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8C_448/2023 (f) du 22.04.2024 – Prestations complémentaires – Condition d’un séjour ininterrompu de dix ans en Suisse avant le dépôt de sa demande niée / 5 LPC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_448/2023 (f) du 22.04.2024

 

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Prestations complémentaires – Condition d’un séjour ininterrompu de dix ans en Suisse avant le dépôt de sa demande niée / 5 LPC

 

Assurée, née en 1988, ressortissante bolivienne, a été mise au bénéfice d’une autorisation de séjour (permis B) du 20.09.2010 au 28.02.2012. Une nouvelle autorisation de séjour lui a été délivrée le 05.07.2021, avec une première échéance au 28.07.2022, prolongée jusqu’au 28.07.2024. Depuis le 01.05.2021, elle est au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité.

Le 13.10.2022, l’assurée a déposé une demande de prestations complémentaires. Par décision du 15.11.2022, confirmée sur opposition le 20.01.2023, le service des prestations complémentaires (ci-après: SPC) a rejeté la demande, au motif que la prénommée ne remplissait pas la condition d’un séjour ininterrompu de dix ans en Suisse avant le dépôt de sa demande.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/517/2023 – consultable ici)

Par jugement du 29.06.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
L’arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs notamment à la condition, pour les étrangers, de la durée minimale du séjour préalable en Suisse, à laquelle est subordonné le droit aux prestations complémentaires fédérales et cantonales (art. 4 ss LPC [RS 831.30] et art. 2 de la loi [de la République et canton de Genève] sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 [LPCC; RS/GE J 4 25]). Les juges cantonaux ont en particulier rappelé qu’aux termes des art. 5 al. 1 LPC et 2 al. 3 LPCC, les étrangers n’ont droit à des prestations complémentaires fédérales et cantonales que s’ils séjournent de manière légale en Suisse; ils doivent y avoir résidé de manière ininterrompue pendant les dix années précédant immédiatement la date à laquelle ils demandent la prestation complémentaire (délai de carence). En outre, selon le ch. 2320.01 des Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (DPC), édictées par l’OFAS, seule la présence effective et conforme au droit vaut résidence habituelle en Suisse; les périodes au cours desquelles une personne a séjourné illégalement en Suisse ne sont pas prises en compte dans la détermination de la durée de séjour.

Consid. 3.3
On ajoutera que l’autorisation de séjour est limitée dans le temps, mais peut être prolongée s’il n’existe aucun motif de révocation au sens de l’art. 62 al. 1 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l’intégration (LEI; RS 142.20) (art. 33 al. 3 LEI). L’autorisation prend fin notamment à l’expiration de sa durée de validité (art. 61 al. 1 let. c LEI) ou en cas de révocation (art. 62 LEI). La personne concernée peut cependant rester en Suisse pendant la procédure de prolongation de l’autorisation de séjour, et également après l’échéance de cette dernière, lorsqu’elle a déposé une demande de prolongation et pour autant que l’autorité compétente n’ait pas pris des mesures provisionnelles différentes (art. 59 al. 2 de l’ordonnance du 24 octobre 2007 relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative [OASA; RS 142.201]). Il ne s’agit certes que d’un droit de séjour procédural; les droits conférés par l’autorisation (notamment en matière de séjour et d’activité lucrative) restent toutefois valables après l’expiration de la durée de validité de l’autorisation de séjour (arrêt 9C_378/2020 du 25 septembre 2020 consid. 5.3; arrêt 2C_1154/2016 du 25 août 2017 consid. 2.3 et les références).

Consid. 4
La juridiction cantonale a considéré que l’assurée alléguait être arrivée en Suisse en 2005, mais qu’elle ne contestait pas avoir été au bénéfice d’une première autorisation de séjour du 20.09.2010 au 28.02.2012 seulement. Par la suite, elle avait séjourné en Suisse sans autorisation valable pendant près de deux ans, jusqu’à sa demande de renouvellement du 06.02.2014. Les juges cantonaux ont ainsi considéré que le délai de carence prévu par les art. 5 al. 1 LPC et 2 al. 3 LPCC débutait le 06.02.2014 au plus tôt. Partant, la condition du séjour légal et ininterrompu de dix ans en Suisse n’était pas remplie au moment où l’assurée a demandé les prestations complémentaires en octobre 2022.

 

Consid. 5 – Fait nouveau et preuve nouvelle

Consid. 5.1
L’assurée a produit en annexe à son recours une demande de renouvellement de son permis de séjour datée du 20.12.2011 puis, en annexe à sa réplique, différents documents échangés avec l’Office cantonal de la population, établis entre mai 2012 et février 2014. Selon l’assurée, il conviendrait de tenir compte de ces pièces dès lors que la juridiction cantonale aurait avancé un nouvel argument juridique « fondé sur un fait contraire à la réalité ». En substance, elle expose que la décision du SPC reposait notamment sur l’absence de renouvellement du permis de séjour, alors que les juges cantonaux retenaient le dépôt d’une demande de renouvellement le 06.02.2014. Cependant, c’est la date du 20.12.2011 qui devait être retenue comme l’atteste sa demande de renouvellement. De surcroît, dans ses déterminations devant le Tribunal fédéral, l’OFAS alléguait qu’entre décembre 2011 et février 2014, environ deux ans s’étaient écoulés sans que l’assurée ait interpellé l’Office cantonal de la population, faits qu’elle conteste sur la base des nouvelles pièces produites.

Consid. 5.3
Les pièces produites par l’assurée à l’appui de son recours et de sa réplique ne figurent pas au dossier cantonal. Contrairement à ce qu’elle invoque, les conditions de l’exception de l’art. 99 al. 1 LTF ne sont pas réalisées. L’assurée ne démontre pas qu’elle ne pouvait pas produire, en instance cantonale, ces documents établis antérieurement à l’arrêt attaqué. Au demeurant, elle soutient avoir « prouvé et développé » que le permis de séjour délivré le 20.09.2010 a fait l’objet d’une procédure de renouvellement. Or on peut s’étonner qu’elle n’ait pas déposé ces pièces, lesquelles auraient été pertinentes en procédure cantonale, ce d’autant plus que dans sa décision du 20.01.2023, le SPC reprochait précisément à l’assurée de ne pas avoir fait renouveler son permis de séjour. Enfin, on soulignera que l’issue de la procédure en première instance ne constitue pas à elle seule un motif suffisant au sens de l’art. 99 al. 1 LTF pour justifier la recevabilité de nova qui auraient déjà pu être soulevés sans autre dans la procédure cantonale (ATF 143 V 19 consid. 1.2; cf. consid. 5.2 supra). Il s’ensuit que les nouvelles pièces ne peuvent être prises en compte pour l’examen de la présente cause.

 

Consid. 6.1
L’assurée reproche ensuite aux juges cantonaux d’avoir établi les faits de manière arbitraire en ne retenant pas la demande de renouvellement de son permis de séjour déposée en décembre 2011. Elle soutient également que les juges cantonaux auraient violé le droit en considérant qu’elle ne remplissait pas la condition de la durée minimale du séjour préalable en Suisse pour bénéficier des prestations complémentaires.

Consid. 6.2
Ces deux griefs reposent sur la prémisse erronée que son nouveau moyen de preuve est admissible et que la demande de renouvellement doit être considérée comme ayant été déposée en décembre 2011. Ces griefs tombent dès lors à faux.

 

Consid. 7
L’assurée, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). Au regard des motifs avancés dans le mémoire de recours, celui-ci apparaissait d’emblée dénué de chances de succès et la requête d’assistance judiciaire doit dès lors être rejetée. L’assurée doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_448/2023 consultable ici

 

9C_524/2023 (f) du 20.03.2024 – Droit à l’allocation pour impotent nié – Acte ordinaire « faire sa toilette » / Besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie nié

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_524/2023 (f) du 20.03.2024

 

Consultable ici

 

Droit à l’allocation pour impotent nié – Acte ordinaire « faire sa toilette » / 9 LPGA – 42 LAI – 37 RAI

Besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie nié / 38 al. 1 RAI

 

Assurée, née en 1969, souffre des séquelles d’une poliomyélite infantile du membre inférieur droit. Elle bénéfice de moyens auxiliaires de l’assurance-invalidité (chaussures orthopédiques, béquilles, lift de bain et véhicule à moteur modifié) et perçoit une rente entière d’invalidité depuis le 01.08.2019. Elle a déposé une demande d’allocation pour impotent le 01.12.2021. Se fondant sur les conclusions d’un rapport d’enquête à domicile du 31.05.2022, l’office AI a rejeté la demande par décision du 14.09.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/506/2023 – consultable ici)

Le tribunal cantonal a nié le droit de l’assurée à une allocation pour impotent. Il a examiné seulement les trois actes ordinaires de la vie pour la réalisation desquels l’assurée alléguait rencontrer des difficultés. Il a concrètement apprécié les rapports d’enquête à domicile établis par l’office AI le 31.05.2022 et par B.__ SA le 12.10.2022 (produit par l’assurée), ainsi que les procès-verbaux des auditions de l’assurée et de sa fille du 04.05.2023. Il a également relevé que les rapports médicaux figurant au dossier ne relataient pas de difficultés particulières justifiant l’octroi d’une allocation pour impotent. Il a déduit de ce qui précède que l’assurée n’avait pas besoin d’aide régulière importante, directe ou indirecte pour « se lever, s’asseoir et se coucher », « faire sa toilette » et « se déplacer à l’intérieur ou l’extérieur ». Il a en outre nié la réalisation des conditions d’un besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie au sens de l’art. 38 al. 1 RAI.

