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9C_430/2020 (f) du 17.03.2021 – Assurance-invalidité – Pas de violation de la maxime inquisitoire / Troubles somatoformes douloureux et absence de diagnostic émanant d’un expert-psychiatre / Hypothèse de douleurs neuropathiques

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2020 (f) du 17.03.2021

 

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Assurance-invalidité – Pas de violation de la maxime inquisitoire

Examen sous l’angle des indicateurs développés par la jurisprudence en matière de troubles somatoformes douloureux justifié uniquement si un tel diagnostic émanant d’un expert-psychiatre et s’appuyant lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu a été posé

Hypothèse de douleurs neuropathiques ne peut être corroborée par une référence à la doctrine médicale qui traite de cette symptomatologie en général

 

Assurée, née en 1968, agente d’exploitation à 60% et animatrice à 30%. Dépôt demande AI le 27.01.2016, invoquant des hernies discales.

L’office AI a confié un mandat d’expertise à un spécialiste en rhumatologie et en médecine interne. Dans son rapport du 28.06.2018, complété le 17.07.2018, puis confirmé le 13.06.2019, ce médecin a diagnostiqué, avec répercussion sur la capacité de travail, des lombopygialgies récurrentes sans signe radiculaire irritatif ou déficitaire. Il a attesté une capacité de travail de 70% dès avril 2016, respectivement de 75% dès janvier 2017 dans l’ancienne activité de femme de ménage ; la capacité de travail était entière dans une activité adaptée.

Appliquant la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, l’office AI a nié le droit à une rente et à des mesures d’ordre professionnel, compte tenu d’un taux d’invalidité global de 2% (pour la période antérieure au 01.01.2018) et de 10% (dès cette date).

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2019 234 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que le médecin-expert avait conclu à l’absence d’éléments organiques pouvant expliquer l’origine des douleurs de l’assurée. Cette dernière, dans ses objections au projet de décision, avait produit un rapport du professeur C.__, spécialiste en neurochirurgie, qui avait évoqué une micro-instabilité discale. Elle avait aussi invoqué l’avis de la doctoresse D.__, médecin traitant et spécialiste en traitement de la douleur, laquelle avait attesté que les traitements mis en place ne permettaient que partiellement de juguler les douleurs. En procédure de recours, la doctoresse D.__ avait demandé que le cas de sa patiente fût apprécié sur la base d’une grille d’évaluation structurée prévue par la jurisprudence, en raison de la présence de douleurs neuropathiques sans déficit organique objectivable.

Pour la juridiction cantonale, la situation de l’assurée ne relevait pas a priori de ce cas de figure, car l’origine des douleurs pouvait être rattachée à une hernie discale et aux interventions qui en découlaient. L’expertise rhumatologique avait permis d’écarter toute atteinte organique, mais l’évolution récente tendait à démontrer l’impossibilité d’expliquer objectivement les plaintes de l’assurée et un glissement progressif vers une pathologie de type somatoforme. Selon les juges cantonaux, un examen sous l’angle des indicateurs développés par la jurisprudence en matière de troubles somatoformes douloureux comme l’assurée l’avait requis n’était pas justifié, car un tel diagnostic émanant d’un expert-psychiatre et s’appuyant lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu n’avait pas été posé. La seule évocation d’une fatigue et d’une surcharge psychologique par la doctoresse D.__, non spécialisée en psychiatrie, n’était pas suffisante. De surcroît, l’assurée n’avait pas consulté un spécialiste en psychiatrie et ses médecins ne l’avaient pas non plus incitée à le faire, si bien que l’office AI était fondé à limiter son instruction aux volets rhumatologique et neurologique.

Se fondant en définitive sur les conclusions de l’expertise du docteur B.__, qui n’étaient pas contestées par l’assurée, les juges cantonaux ont confirmé l’étendue de la capacité de travail de l’assurée telle que retenue par l’office AI.

Par jugement du 18.05.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique, de troubles somatoformes douloureux persistants ou de fibromyalgie, suppose la présence d’un diagnostic émanant d’un expert psychiatre et s’appuyant lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu (ATF 141 V 281).

La violation de la maxime inquisitoire, telle qu’invoquée par l’assurée, est une question qui se confond et qui n’a pas de portée propre par rapport au grief tiré d’une mauvaise appréciation des preuves (cf. arrêts 9C_384/2019 du 1er octobre 2019 consid. 4.1; 8C_15/2009 du 11 janvier 2010 consid. 3.2, in SVR 2010 IV n° 42 p. 132). L’assureur ou le juge peut effectivement renoncer à accomplir certains actes d’instruction sans que cela n’entraîne une violation du devoir d’administrer les preuves nécessaires (art. 43 al. 1 et 61 let. c LPGA) s’il est convaincu, en se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352), que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation (sur l’appréciation anticipée des preuves en général, cf. ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 298 s. et les références). L’appréciation (anticipée) des preuves doit être arbitraire non seulement en ce qui concerne les motifs évoqués par la juridiction cantonale, mais également dans son résultat (cf. ATF 140 I 201 consid. 6.1 p. 205; cf. aussi arrêt 9C_839/2017 du 24 avril 2018 consid. 5.2).

En l’espèce, l’existence d’affections d’ordre psychique n’a pas été mise en évidence au cours de l’instruction de la demande de prestations. Le professeur C.__ et le médecin-expert n’ont pas fait état d’éléments susceptibles de rendre plausible l’existence d’une problématique psychique dans leurs rapports respectifs. Le médecin-expert s’est certes référé à une expertise psychiatrique (qui n’avait jamais été envisagée) dans le champ « constatations psychiatriques », mais n’a pas observé de signes relatifs à de telles affections. Il a par ailleurs conclu que le socle somatique ne permettait pas d’expliquer l’ampleur de la symptomatologie douloureuse et l’impotence fonctionnelle décrite par l’assurée, sans toutefois mentionner de composante d’ordre psychiatrique. Le seul fait, invoqué par l’assurée, que l’expert a retenu comme diagnostic sans répercussion sur la capacité de travail une diminution du seuil de déclenchement à la douleur en lien avec un syndrome polyinsertionnel douloureux récurrent de type fibromyalgie, ne justifie pas des investigations sur le plan psychiatrique.

De son côté, la doctoresse D.__ a déploré la prise en compte, par l’office AI, de critères uniquement radiologiques et physiques pour évaluer la situation de santé de sa patiente, en mentionnant trois références jurisprudentielles relatives à la procédure probatoire structurée qui doit être conduite en présence d’affections psychiques (cf. ATF 143 V 409, 143 V 418 et 141 V 585). A l’instar de ses confrères C.__ et B.__, elle n’a toutefois pas non plus attesté de signes allant dans le sens d’une problématique psychique. Par ailleurs, l’assurée n’a pas indiqué qu’elle aurait consulté un psychiatre ou que ses médecins lui auraient recommandé de le faire. Dans ces conditions, la renonciation à une instruction complémentaire sur le plan psychique n’apparaissait pas arbitraire.

 

Il en va de même en ce qui concerne une éventuelle investigation sur le plan neurologique. A cet égard, la doctoresse D.__ a certes indiqué que des douleurs neuropathiques ne pouvaient être objectivées qu’avec une bonne anamnèse et des échelles d’évaluation de la douleur et d’autres tests supplémentaires. Les douleurs de type neuropathique dont elle fait état chez sa patiente ne reposent en définitive que sur les affirmations de cette dernière (cf. rapport du 25 juillet 2019). A l’inverse de ce que voudrait l’assurée, l’hypothèse de telles douleurs dans sa situation ne peut être corroborée par une référence à la doctrine médicale qui traite de cette symptomatologie en général (BÉNÉDICTE VERDU / ISABELLE DECOSTERD, Douleurs neuropathiques: quelques pistes pour une évaluation structurée et une prise en charge spécifique et globale, Revue médicale suisse 2008 p. 1480 ss).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_430/2020 consultable ici

 

 

9C_344/2020 (d) du 22.02.2021 – Rappel de la procédure de la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire en assurance-invalidité – 44 LPGA – 72bis RAI / Contestation relative à la sélection du centre d’expertise doit être soulevée le plus tôt possible – Principe de la bonne foi

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2020 (d) du 22.02.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt du TF fait foi

 

Rappel de la procédure de la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire en assurance-invalidité / 44 LPGA – 72bis RAI

Une désignation consensuelle des experts (et non par attribution aléatoire) n’est pas conforme à la jurisprudence

Contestation relative à la sélection du centre d’expertise doit être soulevée le plus tôt possible – Principe de la bonne foi

 

Assuré, né en 1969, dernier emploi d’agent de sécurité. Demande AI déposée le 03.05.2011, consécutivement à un accident survenu le 02.11.2010. Expertise pluridisciplinaire (orthopédique-traumatologique-rhumatologique, neurologique et psychiatrique) mise en œuvre par l’office AI. Décision de refus de rente le 18.07.2019.

 

Procédure cantonale

L’assuré soutient que le rapport d’expertise du COMAI ne devrait pas être retenu, car le centre d’expertise n’a pas été choisi aléatoirement, en violation de l’art. 72bis al. 2 RAI [il y a eu une désignation consensuelle entre l’office AI et l’assuré]. La cour cantonale est arrivée à la conclusion que l’assuré est capable à 100% de travailler dans une activité adaptée. Par jugement du 23.04.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Procédure de la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire en AI

Au sens de l’art. 43 al. 1 LPGA, l’assureur examine les demandes, prend d’office les mesures d’instruction néces­saires et recueille les renseignements dont il a besoin. Les renseignements donnés oralement doivent être consignés par écrit. Si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties, conformément à l’art. 44 LPGA. Les parties peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. Les expertises comprenant trois ou plus de trois disciplines médicales doivent se dérouler auprès d’un centre d’expertises médicales lié à l’office fédéral par une convention (art. 72bis al. 1 RAI). L’attribution du mandat d’expertise doit se faire de manière aléatoire (art. 72bis al. 2 RAI).

Conformément à la jurisprudence, le choix de l’expert pour les évaluations COMAI polydisciplinaires doit toujours être fait de manière aléatoire (ATF 138 V 271 consid. 1.1 p. 274 s., 139 V 349 consid. 5.2.1 p. 354).

Dans un premier temps, l’office AI informe l’assuré qu’une expertise doit être réalisée ; il lui indique en même temps le type d’expertise envisagé (poly- ou mono- ou bi-disciplinaire) ainsi que les disciplines médicales et les questions d’expertise envisagées. À ce stade, la personne assurée peut soulever des objections de fond quant à l’évaluation en tant que telle ou à la nature ou à la portée de l’évaluation (exemples : deuxième avis inutile, choix inapproprié des disciplines médicales envisagées).

