9C_358/2021 (f) du 04.03.2022 – Concubinage et prestation de survivant – 20a LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_358/2021 (f) du 04.03.2022

 

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Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

Concubinage et prestation de survivant / 20a LPP

 

En l’absence d’annonce écrite du concubinage et signée par les deux partenaires du vivant de l’assuré, il n’y a pas de droit à une prestation de survivant.

X et Y ont formé une communauté de vie, dont sont issus deux enfants nés en 2017 et 2020. X. était assuré à la Caisse de pensions C. X. est décédé d’une crise cardiaque en 2020. La Caisse C. a alloué des rentes d’orphelins ainsi que des capitaux-décès aux enfants du couple. Par contre, elle n’a pas accordé de prestations à la concubine Y. au motif qu’il n’y avait pas eu d’annonce écrite du concubinage du vivant de X.

Selon le TF, s’il ne fait aucun doute que le décès de l’assuré X, partenaire de Y. et père de ses enfants, est intervenu de manière particulièrement inattendue, il n’est pas de ce seul fait choquant qu’on oppose à Y. l’omission du couple d’annoncer leur communauté de vie à la caisse de pensions du défunt. Cela vaut d’autant plus qu’ils vivaient ensemble depuis 2012 et que leur premier enfant est né en 2017, de sorte qu’ils ont disposé de plusieurs années pour procéder à l’annonce requise. La recourante Y. ne fait d’ailleurs plus valoir que l’exigence d’annonce n’aurait pas été portée à la connaissance de l’assuré, étant précisé qu’au moins à partir de 2017, la Caisse C. avait attiré l’attention de X. sur cette exigence par une note figurant dans les certificats de prévoyance.

Le TF considère que le règlement de la Caisse C. conditionne clairement le droit à la rente du concubin survivant à une annonce écrite et signée des deux partenaires du vivant de l’assuré. Une telle condition est conforme à l’art. 20a LPP et ne viole pas le principe de l’égalité de traitement (art. 8 al. 2 Cst.). Par ailleurs, cette exigence ne constitue pas une simple règle d’ordre, mais bel et bien une condition formelle du droit à la rente, licite selon la jurisprudence constante (cf. p. ex. ATF 142 V 233 consid. 2.1). Le fait d’avoir déclaré devant témoins vouloir procéder à une telle annonce ne suffit par conséquent pas à fonder le droit à la rente de survivant.

 

 

Arrêt 9C_358/2021 consultable ici

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9C_485/2021 (d) du 21.02.2022 – Capital-décès: exigence d’un ménage commun dans le cadre d’un partenariat de vie donnant droit à prestation (concrétisation de la jurisprudence) / 20a al. 1 lit. a LPP – 49 al. 2 ch. 3 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_485/2021 (d) du 21.02.2022

 

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Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

Capital-décès: exigence d’un ménage commun dans le cadre d’un partenariat de vie donnant droit à prestation (concrétisation de la jurisprudence) / 20a al. 1 lit. a LPP – 49 al. 2 ch. 3 LPP

 

La condition réglementaire de former un ménage commun est jugée également remplie lorsque les partenaires ne font ménage commun que pendant la fin de la semaine et les vacances, dans la mesure où, comme en l’espèce, ils vivent séparément durant les jours de travail pour des raisons professionnelles, et non pas pour de simples motifs d’ordre pratique.

En l’espèce, le litige oppose la sœur et la compagne du défunt au sujet du capital-décès de ce dernier. Le tribunal cantonal avait rejeté la demande de la sœur du défunt et ordonné le versement du capital-décès à la partenaire du défunt. La sœur du défunt a recouru auprès du TF, en faisant valoir notamment qu’il n’y aurait pas eu de communauté de vie ininterrompue en ménage commun au sens prévu par le règlement de l’institution de prévoyance.

Le TF rappelle à cet égard que les institutions de prévoyance sont autorisées à définir le cercle des ayants droit de manière plus étroite que le prévoit l’art. 20a al. 1 lit. a LPP, car la désignation comme bénéficiaires des personnes mentionnées par cet article relève de la prévoyance étendue (art. 49, al. 2, ch. 3, LPP en référence aux ATF 144 V 327, consid. 1.1, 142 V 233, consid. 1.1, 137 V 383, consid. 3.2 et 136 V 49, consid. 3.2). Les institutions de prévoyance sont ainsi habilitées à prévoir dans leur règlement une notion plus restrictive du partenariat de vie. Ainsi, il est admissible de prévoir que la communauté de vie doive se dérouler en ménage commun.

Se référant à la jurisprudence actuelle, le TF considère que, sous le titre de ménage commun, on ne peut pas s’attendre sans autre à une communauté d’habitation permanente et indivise dans un lieu de résidence fixe. En effet, une telle représentation ne tient pas compte des réalités économiques ni des changements de société actuels. Il est fréquent que, pour des raisons professionnelles ou de santé ou pour d’autres motifs dignes de protection, deux partenaires n’habitent pas ensemble de manière ininterrompue, mais seulement une partie de la semaine par exemple. Ce qui doit être déterminant, c’est la volonté manifeste des deux partenaires de faire ménage commun en partageant dans la mesure du possible le même lieu de résidence (ATF 137 V 383, consid. 3.3). De nos jours, le concept de ménage commun est à comprendre au sens large. Cependant, il est exclu en cas de domiciles séparés pour des motifs purement pratiques. Il faut donc des circonstances particulières qui rendent particulièrement difficile ou impossible la constitution d’un domicile commun (ATF 138 V 86, consid. 5.1, 5.1.2 et 5.1.3).

Sur cette base, le TF arrive à la conclusion qu’il y a eu, en l’espèce, un «ménage commun» et donc une communauté de vie au sens réglementaire, car la vie séparée pendant les jours de travail était due à des raisons professionnelles, et non à des motifs purement pratiques, selon la constatation contraignante des faits de l’instance cantonale. Ainsi, le TF confirme la décision du tribunal cantonal d’ordonner le versement du capital-décès à la compagne du défunt assuré.

 

 

Arrêt 9C_485/2021 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

 

Postulat Nantermod 22.3196 «Quelles mesures pour lutter contre les certificats médicaux de complaisance? » – Avis du Conseil fédéral

Postulat Nantermod 22.3196 «Quelles mesures pour lutter contre les certificats médicaux de complaisance? » – Avis du Conseil fédéral

 

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Texte déposé

Dans un rapport, le Conseil fédéral est prisé d’analyser les mesures qui pourraient être mises en œuvre pour lutter efficacement contre l’établissement de certificats médicaux de complaisance. Une statistique des cas avérés de fraude est aussi requise, notamment par un sondage auprès des employeurs.

 

Développement

Le Code des obligations garantit à l’employé le versement du salaire et le protège contre le licenciement en cas de maladie, durant une période variable en fonction de la durée des rapports de travail.

Si cette protection est incontestable, il arrive malheureusement que des soupçons de fraude soient constatés et que les employeurs se trouvent confrontés à des certificats médicaux de complaisance. Si les moyens d’action existent en théorie, ils sont complexes à mettre en œuvre et aboutissent rarement à des sanctions.

Or, des mesures pour lutter contre les cas de fraude existent. Certains cantons ont adopté par exemple les formulaires officiels pour les certificats médicaux, sur le modèle du droit du bail, qui rappellent aux professionnels de la santé les droits et devoirs du médecin. D’autres mesures pourraient être envisagées, notamment concernant des certificats médicaux rétroactifs ou de certificats délivrés sans consultation médicale.

Par ailleurs, une communication renforcée entre le médecin, l’employeur et l’employé optimise la convalescence des travailleurs malades ou accidentés et favorise leur réinsertion dans le processus de travail. Cela contribue à la réduction des arrêts de travail et donc à la diminution des coûts de la santé.

Le Conseil fédéral est aussi invité à analyser l’efficacité des mesures déjà entreprises et les statistiques des fraudes constatées. Ces statistiques devront reposer aussi sur une enquête auprès des employeurs.

 

Avis du Conseil fédéral du 18.05.2022

L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) ne dispose d’aucune donnée concernant des cas avérés de fraude en rapport avec des certificats médicaux. Ces infractions étant principalement sanctionnées par des tribunaux régionaux ou cantonaux, l’OFSP n’est pas en mesure d’établir de statistiques en la matière.

Le Conseil fédéral est toutefois disposé à faire analyser l’efficacité de certaines mesures de prévention des fraudes déjà mises en œuvre.

 

Proposition du Conseil fédéral du 18.05.2022

Le Conseil fédéral propose d’accepter le postulat.

 

 

Postulat Nantermod 22.3196 «Quelles mesures pour lutter contre les certificats médicaux de complaisance? » consultable ici

Postulato Nantermod 22.3196 “Quali misure per contrastare i certificati medici compiacenti?” disponibile qui

Postulat Nantermod 22.3196 «Welche Massnahmen gegen Gefälligkeitszeugnisse von Ärztinnen und Ärzten?» hier verfügbar

 

 

Motion Graf 22.3359 «Prendre en compte l’augmentation exceptionnelle des frais de chauffage dans le calcul des PC» – Avis du Conseil fédéral

Motion Graf 22.3359 «Prendre en compte l’augmentation exceptionnelle des frais de chauffage dans le calcul des PC» – Avis du Conseil fédéral

 

Motion consultable ici

 

Texte déposé

Le Conseil fédéral est chargé d’examiner l’opportunité de modifier la loi sur les prestations complémentaires (LPC ; RS 831.30) et l’ordonnance correspondante (RS 831.301) – si nécessaire en ayant recours au droit d’urgence – pour que les prestations complémentaires prennent en charge les coûts supplémentaires en cas de hausse exceptionnelle des frais de chauffage.

