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9C_237/2021 (f) du 31.01.2022 – Début du droit à une rente entière d’invalidité après aggravation de l’état de santé (troubles dégénératifs sévères) / 28 LAI –29 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_237/2021 (f) du 31.01.2022

 

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Début du droit à une rente entière d’invalidité après aggravation de l’état de santé (troubles dégénératifs sévères) / 28 LAI –29 LAI

 

Le 24.06.2015, l’assurée, qui avait bénéficié d’une rente entière d’invalidité du 01.08.1994 au 30.09.1998, a présenté une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité. Par décision du 25.06.2019, l’office AI lui a alloué une rente entière dès le 01.05.2016. Entre autres éléments, il a tenu compte d’une aggravation de l’état de santé en se fondant sur le rapport du docteur B.__ du 15.04.2019; l’office AI a fixé la survenance de cette aggravation au 22.05.2015 après avoir requis l’avis du médecin de son Service médical régional.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/162/2021 – consultable ici)

La juridiction cantonale a constaté que le docteur B.__ avait attesté une aggravation de la situation médicale, mais s’était montré incapable de fixer précisément la date à laquelle elle était survenue, ajoutant toutefois que l’intervention pratiquée en juillet 2016 avait accentué « un tableau clinique très péjoré ». Elle a en outre relevé que cette date avait été fixée au 22.05.2015 par le docteur C.__ en référence à un rapport d’IRM, établi le 22.05.2015, qui avait mis en évidence des troubles dégénératifs sévères. Elle a considéré qu’eu égard à leur nature dégénérative, les troubles objectivés n’étaient pas apparus brusquement. Elle a jugé au contraire que, dans la mesure où la réalisation d’une IRM avait forcément été précédée par des investigations que des symptômes douloureux avaient rendues nécessaires, il était hautement vraisemblable que les troubles en question étaient déjà présents six mois avant l’examen du 22.05.2015, soit en décembre 2014. Elle en a déduit que le délai de carence d’une année était arrivé à échéance en décembre 2015, soit six mois après le dépôt de la nouvelle demande de prestations. Elle a dès lors fixé la naissance du droit à la rente au 01.12.2015 au lieu du 01.05.2016.

Par jugement du 18.02.2021, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

En fixant le début du droit à la rente au 01.12.2015, les juges cantonaux ont procédé à des suppositions reposant sur le caractère évolutif des troubles dégénératifs affectant l’assurée sans tenir compte de l’ensemble des rapports médicaux figurant au dossier. Or, les troubles évoqués ont été objectivés pour la première fois à l’occasion des IRM effectuées en mai et juin 2015 (dont les rapports ont du reste motivé la nouvelle demande de prestations) et c’est leur évolution significative (« changement manifeste de la présentation clinique ») entre cette époque et septembre 2015 qui a incité le docteur D.__ à requérir un avis neurochirurgical. Dans ces circonstances, il était parfaitement légitime pour l’office AI de faire remonter la détérioration de la situation médicale au mois de mai et, par conséquent, de fixer le début du droit à la rente en mai 2016.

En adoptant un point de vue contraire à la situation de fait, sans avancer d’éléments objectifs pour confirmer l’existence de douleurs six mois avant les examens IRM, la juridiction cantonale a donc fait preuve d’arbitraire (sur cette notion, cf. notamment ATF 139 III 334 consid. 3.2.5; 137 I 1 consid. 2.4 et les références).

L’argumentation de l’assurée fondée sur une aggravation progressive de son état de santé depuis 2008 ne repose pas davantage sur des éléments objectifs mis en évidence notamment par le médecin du SMR. Elle ne saurait être suivie.

Il convient dès lors d’annuler l’arrêt attaqué et de confirmer la décision administrative litigieuse: l’assurée a droit à une rente entière à partir du 01.05.2016 seulement.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et confirme la décision AI.

 

 

Arrêt 9C_237/2021 consultable ici

 

4A_151/2021 (f) du 09.09.2021 – IJ LCA – Incapacité de travail pendant une période de libération de l’obligation de travailler durant le délai de congé / Pas de légitimation active de l’employeur pour faire valoir des prétentions en paiement d’IJ

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_151/2021 (f) du 09.09.2021

 

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Indemnités journalières LCA

Incapacité de travail pendant une période de libération de l’obligation de travailler durant le délai de congé

Pas de légitimation active de l’employeur pour faire valoir des prétentions en paiement d’IJ

 

C.__ (ci-après: l’assuré ou l’employé) a été engagé par la société A.__ SA (ci-après: l’employeur). A ce titre, il bénéficiait de l’assurance collective d’indemnités journalières couvrant le risque de perte de gain dû à la maladie, conclue par l’employeur auprès de B.__ SA (ci-après: l’assurance).

L’employeur a résilié le contrat de travail de l’assuré et l’a libéré de son obligation de travailler durant le délai de congé, soit du 01.01.2018 au 28.02.2018. L’assuré a été en incapacité totale de travail du 05.01.2018 au 23.02.2018. L’assurance en a été informée.

Du fait de cette incapacité de travail, le délai de congé a été suspendu et les rapports de travail ont pris fin le 30.04.2018.

Pour la période du 01.03.2018 au 30.04.2018, aucune incapacité de travail n’a été annoncée à l’assurance.

L’assurance a refusé de verser des prestations.

 

Procédure cantonale

L’employeur a saisi le tribunal cantonal d’une demande dirigée contre l’assurance. Elle a conclu à ce que celle-ci soit condamnée à verser les prestations d’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie en faveur de l’assuré, « par A.__ SA », pour une période de 31 jours, correspondant à un montant de 11’433 fr. 11.

