9C_162/2024 (f) du 31.07.2024 – Tâcherons et sous-traitants – Détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales / Maxime inquisitoire de la caisse de compensation – Pas de renversement du fardeau de la preuve

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_162/2024 (f) du 31.07.2024

 

Consultable ici

 

Tâcherons et sous-traitants – Détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales / 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS

Maxime inquisitoire de la caisse de compensation – Pas de renversement du fardeau de la preuve

 

A.__ Sàrl (ci-après: la société) est affiliée en tant qu’employeur auprès d’une caisse de compensation. Un contrôle d’employeur portant sur la période de janvier 2017 à décembre 2021 a mis en évidence que la société avait opéré différents versements en espèces en faveur de B.__ Sàrl dans le courant de l’année 2020, pour un montant total de CHF 138’868, sans pouvoir produire de justificatifs détaillés. Par décision du 20.10.2022, confirmée sur opposition le 26.01.2023, la caisse de compensation a réclamé à A.__ Sàrl le paiement de CHF 21’371.75, correspondant à des cotisations sociales sur le montant payé à B.__ Sàrl, qualifié de salaires versés à des employés de la société.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2023 15 – consultable ici)

Par jugement du 26.01.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
L’arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels applicables notamment à la détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales (art. 5 al. 2 et 9 al. 1 LAVS; ATF 140 V 108 consid. 6; 123 V 161 consid. 1 et les arrêts cités), ainsi que les règles sur l’administration et l’appréciation des preuves (art. 61 let. c LPGA). Il suffit d’y renvoyer.

Selon la jurisprudence, les tâcherons et sous-traitants sont réputés exercer une activité dépendante. Leur activité ne peut être qualifiée d’indépendante que lorsque les caractéristiques de la libre entreprise dominent manifestement et que l’on peut admettre, d’après les circonstances, que l’intéressé traite sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur qui lui a confié le travail (arrêt 8C_597/2011 du 10 mai 2012 consid. 2.3 et les arrêts cités).

Un employeur peut faire exécuter un travail par une personne à laquelle il verse lui-même un salaire ou le confier à un tiers indépendant ou à une personne morale, qui emploie, le cas échéant, son propre salarié pour ce faire. Dans la seconde éventualité, l’indemnité versée au tiers pour l’exécution du travail ne constitue pas un salaire déterminant, mais la rémunération d’une activité indépendante voire ne constitue pas, dans le cas de la personne morale, un revenu soumis à cotisations. Des rapports de travail dont découlerait un salaire déterminant provenant d’une activité dépendante ne peuvent pas être conclus avec une personne morale. Lorsqu’un travail est confié à une personne morale, ce n’est pas l’indemnité en découlant qui est soumise à l’obligation de cotiser, mais le salaire que la personne morale verse à la personne physique qu’elle emploie (arrêt 8C_218/2019 du 15 octobre 2019 consid. 4.1.1).

Par ailleurs, une personne est libre de choisir la forme juridique de son activité et d’adopter par exemple la forme juridique de la société anonyme ou de la société à responsabilité limitée pour bénéficier, par exemple, d’une limitation de la responsabilité. Cependant, lorsqu’il existe des circonstances concrètes amenant à conclure que le statut juridique de la personne morale a été uniquement adopté pour des motifs liés au droit des assurances afin d’économiser des cotisations et que la personne morale n’exerçait pas d’activité entrepreneuriale proprement dite – du moins par rapport au donneur d’ordre -, l’indépendance juridique de la personne morale ne produit pas ses effets du point de vue du droit des assurances sociales (arrêt 8C_218/2019 précité consid. 4.2.2).

Consid. 4 [résumé]
La juridiction cantonale a d’abord relevé que le fait qu’une personne morale, en l’occurrence une société à responsabilité limitée, délègue la réalisation de certains travaux à une autre société du même type ne présente en soi rien de répréhensible. Certains indices caractéristiques (montants élevés versés en espèces, recours à des tâcherons fréquent dans la branche) ont soulevé des doutes. A.__ Sàrl a versé 138’868 fr. en espèces à B.__ Sàrl sur quelques mois, une somme représentant une part importante de son chiffre d’affaires moyen (environ 367’000 fr. entre 2013 et 2019). De plus, le recours à des tâcherons est fréquent dans le domaine de la construction. Ces éléments ont créé une « présomption » que ces versements auraient pu être effectués dans le but d’économiser des cotisations sociales. La charge de prouver le contraire incombait à A.__ Sàrl.

L’instance cantonale a estimé que A.__ Sàrl n’avait pas réussi à démontrer, au degré de vraisemblance prépondérante, que ces versements n’avaient pas pour but d’économiser des cotisations. Par conséquent, elle a confirmé la décision de la caisse de compensation considérant que des cotisations sociales étaient dues par A.__ Sàrl sur les montants versés à B.__ Sàrl.

 

Consid. 5.1
La recourante reproche aux premiers juges d’avoir constaté les faits de manière manifestement inexacte et violé le droit fédéral, en particulier l’art. 5 al. 2 LAVS. Elle leur fait grief d’avoir nié qu’elle avait démontré, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu’elle avait bien versé sa « rétribution à un employeur », alors qu’ils n’ont pas examiné tous les éléments déterminants pour la qualification d’une activité de dépendante ou d’indépendante, en application d’une « jurisprudence qui ne trouvait nullement sa place dans le cas d’espèce ». De l’avis de la société, la juridiction cantonale ne pouvait dès lors pas considérer que les montants qu’elle avait versés à la société sous-traitante devaient être assimilés à des salaires qu’elle aurait versés à ses propres « employés dépendants ».

 

Consid. 5.2
L’argumentation de la recourante est en partie bien fondée. On ne voit tout d’abord pas sur quelle disposition légale ou jurisprudence l’autorité judiciaire de première instance fonde une « présomption » – à l’aune de laquelle elle a essentiellement examiné la cause – quant au but d’économie des cotisations sociales en cas de versements d’une personne morale à une autre, en présence de certains éléments caractéristiques; l’arrêt qu’elle cite (8C_218/2019 du 15 octobre 2019) ne comprend pas de considération correspondante. Ensuite, il incombait à la caisse de compensation et, à sa suite à l’instance précédente, d’examiner concrètement les caractéristiques de l’activité déployée par la société sous-traitante pour le compte de la recourante, ce qu’elles ont précisément manqué de faire en l’occurrence. L’arrêt entrepris ne contient en effet aucune constatation quant au point de savoir notamment qui de A.__ Sàrl ou de B.__ Sàrl supportait le risque économique de l’activité en cause. Or la jurisprudence selon laquelle les tâcherons et sous-traitants sont réputés exercer une activité dépendante (consid. 3.2 supra) ne signifie pas que le principe de l’instruction (art. 43 et 61 let. c LPGA) ne s’applique pas ou seulement sous une forme atténuée. Au contraire, il faut en principe procéder à un examen approfondi des circonstances particulières de chaque cas. De même, il ne faut pas poser d’exigences excessives quant à l’obligation de collaborer de la personne physique ou morale (au sens de l’art. 28 LPGA) à laquelle on s’adresse en tant qu’employeur. Il n’y a pas de renversement du fardeau de la preuve et le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante, habituel en droit des assurances sociales, s’applique (cf. arrêt H 191/05 du 30 juin 2006 consid. 4.1 et les références).

Par ailleurs, lorsqu’une personne exerce simultanément plusieurs activités lucratives, il faut examiner pour chacune d’elles si le revenu en découlant est celui d’une activité indépendante ou salariée, même si les travaux sont exécutés pour une seule et même entreprise (ATF 122 V 172 consid. 3b; 104 V 126 consid. 3b). En particulier, pour les activités exercées dans le secteur principal ou secondaire de la construction, il est important de déterminer, entre autres éléments, qui répond des travaux mal exécutés vis-à-vis du maître d’ouvrage ou du propriétaire de l’ouvrage. Il s’agit ici de savoir si le tâcheron peut être considéré comme un partenaire commercial qui traite sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur qui lui a confié le travail (cf. arrêt H 191/05 précité consid. 4.1 et les références). En l’occurrence, l’arrêt entrepris ne contient aucune constatation sur ce point.