Par jugement du 29.06.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
L’arrêt attaqué cite les normes et la jurisprudence concernant la notion d’impotence (art. 9 LPGA), les conditions du droit à une allocation pour impotent et les degrés d’impotence (art. 42 LAI et 37 RAI). Il expose en outre les principes jurisprudentiels relatifs aux notions d’aide en relation avec la réalisation des actes ordinaires de la vie (ATF 121 V 88 consid. 3c; 117 V 146 consid. 3; 106 V 153 consid. 2b), de surveillance personnelle permanente (9C_831/2017 du 3 avril 2018 consid. 3.1) et d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie (ATF 133 V 450). Il cite aussi la jurisprudence portant sur le rôle des médecins en matière d’assurance-invalidité (ATF 140 V 193 consid. 3.2), la valeur probante des rapports médicaux (ATF 134 V 231 consid. 5.1), en particulier ceux des médecins traitants (ATF 125 V 351 consid. 3b), et la valeur probante des rapports d’enquête à domicile (ATF 130 V 61 consid. 6.2). Il rappelle finalement l’obligation qu’ont les assurés de réduire leur dommage (ATF 138 I 205 consid. 3.2) et le degré de vraisemblance auquel les faits doivent être établis dans le domaine des assurances sociales (ATF 126 V 353 consid. 5b). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 6.2
Contrairement à ce qu’allègue l’assurée, l’appréciation du tribunal cantonal sur l’accomplissement de l’acte ordinaire « faire sa toilette » n’est pas arbitraire. Au contraire, elle repose pour l’essentiel sur les rapports d’enquête à domicile et les procès-verbaux d’audition auxquels se réfère également prioritairement l’assurée. Ainsi, la fille de l’assurée a certes déclaré assister sa mère pour rentrer et sortir de la baignoire et rester pour s’assurer qu’elle ne tombait pas. Toutefois, d’après les constatations cantonales, qui tiennent compte des déclarations de sa fille et qui lient le Tribunal fédéral, l’assurée a indiqué tant à l’enquêtrice de l’office AI qu’à celle de B.__ SA qu’elle était autonome notamment pour se baigner (dans la mesure où elle possédait un lift de bain) mais qu’elle préférait attendre que sa fille soit présente pour prendre des douches afin de se rassurer ou ne pas prendre de douches sans la présence de sa fille par peur de tomber (sur la portée des déclarations de la première heure, cf. ATF 121 V 45 consid. 2a). En mettant en avant les déclarations faites par sa fille à l’occasion de son audition en première instance, l’assurée ne démontre pas que le moyen auxiliaire qui avait été mis à sa disposition (et dont la remise vise notamment le maintien de l’autonomie de la personne à laquelle il est remis [cf. art. 21 al. 2 LAI]) n’était pas, ou plus, suffisant pour pallier le risque de chutes qu’elle évoque et lui permettre de rentrer et de sortir de la baignoire de façon autonome. Elle n’établit dès lors pas que la présence de sa fille était indispensable. Au contraire, elle se contente de procéder à sa propre appréciation des preuves sans démontrer en quoi celle de la juridiction cantonale serait arbitraire.

Il en va de même lorsque l’assurée essaie de justifier le besoin d’aide pour « faire sa toilette » par le motif que le rapport d’enquête établi par l’office AI serait imprécis ou erroné à propos de sa capacité à se laver au lavabo, laver ses parties intimes, son dos, ses pieds et ses cheveux ou s’épiler sans assistance. L’assurée oublie en effet que les juges cantonaux ne se sont pas contentés de reprendre les conclusions de ce rapport. Ils ont aussi pris en compte le rapport de B.__ SA. Leur appréciation de la situation intègre dès lors les différents actes que l’assurée déclare ne pas pouvoir réaliser. Ainsi, le tribunal cantonal a relevé la contradiction entre les premières déclarations faites par l’assurée à l’office AI et les secondes à B.__ SA quant à son aptitude à se laver au lavabo. Il a en outre constaté qu’elle avait indiqué à B.__ SA être en mesure de se laver les parties intimes même si cela était plus difficile en raison de la position assise. Il a considéré qu’on pouvait exiger d’elle qu’elle utilisât des moyens auxiliaires pour se laver le dos et les pieds. Il a encore relevé que l’assistance de la fille pour lui laver les cheveux visait plus à soulager les bras fatigués par l’utilisation des béquilles que par une incapacité à accomplir l’acte en lui-même. Il ne s’est enfin pas exprimé sur le fait que l’assurée n’était pas capable de s’épiler seule, mais on relèvera à cet égard qu’il ne peut y avoir d’impotence en relation avec des actes qui ne doivent pas être assumés quotidiennement (ATF 147 V 35 consid. 9.2.3; arrêt 9C_562/2016 du 13 janvier 2017 consid. 6.2). L’assurée ne s’en prend pas à ces éléments d’appréciation. Elle n’établit dès lors pas que ceux-ci seraient arbitraires. Son premier grief est par conséquent mal fondé.

 

Consid. 8.1
L’assurée prétend avoir besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie au sens de l’art. 38 al. 1 RAI. Elle soutient en substance que, contrairement à ce qu’ont retenu les juges cantonaux, elle ne peut pas vivre de façon indépendante puisque, ne pouvant se tenir debout sans appui, elle ne participe ni aux tâches ménagères, qui sont accomplies exclusivement par sa fille et par sa tante, ni à la préparation des repas autrement qu’en réchauffant des produits finis ou des aliments préparés à l’avance. Elle prétend par ailleurs ne pas pouvoir entretenir des contacts sociaux conformes à ceux d’une personne de son âge.

Consid. 8.2
Se fondant principalement sur les rapports d’enquête à domicile de l’office AI et de B.__ SA, le tribunal cantonal a en l’espèce nié le besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie. Il a en particulier constaté (plus ou moins explicitement) que l’assurée pouvait faire sa cuisine et son ménage dans la mesure de ses possibilités, qu’elle bénéficiait de l’aide de sa fille (qui était exigible de la part d’un parent proche) ainsi que de l’Institution genevoise de maintien à domicile (Imad) pour les tâches les plus lourdes et qu’elle pouvait se déplacer seule à l’intérieur et à l’extérieur sur de courtes distances ou faire ses courses par internet, de sorte qu’elle conservait son indépendance. Ils ont aussi relevé qu’elle était capable d’organiser et de structurer sa vie, de s’occuper des formalités administratives, de se rendre chez le médecin sans accompagnement ou d’aller au travail deux fois par semaine. Ils ont ajouté qu’une fois ses cours de conduite finalisés, elle bénéficierait d’une autonomie plus étendue pour se déplacer à l’extérieur et établir des contacts sociaux. Ils ont encore nié le risque d’isolement durable, même s’ils ont admis qu’elle sortait peu, dès lors que sa fille était présente tous les jours (du moins pour quelques heures), que sa tante s’était installée chez elle pour l’aider et lui tenir compagnie et qu’elle avait des contacts téléphoniques avec sa mère, ses neveux et une amie d’enfance qui venaient aussi lui rendre visite régulièrement.

L’assurée se limite en l’occurrence à contredire de manière péremptoire les conclusions auxquelles est parvenue la juridiction cantonale. Elle n’avance aucun élément qui démontrerait que les faits auraient été constatés de façon manifestement inexacte ou que leur appréciation serait arbitraire. On précisera encore que, contrairement à ce que prétend l’assurée, les juges cantonaux n’ont nullement évalué l’aide apportée par des tiers dans l’accomplissement du ménage à 1h50 par semaine. Seule l’enquêtrice de l’office AI a fait allusion à ce chiffre en relation avec la durée de l’aide généralement accordée par l’Imad pour le genre de tâches lourdes réalisées par la tante et la fille de l’assurée, en plus des tâches que celle-ci conservait la possibilité d’effectuer. Son grief est dès lors mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_524/2023 consultable ici

 

9C_164/2023 (d) du 29.01.2024 – Délimitation entre le rendement de la fortune et le revenu de l’activité lucrative indépendante en cas de location d’appartements meublés en lien avec l’exploitation d’un hôtel

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_164/2023 (d) du 29.01.2024

 

Arrêt consultable ici (arrêt à 5 juges – non destiné à la publication)

Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS, Sélection de l’OFAS n° 82, 01.05.2024, consultable ici

 

Délimitation entre le rendement de la fortune et le revenu de l’activité lucrative indépendante en cas de location d’appartements meublés en lien avec l’exploitation d’un hôtel / 9 LAVS

 

Dès lors que le traitement du rendement de la fortune fait l’objet de discussions sous l’angle du droit des cotisations, la qualification d’un élément de fortune comme relevant de la fortune privée ou de la fortune commerciale doit avoir lieu dans le cadre de la procédure de fixation des cotisations en matière d’assurances sociales, car la communication des autorités fiscales, pour lesquelles, bien souvent, cette distinction importe peu, ne constitue généralement pas une base fiable à cet égard. Il en va autrement en cas d’aliénation d’éléments patrimoniaux dont la qualification comme fortune privée ou commerciale est contestée. Étant donné que, dans ce cas de figure, la distinction entre fortune commerciale et fortune privée revêt également une importance en droit fiscal, les autorités compétentes en matière d’AVS peuvent, en général, se fier à la communication de l’autorité fiscale et ne doivent procéder à de propres investigations plus détaillées que si de sérieux doutes apparaissent eu égard à son exactitude (cette jurisprudence est confirmée dans l’ATF 147 V 114) (consid. 5.3)

L’assuré exploite un hôtel et est en même temps copropriétaire d’un immeuble comprenant plus de vingt appartements à louer, situé dans le même quartier que l’hôtel. Lesdits appartements sont meublés et leur bail inclut un nettoyage hebdomadaire et un changement de la literie et des serviettes de toilette pour une durée d’au moins un mois (serviced appartments, consid. 6.1 et 8.3). Sur la base d’un rectificatif d’une communication fiscale, la caisse de compensation compétente a prélevé des cotisations AVS sur ces facteurs de revenu pour les années 2015 et 2016.

La question de savoir si la location d’appartements meublés associée à des services supplémentaires doit être qualifiée de revenu de la fortune non soumis à cotisations ou de revenu d’une activité indépendante est contestée devant le Tribunal fédéral.

Dans son premier arrêt, l’instance précédente constate qu’il existe un lien étroit entre l’activité lucrative indépendante exercée à titre principal par l’assuré dans le cadre de l’exploitation d’un hôtel et l’exploitation hôtelière, en quelque sorte élargie, liée à la location des appartements. Selon cette instance, sous sa forme actuelle, la location d’appartements meublés va au-delà d’une simple gérance d’immeuble, profite à l’activité lucrative indépendante et acquiert un caractère d’entreprise (consid. 6.2).

L’assuré fait valoir que les appartements relèvent d’un patrimoine privé, qu’il n’existe pas d’offre équivalente à celle d’un hôtel pour les appartements meublés mis en location, que sur le plan comptable, ceux-ci sont strictement distincts de l’exploitation hôtelière, que l’immeuble dont les appartements sont loués présente un faible taux d’occupation de 40% (consid. 7.2) et qu’il loue ces appartements exclusivement à des locataires stables, soumis à une durée contractuelle minimale d’un mois, et non à des vacanciers (consid. 8.3).

