Archives de catégorie : Jurisprudence

8C_96/2021 (f) du 27.05.2021 – Evaluation de la capacité de travail exigible – 6 LPGA / Rapport du médecin-traitant fondé sur les douleurs de l’assurée – Evaluation de l’incapacité de gain (invalidité) – 7 LPGA – 8 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_96/2021 (f) du 27.05.2021

 

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Evaluation de la capacité de travail exigible / 6 LPGA

Rapport du médecin-traitant fondé sur les douleurs de l’assurée

Evaluation de l’incapacité de gain (invalidité) / 7 LPGA – 8 LPGA

 

Assurée, née en 1970, employée depuis le 09.10.2010 comme ouvrière polyvalente, victime d’une chute dans un escalier le 03.01.2017, entraînant une fracture-luxation trimalléolaire de la cheville gauche. Dépôt de la demande AI le 09.10.2017.

Après avoir pris connaissance du dossier de l’assurance-accidents, notamment du rapport de sortie de la Clinique de réadaptation et du rapport d’examen final du médecin-conseil, l’office AI a rendu un projet de décision refusant à l’assurée le droit à des prestations de l’assurance-invalidité (rente d’invalidité et mesures de reclassement). Les objections formulées par l’assurée n’ont pas permis à l’administration de revenir sur sa position, de sorte que le projet a été confirmé par décision.

Entre-temps, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations avec effet au 30.06.2018 et a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité, lui reconnaissant cependant le droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 61/19 – 405/2020 – consultable ici)

La cour cantonale a reconnu une pleine valeur probante au rapport d’examen final du médecin-conseil de l’assurance-accidents ainsi qu’au rapport de sortie de la Clinique de réadaptation, dont il ressortait que la capacité de travail résiduelle de l’assurée était de 100% dans une activité adaptée, c’est-à-dire une activité permettant d’éviter la marche prolongée, en particulier en terrain irrégulier, les montées et descentes répétitives d’escaliers, la position accroupie prolongée et le port de charge supérieur à un port de charge léger entre 5 et 10 kg.

Constatant que l’assurée n’avait soulevé aucun grief s’agissant de la comparaison des revenus et de l’évaluation du taux d’invalidité, les juges cantonaux ont confirmé le calcul auquel avait procédé l’office AI, en précisant pour le revenu d’invalide que même s’il fallait admettre un abattement de 10%, cela ne conduirait manifestement pas à un taux d’invalidité ouvrant droit aux prestations litigieuses.

 

Par jugement du 10.12.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Evaluation de la(l’) (in)capacité de travail

L’assurée fait d’abord valoir qu’elle aurait de la peine à travailler, même en position assise, ce qui serait confirmé par le rapport des ateliers professionnels de la Clinique de réadaptation. Ce faisant, elle ne parvient pas à démontrer que la juridiction cantonale aurait fait preuve d’arbitraire dans l’établissement des faits ou dans l’appréciation des preuves. En effet, on rappellera que la capacité de travail est une question qui doit être évaluée en premier lieu par un médecin (cf. ATF 140 V 193 consid. 3.2). Le rôle de celui-ci est d’indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités la personne assurée est incapable de travailler, en se fondant sur des constatations médicales et objectives, soit des observations cliniques qui ne dépendent pas uniquement des déclarations de l’intéressé, mais sont confirmées par le résultat des examens cliniques et paracliniques (MARGIT MOSER-SZELESS in: Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales [Dupont/Moser-Szeless éd.], 2018, n° 24 ad art. 6 LPGA). Dans ces conditions, c’est sans tomber dans l’arbitraire que la cour cantonale a déterminé la capacité de travail résiduelle de l’assurée en se référant au rapport du médecin-conseil de l’assurance-accidents. Celui-ci a retenu une pleine capacité de travail de l’assurée dans une activité adaptée, en précisant que si une impossibilité de reprendre l’activité habituelle avait été admise à la Clinique de réadaptation, cela résultait essentiellement de facteurs non médicaux.

 

Rapport du médecin-traitant fondé sur les douleurs de l’assurée

Contrairement à l’allégation de l’assurée, le médecin-traitant, spécialiste FMH en médecine interne générale, n’a pas indiqué dans son rapport qu’une activité adaptée serait uniquement envisageable à temps partiel. Il a seulement relevé qu’une telle activité ne pouvait pas d’emblée être exercée à plein temps. Or, dans la mesure où ce praticien n’explique pas pour quel motif un temps d’adaptation serait indispensable pour que l’assurée puisse exercer une activité adaptée ne nécessitant pas de manière accrue la sollicitation de la cheville gauche, c’est sans arbitraire que la cour cantonale n’a pas tenu compte de cette remarque. S’agissant de la détermination de ce médecin, produite en cours de procédure cantonale, dans laquelle il atteste désormais une incapacité de travail totale dans toute activité, force est de constater que ses conclusions n’emportent pas la conviction. Outre le fait qu’il est admis de jurisprudence constante que le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l’unit à ce dernier (ATF 135 V 465 consid. 4.5; 125 V 351 consid. 3a/cc), on relèvera qu’il s’est essentiellement fondé sur les douleurs de l’assurée et n’a pas mis en évidence un élément objectif nouveau par rapport à l’examen final du médecin-conseil de l’assurance-accidents.

Quant au rapport du 4 septembre 2019 du Prof. E.__ et de la doctoresse F.__, respectivement médecin chef et médecin associée au Département de l’appareil locomoteur du Service d’orthopédie et traumatologie de l’Hôpital G.__, duquel il ressort que l’assurée n’est plus en mesure d’exercer son ancien métier il n’est pas pertinent pour la question litigieuse. En effet, le droit à une rente d’invalidité présuppose une diminution totale ou partielle des possibilités de gain de la personne assurée sur le marché du travail équilibré qu’entre en considération (art. 7 al. 1 et 8 al. 1 LPGA). Or, comme on l’a vu, les juges cantonaux ont constaté que l’assurée avait une capacité de travail résiduelle de 100% dans une activité adaptée. C’est aussi en conformité avec le droit fédéral qu’ils ont évalué l’existence d’une invalidité potentielle en tenant compte de toutes les possibilités de gain de l’assurée sur un marché de travail équilibré.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_96/2021 consultable ici

 

Cf. arrêt 8C_95/2021 du 27.05.2021 pour le volet AA du dossier.

 

 

8C_17/2021 (d) du 20.05.2021 – destiné à la publication – Pas d’indemnité Covid-19 en cas de réduction de l’horaire de travail pour des travailleuses du sexe étrangères en procédure d’annonce

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_17/2021 (d) du 20.05.2021, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 25.06.2021 disponible ici

 

Pas d’indemnité Covid-19 en cas de réduction de l’horaire de travail pour des travailleuses du sexe étrangères en procédure d’annonce

 

Les travailleuses du sexe étrangères qui travaillent en tant qu’employées dans un club et qui sont enregistrées en Suisse selon la procédure d’annonce n’ont pas droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) en lien avec le coronavirus. Le Tribunal fédéral rejette le recours de l’exploitante d’un sex club.

En raison des mesures prises par le Conseil fédéral contre le coronavirus, un sex club dans le canton de Thurgovie est resté fermé du 17 mars 2020 au 5 juin 2020. La société d’exploitation du club avait soumis en avril 2020 déjà, un préavis de RHT à l’Office de l’économie et du travail du canton de Thurgovie (AWA). La déclaration concernait 30 employées pour la période de fermeture de l’établissement. L’AWA a rejeté la demande. Le Tribunal administratif du canton de Thurgovie a annulé cette décision et a renvoyé l’affaire à l’AWA pour nouvelle instruction.

Le Tribunal fédéral admet le recours de l’AWA et confirme sa décision. Dans le sex club en question, les travailleuses du sexe sont enregistrées pour leur séjour en Suisse dans le cadre de la procédure dite d’annonce. Cette possibilité existe pour les ressortissantes et les ressortissants des pays de l’UE et de l’AELE pour une durée maximale de trois mois d’activité en Suisse. Après l’écoulement de ces 90 jours, les travailleuses peuvent, selon l’exploitante du club, demander encore un permis de séjour de courte durée pour un mois au plus. Il n’y a donc pas de véritable contrat de travail entre l’exploitante du club et les travailleuses du sexe, car celles-ci décident elles-mêmes du lieu, du type et de l’étendue des services sexuels. En ce qui concerne la relation de travail, il faut plutôt partir du principe que le travail est effectué quasiment sur appel du client. Dans l’ordonnance sur les mesures dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec le coronavirus (Ordonnance Covid-19 assurance-chômage), le Conseil fédéral a introduit des simplifications en matière d’indemnité en cas de RHT. Dans le cas des travailleuses et des travailleurs sur appel, le droit à l’indemnité en cas de RHT suppose, entre autres, qu’ils aient travaillé pendant 6 mois au moins dans l’entreprise qui dépose un préavis de RHT. La perte de travail déterminante est alors calculée sur la base des 6 ou 12 derniers mois. Puisque les travailleuses du sexe ne peuvent séjourner en Suisse que 4 mois par an au maximum, les exigences de l’Ordonnance Covid-19 assurance-chômage ne sont pas remplies. En outre, selon l’ordonnance en question, l’indemnité en cas de RHT n’a pas pour but de couvrir la perte de chiffre d’affaires de l’entreprise, mais de maintenir les emplois. Dès lors que les travailleuses du sexe sont payées directement par les clients et que l’exploitante du club ne leur doit aucun salaire, l’indemnité en cas de RHT ne profiterait donc qu’à l’entreprise, ce qui ne correspond pas au but des mesures prises par le Conseil fédéral.

 

 

 

Arrêt 8C_17/2021 consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 25.06.2021 disponible ici

 

 

9C_98/2021 (f) du 31.05.2021 – Capacité de travail exigible – Revenu d’invalide – 16 LPGA / Facteurs tels que âge, manque de formation ou difficultés linguistiques ne constituent pas des circonstances supplémentaires qui sont susceptibles d’influencer l’étendue de l’invalidité

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_98/2021 (f) du 31.05.2021

 

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Capacité de travail exigible – Revenu d’invalide / 16 LPGA

Facteurs tels que âge, manque de formation ou difficultés linguistiques ne constituent pas des circonstances supplémentaires qui sont susceptibles d’influencer l’étendue de l’invalidité

Absence de formation et maîtrise imparfaite du français ne constituent pas un obstacle à l’exercice d’une activité professionnelle non qualifiée

 

Le 09.06.2015, assuré, né en 1962 et employé dans une entreprise de production de verre, a été victime d’un accident. En octobre 2015, l’assuré a présenté une demande de prestations de l’assurance-invalidité.

Après avoir octroyé à l’assuré des mesures d’intervention précoce sous la forme d’un stage d’évaluation brève du 05.09.2016 au 02.10.2016, l’office AI a, entre autres mesures d’instruction, mandaté un spécialiste en médecine interne générale et en rhumatologie pour une expertise (rapport du 16.01.2018). Il a ensuite diligenté une expertise pluridisciplinaire. Dans leur rapport du 29.04.2019, les médecins-experts (spécialistes en médecine interne générale, en psychiatrie et psychothérapie en médecine physique et réadaptation et en rhumatologie) ont conclu à une incapacité totale de travail dans l’activité habituelle de manutentionnaire et de vitrier et à une capacité de travail entière dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles somatiques de l’assuré, sans diminution de rendement, depuis l’accident du 09.06.2015. Par décision, l’office AI a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2019 232 – consultable ici)

Par jugement du 14.12.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Capacité de travail exigible – Revenu d’invalide (consid. 5)

Selon la jurisprudence, dûment rappelée par la juridiction de première instance, s’il est vrai que des facteurs tels que l’âge, le manque de formation ou les difficultés linguistiques jouent un rôle non négligeable pour déterminer dans un cas concret les activités que l’on peut encore raisonnablement exiger d’un assuré, ils ne constituent pas, en règle générale, des circonstances supplémentaires qui, à part le caractère raisonnablement exigible d’une activité, sont susceptibles d’influencer l’étendue de l’invalidité, même s’ils rendent parfois difficile, voire impossible la recherche d’une place et, partant, l’utilisation de la capacité de travail résiduelle (arrêt 9C_774/2016 du 30 juin 2017 consid. 5.2 et la référence).

En l’espèce, au vu de son âge, presque 57 ans au moment de l’expertise pluridisciplinaire effectuée en 2019 (sur le moment où la question de la mise en valeur de la capacité [résiduelle] de travail pour un assuré proche de l’âge de la retraite sur le marché de l’emploi doit être examinée, voir ATF 138 V 457 consid. 3.3), l’assuré n’avait pas encore atteint l’âge à partir duquel le Tribunal fédéral admet qu’il peut être plus difficile de se réinsérer sur le marché du travail (sur ce point, voir ATF 143 V 431 consid. 4.5.2), comme l’ont dûment exposé les juges cantonaux. La juridiction cantonale a ensuite expliqué de manière convaincante que l’absence de formation de l’assuré et sa maîtrise imparfaite du français ne constituaient pas un obstacle à l’exercice d’une activité professionnelle non qualifiée, en rappelant du reste que ces circonstances ne l’avaient pas entravé avant d’être atteint dans sa santé puisqu’il avait travaillé durant près d’une vingtaine d’années en Suisse dans différents domaines (bâtiment, agriculture et industrie). Quant aux limitations fonctionnelles retenues par les experts, les juges cantonaux ont considéré qu’elles n’étaient pas contraignantes au point d’exclure l’engagement de l’assuré par un employeur potentiel, notamment dans le secteur de la production industrielle légère. Au regard de la liste des activités compatibles avec les limitations fonctionnelles établie par l’office AI (activités comme ouvrier dans la production industrielle légère ou les services, telles que le montage à l’établi, le contrôle des produits finis, la conduite de machines semi-automatiques, l’usinage de pièces légères ou le conditionnement léger), on constate en effet que la juridiction de première instance n’a pas violé le droit en admettant qu’il existait de réelles possibilités d’embauche sur le marché équilibré de l’emploi (à ce sujet, voir arrêt 9C_286/2015 du 12 janvier 2016 consid. 4.2 et les arrêts cités). En conséquence, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations de la juridiction cantonale quant à l’exigibilité d’une capacité de travail totale dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assuré dès le 09.06.2015.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_98/2021 consultable ici

 

 

6B_451/2019 (f) du 18.06.2019, publié 145 IV 206 – Conduite d’un cyclomoteur en état d’ébriété qualifiée – Cyclomotoriste appréhendé en tant que conducteur d’un véhicule automobile, selon son état d’ébriété ou son état d’incapacité de conduire / Conduite d’un cyclomoteur malgré un retrait de permis / Remarque concernant les vélos électriques « rapides » (jusqu’à 45 km/h)

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_451/2019 (f) du 18.06.2019, publié 145 IV 206

 

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ATF 145 IV 206 consultable ici

 

Conduite d’un cyclomoteur en état d’ébriété qualifiée – Cyclomotoriste appréhendé en tant que conducteur d’un véhicule automobile, selon son état d’ébriété ou son état d’incapacité de conduire

Conduite d’un cyclomoteur malgré un retrait de permis

Remarque concernant les vélos électriques « rapides » (jusqu’à 45 km/h)

 

A Oron-la-Ville, le 8 février 2018, vers 2h15, X.__ a circulé au guidon de son cyclomoteur alors qu’il se trouvait fortement sous l’influence de l’alcool (1,2 mg/l) et sous le coup d’une mesure de retrait de permis de conduire pour toutes catégories depuis 2011. De plus, les plaques d’immatriculation (hors circulation depuis 2011) ne correspondaient pas à ce cyclomoteur, lequel n’était par ailleurs pas couvert par une assurance responsabilité civile.