Dans un deuxième temps, l’office AI communique à la personne assurée le centre d’expertise attribué par tirage au sort (via la plateforme d’attribution SuisseMed@P développée par l’OFAS, par laquelle l’ensemble du processus d’obtention d’une expertise est géré et contrôlé) et les noms des experts, y compris les titres de spécialistes. Par la suite, l’assuré a la possibilité de soulever des objections personnelles matérielles ou formelles (ATF 139 V 349 consid. 5.2.2 p. 355 s.).

Ce modèle d’attribution est destiné à neutraliser les craintes générales de dépendance et de partialité découlant des conditions-cadres du système d’expertise (ATF 139 V 349 consid. 5.2.2.1 p. 355).

En raison de ces règles de procédure, il n’y a pas de place pour une nomination consensuelle des experts dans les expertises polydisciplinaires. Un accord consensuel peut en principe se révéler approprié, dans des cas particuliers, pour accroître l’acceptation des expertises COMAI polydisciplinaires, notamment auprès des assurés. Toutefois, ce n’est pas une raison pour renoncer à la désignation aléatoire ou pour n’y recourir que si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un centre d’expertise. Etant donné que seuls les centres d’expertise qui remplissent les critères de reconnaissance (organisationnelle et professionnelle) de l’OFAS sont autorisés à établir des expertises polydisciplinaires pour l’AI, l’office AI ne peut en principe refuser les COMAI proposés par l’assuré que pour des raisons d’économie de procédure et est donc largement obligé de suivre les propositions de l’assuré. Si une désignation consensuelle des experts devait être régulièrement envisagée/recherchée, cela établirait à nouveau une sélection du centre d’expertise axée sur le résultat, ce que le principe de l’aléatoire consacré par l’art. 72bis al. 2 RAI vise précisément à empêcher (cf. ATF 140 V 507 consid. 3.2 p. 511 ss).

 

Contestation de la détermination du centre d’expertise

Sur la base du principe de bonne foi, qui s’applique également aux particuliers, et de l’interdiction de l’abus de droit (art. 5 al. 3 Cst. ; ATF 137 V 394 consid. 7.1 p. 403 et les références), la jurisprudence du Tribunal fédéral exige que les objections procédurales soient soulevées le plus tôt possible, c’est-à-dire à la première occasion après avoir pris connaissance un défaut. Il est contraire à la bonne foi de ne soulever des irrégularités de ce type qu’à un stade ultérieur de la procédure ou même dans une procédure ultérieure si l’objection aurait pu être établie et contestée auparavant. Une partie qui intervient dans la procédure sans soulever un vice de procédure à la première occasion perd généralement le droit d’invoquer la disposition procédurale prétendument violée à un stade ultérieur (voir ATF 135 III 334 consid. 2.2 p. 336 ; ATF 134 I 20 consid. 4.3.1 p. 21 ; ATF 132 II 485 consid. 4.3 p. 496 s. ; ATF 130 III 66 consid. 4.3 p. 75 ; chacun avec références ; arrêt 1C_630/2014 du 18 septembre 2015 consid. 3.1). Ainsi, notamment, les motifs de récusation présentés tardivement ne sont pas à prendre en compte ou sont frappés de péremption (ATF 143 V 66 consid. 4.3 p. 69 ; 140 I 271 consid. 8.4.5 p. 276 ; SVR 2006 UV n° 20 p. 70 consid. 4.5, U 303/05).

Selon les constatations de fait de la cour cantonale, l’assuré était déjà représenté au moment de la détermination du centre d’expertise. Il n’a toutefois pas soulevé le grief de la sélection illicite du centre d’expertise dans la procédure administrative – pas même de manière informelle (cf. également arrêt 9C_174/2020 du 2 novembre 2020 consid. 6.2.2, destiné à la publication) – mais l’a soulevée pour la première fois dans le recours devant la cour cantonale. Comme les juges cantonaux l’ont estimé à juste titre, ce grief a donc été soulevé avec retard/hors délai. Il n’y a pas de raisons apparentes pour lesquelles la jurisprudence selon laquelle les objections procédurales doivent être soulevées le plus tôt possible, c’est-à-dire à la première occasion après avoir pris connaissance d’un défaut, ne devrait pas s’appliquer à la sélection juridiquement incorrecte d’un centre d’expertise (cf. également arrêt 8C_635/2018 du 21 décembre 2018 consid. 5.3). Si même le droit de faire valoir un motif formel de récusation est périmé en cas d’allégation tardive, cela doit d’autant plus s’appliquer dans des cas comme en l’espèce où il n’y a qu’une désignation consensuelle des experts – même si elle est inadmissible selon la jurisprudence. Dans un cas comme dans l’autre, il n’est pas acceptable qu’un assuré attende d’avoir connaissance de l’évaluation des experts avant de soulever le vice, et donc de ne le signaler que s’il n’est pas d’accord avec dite évaluation.

La cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral lorsqu’elle a établi les faits médicaux en tenant compte de l’expertise. La capacité établie de travailler dans une activité adaptée n’entraînant pas un degré d’invalidité justifiant une rente, c’est à juste titre que la cour cantonale a confirmé la décision de refus de prestations de l’office AI.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_344/2020 consultable ici

Proposition de citation : 9C_344/2020 (d) du 22.02.2021 – Procédure de la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire en assurance-invalidité, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/04/9c_344-2020)

 

127 V 219 (f) du 10.08.2001 – Droit d’un assuré de consulter le dossier (dès 2003 : 47 LPGA) / Langue de l’expertise – Droit de l’assuré à l’exécution de l’expertise dans sa langue maternelle, pour autant qu’il s’agisse d’une des langues officielles de la Confédération / Traduction du rapport d’expertise (allemand => français)

Arrêt du Tribunal fédéral 127 V 219 (f) du 10.08.2001

 

ATF 127 V 219 consultable ici

 

Droit d’un assuré de consulter le dossier (dès 2003 : 47 LPGA)

Langue de l’expertise – Droit de l’assuré à l’exécution de l’expertise dans sa langue maternelle, pour autant qu’il s’agisse d’une des langues officielles de la Confédération

Traduction du rapport d’expertise (allemand => français)

 

Assuré, domicilié dans l’un des trois districts francophones du canton de Berne, au bénéfice d’une demi-rente AI (invalidité 50%) depuis le 01.06.1993.

L’assuré ayant demandé à bénéficier d’une rente entière en raison d’une aggravation de son invalidité, il a notamment dû se soumettre à une expertise auprès du Centre d’observation médicale de l’AI (COMAI). Ayant reçu de ce dernier des documents rédigés en allemand, il a protesté et l’Office AI du canton de Berne lui a fait envoyer des formulaires rédigés en français. Le 04.01.2000, l’assuré s’est adressé au COMAI pour demander « poliment » à pouvoir se faire examiner par des médecins ou dans un hôpital de sa région, déclarant qu’il avait peur de se présenter « devant une commission médicale de langue allemande, comprenant mal (son) dossier ». Répondant à sa lettre le 14.01.2000, l’Office AI indiquait notamment: « Selon renseignements pris auprès de ce centre, la question de la langue ne pose pas de problème. Les experts peuvent s’entretenir en français ». En date du 23.03.2000, le COMAI a livré son rapport, rédigé en allemand et long de onze pages, plus deux rapports annexes, de respectivement six et quatre pages, également en allemand.

Le 17.05.2000, l’Office AI a demandé à l’assuré de l’autoriser à transmettre le rapport d’expertise à ses médecins traitants. Deux jours plus tard, ledit office lui a fait part d’un préavis aux termes de laquelle il était prévu de maintenir son droit à une demi-rente d’invalidité, soit, en fait, de rejeter sa demande d’augmentation de la rente. Le 22.05.2000, l’assuré a répondu à l’Office AI qu’il faisait « objection » à cette décision, car il estimait qu’il y avait eu « vices de forme dans la procédure suivie par le centre d’observation médical de X », ses « droits élémentaires de patient » n’ayant pas été respectés. En guise de réponse, l’Office AI lui a écrit pour l’inviter à préciser par écrit quels points du préavis il contestait et pour quelles raisons exactement.

L’assuré a écrit à l’Office AI pour lui faire part de ses griefs. En particulier, il se plaignait d’avoir été examiné par des médecins ne parlant et ne comprenant pas le français, de sorte qu’il avait dû s’entretenir avec eux par le truchement d’une traductrice, ce qui était particulièrement malvenu en ce qui concerne l’examen psychiatrique. L’office lui a répondu en indiquant d’une part qu’il faisait parvenir une copie de l’expertise du COMAI à son médecin traitant et, d’autre part, que pour la question de la langue, il constatait qu’une traductrice professionnelle et qualifiée avait servi d’interprète lors des examens, comme il l’avait souhaité.

Par lettres des 12.07.2000 et 28.07.2000, l’assuré a demandé à l’Office AI de lui faire parvenir le rapport d’expertise en français, ce que l’office a refusé, en précisant que « seules la correspondance et les décisions peuvent être envoyées en français ». Par décision du 18.08.2000, l’Office AI a rejeté la demande de révision et maintenu le droit de l’assuré à une demi-rente.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 14.12.2000, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Droit de consulter le dossier [ATF 127 V 219 consid. 1]

L’assuré qui se voit refuser par un organe de l’assurance sociale le droit de consulter son dossier dans le cadre d’une procédure le concernant doit contester ce refus devant le juge des assurances sociales (arrêt non publié M. du 16 septembre 1999, C 418/98).

Les juges cantonaux, en se référant notamment à THOMAS LOCHER, Grundriss des Sozialversicherungsrechts, 2e édition, Berne 1997, p. 343-344, ont rejeté le grief en considérant que selon l’interprétation traditionnelle, il n’y a pas de violation du droit d’être entendu lorsque l’autorité administrative refuse d’envoyer des copies du dossier à un administré non représenté par un avocat, tout en autorisant une consultation du dossier au siège de l’autorité (ATF 108 Ia 7 consid. 2b; cf. dans la doctrine récente les développements de MICHELE ALBERTINI, Der verfassungsmässige Anspruch auf rechtliches Gehör im Verwaltungsverfahren des modernen Staates, thèse Berne 1999, p. 249 ss).

Cette opinion n’est plus compatible avec les principes développés par la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la communication des données personnelles dans le domaine des assurances sociales. On ne voit pas, en effet, ce qui justifierait de traiter différemment l’assuré qui demande à un assureur social de lui communiquer par écrit les données personnelles le concernant, indépendamment de prétentions fondées sur le droit des assurances, et celui qui présente cette requête dans le cadre de l’instruction d’une demande de prestations. Or, si dans le premier cas la jurisprudence lui reconnaît un tel droit (ATF 125 II 323 consid. 3b et les références), il n’y a aucune raison de le lui refuser dans le second.

