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ATF 146 V 95 – 9C_391/2019 (d) du 23.03.2020 – Partage des avoirs de prévoyance professionnelle en cas de divorce / Interprétation des art. 122 et 123 CC – Cas de prévoyance invalidité en cours (annoncé à l’AI) mais sans octroi de rente lors de l’introduction de la procédure de divorce

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_391/2019 (d) du 23.03.2020, publié aux ATF 146 V 95

 

Arrêt 9C_391/2019 consultable ici

ATF 146 V 95 consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Partage des avoirs de prévoyance professionnelle en cas de divorce / 122 ss CC

Interprétation des art. 122 et 123 CC / Cas de prévoyance invalidité en cours (annoncé à l’AI) mais sans octroi de rente lors de l’introduction de la procédure de divorce

 

Par jugement du 22.06.2018, le divorce entre A.__ (né en 1958) et B.__ (née en 1959) a été prononcé ; le partage de la moitié des avoirs de prévoyance professionnelle accumulés pendant le mariage a été ordonné conformément à l’art. 122 CC. Après que le jugement de divorce est devenu définitif et dans le cadre de la procédure prévue à l’art. 281 al. 3 CPC, le tribunal a renvoyé le 31.08.2018 l’affaire au tribunal cantonal compétent pour le partage des prestations de sortie (« décision en termes de montant »).

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a calculé la prestation de sortie pour l’épouse à CHF 670’106.35 et pour l’époux à CHF 343’049.30 lors de l’introduction de la procédure de divorce. Elle en a déduit les avoirs de prévoyance existant au moment du mariage et constitués jusqu’au moment de l’introduction de la procédure de divorce, soit CHF 318’013.37 pour l’époux et CHF 197’602.52 pour l’épouse. L’instance cantonale a fixé le partage de l’avoir de prévoyance de l’époux à CHF 352’092,98 et celui de son épouse divorcée à CHF 145’446,78. Par conséquent, après avoir divisé ces montants à parts égales, il a accordé à l’épouse divorcée CHF 103’323,10 CHF (net) au titre de la compensation des pensions.

Par arrêt du 07.05.2019, le tribunal cantonal des assurances a ordonné à l’institution de prévoyance de transférer CHF 103’323.10 du compte de l’époux, majoré des intérêts à compter du 20.02.2018, sur le compte de l’épouse divorcée auprès de la caisse de pension X.__.

 

TF

A.__ a recouru contre l’arrêt du 07.05.2019, demandant son annulation et le « report de la détermination du montant à transférer par son institution de prévoyance jusqu’à la détermination de la pension d’invalidité » »

La IIe Cour de droit social et la IIe Cour de droit civil du Tribunal fédéral ont mené la procédure d’échange selon l’art. 23 LTF.

 

Consid. 2.2

En cas de divorce, les prestations de sortie et les parts de rente sont partagées conformément aux art. 122 à 124e CC et 280 et 281 CPC ; les art. 3 à 5 LFLP s’appliquent par analogie au montant à transférer (art. 22 LFLP).

Conformément au principe de l’art. 122 CC, les prétentions de prévoyance professionnelle acquises durant le mariage et jusqu’à l’introduction de la procédure de divorce sont partagées entre les époux. Il faut distinguer les partages « pour les prestations de sortie » (art. 123 CC), « en cas de perception d’une rente d’invalidité avant l’âge réglementaire de la retraite » (art. 124 CC) et « en cas de perception d’une rente d’invalidité après l’âge réglementaire de la retraite ou d’une rente de vieillesse » (art. 124a CC).

 

Consid. 2.3

Les prestations de sortie acquises, y compris les avoirs de libre passage et les versements anticipés pour la propriété du logement, sont partagées par moitié (art. 123 al. 1 CC). En vertu de l’art. 123 al. 3 CC, les prestations de sortie à partager se calculent conformément aux art. 15 à 17 et 22a ou 22b LFLP. Au sens de l’art. 124 al. 1 CC, si, au moment de l’introduction de la procédure de divorce, l’un des époux perçoit une rente d’invalidité et qu’il n’a pas encore atteint l’âge réglementaire de la retraite, le montant auquel il aurait droit en vertu de l’art. 2 al 1ter LFLP en cas de suppression de sa rente est considéré comme prestation de sortie. Conformément à l’art. 124 al. 2 CC, les dispositions relatives au partage des prestations de sortie s’appliquent par analogie.

La différence entre les dispositions de l’art. 123 et de l’art. 124 CC réside essentiellement dans le fait que la répartition prévue à l’art. 123 CC ne concerne que les prestations de sortie « acquises » (c’est-à-dire les prestations « effectivement » épargnées et portant intérêt), tandis que celle prévue à l’art. 124 CC, il s’agit d’une prestation de sortie « hypothétique », qui comprend en outre les avoirs (ainsi que les intérêts) provenant du maintien du compte de vieillesse après le début de l’invalidité (cf. art. 14 OPP 2) dans le domaine obligatoire et l’exonération des cotisations en vertu de la réglementation dans le domaine plus étendu) (Message du 29 mai 2013 concernant la révision du code civil suisse (Partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce), FF 2013 4353 ch. 1.5.2 et 4357 ch. 2.1 ; JUNGO/GRÜTTER, in : FamKomm Scheidung, vol. I, 3. Aufl. 2017, N. 6 ss. à l’art. 124 CC ; FLEISCHANDERL/HÜRZELER, in : FamKomm Scheidung, Bd. II, Anhang Sozialversicherungsrechtliche Fragen in Bezug auf Trennung und Scheidung, 3. Aufl. 2017, p. 432 Rz. 206 ; GEISER/WALSER, in : Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch, Bd. I, 6. Aufl. 2018, N. 2 à l’art. 124 ZGB).

 

Consid. 2.4

Pour chaque conjoint, la prestation de sortie à partager correspond à la différence entre la prestation de sortie, augmentée des avoirs de libre passage existant éventuellement au jour de l’introduction de la procédure de divorce, et la prestation de sortie augmentée des avoirs de libre passage existant éventuellement au moment de la conclusion du mariage. Pour ce calcul, on ajoute à la prestation de sortie et à l’avoir de libre passage existant au moment de la conclusion du mariage les intérêts dus au jour de l’introduction de la procédure de divorce. Les paiements en espèces et les versements en capital effectués durant le mariage ne sont pas pris en compte (art. 22a al. 1 LFLP). Les prétentions réciproques des époux à des prestations de sortie ou à des parts de rente sont compensées entre elles (art. 124c al. 1, 1e phrase, CC).

 

Consid. 3

La seule somme litigieuse et à examiner est le montant de l’avoir de vieillesse de l’époux divorcé au 19.02.2018 (introduction de la procédure de divorce), que la cour cantonale a pris en compte à hauteur de CHF 670’106.35. L’époux affirme (comme déjà dans la procédure devant le tribunal cantonal) qu’il est tombé gravement malade en novembre 2014 et qu’il s’est ensuite annoncé à l’assurance-invalidité afin de bénéficier de leurs prestations. La procédure était en cours et la question de savoir s’il avait droit à une rente d’invalidité AI avec effet rétroactif (dès 2015) et, par conséquent, à celle de la prévoyance professionnelle était ouverte. L’avoir de vieillesse de CHF 670’106.35 déclaré par son institution de prévoyance au 19 février 2018 n’était donc que provisoire et pouvait encore être considérablement réduit. Le présent litige ne pourra être réglé qu’après que le droit à une pension d’invalidité aura été clarifié.

 

Consid. 4.1

S’agissant de l’application des art. 123 et 124 CC, l’instance cantonale a seulement considéré que le cas de droit à une rente ne s’était pas produit pour l’époux divorcé lors de l’introduction de la procédure de divorce le 19.02.2018, puisque aucun droit à une rente de l’AI n’était né jusqu’à ce moment-là. Les éventuelles procédures en cours auprès de l’AI ne devaient donc pas être prises en compte dans le partage des prétentions de prévoyance professionnelle. La cour cantonale a donc (implicitement) assimilé la perception effective d’une rente à la survenance de l’événement assuré ou l’a considérée comme le critère déterminant pour la délimitation entre les art. 123 et 124 CC et a (exclusivement) considéré que la première des deux dispositions était applicable.

 

Consid. 4.2.1

Selon l’ancien droit applicable jusqu’au 31.12.2016, le partage des prestations de sortie était (en principe ; cf. pour une exception SVR 2011 BVG Nr. 24 S. 91, 9C_610/2010 consid. 3 ; 2010 BVG Nr. 11 S. 40, 9C_691/2009 consid. 2) était exclue si un « cas de prévoyance » est déjà « survenu » pour l’un des époux (« Vorsorgefall eingetreten » ; « sopraggiunto [un] caso d’assicurazione » resp. « di previdenza ») au moment considéré (cf. art. 122 al. 1 et 124 al. 1 aCC [RO 1999 1128 s.]; ATF 142 V 419 consid. 4.4 p. 424).

 

Consid. 4.2.2

Le Tribunal fédéral a défini ce principe comme suit : Le cas d’invalidité assuré ne survient pas avec l’incapacité de travail sous-jacente, mais avec le début du droit à une prestation d’invalidité (art. 26 al. 1 LPP). Cela correspond à la jurisprudence relative au partage de la prestation de sortie en cas de divorce : selon celle-ci, le cas d’invalidité assuré est survenu si l’un des conjoints est invalide à raison de 50% au moins ou – depuis le 01.01.2005 – 40% au moins ou a présenté une incapacité de travail d’au moins 50% ou – depuis le 01.01.2005 d’au moins 40% durant une année sans interruption notable ou a perçu la prestation sous la forme d’un capital (ATF 142 V 419 consid. 4.3.1 p. 422 ; ATF 134 V 28 consid. 3.4.2 p. 32 ; ATF 129 III 481 consid. 3.2.2 p. 484).