Le 8 juin 2018, X.__ a circulé au guidon d’un autre cyclomoteur alors qu’il était sous le coup d’une mesure de retrait de son permis de conduire pour toutes catégories depuis 2011, que les plaques d’immatriculation ne correspondaient pas à ce cyclomoteur, lequel n’était par ailleurs pas couvert par une assurance responsabilité civile.

Le casier judiciaire de X.__ fait état de seize condamnations entre mars 2011 et juillet 2018, dont quatorze concernent notamment des infractions en matière de circulation routière. Quinze mesures administratives ont également été prononcées, telles que des avertissements, des retraits de permis et un cours d’éducation.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 20 novembre 2018, le Tribunal de police a libéré X.__ des infractions de conduite en présence d’un taux d’alcool qualifié, de conduite d’un véhicule automobile sans autorisation, de circulation sans permis de circulation ou de plaques de contrôle, de circulation sans assurance responsabilité civile et d’usage abusif de permis et/ou de plaques de contrôle, l’a déclaré coupable de violations simples des règles de la circulation routière et l’a condamné à une amende de 2’500 francs.

Par jugement du 18 février 2019 (PE18.005892), la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud a admis l’appel formé par le ministère public contre le jugement de première instance. Elle a reconnu X.__ coupable de conduite en présence d’un taux d’alcool qualifié (art. 91 al. 2 let. a LCR), conduite d’un véhicule sans autorisation (art. 95 al. 1 let. b LCR), conduite sans permis de circulation ou plaques de contrôle et sans assurance responsabilité civile (art. 96 al. 1 let. a et al. 2 LCR) et usage abusif d’un permis ou de plaques de contrôle (art. 97 al. 1 let. a LCR). Elle a condamné X.__ à une peine privative de liberté de 6 mois, cette peine étant partiellement complémentaire à celle prononcée le 6 juillet 2018 par le ministère public fribourgeois ainsi qu’à une amende de 300 francs.

 

TF

Conduite d’un véhicule sous l’influence de l’alcool (consid. 1.1-1.2)

A teneur de l’art. 31 al. 2 LCR, toute personne qui n’a pas les capacités physiques et psychiques nécessaires pour conduire un véhicule parce qu’elle est sous l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de médicaments ou pour d’autres raisons, est réputée incapable de conduire pendant cette période et doit s’en abstenir.

L’art. 91 LCR fixe les conséquences pénales de la conduite malgré une incapacité de conduire et distingue notamment les véhicules automobiles des véhicules sans moteur.

Alors que la conduite d’un véhicule sans moteur en état d’incapacité de conduire constitue une contravention en vertu de l’art. 91 al. 1 let. c LCR, quel que soit le degré d’incapacité, l’art. 91 al. 2 let. a LCR punit d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire celui qui conduit un véhicule automobile en état d’ébriété et présente un taux d’alcool qualifié dans le sang ou dans l’haleine.

 

Conduite d’un cyclomoteur en état d’ébriété qualifiée (consid. 1.3-1.5)

Il s’agit de déterminer en l’espèce si le cyclomotoriste qui présente un taux d’alcool qualifié commet une contravention au sens de l’art. 91 al. 1 let. c LCR ou un délit au sens de l’art. 91 al. 2 let. a LCR.

A teneur de l’art. 7 al. 1 LCR, est réputé véhicule automobile au sens de la présente loi tout véhicule pourvu d’un propre dispositif de propulsion lui permettant de circuler sur terre sans devoir suivre une voie ferrée.

L’art. 25 al. 1 LCR autorise le Conseil fédéral à soustraire totalement ou partiellement à l’application des dispositions du titre 2 [véhicules et conducteurs], certaines catégories de véhicules (énumérées aux let. a à d) dont ne font pas partie expressément les cyclomoteurs.

Le titre deuxième de l’OETV (ordonnance du 19 juin 1995 concernant les exigences techniques requises pour les véhicules routiers; RS 741.41) présente une « classification des véhicules ». Alors que le chapitre 2 définit les voitures automobiles (art. 10 à 13 OETV), le chapitre 3 (art. 14 à 18 OETV) concerne les « autres véhicules automobiles ». A teneur de l’art. 18 let. a OETV sont réputés «cyclomoteurs» les véhicules monoplaces, à roues placées l’une derrière l’autre, pouvant atteindre une vitesse de 30 km/h au maximum de par leur construction, dont la puissance du ou des moteurs n’excède pas 1,00 kW au total et équipés: d’un moteur à combustion dont la cylindrée n’est pas supérieure à 50 cm 3 (ch. 1), ou d’un système de propulsion électrique et d’une éventuelle assistance au pédalage jusqu’à 45 km/h (ch. 2). L’art. 18 let. b à d OETV donne la définition d’autres engins équipés d’un système à propulsion tels que les cyclomoteurs légers (let. b), les fauteuils roulants motorisés (let. c) et les gyropodes électriques (let. d). Intitulé « véhicules sans moteur », le chapitre 4 de l’OETV (art. 19 à 24) définit les différents types de véhicules dépourvus de moteur, dont font partie les cycles (art. 24 OETV).

A teneur de l’art. 90 OAC (ordonnance du 27 octobre 1976 réglant l’admission des personnes et des véhicules à la circulation routière; RS 741.51), les cyclomoteurs sont admis à circuler s’ils sont munis du permis de circulation pour cyclomoteurs, de la plaque de contrôle mentionnée dans celui-ci et d’une vignette d’assurance valable.

Sous le titre marginal « motocycles, cyclomoteurs et cycles; généralités », l’art. 42 al. 4 OCR (ordonnance du 13 novembre 1962 sur les règles de la circulation routière; RS 741.11) prévoit que les conducteurs de cyclomoteurs doivent se conformer aux prescriptions concernant les cyclistes.

 

La jurisprudence n’a pas développé la question des conséquences pénales de la conduite d’un cyclomoteur en état d’ébriété qualifiée, à l’aune de la législation actuelle.

Les aspects pénaux liés à la conduite d’un cyclomoteur ont toutefois été abordés par le Tribunal fédéral avant la modification de la LCR (cf. Message du 31 mars 1999 concernant la modification de la LCR; FF 1999 4106; ci-après: le Message). Dans un arrêt publié aux ATF en 1964, le Tribunal fédéral a retenu que les cyclomoteurs ne devaient pas être considérés comme des véhicules automobiles au sens de l’art. 7 al. 1 LCR et devaient être assimilés aux cycles. Aussi, celui qui conduisait un cyclomoteur en état d’ébriété se rendait coupable d’une contravention et non d’un délit (ATF 90 IV 83 consid. 1 p. 84 s.). Cet arrêt se fonde sur l’ancien arrêté du Conseil fédéral du 15 novembre 1960 sur les cyclomoteurs et les motocycles légers (en vertu de la délégation de compétence prévue à l’art. 25 LCR), lequel prévoyait que les cyclomoteurs tombaient sous le coup des prescriptions relatives aux cycles. Depuis lors, l’arrêté du Conseil fédéral a été abrogé et remplacé par l’ordonnance du 28 août 1969 sur les constructions et l’équipement des véhicules routiers (ancienne OCE; ancien RS 741.41), laquelle a été, à son tour, abrogée et remplacée par l’actuelle OETV. Dans un arrêt ultérieur de 1992, portant sur l’obligation des cyclomotoristes de porter un casque, le Tribunal fédéral a relativisé l’assimilation des cyclomoteurs aux cycles en précisant que celle-ci n’était jamais totale (ATF 118 IV 192 consid. 2f p. 195).

Récemment, dans un arrêt rendu en matière de droit administratif, le Tribunal fédéral a retenu qu’un conducteur de cyclomoteur présentant un taux d’alcool qualifié commettait une infraction grave aux règles de la circulation au sens de l’art. 16c LCR et non une infraction moyennement grave au sens de l’art. 16b LCR (arrêt 1C_766/2013 du 1er mai 2014 consid. 4.6). Il ressort de cet arrêt que des violations graves des règles de la circulation routière au guidon de cyclomoteurs peuvent causer de graves dangers tant pour le conducteur que pour les autres usagers de la route, à l’instar des motocycles légers (cf. art. 14 let. b OETV; cf. consid. 4.4). Dans son analyse, tout en rappelant que les cyclomoteurs étaient en principe assimilés aux véhicules automobiles (art. 7 al. 1 LCR), la Ière Cour de droit public s’est penchée sur l’aspect pénal d’un tel comportement, considérant qu’il était constitutif d’une simple contravention au sens de l’art. 91 al. 1 let. c LCR par renvoi de l’art. 42 al. 4 OCR (consid. 4.1). Cette analyse – qui n’était pas pertinente pour l’issue du litige de droit administratif – avait ainsi valeur d’  obiter dictum. Elle avait d’ailleurs essentiellement pour but de mettre en évidence une prétendue incohérence entre les conséquences pénales et administratives de la conduite en état d’ébriété d’un cyclomoteur (consid. 4.4).

Selon la majorité des auteurs de doctrine contemporaine, les cyclomoteurs ne sauraient être qualifiés de véhicules sans moteur au sens de l’art. 91 al. 1 let. c LCR (PHILIPPE WEISSENBERGER, Kommentar Strassenverkehrsgesetz und Ordnungsbussengesetz, 2 e éd. 2015, n° 36 et 42 ad art. 91 LCR; BUSSY/RUSCONI/JEANNERET/KUHN/MIZEL/MÜLLER, Code suisse de la circulation routière commenté, 4 e éd. 2015, n° 7.5 ad art. 10 LCR et n° 3.4.2 ad art. 18 LCR; FAHRNI/HEIMGARTNER, in Basler Kommentar, Strassenverkehrsgesetz, 2014, n° 12 ad art. 91 LCR; QUELOZ/ZIEGLER, La conduite en état d’incapacité: une cible d’action prioritaire pour la sécurité routière, in Journées du droit de la circulation routière 7-8 juin 2010, p. 125; YVAN JEANNERET, Les dispositions pénales de la Loi sur la circulation routière, 2007, n° 13 ad art. 91 LCR et n° 83 ss ad définitions; voir cependant: BERNARD CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 3 e éd. 2010, n° 10 ad art. 91 LCR en référence notamment aux art. 42 al. 4 OCR, ancien art. 175 al. 1 OETV et ancien art. 90 al. 1 OAC). JEANNERET motive en détails sa position, ce notamment au regard du libellé de la loi (le cyclomoteur est intrinsèquement un véhicule à moteur) et de l’évolution des normes relatives aux cyclomoteurs (nécessité d’un permis de conduire, abolition du régime particulier de permis de conduire, retrait du permis M en cas de conduite en état d’incapacité).

A rigueur de texte, force est de constater qu’un cyclomoteur est un véhicule automobile au sens de l’art. 7 al. 1 LCR, dès lors qu’il est, par définition, équipé d’un moteur (cf. art. 18 let. a OETV). En cela, il se distingue des véhicules sans moteur et en particulier des cycles (cf. art. 19 ss OETV).

On ne saurait déduire le contraire du Message, en tant qu’il mentionne que les conducteurs de véhicules à moteur « de faible puissance » sont punis de l’amende (cf. FF 1999 4142 ad art. 91 LCR). En effet, contrairement à certains engins équipés de moteurs à plus faible puissance (cf. notamment les cyclomoteurs légers dont la puissance du moteur n’excède pas 0.50 kW au total [art. 18 let. b OETV]), le cyclomoteur, tel que celui conduit par le recourant, fait l’objet de prescriptions spéciales, notamment en matière de permis de conduire (permis « M »), de permis de circulation et de plaques (cf. art. 90 al. 1 OAC) et de port du casque (cf. art. 3b OCR). Aussi, rien dans le Message ne permet de traiter les cyclomoteurs comme des cycles, s’agissant de la répression de la conduite en état d’incapacité.

La mise en perspective des dispositions topiques des différentes ordonnances d’exécution de la LCR conduit au même résultat. Si, dans leur ancienne teneur, les art. 90 al. 1 OAC (nouvelle teneur selon le ch. I de l’ordonnance du 12 octobre 2011, en vigueur depuis le 1 er janvier 2012; RO 2011 4941), 175 al. 1 OETV (nouvelle teneur selon le ch. 1 de l’ordonnance du 2 mars 2012, en vigueur depuis le 1er mai 2012; RO 2012 1825) et 38 al. 1 OAV (ordonnance du 20 novembre 1959 sur l’assurance des véhicules; RS 741.31) prévoyaient que les cyclomoteurs étaient soumis aux prescriptions concernant les cycles, ce n’est plus le cas dans leur nouvelle teneur. Ainsi, le raisonnement opéré dans l’arrêt publié aux ATF 90 IV 83 ne saurait être transposé au régime légal actuel.

