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8C_661/2018 (f) du 28.10.2019 – Revenu sans invalidité d’un salarié et unique associé gérant de sa Sàrl (café-restaurant) / Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement – Pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal – Critère de l’âge en assurance-accidents (question laissée encore ouverte)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_661/2018 (f) du 28.10.2019

 

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Rente d’invalidité / 16 LPGA

Revenu sans invalidité d’un salarié et unique associé gérant de sa Sàrl (café-restaurant)

Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement – Pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal – Critère de l’âge en assurance-accidents (question laissée encore ouverte)

Abattement 5% en raison des limitations fonctionnelles (pas de gros efforts, port occasionnel de charges de maximum 8 kg, pas de montée/ descente d’escaliers, pas de travaux s’effectuant au-dessus du plan des épaules)

 

Assuré, né en 1959, a suivi une école hôtelière à l’étranger. Arrivé en Suisse dans les années 1980, il a travaillé dans différents restaurants avant de fonder le 30.08.2013 sa propre société, B.__ Sàrl, dont il était salarié et unique associé gérant, en vue d’exploiter le café-restaurant C.__.

Le 12.08.2014, l’assuré a fait une chute à scooter. Il a subi une intervention pour une fracture multifragmentaire de l’humérus proximal gauche et une rupture complète du tendon patellaire gauche. Une IRM de l’épaule droite a révélé une rupture quasi complète des tendons des sus- et sous-épineux, une bursite sous-acromiale-deltoïdienne modérée ainsi que des atteintes dégénératives de l’articulation acromio-claviculaire. En incapacité de travail totale depuis l’accident, l’assuré a repris son activité à 30% le 02.03.2015. Il n’a jamais pu augmenter ce taux, ce qui l’a conduit par la suite à remettre l’exploitation du restaurant à un tiers.

Dans le cadre de la demande AI déposée le 03.02.2015, l’office AI a procédé à une enquête économique. Selon le rapport y relatif, le restaurant, situé au centre du village, fonctionnait assez bien et offrait une ouverture hebdomadaire de 80 heures ; avant l’accident, la Sàrl employait en sus de l’assuré quatre autres personnes dont une serveuse à 70% ; depuis lors, il y avait eu une baisse de fréquentation et le chiffre d’affaires avait diminué, ce qui avait obligé l’assuré à diminuer également son personnel. L’assuré se versait un salaire mensuel brut de 4’500 fr. treize fois l’an (58’500 fr.). Un bénéfice de 48’640 fr. ressortait des comptes d’exploitation de la société pour la période allant de septembre 2013 à décembre 2014. D’après la comparaison des champs d’activité, l’assuré présentait une incapacité de travail de 46,88%. L’office AI a alloué à l’assuré un quart de rente depuis le 01.08.2015. Cette décision a été confirmée le 27.08.2018 par le tribunal cantonal.

L’assurance-accidents a mis en œuvre une expertise confiée à un spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. S’agissant de la capacité de travail, l’assuré était limité pour assumer les gros efforts, porter des charges, monter et descendre des escaliers et des échelles ainsi que pour les travaux s’effectuant au-dessus du plan des épaules. Dans une profession de gérant d’un hôtel et d’un restaurant consistant essentiellement en un travail administratif, de gestion des stocks, à l’ordinateur, de surveillance et de contrôle, l’assuré pourrait travailler à 100%. Il pouvait occasionnellement effectuer des efforts et soulever des charges de moins de 8 kg.

L’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, motif pris que le taux d’invalidité (1%) était insuffisant pour ouvrir le droit à une telle prestation.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a déterminé le revenu sans invalidité en se fondant sur les attestations de salaires transmises par la caisse de compensation (ci-après : la caisse). Elle a retenu que le salaire annuel de l’assuré pour son activité de gérant du café-restaurant C.__ s’élevait à 58’500 fr. (4’500 fr. par mois versé 13 fois l’an) et a admis qu’il aurait été maintenu tel quel en 2016, moment de la naissance du droit à la rente, dès lors que le restaurant était en début d’exploitation. A ce salaire de base, la cour cantonale a estimé qu’il fallait ajouter le bénéfice du restaurant qui, selon elle, était entièrement attribuable à l’assuré. Elle a constaté que l’extrait du compte individuel AVS de l’intéressé indiquait un montant de 33’434 fr. en 2014 et a considéré que ce montant représentait le bénéfice que celui-ci s’était versé. Cependant, les comptes d’exploitation de la Sàrl recueillis dans le cadre de la procédure AI mentionnaient un résultat de 48’640 fr. pour la période allant de septembre 2013 à décembre 2014 (16 mois), soit un bénéfice moyen de 36’480 fr. rapporté à une année (48’640 fr. x 12/16). Toujours selon la cour cantonale, c’était ce dernier montant qui devait être pris en compte dans la mesure où « un tel bénéfice pouvait raisonnablement être envisagé pour 2016 ». Le revenu sans invalidité de l’assuré se montait donc à 94’980 fr. (58’500 fr. + 36’480 fr.).

Pour ce qui est du revenu d’invalide, la cour cantonale s’est référée aux ESS 2012, en prenant pour base le salaire que peuvent prétendre des hommes dans des tâches physiques ou manuelles simples (niveau de compétence 1) dans le secteur privé. Après adaptation à l’évolution des salaires et à la durée normale du travail dans les entreprises en 2016, il en résultait un montant annuel de 66’954 fr. 40 en 2016. En outre, la cour cantonale n’a pas confirmé le taux d’abattement de 5% retenu par l’assurance-accidents pour tenir compte du handicap de l’assuré mais l’a fixé à 15% « en raison des limitations physiques et de la situation personnelle » de ce dernier. Le revenu d’invalide s’établissait ainsi à 56’911 fr. 20.

Par jugement du 27.08.2018, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision sur opposition octroi d’une rente d’invalidité fondée sur un taux de 40% ainsi que d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 35%

 

TF

Revenu sans invalidité

Pour déterminer le revenu sans invalidité, il faut établir ce que l’assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s’il n’était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Tant pour les personnes salariées que pour celles de condition indépendante, on peut se référer aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) (arrêt 8C_9/2009 du 10 novembre 2009, in SVR 2010 IV n° 26 p. 79; arrêt 9C_771/2017 du 29 mai 2018 consid. 3.6). En effet, l’art. 25 al. 1 RAI établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité ; le parallèle n’a toutefois pas valeur absolue (arrêt 8C_748/2008 du 10 juin 2009 consid. 5.2.1). Cette réglementation est applicable par analogie dans le domaine de l’assurance-accidents, dès lors que la notion d’invalidité y est la même que dans l’assurance-invalidité (cf. ATF 133 V 549 consid. 6.1 p. 553).

Il est établi que l’assuré était à la fois salarié et associé-gérant de la société B.__ Sàrl dont il détenait toutes les parts sociales. En considération de cette situation, l’assurance-accidents ne remet pas en cause la prise en compte, dans le revenu sans invalidité, à la fois d’un salaire versé par la société à l’assuré et d’un montant à titre de part aux bénéfices auquel ce dernier peut prétendre en tant qu’associé-gérant de la Sàrl comme le prévoit l’art. 798 al. 1 CO (voir aussi ch. 2010 des Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG [DSD] dans leur teneur en vigueur au 1er janvier 2014).

L’extrait des comptes individuels AVS rassemblés fait état d’un revenu de 19’500 fr. pour les mois de septembre à décembre 2013, respectivement de 33’434 fr. pour toute l’année 2014 ; une somme de 54’000 fr. a également été comptabilisée puis extournée par cette caisse pour l’année 2014. La somme portée en compte sur cette période se monte donc à 52’934 fr. (19’500 fr. + 33’434 fr.). Le montant de 19’500 fr. pour 2013 correspond à un salaire de 4’500 fr. versé sur quatre mois, y compris le treizième salaire au prorata. On ne voit pas que le montant de 33’434 fr. comptabilisé pour 2014 corresponde à un versement de bénéfice de la Sàrl à l’assuré. Il n’y a aucun indice dans ce sens au dossier et il est regrettable que la seule pièce à disposition pour l’année 2014 soit une attestation du total des salaires de l’ensemble du personnel de la Sàrl ne comportant aucun détail. En l’absence de toute autre comptabilisation au compte individuel pour 2014 – le montant de 54’000 fr. ayant été extourné -, il ne peut toutefois s’agir que d’un montant obtenu par l’assuré à titre de salaire de janvier 2014 jusqu’à la survenance de l’accident en cause (12.08.2014), étant précisé qu’aucune cotisation AVS n’est perçue sur les indemnités journalières que l’assurance-accidents a versées par la suite. Le fait que le montant de 33’434 fr. ne corresponde pas exactement au versement d’un salaire mensuel de 4’500 fr. plus la part du 13e salaire pour la période du 01.01.2014 au 12.08.2014 n’empêchait pas l’autorité cantonale, dès lors qu’il est constant que l’assuré s’octroyait un salaire annuel de 58’500 fr. (4’500 fr. versé treize fois l’an), de retenir que l’assuré se serait attribué un salaire annuel d’au moins 58’500 fr. au moment déterminant. Quant à la part aux bénéfices, il ressort des documents comptables produits que le résultat d’exploitation de la société B.__ Sàrl pour la période allant du 01.09.2013 au 31.12.2014 était de 48’639 fr. 71. Compte tenu de ce chiffre, on peut raisonnablement admettre que l’assuré se serait versé en sus de son salaire un montant annuel de 36’480 fr. (48’640 fr. x 12/16) à titre de part de bénéfice en rapport avec son travail si l’accident ne l’avait pas empêché de continuer à gérer le restaurant. Le montant du revenu sans invalidité de 94’980 fr. retenu par la cour cantonale échappe ainsi à la critique.

 

Revenu d’invalide

Dans la mesure où les données de l’ESS pour l’année 2014 étaient déjà disponibles au moment de la saisine de la cour cantonale, celle-ci aurait dû se référer à cette version plus récente. En effet, le moment de la naissance du droit à la rente est le 01.05.2016 et il y a lieu de se rapprocher le plus exactement possible du montant que la personne assurée est susceptible d’obtenir sur le marche équilibré du travail (cf. arrêt 9C_673/2010 du 31 mars 2011 consid. 3.4). Il faut donc se fonder sur le salaire statistique mensuel brut total de 5’312 fr. (TA1_skill_level ESS 2014). Compte tenu d’un horaire de travail moyen usuel dans les entreprises de 41,7 heures en 2016 et de l’évolution des salaires nominaux chez les hommes de 2014 à 2016 (0,3% en 2015; 0,6% en 2016; voir le tableau T39 « Evolution des salaires nominaux, des prix à la consommation et des salaires réels », 1976-2009 et 2010-2017), on obtient un revenu annuel de 67’052 fr.

 

Taux d’abattement

Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est en revanche pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le juge des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration ; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 précité consid. 5.2 p. 73 et l’arrêt cité).