La cour cantonale a considéré que A.__ SA n’avait pas la légitimation active pour faire valoir des prétentions en paiement d’indemnités journalières. Au surplus, A.__ SA n’avait subi aucun dommage économique en lien avec l’incapacité de travail de son ex-employé attestée du 05.01.2018 au 23.02.2018, puisqu’elle avait libéré son ex-employé de son obligation de travailler durant le délai de congé du 01.01.2018 au 28.02.2018. Pour la période postérieure, aucune incapacité de travail n’avait été annoncée à l’assurance. Le fait que l’employeur avait encore dû payer un salaire jusqu’au 30.04.2018 découlait des périodes de protection du travailleur prévues par le code des obligations. Il s’agissait ici de motifs indépendants de l’assurance perte de gain maladie, laquelle ne couvrait pas ce risque.

Par jugement du 04.02.2021, la cour cantonale a rejeté la demande.

 

TF

L’employeur ne conteste pas la constatation des juges cantonaux, selon laquelle il n’a pas subi de dommage pour la période du 01.01.2018 au 28.02.2018. En revanche, il fait valoir que l’incapacité de travail de son ancien employé lui a causé un dommage pour les mois de mars et avril 2018.

Or, pour les mois de mars et avril 2018, la cour cantonale a retenu qu’aucune incapacité de travail n’avait été annoncée. L’employeur ne parvient pas à démontrer que cette constatation serait arbitraire, puisqu’elle ne soutient même pas avoir effectivement annoncé une incapacité de travail de son ancien employé pour cette période.

Ensuite, la cour cantonale n’a pas traité de la question du dommage, mais a considéré que l’assurance perte de gain maladie ne couvrait pas le risque de prolongation du contrat de travail. L’employeur fonde la prétendue obligation de prester de l’assurance sur les conditions générales d’assurance de cette dernière. Toutefois, la teneur de la disposition des conditions générales dont l’employeur se prévaut – sans qu’elle ne précise de laquelle il s’agit, ni ne la reproduise explicitement – n’a pas été constatée par la cour cantonale. L’employeur base ainsi son argumentation sur un élément non constaté, sans pour autant invoquer, ni a fortiori démontrer que l’instance cantonale aurait établi les faits de manière arbitraire en ne reprenant pas la teneur de cette disposition. Au demeurant, l’employeur n’expose pas de façon précise, notamment par des renvois à ses écritures, avoir présenté ce point à la cour cantonale. La mention de la  » pièce 13  » n’est pas suffisante à cet égard. Sa critique est irrecevable.

 

Le TF rejette le recours de l’employeur, dans la faible mesure de sa recevabilité.

 

 

Arrêt 4A_151/2021 consultable ici

 

 

8C_626/2021 (f) du 19.01.2022 – Maladie professionnelle – Silicose – Lien de causalité / Qualifications médicales des médecins de la CNA/Suva

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_626/2021 (f) du 19.01.2022

 

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Maladie professionnelle – Silicose – Lien de causalité / 9 LAA

Qualifications médicales des médecins de la CNA/Suva

 

Assuré, né en 1978, a travaillé depuis le 13.07.2013 comme employé d’exploitation. Avant son arrivée en Suisse, il avait exercé différentes activités au Portugal, notamment dans des carrières de pierres ou dans des entreprises de construction. Par courrier du 23.11.2018, il a déclaré à l’assurance-accidents être en incapacité de travail et souffrir d’une maladie professionnelle.

L’assurance-accidents a procédé aux éclaircissements usuels, en rapport avec l’activité professionnelle de l’assuré et produits de nettoyage utilisés par l’entreprise. Dans l’appréciation médicale du 18.06.2019, le docteur C.__, médecin-conseil, spécialiste en médecine du travail et en médecine interne, a retenu que l’assuré souffrait d’une silicose associée à une vasculite à ANCA (anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles) et que cette affection était secondaire à ses activités exercées au Portugal. Compte tenu du fait qu’une exposition aux poussières de silice n’était pas attestée en Suisse, la responsabilité de l’assurance-accidents n’était pas engagée. Se fondant sur cette appréciation, l’assurance-accidents a refusé le droit à des prestations d’assurance par décision, confirmée sur opposition.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 19.07.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies (art. 3 LPGA) dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux; le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent. Se fondant sur cette délégation de compétence – à laquelle renvoie l’art. 14 OLAA -, le Conseil fédéral a dressé à l’annexe 1 de l’OLAA la liste des substances nocives, d’une part, et la liste de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent, d’autres part. Ces substances et travaux, ainsi que les affections dues à ceux-ci, sont énumérés de manière exhaustive (arrêt 8C_800/2019 du 18 novembre 2020 consid. 3.1.1 et la référence).

Selon la jurisprudence, l’exigence d’une relation prépondérante requise par l’art. 9 al. 1 LAA est réalisée lorsque la maladie est due pour plus de 50% à l’action d’une substance nocive ou à certains travaux mentionnés à l’annexe 1 de l’OLAA (ATF 133 V 421 consid. 4.1 et les références).

Aux termes de l’art. 9 al. 2 LAA, sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle. Il s’agit là d’une clause générale visant à combler les lacunes qui pourraient résulter de ce que la liste dressée par le Conseil fédéral à l’annexe 1 de l’OLAA ne mentionne pas soit une substance nocive qui a causé une maladie, soit une maladie qui a été causée par l’exercice de l’activité professionnelle (ATF 119 V 200 consid. 2b; 117 V 354 consid. 2b; 114 V 109 consid. 2b et les références).

