5.2.4). Les règles usuelles d’interprétation des contrats sont applicables (arrêt précité 4A_53/2007 consid. 4.4.2). Lorsque l’interprétation ainsi dégagée laisse subsister un doute sur leur sens, les conditions générales doivent être interprétées en défaveur de leur auteur, conformément à la règle dite des clauses ambiguës (Unklarheitsregel,  in dubio contra stipulatorem; ATF 124 III 155 consid. 1b p. 158; 122 III 118 consid. 2a; arrêt 4A_177/2015 du 16 juin 2015 consid. 3.2).

D’aucuns font observer que les conditions générales d’assurance ne formulent pas toujours explicitement l’exigence d’un dommage, laquelle peut aussi découler de l’interprétation qui doit s’étendre le cas échéant aux autres documents contractuels. S’il en résulte que la prestation d’assurance est conditionnée à une perte patrimoniale déclenchée par l’événement assuré, il s’agit d’une assurance de dommages, quand bien même l’étendue de la prestation est jusqu’à un certain point forfaitisée – ce qui arrive fréquemment pour des raisons pratiques (STOESSEL, op. cit., p. 510 § 1 et p. 511 § 2; sur la forfaitisation, cf. aussi HÄBERLI/HUSMANN, Krankentaggeld, versicherungs- und arbeitsrechtliche Aspekte, 2015, p. 9 s. n. 36).

Divers auteurs constatent en outre que les assurances collectives conclues par une entreprise pour le personnel sont typiquement des assurances de dommages (MATTER/FREY, ius.focus 2016 p. 16; IVANO RANZANICI, Les effets de l’incapacité de travailler pour cause d’une maladie successive à la résolution du contrat de travail, in Regards croisés sur le droit du travail:  Liber Amicorum pour Gabriel Aubert, 2015, p. 276; STEPHAN FUHRER, Kollektive Krankentaggeldversicherung – aktuelle Fragen, in Annales SDRCA 2014 [cité ci-après: Annales 2014], p. 86). L’employeur a en effet l’obligation de verser, pour un temps limité, le salaire du travailleur empêché de travailler pour cause de maladie (art. 324a CO). Pour autant qu’elle offre des prestations équivalentes, une assurance collective couvrant tout le personnel de l’entreprise peut libérer cette dernière d’une telle obligation, le risque lié à l’incapacité de travail étant alors assumé par l’assureur (cf. art. 324a al. 4 CO; cf. entre autres RANZANICI, op. cit., p. 272-274; VINCENT BRULHART, L’assurance collective contre la perte de gain en cas de maladie [cité ci-après: Assurance collective], in Le droit social dans la pratique de l’entreprise, 2006, p. 99 s.; cf. ATF 141 III 112 consid. 4.1-4.3). Le fait que l’assurance couvre des personnes non nommément désignées comme le fait qu’elle se réfère au dernier salaire AVS touché dans l’entreprise plaident en faveur d’une assurance de dommages (HANS-RUDOLF MÜLLER, Grundlagen der Krankentaggeldversicherung nach VVG, in Krankentaggeldversicherung: Arbeits- und versicherungsrechtliche Aspekte, 2007, p. 29-31; HÄBERLI/HUSMANN, op. cit., p. 11 n. 42; MATTER/FREY, ius.focus 2016 p. 16).

L’assurance collective peut voir co-exister une assurance de dommages pour le personnel salarié et une assurance de sommes pour le chef d’entreprise/employeur (MÜLLER, op. cit., p. 30; HÄBERLI/HUSMANN, op. cit., p. 10 n. 40; RUDOLF LUGINBÜHL, Krankentaggeldversicherungen, Allgemeiner Überblick und aktuelle Probleme, in Arbeitsunfähigkeit und Taggeld, 2010, p. 20); l’assurance de sommes est en effet fréquente s’agissant des indépendants (HÄBERLI/HUSMANN, op. cit., p. 9 n. 33; cf. BRULHART, Assurance collective, op. cit., p. 110 s.).

Les tribunaux ont (trop) souvent été occupés par des litiges sur la nature de l’assurance contractée, qui eussent pu aisément être évités si les assureurs avaient indiqué clairement dans leurs conditions générales quel type d’assurance était offert (cf. FUHRER, Annales 2014, op. cit., p. 86 s.).

Le législateur a toutefois fait en sorte de remédier à cette situation. Dans un premier temps, il avait été envisagé d’instituer un jeu de présomptions inférant que les assurances de personnes sont des assurances de sommes et les autres assurances, des assurances de dommages (cf. art. 28 de l’Avant-projet de la Commission d’experts du 31 juillet 2006; FUHRER, Annales 2014, op. cit., p. 86 s. et la sous-note 66). Une autre solution a finalement été trouvée. Le Parlement vient d’adopter le 19 juin 2020 une modification de la LCA comprenant un nouvel art. 3 al. 1 let. b, en vertu duquel l’assureur doit « renseigner le preneur d’assurance, de manière compréhensible et par un moyen permettant d’en établir la preuve par un texte », en particulier « sur l’étendue de la couverture d’assurance et sa nature, c’est-à-dire la question de savoir s’il s’agit d’une assurance de sommes ou d’une assurance dommages » (cf. FF 2020 5496, avec délai référendaire au 8 octobre 2020; cf. aussi le Message du 28 juin 2017 concernant la révision de la LCA, FF 2017 4787 s. et 4818).

 

Importent au premier chef les conditions entourant l’obligation de prester. En l’occurrence, il appert que l’assureur doit payer des indemnités journalières « lorsque […] l’assuré est dans l’incapacité de travailler », ces indemnités étant « calculées sur la base du dernier salaire AVS perçu dans l’entreprise assurée » avant la maladie (art. B 8 al. 1 et B 6 al. 1 CGA). Pris à la lettre, l’art. B 8 al. 1 CGA implique que l’incapacité de travail suffit à entraîner le versement de l’indemnité, ce qui pourrait en soi plaider en faveur d’une assurance de sommes. On ne discerne en effet nul réquisit quant à un éventuel dommage ou autre perte de gain. Il n’est pas précisé que l’indemnité journalière est versée en cas d’incapacité de travail « jusqu’à concurrence de la perte de gain établie » (cf. par exemple art. 14 al. 1 CGA de l’assurance collective proposée par X.__, éd. 2012 et 2015, accessibles sur Internet […]); il n’est pas non plus énoncé que l’assureur renonce à exiger la preuve d’une perte de gain concrète, tout en se réservant le droit d’exiger une telle preuve dans des cas individuels (cf. art. 5.4 let. d CGA de l’assurance perte de gain maladie offerte par Y.__, éd. juillet 2019, également sur Internet […]). Cela étant, il faut se garder de conclusions trop hâtives fondées sur la seule lettre de l’art. B 8 al. 1 CGA et privilégier une approche globale. L’on gardera ainsi à l’esprit que l’assuré bénéficie de cette assurance collective en tant que salarié de l’entreprise qui est la preneuse d’assurance. Il n’apparaît pas que le personnel assuré, et l’assuré en particulier, ait été nommément désigné. Est déterminant le salaire effectif de l’ayant droit, soit le dernier salaire AVS perçu dans l’entreprise assurée avant le début de la maladie ; comme le souligne la doctrine, ces éléments plaident pour une assurance de dommages. Qui plus est, l’arrêt attaqué précise, en évoquant l’art. B 10 CGA, que l’indemnité peut être réduite en cas de surindemnisation, les prestations de tiers étant prises en compte sauf si le contraire a été expressément convenu (assurance de sommes). Cet élément, typique d’une assurance de dommages fondée sur le principe de l’indemnisation, n’est certes pas un critère absolu. Doctrine et jurisprudence ont relevé qu’il peut se retrouver exceptionnellement dans une assurance de sommes si les conditions générales le prévoient (ATF 133 III 527 consid. 3.2.5  in fineet la réf. à ROLAND BREHM, L’assurance privée contre les accidents, 2001, p. 191-192 n. 376). Le présent régime contractuel fait toutefois prévaloir la règle générale : les prestations de tiers sont imputées, sauf si le contraire est exprimé, auquel cas il s’agit d’une assurance de sommes. Autrement dit, les assurances dans lesquelles les prestations de tiers sont imputées constituent des assurances de dommages.

Sur la base des éléments limités dont on dispose – à savoir certains articles des conditions générales cités ou mentionnés (art. B 10) dans l’arrêt attaqué, à l’exclusion de la police d’assurance topique -, il faut bien admettre que l’autorité précédente n’a pas enfreint le droit fédéral en considérant que l’assurance en question était une assurance de dommages. Le recourant se réfère à d’autres clauses CGA qui ne figurent pas dans l’arrêt attaqué, sans satisfaire aux exigences nécessaires pour obtenir un complètement de l’état de fait (cf. ATF 140 III 86 consid. 2 p. 90).