Le Tribunal fédéral renvoie à sa pratique antérieure concernant la location d’appartements (voir à ce sujet le n° 1085 DIN). Le grand nombre d’appartements loués et l’offre de prestations de service qui s’y rapporte, consistant en un nettoyage hebdomadaire et le changement de la literie et des serviettes de toilette, plaident en faveur du fait que la location doit être considérée comme une activité annexe à l’hôtel et qu’il faut donc de partir du principe qu’il s’agit là d’une activité lucrative indépendante (consid. 8.2 et 8.3). Dans l’ensemble, l’assuré est considéré comme indépendant pour ses activités liées à la location des appartements meublés (consid. 8.6).

Du point de vue formel, le tribunal retient ce qui suit : les décisions incidentes ne peuvent être attaquées qu’aux conditions énoncées à l’art. 93 LTF. Si elles ne sont attaquées qu’avec la décision finale, la partie qui attend doit déposer une demande d’annulation de la décision incidente et motiver en quoi elle estime que cette dernière serait erronée et aurait des répercussions sur la décision finale (consid. 1.2 et 1.3)

 

Arrêt 9C_164/2023 consultable ici

Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS, Sélection de l’OFAS n° 82, 01.05.2024, consultable ici

 

8C_547/2023 (f) du 12.04.2024 – Refus de participer à une mesure de marché du travail – Suspension de l’indemnité de chômage / 30 al. 1 LACI – 45 al. 3 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_547/2023 (f) du 12.04.2024

 

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Refus de participer à une mesure de marché du travail – Suspension de l’indemnité de chômage / 30 al. 1 LACI – 45 al. 3 OACI

 

Assuré, né en 1963, titulaire d’une formation de gestionnaire commercial, s’est inscrit en tant que demandeur d’emploi à plein temps auprès de l’ORP le 18.11.2019, en sollicitant l’octroi des prestations de l’assurance-chômage dès cette date.

Par décision du 07.04.2021, l’ORP a suspendu le droit de l’assuré à l’indemnité de chômage pendant 21 jours à compter du 09.01.2021, au motif qu’il avait refusé de participer à une mesure de marché du travail qui lui était proposée sous la forme d’une participation à un programme d’emploi temporaire. Par décision du 01.09.2022, le Service de l’industrie, du commerce et du travail (SICT) a rejeté l’opposition de l’assuré et confirmé la suspension de 21 jours, dans la mesure où les déclarations de l’intéressé étaient contradictoires, se basaient sur des motifs non valables ou non prouvés et où l’emploi proposé était de nature administrative et correspondait à son profil.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a constaté que l’assuré avait adopté un comportement ayant fait obstacle à la mesure de marché du travail proposée. Ses allégations en instance de recours, selon lesquelles il avait pris des vacances pour réaliser un gain intermédiaire en qualité de curateur indépendant, ne suffisaient pas à le dispenser de suivre une telle mesure, d’autant qu’elles étaient contradictoires par rapport aux motifs, non valables, invoqués en procédure administrative. Au demeurant, si cette activité l’empêchait effectivement de participer à la mesure, la question de son aptitude au placement se poserait. En tout état de cause, il n’existait pas de motif valable justifiant le refus de l’assuré de ne pas donner suite à la mesure. En particulier, rien n’indiquait que l’activité de curateur indépendant le sortirait durablement du chômage. L’emploi temporaire proposé était convenable, adapté à sa situation personnelle et à son état de santé, et ne se situait pas à une distance trop éloignée de son domicile. Enfin, l’assuré avait commis une faute pour laquelle la sanction d’une suspension de 21 jours apparaissait comme adaptée et proportionnée au manquement.

Par jugement du 02.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré qui fait valoir des prestations d’assurance doit, avec l’assistance de l’office du travail compétent, entreprendre tout ce qu’on peut raisonnablement exiger de lui pour éviter le chômage ou l’abréger; il lui incombe, en particulier, de chercher du travail, au besoin en dehors de la profession qu’il exerçait précédemment (art. 17 al. 1 LACI). Il est tenu d’accepter tout travail convenable qui lui est proposé et de participer aux mesures relatives au marché du travail lorsque l’autorité l’y enjoint (art. 17 al. 3 let. a LACI).

Consid. 4.2
L’art. 30 al. 1 LACI sanctionne les manquements aux obligations qui incombent à l’assuré par le biais d’une suspension du droit à l’indemnité de chômage. L’assuré doit être suspendu dans son droit aux prestations lorsqu’il est établi que celui-ci n’observe pas les prescriptions de contrôle du chômage ou les instructions de l’autorité compétente, notamment refuse un travail convenable, ne se présente pas à une mesure de marché du travail ou l’interrompt sans motif valable, ou encore compromet ou empêche, par son comportement, le déroulement de la mesure ou la réalisation de son but (art. 30 al. 1 let. d LACI).

L’interprétation de la notion juridique indéterminée « sans motif valable » (art. 30 al. 1 let. d LACI) est une question de droit relevant, en principe, du plein pouvoir d’examen du Tribunal fédéral (arrêt 8C_149/2023 du 14 août 2023 consid. 3.2. et les références).

Consid. 4.3
En vertu de l’art. 45 al. 3 OACI, la suspension dure de 1 à 15 jours en cas de faute légère (let. a), de 16 à 30 jours en cas de faute de gravité moyenne (let. b) et de 31 à 60 jours en cas de faute grave (let. c). Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a adopté un barème indicatif – qui ne saurait toutefois lier les tribunaux (ATF 141 V 365 consid. 2.4) -, lequel prévoit une suspension de 21 à 25 jours en cas de non-présentation à un programme d’emploi temporaire, en tant qu’elle constitue une faute moyenne (Bulletin LACI IC, ch. D79/3.C./1).

La quotité de la suspension du droit à l’indemnité de chômage dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du Tribunal fédéral uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 143 V 369 consid. 5.4.1; 141 V 365 consid. 1.2; 137 V 71 consid. 5.1).

 

Consid. 6.1
Se référant à l’art. 30 al. 1 let. d LACI, l’assuré invoque qu’il disposait d’un motif valable pour renoncer à la mesure et devrait dès lors être protégé dans sa bonne foi.

A cet égard, l’assuré se prévaut de faits qui n’ont pas été constatés par la juridiction cantonale (la fin de son chômage au 18.06.2021, la rémunération tardive de ses mandats de curatelle, le fait qu’il aurait dû remettre ses mandats de curateur en cas d’acceptation de l’emploi temporaire) et qui sont, pour partie tout au moins, étrangers aux circonstances ayant conduit à la sanction. Ce procédé, de nature appellatoire, n’est pas admissible devant le Tribunal fédéral. Par ailleurs, le bien-fondé de la sanction ne dépend pas en l’espèce du point de savoir si l’assuré était de bonne foi ou non, mais de l’existence de motifs valables pour refuser la mesure. Son grief doit donc être écarté.

Consid. 6.2
L’assuré, qui se plaint ensuite d’arbitraire et de violation du principe de proportionnalité dans l’application des art. 17 al. 1 et 30 al. 1 let. d LACI, reproche aux juges cantonaux d’avoir confirmé la sanction alors qu’il aurait satisfait à son obligation de réduire le dommage en prenant des mandats de curatelle.

L’argumentation est mal fondée. En effet, les juges cantonaux ont considéré à juste titre que les mandats de curatelle ne dispensaient pas l’assuré de son devoir de participer à la mesure de marché du travail et qu’il avait par ailleurs invoqué, en premier lieu, d’autres motifs non valables pour justifier son refus de participer au programme d’emploi temporaire. Ils ont notamment constaté que l’assuré avait précisé, en procédure administrative, qu’il n’avait pas refusé l’emploi temporaire en raison de son activité de curateur. Il est pour le surplus établi – et non contesté – que par son comportement, l’assuré a fait obstacle à la mesure. Dans ces circonstances, les juges cantonaux n’ont pas violé le droit fédéral en confirmant l’existence d’une cause de suspension du droit à l’indemnité, ni en confirmant la durée de suspension fixée à 21 jours.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_547/2023 consultable ici

 

8C_546/2023 (f) du 28.03.2024 – Capacité de travail dans l’activité habituelle vs dans une activité adaptée – Revenu d’invalide / Abattement sur le salaire statistique (années de service, limitations fonctionnelles pour un genou) nié

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_546/2023 (f) du 28.03.2024

 

Consultable ici

 

Capacité de travail dans l’activité habituelle vs dans une activité adaptée – Activité habituelle partiellement adaptée aux limitations fonctionnelles – Revenu d’invalide / 16 LPGA

Abattement sur le salaire statistique (années de service, limitations fonctionnelles pour un genou) nié

 

Assuré, né en 1973, travaille depuis 2011 comme opérateur logistique. Le 03.08.2014, il a glissé dans les escaliers à son domicile et ressenti une douleur au genou gauche. Les investigations médicales ont mis en évidence des antécédents opératoires (résection d’un kyste para-méniscal externe) et des troubles dégénératifs débutants. Le spécialiste en chirurgie orthopédique a pratiqué une arthroscopie du genou gauche en mars 2015 puis une arthroscopie et méniscectomie quasi totale du ménisque externe en juin 2017. L’assuré a été en mesure de reprendre son activité à 100% après ces opérations. En octobre 2020, le chirurgien traitant a procédé à l’implantation d’une prothèse unicompartimentale (PUC) externe du genou gauche. A la suite de cette opération, l’assuré a repris progressivement son activité à un taux de 80%. Se fondant sur un rapport de son médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, l’assurance-accidents a, par décision du 21.02.2022, confirmée sur opposition le 03.10.2022, mis un terme au versement des indemnités journalières et à la prise en charge du traitement médical au 30.04.2022, refusé le droit à une rente d’invalidité et accordé à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI), fondée sur un taux de 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 189 – consultable ici)

Par jugement du 01.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Conformément à l’art. 16 LPGA, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu réaliser s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus; ATF 137 V 334 consid. 3.1.1).

Consid. 3.3
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3).

Consid. 3.4
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1). Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Ce principe n’est cependant pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut raisonnablement être exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (cf. art. 43 et 61 let. c LPGA; voir également ATF 139 V 176 consid. 5.2; 125 V 193 consid. 2).