 

Qualifications médicales des médecins de la CNA/Suva

S’agissant tout d’abord des qualifications médicales du docteur C.__, c’est à juste titre que la cour cantonale a relevé que ce praticien est titulaire d’une spécialisation en médecine du travail ainsi qu’en médecine interne, de sorte qu’il dispose des connaissances suffisantes pour se prononcer sur l’existence d’un lien de causalité entre les troubles respiratoires de l’assuré et l’activité professionnelle assurée. On ne voit d’ailleurs pas en quoi un spécialiste en pneumologie serait plus compétent qu’un spécialiste en médecine du travail pour se prononcer sur l’existence d’une maladie professionnelle. En effet, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les médecins de la CNA sont considérés, de par leur fonction et leur position professionnelle, comme étant des spécialistes en matière de traumatologie respectivement de maladie professionnelle, indépendamment de leur spécialisation médicale (cf. arrêts 8C_59/2020 du 14 avril 2020 consid. 5.2; 8C_316/2019 du 24 octobre 2019 consid. 5.4).

S’il est vrai que le docteur C.__ n’a pas examiné l’assuré personnellement pour arriver à la conclusion que les troubles respiratoires de celui-ci n’étaient pas dus à une activité professionnelle exercée en Suisse, ses appréciations tiennent néanmoins compte de l’intégralité du dossier médical. Un examen personnel n’aurait au demeurant pas permis d’apporter de clarification quant au diagnostic de silicose pulmonaire posé par la doctoresse F.__, puis remis en question par le docteur D.__. Quoi qu’il en soit, aucun des spécialistes consultés n’attribue les troubles pulmonaires de l’assuré à l’exercice de son activité professionnelle au sein de l’entreprise assurée.

 

Maladie professionnelle et lien de causalité

Ainsi, si la doctoresse F.__ a posé le diagnostic de silicose, elle semble l’attribuer avant tout à l’exposition professionnelle de l’assuré dans les carrières au Portugal. Elle n’a en tout cas pas évoqué l’activité de l’assuré auprès de l’entreprise B.__ SA dans ce contexte, et encore moins conclu à l’existence d’un lien de causalité entre la silicose et celle-ci. Quant à la toux chronique diagnostiquée en juillet 2020, la pneumologue a indiqué que la sémiologie de cette affection était évocatrice d’un asthme déclenché par l’effort et n’avait pas de lien avec les autres diagnostics. Si elle en a conclu qu’il s’agissait « d’un asthme aggravé au travail » par « l’exposition à des produits chimiques ou des facteurs physiques comme la vapeur », cela n’est pas pertinent pour le litige, dans la mesure où elle n’énonce aucune substance nocive mentionnée à l’annexe 1 de l’OLAA (ch. 1). Même s’il fallait considérer qu’il s’agit d’une affection de l’appareil respiratoire (ch. 2 let. b annexe 1 OLAA), il n’existe aucun indice – l’assuré ne prétendant pas le contraire – que celui-ci aurait effectué des travaux dans les poussières de coton, de chanvre, de lin, de céréales et de leurs farines, d’enzymes, de moisissures et dans d’autres poussières organiques lors de son activité auprès de l’entreprise assurée.

L’assuré ne saurait en outre tirer un argument en sa faveur du rapport du docteur D.__. Ce spécialiste a relevé que le diagnostic de silicose pulmonaire lui semblait moins probable, compte tenu, d’une part, de la faible exposition professionnelle (trois ans d’activité comme machiniste au Portugal, activité à distance de la poussière selon les dires du patient) et, d’autre part, de la faible latence entre le début de l’exposition et le diagnostic (soit au maximum 5 ans entre 2010 et 2015), ce qui le faisait reconsidérer le diagnostic de sarcoïdose ou d’une autre pneumopathie interstitielle. Quant à la vasculite à ANCA, il n’existait pas de cas décrit dans la littérature en lien avec une activité dans la production de fromage. Cette activité ne pouvait en particulier pas générer de pneumopathie interstitielle ni de vasculite. L’exposition aux produits de nettoyage et de désinfections utilisé par l’entreprise n’était en outre pas connue, selon les fiches de données de sécurité, pour engendrer une quelconque toxicité respiratoire chronique et ne nécessitait pas de protection respiratoire particulière.

En résumé, il n’existe en l’occurrence aucun indice qui permettrait de mettre en doute, même de façon minime (ATF 145 V 97 consid. 8.5), la fiabilité et la pertinence des constatations du docteur C.__, si bien que l’assurance-accidents, puis les juges cantonaux, étaient fondés à nier le caractère de maladie professionnelle aux troubles annoncés par l’assuré.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_626/2021 consultable ici

 

 

9C_445/2021 (f) du 30.12.2021 – Exception à l’obligation de s’assurer auprès d’une caisse-maladie / Comportement de l’administration de manière contraire aux règles de la bonne foi nié / 5 al. 3 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_445/2021 (f) du 30.12.2021

 

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Exception à l’obligation de s’assurer auprès d’une caisse-maladie / 3 LAMal – 2 ss OAMal

Affiliation d’office à une caisse-maladie / 6 LAMal

Comportement de l’administration de manière contraire aux règles de la bonne foi nié / 5 al. 3 Cst.