Par ailleurs, si l’art. 42 al. 4 OCR fait obligation aux conducteurs de cyclomoteurs de se conformer aux prescriptions concernant les cycles, cette disposition n’a pas la portée que semblait lui prêter, dans un obiter dictum et sans autre approfondissement, l’arrêt 1C_766/2013. Dans la mesure où cette disposition concerne uniquement certaines prescriptions de la LCR (cf. notamment art. 46 al. 4 LCR: interdiction d’être remorqué par des véhicules ou des animaux), on ne saurait en inférer une assimilation systématique des cyclomoteurs aux cycles. On ne peut pas davantage déduire de l’art. 42 al. 4 OCR que les cyclomoteurs échapperaient à la qualification de « véhicules automobiles » au sens de l’art. 7 al. 1 LCR, faute de référence en ce sens (cf. art. 25 LCR).

 

Il résulte de ce qui précède que, au regard de la législation en vigueur (LCR et ordonnances d’exécution), les cyclomoteurs (cf. art. 18 let. a OETV) ne peuvent être assimilés sans réserve aux véhicules sans moteur.

En tant que le Tribunal fédéral a, d’une part, relativisé l’assimilation des cyclomoteurs aux cycles en matière pénale (cf. ATF 118 IV 192 consid. 2f p. 195) et d’autre part, traité, sous l’angle administratif, la conduite d’un cyclomoteur en état d’ivresse qualifiée comme une infraction grave (arrêt 1C_766/2013 du 1er mai 2014), force est de constater que l’évolution de la jurisprudence abonde dans le même sens. Il en va de même de la doctrine contemporaine (étant relevé que CORBOZ se fondait sur les dispositions qui sont, depuis lors, abrogées ou modifiées).

Par conséquent, le conducteur d’un cyclomoteur, tel que défini à l’art. 18 let. a OETV, ne saurait bénéficier de la forme privilégiée de l’infraction de conduite en état d’incapacité au sens de l’art. 91 al. 1 let. c LCR. Le cyclomotoriste doit être appréhendé en tant que conducteur d’un véhicule automobile, en fonction de son état d’ébriété, respectivement de son état d’incapacité de conduire, ce sur la base des al. 1 et 2 de l’art. 91 LCR.

En l’occurrence, compte tenu du taux d’alcool que présentait le recourant au guidon de son cyclomoteur, c’est sans violer le droit fédéral que la cour cantonale l’a reconnu coupable de conduite en état d’ébriété qualifiée au sens de l’art. 91 al. 2 let. a LCR.

 

Conduite d’un cyclomoteur malgré un retrait de permis (consid. 2)

A teneur de l’art. 95 al. 1 let. b LCR, est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque conduit un véhicule automobile alors que le permis d’élève conducteur ou le permis de conduire lui a été refusé, retiré ou qu’il lui a été interdit d’en faire usage. Selon l’art. 95 al. 4 let. a LCR, est puni de l’amende quiconque conduit un cycle alors que la conduite lui en a été interdite.

L’art. 3 al. 3 OAC prévoit que le permis de conduire « M » est établi pour la catégorie spéciale des cyclomoteurs. Les anciens ch. 1 et 2 de l’art. 145 OAC punissaient des arrêts ou de l’amende, celui qui conduisait un cyclomoteur sans être en possession d’un permis de conduire ou malgré un refus ou un retrait du permis de conduire pour cyclomoteur ou à qui l’usage d’un tel véhicule avait été interdit. Ces dispositions ont été abrogées par le ch. I de l’ordonnance du 3 juillet 2002, avec effet au 1 er avril 2003 (RO 2002 3259).

L’art. 19 LCR prévoit la possibilité d’interdire de conduite les personnes conduisant un cycle qui souffrent d’une maladie physique ou mentale ou d’une forme de dépendance qui les rend inaptes à conduire un véhicule de ce type en toute sécurité (al. 2) ou les personnes qui ont mis en danger la circulation de façon grave ou à plusieurs reprises, ou encore qui ont circulé en étant prises de boisson (al. 3).

Associant les cyclomoteurs aux cycles de manière générale, le tribunal de première instance a retenu que la conduite par le recourant d’un cyclomoteur, alors qu’il se savait sous une mesure de retrait, était appréhendée par l’art. 95 al. 4 let. a LCR. La cour cantonale a, quant à elle, considéré que le comportement du recourant tombait sous le coup de l’art. 95 al. 1 let. b LCR.

Dans sa teneur actuelle, la législation ne prévoit pas de régime spécial pour la conduite d’un cyclomoteur sans autorisation ou malgré un retrait. Au contraire, l’abrogation des anciens art. 145 ch. 1 et 2 OAC, qui réprimaient la conduite d’un cyclomoteur sans permis de conduire ou malgré un retrait, implique que désormais, un tel comportement tombe dans le champ d’application de l’art. 95 al. 1 LCR.

Dès lors que l’interdiction de conduire au sens de l’art. 19 LCR vise exclusivement les cycles, dont la conduite ne nécessite pas de permis, la contravention régie par l’art. 95 al. 4 let. a LCR s’applique uniquement et expressément aux conducteurs de ceux-ci (cf. également HANS MAURER, in Kommentar StGB/JStG, mit weiteren Erlassen und Kommentar zu den Strafbestimmungen des SVG, BetmG und AuG/AIG, 20 e éd. 2018, n° 4 ad art. 95 LCR; WEISSENBERGER, op. cit., n° 4 ad art. 7 LCR et n° 15 ad art. 95 LCR; ADRIAN BUSSMANN, in Basler Kommentar, op. cit., n° 93 ad art. 95 LCR; JEANNERET, op. cit., n° 90 ad définitions; n° 5 et n° 99 ss ad art. 95 LCR et n° 154 ad art. 103 LCR), à l’exclusion des cyclomotoristes.

Il est établi et incontesté que le recourant a circulé, les 8 février et 8 juin 2018, au guidon d’un cyclomoteur alors qu’il était sous le coup d’une mesure de retrait de son permis de conduire pour toutes catégories. Il n’est pas question de conduite d’un cycle malgré une interdiction au sens de l’art. 19 LCR. Aussi, c’est en conformité avec le droit fédéral que la cour cantonale a reconnu le recourant coupable d’infraction à l’art. 95 al. 1 let. b LCR.

 

Conduite d’un cyclomoteur sans plaques de contrôle (consid. 3)

A teneur de l’art. 96 al. 1 let. a LCR, est puni de l’amende quiconque conduit un véhicule automobile avec ou sans remorque sans le permis de circulation ou les plaques de contrôle requis. L’al. 2 punit d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque conduit un véhicule automobile en sachant qu’il n’est pas couvert par l’assurance responsabilité civile prescrite ou qui devrait le savoir s’il avait prêté toute l’attention commandée par les circonstances. La peine privative de liberté est assortie d’une peine pécuniaire. Dans les cas de peu de gravité, la sanction est la peine pécuniaire.

A teneur de l’art. 97 al. 1 let. a LCR, est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque fait usage d’un permis ou de plaques de contrôle qui n’étaient destinés ni à lui-même, ni à son véhicule.

Selon l’art. 145 ch. 3 OAC, sera puni de l’amende, celui qui aura conduit un cyclomoteur sans le permis de circulation ou la plaque nécessaires (al. 1) et celui qui aura fait usage d’un cyclomoteur muni illégalement d’un permis de circulation (al. 3). L’art. 145 ch. 4 OAC punit de l’amende celui qui aura conduit un cyclomoteur non couvert par l’assurance-responsabilité civile prescrite (al. 1).

L’admission à la circulation des cyclomoteurs et les conditions de délivrance du permis de circulation les concernant sont régies par les art. 90 ss OAC. Les permis de circulation sont généralement remis par l’autorité aux fabricants et importateurs pour chaque cyclomoteur (cf. art. 92 al. 3 OAC), alors que les plaques sont délivrées directement par l’autorité cantonale au détenteur du cyclomoteur, sur présentation notamment de l’attestation d’assurance exigée (cf. art. 94 al. 1 et 2 OAC). Les permis de circulation des autres véhicules automobiles (cf. art. 71 s. OAC) sont quant à eux délivrés par le canton au détenteur sur présentation notamment de l’attestation d’assurance (art. 74 OAC).

Les art. 34 OAV régissent les questions de responsabilité civile et d’assurance des cyclomoteurs. L’annexe 1 de l’ordonnance du 4 mars 1996 sur les amendes d’ordre (OAO; RS 741.031) prévoit expressément que l’utilisation d’un cyclomoteur qui n’est pas assuré est punie d’une amende de 120 fr. (ch. 700.1.4).

Alors que le premier juge a fait application de l’art. 145 ch. 3 et 4 OAC, la cour cantonale a reconnu le recourant coupable de circulation sans permis de circulation ou plaques de contrôle et sans assurance responsabilité civile (art. 96 al. 1 et 2 LCR) ainsi que d’usage abusif de permis et/ou de plaques (art. 97 al. 1 let. a LCR), au motif que le cyclomoteur est un véhicule automobile et non un cycle.

Il y a lieu de distinguer les infractions reprochées en l’espèce.

S’agissant de la conduite d’un cyclomoteur sans plaques et assurance responsabilité civile nécessaires, force est de relever que l’art. 145 OAC aménage un régime pénal applicable expressément et exclusivement aux conducteurs de cyclomoteurs, en conformité avec la délégation de compétence prévue à l’art. 103 al. 1 LCR. Aussi, en tant que lex specialis, l’art. 145 ch. 3 et 4 OAC l’emporte sur l’art. 96 al. 1 et 2 LCR (cf. MAURER, op. cit., n° 3 ad art. 96 LCR; JEANNERET, op. cit., n° 65 s. ad art. 96 LCR). Contrairement à ce que suggère la cour cantonale, ces dispositions ne s’appliquent pas aux cycles, lesquels ne nécessitent pas de permis de circulation ou de plaques de contrôle (cf. art. 71 et 90 OAC a contrario).

En tant que la cour cantonale a appliqué l’art. 96 al. 1 et 2 LCR pour sanctionner la conduite d’un cyclomoteur sans les plaques nécessaires et sans couverture par l’assurance responsabilité civile, elle a violé le droit fédéral. Compte tenu du véhicule en cause, ces infractions constituent des contraventions, lesquelles sont appréhendées par l’art. 145 ch. 3 et 4 OAC et sanctionnées d’une amende. Le recours doit être admis sur ce point, le jugement entrepris doit être annulé en tant qu’il reconnaît le recourant coupable de violation de l’art. 96 al. 1 et 2 LCR, et la cause renvoyée à la cour cantonale pour qu’elle fasse application de l’art. 145 ch. 4 OAC et fixe une peine en conséquence.

 

Conduite de cyclomoteurs munis de plaques d’immatriculation qui ne correspondaient pas à ces véhicules (consid. 3.3.2)

Quant à la conduite de cyclomoteurs munis de plaques d’immatriculation qui ne correspondaient pas à ces véhicules, elle n’est pas visée par l’art. 145 ch. 3 al. 3 OAC, contrairement à ce que prétend le recourant. Cette disposition ne concerne que l’usage d’un cyclomoteur muni illégalement d’un permis de circulation.

Le recourant dénonce une différence de traitement entre, d’une part, le cyclomotoriste pour lequel la sanction de l’usage abusif de plaques serait plus grave que l’usage abusif de permis, et d’autre part, l’automobiliste pour lequel ces deux comportements sont d’égale gravité (cf. art. 97 al. 1 let. a LCR). Selon lui, il serait logique d’assimiler une plaque de contrôle à un permis de circulation, les deux allant de pair lorsqu’un véhicule circule. Or le recourant semble perdre de vue que les systèmes de délivrance de permis de circulation sont différents selon qu’il s’agit d’une voiture automobile (cf. art. 74 OAC) ou d’un cyclomoteur (cf. art. 90 ss OAC). Cela explique la précaution particulière de l’art. 145 ch. 3 OAC à l’égard des permis de circulation des cyclomoteurs, étant relevé que la remise du permis au détenteur échappe au contrôle de l’administration, à la différence des plaques qui sont délivrées à chaque détenteur, directement par l’autorité (cf. supra consid. 3.1; JEANNERET, op. cit., n° 157 ad art. 103 LCR).

Si le véhicule conduit porte des plaques de contrôle qui ne lui sont pas destinées et n’est en outre pas couvert par une assurance responsabilité civile, l’art. 145 ch. 4 OAC est applicable en concours parfait avec l’art. 97 al. 1 let. a LCR, dans la mesure où il s’agit de comportements clairement distincts (cf. JEANNERET, op. cit., n° 38 ad art. 97 LCR, s’agissant du concours entre les art. 96 al. 2 et 97 al. 1 let. a LCR).

Il en résulte que la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en reconnaissant le recourant coupable d’usage abusif de plaques au sens de l’art. 97 al. 1 let. a LCR.

 

Le recours est partiellement admis, le jugement attaqué annulé s’agissant de la conduite sans permis de circulation ou plaques de contrôle et sans assurance responsabilité civile, et la cause renvoyée à l’autorité cantonale pour nouvelle décision. Pour le surplus, le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

 

 

Arrêt 6B_451/2019 consultable ici, ATF 145 IV 206 consultable ici

 

 

Remarque concernant les vélos électriques « rapides » (jusqu’à 45 km/h) :

La catégorie «vélos électriques rapides» appelée « cyclomoteur électrique », concerne les autres vélos électriques, dont le moteur ne dépasse pas 1000 W avec une assistance au pédalage jusqu’à 45 km/h. (Tout véhicule qui se déplace plus rapidement et / ou dispose d’une plus grande puissance est considéré une moto.)

 

Règles:

  • Plaque de contrôle jaune requise / assurance responsabilité civile obligatoire
  • Assistance au pédalage autorisé jusqu’à 30 km/h
  • Port du casque obligatoire
  • Permis de conduire M (14 ans)
  • Autorisé de passer les sens interdits pour « motocycles légers » avec le moteur éteint
  • Autorisé de circuler sur les espaces piétons avec (vélo autorisé), moteur éteint.