Consid. 5.3
Dans la mesure où les éléments qui auraient permis d’évaluer la relation contractuelle entre la recourante et B.__ Sàrl font largement défaut en l’espèce, la cause n’est pas en état d’être jugée. En particulier, les pièces produites par la recourante (essentiellement trois factures établies par B.__ Sàrl, par lesquelles elle facture à A.__ Sàrl le total des heures effectuées, sous la mention « Heure de régie », sans donner d’autres précisions), ne permettent pas de conclure que l’activité déployée par la société sous-traitante (et son personnel) pour le compte de la recourante en 2020 aurait été un travail dépendant au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS. Par ailleurs, selon les constatations cantonales, non contestées par la recourante, celle-ci n’a pas produit les contrats ou accords avec la société sous-traitante, ainsi que les preuves d’adjudication et des contrats avec les maîtres d’ouvrage ou les architectes (notamment en raison du fait que les travaux qu’elle avait confiés à B.__ Sàrl l’avaient été en vertu d’un contrat oral). Dans ces circonstances, la caisse de compensation devra procéder à des clarifications complémentaires et rendre ensuite une nouvelle décision sur l’obligation litigieuse de la recourante de payer les cotisations sociales sur les rémunérations qu’elle a versées à la société sous-traitante. Le recours est bien fondé sur ce point.

 

Le TF admet partiellement le recours de la société.

 

 

Arrêt 9C_162/2024 consultable ici

 

Expertises médicales en assurances sociales – Analyse de la situation actuelle et propositions d’amélioration

Vous trouverez dans l’édition de Jusletter du 14 octobre 2024 ma contribution «Expertises médicales en assurances sociales – Analyse de la situation actuelle et propositions d’amélioration».

 

Résumé :

Les expertises médicales sont cruciales dans le système suisse des assurances sociales, influençant le droit aux prestations. L’analyse des récentes évolutions, notamment le Développement continu de l’AI en 2022, révèle des enjeux majeurs : qualité des expertises, protection des droits des assurés et sélection des experts. Des questions émergent, comme l’enregistrement sonore des entretiens, les barrières linguistiques et l’impact potentiel de l’IA. Face à ces défis, diverses pistes d’amélioration sont proposées pour renforcer la qualité des expertises et mieux garantir les droits des assurés dans ce domaine en constante évolution.

 

Publication (au format pdf) : David Ionta, Expertises médicales en assurances sociales, in Jusletter 14 octobre 2024

 

Le Conseil fédéral s’oppose à un financement de l’AVS fondé sur une taxe sur les transactions financières

Le Conseil fédéral s’oppose à un financement de l’AVS fondé sur une taxe sur les transactions financières

 

Communiqué de presse de l’Administration fédérale des contributions du 09.10.2024 consultable ici

 

Lors de sa séance du 9 octobre 2024, le Conseil fédéral a adopté le rapport qu’il a commandé en réponse au postulat concernant le financement de l’AVS au moyen d’une taxe sur les transactions financières. Ce rapport indique que la Suisse perçoit déjà deux taxes sur les transactions financières, dont le produit est supérieur à celui des taxes existant dans les pays européens de référence. Il souligne également le manque d’efficacité des taxes proposées par rapport à d’autres impôts et leurs limites en termes de recettes supplémentaires potentielles. Le Conseil fédéral estime donc que ces taxes ne se prêtent pas à un financement stable de l’AVS.

En adoptant le postulat 21.3440, le Conseil des États a demandé au Conseil fédéral de montrer dans un rapport la forme qu’il convenait de donner à une taxe sur les transactions financières en Suisse pour garantir le financement de l’AVS à moyen et à long termes.

Les taxes sur les transactions financières peuvent être perçues, par exemple, sur l’émission et le commerce de titres, les opérations sur devises ou les crédits et dépôts liés aux opérations d’intérêts des banques. À l’heure actuelle, il y a deux taxes de ce genre en Suisse, à savoir le droit de timbre d’émission, dont le produit s’élève en moyenne à 250 millions de francs par an, et le droit de timbre de négociation, qui génère en moyenne des recettes de 1,3 milliard de francs par an. En comparaison du produit intérieur brut, les recettes que la Suisse tire de ces deux taxes sont supérieures à celles de l’Espagne, de la France et de l’Italie, qui imposent les transactions sur titres depuis 2012.

Le rapport analyse la pertinence des taxes sur les transactions financières d’un point de vue fiscal (recettes potentielles) et incitatif :

  • Les taxes sur les transactions financières sont perçues sur les restructurations de la fortune. À la différence des impôts généraux sur le revenu, la consommation ou la fortune, elles ne tiennent pas compte de la capacité économique des contribuables et sont donc peu équitables. Elles créent aussi de nouvelles distorsions par rapport à d’autres impôts sur la fortune ou sur le revenu de celle-ci et peuvent nuire à l’attrait de la place économique. Les marchés financiers n’étant qu’en partie liés à une région géographique, la perception d’une taxe sur les transactions financières peut par ailleurs inciter les prestataires de services financiers à quitter la place financière suisse. Dans ce cas, cette taxe ne générerait non seulement aucune recette fiscale, mais elle priverait aussi la Suisse d’une source de création de valeur et, par conséquent, d’autres recettes fiscales.
  • Pour ce qui est notamment des transactions sur titres du marché secondaire (commerce de titres), il s’agit avant tout d’évaluer le caractère incitatif de la taxe et de déterminer si celle-ci contribue à réduire ou à augmenter la volatilité des cours des titres. Une volatilité modérée permet d’atténuer l’incertitude sur les marchés et a un effet positif sur les cotations de titres. Selon des études empiriques, ce genre de taxe diminue toutefois la liquidité du marché et l’efficacité de la formation des prix, tout en augmentant la volatilité et les coûts du capital. La taxe ne se justifie donc pas non plus d’un point de vue incitatif.

En réponse au postulat, le rapport indique cependant comment la Confédération pourrait générer des recettes supplémentaires au moyen de taxes sur les transactions financières sans trop nuire à la compétitivité de la place financière suisse.

  • Dans le domaine du droit de timbre d’émission, il serait théoriquement possible de relever le taux d’imposition, d’abaisser la franchise ou de réintroduire ce droit sur les emprunts et les papiers monétaires. Ces mesures ne feraient toutefois qu’accentuer les inconvénients de l’actuel droit de timbre d’émission.
  • En ce qui concerne le droit de timbre de négociation, la mesure la plus appropriée consisterait à relever le taux d’imposition des titres suisses pour le porter au niveau de celui des titres étrangers. Elle ne serait cependant guère efficace puisque les recettes supplémentaires en découlant atteindraient, selon le rapport, seulement 150 à 200 millions de francs.
  • Du côté des transactions bancaires, la perception d’une taxe sur les nouveaux prêts hypothécaires serait la plus à même de générer un volume important et stable de recettes supplémentaires, car elle favoriserait moins de tentatives de contournement qu’une autre taxe. Elle renchérirait toutefois les hypothèques.
  • Si le franc suisse conserve sa pleine et entière convertibilité, l’introduction unilatérale d’une taxe sur les transactions sur devises risque d’entraîner une délocalisation du commerce de devises. Cette taxe n’entre donc pas en ligne de compte.

Compte tenu de ce qui précède, le Conseil fédéral recommande de ne pas utiliser les droits de timbre d’émission et de négociation existants ni de prélever de nouvelles taxes sur les transactions financières pour financer l’AVS. Le rapport confirme à son avis que la perception d’une taxe sur les transactions financières a un potentiel limité en termes de recettes supplémentaires et ne garantit pas un financement stable de l’AVS à moyen et à long termes. De plus, les éventuels revenus supplémentaires seront en partie contrebalancés par des désavantages concurrentiels importants ou un renchérissement considérable des prêts hypothécaires.

 

Communiqué de presse de l’Administration fédérale des contributions du 09.10.2024 consultable ici

Rapport du Conseil fédéral du 09.10.2024 en réponse au postulat 21.3440 Rieder disponible ici

Postulat 21.3440 Rieder « Financer l’AVS au moyen d’une taxe sur les transactions financières » consultable ici

 

Améliorer l’assistance médico-légale pour les victimes de violence

Améliorer l’assistance médico-légale pour les victimes de violence

 

Communiqué de presse de l’Office fédéral de la justice du 09.10.2024 consultable ici

 

Soucieux de renforcer les prestations d’aide aux victimes de violence domestique et sexuelle, le Conseil fédéral a mis en consultation une modification de la loi sur l’aide aux victimes (LAVI) le 9 octobre 2024. Il propose d’améliorer l’assistance médicale et de faciliter l’établissement d’une documentation médico-légale. La consultation s’achèvera le 24 janvier 2025.