 

Consid. 5.4
Dans ses réponses apportées le 29.10.2022 à un questionnaire soumis par le mandataire de l’assuré, le spécialiste en médecine interne générale et médecin traitant a indiqué, s’agissant de la pleine capacité de travail exigible retenue par l’assureur-accidents, qu’une reprise à plein temps était illusoire, relevant que l’orthopédiste traitant attestait toujours d’une incapacité de travail de 20%. Malgré des activités déjà allégées par l’employeur, l’assuré était toujours gêné au niveau du genou gauche qui enflait et lâchait surtout en fin de journée. Toutes les limitations fonctionnelles retenues par le médecin-conseil étaient exactes, mais l’expérience à sa place actuelle avait démontré qu’il y avait d’autres limitations tenant essentiellement au temps de travail, le médecin traitant énonçant à cet égard un facteur d’épuisement de « l’organe » handicapé souvent ignoré par les experts. Ce faisant, il se prononce sur l’exigibilité au regard de l’activité actuelle exercée par l’assuré. Ses réponses ne sont pas de nature à mettre en doute les conclusions du médecin-conseil quant à la capacité de travail entière dans une activité adaptée qui ne nécessite pas de position en porte-à-faux du membre inférieur gauche, de position à genoux ou accroupie, d’utilisation répétée d’escaliers, de déplacements en terrain accidenté ni de port de charges lourdes. La fatigue de l’articulation du genou liée à l’activité physique de l’assuré a été en outre expressément prise en compte par le médecin-conseil. Par ailleurs, rien au dossier ne permet d’attester une adaptation du poste de travail respectivement un allègement des activités par l’employeur. En l’état, l’activité d’opérateur logistique, reprise à 80%, n’est pas adaptée aux séquelles de l’accident. Au regard de la description du poste de travail contenue dans les rapports d’entretien de l’assureur-accidents, il s’agit d’une activité physique avec des ports de charges jusqu’à 30 kg, avec pour tâches principales la manutention de colis, la gestion du stock et le chargement des camions. Compte tenu en particulier du port de charges, cette activité n’est pas raisonnablement exigible.

Consid. 5.5
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’écarter de la capacité de travail de 100% dans une activité adaptée retenue par l’assurance-accidents sur la base de l’appréciation de son médecin-conseil.

 

Consid. 6.2.1
Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 419 consid. 5.3, 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb).

Consid. 6.2.2
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.2.3
En l’espèce, la prise en compte d’un abattement lié aux années de service n’est pas justifiée dans le cadre du choix du niveau de compétences 1 de l’ESS, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (arrêt 8C_706/2022 du 5 décembre 2023 consid. 6.3.1 et l’arrêt cité).

Pour le surplus, les séquelles de l’accident ne sont pas de nature à justifier un abattement. Les limitations au genou gauche ne restreignent la capacité de l’assuré que dans certaines positions (position en porte-à-faux du membre inférieur gauche, position à genoux et accroupie) et situations bien particulières (utilisation répétée d’escaliers, déplacement en terrain accidenté, port de charges lourdes). Ces limitations, qui ne sont pas inhabituelles, sont compatibles avec des activités simples et légères, et ne requièrent pas des concessions telles, de la part d’un employeur, qu’un abattement sur le salaire tiré de l’ESS s’imposerait pour en tenir compte.

C’est ainsi à bon droit que la cour cantonale n’a procédé à aucun abattement.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_546/2023 consultable ici

 

8C_438/2023 (i) du 18.03.2024, destiné à la publication – Prestations transitoires pour chômeurs âgés : la consommation excessive de la fortune, antérieure à la naissance du droit aux prestations, n’est pas prise en compte

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_438/2023 (i) du 18.03.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 24.04.2024 consultable ici

 

Prestations transitoires pour chômeurs âgés : la consommation excessive de la fortune, antérieure à la naissance du droit aux prestations, n’est pas prise en compte / 13 LPtra

 

Pour décider d’un éventuel droit aux prestations transitoires pour les chômeurs âgés, le fait que la personne concernée ait auparavant consommé excessivement sa fortune n’est pas pris en compte, contrairement à ce qui est le cas en matière de prestations complémentaires. Le Tribunal fédéral rejette le recours de la Caisse de compensation du canton du Tessin.

En septembre 2022, une personne assurée, domiciliée dans le canton du Tessin, a demandé à percevoir des prestations transitoires pour les chômeurs âgés. Sa requête a été rejetée par la Caisse cantonale de compensation AVS/AI/APG, dès lors qu’au cours des dix-huit mois environ précédant le dépôt de la demande, l’assuré avait dépensé plus de 120’000 francs de son avoir de libre passage versé par sa caisse de pension, sans en indiquer le motif. De l’avis de la caisse de compensation, cela équivalait à un dessaisissement volontaire, par consommation excessive de la fortune, pour un montant de 71’000 francs. En tenant compte de ce montant, la fortune du requérant excédait le seuil d’éligibilité de 50’000 francs. En 2023, le Tribunal cantonal du canton du Tessin a admis le recours de la personne assurée ; selon la loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (LPtra), entrée en vigueur le 1er juillet 2021, une consommation excessive de la fortune ne doit être prise en compte que si elle intervient après la naissance du droit aux prestations transitoires. Tel n’était pas le cas en espèce, puisque le droit du requérant n’avait en principe pris naissance qu’après le versement de la dernière prestation de l’assurance-chômage à fin novembre 2022. L’affaire a été renvoyée à la caisse de compensation pour nouvelle décision.

Le Tribunal fédéral rejette le recours de la caisse de compensation. Cette dernière a notamment fait valoir que la décision du Tribunal cantonal créait des problèmes de coordination entre prestations transitoires et prestations complémentaires. Selon le Tribunal fédéral, la volonté claire du législateur était d’aligner autant que possible le système des prestations transitoires sur celui des prestations complémentaires. La jurisprudence en matière de prestations complémentaires peut ainsi en principe être prise en considération comme aide à l’interprétation des dispositions relatives aux prestations transitoires. Il s’agit toutefois de faire une exception pour le dessaisissement volontaire en cas de consommation excessive de la fortune. En vertu de l’art. 13 al. 3 LPtra, seul le temps écoulé à partir de la naissance du droit aux prestations est déterminant à cet égard. La loi ne prévoit pas de clause de rétroactivité, contrairement à ce qui est le cas en matière de prestations complémentaires ; une consommation excessive de la fortune est également prise en compte en matière de prestations complémentaires lorsqu’elle intervient dans les dix années qui précèdent la naissance du droit à la rente AVS.

 

Arrêt 8C_438/2023 consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 24.04.2024 consultable ici

 

4A_169/2023 (f) du 31.01.2024, destiné à la publication – Assurance complémentaire LCA d’un capital en cas d’invalidité – Notion d’assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale au sens de l’art. 7 CPC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_169/2023 (f) du 31.01.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Assurance complémentaire LCA d’un capital en cas d’invalidité – Notion d’assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale au sens de l’art. 7 CPC

Compétence ratione materiae de la Cour cantonale des assurances sociales

 

L’assuré a souscrit auprès de B.__ SA (ci-après: la société d’assurance) une « assurance d’un capital en cas d’invalidité ou décès par suite d’accident » (ci-après: l’assurance), qui indique que le risque assuré est celui de l’accident. L’assurance prévoit le versement d’un capital de 5’000 fr. en cas de décès et de 100’000 fr. en cas d’invalidité, ce montant-ci pouvant être augmenté en application des conditions particulières de l’assurance.

Dans la nuit du 25.07.2020 au 26.07.2020, l’assuré a subi un accident. Par décision du 12.02.2022, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité et, en application des art. 24 et 25 LAA, une IPAI de 103’740 francs.

 

Procédure cantonale

Le 24.11.2022, l’assuré a ouvert une action en paiement auprès de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal à l’encontre de la société d’assurance, concluant au versement d’un montant de 350’000 fr., intérêts en sus.

Par jugement du 16.02.2023, la Cour des assurances sociales a déclaré l’action irrecevable. La cour cantonale a jugé que l’assurance litigieuse ne pouvait être qualifiée d’assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale au sens de l’art. 7 CPC, de sorte qu’elle n’était pas compétente ratione materiae. En substance, la cour cantonale a retenu que le capital assuré en cas d’invalidité, soit 100’000 fr., excédait les limites de l’art. 14 de l’ordonnance sur l’assurance-maladie (OAMal) et que le versement d’un capital invalidité n’était plus prévu par l’art. 1 let. a de l’ordonnance sur la surveillance de l’assurance-maladie sociale (OSAMal). En outre, ledit capital servait à couvrir non pas une perte de salaire due à une incapacité de travail pour cause de maladie, à l’instar des indemnités journalières prévues par la loi fédérale sur le contrat d’assurance (LCA) et qui sont complémentaires à l’assurance-maladie sociale, mais une incapacité de gain durable.

 

TF

Consid. 1
En tant qu’elle s’est déclarée incompétente ratione materiae, la cour cantonale a mis fin à la procédure devant elle. Contrairement à ce que soutient l’assuré, il ne s’agit donc pas d’une décision incidente portant sur la compétence (art. 92 LTF), mais d’une décision finale (art. 90 LTF; cf. arrêt 4A_275/2021 du 11 janvier 2022 consid. 2.1, non publié in ATF 148 III 172).

Dans la mesure où la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton du Valais a rendu la décision attaquée en qualité d’instance cantonale unique au sens de l’art. 7 CPC (art. 5 al. 1 let. a de la loi du canton du Valais du 11 février 2009 d’application du code de procédure civile suisse [LACPC/VS; RS/VS 270.1]; cf. art. 75 al. 2 let. a LTF et ATF 138 III 799 consid. 1.1), le présent recours est ouvert sans égard à la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF). […]

 

Consid. 3.3
C’est à tort que la cour cantonale et l’assuré ont fait référence aux « autres branches d’assurance » au sens de l’art. 14 aOAMal et de l’art. 1 let. a OSAMal, dans la mesure où ces dispositions se réfèrent à l’actuel art. 2 al. 2 de la loi fédérale sur la surveillance de l’assurance-maladie sociale (LSAMal), qui ne vise que les caisses-maladie. Ce faisant, ils perdent en effet de vue qu’une assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale peut être conclue tant avec une caisse-maladie qu’avec une entreprise d’assurance privée (cf. infra consid. 4.2).

 

Consid. 4
Est litigieuse la compétence ratione materiae de la cour cantonale au regard de l’art. 7 CPC pour connaître du litige portant sur l’assurance complémentaire d’un capital en cas d’invalidité ou décès par suite d’accident, soumise à la LCA.

Consid. 4.1
Selon l’art. 7 CPC, les cantons peuvent instituer un tribunal qui statue en tant qu’instance cantonale unique sur les litiges portant sur les assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale selon la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal).