S’agissant du taux d’abattement sur le salaire statistique, la cour cantonale n’a pas précisé plus avant quel était le motif relevant de la situation personnelle de l’assuré qui l’a conduite à s’écarter du taux initialement retenu par l’assurance-accidents. On peut penser qu’elle entendait prendre en considération l’âge de celui-ci (57 ans en 2016), les autres facteurs tels que la nationalité, la catégorie d’autorisation de séjour, les années de service ou le taux d’occupation n’entrant manifestement pas en ligne de compte. Toutefois, l’âge d’un assuré ne constitue pas en lui-même un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant de la naissance du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Encore récemment (arrêt 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 5), le Tribunal fédéral a insisté sur ce point et a affirmé que l’effet de l’âge combiné avec un handicap doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels.

En l’espèce, la cour cantonale n’a pas examiné en quoi les perspectives salariales de l’assuré seraient concrètement réduites sur le marché du travail équilibré à raison de son âge, compte tenu des circonstances du cas particulier. Cela étant, au vu du parcours de l’assuré et compte tenu du fait que les activités simples envisagées (du niveau de compétence 1) ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique, les effets pénalisants au niveau salarial induits par l’âge ne peuvent pas être considérés comme suffisamment établis. Il n’est donc pas nécessaire de décider aujourd’hui si l’âge d’un assuré constitue même un critère susceptible de justifier un abattement sur le salaire statistique dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire compte tenu de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA, question laissée ouverte par le Tribunal fédéral dans plusieurs arrêts récents (voir, en dernier lieu, l’arrêt 8C_878/2018 du 21 août 2019 consid. 5.3.1 et les références citées).

Pour la même raison (la catégorie d’activités concernée), le taux d’abattement lié au handicap déjà opéré par l’assurance-accidents ne pouvait pas être revu à la hausse par la cour cantonale. La question de savoir s’il se justifie de procéder à un abattement sur le salaire statistique à ce titre dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées. Une réduction pour ce motif n’entre en considération que si, dans un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. en dernier lieu arrêt 8C_122/2019 du 10 septembre 2019 consid. 4.3.1.4 et les arrêts cités). En l’espèce, il ressort de l’expertise médicale que l’assuré est en mesure d’exercer une activité à plein temps sans diminution de rendement si l’activité respecte pleinement ses limitations fonctionnelles ; celles-ci concernent les gros efforts, le port de charges (s’il n’est pas occasionnel et s’il est supérieur à 8 kg), la montée et la descente d’escaliers ainsi que les travaux s’effectuant au-dessus du plan des épaules. Si de telles limitations excluent les travaux lourds, on ne voit pas qu’elles restreindraient de manière significative les activités légères, en tout cas pas dans une mesure qui justifierait un abattement supérieur à 5%.

Partant, la cour cantonale n’avait pas de motif pertinent pour substituer son appréciation à celle de l’assurance-accidents. Avec un abattement de 5%, le revenu d’invalide se monte à 63’699 fr.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, réformant le jugement cantonal en ce sens que le taux d’invalidité est fixé à 33%.

 

 

Arrêt 8C_661/2018 consultable ici

 

 

Indemnisation des victimes de l’amiante ‒ Le Tribunal fédéral se prononce sur deux recours / Arrêts du 06.11.2019 – 4A_299/2013 et 4A_554/2013

Indemnisation des victimes de l’amiante ‒ Le Tribunal fédéral se prononce sur deux recours / Arrêts du 06.11.2019 – 4A_299/2013 et 4A_554/2013

 

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 22.11.2019 consultable ici

 

Le Tribunal fédéral se prononce sur deux recours concernant le délai de prescription des actions en dommages-intérêts et indemnité des héritiers de victimes de l’amiante. Dans le cas d’un homme décédé en 2006 qui avait habité jusqu’en 1972 à proximité du site d’Eternit SA à Niederurnen (GL), le Tribunal rejette le recours des héritiers. Dans le deuxième cas, le Tribunal admet partiellement le recours des enfants d’un ancien employé de BLS SA, décédé en 2004. La Cour suprême du canton de Berne devra statuer à nouveau.

Dans le premier cas, un homme (né en 1953) a habité avec ses parents, de 1961 à 1972, à proximité immédiate du site d’Eternit SA où de l’amiante était transformée. A ses dires, cet homme s’est alors fréquemment trouvé en contact avec l’amiante, notamment par suite d’immissions de poussière dans sa chambre à coucher, lors de jeux avec des plaques d’eternit, ou lors de l’observation du déchargement de sacs d’amiante à la gare. Un cancer de la plèvre fut diagnostiqué en 2004, entraînant le décès en 2006. Les héritiers exigèrent une indemnité dès 2009. En raison de la prescription, leur action intentée à Eternit (Suisse) SA, à deux membres de la famille dominant Eternit SA et aux CFF a été rejetée en 2012 par le Tribunal cantonal du canton de Glaris ; leur appel a été rejeté en 2013 par la Cour suprême du même canton.

Le deuxième cas concerne un homme né en 1936, employé par BLS SA (BLS) de 1961 à fin janvier 1998, alors exposé à la poussière d’amiante. Le cancer de la plèvre fut diagnostiqué en 2003, entraînant le décès en 2004. Au mois de juin 2004, BLS déclara renoncer à exciper de la prescription si des prétentions en indemnisation (qui n’étaient alors pas encore atteintes par la prescription) étaient élevées. Les héritiers de cet homme ont ouvert action en 2010 contre BLS afin d’obtenir des dommages-intérêts et une indemnité. L’action fut rejetée en première instance et en appel. La Cour suprême est parvenue à la conclusion que l’exposition intense à la poussière d’amiante s’est produite entre 1961 et 1985 et qu’elle se trouve avec la plus grande vraisemblance à l’origine de la maladie. Le délai de prescription de dix ans s’est donc écoulé au plus tard dès 1985, de sorte que les prétentions en cause étaient déjà atteintes par la prescription au moment où BLS a déclaré renoncer à ce moyen de défense.

Dans les deux cas, les héritiers ont recouru au Tribunal fédéral. Celui-ci a suspendu les procédures de 2014 jusqu’à la décision des chambres fédérales concernant une modification du droit de la prescription. En 2014, la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) avait jugé (arrêt Howald Moor) que dans le cas alors en cause, l’application du délai de prescription de dix ans prévu par le droit suisse violait le droit d’accéder à un tribunal (article 6 paragraphe 1 CEDH). Le Tribunal fédéral a levé la suspension des deux procédures en 2018 après que le législateur eut adopté le nouveau droit de la prescription. Celui-ci entrera en vigueur le 1er janvier 2020. Le législateur a renoncé à une rétroactivité ou à une solution transitoire ; pour les cas préexistants, il s’est référé au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante créé en 2017.

Dans le premier cas, le Tribunal fédéral rejette le recours. Le moment de l’événement dommageable détermine le point de départ du délai de prescription. Parce que la plus récente exposition à l’amiante subie par la victime remonte à 1972, le délai s’est écoulé dès cette époque au plus tard ; des faits dommageables (violations de devoir d’information) plus récents ne sont pas établis. Près de 37 ans se sont écoulés avant que les héritiers n’élèvent en 2009 des prétentions en indemnisation, de sorte que le délai de prescription absolue de dix ans (décisif en 2009 encore) était depuis longtemps échu. Les héritiers ne peuvent tirer aucune conclusion différente de l’arrêt Howald Moor de la CourEDH. En particulier, selon le Tribunal fédéral, il ne ressort pas de cet arrêt que le droit d’accéder à un tribunal exclue fondamentalement les délais de prescription absolue prévus par le droit matériel suisse.

Dans le deuxième cas, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours et renvoie la cause à la Cour suprême pour nouvelle décision. La responsabilité de BLS suppose notamment que celle-ci ait omis des mesures de protection des travailleurs nécessaires d’après l’état des connaissances au moment des faits dommageables. Elucider si et, dans l’affirmative, jusqu’à quel moment BLS a violé ses devoirs de protection envers les travailleurs est déterminant aussi pour le point de départ du délai de prescription. Le moment de l’événement dommageable est décisif pour le point de départ du délai de prescription absolue. Dans le cas d’un comportement dommageable persistant, le jour de la fin de ce comportement est déterminant. En l’espèce, il faut retenir que l’employé s’est trouvé exposé à l’amiante pendant toute la durée des rapports de travail. Le moment où la maladie s’est déclenchée au cours de cette durée n’est pas établi. Un moment précis ne peut être ni constaté médicalement ni fixé d’après une période théorique de latence. A supposer que BLS n’ait pas introduit déjà avant 1998 les mesures de protection nécessaires d’après l’état des connaissances à cette époque, le délai de prescription absolue n’a pu s’écouler qu’à partir de la fin des rapports de travail le 31 janvier 1998. Dans cette éventualité, contrairement au jugement de la Cour suprême, les prétentions des héritiers n’étaient pas prescrites lors de la déclaration de renonciation à la prescription souscrite par BLS en 2004. La Cour suprême devra se prononcer à nouveau conformément à cette prémisse, notamment sur la prescription absolue.

 

 

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 22.11.2019 consultable ici

 

 

1C_436/2019 (f) du 30.09.2019 – Retrait du permis de circulation / Rouler sur une cinquantaine de mètres avec quelqu’un sur son capot est une infraction grave / 16c al. 1 let. a LCR

Arrêt du Tribunal fédéral 1C_436/2019 (f) du 30.09.2019

 

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Retrait du permis de circulation

Rouler sur une cinquantaine de mètres avec quelqu’un sur son capot est une infraction grave / 16c al. 1 let. a LCR

 

Le 27.04.2016, vers 23h30, un client du chauffeur de taxi B.__, qui avait refusé de payer sa course, est monté dans le taxi de A.__, stationné à proximité du bar « La Habana », à Fribourg, en lui demandant de partir immédiatement sous prétexte qu’un tiers voulait s’en prendre à lui. Au même moment, B.__ est arrivé et a tapé sur la vitre du taxi pour lui expliquer la situation. A.__ a alors démarré et a roulé sur le Square des Places, à la vitesse du pas, jusqu’à l’arrêt de bus se trouvant avant l’intersection avec la rue de l’Abbé-Bovet, tandis que B.__ marchait à ses côtés en tentant de dialoguer avec lui. Profitant du fait que A.__ s’était immobilisé pour laisser passer le bus, B.__ s’est placé à l’avant gauche du taxi pour l’empêcher de poursuivre sa route. Il s’est retrouvé sur le capot du véhicule lorsque A.__ a redémarré après être sorti deux fois de son véhicule pour tenter de l’écarter, pour s’engager dans la rue de l’Abbé-Bovet à une vitesse d’au moins 20 à 30 km/h. Après avoir parcouru une cinquantaine de mètres, A.__ s’est arrêté, permettant ainsi à B.__ de descendre du capot, avant de faire marche arrière à une vitesse d’au moins 20 km/h pour retourner sur le Square des Places. B.__ a souffert de douleurs à la nuque et au dos.

 

Procédures cantonales

Le Juge de police a reconnu A.__ coupable de violation grave des règles de la circulation routière à raison de ces faits et l’a condamné à une peine de travail d’intérêt général de 360 heures avec sursis pendant deux ans et à une amende de 500 francs. La Cour d’appel pénal du Tribunal cantonal a confirmé ce jugement au terme d’un arrêt non contesté rendu le 29.10.2018.