 

Développement

Selon l’art. 2 de la LPC, les prestations complémentaires (PC) doivent couvrir les besoins vitaux. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine provoquera vraisemblablement une augmentation significative des frais de chauffage. Cette situation ne devrait pas se détendre à court ou à moyen terme. Les paiements complémentaires pour les frais de chauffage pourraient s’élever à plusieurs milliers de francs. Or, les bénéficiaires des PC ne pourront pas assumer ces frais supplémentaires par leurs propres moyens, étant donné qu’ils vivent déjà avec le minimum vital.

La législation actuelle prévoit que les acomptes pour les frais accessoires de chauffage sont pris en compte dans le calcul des PC. En revanche, si un décompte final est établi pour les frais accessoires, le paiement complémentaire n’est pas pris en compte dans le calcul de la PC annuelle.

La réglementation en vigueur prévoit un forfait de 1260 par an pour les locataires – qu’il s’agisse de personnes seules ou en couple – qui chauffent elles-mêmes leur appartement, sans verser de frais accessoires à leur bailleur. Il faut également revoir ce montant pour tenir compte de l’augmentation des frais de chauffage et trouver une solution simple et pragmatique pour les situations extraordinaires, comme celle qui prévaut actuellement.

 

Avis du Conseil fédéral du 18.05.2022

Selon l’art. 19 de la loi fédérale sur les prestations complémentaires (LPC ; RS 831.30), le Conseil fédéral peut, dans le cadre de l’adaptation régulière des rentes à l’évolution des salaires et des prix, corriger le montant des dépenses reconnues, des revenus déterminants et des frais de maladie et d’invalidité pour les prestations complémentaires (PC) en cas de hausse ou de baisse importante et durable des prix. A l’heure actuelle, il n’est toutefois pas encore clair dans quels secteurs (mazout, essence, denrées alimentaires, etc.) la guerre en Ukraine fera durablement augmenter les prix ; une adaptation des PC n’est donc pas indiquée pour le moment. Par ailleurs, les loyers maximaux et les forfaits pour frais de chauffage accordés aux bénéficiaires de PC louant un appartement qu’ils doivent chauffer eux-mêmes ont déjà été relevés au 1er janvier 2021 dans le cadre de la réforme des PC.

Actuellement, seul le loyer brut est compté comme frais de logement dans le calcul de la PC annuelle. L’éventuel décompte final des frais accessoires au loyer n’est pas pris en considération et n’a donc pas d’influence sur le montant de la prestation versée. Une réglementation différente aurait notamment pour conséquence que les bénéficiaires devraient restituer les prestations touchées s’ils obtiennent un remboursement de leur bailleur lors du décompte final. De plus, ils peuvent, s’ils le souhaitent, faire adapter à la réalité les frais accessoires payés sous forme d’acompte jusqu’à concurrence du montant maximal reconnu.

Par ailleurs, il n’y a pas d’urgence concernant le décompte des frais accessoires 2021/2022, car les citernes à mazout ont été remplies avant l’hiver, c’est-à-dire avant le début de la guerre.

 

Proposition du Conseil fédéral du 18.05.2022

Le Conseil fédéral propose de rejeter la motion.

 

 

Motion Graf 22.3359 «Prendre en compte l’augmentation exceptionnelle des frais de chauffage dans le calcul des PC» consultable ici

Voir également la motion Weichelt 22.3304 «Intégrer la hausse extraordinaire des frais de chauffage dans le calcul des prestations complémentaires», consultable ici, où le Conseil fédéral propose également le rejet de la motion.

 

 

 

Motion Nantermod 22.3195 « OPP3. Davantage de liberté dans la planification successorale » – Avis du Conseil fédéral

Motion Nantermod 22.3195 « OPP3. Davantage de liberté dans la planification successorale » – Avis du Conseil fédéral

 

Motion consultable ici

 

Texte déposé

Le Conseil fédéral est invité à modifier l’art. 2 « Bénéficiaires » de l’Ordonnance sur les déductions admises fiscalement pour les cotisations versées à des formes reconnues de prévoyance (OPP 3) pour permettre au preneur d’assurance de modifier entièrement l’ordre des bénéficiaires par pacte successoral, notamment pour lui permettre d’exclure le conjoint survivant si les parties concernées y consentent.

 

Développement

L’art. 2 OPP 3 fixe la liste des bénéficiaires des prestations de prévoyance au sens de la LPP, tant applicable aux polices de deuxième que de troisième pilier. Conformément à cette disposition, en cas de décès du preneur d’assurance, le bénéficiaire de l’assurance est nécessairement en premier lieu le conjoint survivant, aucune dérogation n’étant permise.

Dans les familles recomposées notamment, il n’est pas rare que les conjoints décident de renoncer mutuellement à toute expectative successorale, cela afin d’éviter une dilution des patrimoines hasardeuse, au gré de l’ordre des décès des conjoints.

Or, avec une liste de bénéficiaires relativement rigide, l’OPP3 exclut de jure l’application des dispositions pour cause de mort à une part non négligeable du patrimoine des citoyens, notamment des dispositions d’exclusion successorale adoptées entre conjoints. Cette règle est obsolète et ne correspond pas aux besoins actuels des citoyens. Par la présente motion, le Conseil fédéral est invité à modifier l’ordonnance dans ce sens et à libéraliser la norme.

 

Avis du Conseil fédéral du 18.05.2022

Les dispositions concernant les bénéficiaires dans la prévoyance professionnelle et dans le pilier 3a visent, conformément au mandat constitutionnel (113, al. 2, let. a de la Constitution fédérale, RS 101), à compenser la perte de soutien subie par les proches en cas de décès de la personne assurée. Les prestations à l’égard du conjoint survivant ont toujours constitué un élément fondamental du droit de la prévoyance.

Contrairement au droit successoral qui vise à assurer la transmission d’un patrimoine familial, le rôle de la prévoyance professionnelle consiste, dans l’hypothèse du décès de l’assuré, à pourvoir prioritairement aux besoins d’entretien de ses proches.

Ainsi, en cas de décès du preneur de prévoyance, le conjoint survivant est l’une des personnes directement affectées par son décès et il se verrait privé d’un soutien financier important. Il se justifie donc de protéger le conjoint survivant en lui accordant en principe le statut de bénéficiaire prioritaire, tel que prévu aujourd’hui dans l’ordonnance. Lui permettre de renoncer à ses expectatives de prévoyance mélangerait les principes du droit des successions et ceux de la prévoyance professionnelle.

Néanmoins, dans le cadre du postulat 22.3220 Nantermod « OPP3. Davantage de liberté dans la planification successorale », le Conseil fédéral est prêt à analyser les dispositions concernant les bénéficiaires dans la prévoyance professionnelle et à évaluer de manière approfondie la nécessité d’agir.

 

Proposition du Conseil fédéral du 18.05.2022

Le Conseil fédéral propose de rejeter la motion.

 

 

Motion Nantermod 22.3195 «OPP3. Davantage de liberté dans la planification successorale» consultable ici

Postulat Nantermod 22.3220 «OPP3. Davantage de liberté dans la planification successorale» consultable ici, où le Conseil fédéral a proposé d’accepter le postulat.

 

 

4A_333/2021 (f) du 08.02.2022 – Prescription de la créance – 46 aLCA / Interruption de la prescription par réquisition de poursuite – Preuve stricte de la date d’envoi de l’acte non apportée – 135 CO / Absence de preuve suffisante du vol déclaré

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_333/2021 (f) du 08.02.2022

 

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Assurance contre le vol – Prescription de la créance / 46 aLCA (dans sa version antérieure au 01.01.2022)

Interruption de la prescription par réquisition de poursuite – Preuve stricte de la date d’envoi de l’acte non apportée / 135 CO

Absence de preuve suffisante du vol déclaré

 

A.__ était propriétaire d’une importante collection d’art dont les pièces majeures étaient exposées dans sa maison à Genève, sous alarme, et dans le jardin. Une partie était stockée dans une remise dépourvue d’alarme jouxtant le garage. Un grand portail haut d’un mètre huitante permettait d’accéder à la propriété; il était surplombé par une caméra de surveillance.

Le 28.06.2005, le prénommé (l’assuré) a souscrit auprès d’une assurance (ci-après: la compagnie d’assurances) une police d’assurance « Art privé » couvrant le vol jusqu’à 5’000’000 fr. par événement. Les objets d’art assurés étaient recensés dans une liste précisant pour chacun d’eux la « valeur agréée » qui devait être remboursée à l’assuré en cas de sinistre.

Le 05.04.2007, l’assuré est parti en vacances à Palma de Majorque en Espagne. Il devait y séjourner jusqu’au 21.04.2007. Son majordome qui logeait habituellement dans la propriété était en congé du 04.04.2007 au 16.04.2007. L’entreprise de surveillance S.__ SA devait effectuer des rondes de nuit.

Le 12.04.2007, l’assuré a demandé à sa secrétaire de contrôler la remise. Elle a constaté que la porte avait été fracturée, qu’un des deux cylindres manquait et que l’autre avait été endommagé. Les étagères censées contenir la collection d’art africain avaient été vidées. Il subsistait un carton vide portant l’inscription « photos « .

L’assuré a porté plainte pénale le 12.04.2007 et annoncé le vol à la compagnie d’assurances le jour suivant, en déplorant la disparition d’une centaine de statuettes d’art africain.

L’affaire a connu plusieurs rebondissements sur le plan pénal [cf. Faits, let. A.d. à A.h.].

La compagnie d’assurances a refusé d’indemniser l’assuré, qui avait compris dès septembre 2007 qu’elle le soupçonnait d’être à l’origine du sinistre.

Le 14.04.2009, l’Office des poursuites du canton de Genève a reçu une réquisition de poursuite émanant de l’assuré, datée du 08.04.2009, réclamant 1’000’000 fr. à la compagnie d’assurances. Celle-ci a reçu un commandement de payer le 14.05.2009, dressé par l’Office des poursuites du canton de Zurich. Elle y a fait opposition.