On notera encore que la présente cause se démarque de l’affaire 4A_521/2015. L’associé unique d’une société à responsabilité limitée, employé par celle-ci comme gérant, avait contracté une assurance collective couvrant l’ensemble des employés de l’entreprise (lui compris), sur la base du dernier salaire AVS perçu dans l’entreprise avant le début de la maladie. Les conditions générales d’assurance ne subordonnaient pas expressément le versement des indemnités journalières à l’existence d’un dommage – à l’instar du cas présent. En revanche, il n’était pas établi que les conditions générales prévoyaient l’imputation des prestations de tiers ; a fortiori n’était-il pas précisé, comme ici, que cet élément distinguait une assurance de sommes d’une assurance de dommages. Considérant que des clauses ambiguës devaient de toute façon s’interpréter en faveur des assurés, le Tribunal fédéral a conclu qu’il s’agissait d’une assurance de sommes, avant de rejeter le grief relatif à l’obligation de réduire le dommage, laquelle prévaut pour les deux types d’assurances. Selon les décisions cantonales, il s’agissait là de l’unique point litigieux, les deux instances ayant même précisé que la qualification de l’assurance (sommes ou dommages) pouvait rester indécise (arrêt 4A_521/2015 du 7 janvier 2016, critiqué par MATTER/FREY, ius.focus 2016 p. 16, approuvé en revanche par STEPHAN FUHRER, REAS 2016 215).

 

L’assuré étant couvert par une assurance de dommages, il devait bel et bien établir qu’il subissait une perte de gain du fait de l’incapacité de travail imputable à son état dépressif. Le degré de preuve requis est la vraisemblance prépondérante (ATF 141 III 241 consid. 3.1 p. 242).

La jurisprudence a apporté des précisions et facilités à cet égard. Ainsi, lorsque la personne assurée est sans emploi et n’a pas droit à des indemnités de l’assurance-chômage, elle doit établir avec une vraisemblance prépondérante qu’elle exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade. Cette exigence vaut pour la personne qui était déjà sans emploi (arbeitslos) au moment de la survenance de la maladie. En revanche, dans le cas contraire, i.e. si elle avait encore un emploi à ce moment-là, elle bénéficie d’une présomption de fait en ce sens que sans la maladie qui l’affecte, elle exercerait encore une activité lucrative (ATF 141 III 241 consid. 3.2.3; arrêt 4A_360/2015 du 12 novembre 2015 consid. 6.2).

L’assuré soutient qu’il aurait dû être mis au bénéfice de cette présomption. Il plaide qu’il n’était pas « sans emploi » lorsque la maladie s’est déclarée le 10.03.2016, les rapports de travail ayant pris fin dix jours plus tard. En réalité, une lecture plus attentive de la jurisprudence révèle que le moment de la résiliation du contrat de travail est déterminant pour la présomption de fait : celle-ci s’applique si l’assuré est devenu incapable de travailler pour cause de maladie avant qu’il ne perde son emploi par résiliation (cf. ATF 141 III 241 consid. 3.2.1 en lien avec le consid. 3.2.3; arrêt précité 4A_360/2015 consid. 6.2 et la réf. à l’arrêt 9C_332/2007 du 29 mai 2008 consid. 2.2 et 4). Or, la Cour de justice a constaté souverainement que l’assuré était « tombé malade consécutivement à la résiliation de son contrat de travail », ce qui exclut l’application de la présomption. Au demeurant, elle a aussi retenu que l’insuffisance rénale dont souffre l’assuré ne permettait pas d’inférer qu’il eût été apte à reprendre une quelconque activité même en l’absence de troubles psychiques ; cette affection somatique provoquait une incapacité de travail totale depuis le 30.05.2016. Ainsi, quand bien même la présomption revendiquée se serait appliquée, la cour cantonale aurait pu constater sans arbitraire, sur la base du seul constat relatif à l’insuffisance rénale, que la preuve d’une perte de gain couverte par l’assureur n’était pas établie. L’examen du solde du grief se révèle superflu.

Dans ces circonstances, la Cour de justice n’a pas enfreint le droit fédéral en considérant que l’assuré ne pouvait pas prétendre au versement d’indemnités journalières supplémentaires.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_563/2019 consultable ici

 

 

6B_346/2020 (f) du 21.07.2020 – Escroquerie en matière d’aide sociale – 146 CP / Motifs de l’exemption de peine – Réparation – 53 CP / Le prononcé d’une sanction dans le cadre d’une escroquerie à une assurance sociale se justifie dans une optique de prévention générale

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_346/2020 (f) du 21.07.2020

 

Consultable ici

 

Escroquerie en matière d’aide sociale / 146 CP

Motifs de l’exemption de peine – Réparation / 53 CP

Le prononcé d’une sanction dans le cadre d’une escroquerie à une assurance sociale se justifie dans une optique de prévention générale

 

A.__ a travaillé en qualité d’agent de sécurité au sein de l’entreprise B.__ entre 2010 et 2014. Au bénéfice des prestations du revenu d’insertion, il n’a pas annoncé au Centre social régional (ci-après : CSR) l’existence d’un compte épargne ouvert à son nom auprès de la Banque D.__. En mai 2012, il a annoncé avoir perçu un salaire de l’entreprise B.__, pour le mois d’avril 2012, de 448 fr. 95 et a produit une fiche de salaire pour ce montant correspondant à ce qu’il avait gagné en avril 2011. Il a en réalité perçu sur son compte de chèque postal – déclaré auprès du CSR – le montant de 1’310 fr. 95. En décembre 2012, il a annoncé n’avoir perçu aucun salaire alors qu’il a reçu une rémunération de 2’584 fr. 10 de la part de l’entreprise B.__ sur son compte de chèque postal, percevant ainsi un montant indu de 2’133 francs. En janvier 2013, il a annoncé avoir perçu un salaire de l’entreprise B.__, pour décembre 2012, de 1’236 fr. 05 et a produit un justificatif pour ce montant correspondant à ce qu’il avait gagné en décembre 2011. Il a, en réalité, perçu sur le compte ouvert auprès de la Banque D.__ – non déclaré auprès du CSR – le montant de 3’334 fr. 15.

Le service social a porté plainte le 03.07.2018.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 09.10.2019, le Tribunal de police a reconnu A.__ coupable d’escroquerie et l’a condamné, outre aux frais de la procédure, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à 30 fr. le jour, assortie du sursis pendant deux ans.

 

La Cour d’appel pénale a écarté l’escroquerie concernant les salaires déclarés aux mois de mai 2012 et janvier 2013. Il en va différemment du mois de décembre 2012. A.__ n’avait rien déclaré du tout dans le questionnaire qu’il avait adressé au CSR pour cette période, alors qu’il avait perçu un salaire de 2’584 fr. 10, touchant ainsi indûment un montant de 2’133 fr. au titre de revenu d’insertion. A.__ ne pouvait pas invoquer que l’autorité aurait su qu’il travaillait au sein de l’entreprise B.__ et qu’il percevait un salaire, dès lors que son activité auprès de cette société était irrégulière. Sa désorganisation administrative ne changeait rien au fait qu’il ne pouvait qu’être conscient, en décembre 2012, d’avoir reçu à la fois un revenu d’insertion et un revenu versé par son employeur. A.__ a dès lors agi dans le dessein de s’enrichir illicitement, à tout le moins par dol éventuel. Statuant le 28.01.2020 (arrêt PE18.013090/AFE), la Cour d’appel pénale a confirmé le verdict de culpabilité du chef d’escroquerie pour ce dernier cas, les éléments objectifs et subjectifs de cette infraction étant réunis. Elle l’a condamné à une peine pécuniaire de 15 jours-amende à 30 fr. le jour, assortie du sursis pendant deux ans.

 

TF

Aux termes de l’art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d’escroquerie celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l’aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.

L’escroquerie consiste à tromper la dupe. Pour qu’il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit cependant pas ; il faut qu’elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l’art. 146 CP, lorsque l’auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu’il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n’est pas possible, ne l’est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l’auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu’elle renoncera à le faire en raison d’un rapport de confiance particulier (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 p. 154 s.; 135 IV 76 consid. 5.2 p. 79 s.). L’astuce n’est pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d’attention ou éviter l’erreur avec le minimum de prudence que l’on pouvait attendre d’elle. Il n’est cependant pas nécessaire qu’elle ait fait preuve de la plus grande diligence ou qu’elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d’être trompée. L’astuce n’est exclue que si elle n’a pas procédé aux vérifications élémentaires que l’on pouvait attendre d’elle au vu des circonstances. Une co-responsabilité de la dupe n’exclut toutefois l’astuce que dans des cas exceptionnels (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 p. 155; 135 IV 76 consid. 5.2 p. 81).

La définition générale de l’astuce est également applicable à l’escroquerie en matière d’assurances et d’aide sociale. L’autorité agit de manière légère lorsqu’elle n’examine pas les pièces produites ou néglige de demander à celui qui requiert des prestations les documents nécessaires afin d’établir ses revenus et sa fortune, comme par exemple sa déclaration fiscale, une décision de taxation ou des extraits de ses comptes bancaires. En revanche, compte tenu du nombre de demandes d’aide sociale, une négligence ne peut être reprochée à l’autorité lorsque les pièces ne contiennent pas d’indice quant à des revenus ou à des éléments de fortune non déclarés ou qu’il est prévisible qu’elles n’en contiennent pas. En l’absence d’indice lui permettant de suspecter une modification du droit du bénéficiaire à bénéficier des prestations servies, l’autorité d’assistance n’a pas à procéder à des vérifications particulières (arrêts 6B_152/2020 du 1er avril 2020 consid. 3.2; 6B_1369/2019 du 22 janvier 2020 consid. 1.1.2; 6B_1255/2018 du 22 janvier 2019 consid. 1.1; 6B_117/2015 du 11 février 2016 consid. 23.2).