Dans l’ATF 142 V 419 consid. 4.4, le Tribunal fédéral, au vu de cette jurisprudence, a relativisé l’importance de la perception (effective) d’une rente : il a précisé que la réduction complète d’un droit à une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle pour cause de surindemnisation ne change rien à la survenance du cas d’invalidité assuré du premier pilier dans le cadre d’un divorce. Dans les cas cités, l’existence d’un droit à une rente d’invalidité (au moins de l’assurance-invalidité) était déjà claire avant le moment déterminant (entrée en force du jugement de divorce) (ATF 142 V 419 lit. A p. 420 ; 134 V 28 consid. 3.1 p. 30 ; 129 III 481 consid. 3 p. 483).

 

Consid. 4.2.3

Dans l’arrêt 9C_388/2009 du 10.05.2010 consid. 4.4 (non publié in ATF 136 V 225, mais in SVR 2011 BVG Nr. 8 p. 27), le Tribunal fédéral a précisé que ce n’est pas la perception de la rente en tant que telle qui est déterminante, mais uniquement le fait que le droit aux prestations soit né avant le moment déterminant, même si une décision définitive à ce sujet n’intervient qu’ultérieurement (pendant la procédure devant le tribunal de la prévoyance professionnelle ou même après sa conclusion). Si, dans ce sens, le cas d’invalidité s’était produit (et que le partage selon l’art. 122 al. 1 aCC était impossible), le cas devait être renvoyé d’office au juge du divorce, qui était à son tour compétent, pour la détermination d’une indemnité équitable (art. 124 al. 1 aCC) (ATF 136 V 225 consid. 5.3 p. 227 ss).

Puis le Tribunal fédéral a considéré ce qui suit dans l’arrêt 9C_191/2013 du 08.07.2013 consid. 4 (SVR 2014 BVG Nr. 2 p. 5 ; en confirmation de l’arrêt 9C_388/2009 resp. ATF 136 V 225 et en référence à l’arrêt 9C_899/2007 du 28.03.2008 consid. 5.2, FamPra.ch 2008 p. 654) : En principe, le tribunal de la prévoyance professionnelle est lié par le partage prévu dans le jugement de divorce et doit simplement l’exécuter. Cela s’applique également si un cas de prévoyance survient après le moment déterminant ([alors] entrée en force du jugement de divorce). La situation est toutefois différente s’il s’avère par la suite qu’un événement assuré de facto s’est déjà produit avant la date déterminante. Dans ce cas, l’ensemble de la procédure régie par les art. 122/141-142 aCC et 25a aLFLP ne peut être appliqué. Dans ce cas, si le tribunal de la prévoyance professionnelle n’a pas encore procédé à la répartition selon l’art. 122 aCC, il doit suspendre la procédure si le versement rétroactif de prestations d’invalidité jusqu’à une date antérieure au jugement de divorce est probable ou si l’institution de prévoyance est en train de clarifier la question, ou – si un versement rétroactif est certain – renvoyer la question au tribunal du divorce afin qu’il détermine une indemnité équitable conformément à l’art. 124 al. 1 aCC, au besoin par voie de révision du jugement de divorce. Cela vaut également si la procédure AI est encore en cours. En effet, les personnes qui sont invalides à 40% au moins au sens de l’AI ont droit à des prestations d’invalidité LPP (art. 23 lit. a in initio LPP). Le moment décisif pour la survenance du cas d’invalidité assuré est l’entrée en force de la décision de l’assurance-invalidité. Ceci en raison du fait que l’octroi d’une rente de l’assurance invalidité donne également droit à rente au titre de la prévoyance professionnelle obligatoire.

 

Consid. 4.2.4

Il en ressort que dans la situation juridique applicable jusqu’à fin 2016, pour l’application de l’art. 122 al. 1 aCC ou de l’art. 124 al. 1 aCC la perception effective d’une rente avant la date déterminante n’était pas pertinente. Seule la survenance du cas d’invalidité assuré selon le premier (ou le deuxième) pilier était relevant, même si elle n’était déterminée qu’ultérieurement – dans le cadre d’une attribution de rente rétroactive.

 

Consid. 4.3.1

On peut se demander si, dans le droit actuel, le même critère doit être appliqué pour la démarcation entre les art. 123 et 124 CC.

La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme (ATF 146 V 51 consid. 8.1 p. 63 ; ATF 145 III 109 consid. 5.1 p. 114 ; ATF 144 III 29 consid. 4.4.1 p. 34 s. ; ATF 131 III 314 consid. 2.2 p. 315 s. ; ATF 121 III 460 consid. 4a/bb p. 465 ; chacun avec les références).

 

Consid. 4.3.2

Selon l’art. 124 al. 1 CC, l’élément déterminant pour son application est le fait que le conjoint « perçoit » (« bezieht », « percepisce ») une rente d’invalidité au moment (nouvellement pertinent) de l’introduction de la procédure de divorce. Cette formulation semble claire. Toutefois, l’élément de la perception effective d’une rente est déjà relativisé au vu de la formulation de l’art. 124 al. 3 CC en ce qui concerne « une rente d’invalidité […] réduite pour cause de surindemnisation » (éventuellement totale) (cf. également le consid. 4.2.2 ci-dessus et la référence à l’ATF 142 V 419 consid. 4.4 p. 424).

 

Consid. 4.3.3

Rien n’indique, dans les documents, qu’il y ait eu une discussion sur l’aspect du libellé de l’art. 124 al. 1 CC qui nous intéresse ici. Tant dans le message du Conseil fédéral (FF 2013 4341 ss, notamment 4353 ss [ch. 1.5.2 et 1.5.3] et 4357 ss [ch. 2.1]) que dans les délibérations de l’Assemblée fédérale (BO 2014 S 522 ss ; BO 2015 N 757 ss), la perception d’une rente était assimilée à la survenance de l’événement assuré et les expressions correspondantes étaient utilisées comme synonymes. Il n’est pas évident que cela ait été compris différemment que dans l’ancienne situation juridique (cf. consid. 4.2.3 ci-dessus) et que le terme plus étroit de perception effective de la rente soit désormais déterminant.

 

Consid. 4.3.4

La nouvelle réglementation du partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce visait notamment à permettre le partage des avoirs de pension même si l’un des conjoints était déjà invalide. Toutes les prétentions de prévoyance professionnelle acquises durant le mariage (jusqu’à l’introduction de la procédure de divorce) (prestations de sortie) devaient être soumis au partage (FF 2013 4355 ch. 1.5.3, 4904 ss ch. 2.1 ; BO 2014 S 524 ; BO 2015 N 759, 761, 764). L’octroi rétroactif d’une rente à un moment antérieur à la date effective de l’introduction du divorce peut également conduire – en fonction de la durée du mariage – à une augmentation supplémentaire de l’avoir de prévoyance. Il n’est pas logique que le conjoint divorcé ne participe pas aux bonifications dues au maintien du compte de vieillesse pour la seule raison qu’ils ne sont accordés qu’après la date déterminante (mais rétroactivement).

 

Consid. 4.3.5

D’un point de vue systématique, il faut noter qu’en principe le montant de l’art. 124 al. 1 CC ne peut pas être utilisé pour le partage de la prévoyance professionnelle si une rente d’invalidité a été réduite en raison de la surindemnisation avec les prestations de l’assurance-accidents ou de l’assurance militaire. Dans ce cas, une indemnité équitable est due conformément à l’art. 124e al. 1 CC (art. 124 al. 3 CC en relation avec l’art. 26a OPP 2 ; FF 2013 4363 ch. 2.1). La raison de cette exception existe indépendamment du fait que le droit à la pension était déjà ouvert au moment de l’introduction de la procédure de divorce ou seulement ultérieurement.

 

Consid. 4.4

A l’aune de ce qui précède, l’élément déterminant pour l’application de l’art. 124 CC est de savoir si un droit à une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle est né ou, en d’autres termes, si le cas d’invalidité est survenu avant l’introduction de la procédure de divorce. Dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire, la survenance de l’événement assuré coïncide avec l’ouverture du droit à une rente de l’assurance invalidité, même si la rente de la prévoyance professionnelle est différée (pour éviter une surindemnisation). Il en va de même pour la prévoyance étendue si le règlement ne contient rien de contraire (ATF 142 V 419 consid. 4.3.3-4.4 p. 423 s.; GEISER/WALSER, op. cit., N. 7 ad Art. 124 ZGB; FLEISCHANDERL/HÜRZELER, op. cit., p. 432 s. no 207). Contrairement à l’avis de l’instance cantonale, le fait qu’une décision définitive sur le droit à une rente d’invalidité soit encore pendante et que, par conséquent, aucune rente ne soit (encore) perçue n’exclut ni la survenance de l’événement assuré au moment déterminant, ni l’application de l’art. 124 CC (cf. également MEYER/UTTINGER, in: BVG und FZG, 2e ed., 2019, no 42 ad Art. 73 BVG; JUNGO/GRÜTTER, op. cit., no 5 ad art. 122 ZGB et no 13 s. ad art. 124 ZGB).

 

Consid. 5.1 (non publié aux ATF 146 V 95)

Compte tenu des observations (suffisamment précises) de l’époux recourant, il est difficile de savoir si un cas de prévoyance « invalidité » s’est produit dans son cas avant l’introduction de la procédure de divorce. Il n’est pas possible de répondre à cette question sur la base des dossiers de la juridiction cantonale. La cour cantonale devra procéder aux clarifications nécessaires (cf. art. 73 al. 2 LPP). Lorsqu’un droit à une rente d’invalidité avec effet rétroactif à un moment antérieur à l’introduction de la procédure de divorce ne peut être exclu, il est généralement opportun de suspendre la procédure – comme dans le droit précédant (cf. consid. 4.2.3) – jusqu’à ce que la question de la survenance de l’événement assuré soit clarifiée.

Cela vaut également en l’espèce où le tribunal de la prévoyance professionnelle, selon l’ordonnance du dispositif n° 3 du jugement de divorce et la lettre de transfert du tribunal de district (cf. faits de la cause, lit. A), doit déterminer le montant à transférer dans le cadre du partage des avoirs de prévoyance professionnelle.

