9C_523/2022 (f) du 30.03.2023 – Révision d’une rente d’invalidité / Obligation d’annonce de l’assuré – 31 LPGA – 77 RAI / Détermination du revenu sans invalidité selon la table ESS TA1 et non T1_b / Niv. de comp. 2 pour le revenu sans invalidité pour un carrossier indépendant

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_523/2022 (f) du 30.03.2023

 

Consultable ici

 

Révision d’une rente d’invalidité / 17 LPGA

Obligation d’annonce de l’assuré / 31 LPGA – 77 RAI

Détermination du revenu sans invalidité selon la table ESS TA1 et non T1_b / 16 LPGA

Niveau de compétences 2 pour le revenu sans invalidité pour un carrossier indépendant

Frais d’expertise privée à charge de l’office AI / 45 LPGA

 

Assuré, né en 1973, a travaillé depuis 1998 comme carrossier à titre indépendant. Par décision du 19.03.2012, l’office AI lui a reconnu le droit à un quart de rente d’invalidité du 01.08.2006 au 31.08.2010, puis à une rente entière dès le 01.09.2010. Le droit à la rente a été confirmé par communication du 06.09.2013.

En 2015, après avoir eu connaissance de l’inscription au registre du commerce, en date du 18.06.2013, de la société B.__ SA, dont l’administrateur unique avec signature individuelle était l’assuré, l’office AI a initié une révision du droit à la rente. L’office AI a notamment soumis l’assuré à une expertise auprès d’un spécialiste en médecine interne générale et en rhumatologie. Il a ensuite supprimé la rente d’invalidité de l’assuré avec effet rétroactif au 01.06.2013 (décisions des 18.04.2017 et 12.05.2017).

Saisie d’un recours de l’assuré contre la décision du 18.04.2017, la juridiction cantonale l’a admis, après avoir notamment diligenté une expertise bidisciplinaire (médecine interne générale et en rhumatologie et psychiatrie et psychothérapie). Elle a annulé la décision litigieuse et renvoyé la cause à l’office AI pour qu’il procède au calcul du taux d’invalidité de l’assuré en 2013, puis rende une nouvelle décision sur le droit à des prestations de l’assurance-invalidité dès le 01.06.2013. Par décisions des 03.07.2020 et 28.07.2020, l’administration a reconnu le droit de l’assuré à trois quarts de rente à partir du 01.06.2013.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 224/20 & AI 272/20 – 300/2022 – consultable ici)

Par jugement du 03.10.2022, rejet par le tribunal cantonal du recours formé par l’assuré contre ces décisions.

 

TF

Consid. 4

Dans l’arrêt entrepris du 03.10.2022, les juges cantonaux ont examiné si le calcul du taux d’invalidité de l’assuré opéré par l’office AI était ou non critiquable. Ils ont d’abord confirmé le revenu d’invalide arrêté par l’office AI, dans sa décision du 03.07.2020, à 26’499 fr. 46 (en se référant aux salaires statistiques de l’Enquête suisse sur la structure des salaires [ESS] 2012, tableau TA1, niveau de compétence 1, après adaptation à la durée hebdomadaire moyenne usuelle dans les entreprises en 2013 [41,7 heures] et compte tenu d’une capacité de travail de 50% avec une baisse de rendement moyenne de 15% et d’un abattement de 5%). Ensuite, ils ont fixé le revenu de valide à 70’781 fr. 94 (et non à 73’508 fr., comme l’avait fait l’office AI en application de la méthode extraordinaire à la suite de sa décision du 19 mars 2012). Pour ce faire, la juridiction cantonale s’est fondée sur le tableau TA1 de l’ESS 2012, niveau de compétence 2 dans le secteur du commerce de gros et de la réparation d’automobiles (lignes 45-46 du TA1_skill_level, secteur privé), soit un salaire mensuel de 5’539 fr., qu’elle a adapté à la durée hebdomadaire moyenne usuelle de la branche considérée en 2013 [42,3 heures] et indexé à l’année 2013. Après comparaison des revenus avec et sans invalidité, il en résultait un taux d’invalidité de 63%, ouvrant le droit à trois quarts de rente depuis juin 2013.