Par courrier du 25.05.2009, la compagnie d’assurances a maintenu son refus d’indemniser l’assuré et déclaré, au surplus, que la créance était prescrite depuis le 13.04.2009.

 

Procédure cantonale

Le 12.10.2010, l’assuré a assigné la compagnie d’assurances en conciliation devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Il a ensuite déposé une demande en paiement dont les conclusions s’élevaient en dernier lieu à 895’000 fr. La défenderesse a soulevé l’exception de prescription. Le Tribunal a entendu les parties et des témoins, organisé un transport sur place et ordonné l’apport des procédures pénales suisses. La procédure pénale française a été versée au dossier par l’assuré. Le 26.06.2018, le Tribunal a rejeté la demande en paiement en reprochant à son auteur de ne pas avoir rapporté la preuve du sinistre. L’assuré est mort le 20.07.2018.

Ses héritiers, soit ses fils B.__, C.__et D.__, ont interjeté appel auprès de la Cour de justice, sans succès (arrêt ACJC/612/2021 du 04.05.2021 de la Chambre civile de la Cour de justice.)

 

TF

Consid. 3
La Cour de justice a discerné deux raisons indépendantes de rejeter la demande en paiement:

  • d’une part, la prescription de l’obligation de verser les prestations convenues à raison de l’événement assuré;
  • d’autre part, l’absence de preuve suffisante du vol déclaré.

 

Prescription – 46 aLCA

Consid. 4.1
Dans sa teneur antérieure au 01.01.2022, l’art. 46 al. 1 aLCA contenait la règle suivante sur la prescription: « Les créances qui dérivent du contrat d’assurance se prescrivent par deux ans à dater du fait d’où naît l’obligation. […] »

Le système de la LCA a ceci de particulier que la créance peut se prescrire avant d’être exigible (cf. art. 41 al. 1 LCA; ATF 139 III 263 consid. 1.2 p. 265).

En matière d’assurance contre le vol, le délai de prescription commence à courir dès la survenance du sinistre (ATF 126 III 278 consid. 7b i.f. p. 281). Il peut être interrompu aux conditions de l’art. 135 CO (applicable par renvoi de l’art. 100 al. 1 LCA; ATF 133 III 675 consid. 2.3.1), soit notamment « lorsque le créancier fait valoir ses droits par des poursuites » (art. 135 ch. 2 ab initio CO, dont la formulation précitée n’a pas été modifiée par la novelle de 2011).

Une réquisition de poursuite conforme à l’art. 67 LP interrompt la prescription dès sa remise à la poste ou sa transmission électronique (ATF 114 II 261 consid. a p. 262; 104 III 20 consid. 2; 101 II 77 consid. 2c i.f.; arrêts 5D_101/2020 du 28 mai 2020 consid. 3 et 5P.339/2000 du 13 novembre 2000 consid. 3c; PASCAL PICHONNAZ, in Commentaire romand, Code des obligations I, 3e éd. 2021, n° 12 ad art. 135 CO; SABINE KOFMEL EHRENZELLER, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, 3e éd. 2021, n° 48 ad art. 67 LP; ROBERT DÄPPEN, in Basler Kommentar, Obligationenrecht I, 7e éd. 2020, nos 5d et 6 ad art. 135 CO; DANIEL WUFFLI, Verjährungsunterbrechung durch Betreibung, in Die Verjährung […], [REAS/Krauskopf éd.] 2018, p. 170 s.; GEORGES VONDER MÜHLL, Verjährungsunterbrechung durch Schuldbetreibung und Konkurs, in BlSchK 1991 2 s. et 4 i.f. -5). Une réquisition adressée à un office incompétent ratione loci interrompt aussi la prescription, pour autant que le commandement de payer soit finalement notifié au débiteur et ne soit pas annulé sur plainte (ATF 83 II 41 consid. 5 et 69 II 162 consid. 2b spéc. p. 175, contra ATF 57 II 462 consid. 4 i.f. p. 465; PICHONNAZ, op. cit., n° 12b ad art. 135 CO; KOFMEL EHRENZELLER, op. cit., nos 6 et 48 ad art. 67 LP; DÄPPEN, op. cit., n° 6a ad art. 135 CO; WUFFLI, op. cit., p. 173 s.; VONDER MÜHLL, op. cit., p. 3 i.f. -4 et sous-note 11).

La prescription est interrompue à concurrence de la somme réclamée en poursuite (ATF 144 III 277 consid. 3.3.3 p. 283; 119 II 339 consid. 1c).

Consid. 4.2
Les juges genevois ont fait les réflexions suivantes:

  • La date du vol remontait au 09.04.2007. Le délai de prescription avait ainsi commencé à courir le 10.04.2007 pour expirer le 09.04.2009 (cf. art. 132 CO) – sauf à avoir été valablement interrompu.
  • L’assuré avait formé une réquisition de poursuite contre la compagnie d’assurances. Il importait peu qu’il l’eût adressée à un office incompétent ratione loci (Genève, alors que la compagnie d’assurances était sise à Zurich), puisque l’acte avait manifestement été transmis à l’office compétent, qui avait finalement notifié un commandement de payer à la compagnie sans que cet acte ne fût ensuite annulé.

L’assuré affirmait avoir posté cette réquisition le 08.04.2009, alors que le délai de prescription courait toujours. Il devait apporter la preuve stricte d’un tel fait. Or, il n’y était pas parvenu. Ni la date apposée sur la réquisition (08.04.2009), ni les deux mémos et le courrier qu’avait établis l’avocat de l’assuré en les datant de ce jour-là, ni les témoignages des deux collaborateurs dudit conseil n’attestaient du fait allégué. Etait tout au plus avérée la date de réception de la réquisition par l’office genevois, soit le 14.04.2009.

Partant, la prescription était acquise.

Consid. 4.4
On relèvera au préalable que la cour cantonale était fondée à exiger le degré de preuve stricte quant à la date d’envoi de l’acte, émanant au demeurant d’un avocat qu’elle disait conscient du risque de prescription proche.

La preuve stricte suppose que le juge soit convaincu d’un fait sans aucun doute sérieux; tout au plus de légers doutes peuvent-ils subsister (cf. par ex. ATF 141 III 569 consid. 2.2.1 p. 573).

Lorsqu’elle concerne un envoi postal, ladite preuve résulte en général de preuves « préconstituées » telles que le sceau postal, le récépissé d’un envoi recommandé ou l’accusé de réception en cas de dépôt pendant les heures de bureau. En revanche, la date d’affranchissement ou le code-barres pour lettres imprimés au moyen d’une machine privée ne prouvent pas la date de remise de l’envoi à la poste. D’autres modes de preuves sont admissibles, en particulier l’attestation de la date de l’envoi par un ou plusieurs témoins mentionnés sur l’enveloppe. L’apposition de signature(s) sur l’enveloppe n’établit pas encore le dépôt en temps utile, la preuve résidant dans le témoignage du ou des signataires; aussi l’intéressé doit-il offrir cette preuve dans un délai adapté aux circonstances, en indiquant l’identité et l’adresse du ou des témoins (cf. arrêts 5A_965/2020 du 11 janvier 2021 consid. 4.2.3; 5A_972/2018 du 5 février 2019 consid. 4.1).

Consid. 4.5
En l’espèce, il faut bien admettre que les recourants n’ont produit aucune preuve de cet ordre.

Certes, l’avocat de l’assuré avait daté la réquisition du 08.04.2009 et, à en croire ses deux collaborateurs, l’étude avait pour règle d’indiquer dans ses correspondances la date d’expédition effective, quitte à modifier la date de la missive lorsqu’elle ne pouvait être postée que le lendemain.

En outre, l’avocat avait rédigé deux mémos et un courrier destiné à la compagnie d’assurances, datés du 08.04.2009 et qui mentionnaient tous l’envoi d’une réquisition de poursuite ce jour-là.

Ceci dit, la cour cantonale pouvait conclure sans arbitraire que ces éléments n’apportaient pas la preuve stricte d’une remise à la poste le 08.04.2009 – ni même le 11.04.2009. En effet, les événements s’inscrivaient dans un week-end pascal, le Vendredi Saint 10.04.2009, le dimanche de Pâques 12.04.2009 et le lundi de Pâques 13.04.2009 étant des jours fériés dans le canton de Genève notamment. Un courrier posté le mercredi 08.04.2009 avec un affranchissement prioritaire (courrier A) – qu’utilisait l’étude en règle générale, selon la secrétaire de l’avocat – aurait déjà pu parvenir à l’office des poursuites le jeudi 09.04.2009 ou le samedi 11.04.2009 (étant entendu que l’office était très vraisemblablement fermé ce jour-là). En effet, le courrier A doit normalement être distribué le jour ouvrable suivant (plus récemment, cf. art. 29 al. 1 let. a ch. 1 de l’Ordonnance du 29 août 2012 sur la poste [OPO; RS 783.01]). On ne peut exclure que le courrier ait été déposé dans une boîte aux lettres le dimanche 12.04.2009 ou lundi 13.04.2009 – alors que la prescription était déjà échue, même en épousant la thèse des recourants -, dès lors qu’il pouvait parvenir à l’office le mardi 14.04.2009. Il importe peu qu’une autre appréciation des preuves eût été possible, voire préférable, puisque la jurisprudence constante n’y voit pas matière à retenir un arbitraire.

Consid. 4.8
En définitive, la Cour de justice n’a pas enfreint le droit fédéral en considérant que la prétention de l’assuré en paiement de la prestation d’assurance était prescrite. Le sort du recours s’en trouve déjà scellé. L’autorité précédente a cependant fourni une motivation alternative qui préserve l’ancien avocat de l’assuré du risque d’une action en responsabilité civile. C’est le lieu de l’examiner.