 

Consid. 5.3 (non publié aux ATF 146 V 95)

La partie défenderesse et l’OFAS évoquent les inconvénients liés au retard (supplémentaire) du partage des avoirs de prévoyance professionnelle. Toutefois, afin d’éviter ces inconvénients, des mesures provisionnelles peuvent être prises conformément au droit procédural cantonal (cf. § 46 al. 2 de la loi argovienne du 4 décembre 2007 sur l’administration du droit administratif (Verwaltungsrechtspflegegesetz, VRPG ; SAR 271.200).

 

Le TF admet le recours de l’époux divorcé.

 

 

Arrêt 9C_391/2019 consultable ici

ATF 146 V 95 consultable ici

 

 

Proposition de citation : ATF 146 V 95 – 9C_391/2019 (d) du 23.03.2020 – Interprétation des art. 122 et 123 CC, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/11/atf-146-v-95-9c_391-2019)

4A_518/2020 (f) du 25.08.2021 – Accès par l’employeur aux conversations privées sur le téléphone portable et messagerie électronique professionnels / Tort moral – Atteinte illicite à la personnalité du travailleur / Traitement de données personnelles au sens de l’art. 3 LPD par l’employeur / Respect des principes généraux de la LPD – Bonne foi et proportionnalité

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_518/2020 (f) du 25.08.2021

 

Consultable ici

 

Accès par l’employeur 5 mois après le licenciement aux conversations privées sur le téléphone portable et messagerie électronique professionnels

Tort moral – Atteinte illicite à la personnalité du travailleur / 328 CO – 328b CO – 49 al. 1 CO

Traitement de données personnelles au sens de l’art. 3 LPD par l’employeur

Respect des principes généraux de la LPD – Bonne foi et proportionnalité

 

Procédure cantonale (arrêt CAPH/163/2020 – consultable ici)

La cour cantonale a écarté diverses pièces produites par l’employeuse, consistant qui en des conversations WhatsApp privées échangées sur le téléphone portable mis à disposition de l’employé, qui en des courriels intimes envoyés depuis sa messagerie professionnelle : il s’agissait de preuves obtenues en violation des art. 143bis al. 1 et 179novies CP, 328 et 328b CO, et 8 CEDH.

Les pièces n. 2 et 2bis consistaient en des courriels intimes que l’employé avait échangés, au moyen de sa messagerie professionnelle, avec une collègue intimement liée à lui. L’employeuse (qui n’avait pas interdit l’utilisation de la messagerie à des fins privées) y avait accédé sans l’autorisation de l’employé. Elle avait violé ses droits de la personnalité, de sorte que ces preuves avaient été obtenues illicitement.

S’agissant des autres pièces, l’employeuse, par l’entremise de la fille du directeur général D1.________, avait récupéré sans l’autorisation de l’employé des conversations WhatsApp privées qu’il avait échangées, via son téléphone portable, avec des proches et des collègues. Cette récupération était intervenue par le biais de son compte iCloud personnel protégé par un mot de passe. L’employeuse savait que l’employé utilisait son téléphone professionnel à des fins privées et l’avait autorisé à supprimer les données privées avant de le restituer; elle ne pouvait, sans violer le principe de la bonne foi, récupérer cinq mois plus tard ces données sans solliciter l’autorisation de celui-ci. Le procédé était en outre extrêmement intrusif. Il s’agissait aussi de moyens de preuve illicites.

Le litige s’inscrivant dans un contexte privé à caractère purement patrimonial, l’intérêt à la découverte de la vérité ne prévalait pas sur le droit de l’employé à la protection de sa personnalité.

La cour cantonale a alloué à l’employé une indemnité pour tort moral de 5’000 fr. motivée par la grave atteinte que l’employeuse avait portée à sa personnalité (art. 328 et 328b CO en lien avec l’art. 49 al. 1 CO). Son argumentation peut se résumer comme il suit:

Après le licenciement immédiat de l’employé, l’employeuse avait accédé sans autorisation aux conversations privées que celui-ci avait échangées avec autrui sur son téléphone portable et sa messagerie électronique professionnels.

Le contrat précisait certes que le téléphone portable ne devait être utilisé qu’à des fins professionnelles. L’intéressée savait néanmoins que l’employé en faisait aussi un usage privé puisqu’elle lui avait donné la possibilité de supprimer ses données privées avant de restituer l’appareil. Dans ce contexte, récupérer cinq mois plus tard, sans autorisation, les données du téléphone via le compte iCloud personnel de l’employé constituait non seulement une atteinte à la personnalité, mais aussi une violation du principe de la bonne foi. Quant à la messagerie professionnelle, l’employeuse n’avait pas interdit son utilisation à des fins privées et y avait également accédé sans autorisation alors que le contenu des messages était personnel. Ce faisant, elle avait derechef porté atteinte à la personnalité de l’employé.

L’employeuse entendait récolter des preuves susceptibles d’accabler l’employé. Or, d’autres méthodes moins intrusives lui eussent permis de sauvegarder ses intérêts, notamment en récoltant des informations auprès des employés qui avaient travaillé avec l’intimé et en demandant leur audition en tant que témoins.

D’un point de vue objectif, l’atteinte (illicite) à la personnalité était particulièrement grave. Les données obtenues ne relevaient pas seulement de la sphère privée de l’employé, mais aussi de sa sphère intime, notamment sexuelle. Qui plus est, l’employeuse avait eu accès à l’ensemble des conversations privées que l’employé avait échangées sur son téléphone portable professionnel durant les rapports de travail. Certaines données avaient même été portées à la connaissance de tiers tels que des employés de l’entreprise, des membres de la famille de D1.__ [directeur général de l’entreprise] ou des personnes ayant eu accès à la présente procédure, dont les employés de l’assurance chômage.

Sur le plan subjectif, l’atteinte subie par l’employé, déjà fragilisé psychologiquement par la résiliation des rapports de travail, était effectivement de nature à provoquer la forte souffrance morale qu’il disait avoir ressentie.

 

TF

L’employeur est tenu de protéger et respecter, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur (art. 328 al. 1 CO).

Il ne peut traiter des données concernant le travailleur que dans la mesure où elles portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail. En outre, les dispositions de la loi fédérale sur la protection des données (LPD) sont applicables (art. 328b CO).

Selon l’art. 3 LPD, constituent des données (personnelles) toutes les informations se rapportant à une personne identifiée ou identifiable (let. a). Par traitement, il faut comprendre toute opération relative à des données personnelles – quels que soient les moyens et procédés utilisés – notamment la collecte, la conservation, l’exploitation, la modification, la communication, l’archivage ou la destruction de données (let. e).

Tout traitement de données doit être licite, et effectué conformément aux principes de la bonne foi et de la proportionnalité (art. 4 al. 1 et 2 LPD).

Une atteinte à la personnalité est illicite à moins d’être justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi (art. 13 al. 1 LPD; cf. aussi art. 28 al. 2 CC).

 

Traitement de données personnelles au sens de l’art. 3 LPD

Les informations/données visées par l’art. 3 let. a LPD peuvent consister en des constatations de fait ou en des jugements de valeur se rapportant à une personne identifiée ou identifiable. Peu importe la forme des données (signe, mot, image, son ou une combinaison de ces éléments) et le support sur lequel elles reposent (matériel ou électronique) (cf. entre autres PORTMANN/RUDOLPH, in Basler Kommentar [Obligationenrecht I], 7e éd. 2020, n° 3 ad art. 328b CO; GABOR BLECHTA, in Basler Kommentar [Datenschutzgesetz], 3e éd. 2014, n° 6 ad art. 3 LPD; PHILIPPE MEIER, Protection des données, 2011, n° 422). Constituent ainsi des données au sens de l’art. 328b CO tous les renseignements, indications ou notes concernant la personne du travailleur, ses relations et ses activités, qu’elles portent sur sa vie privée ou professionnelle (MEIER, op. cit., n° 2031).

Quant à la notion de traitement, qui est très large comme le montre la définition légale précitée, il est admis qu’elle vise notamment la démarche de l’employeur qui prend intentionnellement connaissance (ou collecte) des données personnelles d’un de ses employés. La simple transmission de données personnelles constitue une communication au sens de l’art. 3 let. f LPD,et partant un traitement de données selon l’art. 3 let. e LPD (arrêt 4A_661/2016 du 31 août 2017 consid. 3.1).

A l’aune de ces précisions, l’employeur conteste sans succès que l’accession à des messages que l’employé avait échangés avec des tiers sur son téléphone portable et sa messagerie électronique professionnels, respectivement leur prise de connaissance et leur transmission à autrui constituent un traitement de données personnelles au sens de l’art. 3 LPD (cf. PETER HAFNER, Auswertung der E-Mails von Arbeitnehmern, PJA 2018 p. 1328 et 1329 point III/A).

 

Atteinte illicite à la personnalité du travailleur

Se pose ensuite la question de savoir si ce traitement constitue une atteinte illicite à la personnalité du travailleur, étant entendu que la protection de l’art. 328b CO peut s’exercer même après la fin des rapports de travail (ATF 131 V 298 consid. 6.1 i.f. p. 304).

Les droits de la personnalité d’une personne physique englobent le droit au respect de la vie privée, qui comprend une sphère privée et une sphère intime. En font parties les informations de nature personnelle transmises au moyen de la messagerie électronique. L’irruption d’un tiers dans cette sphère, notamment pour rassembler des informations, constitue une atteinte à la personnalité (ATF 130 III 28 consid. 4.2 p. 33). En l’occurrence, la nature privée, et parfois même intime, des messages consultés n’est pas contestée, de sorte qu’il n’y a guère de quoi disputer l’atteinte à la sphère privée de l’intéressé (cf. arrêt 4A_465/2012 du 10 décembre 2012 consid. 3.2 ab initio). Le cœur du litige porte bien plutôt sur la licéité de cette atteinte.