Cette disposition a été introduite sur proposition des Chambres fédérales pour permettre aux cantons de déroger au double degré de juridiction qu’impose l’art. 75 LTF (cf. art. 75 al. 2 let. a LTF) et de conserver l’instance cantonale unique à laquelle ils étaient habitués et à laquelle étaient soumis les litiges relatifs tant à l’assurance-maladie sociale elle-même que ceux relatifs aux assurances complémentaires à celle-ci. Comme les litiges en matière d’assurance-maladie sociale ne sont, de par la loi, pas soumis à l’exigence d’un double degré de juridiction, les cantons devaient pouvoir prévoir qu’un tribunal unique puisse examiner aussi les litiges relatifs à l’assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale. Cela devait permettre aussi au même tribunal de statuer sur ces deux types d’assurances (BO 2007 CE 500-501 et 644).

L’initiative parlementaire 13.441 déposée le 21 juin 2013 par Mauro Poggia, qui visait à également soumettre à un tribunal unique les litiges relevant de l’assurance complémentaire à l’assurance-accidents obligatoire, a été classée. Ces litiges ne sont donc pas soumis à l’art. 7 CPC (PATRICIA DIETSCHY-MARTENET, in Petit commentaire, Code de procédure civile, 2021, no 7 ad art. 7 CPC).

Selon la jurisprudence, si le canton a fait usage du choix que lui offre l’art. 7 CPC, il doit soumettre tous les litiges portant sur les assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale à un tribunal unique (ATF 138 III 558 consid. 3.1). Le tribunal unique appliquera la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) à la partie assurance-maladie sociale et la LCA à la partie assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale. C’est le recours en matière civile au Tribunal qui est ouvert contre la partie assurance complémentaire, sans égard à la valeur litigieuse (ATF 138 III 799 consid. 1.1, 2 consid. 1.2.2).

Consid. 4.2
Il découle du but visé par l’art. 7 CPC, à savoir de déroger au double degré de juridiction prévu par l’art. 75 LTF, que cette disposition doit être interprétée de manière restrictive.

Pour satisfaire au critère de la complémentarité à l’assurance-maladie sociale que l’art. 7 CPC exige, il faut que l’assurance soit complémentaire à la LAMal par les risques couverts et par les prestations qu’elle offre. Autrement dit, il faut, premièrement, que l’assurance complémentaire litigieuse couvre des risques prévus par la LAMal, c’est-à-dire la maladie, l’accident ou la maternité (ces trois risques étant visés par l’art. 1a al. 2 LAMal) et, secondement, que les prestations litigieuses soient destinées à compléter, c’est-à-dire à améliorer, les prestations de base prévues par la LAMal, à l’exclusion des prestations prévues par d’autres lois sociales (dans ce sens, arrêt 4A_12/2016 du 23 mai 2017 consid. 1.2; KATHARINA ANNA ZIMMERMANN, Zusatzversicherungen zur sozialen Krankenversicherung, 2022, p. 48 n. 89; HANS-JAKOB MOSIMANN, in Schweizerische Zivilprozessordnung, Brunner et al. [édit.], vol. I, 2e éd. 2016, no 2 ad art. 7 CPC et les références citées; DIETSCHY-MARTENET, op. cit., no 4 ad art. 7 CPC et les références citées; HAAS/SCHLUMPF, in Kurzkommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3e éd. 2021, no 5 ad art. 7 CPC). N’est en revanche pas déterminante la question de savoir si l’assureur est une caisse-maladie ou une entreprise d’assurance privée (ATF 141 III 479 consid. 2.1; DIETSCHY-MARTENET, op. cit., no 3 ad art. 7 CPC; HAAS/SCHLUMPF, loc. cit.).

Il en découle que si le risque assuré n’est pas l’un ou plusieurs des trois risques susmentionnés, l’art. 7 CPC n’est pas applicable. Cette disposition n’est pas non plus applicable si les prestations offertes ne complètent pas le catalogue de prestations de la LAMal, par exemple si les prestations sont destinées à améliorer les prestations de la LAA.

Consid. 4.3
En l’espèce, il faut donc examiner, dans une première étape, si le risque assuré par l’assurance litigieuse est l’un ou plusieurs des trois risques couverts par la LAMal, puis, si tel est le cas, déterminer, dans une seconde étape, si les prestations de l’assurance litigieuse viennent compléter celles de la LAMal ou d’une autre assurance.

Il n’est pas contesté que l’assurance litigieuse couvre le risque d’accident, de sorte que la condition exigée dans la première étape est remplie.

Il convient donc de déterminer si la prestation de l’assurance litigieuse, soit le versement d’un capital de 100’000 fr. en cas d’invalidité suite à un accident, vient compléter les prestations de la LAMal ou d’une autre assurance, par exemple la LAA. Comme l’admet lui-même l’assuré, dite prestation peut être qualifiée de complément à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité au sens des art. 24 et 25 LAA. En l’occurrence, elle viendrait s’ajouter au montant en capital déjà octroyé à ce titre à l’assuré par l’assurance-accidents par décision du 12.02.2022. Force est donc de constater que la prestation litigieuse vient compléter le catalogue de prestations de la LAA et, donc, qu’elle ne constitue pas une assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale au sens de l’art. 7 CPC (cf. ZIMMERMANN, op. cit., p. 113 n. 222).

Dès lors, l’art. 7 CPC n’est pas applicable en l’espèce et c’est à bon droit que la cour cantonale s’est déclarée incompétente ratione materiae.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_169/2023 consultable ici

 

4A_477/2022 (f) du 06.02.2024 – Tarif des traitements stationnaires – Assurance complémentaire d’hospitalisation – Interprétation des CGA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_477/2022 (f) du 06.02.2024

 

Consultable ici

 

Tarif des traitements stationnaires – Assurance complémentaire d’hospitalisation – Interprétation des CGA

Fixation par l’assureur des tarifs maximaux lorsqu’il ne reconnaît pas les tarifs d’une division hospitalière et des honoraires médicaux stationnaires privés

 

L’assurée bénéficie d’une couverture d’assurance maladie obligatoire (LAMal) ainsi que de trois couvertures d’assurances complémentaires (LCA) auprès d’une caisse-maladie (ci-après: l’assureur), dont l’une couvre les prestations d’hospitalisation en division « mi-privée » avec libre choix du médecin et de l’hôpital (ci-après: l’assurance-hospitalisation).

Par courrier du 03.12.2018, l’assureur a fait savoir à l’Association D.__ que les tarifs pratiqués par bon nombre de ses médecins adhérents pour les traitements stationnaires qu’ils prodiguaient à charge de l’assurance complémentaire d’hospitalisation étaient excessifs; il avait tenté de négocier avec l’Association D.__ pour instaurer des tarifs dans le cadre de cette assurance; au vu de l’échec de ces négociations, il en était réduit à faire figurer la « facturation stationnaire » des médecins hospitaliers du canton de Genève (pour les interventions semi-privées et privées effectuées dans les cliniques privées du canton) sur la liste des hôpitaux sans couverture intégrale des frais pour les assurances-hospitalisation. En conséquence, à compter du 01.01.2019, les « prestations LCA » des médecins (salariés ou agréés) pratiquant en division semi-privée et privée dans les cliniques privées du canton pourraient seulement être remboursées à hauteur des tarifs et règles qu’un autre assureur (E.__ SA) avait conclu avec l’Association D.__ (ci-après : la convention D.__-E.__) avec effet au 01.01.2018. En cas de traitement dans l’un des établissements concernés, l’assureur ne pourrait donc pas garantir la prise en charge intégrale des coûts.

L’assurée ayant appris dans le courant du mois d’octobre 2018 qu’elle était enceinte, elle a pris contact avec l’établissement Clinique F.__ SA (ci-après: la clinique) en vue de son accouchement. De son côté, la clinique a fait parvenir à l’assureur, le 28.02.2019, une demande de garantie de paiement en division semi-privée, en prévision du terme qui était prévu le 07.06.2019.

Par pli du 17.05.2019, l’assureur a informé la clinique, avec copie à l’assurée et à son médecin-traitant, qu’il accordait la garantie de paiement demandée avec la restriction suivante: la convention D.__-E.__ servirait de référence tarifaire.

Par courrier séparé du 17.05.2019 à l’assurée, l’assureur s’est dit au regret de lui signaler qu’il se pouvait qu’une partie des coûts de son futur séjour hospitalier ne soit pas couverte : malgré les démarches entreprises, l’assureur n’avait pas été en mesure de trouver un accord avec les médecins de la clinique. Aussi a-t-il recommandé à l’assurée de demander à tous ses médecins traitants de confirmer préalablement par écrit qu’ils respecteraient la convention D.__-E.__. A défaut, il se pouvait qu’elle doive faire face à des coûts non couverts. Des documents étaient joints pour signature par lesdits médecins.

Le 29.05.2019, l’assurée a écrit à l’assureur pour lui faire part de sa surprise de découvrir, à trois semaines du terme prévu de sa grossesse, les restrictions tarifaires évoquées. L’assureur lui a alors répondu qu’il ne pouvait aller au-delà des tarifs en cause, par égard pour l’ensemble des assurés soumis aux mêmes restrictions.

Le 14.06.2019, l’assurée a accouché à la clinique, où elle a séjourné jusqu’au 20.06.2019. Sur l’ensemble des factures remboursées par l’assureur, il subsiste une différence de 1’222 fr. que l’assurée a réglée elle-même.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/776/2022 – consultable ici)

Par jugement du 06.09.2022, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Les dispositions contractuelles et les conditions générales d’assurance expressément incorporées au contrat doivent être interprétées selon les mêmes principes juridiques (ATF 142 III 671 consid. 3.3; 135 III 1 consid. 2, 410 consid. 3.2; 133 III 675 consid. 3.3).

En présence d’un litige sur l’interprétation d’une clause contractuelle, le juge doit tout d’abord s’efforcer de déterminer la réelle et commune intention des parties, sans s’arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO); s’il y parvient, il s’agit d’une constatation de fait qui lie en principe le Tribunal fédéral conformément à l’art. 105 LTF.

Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si leurs volontés intimes divergent, le juge doit interpréter les déclarations faites et les comportements selon la théorie de la confiance; il recherchera ainsi comment une déclaration ou une attitude pouvait et devait être comprise de bonne foi en fonction de l’ensemble des circonstances (ATF 142 III 671 consid. 3.3; 140 III 134 consid. 3.2; 138 III 29 consid. 2.2.3). L’application du principe de la confiance est une question de droit que le Tribunal peut examiner librement (art. 106 al. 1 LTF); cependant, pour trancher cette question, il doit se fonder sur le contenu de la manifestation de volonté et sur les circonstances, dont la constatation relève du fait (ATF 135 III 410 consid. 3.2).