Peu importe, à cet égard, ce que prévoit la réglementation spécifique au domaine concerné en matière de communication du dossier. S’agissant de l’assurance-invalidité, l’art. 73bis al. 4 RAI donne à l’OFAS la compétence d’édicter des instructions « sur les détails de la procédure… de consultation du dossier », ce qu’il a fait dans sa circulaire sur l’obligation de garder le secret et sur la communication des données dans le domaine de l’AVS/AI/APG/PC/AF. Dans sa version valable depuis le 1er janvier 2001, cette circulaire prévoit la possibilité de communiquer les données personnelles à la personne concernée (ch. m. 25 ss), y compris, en principe, quand il s’agit de renseignements et de dossiers médicaux (ch. m. 36). Une réglementation analogue figurait antérieurement aux ch. m. 18 et 25 de la circulaire valable lorsque les faits déterminants en l’espèce se sont produits. Au demeurant, de telles directives administratives, selon une jurisprudence constante, n’ont pas valeur de règles de droit et ne lient pas le juge (ATF 125 V 379 consid. 1c).

Par ailleurs, lorsqu’il a demandé à recevoir une copie du rapport d’expertise, l’assuré n’était pas assisté par un avocat. Il est vrai que l’Office AI a communiqué le rapport en question à son médecin traitant. Pourtant, à aucun moment l’office n’a prétendu que la connaissance, par l’assuré, du rapport d’expertise était de nature à lui être dommageable, ce qui, selon les instructions de l’OFAS (ancien ch. m. 25 et actuel ch. m. 36 de la circulaire précitée), aurait pu justifier l’envoi du rapport au médecin traitant plutôt qu’à l’assuré (comp. art. 8 al. 3 LPD). Or, ici encore, on ne voit pas pourquoi il faudrait se montrer plus restrictif que dans le cadre de la législation fédérale sur la protection des données, de sorte qu’on ne saurait considérer, en principe, que la communication au médecin traitant de l’assuré d’une copie d’un rapport d’expertise épuise le droit de ce dernier à la communication écrite d’un tel document (comp. ATF 123 II 541 consid. 3d).

On ajoutera qu’un auteur a récemment soutenu que le droit de se faire remettre une copie du rapport d’expertise dont on a fait l’objet, dans le domaine de l’assurance-invalidité, peut se déduire directement de la garantie constitutionnelle du droit d’être entendu (STÉPHANE BLANC, La procédure administrative en assurance-invalidité, thèse Fribourg 1999, p. 281, qui se fonde sur la thèse d’ALEXANDER DUBACH, Das Recht auf Akteneinsicht, Zurich 1990, p. 165, dont l’opinion est à vrai dire plus nuancée et se rapporte à un cas assez particulier traité par la jurisprudence [consid. 4 non publié de l’arrêt ATF 105 Ia 285 ]).

Quoi qu’il en soit, au vu de ce qui précède, le refus de l’Office AI de communiquer au recourant personnellement une copie du rapport d’expertise médicale du COMAI du 23 mars 2000 n’était pas justifié, de sorte que sur ce point le recours apparaît bien fondé.

 

Langue de l’expertise – Traduction du rapport d’expertise [ATF 127 V 219 consid. 2]

Aux termes de l’art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de sa langue. D’autre part, la liberté de la langue est garantie (art. 18 Cst.). Selon l’art. 70 al. 1 Cst., les langues officielles de la Confédération sont l’allemand, le français et l’italien, le romanche étant aussi langue officielle pour les rapports que la Confédération entretient avec les personnes de langue romanche. Les cantons déterminent leurs langues officielles (art. 70 al. 2, première phrase Cst.). Selon l’art. 6 de la Constitution du canton de Berne (RSB 101.1), le français et l’allemand sont les langues nationales et officielles de ce canton (al. 1er); le français est la langue officielle dans le Jura bernois (al. 2 let. a) et toute personne peut s’adresser dans la langue officielle de son choix aux autorités compétentes pour l’ensemble du canton (al. 4).

D’après la jurisprudence rendue sous l’empire de la Constitution de 1874, la liberté de la langue faisait partie des libertés non écrites de la Constitution fédérale. Elle garantit l’usage de la langue maternelle, ou d’une autre langue proche, voire de toute langue de son choix. Lorsque cette langue est en même temps une langue nationale, son emploi était en outre protégé par l’art. 116 al. 1 aCst. (ATF 122 I 238 consid. 2a et b, ATF 121 I 198 consid. 2a, ATF 106 Ia 302 consid. 2a). Dans les rapports avec les autorités toutefois, la liberté de la langue est limitée par le principe de la langue officielle. En effet, sous réserve de dispositions particulières (par exemple les art. 5 par. 2 et 6 par. 3 lettre a CEDH), il n’existe en principe aucun droit à communiquer avec les autorités dans une autre langue que la langue officielle (Praxis 2000 no 40 p. 217 consid. 3). Ces principes ont été formalisés dans la Constitution de 1999, notamment aux art. 18 et 70 (cf. MARCO BORGHI, La liberté de la langue et ses limites, in: DANIEL THÜRER/JEAN-FRANÇOIS AUBERT/JÖRG-PAUL MÜLLER [éd.], Droit constitutionnel suisse, Zurich 2001, § 38).

En l’espèce, il est constant que l’assuré est un francophone établi dans le Jura bernois. Dès le début de la procédure d’expertise ordonnée par l’Office AI, il a demandé à pouvoir se faire examiner par des médecins ou dans un hôpital de sa région, déclarant qu’il avait peur de se présenter « devant une commission médicale de langue allemande, comprenant mal (son) dossier ». Cette question a été au centre du différend qui l’oppose à l’Office AI, indépendamment du problème de fond. Or, on ne comprend pas pourquoi l’office s’est obstiné, dans ces circonstances, à faire examiner l’assuré par les médecins d’un COMAI situé en Suisse alémanique, alors que de tels centres existent aussi en Suisse romande. Il paraît s’être agi, en l’occurrence, d’une mesure purement vexatoire, sans aucune justification objective, d’ordre médical notamment.

Or, compte tenu du statut particulier de cette institution propre à l’assurance-invalidité et de l’importance de son rôle dans l’instruction des faits d’ordre médical (cf. l’art. 72bis RAI et ATF 123 V 177 consid. 4), on doit exiger de la part des organes d’exécution le strict respect des droits fondamentaux des assurés qui doivent, dans le cadre de leur obligation de collaborer à l’établissement des faits pertinents, se soumettre à une expertise auprès d’un tel Centre d’observation médicale. La liberté de la langue d’une part et la garantie de ne pas subir de discrimination en raison de sa langue d’autre part s’inscrivent au rang de ces droits.

Cela ne signifie cependant pas qu’un assuré peut demander dans tous les cas qu’une expertise médicale soit conduite et rédigée dans une langue qu’il comprend. Il faut, à cet égard, s’en tenir à la règle d’après laquelle, on l’a vu, seules les langues officielles de la Confédération peuvent être utilisées dans les relations avec les autorités (cf. ALBERTINI, op.cit., p. 342 ss). Restent réservées les règles procédurales relatives à l’assistance d’un interprète qui ne sont toutefois pas en cause ici.

Dès lors, quand un assuré qui doit se soumettre à une expertise dans un COMAI demande à l’office compétent de désigner un centre d’observation médicale où l’on s’exprime dans l’une des langues officielles de la Confédération qu’il maîtrise, il y a lieu, en principe, de donner suite à sa requête, à moins que des raisons objectives justifient une exception. A défaut, l’assuré a le droit non seulement d’être assisté par un interprète lors des examens médicaux – comme cela a d’ailleurs été le cas en l’espèce – mais encore d’obtenir gratuitement une traduction du rapport d’expertise du COMAI.

Certes, la jurisprudence ne reconnaît pas à un assuré ou à son mandataire le droit de se faire traduire les pièces du dossier rédigées dans une langue qu’il ne maîtrise pas ou de manière seulement imparfaite (RCC 1983 p. 392; arrêt non publié V. du 3 novembre 1992, I 50/92). Sur ce point, le jugement attaqué est conforme à la loi. Mais, comme on l’a vu, ce n’est pas la question qui se pose ici.

En l’occurrence, l’Office AI n’a jamais soutenu qu’il existait une raison quelconque empêchant que l’expertise du recourant ait lieu dans un COMAI situé en Suisse romande, alors même que celui-ci l’avait demandé dès qu’il a été informé qu’il devrait se soumettre à une telle expertise.

C’est dès lors à bon droit que l’assuré se plaint de n’avoir pu obtenir de l’Office AI une traduction française du rapport établi par le COMAI. Le recours est bien fondé sur ce point également.

Aussi convient-il d’annuler le jugement attaqué ainsi que la décision administrative et d’inviter l’Office AI à faire parvenir à l’assuré, à bref délai, une copie du rapport susmentionné, accompagnée d’une traduction en langue française. L’office reprendra ensuite l’instruction de la cause au fond, après avoir donné à l’assuré recourant l’occasion de s’exprimer sur le contenu de cette expertise médicale.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

ATF 127 V 219 consultable ici

Arrêt I 78/01 consultable ici

 

 

 

Remarque : liberté est prise de rappeler cet ancien arrêt du TF, d’il y a 20 ans. Lorsque l’assuré, non représenté, demande la copie de son dossier, il arrive encore que l’office AI ne le lui adresse pas malgré l’art. 47 al. 1 lit. a LPGA ou n’envoie les pièces médicales au médecin traitant, même lorsque l’atteint n’est que strictement somatique (art. 47 al. 2 LPGA est généralement évoqué par les assureurs sociaux pour des données de la sphère psychique).

 

Dans la pratique, arrive-t-il souvent que des italophones demandent à pouvoir être examiné dans leur langue ? Font-ils référence à l’ATF 127 V 219 pour ce faire ? La problématique de la langue a toute son importance en particulier dans les expertises psychiatriques (cf. arrêts du TF I 28/06 du 26.04.2006 consid. 3.1 ; I 664/01 du 16.01.2004 consid. 5.1.2 ; I 357/02 du 07.05.2003 consid. 3.3 ; U 348/01 du 05.07.2002 consid. 2c).

 

A noter qu’il y a lieu de se plaindre de ce grief rapidement (arrêts du TF I 443/03 du 05.08.2004 consid. 3.3 ; I 245/00 du 30.12.2003 consid. 4.1.1 ; I 25/03 du 07.11.2003 consid. 4.2) et qu’il ne faut pas attendre la procédure de recours (cf. arrêts du TF 8C_430/2020 du 15.12.2020 consid. 2.2 ; 8C_432/2020 du 15.12.2020 consid. 2.2 ; 9C_37/2011 du 20.06.2011 consid. 4.2 ; I 313/03 du 31.03.2004 consid. 3 ; I 808/02 du 12.08.2003 consid. 2.1 ; I 790/02 du 02.07.2003 consid. 2.2) ou d’indiquer que, lors d’un premier examen, des difficultés de communication étaient déjà présentes (arrêt du TF U 369/02 du 06.08.2003 consid. 3.2).