Le 14.02.2019, la Commission des mesures administratives en matière de circulation routière de l’Etat de Fribourg a prononcé le retrait du permis de conduire de A.__ pour une durée de six mois, s’agissant d’une infraction grave commise dans les cinq ans après une infraction moyennement grave aux règles de la circulation routière.

La cour cantonale a tenu pour établi, sur la base du jugement pénal d’appel, que A.__ avait délibérément mis son véhicule en mouvement alors qu’un tiers se trouvait sur l’avant gauche de celui-ci et qu’il avait roulé avec cette personne sur le capot sur une cinquantaine de mètres, avant qu’elle ne puisse en descendre. Il avait encore effectué une marche arrière à une vitesse d’au moins 20 km/h afin de rejoindre son point de départ. Par son comportement inadmissible au volant, il avait à l’évidence créé un danger sérieux pour la sécurité de son concurrent dès lors qu’il existait un risque concret que celui-ci tombe et se blesse, voire qu’il se fasse écraser. Il avait également mis en danger de manière accrue les autres usagers de la route, qu’il s’agisse de piétons ou d’autres conducteurs de véhicules, en circulant de nuit et avec une visibilité considérablement altérée par la présence d’un homme sur le capot de son véhicule, puis en reculant, de surcroît sur une route étroite de la ville. Dans ces conditions, le fait qu’il n’y ait pas eu de blessé relevait du pur cas fortuit qui ne saurait profiter au recourant, la création d’un danger sérieux pour la sécurité d’autrui étant au demeurant déjà donnée en cas de mise en danger abstraite accrue. La condition objective que constitue une mise en danger sérieuse au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR était en l’espèce réalisée.

La cour cantonale a par ailleurs considéré qu’en circulant avec une personne sur la capot de son taxi, A.__ avait fait preuve d’un comportement sans scrupule, gravement contraire aux règles de la circulation et particulièrement blâmable, si bien que la faute commise devait être qualifiée de grave. On ne saurait retenir à sa décharge qu’il aurait agi par peur de l’autre conducteur de taxi. Il ressortait en effet du jugement pénal que ce dernier ne l’avait pas menacé physiquement et que A.__ était même sorti de son véhicule afin de le dégager de sa voiture. Au vu du déroulement des faits, A.__ était en tous les cas malvenu de prétendre que tout autre conducteur placé dans les mêmes circonstances aurait agi de la sorte. La condition subjective de la faute grave, telle qu’exigée à l’art. 16c al. 1 let. a LCR, était ainsi également remplie.

La décision de la Commission des mesures administratives en matière de circulation routière a été confirmée par la IIIe Cour administrative du Tribunal cantonal de l’Etat de Fribourg.

 

TF

La loi fédérale sur la circulation routière distingue les infractions légères, moyennement graves et graves.

Selon l’art. 16a al. 1 let. a LCR, commet une infraction légère la personne qui, en violant les règles de la circulation, met légèrement en danger la sécurité d’autrui alors que seule une faute bénigne peut lui être imputée.

Commet en revanche une infraction grave selon l’art. 16c al. 1 let. a LCR la personne qui, en violant gravement les règles de la circulation, met sérieusement en danger la sécurité d’autrui ou en prend le risque.

Entre ces deux extrêmes, se trouve l’infraction moyennement grave, soit celle que commet la personne qui, en violant les règles de la circulation, crée un danger pour la sécurité d’autrui ou en prend le risque (art. 16b al. 1 let. a LCR). Le législateur conçoit cette dernière disposition comme l’élément dit de regroupement: elle n’est ainsi pas applicable aux infractions qui tombent sous le coup des art. 16a al. 1 let. a et 16c al. 1 let. a LCR. Dès lors, l’infraction est toujours considérée comme moyennement grave lorsque tous les éléments constitutifs qui permettent de la privilégier comme légère ou au contraire de la qualifier de grave ne sont pas réunis. Tel est par exemple le cas lorsque la faute est grave et la mise en danger bénigne ou, inversement, si la faute est légère et la mise en danger grave (ATF 136 II 447 consid. 3.2 p. 452). Ainsi, par rapport à une infraction légère, où tant la mise en danger que la faute doivent être légères, on parle d’infraction moyennement grave dès que la mise en danger ou la faute n’est pas légère, alors qu’une infraction grave suppose le cumul d’une faute grave et d’une mise en danger grave (cf. ATF 135 II 138 consid. 2.2.3 p. 141; arrêts 1C_144/2018 du 10 décembre 2018 consid. 2.2 et 1C_525/2012 du 24 octobre 2013 consid. 2.1).

Il y a création d’un danger sérieux pour la sécurité d’autrui au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR non seulement en cas de mise en danger concrète, mais déjà en cas de mise en danger abstraite accrue; la réalisation d’un tel danger s’examine en fonction des circonstances spécifiques du cas d’espèce (ATF 143 IV 508 consid. 1.3 p. 512; 142 IV 93 consid. 3.1 p. 96; arrêt 1C_592/2018 du 27 juin 2019 consid. 3.1). Sur le plan subjectif, l’art. 16c al. 1 let. a LCR, dont la portée est identique à celle de l’art. 90 ch. 2 LCR, exige un comportement sans scrupules ou gravement contraire aux règles de la circulation, c’est-à-dire une faute grave et, en cas d’acte commis par négligence, à tout le moins une négligence grossière (ATF 142 IV 93 consid. 3.1 p. 96; 131 IV 133 consid. 3.2 p. 136; arrêt 1C_442/2017 du 26 avril 2018 consid. 2.1). Cette condition est réalisée si l’auteur est conscient du danger que représente sa manière de conduire ou si, contrairement à ses devoirs, il ne tient absolument pas compte du fait qu’il met en danger les autres usagers, c’est-à-dire s’il agit avec une négligence inconsciente. Dans un tel cas, il faut toutefois faire preuve de retenue. Une négligence grossière ne peut être admise que si l’absence de prise de conscience du danger créé pour autrui est particulièrement blâmable ou repose elle-même sur une absence de scrupules (ATF 131 IV 133 consid. 3.2 p. 136). Plus la violation de la règle de la circulation est objectivement grave, plus on admettra l’existence d’une absence de scrupules, sauf indice particulier permettant de retenir le contraire (ATF 142 IV 93 consid. 3.1 p. 96).

 

En principe, l’autorité administrative statuant sur un retrait du permis de conduire ne peut pas s’écarter des constatations de fait d’un jugement pénal entré en force. La sécurité du droit commande en effet d’éviter que l’indépendance du juge pénal et du juge administratif ne conduise à des jugements opposés, rendus sur la base des mêmes faits. L’autorité administrative ne peut s’écarter du jugement pénal que si elle est en mesure de fonder sa décision sur des constatations de fait inconnues du juge pénal ou qui n’ont pas été prises en considération par celui-ci, s’il existe des preuves nouvelles dont l’appréciation conduit à un autre résultat, si l’appréciation à laquelle s’est livré le juge pénal se heurte clairement aux faits constatés ou si le juge pénal n’a pas élucidé toutes les questions de droit, en particulier celles qui touchent à la violation des règles de la circulation (ATF 139 II 95 consid. 3.2 p. 101). Si les faits retenus au pénal lient en principe l’autorité et le juge administratifs, il en va différemment des questions de droit, en particulier de l’appréciation de la faute et de la mise en danger (arrêt 1C_202/2018 du 18 septembre 2018 consid. 2.2), sous réserve des cas où elles dépendent étroitement de faits que le juge pénal connaît de manière plus approfondie que l’autorité administrative, notamment lorsque le jugement pénal a été rendu au terme d’une procédure publique ordinaire au cours de laquelle les parties ont été entendues et des témoins interrogés (ATF 136 II 447 consid. 3.1 p. 451; arrêt 1C_453/2018 du 22 août 2019 consid. 2.1).

A.__ ne conteste pas avoir circulé de nuit au volant de son taxi sur une cinquantaine de mètres avec un homme sur le capot. Ce seul constat suffit à considérer qu’il a sérieusement mis en danger la sécurité d’autrui ou qu’il en a pris le risque, au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR, et ce, quand bien même il ne circulait qu’à une vitesse de l’ordre de 20 à 30 km/h (cf. arrêt 6B_260/2012 du 19 novembre 2012 consid. 3.2.2). Il importe peu que B.__ n’a pas souffert de blessures plus graves que des douleurs à la nuque et au dos ou que A.__ n’ait pas heurté un autre usager de la route alors qu’il circulait avec la vue altérée par la présence d’une personne sur son capot dans la mesure où une mise en danger abstraite accrue suffit selon la jurisprudence.

Par ailleurs, A.__ était conscient de la présence de B.__ sur le capot de son véhicule. En roulant malgré tout sur une cinquantaine de mètres, il a adopté un comportement dont le caractère dangereux ne pouvait lui échapper et dont il était conscient selon les faits retenus par les juges d’appel puisqu’il a admis ne pas avoir roulé trop vite pour éviter de faire tomber B.__. Il ne peut faire valoir aucune circonstance particulière qui permettrait d’appréhender son comportement de manière plus clémente ou qui ferait apparaître la faute moins grave. Il se prévaut à cet égard en vain du fait qu’il était effrayé et qu’il faisait l’objet d’une tentative de contrainte de la part de B.__, l’empêchant d’exercer son activité professionnelle. Les juges d’appel ont certes admis que A.__ avait pu être surpris par l’apparition soudaine de B.__ aux abords de son taxi alors qu’un client venait d’y prendre place en alléguant qu’un tiers voulait s’en prendre à lui; ils n’ont en revanche pas retenu qu’il avait redémarré pour s’engager sur la rue de l’Abbé-Bovet parce qu’il était effrayé. La cour cantonale a également fait sienne cette appréciation au motif que l’autre chauffeur de taxi n’avait pas menacé A.__ physiquement et que ce dernier était même sorti de son véhicule pour tenter de l’écarter de son véhicule. A.__ ne conteste pas ces faits ni leur aptitude à retenir qu’il n’était pas effrayé lorsqu’il a redémarré et roulé une cinquantaine de mètres avec B.__ sur son capot.

En outre, en procédant de nuit à une marche arrière dans une rue étroite, A.__ a adopté un comportement dont le caractère manifestement dangereux ne pouvait lui échapper et qui ne pouvait s’expliquer par un danger imminent comme l’ont retenu les juges d’appel. Il y a donc là, à tout le moins, une négligence grossière de sa part.

Cela étant, la IIIe Cour administrative n’a pas violé le droit fédéral en considérant que les éléments constitutifs d’une infraction grave au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR étaient réunis. Pour le surplus, A.__ ne conteste pas que, dans cette hypothèse, son permis de conduire devait lui être retiré pour une durée incompressible de six mois au minimum selon les art. 16 al. 3 et 16c al. 2 let. b LCR, étant donné qu’il s’est vu retirer son permis en raison d’une infraction moyennement grave au cours des cinq ans précédents.

 

Le TF rejette le recours du conducteur.