 

Absence de preuve suffisante du vol déclaré

Consid. 5.1
Les juges d’appel ont reproché à l’assuré de n’avoir pas établi la thèse du vol au degré de la vraisemblance prépondérante: il était tout aussi vraisemblable qu’il ait lui-même commandité le vol. A défaut de preuve du sinistre, la compagnie d’assurances n’avait pas à entrer en matière. Qui plus est, l’assuré ne s’était pas montré des plus coopératifs durant la procédure, tant avec la compagnie d’assurances qu’avec les autorités.

Consid. 5.2
Les juges genevois se sont conformés au droit fédéral en considérant que la preuve du vol devait être apportée au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 p. 88; 130 III 321 consid. 3.2 i.f. p. 325; arrêt 4A_327/2018 du 23 mai 2019 consid. 3.1 et 3.3.2). Celle-ci suppose que des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération. Pour ébranler la preuve principale, il suffit à la partie adverse de démontrer que les allégations principales n’apparaissent pas comme les plus vraisemblables (cf. par ex. ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 p. 89). Savoir si une telle preuve a été fournie relève de l’appréciation, que la cour de céans contrôle sous le prisme très restreint de l’arbitraire.

Or, il faut bien admettre que les recourants échouent à insuffler le moindre sentiment d’arbitraire. […]

Quant à savoir si l’assuré avait ou non des difficultés financières, il ne s’agit pas là d’un élément crucial, n’en déplaise aux recourants. Car un autre mobile indépendant pouvait aussi animer l’assuré. Comme l’a expliqué l’expert E2.__, les objets prétendument volés à l’assuré avaient été payés beaucoup trop cher, au contraire des autres pièces qui étaient d’une valeur avérée. Que le vol ait précisément porté sur ces objets-là ne peut que laisser songeur. D’autant que, selon ce même expert, le vol de collections entières d’ethnologie est très rare. Il s’agit le plus souvent de vols ou de destructions maquillés, notamment par des personnes ayant collectionné des objets de piètre qualité ou les ayant acquis à un prix surfait. A l’évidence, on ne saurait minimiser le poids de ces explications.

Les recourants jugent naturel que les voleurs se soient attachés à couvrir leurs traces et qu’ils aient pris le temps de remettre en place les sacs de jardinage qui obstruaient la porte de la remise dévalisée. Mais quel voleur prendrait la peine de ranger les lieux après son forfait, surtout si l’endroit n’est pas visible de l’extérieur de la propriété, comme l’a constaté l’autorité précédente? Et comment les recourants expliquent-ils qu’un carton vide portant l’inscription « photos » avait été laissé dans la remise après avoir été vidé de son contenu? A moins qu’il ne se soit agi d’attirer l’attention de l’assureur sur le fait que lesdites photos avaient également été volées… Toutes ces incongruités sont en tout cas de nature à mettre en doute la thèse d’un vol sans pour autant verser dans l’arbitraire.

Consid. 5.6
En bref, on ne discerne nulle once d’arbitraire dans le constat selon lequel les recourants n’ont pas prouvé avec une vraisemblance prépondérante le déroulement de l’événement assuré tel qu’ils l’avaient allégué. La Cour de justice tenait effectivement là un second motif de rejeter la demande.

 

Le TF rejette le recours des héritiers.

 

 

Arrêt 4A_333/2021 consultable ici

 

Arrêt du Tribunal administratif fédéral A–6153/2020 (f) du 13.07.2021, publié aux ATAF 2021 I/1 – Délai de recours – Notification de décisions expédiées par courrier A Plus

Arrêt du Tribunal administratif fédéral A–6153/2020 (f) du 13.07.2021, publié aux ATAF 2021 I/1

 

ATAF 2021 I/1 consultable ici

 

Délai de recours / Notification de décisions expédiées par courrier A Plus

 

Art. 20 al. 1, art. 21 al. 1, art. 22 al. 1, art. 50 al. 1 PA.

  1. Délai de recours contre les décisions notifiées par courrier A Plus. Le délai commence à courir le lendemain du dépôt de la décision dans la boîte aux lettres ou la case postale. Pour en définir l’échéance, le destinataire doit procéder aux vérifications nécessaires à l’aide du numéro de référence du courrier A Plus (consid. 2.2–2.6).
  2. Présomption (naturelle) de régularité de la notification par courrier A Plus. Des indices concrets d’une erreur sont nécessaires pour renverser cette présomption. Les éventuelles irrégularités constatées doivent être annoncées à l’autorité de recours lors du dépôt du recours. De simples déclarations d’employés de l’étude du représentant des recourants – produites postérieurement – ne sont à cet égard pas suffisantes (consid. 2.7, 3.1 et 3.2).
  3. Le mandataire professionnel qui ne vérifie pas la date de notification d’un courrier A Plus par le biais du système de suivi des envois de la Poste commet une négligence (consid. 3.2).

 

Consid. 2.1
Conformément à l’art. 17 de la loi sur l’assistance administrative fiscale du 28 septembre 2012 (LAAF, RS 651.1), l’AFC notifie − par écrit (cf. art. 34 al. 1 PA) − à chaque personne habilitée à recourir une décision finale, dans laquelle elle justifie l’octroi de l’assistance administrative et précise l’étendue des renseignements à transmettre (al. 1). Lorsqu’une personne habilitée à recourir est domiciliée à l’étranger, la notification intervient par l’intermédiaire du représentant autorisé à recevoir des notifications (al. 3).

Consid. 2.2
Le recours doit être déposé dans les 30 jours qui suivent la notification de la décision finale de l’AFC (art. 50 al. 1 PA). Si le délai compté par jours doit être communiqué aux parties, il commence à courir le lendemain de la communication (art. 20 al. 1 PA). Les écrits doivent parvenir au Tribunal ou avoir été remis, à son adresse, à un bureau de poste suisse, le dernier jour du délai de recours au plus tard (art. 21 al. 1 PA). Ce délai ne peut pas être prolongé (art. 22 al. 1 PA).

Consid. 2.3
Selon un principe général, pour admettre que les communications des autorités ont été valablement notifiées, il suffit qu’elles soient placées dans la sphère de puissance («Machtbereich») de leur destinataire et que celui-ci soit à même d’en prendre connaissance (cf. ATF 145 IV 252 consid. 1.3.2; 144 IV 57 consid. 2.3.2; 142 III 599 consid. 2.4.1).

Consid. 2.4
Le fardeau de la preuve de la notification et de la date de celle-ci incombe en principe à l’autorité qui entend en tirer une conséquence juridique (cf. ATF 142 IV 125 consid. 4.3; 136 V 295 consid. 5.9; ATAF 2009/55 consid. 4; arrêt du TAF A–3841/2018 du 8 janvier 2021 consid. 6.2; BENOÎT BOVAY, Procédure administrative, 2e éd. 2015, p. 529; YVES DONZALLAZ, La notification en droit interne suisse, 2002, p. 583 no 1235). En la matière, c’est la règle du degré de vraisemblance prépondérante qui prévaut (cf. ATF 124 V 400 consid. 2b; arrêt du TF 5A_454/2012 du 22 août 2012 consid. 4.2.2; arrêts du TAF A–2703/2017 du 18 décembre 2018 consid. 2.1.1 et A–7730/2009 du 17 juin 2010 consid. 2.2).

Consid. 2.5
Les envois expédiés par courrier A ou B sont notifiés dès lors qu’ils sont remis dans la boîte aux lettres ou bien dans la case postale du destinataire. Ils sont ainsi à disposition de l’intéressé (cf. arrêts du TF 2C_463/2019 du 8 juin 2020 consid. 3.2.2; 2C_587/2018 du 8 mars 2019 consid. 3.1; 2C_875/2015 du 2 octobre 2015 consid. 2.2.1; 2C_784/2015 du 24 septembre 2015 consid. 2.1; arrêt du TAF A–3967/2020 du 29 octobre 2020 p. 3).

Consid. 2.6
Les règles relatives à la notification des envois effectués par courrier A Plus correspondent en principe à celles applicables à un envoi postal par pli simple, c’est-à-dire par courrier A et B, à la différence que le courrier A Plus est muni d’un numéro permettant de suivre le cheminement de l’envoi électroniquement via le système de «Suivi des envois» («Track & Trace») de la Poste. Il est ainsi possible d’être informé en temps réel des différentes étapes suivies par l’envoi et en particulier, du moment précis où le courrier est déposé (date et heure) dans la boîte aux lettres ou bien la case postale du destinataire. L’envoi par courrier A Plus constitue ainsi, comme tel est le cas pour les envois en courrier recommandé, un moyen qui permet de prouver à quel moment (date et heure) la Poste a remis un envoi à son destinataire (cf. arrêts du TF 2C_463/2019 consid. 3.2.2; 9C_655/2018 du 28 janvier 2019 consid. 4.3; 2C_875/2015 consid. 2.2.1; arrêt du TAF A–1838/2021 du 8 juin 2021 consid. 2 et 3).

Consid. 2.7
De longue et constante jurisprudence, si l’envoi par courrier recommandé en procédure administrative fédérale n’est pas prescrit, la notification d’une décision finale par courrier A Plus est admise. Le délai commence ainsi à courir le lendemain du dépôt de la décision dans la boîte aux lettres, également lorsque la décision est distribuée un samedi (cf. arrêts du TF 2C_463/2019; 2C_464/2019 du 24 mai 2019; 2C_476/2018 du 4 juin 2018, partiellement reproduit in: ASA 87 p. 141). Le courrier A Plus étant muni d’un numéro, lequel permet de suivre son cheminement électroniquement via le système de «Suivi des envois» («Track & Trace») de la Poste, l’information découlant du système indiquant que l’envoi est arrivé dans la boîte aux lettres ou dans la case postale du destinataire n’est pas en soi une preuve, mais constitue un indice (cf. ATF 142 III 599 consid. 2.2; parmi d’autres, arrêts du TF 2C_463/2019 consid. 3.2.2 s.; 2C_1059/2018 du 18 janvier 2019 consid. 2.2.2; 2C_16/2019 du 10 janvier 2019 consid. 3.2.2).