 

Consid. 5.4
Le grief de l’assuré tiré de la « soi-disant » violation de son devoir d’informer l’office AI en lien avec l’inscription d’une société au registre du commerce en 2013 n’est pas davantage fondé. On rappellera qu’en vertu des art. 31 LPGA et 77 RAI, les assurés sont tenus de communiquer les activités exercées, en tout temps. Chaque assuré doit annoncer immédiatement toute modification de la situation susceptible d’entraîner la suppression, une diminution ou une augmentation de la prestation allouée, singulièrement une modification du revenu de l’activité lucrative, de la capacité de travail ou de l’état de santé lorsqu’il est au bénéfice d’une rente d’invalidité. Pareille obligation était d’ailleurs mentionnée dans la décision d’octroi de rente du 19.03.2012, ainsi que dans la communication du 06.09.2013 confirmant le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité.

En l’espèce, il n’appartenait pas à l’assuré de choisir les activités qu’il devait annoncer à l’office AI. Il ne pouvait en effet pas ignorer que l’exercice d’une activité, quelle qu’elle fût, était susceptible d’entraîner une nouvelle appréciation de ses capacités de travail et de gain, pouvant aboutir le cas échéant à une modification de la rente, ce qui s’est d’ailleurs produit à l’issue de l’instruction du cas. Le fait de créer une société anonyme, d’en être l’administrateur unique et de s’impliquer dans son fonctionnement, même à titre « occupationnel » et sans en retirer « un quelconque revenu » comme le soutient l’assuré, constituait des circonstances qui devaient être annoncées à l’office AI, dans la mesure où elles étaient susceptibles d’avoir une influence sur son droit aux prestations (cf. arrêts 9C_16/2019 du 25 avril 2019 consid. 7; 9C_107/2017 du 8 septembre 2017 consid. 5.1). Partant, en retenant que l’assuré avait contrevenu à son obligation de renseigner en n’informant pas l’office AI de la création de B.__ SA, avec pour conséquence qu’elle a confirmé, dans l’arrêt incident du 10.11.2016, qu’une éventuelle suppression ou diminution du droit à la rente pouvait prendre effet de manière rétroactive au 01.06.2013, en application de l’art. 88bis al. 2 let. b RAI, la juridiction cantonale n’a pas violé le droit.

Consid. 5.5
Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de s’écarter des considérations de l’instance précédente, selon lesquelles l’assuré dispose d’une capacité de travail de 50% avec une diminution de rendement de 10 à 20% depuis 2013 et qu’une éventuelle suppression ou diminution du droit à la rente pourrait, selon le taux d’invalidité de l’assuré en 2013, prendre effet de manière rétroactive au 01.06.2013 (art. 88bis al. 2 let. b RAI), au vu de la violation de l’obligation de renseigner. Le recours est mal fondé sur ce point.

 

Consid. 6.2
Concernant d’abord le grief de l’assuré relatif au « Choix du tableau ESS« , on rappellera que selon la jurisprudence, les statistiques du tableau TA1, secteur privé, salaires bruts standardisés sont en principe déterminantes (ATF 126 V 75 consid. 7a; 124 V 321 consid. 3b/aa; arrêt 8C_128/2022 du 15 décembre 2022 consid. 6.2.1). En l’occurrence, les juges cantonaux ont considéré il n’y avait pas lieu d’appliquer la table T1_b, qui regroupe les données salariales des secteurs privés et publics confondus. En ce qu’il se limite à affirmer, en citant des extraits de jurisprudence, que « [t]out indique » qu’il faut appliquer le tableau T1_b, branche 45-47 « commerce, réparation d’automobiles », de l’ESS 2012, en tenant compte du niveau de compétence maximal, avec pour conséquence, selon lui, que le revenu de valide devait être fixé à 119’553 fr., l’assuré ne fait pas état de circonstances qui justifieraient de ne pas appliquer le TA1 de l’ESS 2012 en l’espèce. Il ne conteste en particulier pas les constatations cantonales selon lesquelles, avant ses problèmes de santé, il n’avait été actif que dans le secteur privé. Partant, le grief de l’assuré est mal fondé.