 

 

Arrêt 1C_436/2019 consultable ici

 

 

8C_215/2019 (f) du 24.10.2019 – Arrérage de rentes AI – Versement en mains d’un tiers – Opposition de l’assuré – 22 al. 2 LPGA – 85bis RAI / Surindemnisation de l’assurance-accident en complément à la LAA (LCA) – Interprétation des CGA – Droit de la compagnie d’assurance d’obtenir le remboursement de sa créance directement de la part de l’office AI nié

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_215/2019 (f) du 24.10.2019

 

Consultable ici

 

Arrérage de rentes AI – Versement en mains d’un tiers – Opposition de l’assuré / 22 al. 2 LPGA – 85bis RAI

Surindemnisation de l’assurance-accident en complément à la LAA (LCA) – Interprétation des CGA – Droit de la compagnie d’assurance d’obtenir le remboursement de sa créance directement de la part de l’office AI nié

 

Le 20.02.2011, l’assuré a été victime d’un accident, pour les suites duquel il a perçu des prestations d’une compagnie d’assurance en sa qualité d’assureur-accidents obligatoire et complémentaire.

Informée que l’assuré avait droit à des paiements rétroactifs de l’assurance-invalidité, l’assurance a procédé à un calcul de surindemnisation. Par lettre du 20.12.2016, elle a requis de l’assuré qu’il signe un formulaire destiné à lui permettre de compenser le montant de 36’787 fr. 10 par les paiements dus à titre rétroactif par l’assurance-invalidité. L’assuré a contesté le calcul de surindemnisation.

Par décision du 06.02.2018, complémentaire à une précédente décision du 10.02.2017, l’office AI a reconnu à l’assuré le droit des rentes d’invalidité à divers taux dès mai 2012. Sur la somme totale des prestations à verser à l’assuré, l’office AI a retenu un montant de 36’787 fr. en faveur de la compagnie d’assurance.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/140/2019 – consultable ici)

L’assuré a formé un recours contre cette décision en concluant à son annulation en tant qu’elle admettait la retenue de 36’787 fr. en faveur de la compagnie d’assurance et à la constatation que la retenue ne saurait dépasser 14’912 fr. La compagnie d’assurance a été appelée en cause.

Après avoir relevé que les indemnités perçues par l’assuré au titre de l’assurance-accidents complémentaire avaient été versées en vertu d’une police régie par la LCA, la cour cantonale a constaté que l’assuré n’avait pas signé le formulaire que lui avait soumis la compagnie d’assurance et que cette dernière n’avait produit aucune pièce dont on pouvait déduire l’accord de l’assuré à un remboursement direct par l’office AI. En outre, au regard de la casuistique tirée de la jurisprudence, la norme invoquée par la compagnie d’assurance, à savoir l’art. 8 al. 2 des CGA, ne suffisait pas à lui conférer un droit sans équivoque à se faire rembourser par l’office AI les prestations versées à l’assuré.

Par jugement du 14.02.2019, le tribunal cantonal a admis le recours au sens des considérants et a annulé la décision entreprise en tant qu’elle portait sur la demande de compensation de la compagnie d’assurance.

 

TF

En vertu de l’art. 22 al. 2 LPGA, les prestations accordées rétroactivement par l’assureur social peuvent être cédées à l’employeur ou à une institution d’aide sociale publique ou privée dans la mesure où ceux-ci ont consenti des avances (let. a), ainsi qu’à l’assureur qui a pris provisoirement à sa charge des prestations (let. b).

L’art. 85bis al. 1 RAI, dont la base légale est l’art. 22 al. 2 LPGA (ATF 136 V 381 consid. 3.2 p. 384), prévoit que les employeurs, les institutions de prévoyance professionnelle, les assurances-maladie, les organismes d’assistance publics ou privés ou les assurances en responsabilité civile ayant leur siège en Suisse qui, en vue de l’octroi d’une rente de l’assurance-invalidité, ont fait une avance peuvent exiger qu’on leur verse l’arriéré de cette rente en compensation de leur avance et jusqu’à concurrence de celle-ci. Est cependant réservée la compensation prévue à l’art. 20 LAVS. Les organismes ayant consenti une avance doivent faire valoir leurs droits au moyen d’un formulaire spécial, au plus tôt lors de la demande de rente et au plus tard au moment de la décision de l’office AI.

Selon l’art. 85bis al. 2 RAI, sont considérées comme une avance les prestations librement consenties, que l’assuré s’est engagé à rembourser, pour autant qu’il ait convenu par écrit que l’arriéré serait versé au tiers ayant effectué l’avance (let. a), ainsi que les prestations versées contractuellement ou légalement, pour autant que le droit au remboursement, en cas de paiement d’une rente, puisse être déduit sans équivoque du contrat ou de la loi (let. b).

Les arrérages de rente peuvent être versés à l’organisme ayant consenti une avance jusqu’à concurrence, au plus, du montant de celle-ci et pour la période à laquelle se rapportent les rentes (art. 85bis al. 3 RAI).

L’utilisation du formulaire spécial prévu à l’art. 85bis al. 1 RAI est une prescription d’ordre (ATF 136 V 381 précité consid. 5.2 p. 389; 131 V 242 consid. 6.2 p. 249). Ainsi, le tiers qui veut obtenir directement un paiement de prestations rétroactives de l’AI peut établir l’accord du bénéficiaire de celles-ci par un autre moyen que le formulaire ad hoc.

Les avances librement consenties selon l’art. 85bis al. 2 let. a RAI supposent le consentement écrit de la personne intéressée pour que le créancier puisse en exiger le remboursement. Dans l’éventualité de l’art. 85bis al. 2 let. b RAI, le consentement n’est pas nécessaire; il est remplacé par l’exigence d’un droit au remboursement « sans équivoque ». Pour que l’on puisse parler d’un droit non équivoque au remboursement à l’égard de l’AI, il faut que le droit direct au remboursement découle expressément d’une disposition légale ou contractuelle (ATF 133 V 14 consid. 8.3 p. 21 et les références). Demeurent réservées des circonstances particulières, telles que celles qui prévalaient dans la cause jugée par arrêt I 405/92 du 3 décembre 1993, où l’ancien Tribunal fédéral des assurances a confirmé le versement en mains de tiers nonobstant l’absence d’une norme légale, au motif que l’octroi de prestations n’avait été prévu que sous la réserve expresse d’une compensation ultérieure avec des rentes de l’assurance-invalidité accordées rétroactivement pour la même période (arrêts 9C_318/2018 du 21 mars 2019 consid. 3.3; I 31/00 du 5 octobre 2000 consid. 3a/cc, in VSI 2003 p. 265). Le Tribunal fédéral a par la suite admis que le consentement écrit de l’assuré pour le versement direct en mains d’un tiers ayant versé des avances peut suffire lorsque les conditions générales d’assurance prévoient un devoir de remboursement de l’assuré (arrêts 9C_938/2008 du 26 novembre 2009 consid. 6.4; I 632/03 du 9 décembre 2005 consid. 3.3.4).

 

L’art. 8 (« Indemnité journalière ») des CGA (édition 2006) a la teneur suivante:

« 1 [La compagnie d’assurance] verse l’indemnité journalière mentionnée dans la police en cas d’incapacité totale de travail. Si l’incapacité de travail est partielle, l’indemnité journalière est réduite en conséquence.

2 L’indemnité journalière est réduite dans la mesure où, ajoutée aux prestations des assurances sociales, elle excède le gain dont on peut présumer que l’assuré se trouve privé. Le gain, dont on peut présumer que l’assuré se trouve privé, correspond à celui qu’il pourrait réaliser s’il n’avait pas subi le dommage.

3 En outre, les dispositions de la LAA sont applicables; toutefois, [la compagnie d’assurance] renonce à déduire les frais d’entretien en cas de séjour dans un établissement hospitalier. »

On ne saurait déduire de l’art. 8 al. 2 des CGA, qui se limite à prévoir l’abattement sur l’indemnité journalière de la part excédant le gain déterminant, la possibilité pour l’assureur de s’adresser aux organes de l’assurance-invalidité et d’exiger le versement de l’arriéré de la rente d’invalidité en compensation de sa créance. Quant au renvoi à la LAA, on ne voit pas – et la compagnie d’assurance ne l’expose pas – quelle disposition de cette loi serait susceptible de lui conférer, en sa qualité d’assurance complémentaire, le droit à un paiement direct en application de l’art. 85bis RAI (cf. arrêt I 632/03 déjà cité consid. 3). Enfin, si l’assuré a reconnu dans son recours cantonal une surindemnisation à hauteur de 14’912 fr., cela ne signifie pas pour autant qu’il avait donné son consentement écrit à un versement direct de l’arriéré de la rente d’invalidité en mains de la compagnie d’assurance, d’autant moins qu’il était parti du principe – et soutient toujours – que les objections contre le montant de la créance opposée en compensation devraient pouvoir faire l’objet d’un examen dans la procédure de recours contre la décision AI (cf. à ce sujet arrêts 9C_225/2014 consid. 3.3.1 du 10 juillet 2014; 9C_287/2014 du 16 juin 2014 consid. 2.2).

Dans ces circonstances, la cour cantonale était fondée à nier le droit de la compagnie d’assurance d’obtenir le remboursement de sa créance directement de la part de l’office AI.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents complémentaire LAA.

 

 

Arrêt 8C_215/2019 consultable ici

 

 

CSSS-N : investigations et auditions au sujet de l’initiative « Abolir le monopole partiel de la CNA »

CSSS-N : investigations et auditions au sujet de l’initiative « Abolir le monopole partiel de la CNA »

 

Communiqué de presse du Parlement du 15.11.2019 consultable ici

 

La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) a décidé de procéder à certaines investigations et d’organiser des auditions au sujet de l’initiative parlementaire «Abolir le monopole partiel de la CNA» (19.410), déposée par la conseillère nationale Diana Gutjahr. La commission se penchera à nouveau sur ce texte l’année prochaine.

 

 

Communiqué de presse du Parlement du 15.11.2019 consultable ici

 

 

6B_664/2019 (f) du 17.09.2019 – Dépassement de la vitesse autorisée de +/- 60km/h – Positionnement du radar – Alteration possible du résultat de la vitesse enregistrée – Principe « in dubio pro reo »

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_664/2019 (f) du 17.09.2019

 

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Dépassement de la vitesse autorisée de +/- 60km/h – Violation grave d’une règle de la circulation (90 al. 2 LCR) vs Violation intentionnelle des règles fondamentales de la circulation (90 al. 3 et 4 let. c LCR)

Positionnement du radar – Alteration possible du résultat de la vitesse enregistrée – Principe « in dubio pro reo »

 

Le 03.04.2016 à 15h13 à Heitenried, X.__ a circulé au volant de sa moto sur un tronçon limité à 80 km/h à une vitesse excédant largement cette limite.

Par jugement du 06.03.2018, le juge de police a reconnu X.__ coupable de violation grave qualifiée des règles de la circulation routière (art. 90 al. 3 et 4 LCR). Il a prononcé une peine privative de liberté de douze mois avec sursis pendant deux ans.