Il existe une présomption naturelle («natürliche Vermutung») que le courrier A Plus a été correctement déposé dans la boîte aux lettres ou dans la boîte postale du destinataire, à l’instar de ce qui s’applique mutatis mutandis à l’avis de retrait (« invitation à retirer un envoi »; cf. arrêts 2C_1059/2018 consid. 2.2.2; 2C_16/2019 consid. 3.2.2; 2C_476/2018 consid. 2.3.2; voir aussi arrêts du TF 2C_684/2019 du 11 novembre 2020 consid. 2.2.1; 2C_463/2019 consid. 3.2.3). Il découle de cette pratique jurisprudentielle que le jour déterminant est celui où le courrier est déposé par la Poste dans la boîte aux lettres, respectivement postale, du destinataire et non pas celui où il est récupéré par ce dernier. Le destinataire d’un tel courrier doit ainsi s’organiser afin de veiller à ce que le délai de recours soit respecté. Pour ce faire, il dispose d’un numéro de référence de la Poste qui lui permet, avec certitude et à tout moment, de procéder électroniquement au cheminement du courrier et ainsi aux vérifications nécessaires. Si des irrégularités lui apparaissent, il peut ainsi en faire part à l’autorité de recours (cf. arrêt A–1838/2021 consid. 3.3 et 3.4).

La possibilité d’une distribution postale irrégulière ne peut en effet jamais être exclue (cf. ATF 142 III 599 consid. 2.4.1). Toutefois, cela ne suffit pas, en soi, à renverser la présomption susmentionnée. Pour ce faire, il doit bien plus y avoir des indices concrets d’une erreur, faisant apparaître celle-ci comme plausible au vu des circonstances du cas d’espèce (cf. ATF 142 IV 201 consid. 2.3; parmi d’autres, arrêts du TF 2C_901/2017 du 9 août 2019 consid. 2.2.2 et réf. cit.; 1C_31/2018 du 14 janvier 2019 consid. 3.3 et réf. cit.; 2C_1059/2018 consid. 2.2.3; cf. également arrêt du TF 2C_65/2018 du 21 février 2018 consid. 2.3). Dans le cadre de cette preuve, la bonne foi de la partie est présumée (cf. ATF 142 III 599 consid. 2.4.1), ce qui ne change rien à la présomption de régularité de la distribution du courrier A Plus (cf. arrêt 1C_31/2018 consid. 4.2).

Selon la jurisprudence, la juge peut mettre un terme à l’instruction et renoncer à des mesures et à des offres de preuve supplémentaires, en procédant si besoin à une appréciation anticipée de celles-ci, s’il lui apparaît que leur administration ne serait de toute façon pas propre à entamer la conviction qu’elle s’est forgée sur la base de pièces ayant une haute valeur probatoire (cf. ATF 144 II 427 consid. 3.1.3; 131 I 153 consid. 3; arrêts du TAF A–3841/2018 consid. 2.3; A–7254/2017 du 1er juillet 2020 consid. 2.3; MOSER/BEUSCH/KNEUBÜHLER, Prozessieren vor dem Bundesverwaltungsgericht, 2e éd. 2013, n. marg. 3.140 ss, en particulier 3.144).

En outre, la procédure d’administration des preuves doit être menée avec diligence, de manière à éviter des pertes de temps (cf. art. 33 PA; ATF 130 II 473 consid. 2.3). Cela vaut en particulier en matière d’assistance administrative, dont la procédure est expressément régie par le principe de diligence (cf. art. 4 al. 2 LAAF). Ce principe, qui oblige l’AFC − ainsi que les autorités judiciaires − à mener la procédure rapidement (cf. Message du 6 juillet 2011 concernant l’adoption d’une loi sur l’assistance administrative fiscale, FF 2011 5771, 5783 ad art. 4 al. 2; ATF 142 II 218 consid. 2.5), sert en premier lieu les intérêts de la Suisse à un fonctionnement correct de l’assistance administrative vis-à-vis des Etats requérants et non pas ceux des contribuables visés par une demande (cf. ATF 142 II 218 consid. 2.5.1, avec référence à CHARLOTTE SCHODER, Praxiskommentar zum Bundesgesetz über die internationale Amtshilfe in Steuersachen, 2014, n. marg. 43 ad art. 4).

 

Consid. 3.1
En l’espèce, les recourantes ont élu domicile auprès d’un représentant en Suisse autorisé à recevoir des notifications. La décision attaquée, qui indique dans son dispositif ([…]) la forme de sa notification, à savoir par envoi « A Post Plus », a été expédiée en deux exemplaires séparés et adressés à un même destinataire, soit le mandataire professionnel des recourantes. L’étiquette apposée sur chacune des enveloppes ayant contenu un exemplaire de la décision entreprise indique, outre le symbole « A+ » et la mention « A-Post Plus/Courrier A Plus/Posta A Plus », le numéro permettant de suivre électroniquement le cheminement de l’envoi (…). Chacun des envois comprenait par ailleurs un courrier d’accompagnement (…) qui comportait également la référence « A-Post Plus ([…]000009) ».

Selon les extraits de « Suivi des envois » de la Poste (…), la décision attaquée, expédiée le lundi 9 novembre 2020 par courriers A Plus, a été distribuée via case postale le mardi 10 novembre 2020 à 06:20. Ces pièces, en tant qu’indices, permettent au tribunal de céans de retenir, dans le sens d’une présomption, que les envois en question ont été correctement déposés le mardi 10 novembre 2020 dans la case postale de l’étude du mandataire professionnel des recourantes (cf. consid. 2.4 ci-avant). Les critiques que ces dernières formulent dans leur prise de position du 29 décembre 2020 ([…]), ayant en substance trait à l’insécurité juridique qui découlerait de l’envoi par courrier A Plus, ne sauraient être retenues, au risque de procéder à un contrôle purement abstrait qui ne serait pas compatible avec la présomption posée. Comme exposé ci-dessus, la forme de notification d’une décision par envoi A Plus a été validée, aussi dans le présent domaine, par les juridictions fédérales. Le représentant des recourantes, en tant que mandataire professionnel qualifié, ne pouvait ignorer la jurisprudence déjà bien établie en la matière (cf. en ce sens arrêt du TF 2C_882/2019 du 31 octobre 2019 consid. 4.1 et réf. cit.). De surcroît, la conduite de leur représentant peut être attribuée aux recourantes (cf. parmi d’autres arrêts du TF 2C_463/2019 consid. 3.2.4; 2C_855/2015 du 1er octobre 2015 consid. 2.2).

Il apparaît ainsi que l’échéance du délai de recours pouvait être définie en se fondant sur le numéro de l’envoi permettant de suivre électroniquement le cheminement − identique − de chacun des deux courriers. En cas de doute quant à la date de la notification, le mandataire des recourantes pouvait − et aurait dû − l’indiquer dans son recours. Tel n’a toutefois pas été le cas, celui-ci n’ayant signalé aucun problème à cet égard dans son mémoire du 11 décembre 2020. Il en découle que la vérification par le biais du suivi électronique du courrier acheminé par la Poste n’a − a priori − pas été effectuée par le mandataire des recourantes.

Consid. 3.2
Dans leur prise de position du 29 décembre 2020, les recourantes font au surplus valoir, par le biais de leur mandataire, que les envois litigieux n’auraient été distribués qu’en date du 11 novembre 2020. Ce dernier produit à cet égard les déclarations écrites (établies le 24 décembre 2020) du livreur (« fattorino ») de l’étude (…), selon lesquelles lesdits envois ne se trouvaient pas dans la case postale lorsque le contenu de celle-ci a été retiré, le mardi 10 novembre 2020 à 07:30, mais qu’en revanche, ils s’y trouvaient le lendemain. Il produit également le courrier électronique que son assistante (…) lui a adressé − ainsi qu’à d’autres membres de l’étude − le mercredi 11 novembre à 09:13, notamment afin de confirmer la réception des envois en cause, ainsi que les déclarations écrites de celle-ci, également datées du 24 décembre 2020, confirmant que les envois contenant la décision attaquée n’ont pas été réceptionnés plus tôt.

Ces moyens ne suffisent toutefois pas à renverser la présomption que les envois en cause ont été correctement déposés le mardi 10 novembre 2020 dans la boîte postale de l’étude du mandataire des recourantes. En tant que les pièces en question, dont les recourantes entendent déduire un droit, émanent d’employés de cette étude, il convient d’abord d’en relativiser la valeur probatoire. En outre, si la bonne foi des recourantes − et de leur mandataire − est certes présumée, ces moyens ne sont en tout état de cause pas propres à faire naître un doute suffisant concernant la régularité de la distribution des envois litigieux et l’exactitude des justificatifs y relatifs du système de « Suivi des envois » de la Poste, et donc d’un éventuel dysfonctionnement du système postal dans le cadre de la remise du courrier le 10 novembre 2020. En effet, un dysfonctionnement au sein de l’étude ne peut pas non plus être exclu.

Le mandataire disposait par ailleurs des moyens techniques lui permettant de vérifier avec certitude le jour de la notification des courriers et de définir l’échéance du délai de recours. A défaut d’avoir opéré un tel contrôle, c’est seulement suite à l’ordonnance du Tribunal du 21 décembre 2020 que les recourantes ont fait valoir une erreur de la Poste. En considération de la pratique jurisprudentielle à l’égard du courrier A Plus (cf. consid. 2.4 ci-avant), que le mandataire des recourantes devait connaître, il y a lieu de retenir que ce dernier a lui-même commis une négligence en ne vérifiant pas la date de notification par le biais du suivi électronique du courrier acheminé par la Poste. L’on observera au surplus qu’il n’apparait pas que les recourantes, via leur mandataire, aient par la suite sollicité des explications de la Poste au sujet de la prétendue distribution irrégulière des envois en cause, ce qui aurait pourtant apparu logique dans un tel contexte et, surtout, utile à démontrer une éventuelle erreur. Aussi, il s’agit dans ces conditions de retenir que l’existence d’un dysfonctionnement du service postal n’est pas établie avec suffisamment de vraisemblance.