Il existe des dissensions doctrinales sur la nature et la portée de l’art. 328b CO (cf. le résumé de la querelle présenté par HAFNER, op. cit., p. 1330; JEAN-PHILIPPE DUNAND, Commentaire du contrat de travail, 2013, n° 4 ad art. 328b CO; MEIER, op. cit., nos 2032 ss; ROSENTHAL/JÖHRI, in Handkommentar zum Datenschutzgesetz, 2008, nos 3 ss ad art. 328b CO). Pour la majorité toutefois, cette norme concrétise les principes de proportionnalité et de finalité ancrés à l’art. 4 al. 2 et 3 LPD (cf. entre autres HAFNER, op. cit., p. 1330; MEIER, op. cit., n° 2037; Message du 23 mars 1988 concernant la loi fédérale sur la protection des données, FF 1988 II 494).

Cela étant, le Tribunal fédéral a précisé que l’art. 328b CO introduit une présomption de licéité du traitement de données lorsqu’elles «portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat» (ATF 130 II 425 consid. 3.3 p. 434). Le traitement de données est en principe licite lorsqu’il est en relation directe avec la conclusion ou l’exécution d’un contrat. L’art. 328b CO concrétise ce fait justificatif dans le domaine des rapports de travail en désignant deux situations qui autorisent a priori le traitement de données (GABRIEL AUBERT, La protection des données dans les rapports de travail, in Journée 1995 de droit du travail et de la sécurité sociale, 1999, p. 150).

De façon générale, la doctrine admet qu’un traitement de données s’inscrivant dans le champ de l’art. 328b CO (i.e. a priori licite) doit néanmoins respecter les principes généraux de la LPD, en particulier la bonne foi et la proportionnalité (HAFNER, op. cit., p. 1330 i.f.et 1334; DUNAND op. cit., nos 13 et 34 ad art. 328b CO; STREIFF ET ALII, Arbeitsvertrag, Praxiskommentar zu Art. 319-362 OR, 7e éd. 2012, p. 583 n. 7 et p. 621 n. 18; MEIER, op. cit., no 2055; REHBINDER/STÖCKLI, Berner Kommentar, 2010, n° 7 ad art. 328b CO; ADRIAN STAEHELIN, Zürcher Kommentar, 4e éd. 2006, nos 1 et 8 ad art. 328b CO; AUBERT, op. cit., p. 150 i.f.; cf. aussi ATF 130 II 425 consid. 3.3 p. 434). Ce dernier principe commande de mettre en balance l’intérêt de l’auteur du traitement des données et celui de la personne concernée par ce traitement (cf. par ex. MEIER, op. cit., n° 665 s.). Lorsque le traitement de données n’entre pas dans le cadre de l’art. 328b CO, il est présumé illicite et doit pouvoir se fonder sur un autre motif justificatif au sens de l’art. 13 LPD (PORTMANN/RUDOLPH, op. cit., nos 7 et 23 ad art. 328b CO; DUNAND, op. cit., n° 25 ad art. 328b CO; MEIER, op. cit., nos 2056 et 2060; SUBILIA/DUC, Droit du travail, 2010, nos 20 ss ad art. 328b CO; REHBINDER/STÖCKLI, op. cit., n° 11 ad art. 328b CO; ROSENTHAL/JÖHRI, op. cit., nos 12-14 ad art. 328b CO; AUBERT, op. cit., p. 151; cf. aussi l’arrêt 4A_588/2018 du 27 juin 2019 consid. 4.3.1; contra STREIFF ET ALII, op. cit., p. 579 n. 3).

La doctrine est encline à distinguer selon que l’employeur a interdit, autorisé ou toléré l’utilisation de la messagerie électronique et du téléphone portable professionnels à des fins privées. La marge de manœuvre de l’employeur serait plus large lorsqu’il a interdit l’utilisation privée de ces moyens de communication, parce qu’il est alors légitimé à contrôler si l’employé respecte ses directives (cf. DUNAND, op. cit., nos 82 ss ad art. 328b CO; STREIFF ET ALII, op. cit., p. 621-623 n. 18; GABRIEL AUBERT, in Commentaire romand [Code des obligations I], 2e éd. 2012, nos 8-9 ad art. 328b CO; MEIER, op. cit., nos 2170 ss; BERTIL COTTIER, La protection des données, in Internet au lieu de travail, 2004, p. 100 s.; cf. en outre le Guide du Préposé fédéral à la protection des données destiné à l’économie privée, «relatif à la surveillance de l’utilisation d’Internet et du courrier électronique au lieu de travail» [état: septembre 2013], accessible sur le site Internet www.edoeb.admin.ch, spéc. points B.5.4 et B.5.7). Des limites doivent être posées (STREIFF ET ALII, op. cit., p. 622). D’aucuns précisent que même en cas d’interdiction, l’employeur doit en principe s’abstenir de prendre connaissance du contenu des courriels privés ou des conversations téléphoniques privées de l’employé (DUNAND, op. cit., nos 83 i.f., 96 et 103 ad art. 328b CO; MEIER, op. cit., n° 2176, qui concède l’aspect artificiel de cette prescription; ROSENTHAL/JÖHRI, op. cit., no 64 ad art. 328b CO).

En l’occurrence, l’employeuse insiste sur le fait que les messages WhatsApp et les courriers électroniques ont été échangés sur des supports professionnels (téléphone portable et ordinateur) qu’elle avait mis à disposition de l’employé. Elle semble ainsi soutenir entre les lignes que le traitement de ces données s’inscrivait dans le cadre autorisé par l’art. 328b CO, en tant qu’il devait établir les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou s’avérait nécessaire à l’exécution du contrat de travail. Ces données – qu’elle distille dans son recours – démontreraient que l’employé n’effectuait pas les heures supplémentaires prétendues et mettraient en relief son incapacité à «manager» du personnel.

La doctrine semble encline à interpréter largement la notion de données «nécessaires à l’exécution du contrat de travail». Plusieurs auteurs indiquent que sont notamment visées les données nécessaires à la conduite d’un procès portant sur un litige relatif aux rapports de travail (PORTMANN/RUDOLPH, op. cit., n° 9 ad art. 328b CO; JÜRG BRÜHWILER, Einzelarbeitsvertrag, 3e éd. 2014, n° 2 ad art. 328b CO; STREIFF ET ALII, op. cit., p. 583 n. 6 i.f.; MEIER, op. cit., nos 2072 i.f.et 2131; ROSENTHAL/JÖHRI, op. cit., no 27 ad art. 328b CO, qui mentionnent le cas d’une recherche dans les e-mails privés de l’employé; STAEHELIN, op. cit., n° 6 ad art. 328b CO). Toutefois, lors même que l’accession aux messages privés et leur consultation s’inscriraient dans le champ d’activités a priori autorisées par l’art. 328b CO, ces traitements de données restent assujettis aux principes généraux de la LPD.

Il a été constaté en fait que l’employeuse était mue par le souci de trouver des preuves susceptibles d’accabler l’employé. Elle avait successivement notifié deux résiliations de contrat, l’une ordinaire, l’autre avec effet immédiat, et par deux fois l’employé avait manifesté son opposition; dans un possible accès de rage, il avait annoncé son intention de lui «pourrir la vie» et déclaré vouloir invalider l’avenant d’octobre 2016 relatif au délai de congé. Un procès était dès lors prévisible, et l’employeuse devait bien s’attendre à ce que l’ex-employé émette des prétentions pécuniaires. En revanche, un intérêt à protéger les autres employés ne pouvait guère être revendiqué puisque les rapports de travail avaient pris fin.

Selon la doctrine précitée, la nécessité de recueillir des preuves en prévision d’un procès portant sur la fin des rapports de travail peut entrer dans le champ de l’art. 328b CO.

L’autorité cantonale a toutefois jugé qu’il existait d’autres moyens d’investigation moins intrusifs permettant d’atteindre le but recherché par l’employeuse, qui pouvait notamment recueillir des renseignements auprès des employés et les faire auditionner comme témoins. Ce faisant, elle a brandi le principe de proportionnalité et soupesé les intérêts en cause, considérant que celui de l’employeuse à récolter des preuves pour se défendre n’était pas prépondérant dans cette affaire de nature patrimoniale et ne justifiait pas pareille intrusion dans la vie intime de l’intéressé.

Dans les circonstances d’espèce, il faut bien admettre que la Cour de justice n’a pas enfreint le droit fédéral en tirant une telle conclusion, ni abusé de son pouvoir d’appréciation. En jetant en pâture jusque dans son recours des pans de la vie intime de l’employé pour défendre ses intérêts financiers, l’employeuse ne réussit qu’à démontrer son absence totale d’égard pour la personnalité de l’employé.

 

Indemnité pour tort moral

Le salarié victime d’une atteinte à la personnalité contraire à l’art. 328 CO (respectivement à l’art. 328b CO) du fait de son employeur peut, le cas échéant, prétendre à une indemnité pour tort moral aux conditions fixées par l’art. 49 al. 1 CO (ATF 130 III 699 consid. 5.1 p. 704; arrêt précité 4A_465/2012 consid. 3.2).

Selon cette disposition, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d’argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l’atteinte le justifie et que l’auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement. N’importe quelle atteinte légère à la réputation professionnelle, économique ou sociale d’une personne ne justifie pas une réparation (ATF 130 III 699 consid. 5.1 p. 704; 125 III 70 consid. 3a p. 75). L’atteinte doit avoir une certaine gravité objective et doit avoir été ressentie par la victime, subjectivement, comme une souffrance morale suffisamment forte pour qu’il apparaisse légitime qu’une personne, dans ces circonstances, s’adresse au juge pour obtenir réparation (arrêt précité 4A_465/2012 consid. 3.2; arrêt 4A_665/2010 du 1er mars 2011 consid. 6.1).