 

Si l’examen est réalisé dans la langue maternelle de l’assuré, qui doit être une des langues officielles de la Confédération, il faudra également traduire le rapport dans la langue officielle du canton (ATF 128 V 34 ; arrêts du TF 9C_37/2011 du 20.06.2011 consid. 4.1 ; I 313/03 du 31.03.2004 consid. 4).

 

Si l’examen s’est déroulé en français mais que le rapport est rédigé en allemand, l’assuré est en droit d’en demander la traduction (cf. arrêt du TF I 657/04 du 20.10.2005).

 

Traduction des rapports établis par la division Médecine des assurances de la CNA : les principes tirés des ATF 127 V 219 et 128 V 34 sont applicables par analogie (arrêt du TF 8C_90/2014 du 19.12.2014).

 

 

 

9C_667/2020 (f) du 29.12.2020 – Libre appréciation des preuves de l’office AI – 40 PCF – 55 al. 1 LPGA – 19 PA / Expertise médicale mise en œuvre par l’assurance perte de gain maladie

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_667/2020 (f) du 29.12.2020

 

Consultable ici

 

Libre appréciation des preuves de l’office AI / 40 PCF – 55 al. 1 LPGA – 19 PA

Expertise médicale mise en œuvre par l’assurance perte de gain maladie

 

Assurée, née en 1955, professeur d’arts visuels à temps partiel, en arrêt de travail depuis le 17.11.2017. Dépôt demande AI le 27.04.2018.

L’office AI a recueilli l’avis du psychiatre traitant, puis versé à son dossier celui de l’assurance perte de gain en cas de maladie, qui contenait notamment un rapport d’expertise établi le 29.08.2018 par un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Celui-ci a diagnostiqué – sans répercussion sur la capacité de travail – un trouble affectif bipolaire, actuellement en rémission. Le psychiatre a indiqué que l’assurée disposait d’une capacité de travail entière dans son activité habituelle d’enseignante au taux d’activité courant ; dans une activité adaptée, elle pouvait travailler à plein temps. En application de la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, l’office AI a nié le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/783/2020 – consultable ici)

Par jugement du 09.09.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assurée reproche, entre autres, à la juridiction cantonale d’avoir d’une part accordé une pleine valeur probante aux conclusions de l’expertise psychiatrique du 29.08.2018. Elle fait valoir pour l’essentiel que l’évaluation psychiatrique a été mise en œuvre par son assureur perte de gain en cas de maladie et qu’elle n’a pas été en mesure de faire usage des droits qui auraient été les siens si l’expert psychiatre s’était prononcé à la demande de l’office AI. Elle soutient qu’elle n’a en particulier pas pu faire usage de son droit de poser des questions complémentaires au psychiatre et de mettre l’accent sur certaines « lacunes criardes » de son évaluation, telles que l’admission d’une pleine capacité de travail alors qu’elle prend quotidiennement un « cocktail » de huit médicaments différents pour tenter de stabiliser ses troubles psychiques. En se référant à l’ATF 141 III 433, elle soutient qu’une expertise réalisée à la demande d’un assureur privé ne serait pas un moyen de preuve au sens des art. 168 ss CPC et que les faits qu’elle renferme seraient de simples allégations de partie.

 

Selon le Tribunal fédéral : Les critiques de l’assurée à l’égard de la valeur probante des conclusions médicales suivies par les premiers juges sont mal fondées. Lors du dépôt d’une demande de prestations, l’office AI n’intervient tout d’abord pas comme une partie à la procédure, mais en tant qu’organe administratif chargé d’exécuter la loi. Conformément au principe de la libre appréciation des preuves, applicable en vertu de l’art. 40 PCF, en lien avec les art. 55 al. 1 LPGA et 19 PA, l’office AI n’est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux (ATF 125 V 351 consid. 3 p. 352). Le code de procédure civile, singulièrement l’art. 168 CPC, ne réglemente par conséquent pas la manière dont l’office AI doit apprécier les conclusions d’un rapport médical dans une procédure relevant du droit des assurances sociales (arrêt 8C_240/2016 du 13 juillet 2016 consid. 5.2; cf. ATF 141 III 433 consid. 2.6 p. 437).

L’administration n’a ensuite pas elle-même mis en œuvre une expertise auprès d’un médecin externe à l’assurance-invalidité, ni n’est intervenue dans sa réalisation (à ce sujet, ATF 136 V 113 consid. 5.4 p. 116), mais a versé à son dossier le rapport médical initié par un tiers. Les droits procéduraux prévus par l’art. 44 LPGA n’ont pas trouvé application et le rapport de l’expert psychiatre ne saurait être qualifié d’expertise médicale (externe à l’assureur social) au sens de cette disposition. L’assurée a cependant eu connaissance de ce rapport, à l’encontre duquel elle a pu faire valoir ses critiques. Elle l’a du reste contesté en procédure administrative. A ce stade-là, elle aurait donc déjà pu invoquer les « lacunes criardes » dont elle se plaint en procédure fédérale.

Cela étant, dans le cadre de la procédure de l’assurance-invalidité, l’évaluation de ce psychiatre est un document médical parmi d’autres qu’il appartenait tant à l’office AI qu’à la juridiction cantonale d’inclure dans leur appréciation des preuves. Or, en tant qu’elle invoque à l’encontre de celle-ci uniquement les effets de sa médication sur sa capacité de travail, l’assurée ne met pas en évidence de doutes, mêmes faibles, quant à la fiabilité et à la pertinence des conclusions médicales suivies par les juges cantonaux, en présence desquels une expertise menée par un médecin externe à l’assurance aurait dû être mise en œuvre (art. 44 LPGA; ATF 135 V 465 consid. 4.4 p. 469). Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations des premiers juges au sujet de la capacité de travail.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_667/2020 consultable ici

 

 

Lettre circulaire AI no 404 : Assurance-qualité des expertises médicales

Lettre circulaire AI no 404 : Assurance-qualité des expertises médicales

 

LCAI 404 du 17.12.2020 consultable ici

 

Afin de garantir une qualité élevée des expertises médicales pour l’AI, le Département fédéral de l’intérieur (DFI) a chargé au printemps 2020 l’institut Interface Études politiques Recherche Conseil, en collaboration avec le service de psychiatrie forensique de l’Université de Berne, d’évaluer le système des expertises et l’attribution des mandats ainsi que de rédiger un rapport [1].

Plusieurs recommandations formulées dans ledit rapport se recoupent avec les mesures adoptées dans le cadre de la réforme « Développement continu de l’AI », qui seront appliquées dès 2022.

Du fait de la situation juridique actuelle, d’autres recommandations peuvent d’ores et déjà être mises en œuvre au 1er janvier 2021 ; l’OFAS s’en charge dans le cadre des présentes directives destinées aux offices AI.

 

  1. Optimisation et transparence dans l’attribution des expertises

1.1 Liste publique des experts

Dans le cadre du développement continu de l’AI, il est prévu que les offices AI devront tenir une liste publique contenant diverses informations sur les experts auxquels ils font appel. Les offices AI commenceront par publier sur Internet une liste des experts auxquels ils confient régulièrement des expertises mono- et bidisciplinaires. La publication doit avoir lieu conformément à la réglementation cantonale sur le principe de la transparence. La liste sera structurée en fonction des disciplines médicales. Le nom et le prénom de chaque expert, le lieu où les expertises se déroulent ainsi que le nombre d’expertises mandatées devront être saisis.

Discipline médicale (p. ex. psychiatrie)

Titre Nom Prénom NPA Lieu Nombre d’expertises mandatées Numéro d’identification
Dr. med. Exemple Jacques 1000 Lausanne 5 NIF

La liste (sans le numéro d’identification) doit être publiée sur internet à partir du 01.01.2021 et actualisée chaque trimestre (01.04.2021, 01.07.2021, 01.10.2021 et 01.01.2022). Les mandats d’expertises attribués chaque trimestre doivent être cumulés.

Les données statistiques (y compris le numéro d’identification) doivent être saisies dans le formulaire statistique prédéfini (format Excel) et transmis à l’OFAS (sekretariat.iv@bsv.admin.ch) en même temps que la publication sur Internet. Tous les documents nécessaires seront envoyés séparément aux offices AI.

Afin que la demande d’expertise soit la plus consensuelle possible, une procédure de conciliation est déjà aujourd’hui à la disposition des personnes assurées lorsque des objections à l’encontre de l’expert sont soulevées (cf. Circulaire sur la procédure dans l’assurance-invalidité, ch. 2076 ss). L’expérience a montré qu’une expertise décidée par consensus produit des preuves plus probantes. En vue d’une désignation consensuelle de l’expert, la liste doit donc servir à chercher autant que possible un accord entre l’office AI et la personne assurée lorsqu’il existe des motifs de récusation. La nouvelle liste créera plus de transparence et améliorera l’information pour les personnes assurées dans ce domaine.

À partir du 01.01.2021, les offices AI saisiront le nombre de procédures de conciliation menées ainsi que leur issue (accord / décision contestable). Ces informations devront être envoyées chaque trimestre à l’OFAS avec les données statistiques concernant les experts.

 

1.2 Collaboration avec les experts

Dans l’optique d’une collaboration avec un expert, l’office AI examine les exigences professionnelles et formelles (formation en médecine spécialisée, connaissances dans le domaine de la médecine des assurances, expérience clinique et autorisations cantonales de pratiquer) nécessaires à la réalisation d’expertises médicales pour l’AI.

L’office AI évalue toutes les expertises selon une structure uniforme (cf. ch. 2079 ss CPAI). Les éventuelles lacunes ou irrégularités sont à discuter avec l’expert dans le cadre de l’assurance-qualité. Les résultats du contrôle de qualité peuvent avoir une influence sur la poursuite de l’attribution des mandats. En particulier, les 3-5 premiers rapports d’expertise rédigés par tout nouvel expert devraient être utilisés pour atteindre une compréhension commune des exigences de qualité des expertises de la médecine d’assurance.

Les conséquences sur l’activité d’expert des éventuels avis et propos de l’expert et de ses conflits d’intérêts doivent être soigneusement étudiées. S’il y a des raisons de penser que le point de vue de l’expert pourrait influencer son activité d’expert, l’office AI établit le dialogue avec lui. Les conflits d’intérêt peuvent entraîner un retrait du mandat d’expertise.

Il n’existe pas de droit légal à des mandats d’expertise. Le nombre de mandats attribués peut fluctuer ; il dépend notamment de la demande et des capacités disponibles.