Toute victime de violence ayant subi une atteinte du fait d’une infraction a droit au soutien prévu par la LAVI. Outre des prestations financières, celle-ci prévoit aussi une assistance médicale et un soutien psychologique. Le Conseil fédéral veut développer l’assistance aux victimes de violence domestique et sexuelle. Lors de sa séance du 9 octobre 2024, il a envoyé en consultation une révision de la LAVI en ce sens. Le Conseil fédéral met ainsi en œuvre plusieurs motions parlementaires (22.3234, 22.3333 et 22.3334).

 

Garantir l’accès à une assistance médico-légale

Les victimes de violence doivent souvent recevoir des soins médicaux immédiatement après les faits. Les lésions doivent en outre pouvoir être constatées et les traces relevées par un médecin légiste aussi rapidement que possible. Il est de ce fait essentiel que les victimes aient facilement accès à une aide d’urgence dispensée par du personnel médical. Selon le projet, les cantons devront donc veiller à ce que les victimes disposent d’une offre suffisante et aient accès 24 heures sur 24 à un service spécialisé. De plus, le Conseil fédéral propose qu’elles puissent avoir un accès gratuit à la documentation médico-légale. Les victimes pourront demander l’établissement d’une documentation médico-légale même si elles ne font pas de dénonciation pénale. Si une procédure est ouverte ultérieurement, cette documentation pourra servir de moyen de preuve. Cette modification pourrait aussi avoir un impact positif sur le nombre de dénonciations et de condamnations pénales.

Pour que ces mesures puissent déployer des effets, il est nécessaire que les victimes soient informées de leurs droits et connaissent l’existence des centres d’aide médicale d’urgence. Le Conseil fédéral propose donc d’inscrire dans la loi une obligation pour les cantons d’assurer une information appropriée sur les prestations de la LAVI.

La consultation sur la modification de la LAVI s’achèvera le 24 janvier 2025.

 

Rapport explicatif du 09.10.2024 en vue de l’ouverture de la procédure de consultation

La présente révision vise à renforcer les prestations de l’aide aux victimes. Elle a pour objectif principal de garantir aux victimes, notamment de violence domestique et sexuelle, un accès à des prestations médicales et médico-légales, ainsi que le droit de demander gratuitement l’établissement d’une documentation médico-légale indépendamment de l’ouverture d’une procédure pénale.

 

Contexte

La présente révision a pour origine les motions 22.3234 Carobbio Guscetti, 22.3333 Funiciello et 22.3334 de Quattro. Leurs auteures demandent au Conseil fédéral de créer les bases légales nécessaires pour mettre en place des centres d’aide d’urgence pour les victimes de violence domestique et sexuelle.

L’aide aux victimes est régie par la loi du 23 mars 2007 sur l’aide aux victimes (LAVI). Toute personne qui a subi, du fait d’une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle a droit au soutien prévu par cette loi. Les différentes prestations sont fournies par les centres de consultation LAVI soit directement, soit sous forme d’aides financières lorsque la prestation est fournie par un tiers, notamment pour l’assistance médicale et psychologique.

Dans sa teneur actuelle, la LAVI ne mentionne pas l’assistance médico-légale ni son financement par l’aide aux victimes. En vertu de leurs compétences d’exécution, certains cantons ont cependant déjà mis en place ce type de prise en charge.

 

Contenu du projet

Le projet vise à garantir aux victimes de violence l’accès à des prestations médicales et médico-légales de qualité sur l’ensemble du territoire national. En renforçant cette forme de prise en charge, la révision a en outre pour objectif d’améliorer le recueil des preuves et les possibilités d’exploiter les prélèvements lors d’éventuelles procédures pénales, civiles ou administratives, ce qui pourrait avoir un impact positif sur le taux de dénonciations et de condamnations pénales.

La révision concrétise la notion d’assistance médicale et médico-légale en mentionnant le droit pour toute victime au sens de la LAVI d’obtenir notamment l’établissement et la conservation d’une documentation médico-légale des blessures et des traces. L’assistance médico-légale deviendra ainsi une prestation d’aide aux victimes à part entière.

La présente modification permettra également de clarifier la question du financement de l’assistance médico-légale. À l’instar des autres formes de soutien prévus par la LAVI, les prestations seront financées, de manière subsidiaire, par l’aide immédiate garantie par cette loi. Concrètement, un financement sera possible lorsque les frais ne sont pas pris en charge par d’autres institutions (notamment les assurances sociales) ou lorsqu’ils ne le sont que partiellement (par exemple en cas de franchise ou de quote-part à la charge de l’assuré).

Afin que la victime dispose du temps nécessaire pour décider si elle souhaite qu’une procédure pénale soit ouverte, une nouvelle disposition prévoit que le droit à l’aide aux victimes est indépendant de la dénonciation pénale de l’infraction. Cette modification permettra de lever l’insécurité qui existe aujourd’hui à ce sujet.

Enfin, les cantons seront chargés de veiller à ce que les victimes aient accès à un service spécialisé. La révision favorisera ainsi la mise en place d’une offre répondant à certains critères de qualité dans l’ensemble des cantons, tout en leur laissant une marge de manœuvre suffisamment large en matière d’organisation.

 

Communiqué de presse de l’OFJ du 09.10.2024 consultable ici

Rapport explicatif du 09.10.2024 en vue de l’ouverture de la procédure de consultation disponible ici

Avant-projet consultable ici

Tableau comparatif disponible ici

 

9C_631/2023 (f) du 24.06.2024 – Calcul de la rente de vieillesse – art. 52 Règl. 883/2004 / Convention de sécurité sociale Suisse-Portugal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_631/2023 (f) du 24.06.2024

 

Consultable ici

 

Calcul de la rente de vieillesse / art. 52 Règl. 883/2004

Convention de sécurité sociale Suisse-Portugal – Egalité de traitement et discrimination basée sur le handicap / 8 al. 1 Cst. – 8 al. 2 Cst. – 8 CEDH – 14 CEDH

 

Assurée, ressortissante portugaise née en 1957, a travaillé et accompli des périodes de cotisations au Portugal de 1972 à 1988, puis en Suisse d’octobre 1988 jusqu’à son accession à l’âge de la retraite en 2021. Par décision du 15.09.2021, confirmée sur opposition le 03.06.2022, la caisse de compensation lui a alloué une rente de vieillesse de CHF 1’057 par mois dès le 01.09.2021. Le calcul de la rente tenait compte d’un revenu annuel moyen déterminant de CHF 38’718, de cinq ans de bonifications pour tâches éducatives et d’une échelle de rente 27 déterminée en fonction d’une durée de cotisations de vingt-six ans et trois mois.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2022 108 – consultable ici)

Par jugement du 30.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
La cour cantonale a confirmé le droit de l’assurée à une rente de vieillesse de CHF 1’057 par mois. Elle a considéré que, dans le cadre de la coordination européenne des systèmes de sécurité sociale, la caisse de compensation était en droit d’effectuer un calcul « autonome » de la rente, conformément à l’art. 52 par. 1 let. a du Règlement (CE) n° 883/2004 (RS 0.831.109.268.1), sans tenir compte des périodes de cotisations accomplies au Portugal, conformément à la jurisprudence constante (ATF 133 V 329 consid. 4.4; 131 V 371 consid. 5, 6 et 7.1; 130 V 51 consid. 5; arrêts 9C_368/2020 du 9 juin 2021 consid. 5 in: SVR 2021 AHV n° 22 p. 71; 9C_9/2018 du 19 juin 2018 consid. 3.2).

La juridiction a également relevé que, bien que l’assurée ait exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) le 01.06.2002, elle ne pouvait pas se prévaloir d’une disposition plus favorable de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal (RS 0.831.109.654.1; ci-après: la convention Suisse-Portugal) dans la mesure où il n’en existait pas.

 

Consid. 3.2 [résumé]
L’assurée ne conteste pas l’application de l’art. 52 par. 1 let. a du règlement n° 883/2004, mais critique la décision des juges cantonaux concernant la convention Suisse-Portugal. Elle argue que si elle avait été invalide à l’âge de la retraite en Suisse (64 ans), sa rente suisse de vieillesse aurait dû inclure les périodes de cotisations au Portugal, selon l’art. 12 al. 2 de la convention, n’ayant pas encore atteint l’âge de la retraite au Portugal (66 ans et 6 mois).

L’assurée soutient que cette disposition crée une inégalité de traitement (art. 8 al. 1 Cst.) et une discrimination basée sur le handicap (art. 8 al. 2 Cst. et 14 CEDH en lien avec l’art. 8 CEDH). Elle affirme que la convention traite différemment les ressortissants portugais en bonne santé et ceux devenus invalides avant l’âge de la retraite, installés en Suisse avant le 01.06.2002, sans justification objective.