Consid. 4.2
Lorsque l’assureur, au moment de conclure le contrat, présente des conditions générales, il manifeste la volonté de s’engager selon les termes de ces conditions; si une volonté réelle concordante n’a pas été constatée, il faut donc se demander comment le destinataire de cette manifestation de volonté pouvait la comprendre de bonne foi. Cela conduit à une interprétation objective des termes contenus dans les conditions générales, même si elle ne correspond pas à la volonté intime de l’assureur (cf. ATF 136 III 186 consid. 3.2.1; 135 III 295 consid. 5.2).

Si l’interprétation selon le principe de la confiance ne permet pas de dégager le sens de clauses ambiguës, celles-ci sont à interpréter contre l’assureur qui les a rédigées, en vertu de la règle « in dubio contra stipulatorem » (ATF 133 III 61 consid. 2.2.2.3; 126 V 499 consid. 3b; 124 III 155 consid. 1b; 122 III 118 consid. 2a; 119 II 368 consid. 4b). L’art. 33 LCA, en tant qu’il prévoit que les clauses d’exclusion sont opposables à l’assuré uniquement si elles sont rédigées de façon précise et non équivoque, est une concrétisation de ce principe (ATF 115 II 264 consid. 5a; arrêt 5C.134/2002 du 17 septembre 2002 consid. 3.1). Conformément au principe de la confiance, c’est en effet à l’assureur qu’il incombe de délimiter la portée de l’engagement qu’il entend prendre et le preneur n’a pas à supposer des restrictions qui ne lui ont pas été clairement présentées (ATF 133 III 675 consid. 3.3; sous une forme résumée: ATF 135 III 410 consid. 3.2). Pour que cette règle trouve à s’appliquer, il ne suffit pas que les parties soient en litige sur la signification à donner à une déclaration; encore faut-il que celle-ci puisse de bonne foi être comprise de différentes façons (« zweideutig ») et qu’il soit impossible de lever autrement le doute créé, faute d’autres moyens d’interprétation (ATF 122 III 118 consid. 2d; 118 II 342 consid. 1a; 100 II 144 consid. 4c).

Consid. 4.3
De surcroît, la validité d’une clause contenue dans des conditions générales préformulées est limitée par la règle dite de la clause insolite (ATF 135 III 1 consid. 2.1), laquelle soustrait de l’adhésion censée donnée globalement à des conditions générales, toutes les clauses insolites sur lesquelles l’attention de la partie la plus faible ou la moins expérimentée en affaires n’a pas été spécialement attirée (sur la notion de clause insolite : ATF 138 III 411 consid. 3.1; 135 III 1 consid. 2.1, 225 consid. 1.3). En particulier, la règle de la clause insolite peut trouver application lorsque la clause a pour effet de réduire drastiquement la couverture d’assurance de telle sorte que les risques les plus fréquents ne sont plus couverts (arrêt 4A_152/2017 du 2 novembre 2017 consid. 4.3 et les références).

 

Consid. 5
La cour cantonale a bâti son raisonnement sur ce canevas.

L’art. 4.6 CCA 2010 était rédigé comme suit: « Lorsqu’un hôpital ne connaît aucun critère de classification pour les divisions hospitalières ou en applique d’autres que ceux mentionnés ci-dessus ou lorsque les tarifs d’une division ne sont pas reconnus par l’assureur, il s’agit alors d’une division privée. L’assureur peut fixer des tarifs maximaux, considérés comme critère pour le classement des divisions assurées. L’assureur tient une liste des hôpitaux qui ne disposent d’aucune division privée, mi-privée ou commune au sens des présentes dispositions. Cette liste est constamment mise à jour et peut être consultée auprès de l’assureur ou un extrait peut en être demandé. ».

Le Tribunal fédéral s’était déjà penché sur le sens de cette disposition contractuelle dans une affaire opposant l’assureur à un autre assuré (cf. arrêt 4A_578/2019 du 16 avril 2020 consid. 4.4 à 4.6.3). Procédant à une interprétation objective, il avait jugé qu’elle constituait un droit formateur contractuellement réservé permettant à l’assureur de fixer des tarifs maximaux s’il ne reconnaissait pas les tarifs d’une division hospitalière.

Contrairement à ce que l’assurée professait, cet article ne visait pas exclusivement les frais de séjour hospitaliers, mais également les honoraires médicaux stationnaires privés (frais de traitement prodigués par les médecins salariés ou agréés par la clinique). Tel était le résultat d’une interprétation selon le principe de la confiance. Il fallait en effet lire l’art. 4.6 CCA 2010 en parallèle de l’art. 36.1 CGA 2007 selon lequel « les honoraires convenus entre l’assuré et le fournisseur de prestations n’engagent pas l’assureur. L’assureur ne s’engage à verser des prestations que dans le cadre des tarifs qu’il reconnaît » et l’art. 7.1 CCA 2010 aux termes duquel « si et aussi longtemps que les conditions relatives à l’octroi des prestations sont remplies, les prestations couvrent tous les frais de séjour et de traitement scientifiquement reconnus, dans un hôpital de soins aigus, ainsi que les frais de traitement des médecins en fonction de l’assurance convenue (division commune, mi-privée ou privée) et selon le tarif reconnu par l’assureur ».

Cette clause n’avait rien d’insolite. Un raisonnement a maiore ad minus fondé sur un arrêt du Tribunal fédéral relatif à une clause plus incisive, puisqu’elle prévoyait que les prestations ne seraient versées qu’en cas de séjour dans un hôpital avec lequel une convention tarifaire avait été conclue (ATF 133 III 607), le mettait en lumière. Par ailleurs, dans le cadre des assurances complémentaires, les restrictions à la couverture d’assurance étaient courantes. L’art. 4.6 CCA 2010 s’inscrivait bien dans cette ligne.

Enfin, cette clause n’était pas contraire au principe de la bonne foi. L’assureur avait averti l’assurée le 17.05.2019 qu’il entendait fixer un plafond correspondant aux tarifs figurant dans la convention D.__-E.__, dans le cadre du séjour que l’assurée entendait faire à la clinique; la garantie de paiement en vue de cette hospitalisation serait octroyée dans la limite de ces tarifs. A quoi s’ajoutait que la convention D.__-E.__ liait une association importante du corps médical local à un acteur majeur de l’assurance-maladie en Suisse; les limites tarifaires prévues dans ce document avaient dès lors une certaine représentativité. Finalement, il existait une différence assez faible entre les frais facturés et ceux pris en charge par l’assureur. Et s’il importait à l’assurée d’être intégralement remboursée, son choix aurait pu se porter sur un autre établissement, dont les tarifs en division semi-privée étaient reconnus par l’assureur.

Pour tous ces motifs, la demande en paiement se révélait mal fondée.

 

Consid. 6
L’assurée décoche une série de griefs à l’encontre de cette analyse.

Consid. 6.1
En premier lieu, le tarif médical privé pratiqué par ses médecins constituerait, à l’en croire, un « tarif privé usuel » au sens de l’art. 36 al. 2 CGA 2007 lequel dispose : « L’assureur reconnaît les tarifs acceptés par les assurances sociales suisses et les tarifs privés usuels. Les dispositions des Conditions complémentaires d’assurance qui diffèrent de celles-ci demeurent réservées ».

L’assurée ne prétend toutefois avoir allégué quoi que ce soit dans ses écritures à ce sujet, elle ne se réfère à aucun élément de preuve au dossier corroborant son affirmation et l’arrêt attaqué est muet sur cette thématique. Même si le présent différend est régi par la maxime inquisitoire sociale, l’assurée était tenue de soumettre au tribunal la trame factuelle sur laquelle le jugement devait porter. Elle n’affirme pas l’avoir fait sur le point qui l’occupe. Certes, elle soutient que la différence « assez faible » entre les prestations remboursées et celles demeurant à sa charge en serait la démonstration éloquente. Cela étant, cette différence ne lui a pas paru si minime lorsqu’elle a formé recours. Pour finir, l’art. 36 al. 1 CGA 2007 réserve expressément les dispositions contraires des CCA et l’art. 4.6 CCA compte parmi celles-ci. Partant, le grief doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.

 

Consid. 6.2
L’assurée fait valoir que l’adaptation du contrat d’assurance aurait nécessité une information préalable, laquelle lui aurait ouvert le droit de résilier ledit contrat pour la prochaine échéance. Elle laisse toutefois le lecteur dans l’expectative sur les conséquences à en tirer, de sorte que cette ébauche de grief s’avère irrecevable.

 

Consid. 6.4
Dans un grief subsidiaire, l’assurée fait valoir que l’interprétation de l’article querellé selon le principe de la confiance mènerait à un tout autre résultat que celui auquel ont abouti les juges cantonaux.

Sa vision restrictive de l’art. 4.6 CCA 2010 ne convainc toutefois pas. L’art. 36.1 CGA 2007 ainsi que l’art. 7.1 CCA 2010 apportent un éclairage suffisamment révélateur : l’assurée ne pouvait comprendre en toute bonne foi, si elle lisait ces dispositions en parallèle, que seuls les frais de séjour hospitaliers – à l’exclusion des frais de traitement des médecins salariés ou agréés par l’hôpital en cause – étaient susceptibles d’être plafonnés par un tarif. Il ne s’agit pas de deux domaines complètement distincts et l’assureur ne les a pas disséqués de la sorte dans les conditions d’assurance. Certes, pour répondre à un autre argument de l’assurée, l’assureur eût pu être encore plus explicite dans les termes utilisés. Ceci ne change toutefois rien à la rectitude de l’analyse opérée par les juges cantonaux, dans la droite ligne de l’arrêt 4A_578/2019 déjà cité lequel, n’en déplaise à l’assurée, portait non seulement sur des frais de séjour à l’hôpital mais aussi sur des prestations médicales supplémentaires non-couvertes par l’assurance obligatoire.