Dans la mesure où l’occasion a été donnée aux recourantes, qui sont représentées par un mandataire professionnel, de se déterminer sur la recevabilité de leur recours et de produire des moyens de preuve à cet égard et compte tenu en outre du principe de diligence qui régit la présente procédure d’assistance administrative (cf. consid. 2.5 ci-avant), il n’y a par ailleurs pas lieu d’inviter celles-ci à fournir des preuves supplémentaires, pas plus qu’il ne se justifie de procéder à d’autres mesures d’instruction, tendant par exemple à vérifier auprès de la Poste Suisse la possibilité qu’une erreur soit survenue lors la distribution des courriers A Plus en question.

Il s’agit dès lors de considérer que la décision a été notifiée à chacune des recourantes le mardi 10 novembre 2020, de sorte que le délai de recours a commencé à courir le mercredi 11 novembre 2020 et est échu le jeudi 10 décembre 2020. Partant, et dans la mesure où les recourantes ne font au surplus valoir aucun motif de restitution du délai au sens de l’art. 24 al. 1 PA, le recours du 11 décembre 2020 apparait tardif et doit donc être déclaré irrecevable, dans une procédure à juge unique (art. 23 al. 1 let. b LTAF).

 

 

ATAF 2021 I/1 consultable ici

 

 

 

Cour de justice de l’Union européenne – Arrêt du 19.05.2022 dans l’affaire C-33/21 INAIL et INPS – Soumission à la législation de sécurité sociale italienne du personnel naviguant d’une entreprise irlandaise / Certificat E101 / Règl. no 1408/71 – Règl. no 883/2004

Cour de justice de l’Union européenne – Arrêt du 19.05.2022 dans l’affaire C-33/21 INAIL et INPS

 

Arrêt de la CJUE consultable ici

Communiqué de presse du 19.05.2022 consultable ici

 

Soumission à la législation de sécurité sociale italienne du personnel naviguant d’une entreprise irlandaise / Règl. no 1408/71 – Règl. no 883/2004

Certificat E101 / Partie substantielle des activités est exercée dans un État membre

 

Le personnel navigant de Ryanair non couvert par des certificats E101 qui travaille 45 minutes par jour dans le local de cette compagnie aérienne destiné à accueillir l’équipage à l’aéroport de Bergame et qui, pour le temps de travail restant, se trouve à bord des aéronefs de ladite compagnie aérienne est soumis à la législation de sécurité sociale italienne.

 

À la suite d’une inspection, l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) a considéré que les 219 employés de Ryanair, affectés à l’aéroport d’Orio al Serio à Bergame (Italie), exerçaient une activité salariée sur le territoire italien et devaient, en application du droit italien et du règlement no 1408/71, être assurés auprès de l’INPS pour la période comprise entre le mois de juin 2006 et le mois de février 2010.

L’Istituto nazionale per l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (INAIL) a également considéré que, en vertu du droit italien, les mêmes employés devaient, pour la période allant du 25 janvier 2008 au 25 janvier 2013, être assurés auprès de l’INAIL pour les risques liés au travail non aérien dès lors qu’ils étaient, selon cet organisme, rattachés à la base d’affectation de Ryanair située dans l’aéroport d’Orio al Serio.

L’INPS et l’INAIL ont, dès lors, réclamé à Ryanair le paiement des cotisations de sécurité sociale et des primes d’assurance afférentes à ces périodes, ce que cette dernière a contesté devant les juridictions italiennes.

La juridiction italienne d’appel a examiné les certificats E101, délivrés par l’institution irlandaise compétente, attestant que la législation de sécurité sociale irlandaise était applicable aux employés qui y étaient visés. Ces certificats ne couvraient cependant pas l’ensemble des 219 employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio durant l’intégralité des périodes concernées. Elle en a conclu que, concernant les employés pour lesquels l’existence d’un certificat E101 n’était pas avérée, il convenait de déterminer la législation de sécurité sociale applicable. Cette juridiction ayant estimé que la législation de sécurité sociale italienne n’était pas applicable, l’INPS et l’INAIL se sont pourvus en cassation devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie).

Cette juridiction a posé à la Cour une question visant à savoir quelle est, conformément aux dispositions pertinentes du règlement n° 1408/71 et du règlement n° 883/2004, la législation de sécurité sociale applicable au personnel navigant d’une compagnie aérienne, établie dans un État membre, qui n’est pas couvert par des certificats E101 et qui travaille pendant 45 minutes par jour dans un local destiné à accueillir l’équipage, dénommé «crew room», dont ladite compagnie aérienne dispose sur le territoire d’un autre État membre dans lequel le personnel navigant réside, et qui, pour le temps de travail restant, se trouve à bord des aéronefs de cette compagnie aérienne.

Par son arrêt de ce jour, la Cour juge que la législation de sécurité sociale applicable, pendant les périodes concernées, aux employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio non couverts par les certificats E101 est, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, la législation italienne.

En ce qui concerne, d’abord, les périodes relevant du règlement n° 1408/71, la Cour rappelle le principe selon lequel une personne faisant partie du personnel navigant d’une compagnie aérienne effectuant des vols internationaux et occupée par une succursale ou une représentation permanente que cette compagnie possède sur le territoire d’un État membre autre que celui où elle a son siège est soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel cette succursale ou cette représentation permanente se trouve [art. 14, paragraphe 2, sous a), i), du règlement n° 1408/71].

L’application de cette disposition exige que soient remplies deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, que la compagnie aérienne concernée dispose d’une succursale ou d’une représentation permanente dans un État membre autre que celui où elle a son siège et, d’autre part, que la personne en cause soit occupée par cette entité.

Pour ce qui est de la première condition, la Cour relève que les notions de « succursale » et de « représentation permanente » doivent s’entendre comme visant une forme d’établissement secondaire présentant un caractère de stabilité et de continuité en vue d’exercer une activité économique effective et disposant, à cette fin, de moyens matériels et humains organisés ainsi que d’une certaine autonomie par rapport à l’établissement principal. Quant à la seconde condition, la Cour a souligné que la relation de travail du personnel navigant d’une compagnie aérienne présente un rattachement significatif avec le lieu à partir duquel ce personnel s’acquitte principalement de ses obligations à l’égard de son employeur.

Ainsi, la Cour considère que le local destiné à accueillir l’équipage de Ryanair («crew room»), situé à l’aéroport d’Orio al Serio, constitue une succursale ou une représentation permanente dans laquelle les employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio non couverts par les certificats E101 étaient occupés durant les périodes concernées, de sorte que ces derniers sont, en vertu du règlement n° 1408/71, soumis à la législation de sécurité sociale italienne.

En ce qui concerne, ensuite, les périodes relevant du règlement n° 883/2004, la Cour rappelle le principe selon lequel la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation de l’État membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre [art. 13, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 883/2004].

La Cour précise que, pour déterminer si une partie substantielle des activités est exercée dans un État membre, il faut tenir compte, dans le cas d’une activité salariée, du temps de travail et/ou de la rémunération et que tel n’est pas le cas si moins de 25 % de ces critères sont réunis.

Partant, la Cour estime que si, pendant les périodes concernées, les employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio non couverts par les certificats E101 ont exercé une partie substantielle de leur activité en Italie, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, la législation de sécurité sociale italienne s’applique.

Enfin, la Cour rappelle que, depuis 2012 [art. 11, paragraphe 5, du règlement n° 883/2004], le règlement n° 883/2004 prévoit une nouvelle règle selon laquelle l’activité d’un membre de l’équipage de conduite ou de l’équipage de cabine assurant des services de transport de voyageurs est considérée comme étant une activité menée dans l’État membre dans lequel se trouve la base d’affectation, qui est le lieu désigné par l’exploitant pour le membre d’équipage, où celui-ci commence et termine normalement un temps de service ou une série de temps de service et où, dans des circonstances normales, l’exploitant n’est pas tenu de loger ce membre d’équipage.

Dès lors, la Cour considère que le local destiné à accueillir l’équipage de Ryanair situé à l’aéroport d’Orio al Serio constitue une base d’affectation de sorte que les employés de Ryanair non couverts par les certificats E101 y étant affectés sont soumis, en vertu du règlement n° 883/2004, à la législation de sécurité sociale italienne.

 

 

Arrêt de la CJUE consultable ici

Communiqué de presse du 19.05.2022 consultable ici

 

 

Recommandation pour le bilan de médecine d’assurance d’une affection post-COVID-19 en Suisse

Recommandation pour le bilan de médecine d’assurance d’une affection post-COVID-19 en Suisse

 

Consultable ici

 

Avant-propos:

La pandémie de COVID-19 a causé 420 millions de cas enregistrés à la fin février 2022, dont 2,8 millions officiellement en Suisse. Néanmoins, au moins deux fois plus de personnes ont été infectées, comme le montrent les études de prévalence Corona Immunitas. Les répercussions épidémiologiques et sociales de la pandémie ont été et restent encore considérables. Toute action médicale repose sur un dialogue fondé entre scientifiques, décideurs et grand public et vise par conséquent la meilleure solution possible en termes de protection, de traitement, de réadaptation et de réintégration de chaque individu. Outre l’évolution aiguë de la maladie, les médecins sont confrontés à une persistance prolongée des symptômes chez certains patients, appelée couramment «COVID long». Les assurances et, après elles, les tribunaux doivent prendre des décisions sur les droits à prestations. La médecine d’assurance a pour mission de fournir les bases nécessaires à cette fin.