 

1.3 Adaptation de l’instruction médicale selon la complexité des cas

Dans l’optique d’une procédure rapide et au vu du nombre limité d’experts médicaux et de centres d’expertises qualifiés, les expertises médicales doivent être exigées de façon aussi ciblée que possible et ne l’être que dans des cas fondés. Les offices AI sont tenus de procéder à une instruction médicale adaptée aux circonstances particulières du cas en s’appuyant sur les informations déjà fournies par tous les acteurs et services concernés (assureurs impliqués, médecins traitants, etc.). Les offices AI et leurs médecins doivent évaluer et commenter les multiples informations disponibles sous la forme d’avis médicaux internes. Si le dossier reste incomplet après le premier examen effectué par l’office AI, que la situation n’est pas suffisamment clarifiée ou est contradictoire, il est possible de se procurer les informations manquantes au moyen d’un examen réalisé par le service médical régional (SMR). Une expertise externe peut être demandée, si les examens du SMR ne permettent pas de clarifier suffisamment l’état de fait médical ou si elle est nécessaire pour des raisons de preuve. Les directives correspondantes pour les instructions médicales doivent donc être scrupuleusement respectées (cf. ch. 2062 ss CPAI).

 

  1. Optimisation de l’assurance-qualité

2.1 Échange et formation avec les experts

Afin que les experts puissent aligner leur activité sur les besoins du mandant, les interactions entre mandants et experts sont recommandées. Le dialogue entre les parties peut servir à clarifier le mandat de l’expert, mais il est aussi et surtout destiné à assurer la qualité et à permettre un échange spécialisé entre experts et SMR ou offices AI. Le contact personnel est également l’occasion pour les mandants d’exprimer leur estime, ce qui constitue une motivation importante pour l’activité d’expert.

C’est pourquoi, à l’avenir, les SMR et les offices AI qui leur sont rattachés organiseront régulièrement avec les experts qui travaillent pour eux des séances d’information régionales sur des thématiques actuelles, des ateliers spécialisés ou des journées d’échange d’expériences en médecine des assurances. Ces rencontres doivent stimuler les échanges professionnels et permettre une compréhension commune des expertises et de leur qualité.

En outre, les arrêts dans lesquels des expertises ont servi de base à une décision de l’office AI doivent être envoyés systématiquement aux experts qui les ont réalisées, dans l’esprit d’un retour d’information (art.9b OPGA).

 

2.2 Mandat et préparation du dossier pour les expertises médicales

Il incombe aux offices AI de mettre à la disposition des experts des documents les plus informatifs possible sur la personne assurée en vue de l’expertise à venir. Avec le mandat d’expertise uniforme, qui ne requiert pas de questions détaillées, les offices AI placent une grande confiance dans les compétences professionnelles des experts. Le mandat doit donc être formulé clairement et les informations nécessaires mises à disposition.

L’office AI doit formuler le mandat d’expertise externe conformément aux directives correspondantes (ch. 2075 ss CPAI). Le dossier pour les experts doit être préparé et organisé de manière soigneuse, systématique et chronologique. Afin de permettre une vue d’ensemble rapide des documents, un bordereau complet donnant une indication claire des contenus doit être fourni (art. 8 OPGA[2]). Les dossiers présentés doivent permettre aux experts de passer en revue et de traiter rapidement et précisément les pièces pertinentes au vu de l’expertise à venir.

 

 

[1] https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/63204.pdf (seulement en allemand)

[2] En vue des adaptations et compléments à apporter à la gestion des dossiers, les assureurs sont tenus de gérer les dossiers conformément à l’article 8 alinéa 2 OPGA au plus tard trois ans après l’entrée en vigueur de la modification de l’ordonnance du 07.06.2019, c’est-à-dire à partir du 01.10.2022.

 

 

LCAI 404 du 17.12.2020 consultable ici

 

 

Développement continu de l’AI : ordonnances mises en consultation

Développement continu de l’AI : ordonnances mises en consultation

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 04.12.2020 consultable ici

 

Le développement continu de l’assurance-invalidité (AI) apporte des améliorations en faveur des enfants et des jeunes ainsi que des personnes souffrant de troubles psychiques. L’objectif de la réforme est de mieux soutenir les personnes concernées afin de prévenir l’invalidité et de renforcer la réadaptation. Le Parlement a adopté la révision de la loi à l’été 2020 et son entrée en vigueur est prévue pour 2022. La mise en œuvre nécessite de nombreuses adaptations dans diverses ordonnances. Lors de sa séance du 04.12.2020, le Conseil fédéral a ouvert la procédure de consultation, qui durera jusqu’au 19.03.2021.

 

Les dispositions d’ordonnance concernent notamment les principales nouveautés exposées ci-après.

Renforcement des mesures de réadaptation professionnelle

Le développement continu de l’AI vise en particulier à soutenir de façon encore plus ciblée les enfants et les jeunes en situation de handicap ainsi que les personnes atteintes dans leur santé psychique, ceci afin de renforcer leur potentiel de réadaptation et d’améliorer leur aptitude au placement. A cette fin, un renforcement de la collaboration entre l’AI et les acteurs impliqués, en particulier les médecins traitants et les employeurs, sera notamment inscrit au niveau réglementaire. En outre, les mesures existantes et nouvelles en faveur des jeunes seront coordonnées et davantage orientées vers le marché primaire du travail.

 

Mise à jour de la liste des infirmités congénitales

La réforme inscrit dans la loi des critères clairs pour déterminer si une maladie est considérée comme une infirmité congénitale, et donc si l’AI prend en charge les coûts de son traitement. La liste des infirmités congénitales sera mise à jour. Les maladies qui peuvent aujourd’hui être traitées facilement seront à l’avenir prises en charge par l’assurance-maladie. À l’inverse, de nouvelles maladies, surtout des maladies rares, seront ajoutées à la liste et leurs frais de traitement seront remboursés par l’AI.

La tenue de la liste des infirmités congénitales sera désormais du ressort du Département fédéral de l’intérieur (DFI). L’ordonnance actuelle du Conseil fédéral sera donc remplacée par une ordonnance du département (OIC-DFI), ce qui facilitera la mise à jour régulière de la liste. Les critères d’admission des infirmités congénitales dans la liste seront définis en détail dans le règlement sur l’assurance-invalidité (RAI).

 

Remboursement de médicaments : création d’un centre de compétences

Pour les infirmités congénitales reconnues, l’AI prend aussi en charge les coûts des médicaments. Afin de simplifier la procédure et de concentrer les compétences techniques, une liste des spécialités sera créée pour l’AI (liste des spécialités en matière d’infirmités congénitales, LS IC). Elle recensera les médicaments remboursés par l’AI ainsi que leur prix maximal. Pour être admis sur la liste, les médicaments devront faire l’objet d’un examen basé sur les critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité. La nouvelle liste des spécialités de l’AI remplacera l’actuelle liste des médicaments destinés au traitement des infirmités congénitales (LMIC). Lorsqu’une personne assurée atteint l’âge de 20 ans, les médicaments remboursés par l’AI seront pris en charge dans la même mesure par l’assurance obligatoire des soins.

Un centre de compétences sera créé à l’Office fédéral de la santé publique pour la procédure d’admission et la tenue de la LS IC. En effet, l’office étant responsable de la liste des spécialités de l’assurance-maladie, il dispose déjà de l’expérience nécessaire en la matière.

 

Des mesures pour garantir la qualité et la transparence des expertises médicales

Dans le cadre du développement continu de l’AI, les mesures d’instruction et la procédure liée aux expertises médicales seront uniformisées pour toutes les assurances sociales. Lors de l’attribution de mandats d’expertise, l’assurance et la personne assurée devront se mettre d’accord sur un mandataire. En outre, les expertises deviendront plus transparentes : les entretiens entre experts et assurés feront désormais l’objet d’un enregistrement sonore, qui sera joint au dossier. En ce qui concerne l’AI en particulier, les offices AI tiendront une liste publique contenant des informations sur les experts auxquels ils font appel (nombre d’expertises effectuées, remboursements, incapacités de travail attestées, appréciations des expertises dans le cadre de décisions de justice).

Par ailleurs, les expertises bidisciplinaires seront désormais attribuées de manière aléatoire et uniquement à des centres d’expertises accrédités, comme c’est le cas aujourd’hui pour les expertises pluridisciplinaires. Afin de garantir la qualité des expertises, une commission extraparlementaire indépendante sera mise en place. Ses compétences et ses tâches seront définies au niveau réglementaire, tout comme les exigences relatives aux qualifications professionnelles des experts médicaux.

Plusieurs de ces mesures correspondent aux recommandations du rapport d’experts publié en octobre 2020 sur les expertises médicales dans l’assurance-invalidité.

 

Evaluation du taux d’invalidité : une réglementation plus claire

Avec l’introduction d’un système de rentes linéaire, l’exactitude du taux d’invalidité revêtira une plus grande importance. En effet, dans ce nouveau système, chaque point de pourcentage sera déterminant pour le calcul du montant de la rente. Afin d’accroître la sécurité juridique et l’uniformité, les principes essentiels de l’évaluation du taux d’invalidité seront désormais définis au niveau réglementaire et non plus par voie de directive. La réforme prévoit de nouvelles dispositions concernant les personnes travaillant à temps partiel, la comparaison du revenu réalisé avant la survenance de l’invalidité avec celui réalisable après, les personnes sans diplôme professionnel, les invalides précoces ou de naissance ainsi que les revenus particulièrement bas avant la survenance de l’invalidité. Ces nouveautés devraient profiter aux personnes assurées à différents égards.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 04.12.2020 consultable ici

Rapport explicatif pour la procédure de consultation du 04.12.2020 disponible ici

Modification du RAI consultable ici

Modification de l’OIC-DFI consultable ici

 

 

8C_619/2019 (f) du 03.07.2020 – Objet du litige dans la procédure de recours / Valeur probante d’une expertise judiciaire / Pas de preuve d’une lésion assimilée à un accident – Absence de déchirure du tendon du sus-épineux – 9 al. 2 OLAA / Causalité naturelle et statu quo ante

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_619/2019 (f) du 03.07.2020

 

Consultable ici

 

Objet du litige dans la procédure de recours

Valeur probante d’une expertise judiciaire

Pas de preuve d’une lésion assimilée à un accident – Absence de déchirure du tendon du sus-épineux / 9 al. 2 OLAA (accident avant 2017)

Causalité naturelle et statu quo ante

 

Assuré, né en 1961, sertisseur, a été victime d’un accident le 05.01.2014 : alors qu’il disputait un match de football, le prénommé a chuté et s’est blessé au niveau de l’épaule et du coude droits. L’assurance-accidents a pris en charge le cas, ainsi que les rechutes de l’accident annoncées en février 2015 et juillet 2016.