 

Cour d’appel pénal

La Cour d’appel pénal a estimé qu’il n’y avait pas lieu de douter de la fiabilité de la mesure de vitesse lorsque nous sommes en présence d’un certificat annuel de vérification de l’appareil en cours de validité. Cet appareil avait calculé la vitesse de X.__, le 03.04.2016, à 15h13, à 141 km/h, marge de sécurité déduite, soit un dépassement de 61 km/h de la vitesse autorisée maximale de 80 km/h sur le tronçon contrôlé. La Cour d’appel pénal a toutefois jugé que les circonstances du dépassement de vitesse reproché à X.__ dictaient une qualification prudente de son excès de vitesse au sens de l’art. 90 al. 2 LCR. D’une part, l’excès de vitesse était très proche du seuil de 60 km/h prévu par l’art. 90 al. 4 LCR de sorte qu’il convenait de se montrer rigoureux dans l’établissement et l’appréciation des preuves. D’autre part la configuration des lieux où le radar avait été placé ainsi que l’ensemble des pièces versées au dossier commandaient de retenir la vitesse la plus favorable à X.__.

La cour a considéré qu’il n’y avait pas lieu de mettre en doute les données enregistrées par le radar du seul fait que les coordonnées GPS du lieu où ce dernier avait été mis en fonction faisaient défaut. Elle a jugé que le positionnement de l’appareil influençait les vitesses mesurées. Les instructions du radar MultaRadar CD exposaient ainsi que l’emplacement et le positionnement de l’appareil déterminaient l’exactitude de la vitesse mesurée. Le non-respect des consignes pouvait en revanche provoquer l’enregistrement de vitesses supérieures ou inférieures à la vitesse effective. L’angle entre le milieu du faisceau radar et le sens de déplacement des véhicules, la stabilité de l’emplacement où le radar était positionné et l’alignement parallèle de l’appareil à la chaussée étaient ainsi déterminants. L’était également le caractère rectiligne de la route, dont la longueur de la portion de ligne droite – qui doit être de 14 mètres au minimum – dépend de la distance entre le centre du capteur et la voie surveillée.

La Cour d’appel pénal a constaté que les photos versées au dossier ne permettaient pas d’exclure que la route présente une légère courbure susceptible d’altérer le résultat de la vitesse enregistrée, quand bien même le tronçon de route surveillé paraissait rectiligne à l’œil nu. L’exactitude de la vitesse mesurée dépendait en outre du bon positionnement du radar, dont l’emplacement exact n’avait pu être établi. Une marge d’erreur ne pouvait dans ces circonstances être écartée. Dès lors que seuls 2 km/h séparaient le dépassement de vitesse reproché à X.__ du seuil auquel son excès de vitesse serait considéré comme une infraction grave au sens de l’art. 90 al. 2 LCR, l’autorité précédente a retenu, en application du principe « in dubio pro reo », cette qualification juridique inférieure. En effet, faute de connaître l’emplacement exact du radar, elle ne pouvait exclure que le dépassement de vitesse reproché au prévenu n’ait pas été inférieur ou égal à 59 km/h.

Par arrêt du 25.03.2019, la Cour d’appel pénal a ainsi constaté que X.__ avait circulé à une vitesse de 139 km/h, marge de sécurité déduite, se rendant ainsi coupable d’un excès de vitesse de 59 km/h par rapport à la vitesse autorisée et partant de violation grave des règles de la circulation routière au sens de l’art. 90 al. 2 LCR uniquement. Elle a prononcé une peine pécuniaire de 210 jours-amende, à 130 fr. le jour et avec sursis pendant quatre ans, ainsi qu’une amende additionnelle de 3’500 francs.

 

TF

Le ministère public invoque que la Cour d’appel pénal a retenu, sans l’établir, qu’elle ne pouvait exclure que la route présente une légère courbure susceptible d’altérer le résultat de la vitesse enregistrée. Il fait ensuite valoir que rien ne permettait à l’autorité précédente de s’écarter des mesures de vitesse enregistrées par le multiradar. En effet, cette installation avait été contrôlée selon les prescriptions de vérification applicables et répondait aux exigences légales. Elle pouvait ainsi être utilisée pour des mesures officielles. Le sergent qui l’avait utilisée disposait de plus de connaissances spécialisées théoriques et pratiques pour ce faire. L’appareil avait ainsi été manié par un agent de police spécialement formé à cet effet, qui savait exactement à quel endroit placer le radar afin que les contrôles effectués respectent toutes les conditions prescrites par la notice d’utilisation, notamment s’agissant de la stabilité, de l’absence d’obstacle et de la hauteur du radar. Le ministère public estimait en conséquence que le raisonnement de l’autorité précédente revenait à vider de toute substance la réglementation prévue en matière d’excès de vitesse, ouvrant ainsi la porte à une réduction quasi systématique, à bien plaire, de la vitesse mesurée, à raison de plusieurs km/h, de manière on ne peut plus aléatoire et en se limitant à se prévaloir de potentielles influences de mesure, qui plus est non établies.

 

Selon le TF, le ministère public méconnaît les éléments appréciés par la cour cantonale, en particulier la notice d’utilisation du radar. Le ministère public renverse également le fardeau de la preuve en invoquant que la Cour d’appel pénal ne pouvait retenir une légère courbure de la route : en cas de doute, comme en l’espèce, une telle constatation en faveur de X.__ – et non la constatation du caractère rectiligne de la route – n’a rien d’arbitraire. De même, faute de connaître l’emplacement exact du radar, il n’était pas insoutenable, même si le radar était homologué et avait été utilisé par une personne formée pour ce faire, de retenir un doute quant au calcul parfaitement exact de la vitesse effective de X.__. Dans l’ignorance, faute de preuve, de l’emplacement du radar par rapport au tronçon contrôlé, on ne saurait en particulier reprocher à la Cour d’appel pénal, d’avoir arbitrairement considéré qu’elle ne pouvait constater que toutes les consignes avaient été respectées. Dans ces conditions, retenir comme elle l’a fait qu’il n’était pas établi que la vitesse de X.__ soit exactement celle enregistrée par le radar, mais pouvait être de 2 km/h inférieure, ne procède pas d’une appréciation des preuves ou d’une constatation des faits arbitraire.

Dès lors que l’autorité précédente a retenu un excès de vitesse de 59 km/h, la condamnation de X.__ en vertu de l’art. 90 al. 2 LCR, et non de l’art. 90 al. 3 et 4 let. c LCR, ne prête pas flanc à la critique.

 

Le TF rejette le recours du Ministère public.

 

 

Arrêt 6B_664/2019 consultable ici

 

 

9C_280/2019 (f) du 14.10.2019 – Conditions d’une révision de l’allocation pour impotent d’un mineur non remplies – 17 LPGA / Reconsidération d’une communication de l’office AI / 53 al. 2 LPGA / Besoin d’aide régulière et importante pour la mobilisation (se lever, s’asseoir, se coucher)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_280/2019 (f) du 14.10.2019

 

Consultable ici

 

Conditions d’une révision de l’allocation pour impotent d’un mineur non remplies / 17 LPGA

Reconsidération d’une communication de l’office AI / 53 al. 2 LPGA

Besoin d’aide régulière et importante (directe ou indirecte) pour la mobilisation (se lever / s’asseoir / se coucher)

 

Assuré, né en 2002, souffre d’autisme infantile. Par décision du 09.06.2008, l’office AI lui a reconnu le droit à une allocation d’impotence de degré grave pour mineurs, avec un supplément pour soins intenses, dès le 01.07.2007. Le droit à cette allocation a été maintenu dans le cadre de révisions, par décisions des 10.12.2010 et 24.09.2013, puis par communication du 11.06.2015.

Dans le cadre d’une nouvelle révision d’office du droit à cette prestation, l’office AI a mis en œuvre une enquête (rapport du 07.11.2017). Par décision du 02.07.2018, l’office AI a réduit au degré moyen le droit à l’allocation pour impotent en raison du fait que l’assuré n’avait désormais besoin de l’aide d’autrui pour accomplir que cinq actes ordinaires de la vie, puisqu’il pouvait dormir seul dans sa chambre.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 13.03.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision et maintien du droit de l’assuré à l’allocation pour impotent de degré grave.

 

TF

Motif de révision du droit à l’allocation pour impotent

Selon l’office AI recourant, la situation a évolué depuis l’époque où le droit à l’allocation pour impotent de degré grave avait été maintenu, le 10.12.2010. En effet, à ce moment-là, il avait été admis que l’assuré ne pouvait pas rester seul dans une chambre, ce qui justifiait de retenir le besoin d’aide important et régulier d’autrui pour l’acte « se lever / s’asseoir / se coucher ». Or, depuis 2017, l’assuré bénéficie d’une chambre au domicile de ses parents dans laquelle il peut dormir seul, sans surveillance, ce qui confirme qu’il dispose pour l’acte en question d’un degré d’autonomie supérieur à celui qui prévalait antérieurement.

La mise à disposition d’une chambre individuelle chez les parents de l’assuré, à partir de l’année 2017, ne constitue pas à elle seule un motif de révision de la prestation, car l’assuré dormait auparavant dans la chambre de ses parents non par besoin de surveillance mais par manque de place dans l’appartement. Il ressort d’ailleurs du rapport d’enquête de 2015 que l’assuré s’endormait rapidement et qu’une fois endormi, il le restait toute la nuit. En outre, déjà dans le cadre de sa scolarité, il dormait seul dans sa chambre à l’internat deux nuits par semaine.

Pour la révision, il convient d’examiner si les circonstances (besoin d’aide d’autrui, de soins, ou de surveillance) ont évolué depuis le dernier examen matériel du droit à l’allocation pour impotent (cf. ATF 133 V 108).

Contrairement à ce que soutient l’office AI recourant, il ne s’agit pas de la situation qui prévalait lors de la décision du 10.12.2010, mais de celle qui existait au moment de l’enquête du 07.04.2015 sur la base de laquelle la prestation avait été maintenue (selon la communication du 11.06.2015). En effet, c’est à cette date que l’office AI a procédé à un examen matériel du droit à la prestation. Or si l’on compare la situation en 2015 avec celle qui ressort de l’enquête du 07.11.2017, il faut constater qu’elles sont identiques en ce qui concerne l’acte « se lever / s’asseoir / se coucher », la nécessité d’une aide d’autrui pour l’accomplir n’ayant pas évolué au cours de ces deux années.

Il s’ensuit que les conditions d’une révision de l’allocation pour impotent, en application de l’art. 17 LPGA, ne sont pas remplies.

 

Reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA)

La cour cantonale a relevé qu’en dépit de l’enquête du 08.09.2010 qui retenait que l’assuré n’avait pas besoin d’aide pour « se coucher », le Service médical régional avait néanmoins préconisé de reconnaître une impotence grave, ce que l’office AI avait admis par décision du 10.12.2010. Cette décision était ainsi pleinement soutenable.

Toutefois, la reconsidération doit porter sur la dernière décision passée en force relative à la prestation litigieuse qui avait été prise à la suite d’un examen matériel du droit à l’allocation pour impotent. Il ne s’agit donc ni de la décision du 10.12.2010, ni de celle du 24.09.2013, mais de la communication du 11.06.2015 – qui avait valeur de décision informelle – consécutive à l’enquête du 07.04.2015, par laquelle l’office AI avait informé l’assuré que l’allocation pour impotent de degré grave ainsi que le supplément pour soins intenses pour une durée supérieure à six heures par jour allaient être maintenus.

Or, la communication du 11.06.2015 revêtait un caractère manifestement erroné dans une mesure qui justifie de la reconsidérer. En effet, comme cela ressortait explicitement de l’enquête du 07.04.2015, l’assuré n’avait pas besoin d’aide régulière et importante (directe ou indirecte) pour la mobilisation, soit pour se lever, s’asseoir et se coucher.