Elle conclut que les juges auraient dû prendre en compte ses périodes de cotisations au Portugal dans le calcul de sa rente, appliquant ainsi une échelle de rente complète ou supérieure à l’échelle 27.

 

Consid. 4.1
Selon l’art. 8 al. 1 Cst., tous les être humains sont égaux devant la loi. Le principe de l’égalité exige que ce qui est semblable soit traité de manière identique et que ce qui est dissemblable soit traité de manière différente. Ainsi, un acte normatif viole l’art. 8 Cst. lorsqu’il établit des distinctions qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard des faits à réglementer ou qu’il omet d’opérer des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances (cf. ATF 149 I 125 consid. 5.1).

Consid. 4.2
Selon l’art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique. Il y a discrimination lorsqu’une personne est traitée juridiquement de manière différente uniquement en raison de son appartenance à un groupe particulier qui, historiquement ou dans la réalité sociale actuelle, souffre d’exclusion ou de dépréciation. Le principe de non-discrimination n’interdit pas pour autant toute distinction basée sur l’un des critères énumérés à l’art. 8 al. 2 Cst. de manière non exhaustive. Mais l’usage d’un tel critère fait naître une présomption de différenciation inadmissible qui ne peut être renversée que par une justification qualifiée (cf. ATF 147 I 89 consid. 2.1; 145 I 73 consid. 5.1).

L’art. 14 CEDH n’offre pas à l’assurée une protection plus étendue que le principe de l’égalité garanti à l’art. 8 Cst. (cf. ATF 148 I 160 consid. 8.1).

Consid. 4.3
L’argumentation que l’assurée développe en l’occurrence n’est pas fondée. On relèvera préalablement que, contrairement à ce qu’elle postule pour établir une inégalité de traitement, les périodes de cotisations accomplies au Portugal ne sont pas nécessairement prises en compte dans le calcul de la rente suisse de vieillesse lorsque celle-ci se substitue à une rente suisse d’invalidité (cf. arrêt 9C_540/2023 du 3 juin 2024 consid. 6-8). L’assurée ne saurait dès lors déduire de cet élément une distinction injustifiée entre les ressortissants portugais valides et ceux invalides installés en Suisse avant le 01.06.2002. On ajoutera que si l’état de santé d’un individu est bien un critère en vertu duquel celui-ci ne doit pas subir une discrimination d’après l’art. 8 al. 2 Cst., il est toutefois parfaitement justifié qu’une réglementation portant notamment sur le calcul de prestations d’invalidité (comme l’art. 12 al. 1 de la convention Suisse-Portugal) ou de prestations de vieillesse venant se substituer à une rente d’invalidité (comme l’art. 12 al. 2 de ladite convention) prévoie une distinction entre les personnes valides et celles invalides. L’invocation et la reconnaissance d’une discrimination en raison du handicap dans un tel contexte reviendraient à vider la réglementation de toute sa raison d’être. On relèvera encore que, contrairement à ce que se limite à affirmer l’assurée sans l’établir, l’éventuelle prise en compte des périodes portugaises de cotisations dans le calcul de la rente suisse de vieillesse d’un ressortissant portugais invalide n’implique pas obligatoirement que sa rente sera plus élevée que celle du ressortissant portugais en bonne santé. En effet, le montant de la rente ne dépend pas seulement du nombre de périodes de cotisations mais également d’autres critères, tels que le montant du revenu annuel moyen, qui peut être plus élevé chez une personne valide dans la mesure où son état de santé ne limite pas ses possibilités de gain. Le ressortissant portugais invalide dont les périodes de cotisations dans son pays d’origine sont prises en compte dans le calcul de sa rente suisse de vieillesse n’est donc pas forcément avantagé par rapport à un ressortissant portugais en bonne santé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_631/2023 consultable ici

 

8C_121/2024 (f) du 06.08.2024 – Revenu sans invalidité d’un gérant d’une Sàrl – 16 LPGA / Fluctuations de revenus – Détermination du revenu sans invalidité – Moyenne du relevé des comptes individuels (CI)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_121/2024 (f) du 06.08.2024

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité d’un gérant d’une Sàrl / 16 LPGA

Fluctuations de revenus – Détermination du revenu sans invalidité – Moyenne du relevé des comptes individuels (CI)

 

Assuré, né en 1969, a travaillé en qualité de peintre, formellement employé par sa propre société à responsabilité limitée B.__, dont il est l’associé gérant unique depuis 2009. Le 08.03.2014, alors qu’il se trouvait sur un chantier, l’assuré a été agressé par un carreleur qui lui a assené un coup de poing à l’œil droit. Il a subi une fracture des os propres du nez qui a conduit à une intervention chirurgicale. Par la suite, l’assuré a présenté une atteinte à ses fonctions olfactive, visuelle et gustative.

L’assurance-accidents a initialement refusé de prester pour les troubles olfactifs et cognitifs de l’assuré au-delà du 24.07.2015. Après plusieurs recours et décisions, l’assurance a finalement admis un lien de causalité entre l’accident et les troubles olfactifs, mais a nié ce lien pour d’autres lésions. Elle a reconnu une capacité de travail totale dès le 01.08.2015. Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours de l’assuré et a renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour déterminer si les troubles olfactifs impactaient concrètement la capacité de gain de l’assuré au-delà du 31.07.2015 (8C_580/2021 du 20.04.2022).

En juillet 2022, l’assurance-accidents s’est procuré l’extrait de compte individuel de l’assuré affichant ses revenus soumis à cotisation et a analysé la comptabilité de sa société. Dans une note du 12.08.2022, elle a retenu que l’assuré avait un statut d’indépendant. Au vu des fortes fluctuations des salaires déclarés, le revenu sans invalidité devait être calculé sur une moyenne. Elle l’a fixé à CHF 60’387, ce qui correspondait à la moyenne des revenus de 2010 à 2013, chacun indexé à 2015. Le revenu d’invalide, fixé à CHF 66’652.40, était basé sur l’ESS) 2014 (TA1_tirage_skill_level, hommes, niveau 1). Aucun abattement n’était justifié. La comparaison des revenus ne révélait aucune perte de gain.

Par décision du 15.08.2022, l’assurance-accidents a repris son calcul d’invalidité et exclu le droit à une rente d’invalidité. Par décision sur opposition du 27.04.2023, l’assurance-accidents a rejeté l’opposition, mais admis un abattement de 5% sur la base de la nationalité et de l’autorisation de séjour de l’assuré. Le revenu d’invalide devait ainsi être fixé à CHF 63’319.49. La comparaison des revenus ne montrait pas de perte de gain.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/22/2024 – consultable ici)

Par jugement du 27.08.2015, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
L’arrêt attaqué expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs à l’évaluation de l’invalidité. Il présente notamment la jurisprudence selon laquelle le revenu sans invalidité s’évalue le plus concrètement possible, soit généralement d’après le dernier salaire perçu avant la survenance de l’atteinte à la santé. Il est toutefois possible de s’en écarter lorsqu’on ne peut le déterminer sûrement, notamment lorsqu’il est soumis à des fluctuations importantes; il faut alors procéder à une moyenne des gains réalisés sur une période relativement longue (arrêts 9C_651/2019 du 18 février 2020 consid. 6.2 et 9C_428/2009 du 13 octobre 2009 consid. 3.2.1; cf. ég. arrêt 8C_157/2023 du 10 août 2023 consid. 3.2 et les références). On peut ainsi y renvoyer.

Consid. 3.2
Il ressort de l’arrêt cantonal que l’extrait de compte individuel de l’assuré affichait des revenus soumis à cotisation de CHF 20’499 en 2006, CHF 38’730 en 2007, CHF 22’115 en 2008, CHF 55’746 en 2009, CHF 55’471 en 2010, CHF 55’471 en 2011, CHF 53’692 en 2012 et CHF 74’136 en 2013. Sur cette base, les juges cantonaux ont considéré que les revenus de l’assuré avaient subi des fluctuations importantes et qu’en se fondant sur les salaires soumis à cotisation sur une période de quatre ans, l’assurance-accidents avait établi le revenu sans invalidité de façon conforme aux principes dégagés par la jurisprudence. Le choix d’une telle période courant dès 2010 plutôt qu’une période plus longue était favorable à l’assuré dès lors que les salaires soumis à cotisation durant les années précédentes étaient largement inférieurs, hormis en 2009.