 

Les époux (Madame B.__, née en 1969, et Monsieur A.__, né en 1965) sont domiciliés dans le canton de Genève. Monsieur A.__, binational suisse et américain, est membre du personnel administratif d’une mission permanente auprès de l’Office des Nations Unies à Genève depuis décembre 2013. Il est titulaire d’une carte de légitimation de type « R » (personnel local de nationalité suisse).

Le 10.01.2020, le Service de l’assurance-maladie de la République et canton de Genève (ci-après: le SAM) a constaté que les époux n’étaient plus affiliés au système de l’assurance-maladie obligatoire suisse depuis le 01.12.2014 et les a invités à déposer une demande d’affiliation, à défaut de quoi il serait procédé à leur affiliation d’office. Par décisions des 08.06.2020 et 03.07.2020, confirmées sur opposition, le SAM a procédé à l’affiliation d’office des époux à l’assurance obligatoire des soins auprès d’une caisse-maladie avec effet respectivement au 01.06.2020 (pour Madame) et au 01.07.2020 (pour Monsieur).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/657/2021 – consultable ici)

Le tribunal cantonal a joint les causes et a retenu que le SAM avait procédé à bon droit à l’affiliation d’office des époux auprès d’un assureur autorisé à pratiquer l’assurance-maladie sociale en Suisse. Il n’était en particulier pas établi que le SAM avait été informé de la résiliation par les époux de leur contrat d’assurance-maladie obligatoire fin 2014. On ignorait en outre comment cette résiliation avait été obtenue. Aussi, faute d’avoir informé le SAM de la résiliation de leur contrat d’assurance, les époux ne pouvaient conclure du silence du SAM que celui-ci était au courant de leur situation et qu’il l’avait acceptée. Quant à l’acceptation de la résiliation par l’assurance-maladie de l’époque, les juges cantonaux ont retenu qu’elle n’était pas déterminante. Les époux avaient en effet produit une lettre type de résiliation du contrat d’assurance qui mentionnait expressément qu’ils devaient produire une dispense de l’obligation de s’assurer en Suisse à leur caisse-maladie. Ils savaient donc qu’ils devaient obtenir une décision d’exemption de l’obligation de s’assurer en Suisse.

Par jugement du 23.06.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Les époux ne contestent pas le fait que, domiciliés en Suisse, ils devaient s’assurer pour les soins en cas de maladie (art. 3 al. 1 LAMal). Est seul litigieux le point de savoir s’ils peuvent se prévaloir d’une exception à l’obligation de s’assurer auprès d’une caisse-maladie autorisée à pratiquer l’assurance-maladie sociale en vertu de la LSAMal (RS 832.12). A cet égard, l’arrêt attaqué expose de manière complète les dispositions légales applicables concernant l’obligation d’assurance pour toute personne domiciliée en Suisse et ses exceptions (art. 3 LAMal, en lien avec les art. 2 ss OAMal). Il suffit d’y renvoyer.

On ajoutera aux considérations cantonales que selon l’art. 6 LAMal, les cantons veillent au respect de l’obligation de s’assurer (al. 1); l’autorité désignée par le canton affilie d’office toute personne tenue de s’assurer qui n’a pas donné suite à cette obligation en temps utile (al. 2). Dans le canton de Genève, le Service de l’assurance-maladie (SAM) contrôle l’affiliation des assujettis (art. 4 al. 1 de la loi genevoise du 29 mai 1997 d’application de la loi fédérale sur l’assurance-maladie [LaLAMal/GE; rs/GE J 3 05]).

Selon l’art. 10 al. 2 OAMal, l’autorité cantonale compétente statue en outre sur les requêtes prévues aux art. 2 al. 2 à 5 OAMal (exceptions à l’obligation de l’assurer) et 6 al. 3 OAMal (personnes jouissant de privilèges en vertu du droit international).

 

Se prévalant du principe de la bonne foi, les époux reprochent à la juridiction cantonale d’avoir omis le fait que le contrôle des conditions d’exemption de l’obligation de s’assurer à l’assurance-maladie suisse appartenait aux caisses d’assurance-maladie. Ils font valoir qu’ils ne pouvaient en particulier pas savoir que les assureurs-maladie – qui sont « quasiment des administrations publics/privées » en charge de l’application de la LAMal – n’appliquaient pas correctement la LAMal. Ils s’étaient dès lors affiliés de bonne foi à un assureur maladie étranger et encourraient un dommage financier très important s’ils devaient s’affilier à une caisse-maladie suisse.

Aux termes de l’art. 5 al. 3 Cst., les organes de l’État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. De ce principe général découle notamment le droit fondamental du particulier à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l’État, consacré à l’art. 9 Cst., dont le Tribunal fédéral contrôle librement le respect (ATF 147 IV 274 consid. 1.10.1 et la référence). Le principe de la bonne foi protège le justiciable, à certaines conditions, dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration (ATF 141 V 530 consid. 6.2; 131 II 627 consid. 6.1). Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erroné de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (1) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (2) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (3) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore (4) qu’il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, (5) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée et (6) que l’intérêt à l’application du droit n’apparaisse pas prépondérant (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2; 137 I 69 consid. 2.5.1).