La spécialiste en neuropédiatrie avait certes précisé que le fait que l’assuré fût capable de se lever, de s’asseoir et de se coucher seul ne représentait pas un élément positif dans son autonomie car, étant capable de se mouvoir, il se mettait constamment en danger. Elle avait ajouté que les gestes moteurs nécessaires pour ces diverses activités n’étaient pas limités mais qu’ils étaient utilisés de manière peu voire non fonctionnelle. Ils ne pouvaient être organisés qu’avec l’aide d’une tierce personne. Toutefois, des deux rapports d’enquêtes de 2015 et 2017, il ne ressortait pas que l’assuré ne pouvait pas s’allonger au lit et se couvrir lui-même. Dès lors, il ne devait pas être considéré comme impotent en ce qui concerne l’acte « se coucher » (voir à ce sujet le ch. 8016 de la Circulaire de l’OFAS sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI]).

La communication du 11.06.2015 était ainsi manifestement erronée dans la mesure où son auteur avait admis que l’assuré avait besoin d’une aide régulière et importante d’autrui pour tous les actes ordinaires de la vie. Comme un tel besoin n’était établi que pour cinq actes ordinaires, indépendamment du besoin de surveillance, on se trouvait dans l’éventualité prévue à l’art. 37 al. 2 let. a RAI, ce qui aurait justifié le droit à une allocation pour impotent de degré moyen. C’est donc à juste titre que cette prestation doit être réduite à ce taux par voie de reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA ; art. 88bis al. 2 let. a RAI).

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement du tribunal cantonal et confirme la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_280/2019 consultable ici

 

 

8C_500/2018 (f) du 18.09.2019 – Couverture d’assurance – Vraisemblance de l’existence de rapports de travail niée / 1a LAA – 1 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_500/2018 (f) du 18.09.2019

 

Consultable ici

 

Couverture d’assurance – Vraisemblance de l’existence de rapports de travail niée / 1a LAA – 1 OLAA

 

Par contrat de mission du 11.07.2016, A.__, né en 1979, a été engagé par B.__ SA pour travailler comme contremaître-constructeur en métallurgie pour le compte de l’entreprise C.__ à partir du 13 juillet 2016 et jusqu’au 15 août 2016 au plus tard. L’horaire de travail convenu était de 40 heures par semaine en moyenne et le salaire brut horaire était de 65 fr. 70, y compris les suppléments pour jours fériés, vacances et 13e salaire. Par déclaration de sinistre du 29.08.2016, B.__ SA a informé l’assurance-accidents que le 26.07.2016 A.__ s’était blessé au niveau du genou et de l’épaule droits sur un chantier en lâchant un cadre de fenêtre après avoir glissé sur un plastique.

Le 29.08.2016, D.__, chef de filiale chez B.__ SA, a fait part à l’assurance-accidents de ses soupçons quant à la réalité de l’activité déployée par A.__ et de la rupture du contrat avec ce dernier pour le 27.07.2016. Au cours d’un entretien dans les locaux de l’assurance-accidents qui s’est déroulé le 15.09.2016 en présence de son mandataire, A.__ a expliqué avoir été recruté par D.__, lequel connaissait le patron de C.__; il a en outre déclaré qu’il ne connaissait personne au sein de cette entreprise, hormis F.__, l’associé-gérant, mais seulement de vue.

Il ressort du procès-verbal d’interrogatoire de F.__ mené par l’Office cantonal des faillites du canton de Fribourg en octobre 2016 dans le cadre de la faillite de C.__ que la société précitée a cessé toute activité à la fin du mois de juin 2016.

Le 19.10.2016, A.__, agissant par l’entremise de son mandataire, a transmis à l’assurance-accidents les déclarations de G.__ et de H.__, lesquels auraient été employés par la société C.__ durant la période de mars à juin 2016. Le 02.12.2016, A.__ a communiqué à l’assurance-accidents une seconde attestation de H.__, dans laquelle ce dernier corrigeait ses affirmations précédentes.

Interrogé par l’assurance-accidents sur ses liens avec F.__, D.__ a indiqué dans un courriel du 13.12.2016 qu’il ne connaissait pas F.__ avant leur premier contact téléphonique en date du 11.07.2016.

Par décision du 22.12.2016, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié tout droit à des prestations d’assurance en faveur de A.__, au motif que plusieurs éléments conduisaient à nier l’existence de rapports de travail fondant une couverture d’assurance pour le sinistre annoncé le 29.08.2016.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2017 55 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont retenu comme étant établi, au degré de la vraisemblance requise, que l’engagement de A.__ auprès de la société C.__ dans le cadre d’une location de services par B.__ SA à partir du 13.07.2016 avait été purement fictif et, partant, qu’un rapport d’assurance avec l’assurance-accidents n’était pas suffisamment établi.

En premier lieu, contrairement aux déclarations de A.__, ce n’était pas B.__ SA qui l’avait mis en contact avec F.__ et le contrat de mission n’avait pas été conclu parce que ce dernier connaissait bien un collaborateur de cette société de placement en personnel; c’était bien plutôt C.__ qui avait contacté B.__ SA pour lui proposer d’engager A.__ afin de le mettre à sa disposition en tant que travailleur temporaire. Selon les juges cantonaux, le contrat de mission n’était dès lors pas un élément déterminant pour établir que A.__ avait effectivement travaillé pour la société C.__.

Les conditions d’engagement de A.__ et les heures de travail effectuées par ce dernier pour le compte de C.__ paraissaient peu réalistes. Un salaire horaire de 65 fr. 70 était particulièrement élevé pour un employé, même expérimenté, de la branche, d’autant plus que la société était déjà confrontée à des difficultés financières.

Le décompte des heures effectuées par A.__ faisait ressortir un horaire journalier moyen de 11 heures du lundi au vendredi et de 9 heures le samedi, soit un horaire hebdomadaire de 64 heures, lequel était largement au-delà des 40 heures prévues contractuellement mais également des normes de la Convention collective de travail de la branche et de celles impératives posées par le droit public du travail. Au demeurant, outre l’évocation de quelques lieux de chantiers, A.__ n’avait fourni aucune indication précise sur les activités qu’il aurait effectuées durant les treize jours de travail décomptés.

Tous ces éléments étaient au demeurant peu compatibles avec le fait que C.__ avait cessé toute activité à la fin du mois de juin 2016, comme l’avait attesté le gérant de cette société.

Quant aux photographies prises sur un chantier le 23.07.2016 que A.__ avait transmises à l’assurance-accidents au cours de la procédure cantonale, les juges cantonaux ont considéré que compte tenu des nombreuses contradictions et incohérences relevées, elles ne permettaient pas d’attester de la réalité de son engagement auprès de C.__ à cette période.

Enfin, la cour cantonale a relevé que les éléments précités présentaient plusieurs similitudes avec ceux ressortant de causes ayant fait l’objet d’arrêts rendus par la même autorité le 24.07.2017, dans lesquelles les intéressés avaient sollicité des indemnités d’insolvabilité en lien avec un contrat de travail qui aurait été conclu avec la société I.__ SA, dont A.__ avait été l’administrateur. Or, dans l’ensemble de ces cas, des incohérences concernant en particulier des salaires contractuels trop élevés, des décomptes de salaires et d’heures de travail ne correspondant pas à la réalité, l’absence de toute comptabilité pour la période concernée et l’annonce aux assureurs sociaux de l’engagement de nombreux collaborateurs, sans que l’activité réelle de la société le justifie, avaient été relevées. La juridiction cantonale a indiqué que les intéressés ayant sollicité des indemnités d’insolvabilité avaient tous été déboutés et qu’il n’était au demeurant pas anodin de constater que F.__, associé unique de la société C.__, avait fait partie des personnes concernées.

Par jugement du 30.05.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 1a al. 1 let. a LAA, sont assurés à titre obligatoire contre les accidents les travailleurs occupés en Suisse. Est réputé travailleur selon l’art. 1a al. 1 LAA quiconque exerce une activité lucrative dépendante au sens de la législation fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (art. 1 OLAA). De manière générale, la jurisprudence considère comme tel la personne qui, dans un but lucratif ou de formation, exécute durablement ou passagèrement un travail pour un employeur, auquel elle est plus ou moins subordonnée et sans avoir à supporter pour cela un risque économique (ATF 115 V 55 consid. 2d p. 58 s.; voir aussi SVR 2012 UV n° 9 p. 32, arrêt 8C_503/2011 du 8 novembre 2011 consid. 3.4). Ce sont donc avant tout les personnes au bénéfice d’un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO ou qui sont soumises à des rapports de service de droit public qui sont ici visées. Dans le doute, la qualité de travailleur doit être déterminée, de cas en cas, à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment au regard de l’existence d’une prestation de travail, d’un lien de subordination et d’un droit au salaire sous quelque forme que ce soit (SVR 2016 UV n° 40 p. 135, arrêt 8C_176/2016 du 17 mai 2016 consid. 2; JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in: Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3 e éd., Bâle 2016, n° 2 p. 899).

 

En matière de constatation des faits et d’appréciation des preuves, l’autorité cantonale verse dans l’arbitraire (art. 9 Cst.) lorsqu’elle ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu’elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsqu’elle tire des conclusions insoutenables à partir des éléments recueillis (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266; 137 III 226 consid. 4.2 p. 234). La critique de l’état de fait retenu est soumise au principe strict de l’allégation énoncé par l’art. 106 al. 2 LTF. La partie qui entend attaquer les faits constatés par l’autorité précédente ne peut pas se borner à contredire les constatations litigieuses par ses propres allégations ou par l’exposé de sa propre appréciation des preuves; elle doit expliquer clairement et de manière circonstanciée, en partant de la décision attaquée, en quoi ces conditions seraient réalisées. Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s’écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18 et les références), la critique étant irrecevable (ATF 140 III 264 consid. 2.3 précité et les références; 133 II 249 consid. 1.4.3 p. 255).

En l’espèce, l’argumentation développée par A.__ est largement appellatoire et ne permet pas de démontrer que les faits établis par la juridiction cantonale l’auraient été de manière arbitraire. En particulier, lorsqu’il affirme que son salaire horaire n’avait rien de « stratosphérique » et qu’on ne voit dès lors pas en quoi cet élément nuirait à la vraisemblance de son engagement, A.__ se contente de substituer sa version des faits à l’appréciation de la cour cantonale. Il en va de même lorsqu’il met en doute la constatation de la juridiction cantonale fondée sur les déclarations de F.__, selon laquelle la société aurait cessé ses activités à la fin du mois de juin 2016. Quant aux autres éléments de preuve et au faisceau d’indices interprétés par la juridiction cantonale, A.__ se limite à les mettre en doute sans dire en quoi l’appréciation de l’autorité précédente serait insoutenable.