Consid. 3.3
L’appréciation de la cour cantonale ne prête pas flanc à la critique. En effet, les revenus perçus par l’assuré en 2013 dépassent de plus de 35% ceux qu’il a touchés depuis qu’il est l’associé unique de son entreprise, alors que ses revenus entre 2009 et 2012 ont varié de quelques centaines de francs. Sans préjuger des perspectives futures de l’assuré et de son entreprise, les gains de l’assuré en 2013 présentent une fluctuation importante par rapport aux années précédentes et ne permettent pas de déterminer avec certitude son revenu sans invalidité. La cour cantonale n’a ainsi pas violé le droit fédéral en considérant que l’assurance-accidents pouvait se fonder sur une moyenne des revenus pour déterminer le revenu sans invalidité. Comme elle l’a relevé, la période de quatre ans retenue à cet effet est par ailleurs favorable à l’assuré. Mal fondée, l’argumentation de l’assuré doit être écartée.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_121/2024 consultable ici

 

8C_218/2024 (f) du 13.06.2024 – Droit à l’indemnité chômage – Période de contrôle – Délai pour la remise du formulaire « Indications de la personne assurée » / 20 al. 3 LACI – 27a OACI – 29 al. 2 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_218/2024 (f) du 13.06.2024

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité chômage – Période de contrôle – Délai pour la remise du formulaire « Indications de la personne assurée » / 20 al. 3 LACI – 27a OACI – 29 al. 2 OACI

 

Un assuré né en 1963 s’est inscrit comme demandeur d’emploi à temps complet auprès de l’ORP le 18.11.2019, sollicitant des prestations de l’assurance-chômage. Le 29.03.2021, il a mentionné sur le formulaire « Indications de la personne assurée » (IPA) avoir obtenu des rémunérations pour des curatelles effectuées courant 2020. La caisse de chômage a demandé des précisions sur cette activité, notamment les heures consacrées, le nombre de mandats et les montants estimés pour 2021. En attendant ces informations, elle a suspendu le versement des indemnités journalières dès mars 2021, avertissant l’assuré du risque de déchéance de son droit à l’indemnité s’il ne se conformait pas à son obligation de collaborer.

Malgré plusieurs relances, l’assuré n’a pas fourni les informations demandées dans les délais impartis. La caisse a alors contacté l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (ci-après: APEA), qui a confirmé que l’assuré avait effectué douze curatelles depuis novembre 2019, avec des revenus en février et août 2021. Entre-temps, l’assuré s’est désinscrit du chômage le 18.06.2021.

Par décision du 17.12.2021, la caisse a nié le droit à l’indemnité de chômage depuis le 01.03.2021 et exigé le remboursement d’une avance de 4’000 fr. pour mars 2021. L’assuré s’est opposé et a fourni quelques documents relatifs à son activité de curateur. La caisse a rejeté cette opposition le 18.08.2023.

Le 31.08.2023, l’assuré a remis à la caisse toutes les décisions de nominations de l’APEA, les copies des fiches de salaires et rémunérations perçues, une estimation des montants qu’il toucherait pour 2021 ainsi qu’un tableau récapitulatif de ses mandats.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 12.03.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Aux termes de l’art. 20 al. 3 LACI, le droit à l’indemnité de chômage s’éteint s’il n’est pas exercé dans les trois mois suivant la fin de la période de contrôle à laquelle il se rapporte. Chaque mois civil constitue une période de contrôle (art. 27a OACI). Le délai prévu par l’art. 20 al. 3 LACI est un délai de péremption qui ne peut être ni prolongé ni interrompu, mais peut faire l’objet d’une restitution s’il existe une excuse valable pour justifier le retard (ATF 117 V 244 consid. 3; arrêt 8C_433/2014 du 16 juillet 2015 consid. 2.1 et l’arrêt cité).

Consid. 4.2
Conformément à l’art. 29 al. 2 OACI, pour faire valoir son droit à l’indemnité, l’assuré doit remettre à la caisse le formulaire « Indications de la personne assurée » (let. a), les attestations de gain intermédiaire (let. b) et les autres informations que la caisse de chômage exige pour l’examen du droit à l’indemnité (let. c). L’alinéa 3 prévoit qu’au besoin, la caisse lui impartit un délai approprié pour compléter le dossier et le rend attentif aux conséquences d’un manquement de sa part. Ce délai ne peut et ne doit être accordé que pour compléter les premiers documents et non pour pallier leur absence (arrêt 8C_433/2014 précité consid. 2.2).

Consid. 5 [résumé]

La juridiction cantonale a constaté que l’assuré n’avait pas respecté le délai de trois mois pour soumettre les documents nécessaires à son droit à l’indemnité. Bien qu’il manquait certains éléments, il aurait pu fournir une liste de ses curatelles, les décisions de nomination de l’APEA, ainsi que des estimations de revenus.

Ses déclarations sur le nombre de curatelles (deux) étaient inférieures aux douze mandats réellement gérés, indiquant un manque de volonté de collaborer. Les documents soumis en 2022 et le 31.08. 2023 étaient tardifs et ne justifiaient pas son absence de collaboration pendant la période de chômage. La juridiction a donc conclu que les conditions pour une restitution de délai selon l’art. 41 LPGA n’étaient pas remplies.

Consid. 6.1 [résumé]
L’assuré maintient avoir constamment collaboré avec la caisse de chômage et transmis tous les documents en sa possession, estimant ainsi devoir être protégé dans sa bonne foi. Il affirme avoir convenu avec la responsable juridique de la caisse d’envoyer les documents progressivement. Cependant, cette affirmation repose sur des faits non constatés par les juges cantonaux, sans que l’assuré ne démontre que les conditions des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF soient remplies.

L’assuré argue également que les sollicitations continues de la caisse pour l’envoi de documents s’opposaient à la négation de son droit aux indemnités. Toutefois, il omet de considérer que la caisse l’avait explicitement averti du risque de déchéance de son droit, après avoir suspendu le versement des indemnités.

En conséquence, le grief de l’assuré est écarté.

Consid. 6.2
Invoquant successivement l’arbitraire, le principe de proportionnalité et la violation de l’art. 29 al. 2 let. c OACI, l’assuré reproche ensuite aux juges cantonaux d’avoir retenu qu’il ne s’était pas conformé à son obligation de collaborer malgré l’envoi des documents dont il disposait, même après sa désinscription du chômage. Selon l’assuré, il n’était pas avéré que la caisse de chômage manquait d’éléments pour se déterminer sur sa situation financière, dès lors qu’elle avait pu établir un tableau Excel très précis lorsque l’APEA avait rendu sa décision, et elle aurait été d’accord d’attendre l’envoi des documents, consciente que le délai de trois mois en 2021 ne pouvait être respecté. En outre, à aucun moment il n’aurait été fait mention de l’urgence à transmettre les documents.

L’argumentation est mal fondée. En effet, les juges cantonaux ont considéré à juste titre qu’en refusant de fournir initialement les informations permettant à la caisse de chômage de se faire une idée d’ensemble de l’activité de curateur, l’assuré avait rendu impossible l’examen de son droit aux prestations. Singulièrement, ils ont constaté que le 26.06.2021, la caisse de chômage avait listé précisément les informations qui devaient encore lui être communiquées, avertissant une nouvelle fois l’assuré du risque de déchéance de son droit à l’indemnité s’il ne se conformait pas à son obligation de collaborer. En tout état de cause, l’assuré était objectivement en mesure d’établir une liste des curatelles exercées depuis novembre 2019, de fournir les décisions de nomination (caviardées), la durée d’activité par mandat et les rémunérations déjà obtenues, ainsi qu’une estimation des montants à percevoir, ceci avant le prononcé de la décision du 17.12.2021, ou à tout le moins jusqu’à la décision sur opposition du 18.08.2023. Or ces informations n’ont été produites que le 31.08.2023. On précisera à cet égard que les juges cantonaux n’avaient pas à prendre en considération les documents produits le 31.08.2023, dès lors qu’ils apprécient la légalité de la décision sur opposition d’après l’état de fait existant au moment où elle a été rendue (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et les références).

Cela étant, en tant que l’assuré soutient n’avoir transmis les éléments relatifs à sa rémunération qu’à réception des décisions de l’APEA, il ne démontre pas en quoi il aurait été dans l’impossibilité de remettre les autres informations dans le délai imparti. Il ne saurait bénéficier de circonstances qui justifieraient de ne pas appliquer les conséquences négatives découlant de l’art. 20 al. 3 LACI en relation avec l’art. 29 OACI. Partant, les juges cantonaux n’ont pas violé le droit fédéral en confirmant la négation du droit à l’indemnité de chômage pour la période courant à partir du 01.03.2021.