Consid. 6.5
Dans un baroud d’honneur, l’assurée estime qu’une semblable restriction, larvée dans une clause ambiguë, aurait dû lui être clairement présentée. Elle semble vouloir tirer avantage du principe in dubio contra stipulatorem qui ne trouve pourtant pas vocation à s’appliquer puisque les juges cantonaux ont dégagé le sens de la clause querellée en faisant appel au principe de la confiance. Cet ultime grief doit donc être rejeté, tout comme les précédents.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 4A_477/2022 consultable ici

 

9C_392/2023 (f) du 26.02.2024 – Révision d’une rente d’invalidité – 17 LPGA / Valeur probante du rapport médical (attestant une amélioration de la capacité de travail) niée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_392/2023 (f) du 26.02.2024

 

Consultable ici

 

Révision d’une rente d’invalidité / 17 LPGA

Valeur probante du rapport médical (attestant une amélioration de la capacité de travail) du médecin traitant niée

La modification de la capacité de travail doit être corroborée par un changement clairement objectivé de la situation clinique

 

Par décisions des 03.01.2020 et 10.02.2020, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité et à une allocation pour impotent de degré faible dès le 01.02.2019. L’administration a ensuite réduit la rente entière d’invalidité à trois quarts de rente à compter du 01.12.2020 (décision du 09.10.2020), au terme d’une procédure de révision initiée en mars 2020. Elle a également nié le droit de l’assuré à des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle et à des mesures d’ordre professionnel autres qu’une aide au placement (décision du 12.10.2020).

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a examiné l’évolution de l’état de santé de l’assuré entre la décision du 03.01.2020, par laquelle l’office AI lui avait reconnu le droit à une rente entière d’invalidité dès le 01.02.2019, et la décision du 09.10.2020 de réduction de la rente entière à trois quarts de rente à compter du 01.12.2020. Elle est parvenue à la conclusion que les différents avis médicaux versés au dossier démontraient un changement important des circonstances propre à influencer le taux d’invalidité à compter du 10.12.2019, date à partir de laquelle l’assuré était en mesure d’exercer à mi-temps une activité adaptée respectant ses limitations fonctionnelles. En conséquence, elle a nié la nécessité d’une expertise indépendante, comme le requérait l’assuré.

Par jugement du 23.05.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Le Tribunal fédéral annule une décision au titre de l’arbitraire dans l’appréciation des preuves ou la constatation des faits uniquement si la décision litigieuse est manifestement insoutenable, si elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, si elle viole gravement une disposition légale ou un principe juridique indiscuté ou si elle heurte de façon choquante le sentiment de la justice et de l’équité. Pour parvenir à une telle solution, non seulement la motivation, mais aussi le résultat de la décision doivent être arbitraires. L’existence d’une autre solution, même préférable à celle retenue, ne saurait suffire (cf. ATF 140 III 264 consid. 2.3; 139 III 334 consid. 3.2.5 et les références).

Consid. 3.2
A l’appui de son recours, l’assuré se prévaut d’une violation du droit (art. 28 ss LAI et art. 17 LPGA), ainsi que d’un établissement des faits et d’une appréciation des preuves arbitraires. Il reproche en substance à la juridiction cantonale de s’être fondée « entièrement » sur le rapport de la doctoresse B.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation, du 08.04.2020, dont il remet en cause la valeur probante, pour admettre que sa capacité de travail s’était améliorée à compter du 10.12.2019. L’assuré conteste également l’évaluation de son taux d’invalidité, ainsi que le refus de lui octroyer un reclassement ou des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle.

Consid. 4.1
En l’espèce, l’assuré a présenté une incapacité totale de travail depuis le 11.02.2018 en relation avec une paraplégie AIS B de niveau D9 sur ischémie médullaire après dissection aortique de type Stanford B, à la suite de laquelle l’office AI lui a reconnu le droit à une rente entière d’invalidité à compter du 01.02.2019 (décision du 03.01.2020). Par décision du 09.10.2020, l’administration a ensuite diminué la rente entière à trois quarts de rente avec effet au 01.12.2020. Selon les docteurs D.__ et E.__, médecins au SMR de l’AI, les pièces médicales en leur possession démontraient une stabilité de l’état de santé et un degré d’autonomie compatible de l’assuré avec une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée à compter du 10.12.2019. La juridiction cantonale a confirmé la décision du 09.10.2020, en se référant notamment à la jurisprudence selon laquelle une amélioration de la capacité de travail peut être atteinte même lorsque l’état de santé ne s’est pas modifié, parce que l’assuré a appris à gérer son handicap et à acquérir une certaine autonomie au quotidien (sur ce point, cf. ATF 147 V 167 consid. 4.1; 144 I 103 consid. 2.1; 130 V 343 consid. 3.5 et les références).

Consid. 4.2
S’agissant d’abord de l’évaluation de sa capacité de travail, l’assuré reproche à la juridiction de première instance d’avoir procédé à une « sélection médicale » afin de « brosser un tableau positif » de son état de santé et d’avoir passé sous silence ses très nombreuses limitations fonctionnelles. Il s’en prend également à la valeur probante du rapport de la doctoresse B.__ du 08.04.2020, qui, selon lui, aurait été rédigé à la « va-vite » et contiendrait des « erreurs multiples ». A cet égard, l’assuré affirme que sa médecin traitante se serait « manifestement trompée » quant à son état de santé sur plusieurs points et que l’instance précédente aurait dès lors dû accéder à sa demande de mettre en œuvre une expertise.

Consid. 4.3
L’argumentation de l’assuré est fondée en tant qu’elle démontre une constatation manifestement inexacte des faits et une appréciation arbitraire des preuves par la juridiction cantonale. Certes, après avoir d’abord attesté une incapacité totale de travail dans toute activité dès le 19.07.2018 (rapport de la doctoresse B.__ et des docteurs F.__, spécialiste en médecine interne générale, et G.__, médecin assistant, du 06.09.2018), la doctoresse B.__ a conclu à une capacité de travail de quatre heures par jour dans une activité adaptée (rapport du 08.04.2020). Cela étant, dans son rapport du 08.04.2020, la médecin traitante n’a pas motivé son point de vue, ni ne s’est référée à des observations qu’elle aurait faites lors de la consultation du 10.12.2019. Ainsi, à la question « Combien d’heures de travail par jour peut-on raisonnablement attendre de votre patient/patiente dans une activité qui tienne compte de l’atteinte à la santé? », la doctoresse B.__ a seulement répondu « 4 Hs ». Par ailleurs, dans ce même rapport du 08.04.2020, appelée à donner son pronostic quant à la capacité de travail de son patient, la doctoresse B.__ a fait état d’une évolution stable. Le simple fait que la médecin traitante ait attesté une capacité de travail différente à la suite d’un examen ultérieur ne saurait justifier, à lui seul, la révision du droit à la rente, dans la mesure où un tel constat ne permet pas d’exclure l’existence d’une appréciation différente d’un état de fait qui, pour l’essentiel, est demeuré inchangé. Un motif de révision ne saurait être admis que si la modification de la capacité de travail est corroborée par un changement clairement objectivé de la situation clinique, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence (sur les exigences en matière de preuve pour une évaluation médicale dans le cadre d’une révision, voir arrêts 9C_418/2010 du 29 août 2011 consid. 4.2, in SVR 2012 IV n° 18 p. 81, et 8C_441/2012 du 25 juillet 2013 consid. 6, in SVR 2013 IV n° 44 p. 134).

On ajoutera que dans son rapport du 01.09.2020, le docteur F.__ a exprimé son doute quant à une potentielle activité adaptée pour l’assuré. Il a en effet expliqué qu’aucune activité ne lui paraissait envisageable, en précisant que l’absence d’activité adaptée aux capacités actuelles de l’assuré primait à ses yeux une éventuelle évaluation d’un pourcentage de capacité résiduelle de travail dans ladite activité, rendant caduque toute tentative de chiffrer une quelconque capacité résiduelle. Aussi, la juridiction cantonale ne pouvait-elle pas retenir que le docteur F.__ avait « entériné » la capacité de travail de quatre heures par jour de l’assuré dans une activité adaptée attestée par la doctoresse B.__ dans son rapport du 08.04.2020. Au demeurant, dans un rapport du 12.03.2021, produit dans le cadre de la procédure cantonale, la doctoresse B.__ est par la suite revenue partiellement sur son appréciation du 08.04.2020 et a attesté une incapacité totale de travail.

Dans ces circonstances, il était manifestement insoutenable de la part des juges cantonaux de retenir que le recouvrement, par l’assuré, d’une capacité de travail à mi-temps dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles dès le 10.12.2019, malgré la stabilité de son état de santé, constituait un changement important des circonstances propre à influencer le taux d’invalidité, justifiant la réduction de la rente entière à trois quarts de rente à compter du 01.12.2020. En particulier, on ne saurait inférer du rapport de la médecin traitante du 08.04.2020 que la capacité de travail de l’assuré s’était améliorée parce qu’il avait appris à gérer son handicap et à acquérir une certaine autonomie au quotidien, dès lors déjà que ledit rapport ne contient aucune constatation à ce propos. Le recours est bien fondé sur ce point.

Consid. 4.4
Le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité devant être maintenu au-delà du 30.11.2020, il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant les griefs qu’il soulève en relation avec l’évaluation de son taux d’invalidité et le refus de lui octroyer un reclassement ou des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_392/2023 consultable ici

 

9C_660/2021 (f) du 30.11.2022 – Valeur probante du rapport d’expertise – 44 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_660/2021 (f) du 30.11.2022

 

Consultable ici

 

Valeur probante du rapport d’expertise / 44 LPGA

Obligation d’organiser des débats publics / 6 par. 1 CEDH

 

Dépôt de la demande AI en septembre 2016. Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a mandaté un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie pour une expertise. Il a ensuite rejeté la demande, par décision du 11.11.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 408/20 – 352/2021 – consultable ici)

Par jugement du 15.11.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2
L’obligation d’organiser des débats publics au sens de l’art. 6 par. 1 CEDH suppose une demande formulée de manière claire et indiscutable de l’une des parties au procès. Une requête de preuve (demande tendant à la comparution personnelle, à l’interrogatoire des parties, à l’audition de témoins ou à une inspection locale) ne suffit pas à fonder une telle obligation (ATF 136 I 279 consid. 1 et les arrêts cités). Saisi d’une demande tendant à la mise en œuvre de débats publics, le juge doit en principe y donner suite. Il peut cependant s’en abstenir dans les cas prévus par l’art. 6 par. 1, deuxième phrase, CEDH, lorsque la demande est abusive, chicanière, ou dilatoire, lorsqu’il apparaît clairement que le recours est infondé, irrecevable ou, au contraire, manifestement bien fondé ou encore lorsque l’objet du litige porte sur des questions hautement techniques (ATF 136 I 279 consid. 1; 134 I 331 consid. 2.3; 122 V 47 consid. 3b). Le Tribunal fédéral a par ailleurs précisé qu’il ne pouvait être renoncé à des débats publics au motif que la procédure écrite convenait mieux pour discuter de questions d’ordre médical, même si l’objet du litige porte essentiellement sur la confrontation d’avis spécialisés au sujet de l’état de santé et de l’incapacité de travail d’un assuré en matière d’assurance-invalidité (ATF 136 I 279 précité consid. 3).