Par décision du 01.12.2017, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis un terme au 25.10.2017 au droit de l’assuré à la prise en charge du traitement médical et de l’incapacité de travail pour les suites de l’accident, motif pris que les troubles subsistant après cette date étaient désormais de nature maladive.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/734/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a ordonné la mise en œuvre d’une expertise orthopédique et l’a confiée à un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. L’expert conclut qu’à partir du 11.01.2016, date à laquelle l’assuré avait repris son activité à 100%, le statu quo ante avait été atteint et les facteurs étrangers étaient devenus les seules causes influant sur l’état de santé de celui-ci.

L’instance cantonale a considéré que le statu quo ante avait été atteint dès le 11.01.2016 et s’est ralliée à l’avis de ce médecin, selon lequel l’assuré ne présentait pas de déchirure du tendon du sus-épineux de l’épaule droite. Par ailleurs, les juges cantonaux ont relevé qu’il n’était pas possible de retenir en l’état que l’assuré souffrait d’une maladie professionnelle et, en toute hypothèse, que cette question outrepassait l’objet du litige, limité à la question du lien de causalité entre les affections de l’assuré et l’accident du 05.01.2014.

Par jugement du 19.08.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Droit applicable

Le 01.01.2017 est entrée en vigueur la modification du 25.09.2015 de la LAA. A juste titre, la cour cantonale a retenu que dans la mesure où l’événement litigieux était survenu avant cette date, le droit de l’assuré aux prestations d’assurance était soumis à l’ancien droit (cf. dispositions transitoires relatives à la modification du 25.09.2015 ; RO 2016 4375).

 

Objet du litige dans la procédure de recours

En procédure juridictionnelle administrative, ne peuvent en principe être examinés et jugés que les rapports juridiques à propos desquels l’autorité administrative compétente s’est prononcée préalablement d’une manière qui la lie sous la forme d’une décision. Dans cette mesure, la décision détermine l’objet de la contestation qui peut être déféré en justice par la voie d’un recours. Le juge n’entre donc pas en matière, sauf exception, sur des conclusions qui vont au-delà de l’objet de la contestation (ATF 144 II 359 consid. 4.3 p. 362 s.; 134 V 418 consid. 5.2.1 p. 426 et les références).

L’objet du litige dans la procédure de recours est le rapport juridique réglé dans la décision attaquée dans la mesure où, d’après les conclusions du recours, il est remis en question par la partie recourante. L’objet de la contestation (Anfechtungsgegenstand) et l’objet du litige (Streitgegenstand) sont identiques lorsque la décision administrative est attaquée dans son ensemble. En revanche, les rapports juridiques non litigieux sont compris dans l’objet de la contestation, mais pas dans l’objet du litige (ATF 144 II 359 consid. 4.3 précité; 144 I 11 consid. 4.3 p. 14; 125 V 413 consid. 1b p. 414 s.). L’objet du litige peut donc être réduit par rapport à l’objet de la contestation. Il ne peut en revanche pas, sauf exception (consid. 4.2.2 infra), s’étendre au-delà de celui-ci (ATF 144 II 359 consid. 4.3 précité; 136 II 457 consid. 4.2 p. 463).

Selon une jurisprudence constante rendue dans le domaine des assurances sociales, la procédure juridictionnelle administrative peut être étendue pour des motifs d’économie de procédure à une question en état d’être jugée qui excède l’objet de la contestation, c’est-à-dire le rapport juridique visé par la décision, lorsque cette question est si étroitement liée à l’objet initial du litige que l’on peut parler d’un état de fait commun et à la condition que l’administration se soit exprimée à son sujet dans un acte de procédure au moins (ATF 130 V 501 consid. 1.2 p. 503 et les références; 122 V 34 consid. 2a p. 36; arrêt 9C_747/2018 du 12 mars 2019 consid. 3.5; voir aussi MEYER/VON ZWEHL, L’objet du litige en procédure de droit administratif fédéral, in Mélanges Pierre Moor, 2005, p. 446).

En l’espèce, la décision sur opposition déférée à la cour cantonale portait sur le droit de l’assuré à des prestations d’assurance au-delà du 25.10.2017, pour les suites de son accident du 05.01.2014. La question de l’existence d’une maladie professionnelle a été soulevée pour la première fois par l’assuré au stade de la procédure de recours cantonale, postérieurement à la reddition du rapport d’expertise judiciaire. Dans ces conditions, l’existence éventuelle d’une maladie professionnelle outrepassait l’objet de la contestation et les conditions pour étendre celui-ci n’étaient pas remplies, dans la mesure où l’assurance-accidents ne s’est pas exprimée à ce sujet en procédure cantonale. La juridiction cantonale était donc fondée à ne pas entrer en matière sur la question, qu’elle n’a d’ailleurs pas tranchée en se limitant à relever que le rapport d’expertise judiciaire ne permettait pas, en l’état, de confirmer l’existence d’une maladie professionnelle. Cela dit, rien n’empêche l’assuré de requérir des prestations à ce titre auprès de l’assurance-accidents et le prononcé d’une décision en la matière.

 

Valeur probante du rapport d’expertise – Lésion assimilée à un accident

Selon le principe de la libre appréciation des preuves, le juge apprécie librement les preuves médicales qu’il a recueillies, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. Le juge doit examiner objectivement tous les documents à disposition, quelle que soit leur provenance, puis décider s’ils permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. S’il existe des avis contradictoires, il ne peut pas trancher l’affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion plutôt qu’une autre. En ce qui concerne la valeur probante d’un rapport médical, ce qui est déterminant, c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées. Au demeurant, l’élément déterminant pour la valeur probante n’est ni l’origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352; 122 V 157 consid. 1c p. 160 et les références).

En principe, le juge ne s’écarte pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire, la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 351 précité consid. 3b/aa p. 352 s. et les références).

 

En ce qui concerne l’absence de déchirure du tendon du sus-épineux retenue dans le rapport d’expertise judiciaire, l’expert a exposé que malgré la mise en œuvre de cinq IRM au niveau de l’épaule droite, il n’y avait pas eu de consensus quant au diagnostic précis en ce qui concernait l’état du tendon du sus-épineux (tendinopathie du sus-épineux avec hypersignal selon l’IRM du 24.04.2014 ; lésion partielle communicante du sus-épineux en regard de l’éperon sous-acromial selon l’IRM du 24.09.2014 ; tendinopathie du sus-épineux sans rupture transfixiante selon l’IRM du 08.03.2016 ; absence de lésion du sus-épineux selon l’IRM du 30.01.2017 ; déchirure partielle profonde de type articular side du tendon du sus-épineux infra-centimétrique sub-transfixiante avec petite lamination du tendon selon l’arthro-IRM du 23.06.2017). Après avoir revu les imageries, le médecin-expert a conclu que le tendon du sus-épineux était globalement intact et qu’il n’y avait pas vraiment de déchirure (les deux examens décrivant une atteinte ou déchirure partielle ne démontraient une lésion compatible avec une déchirure partielle que sur une seule coupe dans le plan coronal). En outre, l’épaule droite avait fait l’objet d’une intervention chirurgicale le 19.12.2017 qui n’avait mis en évidence aucune lésion du tendon du côté articulaire ou bursal et aucune sanction thérapeutique ou chirurgie réparatrice au niveau du tendon n’avait été pratiquée à cette occasion. Selon le médecin-expert, on pouvait donc conclure qu’au niveau du tendon du sus-épineux, il y avait eu une irritation / tendinopathie post-traumatique transitoire, probablement accompagnée d’une capsulite […] et que le tout s’était progressivement résorbé dans les mois qui avaient suivi l’accident. Il avait alors subsisté par la suite un conflit sous-acromial […] levé et adressé par l’intervention du 19.12.2017. Il demeurait par contre un conflit mécanique / souffrance acromio-claviculaire droit, référence faite à un scanner de l’épaule droite du 09.01.2019.

Cela étant, l’expert a exposé les différentes appréciations des médecins au regard des IRM et arthro-IRM pratiquées et a expliqué de manière circonstanciée les raisons pour lesquelles il ne retenait pas de déchirure du tendon du sus-épineux, compte tenu notamment de l’intervention du 19.12.2017. Au vu de l’ensemble de ses explications, on ne saurait lui faire grief d’avoir indiqué que le tendon n’était « pas vraiment déchiré », ni de s’être écarté de l’avis d’un des radiologues qui n’est au demeurant pas partagé par l’ensemble des médecins consultés (cf. en particulier le rapport du docteur F.__ du 18.02.2016, dans lequel ce médecin indique que « l’arthro-IRM ne montre pas de déchirure mais une tendinopathie du sus-épineux »). A cela s’ajoute que le compte-rendu opératoire de l’intervention chirurgicale du 19.12.2017 mentionne expressément l’absence de lésion visualisée du sus-épineux. Dans ces conditions, il n’existe pas de motif impérieux de s’écarter de l’expertise judiciaire à propos de l’absence de déchirure du tendon du sus-épineux et la juridiction cantonale était fondée à renoncer à ordonner un complément d’expertise ou à donner suite à la requête d’audition de l’assuré.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_619/2019 consultable ici

 

 

9C_599/2019 (f) du 24.08.2020 – Valeur probante d’un rapport établi suite à un examen psychiatrique au SMR / Amélioration notable de l’état de santé psychique malgré des plaintes similaires – 17 LPGA / Effets d’une dysthymie sur la capacité de travail [et de gain] exigible – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_599/2019 (f) du 24.08.2020

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’un rapport établi suite à un examen psychiatrique au SMR

Amélioration notable de l’état de santé psychique malgré des plaintes similaires / 17 LPGA

Effets d’une dysthymie sur la capacité de travail [et de gain] exigible / 16 LPGA

 

Assurée, née en 1972, a travaillé pour la société B.__ du 01.01.2000 au 29.11.2011, en dernier lieu à 100% comme caissière. Après avoir bénéficié d’indemnités de l’assurance-chômage, elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 03.12.2013.

L’office AI a procédé aux investigations auprès des médecins traitants, puis soumis l’assurée à une évaluation psychiatrique auprès de son SMR les 17.08.2016 et 30.11.2016. Dans un rapport établi le 05.12.2016, la spécialiste en psychiatrie et psychothérapie du SMR a diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – un épisode dépressif moyen avec syndrome somatique en rémission complète, ainsi que – sans répercussion sur la capacité de travail – une dysthymie et des difficultés dans les rapports avec le conjoint. Selon la psychiatre du SMR, l’assurée disposait d’une capacité de travail complète dès le 17.08.2016, tant dans son activité habituelle que dans une activité adaptée.