A l’inverse de ce que soutiennent les époux, il n’appartient pas aux caisses-maladie de statuer sur les exceptions à l’obligation de s’assurer à l’assurance obligatoire des soins. Cette tâche incombe à l’organe cantonal de contrôle de l’assurance-maladie (art. 10 al. 2 OAMal), soit à Genève au SAM. Dans la mesure où la juridiction cantonale a constaté que les époux savaient en 2014 qu’ils devaient obtenir une telle décision et qu’ils n’ont pas établi l’avoir requise auprès du SAM à l’époque, ils ne sauraient rien tirer en leur faveur du fait que la caisse-maladie à laquelle ils avaient été affiliés jusqu’en novembre 2014 a omis d’informer le SAM de la résiliation de leur contrat d’assurance. L’organe cantonal de contrôle de l’assurance-maladie est en effet intervenu pour veiller à leur affiliation à l’assurance obligatoire des soins dès qu’il a eu connaissance, en décembre 2019, de cette résiliation et constaté que les conditions d’une exemption n’étaient pas réalisées.

On cherche en outre en vain dans le recours en quoi le SAM – respectivement une caisse-maladie – se serait comportée de manière contraire aux règles de la bonne foi ou de manière propre à créer des attentes légitimes. En particulier, les époux n’établissent pas qu’ils se seraient fondés sur des indications concrètes de leur caisse-maladie de l’époque pour prendre des dispositions auxquelles ils ne sauraient renoncer aujourd’hui sans subir de préjudice. Ils n’indiquent enfin pas ce qu’une nouvelle interpellation de leur caisse-maladie de l’époque apporterait de plus aux informations déjà communiquées par celle-ci au SAM le 19.10.2020. Leur argumentation, selon laquelle les assureurs-maladie concernés n’auraient pas dû procéder à une résiliation de leur contrat d’assurance n’a pas d’influence sur le bien-fondé de leur affiliation d’office. Dans ces conditions, le grief de violation des règles de la bonne foi ne résiste pas à l’examen.

 

Le TF rejette le recours des assurés.

 

 

Arrêt 9C_445/2021 consultable ici

 

 

Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne C-389/20 du 24.02.2022 / La législation espagnole qui exclut les employés de maison des prestations de chômage alors qu’il s’agit presque exclusivement de femmes est contraire au droit de l’Union

Arrêt de la CJUE C-389/20 (f) du 24.02.2022 dans l’affaire CJ c. TGSS

 

Arrêt C-389/20 consultable ici

Communiqué de presse n° 37/22 du 24.02.2022 disponible ici

 

Égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale / Prohibition de toute discrimination fondée sur le sexe / Protection contre le chômage / Objectifs légitimes de politique sociale / Proportionnalité

 

La législation espagnole qui exclut les employés de maison des prestations de chômage alors qu’il s’agit presque exclusivement de femmes est contraire au droit de l’Union.

La protection octroyée par le système spécial de sécurité sociale applicable aux employés de maison prévu par la législation espagnole ne comprend pas la protection contre le chômage.

Une travailleuse, employée de maison qui travaille pour une personne physique, est affiliée à ce système spécial depuis le mois de janvier 2011. En novembre 2019, elle a adressé à la Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS) (trésorerie générale de la sécurité sociale, Espagne) une demande de cotisation au titre de la protection contre le risque de chômage afin d’acquérir le droit à ces prestations sociales. La TGSS a rejeté cette demande au motif que la possibilité de cotiser audit système spécial en vue d’obtenir une protection contre le risque de chômage est expressément exclue par la législation espagnole.

La travailleuse a alors formé un recours devant le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo nº 2 de Vigo (tribunal administratif au niveau provincial no 2 de Vigo, Espagne), en faisant valoir, en substance, que la législation nationale place les employés de maison dans une situation de détresse sociale lorsque leur emploi cesse pour des raisons qui ne leur sont pas imputables. En effet, cela les empêcherait d’accéder non seulement à la prestation de chômage, mais également aux autres aides sociales subordonnées à l’extinction du droit à cette prestation.

Dans ce contexte, le juge espagnol souligne que la catégorie de travailleurs en cause est constituée presque exclusivement de femmes, raison pour laquelle il demande à la Cour d’interpréter la directive sur l’égalité en matière de sécurité sociale 1, afin de déterminer s’il existe ici une discrimination indirecte fondée sur le sexe, interdite par cette directive.

Dans son arrêt du 24.02.2022, la Cour dit pour droit que la directive sur l’égalité en matière de sécurité sociale s’oppose à une disposition nationale qui exclut les prestations de chômage des prestations de sécurité sociale accordées aux employés de maison par un régime légal de sécurité sociale, dès lors que cette disposition désavantage particulièrement les travailleurs féminins par rapport aux travailleurs masculins, et qu’elle n’est pas justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

La Cour rappelle d’emblée que constitue une discrimination indirecte fondée sur le sexe la situation dans laquelle une disposition apparemment neutre désavantage particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition ne soit objectivement justifiée et proportionnée.

Tout en soulignant qu’il appartient au juge espagnol de vérifier si tel est le cas en l’occurrence, la Cour lui donne des indications à cet effet.

La Cour observe que, conformément à la législation espagnole, tous les travailleurs salariés soumis au régime général de la sécurité sociale, dans lequel le système spécial applicable aux employés de maison est intégré, ont en principe droit aux prestations de chômage. En Espagne, la proportion d’hommes et de femmes salariés serait plus ou moins similaire. En revanche, cette proportion diffèrerait grandement dans le groupe des employés de maison, car les femmes représenteraient plus de 95 % de ce groupe. La proportion des travailleurs salariés de sexe féminin affectés par la différence de traitement découlant de l’exclusion en cause serait donc significativement plus élevée que celle des salariés de sexe masculin. Par conséquent, la législation nationale désavantagerait particulièrement les travailleurs féminins et comporterait ainsi une discrimination indirecte fondée sur le sexe contraire à la directive, à moins qu’elle ne réponde à un objectif légitime de politique sociale et soit apte et nécessaire pour atteindre cet objectif.