Cf. également la page « En route avec l’e-bike » de l’Association des Services Automobiles et le document de l’OFROU « Prescriptions concernant l’admission et l’utilisation des cyclomoteurs, vélos électriques lents, trottinettes électriques et vélos-taxis électriques »

 

Au vu des similarités entre un vélo électrique rapide (jusqu’à 45 km/h) et un cyclomoteur (tel que définit dans l’ATF 145 IV 206), en cas d’infraction, les conducteurs de vélos électriques rapides seront sanctionnés comme des conducteurs ordinaires.

 

4A_378/2020 (f) du 02.03.2021 – Subrogation de l’assurance-accidents – Convention de recours LAA 1992 – 72 ss LPGA – 41 aLAA / Renonciation à soulever l’exception de prescription par l’assurance RC – N’engage pas son assuré au-delà de la somme d’assurance

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_378/2020 (f) du 02.03.2021

 

Consultable ici

 

Subrogation de l’assurance-accidents – Convention de recours LAA 1992 / 72 ss LPGA – 41 aLAA

Renonciation à soulever l’exception de prescription par l’assurance RC – N’engage pas son assuré au-delà de la somme d’assurance

Subrogation – Droit préférentiel / Art. 42 aLAA

Dommage – Concordance entre prestations de l’assureur social et prétentions en RC – Limite de la garantie de l’assurance RC

Concordance personnelle

 

L.C.__ (ci-après: la lésée), née le 11 juin 1954, était assurée au titre de l’assurance-accident auprès de A.__ SA (ci-après: l’assureur accident).

Le 24 décembre 1995, elle a été hospitalisée aux Etablissements B.__ en raison d’un état grippal avec toux accompagnée d’une respiration pénible. Le lendemain, son état s’est aggravé et elle a été admise aux soins intensifs. Le 6 janvier 1996, le Dr D.__, médecin assistant de troisième année en médecine interne employé par les Etablissements B.__, a été chargé de la mise en place d’une voie veineuse centrale sur la patiente. Il lui a perforé l’artère vertébrale lors de la recherche de la veine jugulaire. La patiente a alors fait un malaise, perdu connaissance, puis est tombée dans le coma pendant quelques heures. A son réveil, elle souffrait de tétraplégie avec «locked-in syndrome». Son état ne s’est pas amélioré depuis lors. Nécessitant des soins quotidiens, elle est demeurée hospitalisée aux Etablissements B.__.

Dans un premier temps, les frais médicaux consécutifs à cet événement ont été pris en charge par E.__ Caisse maladie et accidents (ci-après: l’assureur maladie), qui assurait la lésée pour le risque maladie.

Dès août 1998, la lésée percevra également des prestations de l’AI.

En janvier 1996, les Etablissements B.__ étaient assurés en responsabilité civile auprès de F.__ SA (ci-après: l’assureur responsabilité civile). Aux termes de la police d’assurance, la prestation de l’assureur responsabilité civile était limitée à 3’000’000 fr. par événement dommageable.

Le 7 avril 1997, l’assureur accident a adressé à l’assureur responsabilité civile un avis de recours concernant la lésée.

Le 21 mai 2002, l’assureur responsabilité civile a versé à la lésée un montant de 500’000 fr. à titre d’indemnisation partielle du dommage subi.

En 2003, l’assureur maladie a refusé de continuer à fournir des prestations en faveur de la lésée, au motif que l’événement dommageable devait être qualifié d’accident au sens de l’art. 9 al. 1 OLAA (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002).

La lésée a alors requis de l’assureur accident qu’elle intervienne en qualité d’assureur accident LAA. Par décision du 31 mars 2006, l’assureur accident a reconnu devoir à la lésée une rente mensuelle d’invalidité de 1’595 fr. et une allocation pour impotent de 898 fr. par mois dès le 1er mars 2006, augmentée à 1’758 fr. par mois dès que l’AI cesserait ses versements. Ces prestations étaient allouées avec effet rétroactif au 1er janvier 1999, compensation étant opérée avec les allocations pour impotent versées par l’AI durant la période du 1er janvier 1999 au 28 février 2006 (complément d’office sur la base du dossier). Le droit à des prestations antérieures était éteint. La lésée avait en outre droit à la prise en charge d’un éventuel traitement médical empêchant une aggravation notable de son état de santé.

Par courrier du 14 mars 2005, l’assureur accident a demandé à l’assureur responsabilité civile de renoncer à invoquer la prescription, au nom et pour le compte des Etablissements B.__, jusqu’au 6 janvier 2006. Par courrier du 22 mars 2005, l’assureur responsabilité civile, au nom et en tant que représentant des Etablissements B.__, a renoncé, dans les limites de sa couverture d’assurance (3’000’000 fr.), à se prévaloir de l’exception de prescription jusqu’à la date désirée, pour autant qu’elle ne soit pas encore acquise. Cette renonciation a été renouvelée dans les mêmes termes jusqu’au 31 décembre 2008.

Par courrier du 27 septembre 2006, les Etablissements B.__ ont également renoncé à se prévaloir de la prescription jusqu’au 31 décembre 2007, « dans le cadre des limites de couverture prévues par la police » de leur assurance responsabilité civile et pour autant qu’elle ne soit pas encore acquise. Par la suite, l’assureur accident a interrompu la prescription chaque année par des poursuites. Du 18 janvier 2007 au 18 février 2013, des commandements de payer successifs ont été notifiés aux Etablissements B.__ pour un montant de 2’600’000 fr. chacun, au titre des suites de l’événement du 6 janvier 1996. Ils ont tous été frappés d’opposition.

Par courrier du 17 octobre 2006, l’assureur accident a réclamé à l’assureur responsabilité civile le remboursement des prestations qu’elle avait fournies à la lésée. Le 9 novembre 2006, l’assureur responsabilité civile a refusé d’entrer en matière, expliquant que le règlement des prétentions directes n’était pas encore terminé, que la lésée disposait d’un droit préférentiel et qu’il apparaissait d’ores et déjà que l’intégralité de la garantie d’assurance lui serait consacrée.

Le 3 janvier 2008, la famille de la lésée a conclu avec les Etablissements B.__ une convention d’indemnisation « de tous dommages survenus suite à l’événement du 6 janvier 1996 ». La famille de la lésée a alors retiré sa demande en justice contre les Etablissements B.__ déposée dix ans plus tôt. La convention d’indemnisation prévoyait que, en plus de l’acompte de 500’000 fr. versé le 21 mai 2002, les Etablissements B.__ créditaient dans leurs livres un capital de 2’150’000 fr. à titre de frais de traitement (frais médicaux, soins et hébergement). Tant et aussi longtemps que la lésée restait hospitalisée aux Etablissements B.__, ce capital était imputé d’un forfait journalier de 287 fr. correspondant aux frais de traitement quotidiens convenus (art. I ch. 1). La lésée devait verser aux Etablissements B.__ les allocations pour impotent perçues de l’assureur accident, soit 1’758 fr. par mois (art. I ch. 2). Elle s’engageait également à tout mettre en œuvre pour obtenir de ses assureurs maladie ou accident le paiement de tous les frais médicaux liés à l’événement du 6 janvier 1996 et à reverser aux Etablissements B.__ les montants perçus à ce titre pour la période correspondant à son hospitalisation (art. I ch. 4). En cas de départ de la lésée des Etablissements B.__, le solde du capital de 2’150’000 fr. lui serait reversé, après imputation des allocations pour impotent et des frais médicaux futurs couverts par l’assureur accident, capitalisés sur sa durée de vie selon des tables de capitalisation (art. II ch. 1). En cas de décès, le mari et le fils de la lésée percevraient le solde résiduel du capital de 2’150’000 fr. Les Etablissements B.__ se réservaient le droit de déduire de ce solde, au jour du décès, à certaines conditions, les montants versés à l’assureur accident ou à l’AI dans le cadre d’un éventuel recours contre le tiers responsable formé par ces institutions (art. II ch. 2).

Les Etablissements B.__ devaient en outre verser, dès la signature de la convention, une indemnité forfaitaire de 750’000 fr. à la famille de la lésée, soit 550’000 fr pour la lésée, 100’000 fr. pour son époux et 100’000 fr. pour son fils, pour couvrir « tous les postes du dommage autres que ceux visés » à l’art. I ch. 1 (art. III). En sus, les Etablissements B.__ s’engageaient à participer aux honoraires de l’avocat de la famille de la lésée à concurrence de 150’000 fr. (art. IV). Moyennant fidèle exécution de cette convention, la famille C.__ reconnaissait être totalement indemnisée de l’événement du 6 janvier 1996 et n’avoir aucune prétention à faire valoir à l’encontre des Etablissements B.__ (art. VI ch. 2).

Dès la signature de la convention d’indemnisation, la lésée a versé aux Etablissements B.__ les allocations pour impotent perçues de l’assureur accident. Ces versements se sont élevés à 1’758 fr par mois, jusqu’au 28 février 2018, alors que lesdites allocations avaient augmenté au 1er janvier 2008 à 2’076 fr. par mois. Au 31 août 2018, les versements de la lésée aux Etablissements B.__ se montaient à un total de 227’334 fr.

Au 31 juillet 2018, les prestations fournies par les Etablissements B.__ à la lésée et prélevées sur le capital prévu à cet effet dans leurs livres s’élevaient à 1’000’358 fr.

Par jugement du 8 mai 2012, le Tribunal de première instance a condamné les Etablissements B.__ à rembourser à l’assureur maladie les prestations que l’assureur maladie avait versées à la lésée à la suite de l’événement du 6 janvier 1996 et pour lesquelles il s’était retrouvé subrogé dans les droits de celle-ci. En exécution de ce jugement, l’assureur maladie a perçu le montant en capital et intérêts de 1’467’775 fr.30.

 

Procédures cantonales

Par demande du 29 août 2013, l’assureur accident a ouvert action contre les Etablissements B.__, concluant en dernier lieu au paiement de 1’705’068 fr., intérêts en sus. Ce montant représente les prestations passées (874’199 fr. jusqu’en février 2019) et futures (capitalisation jusqu’au décès de la lésée des rentes d’invalidité à hauteur de 351’930 fr. et des allocations pour impotent à hauteur de 478’939 fr.) dues par l’assureur accident à la lésée à titre d’indemnités journalières, de rentes d’invalidité et d’allocations pour impotent.

Par ordonnance du 23 janvier 2015, le Tribunal de première instance de Genève a limité la procédure à l’examen de la prescription.

Par jugement du 25 août 2015, il a considéré que la créance de l’assureur accident était prescrite et a débouté la demanderesse de toutes ses conclusions.

Par arrêt du 8 avril 2016, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a annulé ce jugement. La Cour de justice s’est prononcée sur la question préjudicielle à laquelle la procédure avait été limitée dans un premier temps, à savoir la prescription des prétentions formulées par la demanderesse à l’encontre des défendeurs. Annulant le jugement du Tribunal de première instance qui considérait que l’ensemble de ces prétentions étaient prescrites, la cour cantonale a tranché en ce sens que l’action de la recourante « est prescrite en tant qu’elle dépasse 2’600’000 fr., dans les limites de la garantie d’assurance offerte par l’assureur responsabilité civile aux Etablissements B.__ » et a renvoyé la cause au premier juge pour nouvelle décision sur le fond.

Par jugement du 19 juillet 2019, le Tribunal de première instance a condamné les Etablissements B.__ à verser à l’assureur accident les sommes articulées au titre des indemnités journalières, rentes d’invalidité et allocations pour impotent versées jusqu’en février 2019 avec les intérêts correspondants. En substance, les premiers juges ont considéré que, si le contrat entre l’assureur et l’assuré prévoyait une limitation des prestations de l’assureur à un certain montant, il ne pouvait toutefois limiter la responsabilité de l’assuré responsable pour le dommage dépassant la garantie d’assurance. Les Etablissements B.__ demeuraient redevables jusqu’à concurrence de 2’600’000 fr. envers l’assureur accident et ce, même si la garantie d’assurance responsabilité civile avait été entièrement employée à l’indemnisation de la lésée et de sa famille: le droit préférentiel de la lésée ne pouvait pas être opposé à l’assureur accident, car même si l’indemnité d’assurance n’était pas suffisante pour régler toutes les prétentions, les Etablissements B.__ n’étaient pas insolvables; et l’assureur accident n’était pas partie à la convention d’indemnisation conclue le 3 janvier 2008 entre les Etablissements B.__ et la famille de la lésée, ce qui fait que cette transaction ne lui était pas opposable.

Dans son arrêt du 14 mai 2020 (ACJC/675/2020), la Cour de justice a développé sa pensée sur les effets de la renonciation de l’assureur responsabilité civile à invoquer la prescription au nom de son assuré. L’expression « dans les limites de la garantie d’assurance offerte par l’assureur responsabilité civile aux Etablissements B.__ » utilisée dans l’arrêt de renvoi signifiait que la créance de la demanderesse envers les défendeurs ne dépassant pas 2’600’000 fr. – montant des poursuites engagées par la recourante ultérieurement aux renonciations successives de l’assureur responsabilité civile à la prescription – n’était pas prescrite tant qu’elle restait dans la limite du dommage effectivement couvert par l’assureur responsabilité civile en application de la garantie d’assurance qu’il offrait. Interprétant l’art. 3.1 de la convention de recours LAA 1992, l’autorité précédente a considéré en effet que la renonciation à la prescription acceptée par l’assureur responsabilité civile antérieurement aux poursuites, au nom et pour le compte des Etablissements B.__, ne pouvait avoir un effet au-delà des prestations d’assurance au versement desquelles elle était elle-même tenue. La cour cantonale s’est appuyée en particulier sur le témoignage de G.__, président d’un groupe de travail qui avait participé aux négociations ayant abouti à la convention de recours LAA 2001 (étant précisé que l’art. 3.1 de la convention de 1992 y avait été repris sans changement). Selon ce témoin, l’assureur responsabilité civile ne pouvait renoncer à la prescription, au nom de son assuré, que dans les limites de sa garantie d’assurance, dès lors qu’il n’était pas habilité à engager ce dernier au-delà de cette limite.