 

Il ressort des constatations cantonales que A.__ a été employé par B.__ de 2010 à 2014. Il appert que A.__ a touché un salaire presque chaque mois durant la période courant de juillet 2010 à février 2013, à savoir hormis en décembre 2011 et décembre 2012. Aucun décompte n’est établi pour les mois d’août 2010 et octobre 2011. Le montant du salaire varie considérablement, étant au plus bas de 86 fr. 90 (mars 2011) et au plus haut de 1’549 fr. (novembre 2011). Enfin, les extraits ne renseignent que sur le montant du salaire, pas la personne de l’employeur. Au regard de ces éléments, il n’apparaît pas que la cour cantonale ait, de manière insoutenable, qualifié l’activité professionnelle du recourant d’irrégulière. A tout le moins, celle-ci n’a pas sombré dans l’arbitraire en retenant que A.__ ne pouvait pas invoquer le fait que l’autorité aurait su que celui-ci exerçait une activité lucrative auprès de B.__ depuis plus de deux ans sans interruption.

En décembre 2012, A.__ ne s’est pas seulement abstenu de signaler au CSR le salaire de 2’584 fr. 10. qui a été versé, pour le mois de novembre 2012, sur son compte de chèque postal, ce qui ne serait pas suffisant pour retenir une tromperie (ATF 140 IV 11 consid. 2.4 p. 14 ss). A.__ a bel et bien eu un comportement actif puisqu’il a renvoyé à cette autorité un formulaire mensuel, sur lequel il n’a annoncé aucun revenu dans la rubrique idoine pour cette période. La signature de A.__ figure au bas dudit document. Ce comportement actif est constitutif d’escroquerie. L’autorité n’avait pas de motif de douter de la véracité des indications qui lui étaient fournies par A.__. Elle n’avait en particulier pas à s’étonner spécialement du fait que celui-ci n’eut déclaré aucun salaire en décembre 2012, dans la mesure où ses revenus étaient irréguliers, ceux-ci ayant même parfois été proches de zéro (mars 2011). Compte tenu du nombre de demandes d’aide sociale, et en l’absence d’indice lui permettant de suspecter une modification du droit de A.__ à bénéficier des prestations servies, elle n’avait dès lors pas à procéder à des vérifications particulières. Cela indépendamment du fait qu’elle avait connaissance du compte courant de A.__.

Au vu de ce qui précède, c’est sans arbitraire, ni violation du droit fédéral que la cour cantonale a condamné A.__ pour escroquerie à l’assurance sociale en raison des agissements constatés.

 

Motifs de l’exemption de peine – Réparation – 53 CP

A teneur de l’art. 53 CP, dans sa teneur jusqu’au 30.06.2019, qui est plus favorable au recourant (art. 2 al. 2 CP; cf. rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 03.05.2018 sur l’initiative parlementaire « Modifier l’art. 53 CP », FF 2018 3881), lorsque l’auteur a réparé le dommage ou accompli tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour compenser le tort qu’il a causé, l’autorité compétente renonce à le poursuivre, à le renvoyer devant le juge ou à lui infliger une peine, si les conditions du sursis à l’exécution de la peine sont remplies (art. 42) (let. a) et si l’intérêt public et l’intérêt du lésé à poursuivre l’auteur pénalement sont peu importants (let. b).

Cette disposition vise avant tout l’intérêt du lésé qui préfère en général être dédommagé que de voir l’auteur puni. Cette possibilité fait appel au sens des responsabilités de l’auteur en le rendant conscient du tort qu’il a causé ; elle doit contribuer à améliorer les relations entre l’auteur et le lésé et à rétablir ainsi la paix publique. La réparation du dommage justifie une exemption de peine et l’intérêt à punir est réduit à néant parce que l’auteur effectue de façon active une prestation sociale à des fins de réconciliation et de rétablissement de la paix publique. L’intérêt public à la poursuite pénale doit être minime, voire inexistant. Il est ainsi tenu compte des cas dans lesquels aucun particulier n’est lésé. Par ailleurs, il convient d’éviter de privilégier les auteurs fortunés susceptibles de monnayer leur sanction (ATF 135 IV 12 consid. 3.4.1 p. 21).

A.__ soutient qu’il aurait intégralement remboursé le montant litigieux au CSR par le biais des prélèvements effectués par celui-ci sur les indemnités allouées. Cet élément aurait été arbitrairement omis par la cour cantonale alors qu’il aurait été relevé dans le jugement de première instance.

Certes, les conditions du sursis sont réalisées et le dommage a été réparé, selon les constatations du tribunal de première instance. Toutefois, le prononcé d’une sanction dans le cadre d’une escroquerie à une assurance sociale se justifie dans une optique de prévention générale. Il n’apparaît pas non plus que A.__ aurait reconnu le caractère illicite de son comportement. L’intérêt public à poursuivre l’auteur d’un détournement de prestations sociales n’est pas négligeable et exclut en l’espèce l’application de l’art. 53 CP.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 6B_346/2020 consultable ici

 

 

8C_416/2019 (f) du 15.07.2020 – Causalité naturelle – Syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Algodystrophie / Rappel des critères de Budapest / Temps de latence entre l’événement accidentel et l’apparition du SDRC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_416/2019 (f) du 15.07.2020

 

Consultable ici

NB : cet arrêt, non destiné à la publication, est détaillé, avec de nombreuses références tant médicales que jurisprudentielles. Il s’agit – à notre connaissance – de l’arrêt le plus précis au sujet de la causalité lors d’un SDRC. L’arrêt rappel, à juste titre, qu’un SDRC doit être posé selon les critères de Budapest.

 

Causalité naturelle – Syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Algodystrophie / 6 LAA

Rappel des critères de Budapest

Temps de latence entre l’événement accidentel et l’apparition du SDRC

 

Assurée, née en 1982, infirmière à temps partiel, victime d’un accident le 19.03.2015 : alors que l’assurée se trouvait au guichet d’un office postal, la vitre automatique s’est soudainement abaissée, la blessant à la main droite. Incapacité de travail à 100% du 19.03.2015 au 17.05.2015 puis 70% (capacité de 50% de son 60%) dès le 18.05.2015 et 0% dès le 30.07.2015.

IRM du poignet droit le 24.04.2015 qui était dans les limites de la norme. Rapport du 04.05.2015 émanant d’un service de chirurgie plastique et de la main, l’assurée présentait une entorse MCP D2 D avec réaction sudeckoïde. Au status, il n’y avait pas de tuméfaction, pas d’hypersudation, pas de changement de couleur. La mobilité du poignet et des doigts était bonne. L’assurée souffrait de douleurs à la palpation de tous les espaces intermétacarpiens au premier tiers moyen de la main droite. Elle s’était en outre plainte d’un manque de force au niveau de D2. Consilium neurologique effectué en juin 2015 était rigoureusement physiologique au niveau du membre supérieur droit. Il n’y avait par ailleurs aucun élément évocateur d’une souffrance d’origine radiculaire ou plexulaire. Scintigraphie osseuse trois phases réalisée le 30.09.2015 dans la norme, sans foyer d’hyperactivité pouvant expliquer la symptomatologie de la patiente.

Dans sa décision du 25.02.2016, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin à l’octroi de ses prestations avec effet au 30.09.2015, en se fondant essentiellement sur le point de vue de son médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. Ce dernier a considéré qu’aucune pathologie organique telle qu’une séquelle de fracture ou de luxation, ou une lésion tendineuse d’envergure, susceptible d’expliquer les douleurs durables, n’avait été objectivée à l’aide des examens effectués (IRM, scintigraphie osseuse, examen neurologique). Il a nié tout lien de causalité entre l’accident et la maladie de Sudeck entre-temps diagnostiquée, au motif que celle-ci était apparue dix-huit-mois après l’accident, précisant qu’une algodystrophie pouvait survenir de manière spontanée. Il a en outre expliqué qu’un délai de six mois dès l’accident était largement suffisant pour déceler un Sudeck précoce à l’aide d’une scintigraphie. Or la scintigraphie réalisée en septembre 2015 n’avait révélé aucun signe de cette maladie. Enfin, il a relevé que l’examen neurologique réalisé en juin 2015 avait permis d’exclure des troubles au niveau des sensations et de la sensibilité au niveau des mains et des poignets.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 69/16 – 62/2019 – consultable ici)

Expertise médicale mise en œuvre. Au plan diagnostique, les experts ont considéré que les douleurs persistantes intenses malgré un traitement antalgique, apparues à la suite d’un traumatisme par écrasement et après exclusion d’autres diagnostics à l’imagerie, laissaient suspecter un syndrome douloureux régional complexe (SDRC), aussi appelé syndrome ou maladie de Sudeck, algoneurodystrophie ou algodystrophie. Si les signes cliniques du SDRC étaient certes apparus tardivement, des symptômes sensitif et moteur survenant dans le SDRC étaient évoqués en juin 2015 lors du consilium neurologique. En outre, l’introduction d’un traitement par vitamine C en août 2015, utilisé habituellement pour réduire l’incidence de SDRC après les fractures de poignet, suggérait qu’un SDRC était suspecté. Sur la question du lien de causalité, les experts judiciaires ont retenu qu’il existait un lien de causalité certain entre l’événement accidentel du 19.03.2015 et le SDRC, au motif notamment que les douleurs étaient apparues immédiatement après le traumatisme, qu’elles avaient persisté sans interruption, que les examens complémentaires mis en œuvre avaient permis d’exclure une autre cause et qu’un traumatisme par écrasement était décrit comme facteur de risque d’un SDRC.

Par jugement du 09.05.2019, admission du recours par le tribunal cantonal et réformation de la décision en ce sens que l’assurance-accidents est tenue de prendre en charge au-delà du 30.09.2015 les suites de l’événement accidentel survenu le 19 mars 2015.