En l’espèce, la gravité de l’atteinte a été suffisamment soulignée par la cour cantonale. Quant à la souffrance morale de l’employé, elle est d’autant plus évidente que l’employeuse ne lui a pas épargné l’étalage des détails de sa vie intime dans le contexte de la présente procédure. Le fait que l’intéressé ait adopté des comportements importuns à caractère sexuel sur son lieu de travail avant la résiliation de son contrat ne le prive pas pour autant du droit au respect de sa sphère privée et intime. L’employeuse a beau jeu de prétendre que la femme et le fils de son directeur général (D1.__) avaient le droit d’être informés par le menu, à mesure qu’ils seraient eux-mêmes victimes d’atteinte à l’honneur: elle ne saurait légitimer a posteriori son intrusion par ce qu’elle prétend avoir découvert ou l’interprétation qu’elle en livre. Quant aux employés de la caisse de chômage qui n’auraient, à l’en croire et de manière quasi certaine, même pas consulté le dossier, et donc pas pris connaissance des éléments touchant à la vie intime de l’employé, ce ne sont certes pas les descriptions qui jalonnent les écritures de l’employeuse qui sont aptes à les en dissuader. C’est donc à bon droit que la cour cantonale a condamné l’employeuse à payer à l’employé une indemnité pour tort moral dont le montant – incontesté en tant que tel – doit être confirmé.

 

 

Arrêt 4A_518/2020 consultable ici

 

 

9C_594/2020 (f) du 15.09.2021 – Moyens auxiliaires – Frais d’entraînement auditif en lien avec un implant cochléaire – 21 LAI – 14 RAI – 2 et 7 OMAI / Liste des thérapeutes agréés – Choix du personnel médical et des fournisseurs de moyens auxiliaires – Convention tarifaire / 26bis LAI – 27 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_594/2020 (f) du 15.09.2021

 

Consultable ici

 

Moyens auxiliaires / OMAI

Frais d’entraînement auditif en lien avec un implant cochléaire / 21 LAI – 14 RAI – 2 et 7 OMAI

Liste des thérapeutes agréés – Choix du personnel médical et des fournisseurs de moyens auxiliaires – Convention tarifaire / 26bis LAI – 27 LAI

 

Assurée souffrant de surdité bilatérale congénitale, de troubles secondaires de l’expression orale et de troubles psychiques, au bénéficie d’une rente AI et de moyens auxiliaires, dont un implant cochléaire. Le 23.11.2017, elle a requis de l’office AI la prise en charge des frais d’entraînement auditif en lien avec son nouvel implant cochléaire. Elle a précisé que cet entraînement serait dispensé par la logopédiste B.__. Par décision, l’office AI a rejeté la requête dès lors que la logopédiste choisie n’apparaissait pas sur la liste des thérapeutes agréés par l’Association romande des enseignants en lecture labiale (ARELL).

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a considéré que l’office AI n’avait pas violé le droit fédéral en refusant de prendre en charge les coûts relatifs à un entraînement auditif auprès de la logopédiste B.__, au motif que son nom ne figurait pas sur la liste des spécialistes agréés par l’ARELL – avec laquelle l’OFAS avait conclu une Convention tarifaire concernant la rémunération individuelle des enseignants/tes en entraînement à la compréhension – même si l’art. 7 OMAI ne permettait pas expressément à l’OFAS de conclure une telle convention. Elle a aussi indiqué que la convention mentionnée rendait non seulement possible un entraînement auditif de qualité dispensé par des spécialistes ayant une formation spécifique, mais garantissait également une facturation uniforme et économiquement adéquate. Elle a encore précisé que des enseignants agréés par l’ARELL se trouvaient à Martigny et à Monthey.

Par jugement du 24.08.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Convention tarifaire avec les associations des professions médicales et paramédicales – 27 LAI

L’art. 27 al. 1 LAI autorise le Conseil fédéral à conclure des conventions, notamment, avec les associations des professions paramédicales (par exemple la logopédie) qui appliquent les mesures de réadaptation, afin de régler leur collaboration avec les organes de l’assurance et de fixer les tarifs. Le Conseil fédéral a délégué sa compétence à l’OFAS (art. 24 al. 2 RAI).

Or d’une part, les mesures de réadaptation comprennent l’octroi de moyens auxiliaires (art. 8 al. 3 let. d LAI). D’autre part, la prise en charge des frais résultant du besoin d’entraînement particulier pour utiliser un moyen auxiliaire est un droit accessoire au droit à un tel moyen. Le besoin d’entraînement implique forcément l’octroi d’un moyen auxiliaire. La personne qui dispense un tel entraînement – pour autant qu’elle satisfasse aux prescriptions cantonales visées par l’art. 26bis al. 1 LAI – est donc une personne qui « applique [une] mesure de réadaptation » au sens de l’art. 27 al. 1 LAI. Par conséquent, l’OFAS était en droit de conclure une convention tarifaire avec l’ARELL afin de fixer les tarifs des logopédistes désignés par elle et ainsi habilités à pratiquer un entraînement auditif en lien avec un implant cochléaire.

On ajoutera que, dans la mesure où l’assurance-invalidité a toujours eu vocation à prendre en charge uniquement des moyens auxiliaires simples et adéquats (cf. Message du Conseil fédéral relatif à un projet de loi sur l’assurance-invalidité ainsi qu’à un projet de loi modifiant celle sur l’assurance-vieillesse et survivants du 24 octobre 1958, FF 1958 II 1289, 2e al. ad art. 21), ainsi qu’à garantir la compétence des fournisseurs de prestations (cf. Message du Conseil fédéral cité, FF 1958 1291, 4e al. ad art. 26), l’OFAS n’est pas sorti du cadre de la délégation de compétence ni n’a violé le droit fédéral (cf. arrêt 9C_177/2020 du 28 mai 2021 consid. 7.1 destiné à la publication) en concluant avec l’ARELL une convention visant à fixer des tarifs (art. 1) et à veiller à ce que les prestations soient fournies par du personnel spécialisé, qualifié et diplômé (art. 2).

 

Libre choix du personnel paramédical – 26bis LAI

Selon l’art. 26bis al. 1 LAI, un assuré peut choisir librement le personnel paramédical, les établissements et les ateliers ou encore les entreprises présentes sur le marché ordinaire du travail qui mettent en œuvre des mesures de réadaptation et les fournisseurs de moyens auxiliaires, pour autant qu’ils satisfassent aux prescriptions cantonales et aux exigences de l’assurance. Le fait que l’OFAS était en l’espèce en droit de conclure une convention tarifaire avec l’ARELL, conformément à l’art. 24 al. 2 RAI en relation avec l’art. 27 al. 1 LAI (cf. consid. 6.1 supra), n’a pas pour conséquence de restreindre cette liberté de choix mais seulement de limiter l’étendue de la prise en charge par l’assurance. L’art. 24 al. 3 RAI prévoit en effet à cet égard que pour les personnes et institutions qui appliquent des mesures de réadaptation sans avoir adhéré à une convention, les qualifications professionnelles fixées contractuellement valent comme exigences minimales de l’assurance au sens de l’art. 26bis al. 1 LAI et les tarifs établis par convention comme montants maximaux au sens des art. 21quater al. 1 let. c et 27 al. 3 LAI.

Il n’est dès lors pas impossible que l’assurée ait droit au remboursement des frais d’un entraînement dispensé par un enseignant non agréé par l’ARELL à concurrence du montant qu’elle aurait obtenu pour un prestataire figurant sur la liste de cette institution. Toutefois, comme ni l’administration ni les premiers juges ne se sont exprimés sur ce point, il convient d’annuler le jugement attaqué ainsi que la décision administrative litigieuse et de renvoyer la cause à l’office AI afin qu’il examine le cas sous l’angle évoqué et rende une nouvelle décision.

 

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée, annule le jugement cantonal et la décision litigieuse, renvoyant la cause à l’office AI pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_594/2020 consultable ici

 

 

6B_1247/2020 (f) du 07.10.2021, destiné à la publication – Tardiveté du dépôt du recours au niveau cantonal – Admissibilité de la preuve du respect du délai par vidéo

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1247/2020 (f) du 07.10.2021, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 04.11.2021 disponible ici

 

Un enregistrement vidéo peut en principe apporter la preuve qu’un acte judiciaire a été déposé dans une boîte aux lettres de La Poste Suisse en temps utile. Le Tribunal fédéral admet le recours contre la décision du Tribunal cantonal du canton du Valais.

Un homme avait recouru en 2020 contre le classement d’une procédure pénale auprès du Tribunal cantonal valaisan. Son avocat a déposé le pli contenant le recours dans une boîte aux lettres de La Poste Suisse à 22h05 le soir du dernier jour du délai de dix jours. Dans le pli lui-même, il a informé le Tribunal que le cachet postal figurant sur l’enveloppe expédiée pouvait indiquer la date du jour suivant et qu’il produirait donc un enregistrement vidéo comme preuve du dépôt du recours en temps utile. Le lendemain, le Tribunal cantonal a reçu une clé USB contenant un enregistrement vidéo. Le Tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le recours, qui portait le cachet postal du lendemain, le jugeant hors délai et considérant que l’enregistrement vidéo ne constituait pas une preuve effective du dépôt du recours en temps utile.

Le Tribunal fédéral admet le recours de l’intéressé. Selon le Code de procédure pénale (CPP), le délai est sauvegardé notamment si l’acte de procédure est remis à La Poste Suisse le dernier jour du délai (à minuit) (article 91 CPP). La date du dépôt est présumée coïncider avec celle du sceau postal. Cette présomption peut cependant être renversée. On peut toutefois attendre de l’expéditeur qu’il produise la preuve du dépôt en temps utile avant l’expiration du délai, ou à tout le moins qu’il fasse référence à ce moyen de preuve dans l’envoi lui-même. L’avocat de l’intéressé a dûment procédé de la sorte dans le cas d’espèce. Contrairement à l’avis du Tribunal cantonal, l’enregistrement vidéo peut alors servir de preuve de la remise en temps utile à la poste. Il est vrai, comme l’a retenu le Tribunal cantonal, que les enregistrements audiovisuels sont relativement faciles à manipuler. Toutefois, un avocat commettrait un grave manquement à ses obligations professionnelles s’il falsifiait un moyen de preuve afin d’établir le dépôt en temps utile de son acte. En l’absence d’indices d’une falsification, il ne se justifie pas de douter de l’authenticité d’un enregistrement. La séquence audiovisuelle doit naturellement contenir tous les éléments nécessaires à la preuve, notamment la date et l’heure du dépôt de l’acte ainsi que l’identification du pli contenant le recours. Le Tribunal cantonal valaisan devra ainsi examiner si le contenu de la vidéo apporte la preuve du respect du délai.