Sur la base de ses constatations de fait, la cour cantonale était dès lors fondée à retenir que l’engagement de A.__ auprès de la société C.__ dans le cadre d’une location de services par B.__ SA à partir du 13.07.2016 avait été purement fictif et que, partant, l’assurance-accidents était en droit de refuser sa couverture d’assurance pour les troubles annoncés le 29.08.2016.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 8C_500/2018 consultable ici

 

 

8C_193/2019 (f) du 01.10.2019 – Réduction des prestations en espèces – Participation à une rixe ou à une bagarre niée – 49 al. 2 OLAA / Cas de légitime défense – Protection de la possession – Droit de défense – 926 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_193/2019 (f) du 01.10.2019

 

Consultable ici

 

Réduction des prestations en espèces – Participation à une rixe ou à une bagarre niée / 49 al. 2 OLAA

Absence de lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu / Comportement de l’assuré ne constitue pas la cause principale de l’atteinte à la santé qu’il a subie

Cas de légitime défense / Protection de la possession – Droit de défense – 926 CC

 

Assuré, né en 1963, s’occupait, entre autres activités professionnelles, de la conciergerie d’un immeuble. Le 10.11.2013, l’assuré a reçu plusieurs coups de couteau au niveau de la gorge de la part d’un individu qui venait de subtiliser sa veste à l’intérieur de son véhicule garé non loin de l’immeuble susmentionné. L’agression a provoqué de graves lésions à l’assuré nécessitant une hospitalisation jusqu’au 16.07.2015, date de son transfert dans un foyer destiné aux personnes en situation de handicap.

Une enquête pénale a permis d’identifier F.__, un ressortissant étranger sans domicile fixe, comme étant l’auteur de l’agression.

Entendu par la police la nuit du 10.11.2013, S.__ (ami de l’assuré) a déclaré que l’individu (F.__) s’était emparé d’une veste en quittant le véhicule de l’assuré, après l’avoir fouillée, qu’il avait ensuite enfilée sous sa propre jaquette. S.__ avait alors contacté par téléphone l’assuré qui l’avait rejoint très remonté. Après s’être vu désigner l’individu en cause, l’assuré s’était dirigé vers celui-ci et lui avait demandé en français ce qu’il avait dérobé. Lorsque F.__ lui a fait comprendre qu’il ne parlait que l’anglais, l’assuré avait explosé, l’avait insulté en portugais et lui avait demandé dans un mélange des deux langues de lui rendre sa veste en le touchant au niveau du ventre. F.__ avait alors déboutonné sa jaquette. Voyant que celui-ci portait bien sa veste, l’assuré lui avait demandé de la lui rendre sur un ton agressif. F.__ avait obtempéré et enlevé sa propre jaquette. Tandis qu’il ne lui restait plus qu’à retirer la manche de la veste volée, l’assuré s’était impatienté et l’avait arrachée. F.__ avait alors violemment réagi en frappant l’assuré des deux mains et en faisant des mouvements du haut vers le bas. Plaçant sa main gauche entre les deux protagonistes pour tenter de s’interposer, S.__ avait reçu un coup provoquant une plaie à la main. Pensant immédiatement à un couteau, il avait crié à l’assuré de faire attention en lui signalant la présence de l’arme. Il était ensuite parti chercher de l’aide vers le poste de police. Arrivé à l’angle de la rue, il s’était retourné et avait vu l’assuré sur le trottoir une longue barre de fer à la main. Entendu une seconde fois par la police le 12.11.2013, S.__ a précisé que la bagarre n’avait commencé qu’après que l’assuré eut arraché la veste et qu’avant ce geste, F.__ était calme, comme s’il n’avait rien fait de mal ni rien volé. Ce n’était que lorsque l’assuré avait tiré sur la veste, alors qu’il ne restait au voleur qu’à retirer une manche, que ce dernier était devenu comme fou. Il était devenu très agressif et faisait des gestes d’attaque et non de défense. S.__ a également ajouté qu’au début de l’agression, l’assuré avait saisi un vélo et l’avait lancé sur l’agresseur, en indiquant toutefois que ce dernier avait déjà commencé à gesticuler et qu’il l’avait déjà blessé à la main droite lorsque l’assuré avait saisi le vélo. Enfin, il a expliqué que l’assuré et lui n’avaient pas coincé F.__ ni ne l’avaient acculé, de sorte que celui-ci aurait pu s’enfuir à tout moment.

Entendu la nuit du 10.11.2013, H.__, un habitant de la rue où l’agression s’est produite, a déclaré que vers 21h15, il avait entendu du bruit dans la rue en bas de chez lui, de sorte qu’il avait regardé par la fenêtre et aperçu deux hommes qui criaient. La victime avait déjà reçu le coup de couteau à ce moment-là et hurlait contre l’agresseur. Elle tenait d’une main sa gorge et de l’autre une barre de fer, à savoir un poteau de signalisation ensanglanté (reconnu sur photographie). Quant à l’agresseur, il tenait un panneau de chantier de ses deux mains qu’il a lancé à la hauteur du thorax de l’assuré. Ce dernier avait ensuite couru derrière l’agresseur avant de retourner à son point de départ où il avait pris sa veste et s’était finalement effondré sur le sol. L’agresseur était revenu prendre ses sacs de commission avant de prendre la fuite.

Par décision du 07.03.2014, l’assurance-accidents a réduit de moitié le montant de l’indemnité journalière, avec effet au 13.11.2013, au motif que le risque de bagarre était reconnaissable par l’assuré. Par décision du 30.09.2015, elle lui a reconnu le droit à une allocation pour impotent, dont le montant était réduit de 50% au même motif. Enfin, par décision du 25.11.2016, l’assurance-accidents a mis l’assuré au bénéfice d’une rente d’invalidité et d’une rente complémentaire à compter du 01.11.2016 ainsi que d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité, dont les montants ont également été réduits de moitié. Par l’intermédiaire de son curateur, l’assuré s’est opposé successivement à ces trois décisions.

Le 29.05.2017, l’assurance-accidents a rendu une décision par laquelle elle a rejeté les oppositions et a confirmé ses trois précédentes décisions.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 95/14 – 85/2015 – consultable ici)

Par jugement du 08.05.2018, le tribunal correctionnel a déclaré F.__ coupable de tentative de meurtre, l’a condamné à une peine privative de liberté de sept ans et a ordonné qu’il soit soumis à un traitement institutionnel. Cette dernière mesure se justifiait par les résultats d’une expertise psychiatrique, dont il était ressorti qu’au moment des faits F.__ souffrait d’un trouble schizotypique assimilable à un grave trouble mental.

Sur la base du dossier de la procédure pénale, la cour cantonale a retenu en résumé que l’assuré pouvait et devait se rendre compte qu’il existait un risque non négligeable que la discussion dégénère en des violences physiques. En effet, rattraper un voleur et lui enjoindre, de manière agressive et en le bousculant, de rendre l’objet volé constituait un comportement susceptible d’entraîner à tout le moins des voies de fait. En se confrontant à l’inconnu qui venait de lui voler sa veste et en l’insultant, l’assuré s’était bel et bien placé dans une zone de danger exclue par l’assurance. Son comportement ultérieurement au premier coup porté tendait en outre à démontrer qu’il avait choisi de faire front dans la mesure où il avait pris un vélo, l’avait lancé sur l’individu et avait poursuivi ce dernier avec une barre de fer.

Les juges cantonaux ont considéré que le fait d’interpeller un voleur, l’insulter et le bousculer impliquait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le risque d’être frappé. En outre, dans un contexte de rixe, l’usage d’une arme dangereuse par un participant, comme un couteau, était une éventualité qui ne pouvait pas être exclue. S’agissant d’une dispute avec un inconnu, l’assuré n’avait enfin aucun motif de penser que celui-ci n’allait pas en venir aux mains.

Par jugement du 18.02.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Participation à une rixe ou à une bagarre

L’art. 49 al. 2 OLAA dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d’accident non professionnel survenu notamment en cas de participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l’assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu’il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu’il venait en aide à une personne sans défense (let. a). La notion de participation à une rixe ou à une bagarre est plus large que celle de l’art. 133 CP. Selon la jurisprudence, pour admettre l’existence d’une telle participation, il suffit que l’assuré entre dans la zone de danger, notamment en participant à une dispute. Peu importe qu’il ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute: il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger. En revanche, il n’y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l’assuré se fait agresser physiquement, sans qu’il y ait eu au préalable une dispute, et qu’il frappe à son tour l’agresseur dans un mouvement réflexe de défense (arrêt 8C_702/2017 du 17 septembre 2018 consid. 3.1 et les arrêts cités, in SVR 2019 UV n° 16 p. 58).

Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l’attitude de l’assuré – qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre – n’apparaît pas comme une cause essentielle de l’accident ou si la provocation n’est pas de nature, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, à entraîner la réaction de violence, l’assureur-accidents n’est pas autorisé à réduire ses prestations d’assurance. Il convient de déterminer rétrospectivement, en partant du résultat qui s’est produit, si et dans quelle mesure l’attitude de l’assuré apparaît comme une cause essentielle de l’accident (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2 p. 320). Il y a une interruption du rapport de causalité adéquate si une autre cause, qu’il s’agisse d’une force naturelle ou du comportement d’une autre personne, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre; l’imprévisibilité d’un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener et notamment le comportement en discussion (ATF 134 V 340 consid. 6.2 p. 349; 133 V 14 consid. 10.2 p. 23 s.). Par exemple, le Tribunal fédéral a jugé que lorsqu’un membre d’une famille (en l’espèce, la fille) entre dans la chambre d’un autre (en l’occurrence, le père) en insistant pour avoir une discussion orageuse, on ne pouvait s’attendre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à ce que l’autre réagisse en tirant sur lui avec un revolver. Dans un tel cas, le lien de causalité adéquate entre le comportement reproché à la victime et le résultat survenu a été nié (arrêt 8C_363/2010 du 29 mars 2011 et, concernant la même affaire, au plan civil, arrêt 4A_66/2010 du 27 mai 2010).

 

A l’instar des juges cantonaux, il convient de se fonder sur le dossier de la procédure pénale pour apprécier les circonstances de l’événement du 10.11.2013. Cela dit, en raison de son état de santé, en particulier de son aphasie, l’assuré n’a jamais pu être entendu sur le déroulement de l’altercation. Quant à F.__, il a d’abord contesté les actes reprochés avant d’admettre son implication mais sans jamais livrer une version personnelle, claire et complète des faits. Ses déclarations confuses et parfois contradictoires ne sont pas susceptibles de fournir des indications utiles dans le contexte de la présente procédure. Il n’en va pas de même des déclarations de S.__, ami de l’assuré, lequel a assisté à la majeure partie de l’altercation, et de H.__, un habitant de la rue où celle-ci s’est produite. On se fondera en particulier sur leurs auditions par la police, dans la mesure où elles sont intervenues peu de temps après la survenance de l’événement.