 

TF

Syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS)

Le syndrome douloureux régional complexe (ou complex regional pain syndrome [CRPS]), anciennement nommé algodystrophie ou maladie de Sudeck, a été retenu en 1994 par un groupe de travail de l’International Association for the Study of Pain (IASP). Il constitue une entité associant la douleur à un ensemble de symptômes et de signes non spécifiques qui, une fois assemblés, fondent un diagnostic précis (DR F. LUTHI/DR P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L TURLAN/DR M. KONZELMANN, Syndrome douloureux régional complexe, in Revue médicale suisse 2019, p. 495). L’IASP a aussi réalisé un consensus diagnostique aussi complet que possible avec la validation, en 2010, des critères dits de Budapest, à savoir:

1) Douleur qui persiste et apparaît disproportionnée avec l’événement initial

2) Au moins un symptôme dans trois (critères cliniques) ou quatre (critères recherche) des quatre catégories suivantes:

a) Sensoriel: le patient décrit une douleur qui évoque une hyperpathie et/ou une allodynie

b) Vasomoteur: le patient décrit une asymétrie de température et/ou un changement de couleur et/ou une asymétrie de couleur

c) Sudomoteur/œdème: le patient décrit un œdème et/ou une asymétrie de sudation

d) Moteur/trophique: le patient décrit une raideur et/ou une dysfonction motrice (faiblesse, trémor, dystonie) et/ou un changement trophique (pilosité, ongles, peau).

3) Au moins un signe dans deux des catégories suivantes (critères cliniques et recherche) :

a) Sensoriel: confirmation d’une hyperpathie et/ou allodynie

b) Vasomoteur: confirmation d’une asymétrie de température et/ou changement de couleur et/ou asymétrie de couleur

c) Sudomoteur/oedème: confirmation d’un œdème et/ou asymétrie de sudation

d) Moteur/trophique: confirmation d’une raideur et/ou dysfonction motrice (faiblesse, trémor, dystonie) et/ou changement trophique (pilosité, ongles, peau)

4) Il n’existe pas d’autre diagnostic qui explique de manière plus convaincante les symptômes et les signes cliniques

Les critères ci-dessus sont exclusivement cliniques et ne laissent que peu de place aux examens radiologiques (radiographie, scintigraphie, IRM). L’utilisation de l’imagerie fait l’objet d’une controverse dans le milieu médical, mais garde un rôle notamment dans la recherche de diagnostics différentiels, ou lorsque les signes cliniques sont discrets ou incomplets ainsi que dans certaines formes atypiques (DRS K. DISERENS/P. VUADENS/PR JOSEPH GHIKAIN, Syndrome douloureux régional complexe: rôle du système nerveux central et implications pour la prise en charge, in Revue médicale suisse 2020, p. 886; F. LUTHI/M. KONZELMANN, Le syndrome douloureux régional complexe [algodystrophie] sous toutes ses formes, in Revue médicale suisse 2014, p. 271).

En pratique,

  • si les critères 1 à 3 sont remplis et que le critère 4 est respecté, on doit considérer que le patient souffre d’un SDRC; toutefois la valeur prédictive positive n’est que de 76%.
  • si les critères sont partiellement remplis, il faut poursuivre le diagnostic différentiel et réévaluer le patient.
  • si les critères ne sont pas remplis, le patient a une probabilité quasi nulle d’avoir un SDRC (DR F. LUTHI/DR P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L TURLAN/DR M. KONZELMANN, op. cit., p. 498).

Le SDRC est quatre fois plus fréquent chez la femme, le plus souvent au membre supérieur, avec une prédominance entre 50 et 70 ans. L’introduction des critères de Budapest a réduit de 50% les diagnostics de SDRC (DRS K. DISERENS/P. VUADENS/PR JOSEPH GHIKAIN, op. cit., p. 885 s.).

 

Causalité naturelle et algodystrophie (SDRC/CRPS)

S’agissant de l’admission d’un lien de causalité entre un accident et une algodystrophie, le Tribunal fédéral a considéré, dans un arrêt 8C_384/2009 du 5 janvier 2010, que trois conditions cumulatives devaient être remplies: 1° la preuve d’une lésion physique après un accident (p. ex. un hématome ou une enflure) ou l’apparition d’une algodystrophie à la suite d’une opération nécessitée par l’accident; 2° l’absence d’un autre facteur causal de nature non traumatique (p. ex. état après un infarctus du myocarde, après une apoplexie, etc.); 3° une courte période de latence entre l’accident et l’apparition de l’algodystrophie (au maximum six à huit semaines). Dans l’arrêt en question, le Tribunal fédéral a nié l’existence d’un rapport de causalité naturelle avec une probabilité prépondérante entre un accident et un SDRC, dès lors que le délai de latence entre l’accident et l’apparition du SDRC était supérieur à une année. Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal fédéral s’est fondé sur un article médical (B. KIENER ET R. KISSLING, Expertise et algodystrophie) paru en 1998 dans une brochure sur le SDRC (Algodystrophie, éditeurs E. BÄR/M. FELDER/B. KIENER) publiée par la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (CNA) et Novartis.

Depuis lors, grâce aux recherches scientifiques entreprises, de nouvelles et importantes connaissances sur la physiopathologie du SDRC ont pu être acquises, lesquelles ont motivé un remaniement complet de la brochure en question qui a été actualisée et rééditée sous le titre « SDRC Syndrome douloureux régional complexe » (W.JÄNIG/R. SCHAUMANN/W.VOGT [éditeurs]) en 2013. Dans un article paru dans ladite brochure, ses auteurs expliquent que la question de la causalité doit être résolue en étudiant en particulier l’évolution en fonction du temps et en prenant en compte les critères de Budapest ainsi que d’autres facteurs ayant marqué significativement le décours. Selon ces auteurs, ce n’est qu’une fois que l’expert a posé un diagnostic de SDRC qu’il faut, s’agissant de la causalité accidentelle, démontrer qu’une lésion corporelle de l’extrémité concernée s’est bien produite ; si tel est le cas, se pose alors la question de savoir si le SDRC est apparu durant la période de latence correspondante de six à huit semaines (R. SCHAUMANN/W. VOGT/F. BRUNNER, Expertise, in: SDRC Syndrome douloureux régional complexe, 2013, p. 130 s.). Cette période de latence de six à huit semaines ne constitue qu’une valeur empirique et ne fait nullement l’objet d’un consensus médical. Au demeurant, elle a été proposée en 1998, soit avant que les critères diagnostiques du SDRC aient été établis. On ne saurait dès lors établir, sur le plan juridique, une règle absolue quant au délai dans lequel les symptômes du SDRC devraient se manifester.

Dans un arrêt 8C_177/2016 du 22 juin 2016, le Tribunal fédéral a du reste précisé, s’agissant du temps de latence entre l’événement accidentel et l’apparition du SDRC, qu’il n’est pas nécessaire qu’un SDRC ait été diagnostiqué dans les six à huit semaines après l’accident pour admettre son caractère causal avec l’événement accidentel; il est en revanche déterminant qu’on puisse conclure, en se fondant sur les constats médicaux effectués en temps réel, que la personne concernée a présenté, au moins partiellement, des symptômes typiques du SDRC durant la période de latence de six à huit semaines après l’accident (voir aussi arrêts 8C_27/2019 du 20 août 2019 consid. 6.4.2; 8C_123/2018 du 18 septembre 2018 consid. 4.1.2; 8C_673/2017 du 27 mars 2018 consid. 5 et les références citées).

Dans l’arrêt 8C_177/2016 précité, l’assurée avait annoncé le 01.11.2012 un accident (chute sur les mains et blessure à l’annulaire droit) survenu le 25.10.2011. Le premier rapport médical au dossier datait du 12.12.2012, soit plus d’une année après l’accident, et arrivait à la conclusion qu’il n’existait pas d’explication pour les douleurs persistantes de l’assurée et qu’il manquait des indices cliniques pour poser le diagnostic de SDRC. Nonobstant cela, l’assureur avait versé des indemnités journalières jusqu’au 30.06.2013 et pris en charge le traitement médical au-delà de cette date. Tant la juridiction cantonale que le Tribunal fédéral saisi par l’assureur-accidents ont admis l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’événement accidentel du 25.10.2011 et le diagnostic de SDRC posé pour la première fois par des experts médicaux le 28.11.2013, soit plus de deux ans après l’événement déclenchant; ils ont admis que les symptômes du SDRC avaient bel et bien dû exister avant la pose du diagnostic, car on ne pouvait pas expliquer autrement l’incapacité de travail de longue durée attestée médicalement dans l’activité habituelle.

 

En l’espèce, l’assurée a présenté une incapacité de travail totale dans son activité habituelle dès le jour de l’accident, ce qui laisse supposer qu’elle souffrait d’une atteinte dont l’élément déclenchant était, avec une haute vraisemblance, l’accident assuré. Elle a en outre présenté des symptômes au niveau de sa main droite au cours des premières semaines ayant suivi l’accident (fortes douleurs persistantes, manque de force au niveau de D2). Lors du consilium, le neurologue a constaté que l’assurée avait l’impression d’avoir moins de sensibilité et moins de force au niveau de sa main droite. Il s’agit là de symptômes sur un plan sensoriel et moteur qui ne sauraient purement et simplement être ignorés, d’autant moins qu’ils font partie des symptômes cliniques typiques du SDRC à propos desquels il existe un consensus médical.