Consid. 6.3
Enfin, l’assuré se prévaut de sa bonne foi et de sa situation financière, en référence à l’art. 25 al. 1 LPGA auquel renvoie l’art. 95 al. 1 LACI, pour la restitution de l’avance de 4’000 fr. du mois de mars 2021. Or il s’agit de faits qui, d’une part, n’ont pas été allégués devant les juges cantonaux et, d’autre part, sortent de l’objet du litige dès lors qu’ils tendent à l’obtention de la remise de l’obligation de restituer, qu’il est loisible à l’assuré de demander dans les 30 jours à compter du prononcé du présent arrêt s’il estime que les conditions d’une telle remise sont remplies (cf. art. 25 al. 1, deuxième phrase, LPGA et art. 4 al. 4 OPGA).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_218/2024 consultable ici

 

8C_520/2023 (f) du 28.02.2024 – Valeur probante de l’expertise médicale – Contradiction entre les experts dans l’évaluation consensuelle – 44 LPGA / Vraisemblance d’un diagnostic somatique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_520/2023 (f) du 28.02.2024

 

Consultable ici

 

Valeur probante de l’expertise médicale – Contradiction entre les experts dans l’évaluation consensuelle / 44 LPGA

Vraisemblance d’un diagnostic somatique

 

L’assurée, née en 1970 et domiciliée en France, a travaillé en Suisse dans la gestion de projets. Elle a subi deux accidents : une blessure à la main gauche le 28.03.2015 et une collision frontale en voiture le 02.03.2017, causant diverses contusions.

L’office AI a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire (médecine interne, psychiatrie, neurologie et orthopédie). Dans leur rapport du 30.10.2018, les experts n’ont diagnostiqué aucune atteinte ayant un impact sur sa capacité de travail, estimant celle-ci complète sauf pour de courtes périodes après les accidents et lors d’hospitalisations.

Dans un avis du 05.02.2019, la médecin du SMR, s’écartant des conclusions des médecins experts, a retenu que l’assurée avait présenté une incapacité de travail totale du 02.03.2017 au 31.10.2018, en raison d’un probable syndrome douloureux régional complexe (SDRC) à la main gauche, la capacité de travail étant entière à compter de cette dernière date.

Par décisions du 18.01.2021, l’Office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (OAIE) a alloué à l’assurée un quart de rente d’invalidité pour la période du 01.10.2016 au 21.05.2017, une rente entière du 01.06.2017 au 31.01.2019, ainsi que les rentes pour enfants liées à ces prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt C-884/2021 – consultable ici)

Par jugement du 08.06.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 7.1 [résumé]
L’assurée conteste la décision de la juridiction de première instance, arguant d’un établissement inexact des faits et d’une appréciation arbitraire des preuves. Elle critique la primauté accordée aux conclusions des médecins experts sur les autres documents médicaux. Elle met en avant un rapport du Dr C.__, spécialiste en chirurgie thoracique, daté du 29.03.2019, qui pose un nouveau diagnostic : un syndrome du défilé thoracique à compensation neurogène et veineuse. Ce diagnostic, établi après un examen approfondi et des consultations avec d’autres spécialistes, expliquerait ses symptômes et remettrait en question le diagnostic d’entorse chondro-sternale. L’assurée souligne que ce nouveau diagnostic, ainsi que la proposition de prise en charge chirurgicale, démontreraient l’existence d’une pathologie somatique réelle, contrairement aux conclusions des experts. Elle argue que de nombreux documents médicaux confirment son incapacité de travail et ses limitations fonctionnelles. Elle estime que les experts, n’ayant pas eu connaissance de cette nouvelle appréciation, n’auraient pas dû être suivis dans leurs conclusions. Elle critique également le fait que les juges aient écarté les limitations fonctionnelles liées aux effets secondaires de sa médication.

 

Consid. 7.2.1
Selon les faits constatés par les premiers juges – qui lient le Tribunal fédéral – une IRM de la cage thoracique pratiquée le 05.07.2017 a mis en évidence une disjonction (ou entorse) chondro-sternale au niveau du premier arc à droite, associée à une importante réaction inflammatoire. Par la suite, ce diagnostic a été repris par plusieurs médecins, notamment ceux de la Clinique de réadaptation dans un rapport de sortie du 03.07.2018, certains, comme ceux de l’hôpital D.__, le qualifiant ou le mettant en lien avec une pseudarthrose.

Consid. 7.2.2
Il ressort en outre des constatations de la cour cantonale que les médecins experts ont fait état d’une douleur thoracique antérieure irradiant dans le membre supérieur droit, avec douleur non systématisée de la main droite depuis mars 2017 (pseudarthrose costale). Ils n’en ont toutefois déduit aucune incapacité de travail. Certaines de leurs explications – exposées dans l’arrêt entrepris – en lien avec la pathologie observée s’avèrent toutefois discordantes et donc peu convaincantes. Dans leur évaluation consensuelle, ils ont tout d’abord relevé, au plan orthopédique, que « la douleur costale droite séquellaire de l’accident de la circulation, avec pseudarthrose ostéo-chondrale de la première côte, et les douleurs de la main droite, [n’avaient] pas de substrat organique, la pseudarthrose [pouvant] provoquer une gêne mais pas [la] douleur ressentie par la personne assurée » (p. 8 du rapport). Ils ont ensuite indiqué, sur le plan neurologique, que « la douleur parfaitement crédible et objectivée radiologiquement d’une atteinte articulaire costo-sternale de l’articulation entre la première côte et le sternum, dans les suites du choc important que la personne assurée a subi, n'[était] pas discutable », en précisant que les conséquences fonctionnelles (impossibilité d’usage normal du membre supérieur droit) de cette atteinte n’étaient pas explicables par la simple douleur costo-sternale, qui restait aussi importante après une année d’évolution (p. 9 du rapport). Les experts semblent donc se contredire, en excluant d’abord que la pseudarthrose chondro-sternale puisse être à l’origine des douleurs de l’assurée, puis en imputant ces mêmes douleurs à cette atteinte costo-sternale objectivée par IRM. On peut se demander si les experts ont voulu distinguer l’existence ou non de douleurs dues à un substrat organique selon le point de vue orthopédique d’une part, et neurologique d’autre part; cela ne paraît toutefois pas être le cas, dès lors que même au plan neurologique, il est fait référence à une atteinte douloureuse articulaire. Quoi qu’il en soit, les experts ont ensuite exclu tout trouble sur le plan neurologique (p. 10 du rapport).

Consid. 7.2.3 [résumé]
Contrairement aux conclusions de l’expertise, plusieurs médecins ont rapporté des troubles neurologiques chez l’assurée. Le Dr E.__, anesthésiologue, a noté des douleurs sternales et des douleurs neurogènes au membre supérieur droit, avec une asymétrie de température et une tuméfaction de la main droite. La Dre F.__, neurologue, a mentionné des thoracodynies et brachialgies, évoquant une névralgie du nerf inter-costo-brachial, bien que l’examen électroneuromyographique, techniquement difficile, n’ait pu confirmer la pathologie.

Les médecins de l’hôpital D.__ ont diagnostiqué un déconditionnement sur douleur probablement neuropathique au membre supérieur droit, lié à une pseudarthrose chondro-sternale. Plusieurs médecins, dont la Dre F.__ et le Dr G.__, ont souligné la nécessité d’un traitement antalgique important, incluant une médication morphinique.

Consid. 7.2.4 [résumé]
C’est dans ce contexte que le Dr C.__ a émis deux avis sur le cas de l’assurée. Dans son premier avis du 20.03.2019, il a conclu à une entorse chondro-sternale du premier arc droit, sans lien apparent avec les brachialgies et troubles sensitifs décrits. Le 29.03.2019, après une analyse plus approfondie incluant la littérature médicale, la relecture de l’IRM et des discussions avec des collègues de différentes spécialités, il a proposé un nouveau diagnostic : un syndrome du défilé thoracique à composante neurogène et veineuse. Selon le Dr C.__, ce diagnostic expliquerait mieux l’ensemble des symptômes de l’assurée que la seule disjonction chondro-sternale. Il proposait, malgré le contexte psychologique et assécurologique défavorable, une résection de la première côte par voie transaxillaire droite, qui permettrait possiblement de soulager une partie des symptômes.

