Arrêt du Tribunal fédéral 9C_678/2023 (f) du 28.05.2024
Rente d’invalidité LPP – Connexité temporelle / 23 LPP
Lien de connexité temporelle entre l’incapacité de travail survenue durant le rapport de prévoyance et l’invalidité ultérieure – Tentative de réinsertion et mesures de réadaptation AI
Assuré a travaillé pour le compte de B.__ du 01.12.1986 au 31.07.2019. À ce titre, il a été affilié pour la prévoyance professionnelle auprès de la caisse de pensions X.
Par décisions des 08.09.2021 et 27.10.2021, également communiquées à la caisse de pensions, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à un quart de rente depuis le 01.06.2021. Le 10.11.2021, la caisse de pensions a nié le droit de l’assuré à une rente de la prévoyance professionnelle. Elle a confirmé son refus par courriers des 30.12.2021 et 04.02.2022. En bref, elle a considéré, en se fondant sur les constatations de l’office AI, que le lien de connexité temporelle entre l’incapacité de travail survenue durant le rapport de prévoyance et l’invalidité ultérieure avait été interrompu, puisque l’assuré avait présenté une capacité de travail entière dans une activité adaptée depuis le 27.05.2019, avant que son état de santé ne s’aggrave à compter du 15.07.2020.
Procédure cantonale (arrêt PP 6/22 – 31/2023 – consultable ici)
Par jugement du 20.09.2023, rejet de la demande par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 3.2
Le jugement entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs notamment au droit à des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle obligatoire (art. 23 LPP) et à la notion de survenance de l’incapacité de travail, en relation avec la double condition de la connexité matérielle et temporelle nécessaire pour fonder l’obligation de prester d’une institution de prévoyance (ATF 144 V 58 consid. 4.4 et 4.5; 138 V 409 consid. 6.2 et 6.3; 134 V 20 consid. 3.2 et 5.3 et les références). Il rappelle également les conditions dans lesquelles les décisions de l’assurance-invalidité lient l’institution de prévoyance compétente (ATF 144 V 72 consid. 4.1; 138 V 409 consid. 3.1 et les arrêts cités). Il suffit d’y renvoyer.
Consid. 6.1
À la suite des juges cantonaux, on rappellera que la connexité temporelle entre l’incapacité de travail survenue durant le rapport de prévoyance et l’invalidité ultérieure est interrompue lorsque la personne concernée dispose d’une capacité de travail de plus de 80% dans une activité adaptée pendant plus de trois mois et que celle-ci lui permet de réaliser un revenu excluant le droit à une rente (ATF 144 V 58 consid. 4.4 et les références; arrêt 9C_7/2017 du 4 avril 2017 consid. 4.1).
Consid. 6.2
L’assuré reproche à l’instance précédente d’avoir fait preuve d’arbitraire en admettant qu’il avait recouvré une capacité de travail de plus de 80% pendant plus de trois mois durant la période comprise entre le 27.05.2019 et le 15.07.2020. Il se prévaut à cet égard du fait qu’il a uniquement effectué des mesures de reclassement ordonnées par l’office AI, soit des mesures dont les exigences ne peuvent guère être comparées à celles prévalant dans le cadre d’une activité professionnelle ordinaire, et fait implicitement valoir que les décisions de l’office AI des 08.09.2021 et 27.10.2021 seraient insoutenables.
Consid. 6.2.1
En l’espèce, il ressort des constatations cantonales, non contestées par les parties, que l’assuré a été licencié pour le 31.07.2019 parce qu’il n’avait pas été en mesure d’obtenir le niveau de performance et de qualité correspondant aux attentes du poste, notamment en termes de productivité et de flexibilité, malgré les mesures de réadaptation mises en œuvre au sein de l’entreprise par l’office AI. L’assuré avait ensuite suivi des mesures professionnelles de l’assurance-invalidité dès le 27.05.2019, sous la forme d’une orientation professionnelle puis d’un reclassement, en vue de sa réadaptation dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles psychiques.