Quant à l’examen de scintigraphie osseuse qui s’est révélé dans la norme en septembre 2015, il ne permet pas d’exclure un SDRC d’apparition tardive. En effet, même si les constatations faites lors de la pratique d’examens paracliniques (radiographies, scintigraphie, IRM) sont normales, on ne peut pas pour autant exclure formellement un SDRC (O. ROMMEL/C. MAIHÖFNER, Aspects cliniques du SDRC, in: SDRC Syndrome douloureux régional complexe, 2013, p. 78). Par conséquent, la négativité de la scintigraphie réalisée en septembre 2015 ne permettait pas d’exclure le développement en cours d’un syndrome de Sudeck, suggéré par le tableau clinique lui-même.

Par ailleurs, l’assurée s’est plainte de façon continue de douleurs au site du traumatisme. Un spécialiste en neurologie (rapport produit lors de la procédure cantonale) avait pu constater, en sus de l’hypoesthésie dans le territoire de la branche superficielle du nerf radial (critère sensoriel), une légère augmentation de la température locale (critère vasomoteur), contrôlée à plusieurs reprises en début et en fin d’examen (cf. rapport du 14 mars 2017). La scintigraphie osseuse trois phases réalisée le 29.09.2016, soit environ dix-huit mois après l’accident, avait permis de constater une anomalie locale en relation avec un syndrome de Sudeck au lieu précis du traumatisme, de sorte qu’il était difficile, selon le neurologue, d’attribuer au hasard ou à une autre cause, par ailleurs inconnue, le développement du SDRC, même tardif, sur le site traumatique lui-même. Ce spécialiste a conclu qu’un développement tardif inhabituel des signes scintigraphiques avait peut-être une explication (extra-traumatique ou non) qu’un expert du SDRC pourrait expliquer, mais qu’il ne voyait pas comment on pouvait sérieusement écarter toute composante traumatique au vu de la chronologie décrite et de la confirmation finale par scintigraphie, même si cette seconde scintigraphie avait été réalisée de manière différée.

Selon les experts mandatés par la cour cantonale, le diagnostic de SDRC peut être posé tardivement, alors que les critères de Budapest étaient présents. Le diagnostic de SDRC après un traumatisme peut également être tardif si les symptômes initiaux sont inconstants ou d’apparition tardive et ne remplissaient pas les critères de Budapest initialement. Les experts ont précisé que le délai entre le traumatisme et le diagnostic de SDRC reste sujet à débat. En effet, il n’existe pas de consensus médical sur la question de savoir dans quel délai après une blessure on peut diagnostiquer un SDRC et l’on ne dispose pas d’examens paracliniques qui permettent de confirmer indubitablement le diagnostic (O. ROMMEL/W. VOGT, Epidémiologie, facteurs de risque et aspects économiques, in: SDRC Syndrome douloureux régional complexe, 2013, p. 25).

Dans le cas présent, aucun médecin n’a évoqué une autre cause non liée à l’accident (« Unfallfremde Ursache ») qui aurait à elle seule pu expliquer ou être à l’origine des symptômes et des signes cliniques présentés par l’assurée. L’affirmation du médecin-conseil, selon laquelle l’algodystrophie peut aussi survenir spontanément, ne saurait à cet égard suffire pour admettre que l’atteinte présentée par l’assurée serait à mettre exclusivement sur le compte de facteurs étrangers à l’accident. En effet, selon la doctrine médicale la plus récente, le SDRC est rare et il survient dans la majorité des cas après un traumatisme de l’appareil locomoteur ou un accident vasculaire cérébral (DR F. LUTHI/DR P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L TURLAN/DR M. KONZELMANN, op. cit., 2019, p. 495). Aussi, en l’absence d’accident vasculaire cérébral ou d’autres facteurs étrangers à l’accident susceptibles à eux seuls d’expliquer le SDRC, l’assureur-accidents ne pouvait pas supprimer ses prestations.

Vu ce qui précède, l’arrêt cantonal échappe à la critique en tant qu’il condamne l’assurance-accidents à prendre en charge au-delà du 30.09.2015 les suites de l’événement accidentel survenu le 19.03.2015.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_416/2019 consultable ici

 

NB : cet arrêt, non destiné à la publication, est détaillé, avec de nombreuses références tant médicales que jurisprudentielles. Il s’agit – à notre connaissance – de l’arrêt le plus précis au sujet de la causalité lors d’un SDRC. L’arrêt rappel, à juste titre, qu’un SDRC doit être posé selon les critères de Budapest.

 

 

Prévoyance professionnelle: actualisation d’ordonnances

Prévoyance professionnelle: actualisation d’ordonnances

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 26.08.2020 consultable ici

 

Lors de sa séance du 26.08.2020, le Conseil fédéral a adopté des modifications ponctuelles de quatre ordonnances ayant trait à la prévoyance professionnelle. Ces modifications sont nécessaires afin d’assurer l’adaptation des dispositions aux évolutions financières et actuarielles. En outre, plusieurs mandats confiés par le Parlement sont ainsi mis en œuvre. C’est le cas, par exemple, des dispositions prévoyant que les institutions de libre passage et les institutions de la prévoyance individuelle liée puissent, elles aussi, réduire ou refuser des prestations en capital à un bénéficiaire qui aurait causé intentionnellement la mort de la personne assurée.

Les modifications d’ordonnances visent à adapter certaines dispositions à l’évolution récente du taux d’intérêt technique, du taux de mortalité et de l’invalidité. Le Conseil fédéral répond en outre par certaines adaptations aux mandats qui lui ont été confiés par le Parlement sur la base d’interventions parlementaires: le postulat Weibel 13.3813 « Autoriser les reports du pilier 3a même après l’âge de 59/60 ans », la motion Weibel 15.3905 « Rendre les placements dans les infrastructures plus attrayants pour les caisses de pension » et l’interpellation Dittli 18.3405 « Comment se fait-il qu’un meurtrier reçoive les prestations en capital des deuxième et troisième piliers de sa victime? ».

 

Les modifications proposées concernent :

  • l’ordonnance sur les fondations de placement (OFP)
  • l’ordonnance sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (OLP)
  • l’ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (OPP 2)
  • l’ordonnance sur les déductions admises fiscalement pour les cotisations versées à des formes reconnues de prévoyance (OPP 3).

Ces modifications entreront en vigueur le 01.10.2020.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 26.08.2020 consultable ici

Ordonnances [version provisoire] et commentaire d’août 2020 de la modification d’ordonnances dans le cadre de la prévoyance professionnelle disponibles ici

 

 

Coronavirus: prolongation des réglementations simplifiées à l’AC

Coronavirus: prolongation des réglementations simplifiées à l’AC

 

Communiqué de presse du DEFR du 26.08.2020 consultable ici

 

Les heures de travail effectuées en plus en dehors des périodes de réduction de l’horaire de travail doivent rester temporairement non déductibles des pertes de travail. Le Conseil fédéral en a décidé ainsi le 26.08.2020. En outre, le revenu d’une occupation provisoire continue de ne pas être décompté de l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail. Cette réglementation s’applique jusqu’à la fin de l’année.

Le 12.08.2020, le Conseil fédéral a décidé de maintenir temporairement la procédure simplifiée pour l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail dans le cadre de l’ordonnance COVID-19 assurance-chômage. Deux dispositions de l’ordonnance sur l’assurance-chômage restent ainsi en vigueur :

  1. Les heures de travail effectuées en plus en dehors de la période de réduction de l’horaire de travail ne sont pas déduites des pertes de travail.
  2. Les revenus tirés d’occupations provisoires ne sont pas décomptés de l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail.

Ces deux simplifications allègent le travail des caisses de chômage. Celles-ci peuvent ainsi prendre des décisions plus rapidement sur les éventuelles indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail. La modification correspondante de l’ordonnance sur l’assurance-chômage entre en vigueur le 01.09.2020 et s’applique jusqu’au 31.12.2020.

 

 

Communiqué de presse du DEFR du 26.08.2020 consultable ici

Ordonnance modifiée [version provisoire] consultable ici

 

 

9C_97/2020 (f) du 10.06.2020 – Restitution de prestations indûment perçues – 25 al. 2 LPGA / Applicabilité du délai de péremption plus long prévu par le droit pénal – 25 al. 2, 2e phrase, LPGA / Appréciation anticipée des preuves par le tribunal cantonal arbitraire – Violation du droit d’être entendue de l’assurée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_97/2020 (f) du 10.06.2020

 

Consultable ici

 

Restitution de prestations indûment perçues / 25 al. 2 LPGA

Applicabilité du délai de péremption plus long prévu par le droit pénal / 25 al. 2, 2e phrase, LPGA

Appréciation anticipée des preuves par le tribunal cantonal arbitraire – Violation du droit d’être entendue de l’assurée

 

Assurée, née en 1945, a bénéficié de prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants dès le 01.09.2007. Le 28.11.2012, elle a signé un document intitulé « révision quadriennale P.C. », accompagné d’un récapitulatif de sa fortune et de ses revenus, dont la caisse de compensation n’a déduit aucun changement significatif de la situation.