Le gouvernement espagnol et la TGSS font valoir que l’exclusion de la protection contre le chômage des employés de maison est liée aux spécificités de ce secteur professionnel, dont le statut des employeurs, et répond à des objectifs de sauvegarde des niveaux d’emploi et de lutte contre le travail illégal et la fraude sociale. La Cour confirme que les objectifs mentionnés sont légitimes du point de vue de la politique sociale. Toutefois, elle considère que la législation espagnole n’apparaît pas apte à atteindre ces objectifs, car elle n’apparaît pas être mise en œuvre de manière cohérente et systématique au regard de ces objectifs.

En effet, la Cour relève que la catégorie de travailleurs exclue de la protection contre le chômage ne se distinguerait pas de manière pertinente d’autres catégories de travailleurs qui ne le sont pas. Elle souligne que ces autres catégories de travailleurs, dont la relation de travail se déroule à domicile pour des employeurs non professionnels, ou dont le domaine de travail présente les mêmes spécificités en termes de taux d’occupation, de qualification et de rémunération que celui des employés de maison, posent des risques analogues en termes de réduction des niveaux d’emploi, de fraude sociale et de recours au travail illégal, mais sont toutes couvertes par la protection contre le chômage. En outre, la Cour ajoute que l’affiliation au système spécial des employés de maison ouvre, en principe, droit à toutes les prestations accordées par le régime général de sécurité sociale espagnol à l’exclusion de celles de chômage. Ce système couvre notamment les risques relatifs aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Il y aurait aussi un manque de cohérence à cet égard, dans la mesure où ces autres prestations présenteraient les mêmes risques de fraude sociale que celles de chômage.

La Cour estime enfin que la législation espagnole apparaît aller au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs mentionnés. L’exclusion de la protection contre le chômage comporterait en effet l’impossibilité d’obtenir d’autres prestations de sécurité sociale auxquelles les employés de maison auraient droit et dont l’octroi est subordonné à l’extinction du droit aux prestations de chômage. Cette exclusion entraînerait ainsi un plus grand manque de protection sociale se traduisant par une situation de détresse sociale.

 

 

Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C-389/20 CJ c. Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS) consultable ici

Communiqué de presse n° 37/22 du 24.02.2022 disponible ici

 

Arrêt CrEDH 57020/18, Aff. Reyes Jimenez c. Espagne, du 08.03.2022 – L’absence de consentement écrit avant une intervention chirurgicale, exigé par le droit espagnol, a conduit à violer la Convention

Arrêt CrEDH 57020/18, Aff. Reyes Jimenez c. Espagne, du 08.03.2022

 

Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme consultable ici

Communiqué de presse de la greffière de la Cour du 08.03.2022 disponible ici

 

L’absence de consentement écrit avant une intervention chirurgicale, exigé par le droit espagnol, a conduit à violer la Convention / Violation de l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée)

 

Principaux faits

Le requérant, M. Luis Reyes Jimenez est un ressortissant espagnol, né en 2002 et résidant à Los Dolores, Carthagène (Murcie). La requête a été introduite en son nom par son père, Francisco Reyes Sánchez.

Alors qu’il était âgé de six ans, M. Luis Reyes Jimenez fut à plusieurs reprises examiné à l’hôpital public universitaire Virgen de l’Arrixaca de Murcie. Il fit l’objet d’un scanner crânien qui permit de déceler une tumeur cérébrale. Le 18 janvier 2009 il fut admis aux urgences de l’hôpital public dans un état très grave. Après l’admission, une intervention chirurgicale eut lieu le 20 janvier, une deuxième intervention le 24 février 2009 et une troisième intervention d’urgence le même jour que la deuxième. L’état de santé physique et neurologique du patient connut une forte dégradation, de nature irrémédiable. M. Luis Reyes Jimenez se trouve actuellement dans un état de dépendance et d’incapacité totales : il souffre d’une paralysie générale qui l’empêche de bouger, de communiquer, de parler, de voir, de mâcher et de déglutir. Il est alité, incapable de se lever et de se tenir assis.

Le 24 février 2010, estimant qu’il y avait eu en l’espèce des fautes professionnelles de la part des médecins, ainsi que des manquements quant au consentement éclairé concernant, en particulier, la deuxième intervention chirurgicale, les parents du requérant entamèrent une procédure administrative devant le département de santé et politique sociale de la région de Murcie afin d’engager la responsabilité patrimoniale de l’État pour mauvais fonctionnement des services médicaux de l’administration publique. Ils réclamèrent la somme de 2 350 000 euros (EUR).

Face à l’absence de réponse à leur recours administratif, le 28 octobre 2011 les parents formèrent un recours contentieux-administratif.

Par un jugement rendu le 20 mars 2015, le Tribunal supérieur de justice de Murcie rejeta leur recours. Les parents se pourvurent en cassation. Par un arrêt du Tribunal suprême du 9 mai 2017, les parents du requérant furent déboutés. Ils formèrent alors un recours d’amparo mais le Tribunal Constitutionnel les débouta au motif que leur recours était sans pertinence constitutionnelle.

 

Griefs

Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), les parents du requérant soutiennent qu’ils n’ont pas reçu d’informations complètes et adéquates concernant les interventions chirurgicales pratiquées sur leur fils et qu’ils n’ont donc pas pu y donner leur consentement libre et éclairé, par écrit.