L’assurée a déposé un avis complémentaire de la médecin traitante et de la psychiatre traitante. Les 31.03.2017 et 06.12.2017, la spécialiste en médecine interne générale et médecin auprès du SMR a recommandé à l’office AI de suivre en l’absence d’autres éléments les conclusions de la psychiatre traitante jusqu’au 17.08.2016, puis celles de la psychiatre du SMR à compter de cette date. Par décision, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente entière d’invalidité du 01.10.2014 au 30.11.2016, soit trois mois après l’amélioration de l’état de santé constatée par la psychiatre du SMR.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/652/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a constaté que l’assurée présentait selon le médecin du SMR des périodes où elle se sentait un peu mieux, mais la plupart du temps, elle se décrivait comme fatiguée et déprimée, tout lui coûtait et rien ne lui était agréable. Elle ruminait et se plaignait, dormait mal, perdait confiance en elle-même, pleurait sur son sort et se positionnait dans un rôle de victime. Si l’assurée ne souffrait pas de fatigue, elle se plaignait que tout la fatiguait. Les juges cantonaux se sont étonnés que ces constatations pussent conduire le médecin du SMR à conclure à une rémission de l’état de santé de l’assurée, sans même les commenter. Ils ont jugé que ces éléments étaient suffisants pour faire douter sérieusement des conclusions du médecin du SMR et, partant, de leur valeur probante. Aussi, ils ne pouvaient affirmer qu’il y avait eu amélioration de l’état de santé de l’assurée dès août 2016.

Au contraire, selon les juges cantonaux, les conclusions du médecin du SMR constituaient une nouvelle appréciation de la capacité de travail résiduelle de l’assurée, alors que l’état de fait était resté inchangé. En effet, l’état de l’assurée décrit par le médecin du SMR correspondait plus ou moins à celui figurant dans les rapports établis par la psychiatre traitante dès 2014. Une simple appréciation différente d’un état de fait, qui, pour l’essentiel, était demeuré inchangé ne permettait dès lors pas de réviser le droit de l’assurée à une rente d’invalidité. Pour le surplus, le médecin du SMR ne pouvait sérieusement considérer que la capacité de travail de l’assurée était pleine et entière au motif que sa famille lui apportait toute l’aide dont elle avait besoin. Les conclusions de l’évaluation psychiatrique du SMR ne pouvaient par conséquent pas motiver valablement une révision du droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité.

Par jugement du 09.07.2019, admission du recours par le tribunal cantonal et maintien de la rente entière d’invalidité au-delà du 30.11.2016.

 

TF

En l’espèce, la juridiction cantonale a retenu que la psychiatre du SMR avait procédé à des examens cliniques approfondis les 17.08.2016 et 30.11.2016. L’évaluation de la psychiatre du SMR contient de plus une description détaillée de ses observations cliniques, une présentation des diagnostics retenus, ainsi qu’une discussion sur le fonctionnement de la personnalité et l’influence de celle-ci sur la capacité de travail de l’assurée. A l’inverse de ce que la juridiction cantonale a considéré, la psychiatre du SMR expose en outre de manière claire les motifs pour lesquels elle a retenu une rémission durable de l’épisode dépressif moyen avec syndrome somatique. Elle a tout d’abord recherché les symptômes dépressifs mentionnés dans les avis de la psychiatre traitante. Puis, au terme de son évaluation, elle a nié la persistance de troubles de la mémoire, de la concentration et de l’attention, d’un ralentissement psychomoteur, d’une anhédonie, d’une fatigue, d’une augmentation de la fatigabilité (durant les entretiens), de troubles cognitifs, d’idées de culpabilité ou de persécution, d’une agoraphobie ou d’une phobie sociale. Aussi, la psychiatre du SMR a exclu de manière convaincante que l’assurée souffrit encore de signes florides de la lignée dépressive au 17.08.2016.

Quant aux reproches formulés par l’assurée à l’encontre des conclusions du psychiatre du SMR, ils se fondent exclusivement sur la manière dont elle ressent et assume elle-même sa situation. En particulier, on ne saurait reprocher à la psychiatre du SMR d’avoir tout d’abord reproduit fidèlement les plaintes de l’assurée, qui sont pour l’essentiel demeurées les mêmes depuis la perte de son emploi, puis d’évaluer objectivement leur portée pour établir la mesure de ce qui était raisonnablement exigible au sens de l’art. 7 al. 2 LPGA. En se limitant à mentionner les différences entre ses plaintes (« rien ne lui est agréable », « se sent inutile », etc.) et les constatations objectives de l’évaluation psychiatrique (absence d’anhédonie, de dévalorisation, etc.), l’assurée n’établit dès lors nullement que la psychiatre du SMR aurait ignoré des éléments cliniques ou diagnostiques essentiels, ni n’explique en quoi le point de vue de sa psychiatre traitante justifierait la mise en œuvre d’une expertise psychiatrique indépendante.

Il s’ensuit que l’office AI a recueilli une évaluation psychique qui expose un changement clairement objectivé de la situation clinique de l’assurée sur le plan psychique (rémission) et, donc, une amélioration notable de sa capacité de travail dès le 17.08.2016 (au sens de l’art. 17 LPGA).

 

Il reste à examiner les effets d’une dysthymie sur la capacité de travail de l’assurée.

Selon la jurisprudence, une dysthymie est susceptible d’entraîner une diminution de la capacité de travail lorsqu’elle se présente avec d’autres affections, à l’instar d’un grave trouble de la personnalité (arrêt 9C_585/2019 du 3 juin 2020 consid. 4.1 et les références). Pour en évaluer les éventuels effets limitatifs, ces atteintes doivent en principe faire l’objet d’une procédure probatoire structurée selon l’ATF 141 V 281.

A l’issue des examens cliniques, la psychiatre du SMR a exclu l’existence d’une atteinte à la santé présentant une certaine gravité, notamment un trouble de la personnalité morbide. Elle a constaté que l’assurée disposait de plus de ressources personnelles d’adaptation au changement, de ressources mobilisables (notamment le soutien des membres de sa famille) et qu’elle adhérait à sa thérapie. Elle a retenu en outre à juste titre que l’assurée semblait tirer avantage de ses autolimitations (ménage réalisé par sa sœur ou sa fille, emplettes réalisées par sa sœur ou son mari, etc.). Contrairement à ce que la juridiction cantonale a retenu, la psychiatre du SMR n’a par ailleurs pas indiqué que l’assurée pouvait travailler parce que sa famille lui apportait de l’aide, mais qu’on pouvait attendre de l’assurée qu’elle mît à profit ses ressources personnelles afin de surmonter les autolimitations primaires et secondaires. Compte tenu de ces éléments, la juridiction cantonale s’est écartée de manière arbitraire des conclusions de l’évaluation psychiatrique du SMR. Dans la mesure où la psychiatre traitante s’est fondée dans ses différents avis médicaux sur les seules plaintes de l’assurée, sans aucune distanciation objective et sans apporter de critiques fondées quant aux constatations du SMR, l’office AI n’avait pour le surplus pas à mettre en œuvre une expertise psychiatrique indépendante (cf. ATF 143 V 409 consid. 4.5 p. 415). Aussi, avec l’aide des médecins de son SMR, l’office AI a tiré dans sa décision les conséquences qui s’imposaient des conclusions de l’évaluation psychiatrique du médecin du SMR.

Ensuite des éléments qui précèdent, il convient de retenir que l’assurée présentait une capacité de travail de 100% dans son activité habituelle à compter du 17.08.2016. La juridiction cantonale a dès lors violé le droit fédéral en maintenant le droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité au-delà du 30.11.2016 (art. 17 LPGA et art. 88a al. 1 RAI).

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_599/2019 consultable ici

 

 

«Pas assez de bons experts»: le principe aléatoire doit être introduit rapidement

«Pas assez de bons experts»: le principe aléatoire doit être introduit rapidement

 

Communiqué de presse de Inclusion Handicap du 13.10.2020 consultable ici

 

Inclusion Handicap a pris connaissance de l’enquête externe publiée aujourd’hui par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) sur les expertises de l’AI. Selon l’évaluation, qui ne tient pas suffisamment compte des avis des assurés, il existe tendanciellement un nombre insuffisant de bons experts et d’expertes. Pour Inclusion Handicap, les mesures ne vont clairement pas assez loin. Notamment le problème de la dépendance économique n’est guère résolu. C’est pourquoi il faudrait que toutes les expertises soient attribuées selon le principe aléatoire.

L’OFAS a publié deux rapports : une évaluation externe qui analyse le niveau qualitatif des expertises de l’AI, d’une part, et une analyse interne concernant la surveillance des offices AI par l’OFAS, d’autre part. Diverses mesures proposées n’apporteraient que des améliorations mineures, raison pour laquelle Inclusion Handicap les juge nettement insuffisantes.

 

Une enquête dont les assurés sont pratiquement exclus

L’analyse mentionne quelques «brebis galeuses» parmi les experts qui exploitent le système. Or, cela revient à sous-estimer l’ampleur du problème – notamment si l’on songe à l’énorme chiffre d’affaires que génèrent les experts grâce aux mandats de l’AI. S’ajoute à cela le caractère douteux du choix des expertes et experts. On ne tient de toute évidence pas suffisamment compte des voix des assurés.

Pour Inclusion Handicap, le constat suivant est clair : comme l’a montré le rapport intermédiaire concernant son Centre de déclaration, le nombre de mauvaises expertises ne relève pas simplement de quelques cas isolés. Un remède de poids visant à contrer l’arbitraire de l’AI consiste à faire appel au principe aléatoire également pour les expertises monodisciplinaires, qui représentent la majeure partie des expertises. Le statu quo ne permet pas de résoudre la problématique de la dépendance économique des experts. Inclusion Handicap demande que le principe aléatoire soit rapidement introduit pour toutes les expertises.

 

Reprise de certains cas à partir de zéro

L’évaluation en arrive à la conclusion «qu’il existe tendanciellement un nombre insuffisant de bons experts et expertes». C’est pourquoi l’OFAS propose d’améliorer l’attrait du travail des experts. A contrario, cela signifie également que par le passé, des assurés ont été victimes de «mauvais» experts. Les cas où les expertises se sont avérées de mauvaise qualité doivent être repris à partir de zéro et les «brebis galeuses» sont à retirer de la circulation.

 

Plus de conventions d’objectifs

Parallèlement, l’OFAS a publié une analyse interne sur son rôle d’autorité de surveillance des offices AI. Il renoncera désormais, à juste titre, à la pratique inacceptable qui consistait à imposer aux offices AI des objectifs quantitatifs concernant le maintien ou la réduction du nombre de rentes AI. C’est aussi un aveu qu’il s’agissait de fausses incitations qui sont préjudiciables à des procédures sans parti pris. Cette mesure fait suite, entre autres, à l’interpellation de Maya Graf, coprésidente d’Inclusion Handicap.