En 2017, l’assurée a transmis à la caisse de compensation des documents attestant qu’elle avait reçu un important héritage en 2011. Par décisions du 22.01.2018, confirmées sur opposition, la caisse de compensation a d’une part réexaminé le droit de l’assurée à des prestations complémentaires à l’AVS à partir du 01.09.2007 et d’autre part réclamé la restitution de la somme de 174’663 fr. 05 correspondant aux prestations indûment touchées durant la période du 01.09.2007 au 31.01.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt PC 17/18 – 24/2019 – consultable ici)

La juridiction cantonale a constaté que le partage de la succession avait été retardé en raison d’un profond désaccord au sein de l’hoirie et que le montant des parts respectives des héritiers du père de l’assurée n’avait été formellement constaté que par acte notarié du 04.10.2010. Aussi, n’était-il possible d’imputer à la fortune de l’assurée une part de la succession non partagée de son père qu’à compter de cette date.

Sous l’angle ensuite du délai de péremption de plus longue durée prévu par le droit pénal, la juridiction cantonale a considéré que l’assurée avait adopté un comportement qui ne relevait pas d’une simple négligence en apposant sa signature sur le questionnaire destiné à la révision quadriennale de son dossier en 2012. Les faits de ne pas répondre correctement aux questions posées et de taire l’existence d’un compte bancaire sur lequel avaient été déposés les montants touchés à titre d’héritage devaient être appréciés selon les premiers juges comme étant constitutifs d’une tromperie par commission, dès lors que ce questionnaire constituait une invitation explicite à faire état de sa situation patrimoniale. Même en admettant que ce questionnaire avait été complété par une assistante sociale et que l’assurée ne l’avait pas relu avant de le signer, comme elle le prétendait, il n’y avait aucun doute sur le fait qu’il avait été complété en sa présence et avec sa collaboration active. Les informations figurant dans le questionnaire correspondaient à ses réponses. L’assurée ne pouvait donc ignorer que les renseignements donnés étaient incomplets. En apposant sa signature au bas du document tout en certifiant que les réponses données étaient complètes et conformes à la vérité, elle s’était accommodée du fait qu’elle pût toucher des prestations complémentaires auxquelles elle n’avait pas droit, commettant ainsi un acte à tout le moins par dol éventuel. Les juges cantonaux ont retenu que l’assurée réalisait dès lors les éléments objectifs et subjectifs de l’infraction d’escroquerie réprimée à l’art. 146 CP, si bien que le délai de péremption de quinze ans (art. 25 al. 2 LPGA, en lien avec l’art. 97 al. 1 let. b CP) était applicable.

La juridiction cantonale a refusé de donner suite aux mesures d’instruction requises par l’assurée au cours de la procédure cantonale. Selon la cour cantonale, l’audition de l’assurée ne modifierait pas, selon toute vraisemblance, l’appréciation selon laquelle elle avait caché certains faits à l’assistante sociale. De même, il n’était pas nécessaire de recueillir des renseignements médicaux auprès de l’Hôpital B.__ puisqu’ils ne permettraient que de décrire l’état de santé actuel de l’assurée, élément sans pertinence dans le cas d’espèce. Une telle mesure d’instruction se justifiait d’autant moins que l’assurée n’avait selon les premiers juges jamais daigné préciser au cours de la procédure la nature des troubles dont elle était atteinte.

Par jugement du 05.12.2019, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reformant la décision sur opposition en ce sens que l’assurée doit restitution à la caisse de compensation de la somme de 116’572 fr.

 

TF

Il sied de rappeler que lorsqu’il statue sur la créance de la caisse de compensation en restitution de prestations indûment versées, le juge doit examiner, à titre préjudiciel, si les circonstances correspondant à une infraction pénale sont réunies et, partant, si un délai de péremption plus long que les délais relatifs (une année) et absolus (cinq ans) prévus par l’art. 25 al. 2, 1ère phrase, LPGA est applicable dans le cas particulier. Pour que le délai de péremption plus long prévu par le droit pénal s’applique (art. 25 al. 2, 2ème phrase LPGA), il n’est pas nécessaire que l’auteur de l’infraction ait été condamné (ATF 140 IV 206 consid. 6.2 p. 208 et les références). En matière de prestations complémentaires, ce sont principalement les infractions réprimées aux art. 146 CP (escroquerie) et 31 LPC (manquement à l’obligation de communiquer) qui entrent en considération.

Selon le principe inquisitoire qui régit la procédure devant le tribunal cantonal des assurances – de même que la procédure administrative (art. 43 al. 1 LPGA) – dans le domaine des assurances sociales, il appartient au juge d’établir d’office les faits déterminants pour la solution du litige et d’administrer, le cas échéant, les preuves nécessaires (art. 61 let. c LPGA). En principe, les parties ne supportent ni le fardeau de l’allégation ni celui de l’administration des preuves. Cette maxime doit cependant être relativisée par son corollaire, soit le devoir de collaborer des parties, lequel comprend l’obligation d’apporter, dans la mesure où cela est raisonnablement exigible, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués. Si le principe inquisitoire dispense les parties de l’obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve, dans la mesure où, en cas d’absence de preuve, c’est à la partie qui voulait en déduire un droit d’en supporter les conséquences, sauf si l’impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse. Cette règle ne s’applique toutefois que s’il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et en application du principe de la libre appréciation des preuves, d’établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 139 V 176 consid. 5.2 p. 185 et les références).

Le tribunal cantonal des assurances peut refuser d’administrer une preuve, sans violer le droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., si le moyen de preuve est inapte à fonder une conviction, si le fait à prouver est déjà établi, s’il est sans pertinence ou encore si le tribunal, en procédant à une appréciation anticipée des preuves, parvient à la conclusion que sa conviction est déjà faite et que le résultat de la mesure probatoire sollicitée ne peut plus la modifier (ATF 144 II 427 consid. 3.1.3 p. 435; 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 298; arrêt 8C_159/2018 du 17 décembre 2018 consid. 3.2 et les références).

La présomption d’innocence, garantie en procédure pénale par les art. 6 par. 2 CEDH, 32 al. 1 Cst. et 10 CPP, ainsi que son corollaire le principe « in dubio pro reo » concernent tant le fardeau de la preuve que l’appréciation des preuves. Lorsque l’appréciation des preuves et la constatation des faits sont critiquées en référence au principe « in dubio pro reo », celui-ci n’a pas de portée plus large que l’interdiction de l’arbitraire (ATF 138 V 74 consid. 7 p. 82; 144 IV 345 consid. 2.2.3.2 p. 350). La violation du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) invoquée par l’assurée se confond également avec le principe de l’interdiction de l’arbitraire dans l’appréciation des preuves. L’assurée se plaint en effet par ce biais exclusivement de la manière dont la juridiction cantonale a apprécié les circonstances du cas (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 298; 130 II 425 consid. 2.1 p. 428).

 

Le Tribunal fédéral constate que la juridiction cantonale a retenu que la décision sur opposition ne permettait pas à l’assurée de comprendre les éléments qui avaient été retenus par la caisse de compensation en relation avec l’application d’un délai de péremption de plus longue durée prévue par le droit pénal, ni pourquoi ils l’avaient été, ce qui l’avait empêchée d’attaquer valablement cette décision. Les juges cantonaux ont considéré qu’en ce sens la décision de première instance aurait dû être annulée pour défaut de motivation. Ils ont constaté que la caisse de compensation avait cependant « fourni quelques explications » à l’occasion de la réponse du 01.03.2019 au recours cantonal et qu’elle avait notamment précisé que le comportement de l’assurée était constitutif d’une escroquerie (au sens de l’art. 146 CP). Dans la mesure où l’assurée avait pu prendre connaissance des motifs retenus par la caisse de compensation et qu’elle avait eu la possibilité de s’exprimer à leur sujet, la juridiction cantonale a renoncé à annuler la décision pour des motifs formels et s’est prononcée sur le fond du litige, sans administrer les preuves requises par l’assurée.

En l’espèce, la manière de procéder de la juridiction cantonale a privé l’assurée du droit à une instruction complète des faits déterminants de la cause. A la suite de la réponse de la caisse de compensation du 01.03.2019, elle a certes placé l’assurée en situation d’exercer son droit d’être entendue par écrit. Pour ce faire, l’assurée a bénéficié de différentes prolongations de délai, soit d’un délai d’environ quatre mois et demi. En se fondant sur la jurisprudence applicable en matière pénale, l’assurée a fait valoir au terme de ce délai que sa comparution personnelle était la seule mesure d’instruction propre à établir qu’elle n’avait jamais cherché à cacher sciemment des éléments de fortune déterminants. L’assurée a donc exercé en temps utile son droit de faire administrer une preuve complémentaire en instance cantonale (art. 61 let. c LPGA), comme elle l’y avait du reste été dûment invitée par la juridiction cantonale (ordonnance du 04.03.2019).

A ce stade, l’assurée a maintenu sa demande d’être entendue oralement en affirmant pouvoir apporter des explications indispensables, alors que les juges cantonaux avaient retenu qu’elle n’avait pas été placée en situation d’attaquer utilement la décision sur opposition. Dans ces circonstances, la juridiction cantonale ne pouvait pas, sans violer le droit à l’administration de la preuve, renoncer à entendre oralement l’assurée sans l’en avertir et lui donner à cette occasion la possibilité de faire valoir par écrit sa version des faits quant à la réalisation éventuelle de l’infraction d’escroquerie. A défaut de connaître l’argumentation de l’assurée sur ce point – ou du moins de lui avoir laissé le choix de s’exprimer à ce sujet par écrit –, la cour cantonale ne pouvait affirmer d’emblée qu’entendre sa version des faits ne permettait pas de remettre en cause leur conviction sans que leur appréciation anticipée des preuves fût entachée d’arbitraire et, partant, sans violer le droit d’être entendue de l’assurée.