Le présent avis, formulé à la demande de la SIM par une commission ad hoc composée d’experts de différentes disciplines, veut contribuer à l’élaboration d’une démarche commune harmonisée visant à constituer une base de décision aussi objective que possible, dans la perspective des demandes de prestations auxquelles les assurances seront confrontées dans un proche avenir. En conséquence, les données probantes actuellement disponibles sont exposées ici et des recommandations pour la pratique de la médecine d’assurance en sont tirées.

Cette démarche poursuit les buts suivants:

  • Faire comprendre les causes possibles de la maladie, sa fréquence, ses symptômes et la durée de la convalescence après une affection post-COVID-19 aux parties prenantes de la médecine d’assurance: employeurs, assureurs, tribunaux, personnes affectées et experts.
  • Développer et harmoniser un dépistage et un accompagnement adaptés aux besoins, dans le but d’optimiser la coordination des parcours de traitement et de réadaptation et des mesures de réintégration.
  • Formuler des recommandations pour une unité de doctrine et, de ce fait, pour l’égalité des droits dans l’évaluation des répercussions de l’affection post-COVID-19 sur la capacité de travail.

Cette recommandation est axée sur l’évaluation de l’impact de l’affection post-COVID-19 sur la capacité de travail ou de formation professionnelle. Elle ne s’intéresse que marginalement aux mesures médicales cliniques de réadaptation.

 

Concept, définition:

Le COVID-19 est une maladie infectieuse aiguë, dont les complications déterminent l’évolution à long terme. Les formes compliquées sont très diverses et résumées, entre autres, sous les appellations de «COVID long», «syndrome post-COVID aigu» ou «syndrome post-COVID».

En plus des symptômes qui apparaissent immédiatement après l’infection et durent jusqu’à 4 semaines («infection aiguë») et ceux qui persistent au-delà de cette durée ou apparaissent après l’infection et durent plus de quatre semaines («COVID long»), l’OMS a publié le 6 octobre 2021 une définition de consensus et une dénomination pour les symptômes qui persistent encore plus longtemps.

Définition: Une affection post-COVID-19 survient après une infection très probable4 ou avérée par le SARS-CoV-2, généralement trois mois après que le COVID-19 s’est déclaré; ses symptômes durent au moins deux mois et ne peuvent pas être expliqués par un autre diagnostic. Les symptômes fréquents comprennent fatigue, essoufflement, troubles cognitifs, mais aussi d’autres problèmes qui retentissent sur la vie quotidienne. Ils peuvent réapparaître après la guérison d’un COVID-19 aigu ou perdurer au-delà de la durée de la maladie initiale. Ils peuvent être fluctuants ou récurrents. Il n’y a pas de symptômes minimums requis pour établir le diagnostic. Une démarche diagnostique particulière peut être nécessaire pour les enfants.

Recommandation d’utiliser, comme concept unifié en médecine d’assurance, la définition et la dénomination «affection post-COVID-19» de l’OMS lorsque les symptômes persistent plus de 12 semaines après l’infection.

 

Recommandations de base pour la médecine d’assurance:

  • Démarche et organisation

Afin de faire progresser les connaissances et l’harmonisation de la gestion par la médecine d’assurance des répercussions d’une affection post-COVID-19 sur la capacité de travail, nous recommandons une démarche harmonisée en deux temps:

Démarche en deux temps:

  • Recensement unifié des personnes potentiellement touchées par une affection post-COVID-19 dans toute la Suisse, au moyen d’un outil de dépistage «EPOCA».
  • Application d’un algorithme harmonisé pour l’expertise de médecine d’assurance.

 

Dans le contexte de l’expertise, il semble utile d’adopter une structure qui différencie les symptômes aigus, c’est-à-dire directement liés à l’infection, et les lésions indirectes des organes médiées par l’infection, ainsi que les affections qui en découlent. Enfin, les exacerbations de pathologies préexistantes induites par le COVID-19 doivent être prises en compte. Un diagnostic différentiel méticuleux est indispensable pour exclure d’autres causes d’affection post-COVID-19. Les cas de symptômes neurocognitifs et de symptômes d’épuisement général constituent la plus grande difficulté dans l’expertise de médecine d’assurance et pour l’appréciation des restrictions fonctionnelles. Il n’est pas rare que seul ce groupe soit inclus dans les définitions du «COVID long», quoique la diversité des symptômes et les lourdes séquelles potentielles du COVID-19 au niveau de tous les organes justifient une définition plus large, analogue à celle de l’OMS.

 

  • Confirmation du diagnostic de COVID-19

Le diagnostic d’affection post-COVID-19 suppose, pour commencer, que l’infection par le SARS-CoV-2 soit confirmée, or le test de confirmation positif n’est pas disponible dans tous les cas d’affection aiguë. La confirmation nécessite une analyse sérologique (anticorps visant la protéine Spike et celle de la nucléocapside). Avec les vaccins récents, les anticorps visant la nucléoprotéine ne peuvent être présents qu’après une infection naturelle. La concentration de ces anticorps diminue cependant relativement vite, de sorte qu’ils ne sont plus décelables de façon fiable au-delà de trois mois après l’infection. Quant à la sérologie de la protéine Spike, son résultat positif doit être confronté à l’anamnèse clinique (affection aiguë avec les symptômes correspondants, pendant la période de pandémie) en raison de la possibilité de «réactions croisées» avec les vaccins. Les réactions croisées avec d’autres antigènes sont extrêmement rares et négligeables. En conséquence, une réaction des anticorps visant la protéine Spike signe soit une infection ancienne, soit une vaccination, soit les deux. Cela dit, environ 10% des patients ne développent jamais d’anticorps mesurables contre les protéines du SARS-CoV-2 ou les perdent avec le temps après la phase aiguë de la maladie. Ce problème de diagnostic ne se pose cependant qu’après les formes légères de COVID-19.

[…]

 

Enregistrement unifié des symptômes et particularités liés au COVID-19: EPOCA

Un questionnaire sur l’affection post-COVID-19 (EPOCA = Erfassungsbogen für Post-Covid Assessment) a été élaboré pour servir d’aide à la documentation, relever et décrire les sujets souffrant potentiellement d’une affection post-COVID-19 et uniformiser la démarche diagnostique. Cet outil de dépistage est destiné à être utilisé par les prestataires de soins primaires, les consultations spécialisées, les unités de réadaptation, etc. pendant toute l’évolution au long cours d’une affection post-COVID-19, afin de consigner de façon harmonisée les symptômes à bas bruit, les interventions thérapeutiques ainsi que le décours de la maladie, et de jeter ainsi les bases des mesures de réadaptation professionnelle ou scolaire.

Le questionnaire EPOCA comprend différentes parties pour l’autoévaluation et l’évaluation par autrui et prend en compte les variables sociodémographiques, les facteurs de risque et les symptômes cliniques, mais aussi des aspects liés au travail, à l’assurance et à la qualité de vie. Il offre ainsi une aide à l’organisation et à la décision pour l’appréciation globale des circonstances individuelles de chaque cas. Il comprend des questionnaires détaillés et cliniquement fondés et des questions supplémentaires adaptées à la situation.

Le questionnaire EPOCA en annexe fait partie intégrante des présentes recommandations. Les assureurs apprécient que le questionnaire EPOCA soit utilisé comme moyen de communication structuré et travaillent à créer les conditions d’une rémunération pour son utilisation dans les soins primaires.

Dans le cadre d’une éventuelle expertise ultérieure en médecine d’assurance, le questionnaire aide à circonscrire le relevé des symptômes et des facteurs de risque et ainsi à faire intervenir d’autres spécialités et à décider de la qualification du tableau clinique.

 

Réadaptation et mesures professionnelles

Bien que la rémission des symptômes survienne souvent dans les 12 semaines suivant l’infection, les formes prolongées (avec ou sans séjour en soins intensifs) entraînant une nette diminution de la capacité de travail et de la capacité fonctionnelle au quotidien peuvent nécessiter une réadaptation multidisciplinaire ambulatoire ou à l’hôpital.

Les sociétés professionnelles et les autorités de santé en Suisse (Funke-Chambour, Bridevaux et al. 2021, Chmiel 2022), en Allemagne (Koczulla and Ankermann 2021), au Royaume-Uni (NICE 2022) et au Canada (Alberta-Health-Services 2022) recommandent une approche multidisciplinaire structurée pour la réadaptation des patients présentant une affection post-COVID-19.

Une réadaptation complète inclut les mesures suivantes:

  • information et explication
  • mesures de réadaptation physique et mentale (y compris rééducation respiratoire)
  • aide au soin de soi, p. ex. apprentissage de stratégies pour gérer la fatigue, les autres symptômes et les rechutes
  • implication de l’entourage privé et professionnel
  • actions sur le lieu de travail, p. ex. contact régulier avec l’employeur, changement d’affectation
  • coordination des mesures, p. ex. par l’intermédiaire d’un gestionnaire de cas, et implication des agents payeurs.

 

Les mesures de réadaptation préconisées dans les recommandations britanniques NICE sont récapitulées en annexe pour information (annexe 1 (NICE 2022)). Elles se fondent sur un examen succinct («rapid review») des études parues dans des revues à comité de lecture et sur le consensus d’experts. Il n’y a pas, à ce jour, de résultats au long cours de mesures de réadaptation fournis par des études contrôlées randomisées. On peut citer comme exemple le parcours de réadaptation des patients atteints d’une affection post-COVID-19 de la province d’Alberta, au Canada. Ce programme s’appuie surtout sur un contact régulier des gestionnaires de cas avec les patients et leurs employeurs et sur un programme d’exercices à domicile clairement structuré (p. ex. exercices respiratoires quotidiens). Le paramètre d’évaluation principal est la réussite de la réintégration professionnelle (annexe 2 (Alberta-Health-Services 2022)).