 

La mise en œuvre doit être suivie de près

Inclusion Handicap est néanmoins soulagée que l’on tire enfin les enseignements justes du scandale lié aux expertises. La faîtière des organisations de personnes handicapées continuera d’accompagner étroitement ce dossier. Le Centre de déclaration auquel les victimes de l’arbitraire de l’AI peuvent s’adresser reste opérationnel pour permettre le suivi de la problématique.

 

 

Communiqué de presse de Inclusion Handicap du 13.10.2020 consultable ici

 

 

AI : amélioration ciblée de la surveillance et des expertises médicales

AI : amélioration ciblée de la surveillance et des expertises médicales

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 13.10.2020 consultable ici

 

L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) va améliorer la surveillance et la qualité des expertises médicales dans l’assurance-invalidité (AI). Il prévoit notamment de remanier les conventions d’objectifs avec les offices AI, de prendre en compte la perspective des assurés, d’exiger des expertises-test et d’améliorer le retour d’information aux experts. Ces mesures se fondent sur deux rapports portant respectivement sur la surveillance des offices AI et sur l’assurance-qualité et l’attribution des expertises médicales.

L’activité de surveillance ne doit pas être fondamentalement modifiée, conclut une analyse menée par l’OFAS sur mandat du Département fédéral de l’intérieur (DFI). Introduit en 2008 lors de la 5e révision de l’AI, le système actuel met à disposition des instruments et des procédures adaptés afin de garantir une exécution de l’AI uniforme et conforme à la loi. Toutefois, l’analyse révèle que ces instruments pourraient faire l’objet d’améliorations ciblées.

L’activité de surveillance ne doit pas être fondamentalement modifiée, conclut une analyse menée par l’OFAS sur mandat du Département fédéral de l’intérieur (DFI). Introduit en 2008 lors de la 5e révision de l’AI, le système actuel met à disposition des instruments et des procédures adaptés afin de garantir une exécution de l’AI uniforme et conforme à la loi. Toutefois, l’analyse révèle que ces instruments pourraient faire l’objet d’améliorations ciblées.

 

Conventions d’objectifs et système d’indicateurs

Cette amélioration concerne principalement les conventions d’objectifs avec les offices AI. Aujourd’hui, celles-ci portent avant tout sur des aspects quantitatifs, tels que le taux de nouvelles rentes ou l’évolution de l’effectif des rentes. À l’avenir, elles seront davantage axées sur le pilotage et le contrôle de la qualité de l’exécution : des aspects tels que la qualité des examens médico-assurantiels ou le point de vue des assurés sur les services fournis par les offices AI seront notamment pris en compte.

Les indicateurs utilisés actuellement par l’OFAS pour analyser l’évolution de l’AI et en tirer des objectifs seront également revus et développés. En effet, ils ne permettent pas, par exemple, d’obtenir des données précises sur l’efficacité des mesures de réadaptation d’un office AI ou sur la durée totale de la procédure AI. Actuellement, il n’existe pas d’indicateurs pour évaluer l’appréciation des assurés ou la gestion des réclamations. Désormais, des enquêtes régulières seront menées auprès des assurés pour s’enquérir de leur point de vue. En outre, l’impact de la jurisprudence sur l’exécution de l’AI sera analysé de manière plus systématique.

 

Qualité du travail des offices AI (ch. 4.2, 4.2.2 et 4.2.3 du rapport « Analyse de la surveillance des offices AI » du 13.10.2020)

La qualité du travail des offices AI est décisive pour le bon déroulement de l’instruction, le succès de la réadaptation des assurés et la prise de décisions conformes à la loi. Afin de répondre à ces exigences de qualité, des prescriptions étendues existent d’ores et déjà. Elles sont spécifiées dans les directives et les circulaires à l’intention des offices AI et leur application est garantie par les SMQ et SCI de ces mêmes offices. Le respect de ces prescriptions est régulièrement contrôlé dans les audits.

Désormais, une plus grande attention est portée à trois aspects :

  • la qualité des mesures d’instruction médico-assurantielle,
  • la perspective des assurés concernés, et
  • l’analyse systématique des décisions de justice en vue d’identifier les améliorations requises dans les procédures des offices AI.

Le point de vue des assurés (perspective des assurés) doit être davantage pris en compte lorsqu’il s’agit d’évaluer la qualité du travail des offices AI. Cela passe d’une part par un recensement et une analyse systématiques des réclamations et de leur traitement par les différents offices AI. En parallèle, l’OFAS enregistre aussi systématiquement les réclamations qui lui parviennent. D’autre part, une enquête régulière doit être menée auprès des assurés concernés afin de s’enquérir de leur satisfaction à l’égard des services des offices AI. Dans ces deux domaines, il convient de définir des objectifs et des valeurs cibles, qui peuvent être intégrés dans les conventions d’objectifs avec les offices AI.

Les décisions de justice sont d’ores et déjà systématiquement enregistrées et font l’objet de comparaisons intercantonales réalisées par l’OFAS. À l’heure actuelle, ce monitoring n’est toutefois pas utilisé pour analyser la qualité du travail des offices AI et initier des mesures d’amélioration. En règle générale, chaque office AI dispose en outre d’un monitoring interne. Le monitoring et l’analyse systématique des jugements cantonaux et des arrêts du Tribunal fédéral concernant les divers types de prestations et la qualité du travail des offices AI (de l’évaluation médicale notamment) doivent par conséquent être développés et mieux coordonnés entre l’OFAS et les offices AI.

 

Assurance-qualité des expertises médicales [cf. également ch. 4.2.1 du rapport « Analyse de la surveillance des offices AI » du 13.10.2020]

Pour déterminer si une personne a droit à des prestations de l’AI, une expertise médicale est souvent nécessaire. Afin de garantir une qualité élevée, le DFI a chargé au printemps l’institut Interface, en collaboration avec le service de psychiatrie forensique de l’Université de Berne, d’évaluer le système des expertises et l’attribution des mandats.

Cette évaluation avait pour objectif de clarifier les rôles et les responsabilités des différents acteurs dans le domaine des expertises. Il s’agissait en premier lieu d’analyser par quelles mesures les offices AI et l’OFAS pourraient améliorer la qualité et le mode d’attribution des expertises. Les chercheurs ont formulé plusieurs recommandations en vue d’améliorer la qualité du travail des offices AI et les mesures d’instruction médico-assurantielle.

  • Créer une commission indépendante chargée de l’assurance-qualité et de l’habilitation des experts dans le cadre du développement continu de l’AI
  • Mettre en place une commission indépendante chargée de l’assurance-qualité et de l’habilitation
  • Définir des critères pour l’habilitation
  • Optimiser les principes d’attribution et garantir la transparence (améliorer le principe d’attribution aléatoire et procédure d’accord pour les expertises monodisciplinaires)
  • Optimiser l’attribution aléatoire des expertises pluridisciplinaires
  • Assurer la transparence sur l’attribution : liste relative à l’attribution d’expertises aux experts par les offices AI
  • Demander obligatoirement des expertises test
  • Accroître la transparence des expertises à l’aide d’enregistrements sonores
  • Examiner des mesures permettant de réduire le recours à des expertises externes
  • Développer les exigences matérielles et juridiques applicables à la qualité des expertises au moyen de cercles de qualité
  • Renforcer encore le développement de la qualité au travail

Par le biais d’instructions, l’OFAS impose aux offices AI d’appliquer les recommandations proposées lors de l’attribution d’expertises et du contrôle de la qualité dans la procédure probatoire structurée.

Les autres recommandations formulées par les chercheurs se recoupent avec les mesures adoptées entre-temps par le Parlement dans le cadre de la réforme « Développement continu de l’AI », qui seront mises en œuvre à partir de 2022. Une commission indépendante sera notamment constituée pour assurer la qualité des expertises médicales et accréditer les experts, l’attribution des expertises deviendra transparente et l’entretien d’expertise fera l’objet d’un enregistrement sonore.

En 2021, l’OFAS mettra en œuvre d’autres recommandations par le biais de directives à l’intention des offices AI. À l’avenir, ces derniers devront en particulier demander des expertises-test et améliorer les retours aux experts en les informant systématiquement des arrêts des tribunaux.

 

Examen du principe d’attribution aléatoire pour les expertises monodisciplinaires

Par ailleurs, l’OFAS souhaite continuer d’améliorer le système d’attribution des mandats pour les expertises médicales monodisciplinaires. Pour ce faire, il mettra en place un monitoring trimestriel de la pratique d’attribution et examinera, en collaboration avec les offices AI, comment ces mandats pourraient être répartis de manière aléatoire, comme c’est déjà le cas pour les expertises pluridisciplinaires. Pour les expertises bidisciplinaires, le principe de l’attribution aléatoire sera introduit dans le cadre du Développement continu de l’AI.

 

Information du public (ch. 4.2 et 4.2.3 du rapport « Analyse de la surveillance des offices AI » du 13.10.2020)

Le fonctionnement du système de l’AI, notamment en termes de surveillance et de pilotage, ainsi que les activités de l’assurance-invalidité doivent faire l’objet d’une communication plus active et détaillée qu’aujourd’hui. Dans ce cadre, il est envisageable de souligner les tâches accomplies par l’OFAS en sa qualité d’organe de surveillance afin de garantir que les assurés bénéficient des prestations auxquelles ils ont droit. Une telle communication fondée sur un concept ad hoc devrait être développée en étroite collaboration avec le secteur « Communication » du DFI et de l’OFAS ainsi qu’avec le concours des organes d’exécution. Les informations statistiques, uniformisées et centralisées (OFAS, OAI), constituent l’instrument principal de mise en œuvre de la mesure. L’OFAS en finalise la synthèse et procède à l’analyse de la situation annuellement.

Le reporting actif est en outre conforme à l’orientation générale adoptée dans le cadre de la modernisation de la surveillance dans le 1er pilier, selon laquelle il convient de consolider et de renforcer les rapports rédigés par le Conseil fédéral sur la base de l’art. 76 LPGA. À l’avenir, le Conseil fédéral entend présenter de manière explicite dans ces rapports les risques systémiques des différentes assurances sociales et commenter son pilotage stratégique des assurances sociales.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 13.10.2020 consultable ici

Rapport « Analyse de la surveillance des offices AI » du 13.10.2020 disponible ici

Fiche d’information « Amélioration ciblée de la surveillance des offices AI » du 13.10.2020 disponible ici

Fiche d’information « Amélioration ciblée de la qualité des expertises médicales » du 13.10.2020 disponible ici

Rapport de l’institut Interface et du service de psychiatrie forensique de l’Université de Berne « Evaluation der medizinischen Begutachtung in der Invalidenversicherung » (Expertenbericht vom 10.8.2020 / rapport d’experts, seulement en allemand) disponible ici