 

TF

La cour cantonale a reconnu que la recourante était subrogée jusqu’à concurrence des prestations légales aux droits de l’assurée contre les Etablissements B.__, responsables de l’événement du 6 janvier 1996. A juste titre d’ailleurs. La subrogation est régie par les art. 72 ss LPGA, entrés en vigueur le 1er janvier 2003. Ces dispositions ne s’appliquent pas à des faits survenus auparavant, le moment déterminant étant celui de l’accident (ATF 137 V 394 consid. 3; 129 V 396 consid. 1.1; arrêt 8C_979/2009 du 1er novembre 2010 consid. 4.1), lequel remonte ici au 6 janvier 1996. Sont donc applicables en l’occurrence les art. 41 ss LAA (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002; RO 1982 1688 ss). Selon l’ancien art. 41 LAA, dès la survenance de l’éventualité assurée, l’assureur est subrogé, jusqu’à concurrence des prestations légales, aux droits de l’assuré et de ses survivants contre tout tiers responsable de l’accident. La loi transfère à l’assureur tout ou partie de la créance du lésé envers le tiers responsable (ou son assurance responsabilité civile). L’assureur social devient ainsi seul créancier (GHISLAINE FRÉSARD-FELLAY, Le recours subrogatoire de l’assurance-accidents sociale contre le tiers responsable ou son assureur, 2007, p. 105 ch. 343 s.; ALEXANDRA RUMO-JUNGO, Haftpflicht und Sozialversicherung, 1998, p. 431 ch. 971).

 

Convention de recours LAA 1992 (consid. 6)

Pour interpréter la convention de recours LAA 1992, les principes suivants trouvent application (cf. arrêts 4A_108/2018 du 28 août 2018 consid. 4; 2C_1087/2013 du 28 mai 2014 consid. 3.3). Ce que les parties ont su, voulu ou effectivement compris lors de la conclusion du contrat, est une question de fait (ATF 133 III 675 consid. 3.3; 131 III 606 consid. 4.1); la recherche de la volonté réelle des parties (interprétation subjective) se fonde sur une appréciation des preuves, que le Tribunal fédéral ne peut revoir que sous l’angle restreint de l’art. 105 LTF (ATF 133 III 675 consid. 3.3; 132 III 626 consid. 3.1; 126 II 171 consid. 4c/bb). En revanche, la détermination de la volonté objective des parties, selon le principe de la confiance (interprétation normative ou objective), est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 136 III 186 consid. 3.2.1; 133 III 675 consid. 3.3; 132 III 626 consid. 3.1); pour la trancher, il faut toutefois se fonder sur le contenu des manifestations de volonté et sur les circonstances les ayant précédé ou accompagné, soit des faits constatés par l’autorité cantonale (art. 105 al. 1 LTF; ATF 144 III 93 consid. 5.2.3; 133 III 61 consid. 2.2.1).

En l’espèce, la cour cantonale n’était guère en mesure de constater la volonté réelle de toutes les parties à une convention liant un grand nombre d’assureurs (cf. arrêt 4A_108/2018 précité consid. 4) et a procédé à une interprétation objective de l’art. 3.1 de la convention de recours LAA 1992. Elle a assis ses conclusions sur les déclarations du témoin G.__ et s’est au surplus livrée à des réflexions sur la logique à laquelle cette disposition obéissait. La cour cantonale a ensuite exposé que ces modalités particulières, convenues entre assureurs afin de sauvegarder leurs intérêts réciproques, ne peuvent lier l’assuré responsable du dommage que dans la mesure où les prétentions de l’assureur LAA s’exercent sur les montants dus par l’assureur responsabilité civile. Elles ne sauraient être applicables sans autre à l’assuré responsable du dommage, qui n’est pas partie à la convention, et n’en retire aucun avantage. Il fallait dès lors comprendre la limite posée à l’art. 3.1 de la convention de recours LAA 1992 en ce sens que la renonciation ne vaut pas pour les sommes qui dépassent les prestations effectivement servies par l’assureur responsabilité civile.

Ces considérations emportent la conviction. L’assureur LAA peut-il raisonnablement imaginer qu’il sera le seul à bénéficier de la garantie d’assurance responsabilité civile? A l’évidence, la réponse est négative. La présente espèce en fournit un exemple éloquent et la recourante évite d’ailleurs soigneusement d’aborder de front cette thématique. Est-il raisonnable de croire que l’assureur responsabilité civile entend engager son assuré au-delà de la somme d’assurance qui peut être exigée de lui en concédant, au nom de l’assuré, une renonciation à soulever l’exception de prescription débordant de ce cadre? Certainement pas non plus. S’il est concevable qu’il puisse agir ainsi au nom de son assuré jusqu’à concurrence de la somme d’assurance, on ne voit guère ce qui le légitimerait à empiéter sur l’autonomie de l’assuré au-delà du montant qu’il lui doit en vertu du contrat qui les lie. Dans un contexte où l’assureur responsabilité civile est interpellé par toute une série d’ayants droit, l’idée n’est donc pas qu’il concède des renonciations à invoquer la prescription dont les montants cumulés dépasseraient la garantie d’assurance, jusqu’à représenter même un multiple de cette garantie. Ce n’est manifestement pas dans un tel sens que peut être interprétée la renonciation à se prévaloir de la prescription « dans les limites de la garantie d’assurance responsabilité civile » qu’exprime l’art. 3.1 de la convention de recours LAA 1992.

Le grief soulevé par la recourante ne peut qu’être écarté.

 

Subrogation – Droit préférentiel – Art. 42 aLAA (consid. 7)

La subrogation est limitée par la loi. Selon l’ancien art. 42 al. 1 LAA (qui correspond à l’art. 73 al. 1 LPGA), l’assureur n’est subrogé aux droits de l’assuré que dans la mesure où les prestations qu’il alloue, jointes à la réparation due pour la même période par le tiers responsable, excèdent le dommage causé par celui-ci. Cette disposition institue un droit préférentiel en faveur du lésé. Le découvert laissé à la charge de l’assuré fait l’objet d’un droit préférentiel en sa faveur, ce qui réduit d’autant la prétention récursoire de l’assureur lorsque les sommes recouvrées auprès du tiers responsable ne suffisent pas à couvrir l’entier du dommage (cf. JANA BURYSEK, Le point de vue et la pratique d’un assureur-maladie social in Colloques et journées d’étude de l’IRAL, 1999-2001, p. 694; RUDOLF LUGINBÜHL, Der Regress des Krankenversicherers, in Haftpflicht- und Versicherungsrechtstagung, 1999, p. 52; GHISLAINE FRÉSARD-FELLAY, Le droit de recours contre le tiers responsable selon la loi fédérale sur l’assurance-maladie, in LAMal-KVG, Recueil de travaux en l’honneur de la Société suisse de droit des assurances, 1997, p. 634 ss). Le droit préférentiel de la personne lésée tend à prémunir celle-ci contre les suites défavorables d’un dommage non couvert (ATF 131 III 12 consid. 4 et 7.1; arrêt 4A_45/2009 du 25 mars 2009 consid. 3.3.3 publié in SJ 2010 I p. 73). En effet, ce droit ne peut être invoqué que dans l’hypothèse où la réparation due par le tiers responsable, ou son assurance responsabilité civile, ne suffit pas à satisfaire entièrement les créances directes (du lésé) et subrogatoire (de l’assureur social), soit lorsque la réparation est, notamment pour des motifs juridiques (cf. art. 44 CO), partielle (arrêt 4A_77/2011 du 20 décembre 2011 consid. 3.3.1 et les références).

Ceci étant exposé, le grief de la recourante résulte d’une incompréhension de l’arrêt attaqué. Il est bien clair que les Etablissements B.__ répondent du dommage subi par la lésée sur tous leurs biens. Il en est de même vis-à-vis de la demanderesse, dans la mesure où celle-ci est subrogée aux droits de la lésée. La question litigieuse est tout autre, puisqu’il s’agit de savoir si les prétentions exercées par la recourante sont prescrites. Dans ce contexte, il est indifférent de savoir si les défendeurs sont solvables ou non. Tout dépend de la garantie d’assurance, soit des montants qui en ont déjà été débités au titre du dédommagement de la lésée, de ses proches et d’autres assureurs sociaux. C’est dans ce contexte uniquement que la cour cantonale fait intervenir le droit préférentiel du lésé, ce qui est parfaitement correct.

 

Dommage – Concordance entre prestations de l’assureur social et prétentions en RC – Limite de la garantie de l’assurance RC (consid. 8)

Le dommage juridiquement reconnu correspond à la différence entre le montant actuel du patrimoine du lésé et le montant que celui-ci aurait atteint si l’événement dommageable ne s’était pas produit. Cette définition exclut de verser au lésé un montant supérieur au préjudice subi (ATF 131 III 360 consid. 6.1 et les arrêts cités). Lorsqu’une personne devient invalide à la suite d’un accident, les assurances sociales vont en principe l’indemniser. Le lésé ne peut dès lors réclamer au tiers responsable que la réparation du dommage non couvert par l’assurance sociale (créance directe); pour sa part, l’assureur social acquiert dès la survenance de l’atteinte, par le biais d’une subrogation légale, les prétentions appartenant à la personne lésée qu’elle a indemnisée et celle-ci perd son pouvoir de disposer des droits transférés (ATF 143 III 79 consid. 6.1.3.1; 124 III 222 consid. 3; 124 V 174 consid. 3b). En d’autres termes, les prestations couvertes par les assurances sociales sont déduites du dommage que le lésé peut réclamer au responsable ou à l’assureur de celui-ci. Ce mécanisme permet notamment d’éviter une surindemnisation du lésé (ATF 131 III 12 consid. 7.1, 360 consid. 6.1).

Cette déduction n’entre toutefois en ligne de compte que pour les prestations (nominales) de l’assureur social qui couvrent un dommage similaire aux prétentions en responsabilité que le lésé peut faire valoir contre le responsable. Il faut qu’il existe, entre les prestations sociales pour lesquelles les assurances sont subrogées aux droits du lésé en vertu de la loi, et le dommage dont la réparation est demandée à l’auteur, une concordance déjà en raison de l’événement dommageable, qui soit au surplus une concordance matérielle, temporelle et personnelle (Kongruenzgrundsatz; ATF 134 III 489 consid. 4.2 et les références; 130 III 12 consid. 7.1; cf. désormais les art. 73 et 74 LPGA: « de même nature » et « pour la même période »). S’agissant de la concordance matérielle, elle est réalisée lorsque la prestation de l’assurance sociale et celle du responsable sur le plan civil ont, d’un point de vue économique, une nature et une fonction correspondantes (ATF 131 III 360 consid. 7.2 et les arrêts cités). Selon l’ancien art. 43 al. 2 LAA, sont notamment des prestations de même nature la rente d’invalidité et l’indemnisation pour l’incapacité de gain (let. c; cf. désormais, l’art. 74 al. 2 let. b LPGA).

Si le lésé dispose malgré tout des droits dont l’assureur social est devenu titulaire par subrogation – par exemple en concluant une convention d’indemnisation avec le responsable -, cela signifie simplement que ce dernier ne s’est pas libéré de son obligation par son paiement au lésé; il s’expose au risque de devoir payer deux fois (ATF 137 V 394 consid. 5.2 et les références).

Indépendamment des prétentions de la recourante subrogée dans les droits de la lésée, les montants que les défendeurs ont déjà payés à la suite de l’accident du 6 janvier 1996 dépassent déjà manifestement la somme de 3’000’000 fr. correspondant à la garantie de couverture par l’assureur responsabilité civile et marquant la limite au-delà de laquelle la créance de la demanderesse est prescrite. Comme le montant de 3’000’000 fr. ne suffit pas pour couvrir la totalité du dommage à réparer par les défendeurs, la lésée dispose d’un droit préférentiel à être indemnisée, mais cela ne concerne que ses créances directes, à l’exclusion des droits transférés aux assureurs sociaux subrogés.

La cour cantonale a jugé à cet égard que la garantie d’assurance de 3’000’000 fr. avait été entièrement consacrée à indemniser la lésée et sa famille, conformément à la convention du 3 janvier 2008; elle a considéré par là-même que les prétentions réglées par ladite convention étaient des créances directes de la lésée. Ce raisonnement suscite quelques interrogations non résolues. Il se révèle faux à tout le moins sur un aspect, dont on peut toutefois se demander s’il fait l’objet d’allégations suffisantes de la recourante.

 

Concordance personnelle (consid. 8.2.1)

Tout d’abord, on peut s’interroger sur l’intégration dans le décompte des prestations dont l’époux et le fils de la lésée ont bénéficié (2 x 100’000 fr.). La cour cantonale présume ainsi que ces derniers disposent d’un droit préférentiel à être indemnisés pour leur propre dommage, au même titre que la lésée. Ce point, qui n’est pas thématisé par les parties, peut toutefois demeurer indécis compte tenu des conclusions qui suivent.

 

En définitive, il apparaît que la garantie d’assurance offerte par l’assureur responsabilité civile aux défendeurs a été intégralement consommée, nonobstant la prise en compte par la cour cantonale dans son calcul de créances dont la lésée n’était pas titulaire. En déduisant de la garantie d’assurance de 3’000’000 fr. les montants indiqués ci-dessous, on parvient en effet à un résultat négatif qui scelle le sort de ce pénultième grief de la recourante.

 

 

 

Arrêt 4A_378/2020 consultable ici

 

 

4A_558/2020 (f) du 18.05.2021 – Lien de causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage / Allégation globale d’un ensemble de faits par simple référence aux pièces produites pas suffisante – 55 CPC / Causalité naturelle en responsabilité civile – Statu quo sine vel ante

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_558/2020 (f) du 18.05.2021

 

Consultable ici

 

Lien de causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage

Question de fait qui doit être tranché selon la règle du degré de la vraisemblance prépondérante

Allégation globale d’un ensemble de faits par simple référence aux pièces produites pas suffisante / 55 CPC

Causalité naturelle en responsabilité civile – Statu quo sine vel ante

 

B.__, né en 1960, travaillait comme chauffeur de véhicule léger dans le cadre de contrats de durée déterminée pour les Etablissements C.__ lorsqu’il a été victime d’un accident de la circulation, le 26 août 1998. Son véhicule a été embouti par l’arrière et est venu percuter le véhicule qui se trouvait devant lui. Il a qualifié le choc subi lors de l’accident de violent ou, en tous cas, l’a ressenti comme tel. Le delta-v (modification de vitesse du véhicule induite par la collision ou coefficient d’accélération) se situait entre 7 et 13 km/h.