Consid. 4.3
En l’espèce, dans la procédure cantonale, l’assuré n’a pas formulé de demande claire et indiscutable pour la tenue de débats publics. Dans son recours à l’autorité cantonale et ses écritures, il a seulement demandé à être entendu « afin de présenter au mieux sa situation » et a requis l’audition de sa compagne et du psychiatre traitant en tant que témoins, ainsi que la mise en œuvre d’une nouvelle expertise. Cette requête correspond à une offre de preuve. Pour ce motif déjà, l’argumentation de l’assuré selon laquelle les juges cantonaux ne pouvaient pas invoquer la « spécialisation technique du débat » pour renoncer aux auditions qu’il avait sollicitées est mal fondée. A défaut de demande claire et indiscutable pour la tenue de débats publics, la juridiction cantonale n’a commis aucune violation de l’art. 6 par. 1 CEDH.

 

Consid. 5.2
Il appartient aux médecins d’évaluer l’état de santé d’un assuré (c’est-à-dire, de procéder aux constatations nécessaires en effectuant des examens médicaux appropriés, de tenir compte des plaintes de l’intéressé et de poser les diagnostics). En particulier, poser un diagnostic relève de la tâche exclusive des médecins. Il leur appartient aussi de décrire l’incidence de ou des atteintes à la santé constatées sur la capacité de travail. Leur compétence ne va cependant pas jusqu’à trancher définitivement cette question mais consiste à motiver aussi substantiellement que possible leur point de vue, qui constitue un élément important de l’appréciation juridique visant à évaluer quels travaux sont encore exigibles de l’assuré. Il revient en effet aux organes chargés de l’application du droit (soit à l’administration ou au tribunal en cas de litige) de procéder à l’appréciation définitive de la capacité de travail de l’intéressé (ATF 140 V 193 consid. 3.2; arrêt 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 7.1).

On ajoutera que l’évaluation de la capacité de travail par un médecin psychiatre est soumise à un contrôle (libre) des organes chargés de l’application du droit à la lumière de l’ATF 141 V 281 (ATF 145 V 361 consid. 4.3), dont les principes ont ultérieurement été étendus à l’ensemble des troubles psychiques ou psychosomatiques (cf. ATF 143 V 409 et 418; ATF 145 V 215).

 

Consid. 5.3.1
Contrairement à ce qu’affirme en premier lieu l’assuré, l’expert psychiatre n’a pas fait « aucune référence à [s]a vie professionnelle » dans son anamnèse (hormis la période d’activité indépendante). Sous le titre « Anamnèse professionnelle et sociale », le médecin a notamment indiqué, en se référant aussi aux extraits du compte AVS de l’assuré, qu’il avait travaillé pendant dix-sept ans dans différentes entreprises de charpente, sans période de chômage. Il a précisé que l’assuré avait ensuite travaillé dans une entreprise fabriquant des maisons clefs en main entre 2006 et 2009, puis qu’il s’était mis à son compte en 2009, avant d’accepter plusieurs engagements de courte durée dans des entreprises de charpente, entre 2011 et 2015.

Consid. 5.3.2
Quoi qu’en dise ensuite l’assuré, le rapport d’expertise ne contient pas de contradictions. En particulier, la constatation de l’expert psychiatre, selon laquelle l’assuré présente une intelligence dans la norme, n’est pas contradictoire, ni incomplète du seul fait invoqué que l’expert ne lui a pas fait passer de test d’intelligence. Elle résulte des observations faites par le médecin durant l’examen et a ensuite été confirmée par un test d’intelligence effectué par les psychologues (« efficience intellectuelle » et « indice d’aptitude générale » dans la zone dite « moyenne »), comme l’admet du reste l’intéressé. L’expert psychiatre ne s’est pas non plus contredit lorsqu’il a indiqué que la dépendance aux sédatifs n’avait pas de conséquence sur la capacité de travail et que la problématique anxieuse était objectivement modeste. S’agissant de la dépendance aux sédatifs, l’expert a posé le diagnostic de troubles mentaux et troubles du comportement liés à l’utilisation de sédatifs, utilisation continue sous prescription médicale (F 13.25). Il a expliqué les raisons pour lesquelles ce diagnostic n’était pas incapacitant. D’une part, l’expert psychiatre a exposé qu’il n’y avait jamais eu d’excès dans l’utilisation des sédatifs; d’autre part, le médecin a expliqué qu’un sevrage était exigible et techniquement possible et qu’il existait des alternatives médicamenteuses et non médicamenteuses. Concernant la problématique de l’anxiété, le médecin expert a posé le diagnostic d’autre trouble anxieux mixte, d’incidence clinique faible (F 41.3), après avoir confronté les plaintes de l’assuré aux résultats des tests psychologiques et complémentaires qu’il avait effectués et à ses propres constatations. Il a considéré que les « quelques traits anxieux constatés étaient très peu spécifiques, diffus et accentués de la part de l’assuré » et qu’ils n’atteignaient pas le niveau d’une « pathologie anxieuse sévère/significative/invalidante ». A cet égard, comme l’ont dûment expliqué les juges cantonaux, l’expert psychiatre a en particulier relevé un décalage entre l’importance des symptômes anxieux décrits par l’assuré et ses observations cliniques (« décalage entre subjectif et objectif »), ainsi que les effets positifs que pourrait avoir une médication anxiolytique ponctuelle.

Consid. 5.3.3
L’assuré reproche à l’expert psychiatre d’avoir accordé trop d’importances à ses publications sur les réseaux sociaux et affirme, en se référant aussi au rapport du psychiatre traitant, qu’il en aurait fait « une lecture au premier degré », sans tenir compte que celles-ci seraient « l’expression d’une personne mal assurée, qui a besoin de se mettre en valeur, d’une façon exagérée, afin de masquer ses troubles ». Cette argumentation ne suffit pas à mettre en doute les conclusions du médecin expert. A l’inverse de ce que suggère le psychiatre traitant, l’expert n’a pas fait état d’une « supposée simulation de la part de l’assuré »; il a relevé en revanche des éléments d’exagération. De plus, à la suite des juges cantonaux, on constate que le médecin expert a expliqué de manière objective et étayée les raisons pour lesquelles il convenait selon lui d’écarter les diagnostics posés par le psychiatre traitant (notamment, un trouble de la personnalité, F 60). A cet égard, le médecin expert n’a en particulier pas constaté de dysfonctionnement cognitif majeur dans l’examen clinique. S’agissant des axes « personnalité » et « contexte social », le médecin a retenu uniquement des traits de personnalité narcissique et indiqué que l’assuré disposait d’un bon réseau social, entretenait des relations positives avec sa famille et un cercle d’amis et organisait très régulièrement des loisirs. Sous l’angle également de la cohérence, l’expert psychiatre a qualifié les plaintes de l’assuré de particulièrement vagues et indiqué qu’elles ne se manifestaient pas en toutes circonstances, en particulier pas durant les activités de loisirs et très rarement dans les activités quotidiennes. Dans le complément du 26.10.2020, il a encore précisé les observations qui l’avaient amené à exclure le diagnostic posé précédemment par le psychiatre traitant.

Consid. 5.3.4
Quant au fait que le médecin expert a rencontré l’assuré à une seule reprise, durant trois heures et vingt minutes, il n’est pas non plus déterminant. Selon la jurisprudence, la durée de l’examen – qui n’est pas en soi un critère de la valeur probante d’un rapport médical -, ne saurait remettre en question la valeur du travail de l’expert, dont le rôle consiste notamment à se prononcer sur l’état de santé psychique de l’assuré dans un délai relativement bref (cf. arrêts 9C_457/2021 du 13 avril 2022 consid. 6.2; 9C_542/2020 du 16 décembre 2020 consid. 7.4 et les références).

Le fait que la position de l’expert psychiatre est « isolée » et partagée uniquement par le médecin au SMR de l’AI, ne suffit pas non plus pour nier la valeur probante de son expertise, sous l’angle du caractère convaincant des conclusions de celle-ci, quoi qu’en dise l’assuré à cet égard.

Consid. 5.4
L’assuré reproche ensuite aux juges cantonaux de ne pas avoir procédé à d’autres mesures d’instruction. Il allègue à cet égard, en se référant essentiellement aux avis de ses psychiatres traitants, qu’il présente une incapacité totale de travail à la suite d’une évolution défavorable de son état de santé et qu’il « est invalide ». Ce faisant, l’assuré ne critique pas l’appréciation de sa capacité de travail effectuée par la juridiction cantonale sous l’angle des indicateurs établis par l’ATF 141 V 281. Il ne met pas non plus en évidence des éléments concrets et objectifs susceptibles de remettre en cause les conclusions médicales suivies par les juges cantonaux, ni de motifs susceptibles d’établir le caractère arbitraire de leur appréciation. Il ne suffit pas à cet égard d’affirmer sans plus de précisions que « les indications qu’il [le rapport d’évaluation neuropsychologique du 22 février 2021] donne permettent de confirmer les problèmes psychiques de l’assuré ». En ce qu’elle tend à affirmer que la mise en œuvre de mesures d’instruction complémentaires pourrait apporter des renseignements supplémentaires, l’argumentation de l’assuré n’est par ailleurs pas suffisante pour mettre en évidence en quoi la juridiction cantonale aurait procédé de manière arbitraire à une appréciation anticipée des preuves (à ce sujet, voir ATF 140 I 285 consid. 6.3.1) ou aurait établi les faits de manière incomplète.

Quant à la considération de la juridiction cantonale selon laquelle la dépendance de l’assuré à l’égard de sa compagne ne constitue pas une atteinte à la santé, elle n’est pas manifestement erronée. A la lecture du rapport relatif à l’hospitalisation de l’assuré du 22.06.2018 au 27.06.2018, auquel l’intéressé se réfère, on constate qu’aucun diagnostic en lien avec une dépendance affective n’a été retenu. Les médecins ont en effet seulement fait état de « traits dépendants », en précisant qu’un diagnostic de trouble de la personnalité n’avait jamais été posé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_660/2021 consultable ici