 

Le TF admet le recours de l’assurée, annule le jugement cantonal et renvoie la cause à l’autorité cantonale pour complément d’instruction au sens des considérants et nouvelle décision.

 

 

Arrêt 9C_97/2020 consultable ici

 

 

8C_101/2020 (d) du 09.06.2020 – Lien de causalité adéquate – Troubles psychiques – 6 LAA / Collision voiture-arbre à 60-70 km/h – Moyennement grave stricto sensu / Circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou caractère particulièrement impressionnant de l’accident / Douleurs physiques persistantes

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_101/2020 (d) du 09.06.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt original fait foi.

 

Lien de causalité adéquate – Troubles psychiques / 6 LAA

Collision voiture-arbre à 60-70 km/h – Moyennement grave stricto sensu

Circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou caractère particulièrement impressionnant de l’accident / Douleurs physiques persistantes

 

Assuré, né en 1974, ouvrier du bâtiment, a subi un accident pendant ses vacances à l’étranger le 17.10.2015. Conduisant une voiture à une vitesse de 60-70 km/h, il a évité un animal et a heurté frontalement un arbre. La femme qui l’accompagnait a été soignée pour des blessures mineures dans un hôpital voisin. L’assuré n’a bénéficié d’un traitement médical pour des douleurs dorsales qu’après son retour en Suisse ; il a été opéré le 20.10.2015 pour une fracture d’une vertèbre lombaire (fusion D12-L2).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité basée sur un degré d’invalidité de 13% à compter du 01.03.2017 et une IPAI de 15%. Elle a nié l’existence d’un lien de causalité adéquat entre les troubles psychologiques et l’accident.

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a constaté que l’assuré roulait le 17.10.2015 à une vitesse de 60-70 km/h lorsqu’il a dû éviter un animal, a perdu la maîtrise du véhicule et a heurté un arbre. En se référant à la casuistique du Tribunal fédéral, elle a qualifié cet événement d’accident moyennement grave stricto sensu (cf. arrêts 8C_212/2019 du 21 août 2019 consid. 4.3.3 et 8C_434/2012 du 21 novembre 2012 consid. 7.2.2, et les arrêts 8C_720/2017 du 18 mars 2018 consid. 4.3 et 8C_885/2011 du 18 janvier 2012 consid. 5). Pour retenir un lien de causalité adéquate entre les troubles psychiques et l’accident, il faut un cumul de trois critères sur les sept ou au moins que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante pour l’accident (ATF 129 V 177 consid. 4.1 p. 183, 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140 ; arrêt 8C_632/2018 du 10 mai 2019 consid. 8.3). Par la suite, la cour cantonale, après une évaluation minutieuse et détaillée des dossiers médicaux et des autres circonstances, est arrivée à la conclusion qu’aucun critère n’était rempli. L’assurance-accidents a ainsi nié à juste titre l’existence d’un lien de causalité adéquate. Par conséquent, la question de la causalité naturelle peut demeurer ouverte, faute de pertinence pour la décision (ATF 135 V 465 consid. 5.1 p. 472 ; arrêt 8C_632/2018 du 10 mai 2019 consid. 7.3) et aucune autre clarification n’était nécessaire.

Par jugement du 17.12.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Qualification de l’accident

L’assuré évoque qu’un accident comparable, dans lequel le conducteur a heurté une clôture en grillage métallique hors de la route à une vitesse de 80 km/h, a été qualifié de grave par le Tribunal fédéral. Or, cet incident a plutôt été évalué comme moyennement grave stricto sensu dans le jugement 8C_609/2007 du 22 août 2008 (consid. 4.1.2 et 4.1.3 de l’arrêt ; cf. également arrêt 8C_212/2019 du 21 août 2019 consid. 4.2.2).

 

Circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou caractère particulièrement impressionnant de l’accident

Le critère relatif aux circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou au caractère particulièrement impressionnant de l’accident doit être examiné d’une manière objective et non pas en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse ou de peur qui en résulte (ATF 140 V 356 consid. 5.6.1 p. 366). Des exigences nettement plus élevées sont imposées à sa réalisation, puisque tous les accidents qualifiés de moyennement graves présentent déjà un certain degré d’impression (arrêt 8C_627/2019 du 10 mars 2020 5.4.1 avec références).

Il n’y a pas de circonstances qui pourraient justifier ce critère. La cour cantonale doit au contraire s’assurer que le déroulement de l’accident impliquant la collision avec l’arbre à une vitesse de 60-70 km/h lorsque l’airbag est déployé ne dépasse pas l’impression inhérente à tout accident de catégorie moyenne stricto sensu.

 

Douleurs physiques persistantes

L’assuré se réfère à la douleur intense existant depuis l’accident. Les juges cantonaux ont précisé que seuls les troubles physiques ou somatiques doivent être pris en compte lors de l’examen des critères d’adéquation, tandis que les troubles psychologiques ne doivent pas être inclus (ATF 134 V 109 consid. 2.1 p. 112).

Cela peut être évalué de manière fiable à partir du moment où l’on ne peut attendre aucune amélioration significative de la poursuite du traitement médical des troubles somatiques (ATF 134 V 109 consid. 6.1 p. 116).

L’instance cantonale a constaté que l’état de santé était stabilisé le 18.01.2017. En ce qui concerne le critère de la douleur physique persistantes, en particulier, les plaintes de l’assuré, importantes sur le plan physique mais qui ne sont pas suffisamment démontrables sur le plan objectif, doivent être écartées (arrêts 8C_632/2018 du 10 mai 2019 consid. 10.2, in: SVR 2019 UV Nr. 41 S. 155; 8C_123/2018 du 18 septembre 2018 consid. 5.2.2.1, 8C_236/2016 du 11 août 2016 consid. 6.2.4 et 8C_825/2008 du 9 avril 2009 consid. 4.6).

À cet égard, la cour cantonale a démontré – sans contradiction – que la douleur avait été de plus en plus « psychologique » à partir du moment où l’assuré a quitté la clinique de réadaptation à la fin du mois de mai 2016, de sorte qu’elle ne pouvait pas être prise en compte.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_101/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_101/2020 (d) du 09.06.2020 – Lien de causalité adéquate – Troubles psychiques – Collision voiture-arbre à 60-70 km/h, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/08/8c_101-2020)

 

8C_479/2014 (f) du 03.07.2015 – Indemnité chômage – Gain assuré / Durée hebdomadaire normale de travail annoncé par l’employeur (42.5h) vs selon CCT romande du second œuvre (CCT-SOR) (41h) / Heures supplémentaires exclues du calcul du gain assuré / Reconsidération

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_479/2014 (f) du 03.07.2015

 

Consultable ici

 

Indemnité chômage – Gain assuré / 23 al. 1 LACI – 37 OACI

Durée hebdomadaire normale de travail annoncé par l’employeur (42.5h) vs selon CCT romande du second œuvre (CCT-SOR) (41h) – Interprétation des clauses normatives d’une convention collective de travail

Heures supplémentaires exclues du calcul du gain assuré

Reconsidération – Pas d’erreur manifeste / 95 al. 1 LACI – 53 al. 2 LPGA

 

Assuré a travaillé en qualité de peintre en bâtiment du 03.05.2011 au 23.12.2011 et du 02.01.2012 au 09.03.2012 dans le cadre d’un contrat de travail temporaire à plein temps, au service d’une société (ci-après : l’employeur). Le 19.03.2012, il a présenté une demande d’indemnité de chômage. L’employeur a attesté un horaire normal de travail dans l’entreprise de 42,5 heures par semaine et a indiqué que la convention collective de travail romande du second œuvre (ci-après: la CCT-SOR) était applicable.

La caisse cantonale de chômage (ci-après: la caisse) a alloué à l’assuré, à partir du 19.03.2012, une indemnité de chômage calculée sur la base d’un gain assuré de 5’704 fr. et d’un horaire de travail hebdomadaire de 42,5 heures.

A la suite d’une révision périodique effectuée par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), la caisse a rendu une décision, le 13.01.2014, par laquelle elle a réclamé à l’assuré la restitution d’un montant de 1’802 fr. 40, correspondant à des prestations perçues en trop durant la période du 19.03.2012 au 30.03.2012, ainsi qu’au cours des mois de mai et juin 2012 et de la période du mois d’août 2012 au mois de juin 2013. Elle a indiqué que l’indemnité de chômage aurait dû être calculée sur la base d’un gain assuré de 5’511 fr. et d’un horaire de travail hebdomadaire de 41 heures, conformément à la CCT-SOR. Compte tenu d’un montant de 177 fr. 90 déjà retenu sur les indemnités allouées au mois de juillet 2013, le montant encore à restituer s’élevait à 1’624 fr. 50.

Saisie d’une opposition, la caisse a soumis le cas au SECO, lequel a indiqué que les moyens invoqués par l’assuré n’étaient pas de nature à mettre en cause la décision de restitution des prestations. L’opposition a été rejetée par décision du 06.03.2014.

 

Procédure cantonale

Pour établir la durée hebdomadaire normale de travail, la cour cantonale s’est référée aux différents contrats de missions liant l’assuré à l’employeur, ainsi qu’à la CCT-SOR. Selon la CCT-SOR, la durée hebdomadaire moyenne de travail est de 41 heures, l’employeur ayant cependant la faculté de fixer cette durée à 45 heures au maximum (art. 12 al. 1 let. a et b). Si le nombre des heures effectuées au cours d’une une année dépasse un total de 2’132 heures (ce qui correspond à 41h hebdomadaires en moyenne) mais ne dépasse pas 2’212 heures (ce qui correspond à 42,5h hebdomadaires en moyenne), le travailleur bénéficie d’un bonus qui doit être compensé sous forme de congé ou rétribué sans supplément ; s’il est supérieur à 2’212 heures, le bonus est rémunéré ou compensé au titre des heures supplémentaires (art. 12 al. 2 let. i CCT-SOR).