L’employeur a annoncé le cas à l’assurance-accidents D.__ en évoquant une atteinte à la nuque de leur employé avec « coup du lapin ». L’assureur accident versera des indemnités journalières à l’assuré du 1er octobre 1998, date correspondant à la fin de son contrat de travail de durée déterminée auprès des Etablissements C.__ (qui ne sera pas renouvelé), jusqu’au 1er juin 1999. A compter de cette date, l’assureur accident estimera, d’entente avec l’assuré avec lequel il passera une convention le 4 juin 1999, qu’il ne subsistait plus de lien de causalité entre ses troubles et l’accident du 26 août 1998.

A compter de juin 1999, la victime a été indemnisée par l’assurance chômage dans un délai cadre qui a pris fin le 31 mai 2001.

Le 7 décembre 1999, B.__ a déposé une demande de prestations AI en vue d’une rééducation dans la même profession ou de mesures médicales de réadaptation. Dans le cadre de la procédure AI, de nombreuses expertises, examens et rapports ont été effectués. A l’issue d’une procédure qui a mené l’intéressé au Tribunal fédéral et abouti à un renvoi au Tribunal cantonal des assurances, celui-ci a rendu un jugement, le 7 juillet 2008, aux termes duquel il a finalement retenu une incapacité de travail durable de 40 % dans toute activité depuis le 1er septembre 2004 et renvoyé la cause à l’OAI pour calcul de l’incapacité de gain. Ce jugement constate que, sur le plan psychique, l’assuré souffre d’un épisode dépressif moyen avec syndrome somatique depuis plusieurs années, probablement avant 1999, soit avant l’apparition de la fibromyalgie. Le diagnostic de fibromyalgie d’origine psychologique est retenu. Le recours formé par l’assuré contre ce jugement sera rejeté par arrêt du Tribunal fédéral du 15 septembre 2009 (9C_775/2008). Consécutivement, il a été mis au bénéfice d’une demi-rente AI depuis le 1er septembre 2005. Cette rente s’élevait à 408 fr. pour lui et 164 fr. pour chacun de ses deux enfants en juillet 2010.

L’auteur de l’accident était assuré en responsabilité civile auprès de A1.__, devenue A.__ SA (ci-après: la société d’assurances ou la recourante).

 

Procédures cantonales

Par demande du 21 novembre 2011, déclarée non conciliée et portée le 17 janvier 2012 devant le Tribunal de première instance de Genève, la victime a assigné la société d’assurances en paiement de 1’352’061 fr. 30 à titre de perte de gain actuelle et future, de dommage de rente, de dommage ménager actuel et futur, de tort moral et de frais avant procès. Le tribunal a limité la procédure à l’examen de l’existence d’un acte illicite et d’un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’acte en question et l’atteinte à la santé, la question du dommage étant réservée.

Par jugement du 16 décembre 2014, le tribunal a considéré que c’était à juste titre que les parties ne contestaient pas l’existence d’un acte illicite. Il a admis l’existence d’un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’accident de circulation du 26 août 1998 et les atteintes à la santé alléguées par le demandeur ainsi que le dommage qui en résultait, en se fondant sur l’expertise judiciaire, laquelle avait conclu que – sans l’accident – la victime n’aurait vraisemblablement pas présenté un état dépressif aussi intense.

Statuant sur appel de la société d’assurances, la Cour de justice du canton de Genève a, par arrêt du 11 janvier 2016, annulé ce jugement et renvoyé la cause au Tribunal de première instance pour complément d’instruction et nouvelle décision.

Le 31 mai 2016, la société d’assurances a déposé une requête d’admission de faits et moyens de preuve nouveaux portant sur un rapport de surveillance effectuée sur la victime du 16 au 21 novembre 2014, du 14 au 20 décembre 2015 et du 23 au 29 janvier 2016, ainsi que sur des vidéos prises à l’occasion de ces surveillances. Ces faits et moyens de preuve nouveaux ont été admis à la procédure.

Sur les vidéos de surveillance précitées, l’on voit la victime conduire, accompagner son fils en voiture à l’école, faire ses courses à la… (étant précisé qu’il s’agit de petits sachets déposés dans un petit sac en papier ou pris à la main, exceptée la vidéo 23 qui montre deux sacs en papier), discuter avec des personnes dans la rue et aider ponctuellement un ami à faire le service dans son restaurant.

Par jugement du 22 octobre 2019, le Tribunal de première instance a dit que l’accident du 26 août 1998 était en lien de causalité naturelle avec les diagnostics d’épisode dépressif moyen avec syndrome somatique et de syndrome douloureux somatoforme persistant dont souffrait le demandeur, réservé la suite de la procédure et débouté les parties de toutes autres conclusions.

La société d’assurances a appelé de ce jugement. Par arrêt du 25 août 2020 (ACJC/1163/2020), la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement attaqué.

La cour cantonale s’est prononcée uniquement sur l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident du 26 août 1998 et l’atteinte à la santé dont souffrait l’intimé. Il s’agit d’un fait pour le constat duquel elle a eu recours à une expertise judiciaire pluridisciplinaire.

La Cour s’est exprimée sur la nature de cette atteinte à la santé, en s’en référant aux conclusions du rapport d’expertise judiciaire complémentaire du 22 janvier 2019, qui corroboraient celles du précédent rapport du 4 avril 2014. L’expert confirmait le diagnostic de syndrome douloureux somatoforme et d’épisode dépressif moyen avec syndrome somatique. Il s’agissait d’atteintes essentiellement psychiques.

La Cour a constaté que l’expert répondait affirmativement à la question de l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident de la circulation du 26 août 1998 et l’atteinte à la santé. Avant d’entériner cette conclusion, elle a procédé à l’examen critique de ce rapport complémentaire, savoir si les lacunes que présentait le rapport initial avaient été comblées.

Après avoir rejeté les multiples griefs soulevés par la société d’assurances, respectivement considéré que le complément d’expertise avait été mené dans les règles de l’art, était complet, n’était entaché d’aucune erreur manifeste et ne présentait aucune contradiction, de sorte qu’il revêtait une pleine force probante, la Cour cantonale s’est rangée à ses conclusions.

 

TF

 

Règle du degré de la vraisemblance prépondérante (consid. 4)

Selon la jurisprudence, l’arbitraire ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution serait envisageable ou même préférable. Le Tribunal fédéral n’annule la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu’elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou encore lorsqu’elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. Pour qu’une décision soit annulée au titre de l’arbitraire, il ne suffit pas qu’elle se fonde sur une motivation insoutenable; encore faut-il qu’elle apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 136 III 552 consid. 4.2; 135 V 2 consid. 1.3; 134 I 140 consid. 5.4, 263 consid. 3.1).

S’agissant plus précisément de l’appréciation des preuves et de l’établissement des faits, il y a arbitraire lorsque l’autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu’elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3; 129 I 8 consid. 2.1).

Lorsque la juridiction cantonale se rallie au résultat d’une expertise, le Tribunal fédéral n’admet le grief d’appréciation arbitraire des preuves que si l’expert n’a pas répondu aux questions, si ses conclusions sont contradictoires ou si, de quelque autre manière, l’expertise est entachée de défauts à ce point évidents et reconnaissables, même en l’absence de connaissances ad hoc, qu’il n’était tout simplement pas possible de les ignorer. L’autorité cantonale n’est pas tenue de contrôler à l’aide d’ouvrages spécialisés l’exactitude scientifique des avis de l’expert. Il n’appartient pas non plus au Tribunal fédéral de vérifier que toutes les affirmations de l’expert sont exemptes d’arbitraire; sa tâche se limite à examiner si l’autorité cantonale pouvait, sans arbitraire, faire siennes les conclusions de l’expertise (ATF 133 II 384 consid. 4.2.3; 132 II 257 consid. 4.4.1; arrêts 4A_543/2014 du 30 mars 2015 consid. 5, non publié à l’ATF 141 III 97; 4A_5/2011 du 24 mars 2011 consid. 4.2).

L’existence d’un lien de causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage est une question de fait que le juge doit trancher selon la règle du degré de la vraisemblance prépondérante. Dans ce cas, l’allègement de la preuve se justifie par le fait que, en raison de la nature même de l’affaire, une preuve stricte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée de celui qui en supporte le fardeau (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2, 462 consid. 4.4.2). Ceci étant rappelé, le grief de la recourante est mal fondé comme cela saute aux yeux à la lecture de l’arrêt attaqué, qui rappelle que les faits pertinents doivent être établis au degré de la vraisemblance prépondérante. C’est ce même degré de preuve que l’expert a observé pour affirmer qu’il existait un lien de causalité naturelle entre l’accident de la circulation et l’atteinte à la santé de l’intimé. L’usage d’une expression isolée, respectivement tronquée, dans l’expertise ne contredit pas ce qui précède. Le grief ne peut qu’être rejeté.

 

Allégations des faits – 55 CPC

La cour cantonale a estimé que, bien que la recourante ait produit cette pièce en première instance, le passage de ce document qu’elle alléguait pour la première fois en appel constituait un fait nouveau irrecevable. A juste titre. Comme elle l’a justement évoqué, le procès doit en principe se conduire entièrement devant les juges du premier degré; l’appel est ensuite disponible mais il est destiné à permettre la rectification des erreurs intervenues dans le jugement plutôt qu’à fournir aux parties une occasion de réparer leurs propres carences. En particulier, une partie ne saurait se réserver des moyens d’attaquer le jugement à venir en déposant délibérément, en première instance, des pièces sans lien avec l’argumentation qu’elle développe, dans la perspective de les exploiter plus tard au stade de l’appel. Les faits doivent au contraire être allégués et énoncés de façon suffisamment détaillée dès les écritures de première instance, de manière à circonscrire le cadre du procès, assurer une certaine transparence et, en particulier, permettre une contestation efficace par l’adverse partie (FABIENNE HOHL, Procédure civile, Berne 2016, vol. I, nos 1258 s. p. 207 s.). L’allégation globale d’un ensemble de faits par simple référence aux pièces produites n’est pas suffisante (HOHL, ibid; CHRISTOPH HURNI, in Commentaire bernois, 2012, n° 21 ad art. 55 CPC); à plus forte raison, un ensemble de faits passé entièrement sous silence dans les mémoires, même s’il peut être reconstitué par l’étude des pièces, n’est pas valablement introduit dans le procès et il est donc nouveau si une partie s’avise de s’en prévaloir en appel uniquement (arrêt 4A_309/2013 du 16 décembre 2013 consid. 3.2).

Ceci ne laisse nulle possibilité à ce grief de prospérer.

 

Causalité naturelle en responsabilité civile – Statu quo sine vel ante (consid. 7)

Il y a causalité naturelle entre deux événements lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit; il n’est pas nécessaire que l’événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat, mais il doit se présenter comme une condition « sine qua non » du dommage (ATF 96 II 396 consid. 1; arrêt 5C.125/2003 du 31 octobre 2003 consid. 3.2).

Dans un arrêt remontant à 2010, le Tribunal fédéral a évoqué que la définition du lien de causalité naturelle était identique en droit de la responsabilité civile et en droit des assurances sociales (arrêt 4A_65/2009 du 17 février 2010 consid. 5.1). Cela étant, la notion de statu quo sine vel ante avait été développée en matière d’assurance-accidents (ibid., consid. 5.3). En droit de la responsabilité civile, il suffisait que le lien de causalité naturelle entre l’événement dommageable et le dommage soit donné au moment de cet événement (ibid., consid. 5.4), ce qui était le cas dans cette affaire du moment que l’expertise judiciaire avait établi que l’accident était à l’origine des problèmes de santé du recourant qui était devenu depuis lors complètement et définitivement incapable de travailler. Ceci suffisait pour admettre l’existence d’un rapport de causalité naturelle entre l’accident et le dommage (ibid., consid. 5.4). Ce qui ne signifiait pas pour autant qu’un état maladif préexistant (prédisposition constitutionnelle) de la victime ne soit pas du tout pris en compte en droit de la responsabilité civile; il l’est dans le cadre de la fixation du dommage (art. 42 CO) ou de la réduction des dommages-intérêts (art. 44 CO), s’il a contribué à la survenance du dommage ou à son aggravation (ibid., consid. 5.5).

Cet arrêt a suscité des commentaires et interrogations de la doctrine. La question s’est posée de savoir si la causalité naturelle était donnée une fois pour toutes ou si elle pouvait également cesser en droit de la responsabilité civile, si l’assureur apportait la preuve de cette disparition avec le degré de la vraisemblance prépondérante requise (dans ce dernier sens, STÉPHANIE NEUHAUS-DESCUVES/PETER HAAS/IRIS HERZOG-ZWITTER, Droit de la responsabilité civile: disparition du lien de causalité naturelle, in Jusletter du 9 mai 2011, ch. marg. 35; WALTER FELLMANN, Entwicklungen – Neues aus dem Haftpflichtrecht, in Personen-Schaden-Forum 2011, p. 257 s.; contra, VOLKER PRIBNOW, Kein Wegfall einer einmal gegebenen Haftung, in Have 2/2010 p. 156; voir également BRUNO HÄFLIGER, Die wichtigsten Entscheide im Haftpflichtrecht, Plädoyer 5/2010, ch. 3, p. 41).

Il n’est toutefois pas nécessaire de trancher cette question dans le cas présent.

En effet, si la recourante était par hypothèse admise à démontrer que le lien de causalité naturelle a disparu à un moment ou à un autre, elle devrait disposer d’éléments sérieux à l’appui de cette thèse.

Tel n’est pas le cas ici. Si l’expertise judiciaire s’exprime sur cette problématique, elle va dans un sens diamétralement contraire. A la question de savoir si les lésions physiques constatées chez l’intimé seraient également apparues sans l’accident et le cas échéant à quel moment (statu quo sine) et si l’intimé aurait, consécutivement à l’apparition de ces lésions, développé des troubles psychiques de même nature que ceux qu’il présentait actuellement, l’expert a répondu comme suit sur la base de l’ensemble des renseignements médicaux fournis et en tenant compte des facteurs étrangers et des prédispositions constitutionnelles: le développement de douleurs progressives en lien avec des altérations dégénératives du rachis n’aurait vraisemblablement pas été de nature à produire de tels effets sur le fonctionnement psychique de l’intimé. Ce faisant, l’expert a confirmé que dans le cas de l’intimé, les seules atteintes dégénératives dont il souffrait n’auraient pas engendré chez lui les troubles psychiques diagnostiqués, excluant ainsi qu’un statu quo sine vel ante soit survenu sur le plan psychiatrique, étant rappelé que les diagnostics posés relevaient exclusivement de ce domaine médical.