Même si les mesures de réadaptation s’étaient échelonnées sur plus d’un an et demi au taux de 100%, les juges cantonaux ne pouvaient cependant pas admettre en se fondant sur cette seule circonstance qu’une diminution de la capacité de travail de 100% retenue dans une activité adaptée n’avait pas été objectivée, compte tenu des circonstances du cas d’espèce. À cet égard, il apparaît en effet qu’à l’occasion d’un bilan effectué le 21.11.2019 au Centre d’observation professionnelle de l’assurance-invalidité (Orif) de Morges, l’office AI avait relevé que l’assuré avait présenté une résistance au stress « bas seuil », qu’il n’arrivait pas à fournir le travail demandé en un temps donné (crispations/dorsalgies/réduction de la production et montée de la tension interne) et qu’il allait au-delà de ses limites au risque d’aggraver son état de santé actuel. Après avoir prolongé la mesure d’orientation professionnelle à deux reprises, l’office AI n’avait pas encore été en mesure de déterminer quelle était l’activité adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assuré (note d’entretien du 06.02.2020). Si une telle activité avait finalement été retenue en février 2020 (à savoir une « activité de type administratif : AFP de bureau/assistant bureau »; note d’entretien du 13.02.2020), l’office AI avait cependant considéré comme plausible en l’état une capacité de travail à 70% voire 100% dans cette activité en mars 2020 (compte rendu de la permanence du SMR du 26.03.2020). Par la suite de « sérieux doutes » avaient été émis quant à l’employabilité de l’assuré au terme de la formation envisagée d’AFP employé de bureau, au vu de ses problèmes psychologiques (angoisses entre autres) qui risquaient d’être des obstacles à un emploi « dans le milieu économique » (note d’entretien du 04.06.2020). Le SMR s’était finalement prononcé en faveur d’une capacité de travail de 70% à tester avec présence de 100% et 50% avec rendement correspondant (compte rendu de la permanence du SMR du 16.07.2020) et les mesures professionnelles n’avaient pas pu se poursuivre avec la formation AFP en automne 2020 car la santé psychique de l’assuré s’était aggravée par surinvestissement (rapport final de réadaptation du 01.06.2021). En raison de cette aggravation de l’état de santé de l’assuré, l’office AI lui a alloué un quart de rente d’invalidité à compter du 01.06.2021.
Consid. 6.2.2
Dans ces circonstances, la juridiction cantonale a constaté de manière manifestement inexacte que l’assuré avait disposé d’une capacité de travail entière depuis le mois de mai 2019; une incapacité de travail supérieure à 20% à partir de cette date est établie. Dès novembre 2019 à tout le moins, les organes d’observation professionnelle de l’assurance-invalidité ont en effet proposé de diminuer le taux d’activité de l’assuré afin d’éviter que son état de santé ne s’aggrave (courriel de l’Orif du 14.11.2019). Or la durée de plus de trois mois durant laquelle la personne assurée doit avoir présenté une capacité de travail de plus de 80% dans une activité adaptée, nécessaire pour admettre la rupture du lien de connexité temporelle entre l’incapacité de travail survenue durant le rapport de prévoyance et l’invalidité ultérieure, doit être relativisée lorsque l’activité en question doit être considérée comme une tentative de réinsertion (cf. arrêt 9C_209/2022 du 20 janvier 2023 consid. 6.2), comme c’est le cas en l’espèce. On ajoutera que l’office AI n’a pas demandé l’avis de son SMR avant le mois de mars 2020 et qu’une fois sollicité, celui-ci a considéré qu’il était en l’état plausible que l’assuré disposât d’une capacité de travail de 70% (compte rendu du 26.03.2020).
Quant au fait que l’assuré se soit annoncé le 01.06.2021 en tant que demandeur d’emploi à 100% à l’assurance-chômage, il ne signifie pas encore qu’il disposait nécessairement d’une capacité de travail durant la même période (cf. arrêt 9C_162/2013 du 8 août 2013 consid. 2.3.2). Cette circonstance s’est par ailleurs produite en dehors de la période déterminante en l’espèce pour apprécier l’existence d’un lien de connexité temporelle (du 27.05.2019 au 15.07.2020).
Consid. 6.2.3
Il suit de ce qui précède que la juridiction cantonale a violé l’art. 23 LPP en retenant une rupture de la connexité temporelle entre l’incapacité de travail survenue à l’époque où l’intéressé était affilié auprès de l’intimée et son invalidité ultérieure. L’assuré a droit à une rente de la prévoyance professionnelle de la part de la caisse de pensions.
Le TF admet le recours de l’assuré.
Arrêt 9C_678/2023 consultable ici