Enfin, il convient de relever que le visionnage d’une preuve vidéo peut entraîner un effort supplémentaire et que les coûts correspondants peuvent être mis par le tribunal à la charge de l’expéditeur, c’est-à-dire, par exemple, de l’avocat responsable.

 

 

Arrêt 6B_1247/2020 consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 04.11.2021 disponible ici

Version italienne: Prova video ammissibile per dimostrare il rispetto del termine

Version allemande : Videobeweis für Fristwahrung zulässig

 

 

8C_283/2021 (f) du 25.08.2021 – Suspension du droit à l’indemnité en cas de refus d’un travail convenable – Ne pas donner suite à une assignation à un travail réputé convenable – 30 al. 1 LACI – 16 LACI / Des lacunes en informatique ne constituent pas un motif valable susceptible d’alléger la faute

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_283/2021 (f) du 25.08.2021

 

Consultable ici

 

Devoirs de l’assuré / 17 LACI

Suspension du droit à l’indemnité en cas de refus d’un travail convenable – Ne pas donner suite à une assignation à un travail réputé convenable / 30 al. 1 LACI – 16 LACI

Interprétation de la notion juridique indéterminée « sans motif valable » – Des lacunes en informatique ne constituent pas un motif valable susceptible d’alléger la faute

 

Le 12.02.2019, l’assuré s’est annoncé à l’Office cantonal genevois de l’emploi (OCE) et a sollicité l’octroi de l’indemnité de chômage à compter du 01.03.2019, date à laquelle prendrait fin son activité de chauffeur-livreur sur des véhicules poids lourd auprès d’une société de transport et de logistique.

Par courriel du 29.01.2020, l’OCE a assigné l’assuré à postuler pour un poste de chauffeur poids lourd à plein temps de durée indéterminée. L’intéressé devait postuler en ligne jusqu’au 31.01.2020. Le 29.01.2020, sa conseillère lui a en outre envoyé un message SMS afin d’attirer son attention sur le fait qu’une offre d’emploi par courriel lui avait été adressée. A une date indéterminée, l’employeur concerné a signalé à l’OCE que l’assuré ne lui avait pas fait parvenir de dossier de candidature. Invité par sa conseillère à lui faire part de ses commentaires à ce propos, l’assuré ne s’est pas manifesté.

Par décision, , confirmée sur opposition, l’OCE a suspendu le droit de l’assuré à l’indemnité de chômage pour une durée de 31 jours, au motif qu’il avait commis une faute grave en ne donnant pas suite à une assignation qui lui aurait permis de quitter l’assurance-chômage de façon durable.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/247/2021 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que l’emploi assigné à l’assuré devait être qualifié de convenable et que celui-ci n’avait pas transmis sa candidature au potentiel employeur. Ce faisant, l’intéressé avait violé son obligation de diminuer le dommage et une suspension du droit à l’indemnité de chômage devait être prononcée à son encontre en application de l’art. 30 al. 1 let. c et d LACI.

L’instance cantonale a toutefois relevé que l’assuré avait pris au sérieux ses obligations de chômeur, dès lors qu’il n’avait pas commis d’autres manquements. Il avait en outre toujours répondu à toutes les exigences de son statut de demandeur d’emploi, en effectuant activement ses recherches d’emploi et en suivant les formations requises par l’OCE. Enfin, il prenait dorénavant connaissance des courriels qui lui étaient adressés et il avait retrouvé un emploi à partir du 01.10.2020 pour une durée de six mois. Dans ces conditions, sa faute était de gravité moyenne et la suspension de son droit à l’indemnité de chômage devait être réduite à 16 jours.

Par jugement du 23.03.2021, admission partielle du par le tribunal cantonal, réduisant la durée de la suspension à 16 jours.

 

TF

Lorsque l’assuré refuse, sans motif valable, un emploi réputé convenable, il y a faute grave (art. 45 al. 4 let. b OACI). Par motif valable, il faut entendre un motif qui fait apparaître la faute comme étant de gravité moyenne ou légère. Il peut s’agir, dans le cas concret, d’un motif lié à la situation subjective de la personne concernée ou à des circonstances objectives (ATF 141 V 365 consid. 4.1; 130 V 125 consid. 3.5). Si des circonstances particulières le justifient, il est donc possible, exceptionnellement, de fixer un nombre de jours de suspension inférieur à 31 jours. Toutefois, les motifs de s’écarter de la faute grave doivent être admis restrictivement (BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 117 ad art. 30 LACI et les références).

L’interprétation de la notion juridique indéterminée « sans motif valable » (art. 30 al. 1 let. d LACI) est une question de droit relevant, en principe, du plein pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, contrairement à la question de l’exercice du pouvoir d’appréciation (cf. pour l’art. 45 al. 4 OACI: arrêt 8C_756/2020 du 3 août 2021 consid. 3.2.2 et les références).

En tant qu’autorité de surveillance, le SECO a adopté un barème (indicatif) à l’intention des organes d’exécution. Quand bien même de telles directives ne sauraient lier les tribunaux, elles constituent un instrument précieux pour ces organes d’exécution lors de la fixation de la sanction et contribuent à une application plus égalitaire dans les différents cantons (ATF 141 V 365 consid. 2.4; arrêt 8C_40/2019 du 30 juillet 2019 consid. 5.4). Cela ne dispense cependant pas les autorités décisionnelles d’apprécier le comportement de l’assuré compte tenu de toutes les circonstances – tant objectives que subjectives – du cas concret, notamment des circonstances personnelles, en particulier de celles qui ont trait au comportement de l’intéressé au regard de ses devoirs généraux d’assuré qui fait valoir son droit à des prestations. Elles pourront le cas échéant aller en dessous du minimum prévu par le barème indicatif (arrêt 8C_756/2020 précité consid. 3.2.3 et les références). Le barème du SECO prévoit une suspension d’une durée de 31 à 45 jours en cas de premier refus d’un emploi convenable d’une durée indéterminée (Bulletin LACI IC, ch. D79/2.B/1).

Il ressort des faits constatés par la juridiction cantonale que l’assuré a été assigné à postuler pour un emploi par courriel de l’OCE du 29.01.2020 et que sa conseillère a attiré son attention sur ce point par message SMS du même jour. Les juges cantonaux n’ont à ce titre pas retenu que le courriel et le message SMS en question n’auraient pas été acheminés jusqu’à leur destinataire, de telle sorte que celui-ci n’aurait pas été en mesure d’en prendre connaissance en consultant sa boîte de messagerie électronique et son portable. Selon la cour cantonale, la conseillère de l’assuré a par ailleurs indiqué qu’elle communiquait avec lui par courriel et par téléphone. Il résulte en outre des déclarations faites par l’assuré lors de sa comparution personnelle – telles que reproduites dans l’arrêt attaqué – que ses deux fils vivaient encore avec lui et son épouse et que l’un d’eux lui avait créé son adresse électronique et avait écrit pour lui des courriels en février 2019 et en janvier 2020. On peut donc en déduire que l’assuré bénéficiait de l’assistance d’au moins une personne partageant son ménage pour ses échanges électroniques avec l’OCE et sa conseillère, lesquels n’avaient pas un caractère exceptionnel. Il s’est du reste engagé à consulter quotidiennement sa boîte de messagerie électronique en signant un plan d’actions le 25.02.2019 et a indiqué disposer de son propre téléphone mobile. Dans ces conditions, ses lacunes en informatique ne constituent pas un motif valable au sens de l’art. 45 al. 4 OACI, susceptible d’alléger sa faute, comme l’a implicitement retenu l’autorité cantonale.

En réalité, la cour cantonale a jugé que la faute de l’assuré était seulement de gravité moyenne sur la seule base de son comportement général en tant que chômeur, compte tenu notamment du fait qu’il n’avait pas commis d’autre manquement à ses obligations. Or de tels éléments ne sauraient constituer un motif valable tel que visé par l’art. 45 al. 4 OACI, puisqu’ils sont étrangers aux circonstances ayant conduit au manquement reproché à l’assuré. Le raisonnement des juges cantonaux reviendrait à conditionner la reconnaissance d’une faute grave – qui est la règle en cas de refus d’un travail convenable ou de manquement assimilé – à l’existence d’autres manquements de l’assuré, en violation de l’art. 45 al. 4 OACI. Il convient encore de noter que l’OCE, en prononçant une suspension du droit à l’indemnité de chômage d’une durée de 31 jours, a infligé à l’assuré la sanction minimale prévue par la loi et le barème du SECO.

Il résulte de ce qui précède que c’est en violation du droit fédéral que la juridiction cantonale a admis une faute moyennement grave (au lieu d’une faute grave) et a réduit la durée de la suspension du droit à l’indemnité à 16 jours.

 

Le TF admet le recours du SECO, annule le jugement cantonal et confirme la décision litigieuse.

 

 

Arrêt 8C_283/2021 consultable ici

 

 

9C_381/2020 (d) du 15.02.2021 – Allocation pour impotent de l’AI : aide de tiers pour accomplir les actes ordinaires de la vie vs accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_381/2020 (d) du 15.02.2021

 

Consultable ici

 

Allocation pour impotent de l’AI : aide de tiers pour accomplir les actes ordinaires de la vie vs accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie

 

Une même prestation d’aide peut relever aussi bien de l’aide de tiers dans l’accomplissement d’un acte ordinaire de la vie que de l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie; or, elle ne peut faire l’objet d’une double prise en compte. Si l’aide requise va au-delà de la gestion de la vie quotidienne au sens de l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie, elle doit être prise en compte à titre d’acte ordinaire de la vie.