La recourante s’en réfère exclusivement à l’avis du Dr L.__ selon lequel l’accident avait anticipé de cinq ans l’apparition des symptômes liés aux troubles dégénératifs préexistants de l’intimé. Cela étant, ni le Prof. Q.__ auteur de l’expertise initiale, ni le Dr R.__ auteur de l’expertise complémentaire, ne se rangent à cette opinion dont le fondement demeure assez obscur, comme la cour cantonale l’a déjà souligné.

Il n’y a dès lors nulle violation du droit dont la recourante est fondée à se plaindre.

 

Le rejette le recours de l’assureur RC.

 

 

Arrêt 4A_558/2020 consultable ici

 

 

Arrêt CJUE du 03.06.2021 – Affaire C-784/19 Team Power Europe – Sécurité sociale – Législation applicable – Certificat A 1 – Détermination de l’État membre dans lequel l’employeur exerce normalement ses activités – Entreprise de travail intérimaire / Règl. (CE) no 883/2004 – Règl. (CE) no 987/2009

Arrêt CJUE du 03.06.2021 – Affaire C-784/19 Team Power Europe

 

Consultable ici

Communiqué de presse de la CJUE du 03.06.2021 consultable ici

 

Législation applicable – Détachement – Travailleurs intérimaires – Certificat A 1 – Détermination de l’État membre dans lequel l’employeur exerce normalement ses activités – Notion d’« activités substantielles autres que des activités de pure administration interne » – Absence de mise à disposition de travailleurs intérimaires sur le territoire de l’État membre dans lequel l’employeur est établi / Art. 12 par. 1 Règl. (CE) no 883/2004 – Art. 14 par. 2 Règl. (CE) no 987/2009

 

Pour être considérée comme « exerçant normalement ses activités » dans un État membre, une entreprise de travail intérimaire doit effectuer une partie significative de ses activités de mise à la disposition de travailleurs au profit d’entreprises utilisatrices établies et exerçant leurs activités sur le territoire dudit État membre. L’exercice d’activités de sélection et de recrutement de travailleurs intérimaires dans l’État membre dans lequel l’entreprise de travail intérimaire est établie ne suffit pas pour que cette entreprise soit regardée comme y exerçant des « activités substantielles »

Au cours de l’année 2018, un ressortissant bulgare a conclu un contrat de travail avec Team Power Europe, une société de droit bulgare dont l’objet social est l’exercice d’une activité de travail intérimaire et de courtage à la recherche d’emploi en Bulgarie et dans d’autres pays. En vertu de ce contrat, il a été mis à disposition d’une entreprise utilisatrice établie en Allemagne. Entre le 15 octobre et le 21 décembre 2018, il devait accomplir son travail sous la direction et le contrôle de cette entreprise allemande.

Considérant, d’une part, que la relation directe entre Team Power Europe et le travailleur en cause n’avait pas été maintenue et, d’autre part, que cette entreprise n’exerçait pas une activité substantielle sur le territoire bulgare, le service des recettes de la ville de Varna (Bulgarie) a rejeté la demande de Team Power Europe tendant à la délivrance d’un certificat A 1 attestant que la législation bulgare de sécurité sociale était applicable au travailleur en cause pendant la période de sa mise à disposition. Selon ce service, la situation de ce travailleur ne relevait donc pas du champ d’application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement (CE) no 883/2004 [1], en vertu duquel cette législation bulgare aurait été applicable. La réclamation administrative introduite par Team Power Europe contre cette décision du service des recettes a été rejetée.

C’est dans ce contexte que l’Administrativen sad – Varna (tribunal administratif de Varna), saisi d’un recours juridictionnel tendant à l’annulation de la décision de rejet de cette réclamation administrative, a décidé d’interroger la Cour sur les critères pertinents à prendre en compte afin d’apprécier si une entreprise de travail intérimaire exerce généralement des « activités substantielles autres que des activités de pure administration interne » sur le territoire de l’État membre dans lequel elle est établie, au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement (CE) no 987/2009 [2], lequel précise l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004. En effet, la satisfaction de cette exigence par Team Power Europe conditionne l’applicabilité de cette dernière disposition à cette affaire.

Dans son arrêt, rendu en grande chambre, la Cour précise, en ce qui concerne les entreprises de travail intérimaire, la portée de la notion d’« employeur exerçant normalement ses activités » dans un État membre prévue par cette disposition et précisée à l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 987/2009.

 

Appréciation de la Cour

La Cour procède, tout d’abord, à une interprétation littérale de cette dernière disposition et relève qu’une entreprise de travail intérimaire se caractérise par le fait qu’elle exerce un ensemble d’activités consistant à procéder à la sélection, au recrutement et à la mise à la disposition de travailleurs intérimaires au profit d’entreprises utilisatrices. À cet égard, la Cour indique que, bien que les activités de sélection et de recrutement de travailleurs intérimaires ne puissent être qualifiées d’« activités de pure administration interne » au sens de cette disposition, l’exercice de ces activités dans l’État membre dans lequel une telle entreprise est établie ne suffit pas pour qu’elle soit regardée comme y exerçant des « activités substantielles ». En effet, les activités de sélection et de recrutement de travailleurs intérimaires ont pour unique objet la mise à la disposition ultérieure par celle-ci de tels travailleurs au profit d’entreprises utilisatrices. La Cour relève à cet égard que, si la sélection et le recrutement de travailleurs intérimaires contribuent certes à générer le chiffre d’affaires réalisé par une entreprise de travail intérimaire, ces activités constituant un préalable indispensable à la mise à disposition ultérieure de tels travailleurs, seule la mise à la disposition de ces travailleurs au profit d’entreprises utilisatrices en exécution des contrats conclus à cette fin avec ces derniers génère effectivement ce chiffre d’affaires. En effet, les revenus d’une telle entreprise dépendent du montant de la rémunération versée aux travailleurs intérimaires ayant été mis à la disposition d’entreprises utilisatrices.

S’agissant, ensuite, du contexte dans lequel la disposition visée s’inscrit, la Cour rappelle que le cas dans lequel un travailleur détaché pour effectuer un travail dans un autre État membre demeure soumis à la législation du premier État membre constitue une dérogation à la règle générale selon laquelle la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre [3]. Par conséquent, la disposition qui régit un tel cas doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Dans cette perspective, cette règle dérogatoire ne saurait s’appliquer à une entreprise de travail intérimaire qui ne procède, dans l’État membre où elle est établie, aucunement ou, tout au plus, que de manière négligeable à la mise à la disposition de travailleurs au profit d’entreprises utilisatrices qui y sont également établies. Par ailleurs, les définitions des notions d’« entreprise de travail intérimaire » et de « travailleur intérimaire », prévues par la directive 2008/104/CE [4], en ce qu’elles font ressortir la finalité de l’activité d’une entreprise de travail intérimaire, étayent également l’interprétation selon laquelle une telle entreprise ne peut être considérée comme exerçant, dans l’État membre dans lequel elle est établie, des « activités substantielles » que si elle y accomplit de manière significative des activités de mise à la disposition de ces travailleurs au profit d’entreprises utilisatrices exerçant leurs activités dans le même État membre.

S’agissant, enfin, de l’objectif poursuivi par la disposition concernée, la Cour énonce que la dérogation contenue à l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, qui représente un avantage offert aux entreprises exerçant la libre prestation de services, ne saurait bénéficier aux entreprises de travail intérimaire orientant leurs activités de mise à disposition de travailleurs intérimaires exclusivement ou principalement vers un ou plusieurs États membres autres que celui dans lequel elles sont établies. En effet, la solution contraire risquerait d’inciter ces entreprises au forum shopping en s’établissant dans l’État membre ayant la législation de sécurité sociale qui leur est la plus favorable. À terme, une telle solution risquerait d’aboutir à une réduction du niveau de protection offert par les systèmes de sécurité sociale des États membres. En outre, la Cour souligne que le fait d’accorder un tel bénéfice à ces mêmes entreprises aurait pour effet de créer, entre les différentes modalités d’emploi possibles, une distorsion de la concurrence en faveur du recours au travail intérimaire par rapport aux entreprises recrutant directement leurs travailleurs, lesquels seraient affiliés au régime de sécurité sociale de l’État membre dans lequel ils travaillent.

La Cour conclut qu’une entreprise de travail intérimaire établie dans un État membre doit, pour être considérée comme « exerçant normalement ses activités » dans cet État membre, effectuer une partie significative de ses activités de mise à la disposition de travailleurs intérimaires au profit d’entreprises utilisatrices établies et exerçant leurs activités sur le territoire dudit État membre.

 

 

[1] Règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4). Plus précisément, en vertu de l’article 12, paragraphe 1, de ce règlement, « [l]a personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne ».

[2] Règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1). Aux termes de l’article 14, paragraphe 2, de ce règlement, « [a]ux fins de l’application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement de base, les termes “y exerçant normalement ses activités” désignent un employeur qui exerce généralement des activités substantielles autres que des activités de pure administration interne sur le territoire de l’État membre dans lequel il est établi. Ce point est déterminé en tenant compte de tous les facteurs caractérisant les activités de l’entreprise en question ; les facteurs pertinents doivent être adaptés aux caractéristiques propres de chaque employeur et à la nature réelle des activités exercées. »

[3] Prévue à l’article 11, paragraphe 3, sous a), du règlement no 883/2004.

[4] Directive 2008/104/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative au travail intérimaire (JO 2008, L 327, p. 9).

 

 

 

Arrêt CJUE du 03.06.2021 – Affaire C-784/19 Team Power Europe consultable ici

Résumé de l’arrêt CJUE du 03.06.2021 – Affaire C-784/19 Team Power Europe consultable ici

Communiqué de presse de la CJUE du 03.06.2021 consultable ici

 

 

9C_414/2020 (f) du 11.05.2021 – Rattrapage de cotisation après refus de la demande AI pour période de cotisation insuffisante / Rectification des inscriptions au compte individuel une fois la réalisation du risque assuré – Renversement de la présomption d’exactitude des inscriptions au compte individuel – 141 RAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_414/2020 (f) du 11.05.2021

 

Consultable ici

 

Rattrapage de cotisation après refus de la demande AI pour période de cotisation insuffisante – Condition d’assurance / 36 al. 1 LAI

Rectification des inscriptions au compte individuel une fois la réalisation du risque assuré – Renversement de la présomption d’exactitude des inscriptions au compte individuel / 141 RAVS

 

Assurée, ressortissante brésilienne née en 1985, a sollicité des prestations de l’assurance-invalidité le 12.02.2016. Elle indiquait être arrivée en Suisse en décembre 2013 et se consacrer exclusivement à l’entretien de son ménage. Au terme de la procédure, l’office AI a déduit de l’extrait du compte individuel de l’assurée (qui ne mentionnait aucune année de cotisations) et des avis médicaux réunis que l’intéressée était totalement incapable de travailler quelle que soit l’activité envisagée depuis le mois de juillet 2015 en raison des séquelles de pathologies psychiques mais n’avait pas cotisé au moins trois ans au moment de la survenance de l’invalidité. Il a dès lors rejeté la demande de prestations au motif que l’intéressée ne remplissait pas les conditions générales d’assurance.

L’assurée a informé l’administration le 24.06.2019 qu’elle avait entrepris des démarches pour corriger son compte individuel (rattrapage de cotisations) et lui a demandé de réexaminer son cas. Cette écriture a été communiquée au tribunal cantonal pour qu’elle soit traitée comme un recours.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 351/19 – 151/2020 – consultable ici)

Par jugement du 14.05.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Durant la procédure de recours, la juridiction cantonale a reçu l’extrait – corrigé – du compte individuel de l’assurée mentionnant trois années complètes de cotisations entre 2012 et 2014. Le tribunal cantonal a néanmoins considéré que cette correction était douteuse dans la mesure où l’employeur qui s’était acquitté rétroactivement de l’arriéré des cotisations non déclarées à l’époque était le conjoint de l’assurée. Il en a déduit que, conformément à ses propres déclarations, l’assurée n’avait pas travaillé les années en question et, par conséquent, pas cotisé.

Selon l’art. 141 al. 3 RAVS, relatif aux extraits de compte individuel, lorsque n’est demandé ni extrait de compte ni rectification ou lorsqu’une demande de rectification a été rejetée, la rectification des inscriptions ne peut être exigée, lors de la réalisation du risque assuré, que si l’inexactitude des inscriptions est manifeste ou si elle a été pleinement prouvée. Cette disposition institue une présomption d’exactitude des inscriptions au compte individuel et définit les conditions auxquelles cette présomption peut être renversée lors de la réalisation du risque assuré : l’inexactitude doit être manifeste ou pleinement prouvée.

Or, en l’espèce, la rectification du compte individuel a été admise sans aucune restriction par la caisse cantonale de compensation AVS. Cette rectification a pu intervenir en raison du paiement par le mari de l’assurée de l’arriéré de cotisations non déclarées à l’époque. Elle laisse supposer que l’assurée avait travaillé « au noir » pour le compte de son conjoint mais est présumée exacte. Les juges cantonaux ne pouvaient dès lors pas l’ignorer en invoquant un simple doute quant à l’exercice effectif d’une activité lucrative durant les années en question au seul motif que le paiement rétroactif avait été effectué par le conjoint de l’assurée. Un tel doute ne suffit pas pour renverser la présomption mentionnée dans la mesure où il ne constitue pas une inexactitude manifeste ni ne prouve pleinement une telle inexactitude. Il suggère cependant que le montant versé par le conjoint de l’assurée pourrait relever d’un abus de droit (sur cette notion, cf. notamment ATF 143 III 279 consid. 3.1) dès lors qu’il est contraire aux premières déclarations de l’assurée. Celle-ci avait en effet indiqué n’avoir jamais exercé d’activité lucrative depuis son arrivée en Suisse le 19.12.2013, en particulier pas dans l’entreprise de son époux. Aucun élément au dossier ne permet de trancher cette question nécessaire à la résolution du litige.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée, annule le jugement cantonal et renvoie la cause au tribunal cantonal pour instruction complémentaire et nouveau jugement dans le sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_414/2020 consultable ici

 

 

9C_525/2020 (d) du 29.04.2021 – Droit d’être entendu – 29 al. 2 Cst. / Expertise médicale – Tâches de l’expert mandaté – Communication du nom du coexpert – 44 LPGA / Qualification d’un expert en neuropsychologie – Absence de signature du coexpert du rapport d’expertise

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_525/2020 (d) du 29.04.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt original fait foi

 

Droit d’être entendu / 29 al. 2 Cst.