Les premiers juges ne pouvaient donc manifestement pas constater que le docteur C.__ ne faisait pas état d’éléments objectifs expliquant les plaintes de l’assurée. Quand bien même le syndrome du défilé thoracique n’est cité qu’à titre hypothétique et le rapport du 29.03.2019 est assez sommaire, l’avis du docteur C.__ fait naître, compte tenu des lacunes de l’expertise pluridisciplinaire (cf. consid. 7.2.2 supra) et des rapports faisant état d’une composante neurogène (cf. consid. 7.2.3 supra), de très sérieux doutes sur la pertinence des conclusions de l’expertise concernant l’origine et l’ampleur des atteintes thoraciques et au membre supérieur droit, ainsi que la capacité de travail qui en découle. On ajoutera que les médecine experts n’ont pas été confrontés aux avis postérieurs à leur expertise, en particulier à l’appréciation du docteur C.__.

En vue de lever ces doutes, un complément d’instruction est nécessaire, sous la forme d’une expertise judiciaire, compte tenu par ailleurs des discordances de l’expertise pluridisciplinaire mises en évidences au consid. 7.2.2. Etant donné la nature de l’affection évoquée par le docteur C.__ (syndrome du défilé thoracique à composante neurogène et veineuse), l’expertise devra comprendre un volet neurologique et un volet angiologique.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_520/2023 consultable ici

 

8C_291/2024 (f) du 02.09.2024 – Notion d’invalidité – Décision rendue par les autorités françaises relative au degré d’invalidité ne lie pas les autorités suisses / 7 LPGA – 8 LPGA – ALCP

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_291/2024 (f) du 02.09.2024

 

Consultable ici

 

Capacité de travail exigible – Valeur probante de l’expertise pluridisciplinaire / 16 LPGA – 44 LPGA

Notion d’invalidité – Décision rendue par les autorités françaises relative au degré d’invalidité ne lie pas les autorités suisses / 7 LPGA – 8 LPGA – ALCP

 

Assuré, né en 1979, de nationalité française et domicilié en France, a été victime d’un accident de la circulation le 17.02.2016. Le 29.12.2016, dépôt d’une demande AI. Après avoir recueilli le dossier médical de l’assuré auprès de l’assurance-accidents et de l’assureur perte de gain, a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire (rhumatologie, médecine générale, psychiatrie, neurologie et neuropsychologie ; rapport du 06.09.2019). Les experts ont conclu à l’absence de limitations fonctionnelles et à une capacité de travail de 100 % dans l’activité habituelle dès le 17.05.2016.

Par projet de décision du 13.09.2019, l’office AI a informé l’assuré qu’il entendait rejeter sa demande de prestations AI. L’assuré ayant contesté ce projet de décision, l’Office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (ci-après: OAIE) a confirmé, par décision du 07.11.2019, le projet de décision du 13.09.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt C-6396/2019 – consultable ici)

Par jugement du 08.04.2024, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 5.1
L’expertise pluridisciplinaire du 06.09.2019 a conclu à l’absence de diagnostics et de limitations fonctionnelles ayant un impact sur la capacité de travail de l’assuré. Plusieurs diagnostics sans incidence sur la capacité de travail ont été retenus, notamment des troubles de personnalité, des céphalées, et divers problèmes physiques. L’expertise a établi que la capacité de travail de l’assuré était de 100% dans son activité habituelle et adaptée, sur les plans psychiatrique, neurologique et de médecine interne. En rhumatologie, la capacité de travail était de 100% dès le 17.05.2016, soit trois mois après l’accident. La cour cantonale a jugé que l’expertise pluridisciplinaire avait pleine valeur probante, les experts ayant examiné toutes les atteintes alléguées par l’assuré, motivé leurs conclusions de manière claire et circonstanciée, et pris en compte les rapports médicaux antérieurs pertinents. Les conclusions de l’expertise ont été confirmées par le médecin du SMR.

Consid. 5.3
Compte tenu de son pouvoir d’examen restreint, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de procéder une nouvelle fois à l’appréciation des preuves administrées, mais à la partie recourante d’établir en quoi celle opérée par l’autorité cantonale serait manifestement inexacte ou incomplète, ou en quoi les faits constatés auraient été établis au mépris des règles essentielles de procédure. En l’occurrence, la juridiction cantonale a rappelé que le rapport d’expertise pluridisciplinaire du 06.09.2019 avait pleine valeur probante et que les experts s’étaient prononcés sur l’ensemble de la documentation médicale pertinente ainsi que sur les atteintes alléguées par l’assuré. En se limitant à arguer qu’il y aurait lieu de réévaluer objectivement son taux invalidité en tenant compte des nombreux diagnostics retenus par ses médecins français, à savoir un syndrome cervico-céphalique avec raideur cervicale, un syndrome de stress post-traumatique sévère et une névrose post-traumatique sévère sans perspective évolutive, l’assuré ne tente nullement d’établir, au moyen d’une argumentation précise et étayée, le caractère insoutenable de la constatation des faits opérée par les premiers juges et de l’appréciation juridique qu’ils ont faite de la situation.

Consid. 5.4
C’est par ailleurs en vain que l’assuré se réfère à des décisions rendues par la caisse d’assurance maladie (CPAM) et la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) lui reconnaissant un état d’invalidité « réduisant des deux-tiers au moins ses capacités de travail et de gain » ainsi qu’une invalidité « Catégorie 2 » reconnaissant son incapacité d’exercer une quelconque profession à compter du 8 octobre 2019. Ces pièces ne sont en effet pas pertinentes pour l’issue du présent litige, parce que la reconnaissance par les autorités françaises compétentes d’une incapacité totale de travail n’aurait pas d’influence sur l’examen du droit à une rente de l’assurance-invalidité suisse. En effet, le degré d’invalidité d’un assuré qui prétend une telle prestation est déterminé exclusivement d’après le droit suisse, même lorsque, comme en l’espèce, les dispositions de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) sont applicables à la contestation devant les autorités suisses (ATF 130 V 253 consid. 2.4; arrêts 9C_315/2018 du 5 mars 2019 consid. 2.2, 9C_486/2022 du 17 août 2023 consid. 2.2). Contrairement à ce que soutient l’assuré, la décision rendue par les autorités françaises relative à son degré d’invalidité ne lie pas les autorités suisses en application de l’art. 46 par. 3 du Règlement CE n° 883/2004, dès lors que la concordance des conditions relatives au degré d’invalidité entre les législations suisse et française n’est pas reconnue à l’annexe VII.

Enfin les premiers juges ont dûment pris en considération les documents médicaux établis en France, dont ils ont apprécié la valeur probante comme ils l’ont fait pour les documents médicaux établis en Suisse.

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_291/2024 consultable ici

 

Atteinte à l’intégrité en cas de lésion oculaire – Révision de la table 11

Atteinte à l’intégrité en cas de lésion oculaire – Révision de la table 11

 

Article de Dominik Gerber Hostettler/Karen Jäger, in Suva Medical du 30.09.2024 consultable ici

 

Vingt-six ans après sa dernière révision, le tableau IpAI 11 de la Suva, relatif aux lésions oculaires consécutives à un accident, a fait l’objet d’une nouvelle révision afin de tenir compte des progrès de la médecine. Les erreurs mathématiques ont été corrigées, les données concernant la restriction du champ visuel et la diplopie ont été intégrées dans un document, et la lisibilité a été simplifiée.

Situation initiale

La loi fédérale sur l’assurance-accidents de 1984 a introduit le versement d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité en cas de lésions corporelles importantes et persistantes. Dans l’ordonnance d’exécution de cette loi, le Conseil fédéral a défini des valeurs pour certains tableaux cliniques. Sur cette base, la Suva a développé différents tableaux afin d’uniformiser les évaluations correspondantes. Le tableau 11, révisé pour la dernière fois en 1998, concerne les lésions oculaires consécutives à un accident.

Cependant, certaines sections de ce tableau sont désormais obsolètes dans la pratique. Certaines ne semblent plus réalistes d’un point de vue médical, en tenant compte des progrès thérapeutiques et des avancées de la médecine.

De plus, une section comporte des erreurs mathématiques (tableau «Lésions oculaires combinées», dernière page du tableau 11 révisé en 1998), où des atteintes plus graves à la santé se traduisent parfois par une atteinte à l’intégrité plus faible.

En outre, les informations relatives à l’évaluation des atteintes à l’intégrité en cas de diplopie et de restrictions du champ visuel sont présentées de manière très sommaire. En interne, la Suva évaluait ces atteintes sur la base d’une publication élaborée en 1994 (Guide sur les lésions oculaires 1994, ABAS94, publication Suva 2293/5). Cette publication n’a pas été numérisée, ce qui la rendait quasiment inaccessible au grand public et aux experts.

Pour toutes ces raisons, il a été décidé de réviser le tableau 11. Cette révision vise à intégrer les progrès médicaux significatifs réalisés au cours des 25 dernières années, à corriger les erreurs mathématiques et à regrouper dans un seul document les informations concernant les restrictions du champ visuel et la diplopie.