Aussi, la cour cantonale a-t-elle inféré de ces dispositions que seules les heures effectuées en plus du total de 2’212 heures (ce qui correspond à 42,5h hebdomadaires en moyenne) constituent des heures supplémentaires exclues du calcul du gain assuré.

La cour cantonale a ainsi considéré que la durée hebdomadaire normale de travail de l’assuré était de 42,5h et non de 41h, comme l’a retenu la caisse, de sorte que celle-ci n’était pas fondée à considérer la différence de durée du temps de travail comme des heures supplémentaires exclues du calcul du gain assuré.

Par jugement du 21.05.2014, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision attaquée et condamnant la caisse à restituer à l’assuré les montants retenus sur les indemnités allouées à compter du mois de juillet 2013.

 

TF

Selon l’art. 23 al. 1 LACI, est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS qui est obtenu normalement au cours d’un ou de plusieurs rapports de travail durant une période de référence, y compris les allocations régulièrement versées et convenues contractuellement, dans la mesure où elles ne sont pas des indemnités pour inconvénients liés à l’exécution du travail (première phrase). Le Conseil fédéral détermine la période de référence et fixe le montant minimum (quatrième phrase). La période de référence pour le calcul du gain assuré est réglée à l’art. 37 OACI. Le gain assuré est calculé sur la base du salaire moyen des six derniers mois de cotisation (art. 11 OACI) qui précèdent le délai-cadre d’indemnisation (al. 1). Il est déterminé sur la base du salaire moyen des douze derniers mois de cotisation précédant le délai-cadre d’indemnisation si ce salaire est plus élevé que le salaire moyen visé à l’alinéa 1 (al. 2). La période de référence commence à courir le jour précédant le début de la perte de gain à prendre en considération quelle que soit la date de l’inscription au chômage (al. 3, première phrase). Aux termes de l’art. 37 al. 3bis OACI (dans sa teneur – applicable en l’occurrence [cf. ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 p. 220 et les arrêts cités] – valable depuis le 1er avril 2011), lorsque le salaire varie en raison de l’horaire de travail usuel dans la branche, le gain assuré est calculé conformément aux alinéas 1 à 3, mais au plus sur la moyenne annuelle de l’horaire de travail convenu contractuellement.

Le salaire pris en considération comme gain assuré se rapproche de la notion de salaire déterminant au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS, mais ne se recouvre pas exactement avec celui-ci, comme cela ressort du terme « normalement » (« normalerweise » ; « normalmente ») utilisé à l’art. 23 al. 1 LACI (BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n. 8 ad art. 23). Certains montants perçus par le salarié, certes soumis à cotisation, n’entrent pas dans la fixation du gain assuré. Il en va ainsi notamment de la rémunération des heures supplémentaires (ATF 129 V 105), de l’indemnité de vacances (à certaines conditions: ATF 130 V 492 consid. 4.2.4 p. 497), des gains accessoires (art. 23 al. 3 LACI; ATF 129 V 105 consid. 3.2 p. 108; 126 V 207) ou des indemnités pour inconvénients liés aux travail ou en raison de frais occasionnés par le travail (art. 23 al. 1, 1 ère phrase, LACI; DTA 1992 n. 14 p. 140 [C 13/92] consid. 2b).

Par heures supplémentaires exclues du calcul du gain assuré, il y a lieu de comprendre non seulement les heures supplémentaires (« Überzeit ») au sens des art. 12 et 13 LTr, mais également les heures effectuées en sus de l’horaire habituel (« Überstunde »). Par temps de travail accompli en sus de l’horaire habituel, il faut comprendre l’activité accomplie en plus de la durée de travail en vigueur dans l’entreprise ou habituelle dans la branche, telle qu’elle a été fixée par le contrat individuel de travail ou la convention collective. Tant les rémunérations perçues dans l’accomplissement d’heures supplémentaires que les gains réalisés au cours d’heures effectuées en sus de l’horaire habituel ne constituent pas un salaire obtenu « normalement » au sens de l’art. 23 al. 1 LACI (ATF 129 V 105 consid. 3 p. 107 s.; 116 II 69 consid. 4a p. 70; DTA 2013 p. 68 [8C_379/2012] consid. 3.2; 2003 p. 189 [C 108/02] consid. 2).

Les clauses normatives d’une convention collective de travail s’interprètent selon les méthodes applicables aux lois (ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 p. 284; 127 III 318 consid. 2a p. 322; arrêt 4A_163/2012 du 27 novembre 2012 consid. 4.1, non publié in ATF 139 III 60). D’après la jurisprudence, la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). On peut cependant s’écarter de cette interprétation s’il y a des raisons sérieuses de penser que le texte de la loi ne reflète pas la volonté réelle du législateur; de tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi. Lorsque plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d’autres dispositions; le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique (ATF 140 V 227 consid. 3.2 p. 230, 489 consid. 4.1 et les arrêts cités).

Dans le domaine de l’interprétation des dispositions normatives d’une convention collective, le Tribunal fédéral a précisé que la distinction entre les règles sur l’interprétation des lois et les règles sur l’interprétation des contrats ne doit pas être exagérée; la volonté des cocontractants et ce que l’on peut comprendre selon le principe de la bonne foi constituent également des moyens d’interprétation (ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 p. 284; 133 III 213 consid. 5.2 p. 218; arrêt 4A_163/2012 du 27 novembre 2012 consid. 4.1, non publié in ATF 139 III 60).

 

En l’espèce, il est constant que les contrats de missions liant l’assuré à l’employeur étaient soumis aux conditions de la CCT-SOR. Or, selon l’art. 12 al. 1 let. a de cette convention, la durée hebdomadaire moyenne de travail est de 41 heures. L’art. 12 al. 1 let. b CCT-SOR dispose que l’entreprise a la faculté de fixer la durée hebdomadaire de travail à 39 heures au minimum et 45 heures au maximum, du lundi au vendredi, la tranche horaire ordinaire se situant entre 06.00 heures et 22.00 heures (06.00 heures et 18.00 heures dans le canton de Genève [cf. annexe V à la CCT-SOR]). En l’occurrence, l’employeur a fait usage de cette faculté en instaurant un horaire de travail hebdomadaire de 42,5 heures. Il n’en demeure pas moins, selon une interprétation littérale et conformément au principe de la bonne foi, que l’art. 12 al. 1 let. a CCT-SOR fixe l’horaire de travail habituel hebdomadaire à 41 heures dans le secteur de la peinture dans le canton de Genève.

L’art. 12 al. 2 CCT-SOR règle les conditions applicables en cas d’instauration d’un horaire variable destiné à tenir compte des besoins économiques de l’entreprise. Celle-ci doit notamment s’acquitter d’un salaire « mensuel-constant » calculé sur la base du salaire horaire multiplié par 177,7 heures – ce qui correspond à 41 heures par semaine et 2’132 heures par année (art. 12 al. 2 let. a et c CCT-SOR). S’il justifie d’un « bonus d’heures » de plus de 2’132 heures et de moins de 2’212 heures (ce qui correspond à 42,5 heures par semaine), le travailleur a droit à une compensation sous forme d’heures de congé ou au paiement des heures, sans supplément; les heures accomplies en plus du maximum susmentionné sont considérées comme des heures supplémentaires payées ou compensées avec un supplément au sens de l’art. 16 CCT-SOR (art. 12 al. 2 let. i CCT-SOR).

Cela étant, même si le travailleur qui effectue plus de 41 heures hebdomadaires mais au maximum 42,5 heures ne perçoit pas de supplément au sens de l’art. 16 CCT-SOR, il n’en demeure pas moins que la rémunération obtenue pour les heures accomplies en plus de la durée hebdomadaire moyenne de travail de 41 heures, prévue à l’art. 12 al. 1 let. a CCT-SOR, ne constitue pas un salaire obtenu « normalement » au sens de l’art. 23 al. 1 LACI. Dans ces conditions, le gain assuré déterminant pour fixer le montant de l’indemnité de chômage allouée à compter du 19.03.2012 devait être calculé sur la base d’un horaire de travail hebdomadaire de 41 heures.

 

Selon l’art. 95 al. 1 LACI en relation avec les art. 25 al. 1 et 53 al. 2 LPGA, l’assureur peut réclamer la restitution de prestations accordées sur la base de décisions – formelles ou non – passées en force et sur lesquelles une autorité judiciaire ne s’est pas prononcée sous l’angle matériel seulement si celles-ci sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable (reconsidération; cf. ATF 130 V 318 consid. 5.2 p. 319; 122 V 367 consid. 3 p. 368; 110 V 176 consid. 2a p. 179 et les références).

En l’espèce, s’il était faux de calculer l’indemnité de chômage sur la base d’une durée hebdomadaire de travail de 42,5 heures, il n’apparaît cependant pas, sur le vu des considérations qui précèdent, que cette erreur était manifeste. Aussi, la caisse n’était-elle pas fondée, par sa décision sur opposition du 06.03.2014, à réclamer les prestations allouées en trop.

 

Le TF rejette le recours du SECO.

 

 

Arrêt 8C_479/2014 consultable ici