 

Est déterminant pour évaluer le taux de l’impotence (faible, moyenne ou grave) le nombre d’actes de la vie quotidienne qui nécessitent l’aide d’une tierce personne ainsi que la question de savoir si la personne a besoin d’un accompagnement pour faire aux nécessites de la vie. Dans la pratique se pose par conséquent régulièrement la question de savoir si une aide doit être prise en compte à titre d’acte ordinaire de la vie ou d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie. Le Tribunal fédéral a examiné cette question dans son arrêt du 15 février 2021 (9C_381/2020).

 

Pour le développement et les commentaires de cet arrêt, cf. la publication «Droit et Handicap 08/2021 (21.10.2021)» de Martina Čulić d’Inclusion Handicap, consultable ici.

 

 

Arrêt 9C_381/2020 consultable ici

Retraite anticipée dans la prévoyance professionnelle / Recherche d’emploi et indemnité de chômage également en cas de retraite anticipée

Retraite anticipée dans la prévoyance professionnelle / Recherche d’emploi et indemnité de chômage également en cas de retraite anticipée

 

Le Tribunal fédéral a rendu deux arrêts qui répondent à des questions concernant la retraite anticipée. Son arrêt du 26 mars 2021 (9C_732/2020) portait sur la question de savoir si une personne peut décider de prendre une retraite anticipée même lorsque le cas de prévoyance «invalidité» est déjà survenu. Dans son arrêt du 15 juin 2021 (8C_721/2020, destiné à la publication), le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence de longue date. Il a étendu le champ d’application de la retraite anticipée involontaire aux personnes qui, non seulement pour des motifs économiques mais aussi pour d’autres raisons sans qu’il y ait faute de leur part, ont pris une retraite anticipée après avoir été licenciées.

 

Vu que les deux cas de prévoyance «invalidité» et «âge» s’excluent mutuellement, la possibilité d’une retraite anticipée prévue par le règlement devient caduque dès la survenance du cas de prévoyance «invalidité». Selon l’arrêt du Tribunal fédéral du 26 mars 2021 (9C_732/2020), ce principe s’applique même dans le cas où la personne assurée a demandé à être mise à la retraite anticipée avant que l’AI ait rendu sa décision d’octroi d’une rente.

Dans son arrêt du 15 juin 2021 (8C_721/2020, destiné à la publication), le Tribunal fédéral a statué que l’on pouvait admettre l’existence d’une retraite anticipée involontaire au sens de l’art. 12 al. 2 let. a de l’ordonnance sur l’assurance-chômage (OACI) même dans le cas où une personne choisit, après avoir été licenciée, le versement anticipé de prestations de vieillesse en lieu et place d’une prestation de sortie. De cette manière, l’activité soumise à cotisation exercée avant la mise à la retraite anticipée est prise en compte comme période de cotisation.

 

Pour le développement et les commentaires de ces deux arrêts, cf. la publication «Droit et Handicap 07/2021 (21.10.2021)» de Petra Kern d’Inclusion Handicap, consultable ici.

9C_588/2020 (d) du 18.05.2021 – Prestation pour survivants : restitution d’un capital-décès versé à une personne non autorisée du cercle des bénéficiaires et droit à des intérêts moratoires / 35a LPP – 104 al. 1 CO – 7 OLP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_588/2020 (d) du 18.05.2021

 

Consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 157 consultable ici

 

Prestation pour survivants : restitution d’un capital-décès versé à une personne non autorisée du cercle des bénéficiaires et droit à des intérêts moratoires / 35a LPP – 104 al. 1 CO – 7 OLP

 

En vertu de l’art. 35a LPP, une institution de prévoyance peut réclamer la restitution du capital-décès qu’elle a versé à une personne du cercle des bénéficiaires moins bien placée qu’une autre dans l’ordre de priorité et qui n’a donc pas droit à cette prestation. Des intérêts moratoires sont dus sur la demande de restitution. Le montant des intérêts est déterminé en premier lieu par les dispositions réglementaires et subsidiairement sur la base de l’art. 7 OLP.

Sur la base du règlement de prévoyance, une caisse de pension a versé un capital-décès à la sœur de l’assuré décédé, alors que ce capital ne lui était pas dû, mais revenait à la partenaire de l’assuré. Le Tribunal fédéral devait examiner en appel si une éventuelle obligation pour la sœur de rembourser l’institution de prévoyance était fondée sur l’art. 35a LPP ou sur les principes juridiques généraux de l’enrichissement sans cause légitime au sens de l’art. 62 CO. Il devait en outre décider si et dans quelle mesure la sœur était tenue de verser des intérêts moratoires sur la restitution.

Le TF a considéré que les conditions suivantes sont pertinentes pour une restitution dans le champ d’application de l’art. 35a LPP : (1) la prestation fournie doit être une prestation d’assurance au sens des art. 13 ss LPP ; (2) la prestation doit avoir été versée en vertu du règlement de prévoyance ; (3) la prestation doit avoir été versée de manière indue – c’est-à-dire sans raison légale (ou réglementaire) – ou le fondement juridique de la prestation doit avoir cessé d’exister après coup.

Le TF est arrivé à la conclusion que l’art. 35a LPP constitue en l’espèce la base légale applicable à la demande de restitution. Selon lui, il n’est ainsi pas contesté que la prestation versée – le capital-décès – était une prestation d’assurance (1). En outre, il relève que l’institution de prévoyance a versé la prestation à un bénéficiaire présumé sur la base de l’ordre des bénéficiaires prévu dans le règlement, et non à un tiers non impliqué. L’institution de prévoyance pensait, sur la base du règlement, être tenue de verser la prestation à cette personne. Cette dernière aurait aussi pu faire valoir son propre droit à la prestation pour survivant auprès de l’institution de prévoyance. Une relation pertinente du point de vue de la prévoyance professionnelle existait par conséquent dans le cas présent (2). Le fait que l’hypothèse de l’institution de prévoyance selon laquelle elle était tenue de verser la prestation à la recourante se soit ensuite révélée inexacte remplit également la condition du caractère indu de la prestation au sens de l’art. 35a al. 1 LPP (3).

Le TF devait en outre décider si des intérêts étaient dus sur la demande de restitution, car ce point n’est pas réglé à l’art. 35a LPP. S’appuyant sur la jurisprudence actuelle (voir ATF 145 V 18, consid. 4.2 et 5.2.1), il a jugé, en l’absence de bases statutaires et en se fondant sur l’art. 104 al. 1 CO, que les intérêts moratoires sont autorisés dans le droit de la prévoyance professionnelle tant dans le domaine des prestations que dans celui des cotisations. Étant donné que le règlement pertinent concernant la restitution ne contient en l’espèce aucune disposition sur les intérêts moratoires, ces derniers sont dus sur la base de l’art. 104 al. 1 CO. Enfin, en ce qui concerne le montant des intérêts moratoires, en l’absence de disposition explicite dans le règlement, le taux d’intérêt dû correspond à celui de l’art. 7 OLP (taux d’intérêt minimal LPP plus 1%).

 

 

Arrêt 9C_588/2020 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 157 consultable ici

 

8C_13/2021 (f) du 06.09.2021 – Lésion corporelle comprise dans la liste énumérée à l’art. 6 al. 2 LAA / Déchirure partielle du tendon d’Achille – Preuve libératoire pas apportée par l’assurance-accidents

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_13/2021 (f) du 06.09.2021

 

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Lésion corporelle comprise dans la liste énumérée à l’art. 6 al. 2 LAA

Déchirure partielle du tendon d’Achille – Preuve libératoire pas apportée par l’assurance-accidents – Ad expertise médicale

 

Assuré, enseignant en éducation physique, a ressenti le 04.05.2019 une violente douleur derrière le pied droit, alors qu’il présentait un exercice dans le cadre d’un stage d’entraînement de gardiens de but de football. Diagnostic : rupture complète du tendon d’Achille droit, confirmée par une IRM effectuée le 10.05.2019. Le médecin-conseil de l’assurance-accidents, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, a relevé dans un formulaire rempli le 30.07.2019 que l’assuré souffrait d’une déchirure partielle du tendon d’Achille sur fond dégénératif.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé d’allouer des prestations à l’assuré, au motif que l’événement du 04.05.2019 ne pouvait pas être qualifié d’accident et qu’il n’avait pas occasionné une lésion corporelle assimilée à un accident.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 17/20 – 173/2020 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que l’assuré avait fait le 04.05.2019 la démonstration d’un exercice de sauts à la corde, suivi d’un démarrage en course, et qu’il avait ressenti une vive douleur au moment dudit démarrage. Cette lésion avait eu lieu dans un contexte sportif et aucune pièce au dossier ne faisait état d’un mouvement imprévu ou involontaire au moment de la survenance de la douleur, de sorte que l’on ne pouvait pas conclure à l’existence d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA.

Les juges cantonaux ont constaté que la déchirure du tendon s’était produite ensuite d’un événement clairement identifiable, à savoir un démarrage soudain lors d’un entraînement de football. Après s’être référée à des extraits issus de la littérature médicale sur la tendinopathie chronique, l’instance cantonale a retenu que le constat d’état remanié du tendon d’Achille, qui plaidait en faveur d’une atteinte relativement avancée dudit tendon, n’était pas remis en cause par l’avis du spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur traitant, qui avait déclaré ne pas pouvoir affirmer avec certitude que la rupture du tendon s’était produite sur une tendinopathie chronique. Cela étant, aucune pièce au dossier n’indiquait que l’assuré avait présenté des signes cliniques d’une telle affection avant l’événement du 04.05.2019, de sorte que la qualification des atteintes préexistantes de tendinopathie chronique par le médecin-conseil paraissait excessive. A tout le moins, le fait que de telles atteintes aient pu favoriser une déchirure aiguë du tendon d’Achille ne suffisait pas à considérer qu’elles en avaient constitué la cause prépondérante. Par ailleurs, au vu de la littérature médicale relative à la déchirure aiguë du tendon d’Achille, les circonstances de l’événement du 04.05.2019 (démarrage brusque avec changement de direction, contraction explosive du triceps sural, ainsi que douleur et claquement ressentis par l’assuré avec perte de fonction immédiate) étaient typiques d’une telle déchirure aiguë. Dans ce contexte, rien ne permettait de considérer que les facteurs dégénératifs préexistants ayant pu favoriser la lésion avaient, au degré de la vraisemblance prépondérante, joué un rôle causal prépondérant dans son apparition, par rapport au démarrage brusque effectué par l’assuré.