Un autre objectif est de simplifier la lisibilité pour les utilisateurs et utilisatrices moins expérimentés.

Dans l’ensemble, il ne s’agit pas d’une révision complète, car l’évaluation des atteintes ophtalmologiques reste globalement inchangée, avec peu de modifications concernant les atteintes à l’intégrité correspondantes.

 

Réflexions et commentaires relatifs à la révision

Structure du tableau 11

En guise d’introduction, les remarques générales rappellent brièvement les bases juridiques, tandis que les autres sections fournissent des valeurs indicatives pour les atteintes à l’intégrité consécutives à différentes lésions ophtalmologiques, avec, le cas échéant, une brève justification.

 

Révision des paragraphes individuels

Introduction, remarques générales
Cette section présente brièvement les bases légales, à savoir la LAA et l’OLAA, pour l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité, ainsi que certaines réflexions fondamentales.

La remarque relative aux tableaux de Rintelen, encore présente dans la révision de 1998, a été supprimée. Bien que ces tableaux de 1954 soient intéressants d’un point de vue historique, ils ne sont plus connus ni utilisés dans la pratique actuelle. Les principales réflexions qu’ils contiennent restent valables et ont été intégrées aux connaissances de base en ophtalmologie moderne. Il en va de même pour le Vademecum de la Société Suisse d’Ophtalmologie, qui n’a pas été mis à jour depuis plusieurs décennies et n’est plus disponible.

Il en est de même pour la remarque relative aux lésions préexistantes non assurées. Ces considérations restent valables dans une approche pluridisciplinaire des réflexions générales sur l’atteinte à l’intégrité. La remarque sur les risques de lésions ultérieures est également obsolète. En effet, selon l’art. 36 OLAA, il convient de tenir équitablement compte des aggravations prévisibles.

  1. Diminution unilatérale de la vision

L’indication de la vision de loin est reprise telle quelle de la révision de 1998, bien que la vision ne soit désormais plus exprimée en valeurs décimales (1,0 ; 0,9 ; 0,8 ; 0,7 ; … 0,1 ; 0), mais en échelle logarithmique (1,0 ; 0,8 ; 0,63 ; 0,5 ; … 0,16 ; 0,1 ; 0,08 ; 0,05 ; 0,0). Toutefois, dans la pratique clinique, les indications en échelle décimale sont encore couramment utilisées, et elles sont donc conservées pour l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité. En plus du fait que des valeurs d’atteinte à l’intégrité étaient déjà attribuées dans la révision de 1998 pour des niveaux de vision plus faibles, cette reprise permet d’assurer l’égalité de traitement de tous les cas dans la révision actuelle.

L’objectif est de remédier à une incertitude fréquente dans l’estimation de l’atteinte à l’intégrité. Désormais, on accorde davantage d’importance au potentiel visuel, c’est-à-dire à la vision de loin probablement atteignable avec une correction optimale et après la clôture définitive du cas (voir également les paragraphes «Aphakie» et «Anisométropies»). Il n’est pas rare, dans la médecine des assurances, qu’une nouvelle intervention soit réalisée des années après la clôture du cas et l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité, permettant ainsi de mieux exploiter le potentiel visuel. Par exemple, une cicatrice cornéenne, dont le traitement chirurgical avait été refusé au moment de la clôture (par les médecins traitants ou la personne assurée, par exemple en raison d’un risque jugé trop élevé), peut être opérée ultérieurement si une amélioration des techniques chirurgicales rend l’intervention plus facile, plus sûre et plus fiable. Dans un tel cas, l’atteinte à l’intégrité pourrait alors avoir été nettement surévaluée.

  1. Pseudophakie, aphakie

De nos jours, l’aphakie consécutive à un accident est rarement un état permanent. Dans la grande majorité des cas, la lentille intraoculaire manquante peut être remplacée ultérieurement par une lentille artificielle (implantation de lentille secondaire), parfois plusieurs années après. Il n’est donc plus justifié d’évaluer l’atteinte à l’intégrité séparément pour l’aphakie. Si la clôture administrative du cas est souhaitée, il convient plutôt de présumer une future pseudophakie (implantation d’une lentille artificielle après l’ablation du cristallin) pour estimer l’atteinte à l’intégrité. Si une implantation secondaire n’est pas pertinente ou possible médicalement, notamment en cas d’autres atteintes affectant la vision, l’atteinte à l’intégrité doit être évaluée selon le paragraphe 2 (Diminution unilatérale de la vision) ou le paragraphe 9 (Lésions oculaires combinées). Il est bien entendu possible de déroger à cette prescription avec une argumentation d’expert appropriée, c’est-à-dire en justifiant une autre évaluation de l’atteinte à l’intégrité.

  1. Anisométropies

À partir d’un certain degré, les anisométropies (importantes différences de réfraction entre les deux yeux) ne peuvent plus être corrigées par des lunettes, en principe lorsque la différence dépasse 3,0 dioptries entre les deux yeux. Dans ce cas, le traitement doit être réalisé avec des lentilles de contact ou par une intervention réfractive. Ainsi, l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité doit prendre en compte la vision pouvant être obtenue après une correction optimale, conformément au paragraphe 2. Cette prescription peut également être contournée sur la base d’une argumentation d’expert appropriée.

  1. Dommages esthétiques

Les problèmes répartis sur différents paragraphes dans la révision de 1998 ont été regroupés en une seule section. Seuls les cas dûment justifiés donnent lieu à l’estimation d’une atteinte à l’intégrité supplémentaire de plus de 5%. Pour la perte de la vision d’un œil, le législateur fixe une atteinte à l’intégrité de 30% comme atteinte maximale. Par exemple, la fourniture d’une prothèse oculaire doit être évaluée avec une atteinte à l’intégrité de 35% (cela correspond à une cécité unilatérale totale associée à une altération esthétique, atteinte à l’intégrité 30 + 5 = 35%).

  1. Diplopie

La diplopie n’a été prise en compte que de manière sommaire dans la révision de 1998. Afin de préciser l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité, la pratique interne de la Suva s’est référée à la publication 2293/5 de la Suva, le Guide sur les lésions oculaires 1994 (ABAS94), et a procédé à l’estimation de l’atteinte à l’intégrité conformément au chiffre 931. La publication ABAS94 n’a pas été mise à jour et n’a pas de version numérique. C’est pourquoi cette publication n’est plus accessible pour la plupart des utilisateurs et utilisatrices externes de la Suva. L’intégration du graphique correspondant dans le tableau 11 est donc logique.

  1. Restrictions du champ visuel

À l’instar de l’évaluation de la diplopie, l’évaluation des restrictions du champ visuel était également réalisée en interne par la Suva à l’aide du Guide ABAS94. Les valeurs ont été précisées et intégrées dans le tableau 11.

  1. Lésions oculaires combinées

Le tableau «Lésions oculaires combinées» de la révision de 1998 comportait des erreurs et a fait l’objet d’un nouveau calcul ainsi que d’un contrôle par l’actuaire interne de la Suva.

 

Résumé

Les auteurs de la révision de 2024 du tableau 11 ont visé à établir une publication indépendante permettant d’évaluer de manière cohérente les atteintes à l’intégrité sur la base des troubles de la santé ophtalmologiques consécutifs à un accident. Il s’agit d’une part de fournir suffisamment de points de repère, et d’autre part de laisser une marge de manœuvre suffisante aux différentes évaluations d’experts. Les écarts par rapport aux valeurs d’atteinte à l’intégrité dans le tableau 11 peuvent être justifiés par une argumentation d’expert.

La publication ABAS94, utilisée jusqu’à présent en interne à la Suva et quasiment inaccessible aux experts externes, a été intégrée au tableau 11.

On s’est en outre efforcé de mieux tenir compte des progrès de la médecine ophtalmologique. Cela concerne en particulier la meilleure vision atteignable, l’aphakie et l’anisométropie.

Enfin, la révision de 2024 doit fournir une application compréhensible également pour les utilisateurs les moins expérimentés.

 

Article de Dominik Gerber Hostettler/Karen Jäger, in Suva Medical du 30.09.2024 consultable ici

Nouvelle table 11 consultable ici

 

Dominik Gerber Hostettler/Karen Jäger, Integritätsschaden unfallbedingter Augenschäden: Revision Tabelle 11, Suva Medical 30.09.2024, hier abrufbar

 

NB : Notre page «Tables des indemnisations des atteintes à l’intégrité selon la LAA» a été mise à jour.