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 23 novembre 2018.

 

Décision de la Cour

Article 8 CEDH

La Cour relève que les dispositions du droit espagnol sur l´autonomie du patient et les droits et obligations en matière d´information, telles qu’elles sont soutenues par la pratique interne, obligent en termes explicites les médecins à fournir aux patients des informations préliminaires suffisantes et pertinentes pour un consentement éclairé à une telle intervention et devant comporter des informations suffisantes sur ses risques.

Ceci est pleinement conforme à la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine (Convention d’Oviedo). En outre, les dispositions légales nationales précisent que pour chacune des actions indiquées par la loi, ce consentement doit nécessairement être donné par écrit, avec des exceptions très étroitement définies, notamment concernant l’existence d’un danger immédiat et grave pour la vie de la personne et lorsque le patient ou ses proches ne seraient pas en mesure de donner ce consentement.

En l’espèce, les parents du requérant ont porté leurs griefs devant les juridictions internes, en insistant, entre autres, sur le fait qu’aucun consentement valable n’avait été obtenu avant la seconde opération.

La Cour observe que les juridictions internes ont fourni un certain nombre d’arguments selon lesquels la seconde intervention était étroitement liée à la première et que les parents étaient en contact avec les médecins entre les deux interventions. La Cour relève en particulier qu’aucune raison n’a été donnée par les juridictions internes sur la question de savoir pourquoi la prestation du consentement pour la deuxième intervention n’a pas satisfait à la condition fixée par la loi espagnole, selon laquelle chaque acte chirurgical nécessite un consentement écrit. Si les deux interventions avaient pour même but de retirer la tumeur cérébrale, la deuxième a eu lieu à une date ultérieure, après qu’une partie de la tumeur avait déjà été enlevée et alors que l’état de santé de l’enfant mineur n’était plus le même que lors de la première intervention. La Cour relève que les juridictions internes ont alors conclu que le consentement qui aurait été donné verbalement pour la deuxième intervention – qui consistait en l’ablation du reste de la tumeur cérébrale – était suffisant, sans tenir compte des conséquences de la première intervention et sans avoir précisé pourquoi il ne s’agissait pas d’une intervention distincte, qui aurait nécessité le consentement écrit séparé exigé par la législation espagnole. La Cour observe que la seconde opération n’est pas intervenue précipitamment et qu’elle a eu lieu près d’un mois après la première. Il convient de noter aussi que la troisième intervention sur l’enfant mineur s’est avérée nécessaire pour des motifs d’urgence, à la suite de complications survenues lors de la deuxième intervention. Le consentement des parents a été alors recueilli par écrit, ce qui fait contraste avec l’absence de consentement écrit en ce qui concerne la deuxième intervention.

La Cour a déjà mis en exergue l’importance du consentement des patients et le fait que l’absence de consentement peut s’analyser en une atteinte à l’intégrité physique de l’intéressé. Toute méconnaissance par le personnel médical du droit du patient à être dûment informé peut engager la responsabilité de l’État en la matière. En l’espèce, la Cour considère que les questions soulevées par les parents du requérant, concernant d’importantes questions relatives au consentement et à la responsabilité éventuelle des professionnels de santé, n’ont pas été traitées de manière appropriée au cours de la procédure interne, ce qui amène la Cour à conclure que cette procédure n’était pas suffisamment efficace.

La Cour conclut que les jugements internes prononcés par les tribunaux, du Tribunal supérieur de justice de Murcie jusqu’au Tribunal suprême, n’ont pas donné de réponse suffisante concernant l’exigence du droit espagnol d’obtenir un consentement écrit dans des circonstances telles qu’en l’espèce. Si la Convention n’impose en aucune manière que le consentement éclairé soit donné par écrit tant qu’il est fait sans équivoque, la loi espagnole exigeait bien un tel consentement écrit et les tribunaux n’ont pas suffisamment expliqué pourquoi ils ont estimé que l’absence d’un tel consentement écrit n’avait pas enfreint le droit du requérant.

La Cour conclut que le système national n’a pas apporté une réponse adéquate à la question de savoir si les parents du requérant ont effectivement donné leur consentement éclairé à chaque intervention chirurgicale, conformément au droit interne.

Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention à raison de l’ingérence dans la vie privée du requérant.

Satisfaction équitable (art. 41 CEDH)

La Cour dit que l’Espagne doit verser au requérant 24 000 euros (EUR) pour dommage moral.

 

 

Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme consultable ici

Communiqué de presse de la greffière de la Cour du 08.03.2022 disponible ici

 

8C_256/2021 du 09.03.2022 – Fixation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques résultant de l’ESS – Une modification de la jurisprudence n’est pas indiquée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_256/2021 du 09.03.2022

 

Communiqué de presse du TF du 09.03.2022 consultable ici

NB : L’arrêt sera accessible dès qu’il aura été rédigé sur le site internet du TF (date encore inconnue)

 

Fixation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques résultant de l’ESS – Une modification de la jurisprudence n’est pas indiquée

 

Le Tribunal fédéral ne juge pas opportun de modifier sa jurisprudence en vigueur jusqu’à présent relative à la détermination du degré d’invalidité sur la base des salaires statistiques résultant de l’ESS. Il n’existe pas de raisons factuelles sérieuses pour modifier la pratique. Les instruments de correction appliqués jusqu’à aujourd’hui sont d’une importance capitale pour la détermination correcte du degré d’invalidité. Compte tenu de la modification de la loi fédérale et de l’ordonnance sur l’assurance-invalidité, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, un changement de pratique ne serait de toute façon pas opportun à l’heure actuelle.