Expertise médicale – Tâches de l’expert mandaté – Communication du nom du coexpert / 44 LPGA

Qualification d’un expert en neuropsychologie – Absence de signature du coexpert du rapport d’expertise

 

Assuré, né en 1967, a déposé une demande AI le 14.08.2016, en raison d’une sclérose en plaques (SEP). Après investigations – notamment une évaluation neuropsychologique (expertise du Dr. phil. B.________, psychologue spécialiste en neuropsychologie FSP et en psychothérapie FSP) – l’office AI a octroyé à l’assuré un quart de rente d’invalidité dès le 01.02.2017.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a estimé qu’il avait été remédié à toute violation des droits de participation de l’assuré à la désignation de l’expert (art. 44 LPGA : droit de faire des remarques quant à l’expert C.________, neuropsychologue clinique, impliqué dans l’expertise ; droit de poser des questions [complémentaires]). La cour cantonale a reconnu la valeur probante du rapport neuropsychologique et, sur la base d’une capacité de travail de 60% dans la profession habituelle de l’assuré, a confirmé que l’assuré avait droit à un quart de pension.

Par jugement du 18.06.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Droit d’être entendu

Dans la mesure où l’assuré reproche à la cour cantonale une violation de l’obligation de motivation, il ne peut être suivi. Cette obligation, qui découle du droit constitutionnel d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst) n’exige pas de l’autorité qu’elle traite en détail tous les points de vue des parties et qu’elle réfute expressément chaque argument individuel ; il suffit que la décision établisse et évalue suffisamment les éléments essentiels pour qu’elle puisse, le cas échéant, être contestée de manière appropriée (ATF 142 II 49 consid. 9.2 ; 136 I 184 consid. 2.2.1 ; 134 I 83 consid. 4 ; 133 III 439 consid. 3.3 ; chacun avec les références).

 

Expertise médicale – Tâches de l’expert mandaté – Communication du nom du coexpert

Si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties. Celles-ci peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions (art. 44 LPGA).

L’expert au sens de l’art. 44 LPGA est la personne qui (en tant que sujet mandaté) établit une expertise et en est responsable. Il s’agit aussi bien de la personne chargée d’effectuer l’évaluation que de la personne physique qui prépare l’évaluation.

En tant que mandant, l’assureur a le droit de faire réaliser l’expertise par la personne mandatée. La substitution ou le transfert (même d’une partie) de la mission à un autre expert nécessite en principe le consentement du mandant.

Toutefois, l’obligation d’exécution personnelle du mandataire ne s’oppose pas à ce que l’expert s’assure le concours d’un auxiliaire, agissant sous sa direction et sa surveillance, pour l’exécution de certains travaux auxiliaires subordonnés, par exemple des tâches techniques (analyses) ou des travaux de recherche, de dactylographie, de copie ou de contrôle. L’assistance d’un tiers qualifié pour des tâches accessoires est admissible sans constituer une substitution nécessitant un consentement, pour autant que la responsabilité de l’expertise, en particulier le raisonnement et les conclusions ainsi que la réponse aux questions de l’expert, reste entre les mains de l’expert désigné.

Il est important que l’expert désigné accomplisse personnellement les tâches de base dans le cadre d’une expertise médicale en droit de la sécurité sociale, puisqu’il a été nommé précisément sur la base de son expertise, de ses compétences scientifiques particulières et de son indépendance. Ces tâches, qui ne peuvent être déléguées, consistent notamment à prendre connaissance du dossier dans son intégralité et à en faire une analyse critique, à examiner la personne à évaluer ou à réfléchir à l’évaluation du cas et aux conclusions qui peuvent en être tirées, le cas échéant dans le cadre d’une discussion interdisciplinaire.

Dans le cadre de l’art. 44 LPGA, il en résulte que l’obligation de communiquer à l’avance le nom du médecin chargé de l’expertise, ou le droit de l’assuré de connaître ce nom, concerne la personne qui a été chargée par l’assurance-invalidité de préparer l’expertise. Cette obligation ne s’étend pas au nom des tiers qui assistent l’expert par des travaux auxiliaires (dans l’ensemble : ATF 146 V 9 E. 4.2.1 ss et les références).

Comme le relève la cour cantonale, il n’est pas possible de déterminer dans quelle mesure le Dipl. Psych. C.________ a été impliqué dans le contenu de l’expertise neuropsychologique. En particulier, il n’est pas précisé qui a réalisé quelles parties de l’expertise. Dans la mesure où la juridiction cantonale se prononce néanmoins sur ce point, son appréciation, d’une part, ne trouve aucun appui dans l’expertise et, d’autre part, apparaît également contradictoire en soi.

 

D’un point de vue formel, les Dr. phil. B.________ et Dipl. Psych. C.________ ont été nommés dans l’avis d’expert. Ensuite, sous la rubrique « Propres examens et constatations », il a été indiqué que l’examen neuropsychologique avait été réalisé par Dipl. Psych. C.________ et Dr. phil. B.________. En outre, l’expertise parle de « conseillers » (« Referentinnen »). Et enfin, les deux examinateurs étaient censés signer l’avis d’expert. Rien n’indique que Dipl. Psych. C.________ n’a fait qu’effectuer un travail auxiliaire subordonné au sens de la jurisprudence précitée. Il faut donc supposer que le Dr. phil. B.________ a impliqué Dipl. Psych. C.________ en tant qu’expert, c’est pourquoi il ne fait aucun doute qu’ils ont été impliqués dans la même mesure dans la préparation de l’expertise.

Compte tenu de la jurisprudence (ATF 146 V 9), il faut conclure sur la base de ce qui précède que tant le Dr phil. B.________ et Dipl. Psych. C.________ étaient des experts au sens de l’art. 44 LPGA. La conclusion de la juridiction inférieure selon laquelle ce dernier n’était qu’un auxiliaire est contraire au dossier et donc manifestement incorrecte.

 

Qualification d’un expert en neuropsychologie – Absence de signature du coexpert du rapport d’expertise

Outre le fait que le nom de Dipl. Psych. C.________ aurait dû être communiqué à l’assuré avant l’expertise (art. 44 LPGA) – ce qui n’a pas été le cas – se pose ici la question de la valeur probante de l’expertise sur le plan formel.

A cet égard, il convient de relever d’emblée qu’un expert participant à titre principal à une expertise neuropsychologique doit disposer de l’une des qualifications professionnelles alternatives énumérées dans la lettre-circulaire AI n° 367 de l’OFAS du 21 août 2017 (LCAI n° 367, disponible sur : https://sozialversicherungen.admin.ch/fr/d/5942/download [français]). L’état actuel du dossier ne permet pas de dire si c’est le cas pour le Dipl. Psych. C.________.

Une autre lacune formelle concerne l’absence de la signature de Dipl. Psych. C.________ dans le rapport d’expertise. En tant qu’expert principal, il aurait dû signer le rapport d’expertise ou son consentement aux conclusions qu’il contient aurait dû être obtenu au moins ultérieurement (cf. sur l’admissibilité de la validation ultérieure, arrêt 8C_252/2014 du 5 août 2014 consid. 3.3). Tel n’est pas le cas ici.

Sur la base de ce qui précède, l’affaire doit être renvoyée à l’office AI. Ce dernier doit préciser si le Dipl. Psych. C.________ remplit la qualification professionnelle requise conformément à la lettre-circulaire AI n° 367 pour fournir une expertise neuropsychologique. Si tel n’est pas le cas, le rapport d’expertise neuropsychologique n’est pas probant. Si, en revanche, le psychologue est professionnellement qualifié, son accord sur les conclusions consignées dans le rapport d’expertise devra être obtenu ultérieurement. Enfin, il conviendra de se prononcer sur la valeur probante de l’expertise et sur la nécessité d’une clarification supplémentaire avant de prendre une nouvelle décision sur le droit de l’assuré à une rente d’invalidité plus élevée que le quart de pension qui lui a été accordé.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_525/2020 consultable ici

Proposition de citation : 9C_525/2020 (d) du 29.04.2021 – Droit d’être entendu – Expertise médicale, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/06/9c_525-2020)

 

Arrêt CJUE – Affaire C-65/20 KRONE – Verlag – Un article dans un journal imprimé ne peut donc pas engager la responsabilité sans faute de l’éditeur ou de l’imprimeur dudit journal selon la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux

Arrêt CJUE du 10.06.2021 – Affaire C-65/20 KRONE – Verlag

 

Consultable ici

Communiqué de presse de la CJUE du 10.06.2021 consultable ici

 

Protection des consommateurs – Responsabilité du fait des produits défectueux – Notion de “produit défectueux” – Exemplaire physique d’un journal quotidien contenant un conseil de santé inexact / Directive 85/374/CEE

 

 

Un article dans un journal imprimé, qui dispense un conseil de santé inexact relatif à l’utilisation d’une plante, dont le respect a causé un dommage à la santé d’un lecteur, ne constitue pas un produit défectueux au sens du droit de l’Union. Un tel article ne peut donc pas engager la responsabilité sans faute de l’éditeur ou de l’imprimeur dudit journal selon la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux.

KRONE Verlag est une société de presse établie en Autriche. Elle est propriétaire de médias et l’éditrice d’une édition régionale du journal Kronen-Zeitung. Le 31 décembre 2016, elle a publié dans celui-ci un article sur les mérites d’une application de raifort râpé, signé par un membre d’un ordre religieux qui, en sa qualité d’expert dans le domaine des herbes médicinales, donne des conseils à titre gratuit dans une chronique publiée quotidiennement par ce journal.

Le texte de l’article était le suivant :

« Soulager les douleurs rhumatismales

Le raifort fraîchement râpé peut aider à réduire les douleurs qui apparaissent avec le rhumatisme. Les zones concernées sont au préalable frictionnées avec une huile grasse à base d’herbes ou avec du saindoux, avant d’y poser et d’y presser le raifort râpé. On peut tout à fait garder cette application pendant deux à cinq heures avant de l’enlever. Ce soin possède un bon effet révulsif. »

Cependant, la durée de deux à cinq heures indiquée dans l’article pendant laquelle la substance devait être appliquée était inexacte, le terme « heures » ayant été utilisé en lieu et place du terme « minutes ». La requérante, une ressortissante autrichienne, se fiant à la durée de traitement mentionnée dans l’article, a appliqué cette substance sur l’articulation de son pied pendant environ trois heures et ne l’a retirée qu’après avoir ressenti de fortes douleurs dues à une réaction cutanée toxique.

Estimant avoir subi un préjudice, la requérante a introduit une demande en réparation du fait du dommage corporel à l’encontre de KRONE-Verlag. Cette demande ayant été rejetée en première instance et en appel, la requérante a formé devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) un recours en Revision.

Saisie à titre préjudiciel par cette juridiction, la Cour de justice considère que ne constitue pas un « produit défectueux », au sens de la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux [1], un exemplaire d’un journal imprimé qui, traitant d’un sujet paramédical, dispense un conseil de santé inexact relatif à l’utilisation d’une plante, dont le respect a causé un dommage à la santé d’un lecteur de ce journal.

 

Appréciation de la Cour

La Cour souligne d’emblée qu’un produit est défectueux, au sens de la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux [2], lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle il est légitime de s’attendre. Son caractère défectueux est déterminé en fonction de certains éléments qui sont intrinsèques au produit même et qui sont liés notamment à sa présentation, à son usage ainsi qu’au moment de sa mise en circulation.

Ensuite, rappelant que l’absence de dispositions dans cette directive quant à la possibilité d’engager la responsabilité du fait des produits défectueux pour les dommages causés par un service dont le produit ne constitue que le support physique traduit la volonté du législateur de l’Union, la Cour relève que, en l’occurrence, le conseil inexact ne se rapporte pas au journal imprimé qui constitue son support. En particulier, ce service ne concerne ni la présentation ni l’usage de ce dernier, de sorte que ledit service ne fait pas partie des éléments qui sont intrinsèques au journal imprimé qui, eux seuls, permettent d’apprécier si ce produit est défectueux.

Enfin, soulignant que la responsabilité des prestataires de services et la responsabilité des fabricants de produits finis constituent deux régimes de responsabilité distincts, l’activité des prestataires de services n’étant pas assimilée à celle des producteurs, importateurs et fournisseurs, la Cour rappelle que, eu égard aux caractéristiques propres des services, le régime de responsabilité du prestataire devrait faire l’objet d’une réglementation distincte [3].

Dès lors, selon la Cour, un conseil de santé inexact, qui est publié dans un journal imprimé et qui concerne l’usage d’un autre bien corporel, échappe au champ d’application de la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux et n’est pas de nature à conférer un caractère défectueux à ce journal et à engager, sur le fondement de cette directive, la responsabilité sans faute du « producteur », qu’il soit l’éditeur ou l’imprimeur dudit journal ou encore l’auteur de l’article.

À cet égard, la Cour précise que, si la responsabilité sans faute du fait des produits défectueux, prévue par cette directive, n’est pas applicable à la présente affaire, d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute, peuvent être applicables.

 

 

[1] Article 2 de directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO 1985, L 210, p. 29), telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999 (JO 1999, L 141, p. 20), lu à la lumière de l’article 1er et de l’article 6 de cette directive.

[2] Article 6 de la directive.

[3] Proposition de directive du Conseil sur la responsabilité du prestataire de services COM (90) 482 final (JO 1991, C 12, p. 8) présentée par la Commission le 9 novembre 1990.

 

 

Arrêt CJUE du 10.06.2021 – Affaire C-65/20 KRONE – Verlag consultable ici

Communiqué de presse de la CJUE du 10.06.2021 consultable ici

Conclusions de l’avocat général du 15.04.2021 consultable ici