De nombreuses questions de recherche concernant la réadaptation et la réintégration professionnelle des patient·e·s atteint·e·s d’une affection post-COVID-19 restent à élucider, par exemple sur l’efficacité des différentes mesures de réadaptation, les facteurs prédictifs d’une évolution prolongée ou le meilleur moment pour passer des soins médicaux aux mesures de réintégration professionnelle.

Dès maintenant, les médecins de famille et autres spécialistes des soins primaires ont une fonction importante dans la pratique et leurs possibilités d’action pourraient avoir un effet crucial sur la capacité de travail des personnes affectées, comme dans d’autres maladies chroniques. Une large utilisation du questionnaire EPOCA en Suisse faciliterait un bon dépistage et une orientation précoce et bien ciblée. La coordination avec les mesures professionnelles est tout aussi cruciale ; elle peut être encouragée par les assureurs en indemnités journalières maladie, par exemple au moyen d’essais de reprise du travail, mais aussi et en particulier par l’AI, dans le cadre de mesures de réadaptation ou de mesures professionnelles, d’essais de reprise du travail, de mesures de placement professionnel, etc. Comme il n’existe pas de délais d’attente pour ces mesures, une annonce précoce à l’AI et une coordination avec les mesures de l’assurance invalidité sont recommandées.

 

Expertise en médecine d’assurance

  • Moment de l’expertise en médecine d’assurance

En cas de persistance des symptômes, nous recommandons de procéder à une première expertise en médecine d’assurance, afin de confirmer le diagnostic et d’orienter la réintégration lorsque les symptômes persistent tout en tenant compte des guérisons spontanées, six mois après le début de l’infection aiguë.

Pour les formes graves documentées (soins intensifs/intubation) dont la rémission (partielle) se maintient à l’examen clinique, il est conseillé d’allonger la période de surveillance primaire et de n’engager l’expertise qu’après 12 mois.

  • Approche interdisciplinaire de l’expertise en médecine d’assurance

Vu la priorité qui sera probablement donnée aux symptômes fonctionnels retentissant sur la capacité de travail, nous conseillons un bilan interdisciplinaire, adossé au questionnaire EPOCA et composé d’une expertise de base et d’un éventuel bilan complémentaire pour les différents symptômes (organes affectés) spécifiques.

 

  • Expertise de base polydisciplinaire

Si les symptômes persistent pendant plus de 6 mois (ou 12 mois pour la convalescence après une forme grave), nous préconisons une expertise de base en médecine interne/infectiologie et en neurologie/neuropsychologie.

 

 

 

Recommandation pour le bilan de médecine d’assurance d’une affection post-COVID-19 en Suisse consultable ici

Raccomandazioni per l’accertamento di medicina assicurativa in Svizzera per la condizione post-COVID-19disponibili qui

Empfehlungen für die versicherungsmedizinische Abklärung in der Schweiz bei Post-Covid-19-Erkrankung hier verfügbar

 

 

 

Arrêt de la CrEDH – Affaire De Kok c. Pays-Bas (requête no 1443/19) du 19.05.2022 – La Cour européenne des droits de l’Homme rejette une affaire d’assurance maladie obligatoire

Arrêt de la CrEDH – Affaire De Kok c. Pays-Bas (requête no 1443/19) du 19.05.2022

 

Consultable ici (en anglais)

Communié de presse du 19.05.2022 (en français) consultable ici

 

La Cour européenne des droits de l’Homme rejette une affaire d’assurance maladie obligatoire

 

Dans sa décision rendue dans l’affaire De Kok c. Pays-Bas (requête no 1443/19), la Cour européenne des droits de l’homme déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable. Cette décision est définitive.

Le requérant se plaignait d’une obligation de souscrire une assurance maladie de base aux Pays-Bas et des conséquences du non-respect par lui de cette obligation.

La Cour ne se prononce pas sur l’applicabilité de l’article 8. À supposer qu’il y ait eu une ingérence sur le terrain de cette disposition, elle conclut que l’État dispose de motifs légitimes lui permettant d’obliger les citoyens à souscrire une assurance maladie en vertu de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété) à la Convention européenne. Elle rejette en outre les griefs fondés sur les articles 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) et 6 (droit à un procès équitable).

 

Principaux faits

Le requérant, Cedric Anakha De Kok, est un ressortissant néerlandais né en 1995 et résidant à Rotterdam (Pays-Bas).

Aux Pays-Bas, il est obligatoire de souscrire au moins une assurance maladie de base (basispakket), qui prend en charge, entre autres, les consultations des médecins généralistes et spécialistes, l’hospitalisation et les médicaments conventionnels. Il est également possible de souscrire une assurance maladie complémentaire (anvullende ziektekostenverzekering), qui peut couvrir, par exemple, les traitements homéopathiques.

La solidarité et la volonté de partager la charge constituent la principale justification du caractère obligatoire de cette assurance. Cette obligation est prévue par la loi et son non-respect est sanctionné par l’imposition d’amendes et par la souscription d’office d’une assurance maladie au nom des personnes qui refusent de s’y conformer.

En 2015, M. De Kok, qui ne disposait pas de l’assurance maladie de base, se vit infliger une amende par l’Institut national de la santé (Zorginstituut Nederland). Il la contesta, mais l’Institut rejeta son objection, invoquant le principe de solidarité. Cet organisme souligna qu’au lieu de souscrire une assurance maladie, les personnes qui alléguaient une objection de conscience à toute forme d’assurance pouvaient s’acquitter d’un impôt supplémentaire, et il nota que tel n’était pas le cas de M. De Kok. Une seconde amende suivit en 2016.

Par la suite, l’Institut national de la santé contracta pour le compte de M. De Kok une assurance maladie de base dont le coût, à régler par l’intéressé, s’élevait à 122,33 euros par mois.

Le requérant saisit les tribunaux, mais le tribunal d’arrondissement de Zélande-Brabant occidental rejeta son recours. Il considéra que l’obligation de souscrire une assurance maladie ne méconnaissait pas les droits de M. De Kok tels que découlant de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 ni, le cas échéant, de l’article 9 de la Convention. La Commission centrale de recours confirma ce jugement.

 

Griefs, procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 10 décembre 2018.

Invoquant, en particulier, les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) ainsi que l’article 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété), M. De Kok se plaignait d’une obligation de souscrire une assurance maladie, déclarant qu’il préférerait ne payer que pour les remèdes homéopathiques plutôt que de supporter une part de la charge collective des traitements médicaux conventionnels couverts par l’assurance de base. Il disait avoir été contraint de souscrire une assurance maladie de base qui allait à l’encontre de ses convictions, et il alléguait que la clause dérogatoire était réservée aux personnes qui faisaient valoir une objection de conscience à toute forme d’assurance, ce qui n’était pas son cas. Il assurait également que cette obligation avait porté atteinte à son droit d’utiliser son argent comme bon lui semblait.

Sous l’angle de l’article 6, le requérant se plaignait d’un manque d’impartialité des tribunaux, en particulier de leur refus allégué d’examiner ses arguments concernant le secteur médical dans son ensemble.

La décision a été rendue par un comité de trois juges.

 

Décision de la Cour

La Cour relève que l’objet des griefs du requérant – en particulier l’amende et l’assurance maladie souscrite d’office pour lui – est lié plus largement à l’obligation de souscrire une assurance maladie.

 

Article 8 CEDH

La Cour considère que, pour autant que l’article 8 trouve à s’appliquer – et partant ainsi du principe qu’il faut supposer que tant l’obligation pour le requérant de souscrire une assurance maladie de base que la souscription d’office de ce type d’assurance pour son compte s’analysent en une ingérence dans l’exercice par lui de son droit au respect de la vie privée – la décision en question était fondée en droit et visait le but légitime de garantir un accès à des services médicaux adéquats et d’empêcher que certaines personnes ne fussent dépourvues d’un dispositif d’assurance, de manière à veiller à la protection de la santé et des droits d’autrui.

La Cour estime que cette obligation constitue la réponse des Pays-Bas au besoin social impérieux d’offrir des soins de santé d’un coût abordable grâce à la solidarité collective, et elle note la grande latitude (« marge d’appréciation ») dont disposent les États dans ce domaine.

Elle relève que M. De Kok n’a été ni privé de soins ni contraint de suivre un traitement et qu’il aurait pu opter pour une assurance maladie complémentaire couvrant les remèdes homéopathiques.

En résumé, la Cour rejette ce grief pour défaut manifeste de fondement.

 

Article 9 CEDH

M. De Kok exprimait sa méfiance à l’égard de la médecine conventionnelle et ne souhaitait pas contribuer à ce système par le biais de primes d’assurance. La Cour rejette ce grief au motif qu’il n’a pas atteint le niveau de force, de sérieux, de cohérence et d’importance requis pour entrer dans le champ de l’article 9.

 

Article 1 du Protocole no 1

La Cour déclare que l’obligation de souscrire une assurance maladie constitue une ingérence dans l’exercice par M. De Kok du droit au respect de ses biens. Cependant, cette obligation était prévue par la loi et poursuivait les buts légitimes qui découlent de l’article 8. La Cour considère que, compte tenu du principe de solidarité, du coût de la prime de l’assurance maladie en question, de la possibilité de souscrire une assurance maladie complémentaire couvrant l’homéopathie et de l’existence d’une aide financière (zorgtoeslag) pouvant être sollicitée par les personnes à revenu modeste, cette ingérence était proportionnée au but légitime poursuivi. Par conséquent, elle rejette ce grief pour défaut manifeste de fondement.

 

Autres articles

Faute de preuves de l’existence d’une violation, la Cour rejette également le grief fondé sur l’article 6.

 

 

Consultable ici (en anglais)

Communié de presse du 19.05.2022 (en français) consultable ici