De ces témoignages, ce n’est qu’après avoir été blessé à l’arme blanche, à plusieurs reprises, que l’assuré a saisi divers objets (un vélo puis un poteau de signalisation) pour tenter de s’en prendre à F.__. Une telle réaction relève sans conteste de la légitime défense, pour laquelle il n’y a pas matière à réduction. On ne saurait donc reprocher à l’assuré d’avoir choisi de faire front. Pour ce qui est des circonstances qui ont précédé les coups de couteau, le fait d’avoir arraché la veste à F.__ ne peut être qualifié d’acte de participation à une bagarre. En effet, même si la participation à une bagarre ou à une rixe au sens de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA est une notion autonome, elle ne doit pas empêcher les assurés d’exercer les prérogatives légales qui pourraient leur être reconnues sur la base du droit pénal – comme la légitime défense – ou du droit civil. A cet égard, l’art. 926 al. 1 et 2 CC autorise le possesseur à repousser par la force tout acte d’usurpation ou de troubles; il peut, lorsqu’une chose mobilière lui a été enlevée clandestinement, la reprendre aussitôt en l’arrachant au spoliateur surpris en flagrant délit ou arrêté dans sa fuite. En l’espèce, considérer que l’assuré est entré dans la zone de danger exclue de l’assurance-accidents du fait qu’il a tenté de récupérer son bien en tirant sur la manche de la veste revient à le priver d’exercer son droit de reprise, ce qui n’est pas admissible.

Quant à savoir si l’on peut lui reprocher d’avoir adopté un ton agressif et de s’être montré insultant en réaction au vol dont il a été victime, il s’agit d’un point qui peut rester indécis pour les raisons qui suivent.

En l’occurrence, F.__ n’a pas agressé l’assuré à l’arme blanche en réaction à l’attitude ou aux propos de celui-ci, dont on ignore la teneur et que le prénommé n’a du reste pas compris, ne parlant ni français ni portugais. En effet, alors que l’assuré, qui réclamait sa veste, se montrait très énervé, F.__ a gardé tout son calme et a obtempéré à l’injonction qui lui était faite, alors qu’il aurait pu fuir à tout moment. Comme l’a clairement indiqué S.__, c’est lorsque, dans un geste d’impatience, l’assuré a tiré sur la manche de la veste volée que F.__ est devenu comme fou et s’est mis à gesticuler en frappant l’assuré – à l’aide de son couteau – par des mouvements du haut vers le bas. Le geste de l’assuré n’était toutefois pas de nature, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, à entraîner une telle réaction de violence, même dans le contexte global de l’altercation.

Dans le même sens, les experts psychiatres mandatés dans la procédure pénale ont expliqué que « ce n’était pas en raison des échanges verbaux entre les trois protagonistes mais bien lorsque la première victime s’est rapprochée de l’expertisé et a touché la veste volée, que l’expertisé l’a agressé violemment au cou avec son couteau. L’intrusion de cet homme au plus près de F.__, perçue par ce dernier comme une menace imminente justifiant l’usage d’une arme blanche pour se défendre, reflétait un état psychique perturbé par un sentiment d’insécurité, voire une probable persécution d’ordre psychotique : c’est-à-dire un rapport à la réalité altéré. Enfin, le départ « comme si de rien n’était » de l’expertisé après avoir égorgé un homme et agressé un second marquait bien cette altération du rapport à la réalité ». Sur la base de ces considérations, la réaction de F.__ s’apprécie essentiellement comme une manifestation du trouble mental diagnostiqué par les experts. Aussi faut-il admettre qu’elle relègue à l’arrière-plan le rôle causal joué par l’assuré dans le contexte de l’altercation. Autrement dit, le comportement de l’assuré ne constitue pas la cause principale de l’atteinte à la santé qu’il a subie. Partant, il n’y a pas lieu à réduction des prestations.

 

Le TF admet le recours de l’assuré, annule le jugement du tribunal cantonal et modifie la décision sur opposition dans le sens que l’assuré a droit à des prestations non réduites.

 

 

Arrêt 8C_193/2019 consultable ici

 

 

9C_383/2019 (f) du 25.09.2019 – Péremption des cotisations AVS – Rappel de la notion de péremption – 16 al. 1 LAVS / Protection de la bonne foi – Célérité de la procédure

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_383/2019 (f) du 25.09.2019

 

Consultable ici

 

Péremption des cotisations AVS – Rappel de la notion de péremption de l’art. 16 al. 1 LAVS

Protection de la bonne foi – Célérité de la procédure

 

Assuré, né en 1984, a été inscrit comme étudiant régulier à l’université d’octobre 2005 à juillet 2012.

Le 28.12.2017, l’assuré a informé la caisse de compensation qu’il n’avait pas réalisé de revenu durant l’année 2017 et lui a demandé, notamment, de lui confirmer qu’il n’existait pas de lacune de cotisations pour les années durant lesquelles il avait été soumis à l’obligation de cotiser. Un échange de correspondances s’en est suivi entre les parties, à l’issue duquel la caisse de compensation a fixé par décisions provisoires du 05.03.2018 les cotisations personnelles de l’assuré pour les années 2017 et 2018. Le 12.03.2018, la caisse de compensation a transmis à l’assuré un extrait de son compte individuel, dont il ressortait que l’intéressé avait cotisé en qualité de personne sans activité lucrative de 2005 à 2011, puis de 2014 à 2016, ainsi que sur la base d’indemnités de chômage et d’une activité salariée en 2013. Elle lui a précisé qu’il existait une lacune de cotisations pour l’année 2012, mais qu’elle n’était pas en mesure de procéder à son affiliation pour ladite année, au vu de la « prescription quinquennale ».

Par décision du 19.07.2018, confirmée sur opposition le 05.09.2018, la caisse de compensation a refusé d’affilier l’assuré pour l’année 2012 et de fixer les cotisations afférentes à cette année. En bref, elle a considéré que le délai de cinq ans prévu par l’art. 16 al. 1 LAVS est un délai intangible de péremption, à l’issue duquel la créance de cotisation pour l’année 2012 s’était éteinte le 31.12.2017.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 30.04.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Cotisations AVS – Délai de péremption

Les personnes sans activité lucrative sont tenues de payer des cotisations à compter du 1er janvier de l’année qui suit la date à laquelle elles ont eu 20 ans (art. 3 al. 1, 2e phrase, LAVS) et que les cotisations dont le montant n’a pas été fixé par voie de décision dans un délai de cinq ans à compter de la fin de l’année civile pour laquelle elles sont dues ne peuvent plus être exigées ni versées (art. 16 al. 1, 1e phrase, LAVS).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral l’art. 16 al. 1 LAVS prévoit un délai de péremption, qui ne peut être ni suspendu ni interrompu. Ainsi, soit le délai est sauvegardé par une décision fixant le montant des cotisations dues notifiée dans un délai de cinq ans à compter de la fin de l’année civile concernée, soit il n’est pas sauvegardé, avec pour conséquence que les cotisations ne peuvent plus être ni exigées ni versées (ATF 121 V 5 consid. 4c p. 7; 117 V 208). Dans cette seconde hypothèse, il ne subsiste aucune obligation naturelle susceptible d’être exécutée volontairement ou par compensation (arrêt 9C_741/2009 du 12 mars 2010 consid. 1.2 et les références).

En ce qui concerne tout d’abord l’argumentation de l’assuré selon laquelle il aurait valablement interrompu le délai quinquennal de l’art. 16 al. 1 LAVS par sa correspondance du 28.12.2017, elle n’est pas pertinente compte tenu des caractéristiques du délai de péremption prévu par cette disposition. Il en va de même de la référence qu’il fait à la jurisprudence relative aux art. 24 et 29 LPGA s’agissant des effets d’une annonce par la personne assurée à l’assurance sociale puisque l’art. 16 al. 1 LAVS prévoit clairement la sauvegarde du délai au moyen de la décision fixant les cotisations; il n’y a pas de place pour une interruption du délai en cause par une annonce émanant de l’assuré. Par ailleurs, l’assuré ne met en évidence aucun élément parlant en faveur d’une modification de la jurisprudence; à l’inverse de ce qu’il prétend, lors de la modification de l’art. 16 LAVS entrée en vigueur au 01.01.2012, le législateur a maintenu un délai de péremption à l’al. 1 (Message relatif à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants [LAVS] du 3 décembre 2010, FF 2011 519, ch. 2.1 p. 532).

 

Protection de la bonne foi – Célérité de la procédure

L’assuré fait valoir qu’au moment où la caisse de compensation a réceptionné le courrier qu’il lui avait adressé le 28.12.2017, elle « aurait, si elle l’avait voulu, parfaitement pu rendre une décision [fixant le montant des cotisations dues pour l’année 2012] avant l’échéance du délai de 5 ans ».

En l’espèce, la correspondance du 28.12.2017 est parvenue à la caisse de compensation le lendemain, soit le vendredi 29.12.2017. Or dans la mesure où, en 2017, le 31 décembre a coïncidé avec un dimanche, la sauvegarde du délai quinquennal de péremption (de l’art. 16 al. 1 LAVS) impliquait donc que la caisse de compensation rendît une décision le vendredi 29.12.2017 au plus tard, soit le jour où elle a réceptionné la correspondance de l’assuré. Sous l’angle du principe de la bonne foi, on ne voit pas qu’il existe une exigence de l’administration de rendre une décision le jour même où elle est sollicitée. Sous l’angle du principe de la célérité prévu par l’art. 29 al. 1 Cst., on exige de l’autorité qu’elle rende les décisions qu’il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans un délai que la nature de l’affaire ainsi que toutes les autres circonstances font apparaître comme raisonnable (ATF 131 V 407 consid. 1.1 p. 409; 130 I 312 consid. 5.1 p. 331; 129 V 411 consid. 1.2 p. 416 et les arrêts cités). Indépendamment de savoir ce qu’est un délai raisonnable dans le présent cas, il est évident qu’un délai d’un jour ouvrable ne l’est pas. Au demeurant, comme l’a constaté la juridiction cantonale, le courrier du 28.12.2017 de l’assuré ne comportait pas la demande qu’une décision fût rendue sur d’éventuelles lacunes de cotisations.

On ne saurait pas non plus voir une « insécurité juridique » ou une « inégalité de traitement » dans le fait que certaines caisses de compensation répondent plus vite que d’autres aux demandes des assurés. L’assuré n’invoque aucune disposition légale qui fixerait un délai uniforme qui imposerait aux caisses d’agir toutes dans le même délai.

Quant à l’argumentation de l’assuré selon laquelle la caisse de compensation l’aurait induit en erreur en utilisant le terme de « prescription » dans sa correspondance du 12.03.2018, elle se révèle également vaine sous l’angle d’une violation des règles de la bonne foi, dès lors déjà qu’au moment où la caisse de compensation a utilisé ce terme pour la première fois, le délai de péremption de l’art. 16 al. 1 LPGA était déjà échu.

 

Finalement, l’assuré se fonde sur l’« inactivité » de la caisse de compensation – elle ne lui a pas notifié de décision de cotisations pour l’année 2012 à l’époque des faits, alors qu’elle avait réclamé des cotisations pour les années précédentes – pour en déduire un droit à combler la lacune de cotisations de 2012. A cet égard, selon la jurisprudence, une lacune de cotisation ne peut plus être réparée, quand bien même elle serait imputable à une faute ou une erreur de l’administration, sous réserve du droit à la protection de la bonne foi (ATF 100 V 154 consid. 2a p. 155 et 3c p. 157; arrêt 9C_462/2015 du 5 août 2015 consid. 2 et les références). Or, même à supposer que la caisse de compensation aurait dû rendre une décision en 2012, on ne voit pas que les conditions auxquelles un assuré peut se prévaloir du principe de la protection de la bonne foi soient réalisées (cf., p. ex., ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 p. 193). La seule affirmation d’une violation de ce principe ne suffit pas.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_383/2019 consultable ici