Par jugement du 10.11.2020, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Aux termes de l’art. 6 al. 2 LAA (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2017), l’assurance-accidents alloue aussi ses prestations pour certaines lésions corporelles, parmi lesquelles les déchirures de tendons (cf. let. f), pour autant qu’elles ne soient pas dues de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie.

Selon la jurisprudence récente du Tribunal fédéral (ATF 146 V 51), lorsqu’une lésion corporelle comprise dans la liste énumérée à l’art. 6 al. 2 LAA est diagnostiquée, l’assureur-accidents est tenu à prestations aussi longtemps qu’il n’apporte pas la preuve libératoire que cette lésion est due de manière prépondérante, c’est-à-dire à plus de 50% de tous les facteurs en cause, à l’usure ou à une maladie (cf. consid. 8.2.2.1 et 8.3). En effet, contrairement à ce qui prévalait en matière de lésions corporelles assimilées à un accident sous l’empire de l’ancien droit (cf. art. 6 al. 2 LAA et art. 9 al. 2 OLAA dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016), l’octroi de prestations sur la base de l’art. 6 al. 2 LAA (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2017) ne suppose plus que les conditions constitutives de la notion d’accident (cf. art. 4 LPGA) soient réalisées, à la seule exception du caractère « extraordinaire » de la cause extérieure. Le seul fait que l’on soit en présence d’une lésion corporelle comprise dans la liste énumérée à l’art. 6 al. 2 LAA entraîne la présomption qu’il s’agit d’une lésion corporelle assimilée à un accident, qui doit être prise en charge par l’assureur-accidents. Celui-ci est dès lors tenu de prester aussi longtemps qu’il n’apporte pas la preuve, en s’appuyant sur des avis médicaux probants, que cette lésion est due de manière prépondérante à l’usure ou à la maladie (cf. consid. 8.6).

Le médecin-conseil a retenu que l’assuré avait subi une déchirure partielle du tendon d’Achille droit, qui s’intégrait dans un cadre dégénératif préexistant prépondérant sous la forme d’une tendinopathie achilléenne chronique. Il a motivé son appréciation en se référant aux clichés de l’IRM du 10.05.2019, lesquels mettaient en évidence un petit hématome adjacent à la rupture intra-tendineuse et un reste de tendon pas uniquement hétérogène, mais épaissi de manière irrégulière. Ce tableau reflétait typiquement un contexte dégénératif et ne correspondait pas, « avec une certaine haute vraisemblance », à une « solution de continuité abrupte d’un tendon sur tendon sain ». Le médecin-conseil mentionnait également les conclusions du spécialiste en radiologie, qui avait diagnostiqué une lésion subtotale du tendon et avait noté un aspect remanié du reste du tendon, qui pouvait évoquer une tendinopathie chronique préexistante.

Le chirurgien orthopédique traitant a lui aussi diagnostiqué une rupture subtotale du tendon. Sans se référer à l’art. 6 al. 2 LAA, il a toutefois indiqué ne pas pouvoir affirmer avec certitude que la rupture aiguë du tendon s’était produite sur une tendinopathie chronique, sans pour autant exclure une telle pathologie. Il a expliqué que l’assuré n’avait jamais fait état de signes cliniques d’une tendinopathie chronique (douleur ou gêne du tendon) avant l’événement du 04.05.2019, qu’une rupture aiguë montrait toujours une lacération du tendon et jamais une rupture nette (sauf en cas de section par objet contondant), et que l’IRM n’avait pas montré de calcification qui serait un signe clair et indiscutable de tendinopathie chronique.

Même en admettant, sur la base des avis médicaux du médecin-conseil, que la déchirure aiguë du tendon d’Achille droit de l’assuré survenue le 04.05.2019 lors de son brusque démarrage en course s’est produite sur fond de tendinopathie achilléenne chronique préexistante (asymptomatique), force est de constater que l’affirmation de ce médecin selon laquelle la lésion en cause serait due de manière prépondérante à un processus dégénératif n’est aucunement étayée sur le plan médical. Or c’est à l’assurance-accidents qu’incombe le fardeau de la preuve libératoire que la lésion est due de manière prépondérante – soit à plus de 50% de tous les autres facteurs en cause – à l’usure ou à la maladie. Dans cette optique, elle avait l’obligation d’instruire d’office les éléments médicaux déterminants pour la résolution du cas (art. 43 al. 1 LPGA) et ne pouvait pas se contenter des avis médicaux insuffisamment motivés de son médecin-conseil – qui ne sauraient constituer une preuve libératoire au sens de la jurisprudence – pour refuser la prise en charge de l’atteinte à la santé de l’assuré. L’avis succinct du chirurgien orthopédique traitant, lequel n’a pas constaté mais n’a pas non plus exclu définitivement une tendinopathie chronique préexistante, ne permet pas à l’inverse d’exclure à lui seul une lésion causée de manière prépondérante par une telle affection.

Les avis médicaux au dossier ne permettent donc pas de trancher le point de savoir si la déchirure du tendon d’Achille droit subie par l’assuré le 04.05.2019 est due de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie, sous la forme d’une tendinopathie chronique préexistante. Dans ces conditions et malgré la présomption de l’art. 6 al. 2 LAA, la cour cantonale n’était pas fondée à imposer à l’assurance-accidents la prise en charge des suites de cette affection sans ordonner une expertise indépendante et en procédant de surcroît elle-même à des constatations et des analyses d’ordre médical ne figurant pas dans les différents avis médicaux au dossier.

Il s’impose donc de renvoyer la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle mette en œuvre une expertise médicale au sens de l’art. 44 LPGA (cf. dans ce sens arrêts 8C_382/2020 du 3 décembre 2020 consid. 6.3 et 6.4; 8C_618/2019 du 18 février 2020 consid. 8.2; 8C_267/2019 du 30 octobre 2019 consid. 7.2.2). Si l’expert désigné n’arrive pas à la conclusion motivée et convaincante que la lésion de l’assuré est due de manière prépondérante à l’usure ou à la maladie, il appartiendra alors à l’assurance-accidents de prendre en charge les suites de l’atteinte à la santé de l’assuré.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et la décision litigieuse, renvoyant le dossier à l’assurance-accidents pour mise en œuvre de l’expertise médicale.

 

 

Arrêt 8C_13/2021 consultable ici

 

 

9C_132/2021 (d) du 15.09.2021, destiné à la publication – Allocation pour perte de gain en lien avec le coronavirus : rejet du recours d’une médecin indépendante

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_132/2021 (d) du 15.09.2021, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 14.10.2021 consultable ici

 

Allocation pour perte de gain en lien avec le coronavirus : rejet du recours d’une médecin indépendante

 

Les dispositions valables de la mi-mars à la mi-septembre 2020 en matière d’indemnisation des pertes de gain subies par des personnes indépendantes en raison du coronavirus sont exhaustives. Il n’appartient pas au juge de les compléter. Le Tribunal fédéral rejette le recours d’une médecin indépendante dont la demande d’indemnités pour perte de gain avait été écartée.

Une médecin indépendante s’était annoncée à la mi-avril 2020 auprès de la caisse de compensation compétente afin de recevoir une indemnité pour perte de gain en lien avec le coronavirus. Elle avait fait valoir une baisse du chiffre d’affaires durant la période du 17.03.2020 au 27.04.2020, lorsque l’activité médicale était limitée à des interventions urgentes. La caisse de compensation avait refusé de lui verser des indemnités car elle ne remplissait pas les conditions requises. Elle avait recouru sans succès auprès du Tribunal administratif du canton de Berne.

Le Tribunal fédéral rejette le recours de l’intéressée.

Selon l’article 2, alinéas 3 et 3bis de l’ordonnance du Conseil fédéral sur les pertes de gain Covid-19, dans sa version en vigueur du 17.03.2020 au 16.09.2020, les indépendants avaient droit à l’allocation pour perte de gain en tant que personnes directement concernées en cas d’interruption de l’activité lucrative en raison de fermetures ordonnées d’entreprises ou d’interdictions de manifestations. Les indépendants qui ne tombaient pas sous le coup de cette disposition avaient uniquement un droit indirect à la compensation de la perte de gain en lien avec le coronavirus, au titre de cas de rigueur ; la condition était d’avoir subi une perte de revenu et la réalisation d’un revenu provenant d’une activité lucrative soumise à l’AVS compris entre 10’000 et 90’000 francs en 2019. Dans le cas concret, il n’est pas contesté que la médecin concernée avait en principe pu poursuivre son activité après le 17.03.2020 et qu’elle avait réalisé un revenu de plus de 90’000 francs en 2019. Elle ne remplissait donc pas les conditions pour bénéficier d’une indemnité pour perte de gain. Contrairement à ce qu’elle a soutenu, la règlementation du Conseil fédéral n’était pas lacunaire. Au contraire, il ressort de l’interprétation des dispositions en question que le Conseil fédéral, en sa qualité de législateur, a délibérément voulu distinguer seulement deux catégories d’indépendants et établir une réglementation exhaustive pour le droit direct et indirect à l’indemnité pour perte de gain. Le Conseil fédéral n’a pas accepté de satisfaire intégralement l’ensemble des demandes au moyen d’indemnités à fonds perdus. Par conséquent, il n’y a pas de place pour un comblement de lacunes par le juge.

Dans le cas d’espèce, la règlementation en question ne viole pas non plus le principe de l’égalité de traitement et elle n’est pas arbitraire. En particulier, en ce qui concerne la limite supérieure de revenu de 90’000 francs pour les personnes indirectement touchées, de tels seuils ne sont pas inhabituels en droit des assurances sociales ; la limite fixée est appropriée dans le contexte global pour définir un cas de rigueur.

Enfin, il n’y a pas de violation de la liberté économique.

 

 

Arrêt 9C_132/2021 consultable ici