Consid. 6.3
L’assuré reproche également à la juridiction de première instance d’avoir pris comme référence le niveau de compétence 2 du TA1 de l’ESS 2012, dans le secteur du commerce de gros et de la réparation d’automobiles (lignes 45-46 du TA1_skill_level, secteur privé). Il soutient, en se référant à sa fonction de « chef d’entreprise avec deux employés », qu’un niveau de compétence plus élevé devait être retenu.

Consid. 6.3.1
Le choix du niveau de compétence est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4). A la suite des juges cantonaux, on rappellera que depuis la dixième édition de l’ESS 2012, les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession (arrêt 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.2.3 et les arrêts cités). Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 précité consid. 4.2.3 et les arrêts cités).

Consid. 6.3.2
Selon les constatations de la juridiction cantonale, non contestées par l’assuré, il est titulaire d’un CFC de tôlier en carrosserie, effectuait tous types de travaux de carrosserie dans son entreprise, s’occupait des contacts, ainsi que des devis et factures, et avait deux employés. Cette activité coïncide avec la définition du niveau de compétence 2 (comp. arrêt 8C_444/2021 précité consid. 4.2.4). En ce qui concerne l’expérience professionnelle de plusieurs années dont peut se prévaloir l’assuré – sans formation commerciale ni autres qualifications particulières acquises pendant l’exercice de la profession -, elle ne justifie pas à elle seule un classement supérieur au niveau de compétence 2 (cf. arrêts 8C_581/2021 du 19 janvier 2022 consid. 4.4; 9C_148/2016 du 2 novembre 2016 consid. 2.2), comme l’ont dûment rappelé les juges cantonaux. Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter du revenu sans invalidité qu’ils ont arrêté à 70’781 fr. 94. Le recours est mal fondé sur ce point également.

 

Consid. 7.1
L’assuré se plaint finalement d’une violation de l’art. 45 LPGA, en ce que la juridiction cantonale n’a pas mis les frais d’établissement de l’expertise du docteur G.__ du 18.07.2016 (1’500 fr.) à la charge de l’office AI. Il fait valoir à cet égard que l’expertise privée « a joué un rôle déterminant dans la résolution du litige », puisque le docteur G.__ aurait démontré que les conclusions du docteur C.__ étaient en contradiction avec la doctrine médicale, et affirme que sans celle-ci, le Tribunal cantonal n’aurait pas mis en œuvre l’expertise judiciaire bidisciplinaire.

Consid. 7.2
Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures; à défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’expertise font partie des frais de procédure. Les frais d’expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c; arrêt 9C_519/2020 du 6 mai 2021 consid. 2.2 et les arrêts cités).

Consid. 7.3
En l’espèce, dans l’arrêt du 02.12.2019, la juridiction cantonale a rejeté la demande de l’assuré au motif que le rapport du docteur G.__ du 18.07.2016 n’avait pas permis d’établir de manière concluante l’état de fait médical en palliant un défaut d’instruction de la part de l’office AI. Or dans la mesure où elle a considéré qu’une expertise judiciaire « s’avérait nécessaire afin de départager l’avis du [docteur] G.__ de celui du [docteur] C.__ », il convient d’admettre que le rapport du docteur G.__ a joué un rôle déterminant dans la résolution du litige. Par conséquent, les frais relatifs à cette expertise doivent être imputés à l’office AI. Le recours est bien fondé sur ce point.

Etant donné l’issue de la procédure, qui repose sur une situation juridique claire et dans laquelle l’assuré obtient gain de cause sur un point très accessoire, il convient de renoncer à un échange d’écritures (art. 102 al. 1 LTF; cf. arrêt 9C_474/2021 du 20 avril 2022 consid. 6.4 et la référence).

 

Le TF admet très partiellement le recours de l’assuré, réformant le jugement cantonal réformé en ce sens que les frais de l’expertise du docteur G.__ du 18 juillet 2016 (1’500 fr.) sont mis à la charge de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_523/2022 consultable ici

 

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