Le degré d’invalidité d’une personne est généralement déterminé en comparant ses revenus : le revenu que la personne devenue invalide gagne ou pourrait gagner en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée d’elle malgré son invalidité (revenu d’invalide) est comparé avec celui qu’elle aurait pu obtenir si elle n’était pas invalide (revenu sans invalidité). Le degré d’invalidité est déterminé sur la base de la perte de revenu ainsi calculée. Si des chiffres concrets sont disponibles – c’est-à-dire si la personne concernée exerce une activité professionnelle avant ou après le début de l’invalidité – ces chiffres sont généralement utilisés comme base. Si, en revanche, la personne invalide n’exerce pas d’activité ou n’exerce aucune activité que l’on peut raisonnablement attendre d’elle, on peut, selon la jurisprudence appliquée jusqu’à présent, se référer aux salaires statistiques de l’ESS (Enquête bisannuelle sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique). Il faut généralement prendre la valeur médiane des salaires bruts standardisés (valeur médiane = valeur centrale, la moitié gagne moins, l’autre moitié gagne plus). Lors de l’application des salaires statistiques pour déterminer le revenu d’invalide, on se fonde sur un «marché du travail équilibré» (équilibre entre l’offre et la demande) et non sur la situation concrète du marché du travail. A l’aune des circonstances personnelles, une déduction («abattement pour facteurs personnels et professionnels») peut alors être effectuée sur le salaire statistique, jusqu’à un maximum de 25 %. Un correctif supplémentaire est possible si la personne concernée percevait déjà un revenu nettement inférieur à la moyenne pour des raisons étrangères à son invalidité avant que celle-ci ne survienne («parallélisation des revenus»).

Dans le cas d’espèce, une personne recourt contre la fixation de son degré d’invalidité selon cette pratique appliquée sous le droit de l’assurance-invalidité en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Elle fait valoir que la jurisprudence dans ce domaine serait discriminatoire. Selon les dernières recherches scientifiques [1], les personnes invalides seraient systématiquement moins bien loties avec la prise en compte de la valeur médiane de l’ESS. Les salaires statistiques refléteraient largement les salaires des personnes en bonne santé. Afin de prendre en compte de manière adéquate les conséquences de l’invalidité lors de la fixation du revenu d’invalide, les experts suggéreraient, entre autres, de se référer au quartile inférieur des salaires statistiques (quartile inférieur = valeur du quart, un quart gagne moins, trois quarts gagnent plus) plutôt qu’à la valeur médiane. En outre, il conviendrait d’établir les salaires sur la base d’activités appropriées et d’établir immédiatement des déductions claires et réalistes sur le salaire statistique.

Lors de sa séance publique du 9 mars 2022, le Tribunal fédéral rejette le recours. Les arguments invoqués ne justifient pas un changement de jurisprudence. La détermination du degré d’invalidité est essentiellement régie par la loi. Avec la notion de marché du travail équilibré (selon l’article 16 LPGA), le législateur part du principe que des emplois correspondant aux capacités des personnes atteintes dans leur santé leur sont accessibles. On ne peut s’écarter de ce concept juridique en se référant à des possibilités d’emploi concrètes ou des conditions concrètes du marché du travail. La détermination des revenus avec et sans invalidité n’était jusqu’à présent pas réglementée en détail par la loi. Selon la jurisprudence appliquée jusqu’à présent, il s’agit avant tout de tenir compte des circonstances concrètes, c’est-à-dire du salaire effectivement gagné avant ou après le début de l’invalidité. Ce n’est que lorsque cela n’est pas possible que les statistiques salariales sont utilisées, généralement les salaires issus de l’ESS. Le recours à l’ESS pour déterminer le degré d’invalidité est donc l’«ultima ratio». L’ESS se base sur une enquête menée tous les deux ans auprès des entreprises en Suisse. Elle se fonde donc sur des données complètes et concrètes issues du marché du travail réel. La valeur médiane des salaires bruts standardisés de l’ESS, qui doit être prise comme base selon la jurisprudence du Tribunal fédéral appliquée jusqu’à présent, convient en principe comme valeur de départ pour la détermination du revenu d’invalide. Afin de tenir compte du fait qu’une personne handicapée ne peut mettre en valeur sa capacité de travail restante, même sur un marché du travail équilibré, qu’avec la perspective d’un salaire inférieur à la moyenne, la jurisprudence prévoit la possibilité d’une déduction allant jusqu’à 25 % du salaire statistique. Cette déduction («abattement pour facteurs personnels et professionnels») constitue un correctif capital pour déterminer le revenu d’invalide de la manière la plus concrète possible. Compte tenu de la possibilité d’effectuer un abattement, le Tribunal fédéral a jusqu’à présent expressément refusé de prendre comme base le quartile inférieur du salaire statistique. Un autre correctif est la parallélisation. Cela permet également de tenir compte du cas particulier lors de la comparaison des revenus. On ne voit pas dans quelle mesure la détermination du revenu d’invalide sur la base de la valeur médiane de l’ESS, corrigée le cas échéant par les deux instruments précités, serait discriminatoire.

Le fait que les conditions d’un changement de jurisprudence ne sont pas réunies à ce jour ne signifie pas que la jurisprudence – en particulier à l’aune de la révision de la loi fédérale et de l’ordonnance sur l’assurance-invalidité – ne pourra pas évoluer à l’avenir. Une modification de la jurisprudence à l’heure actuelle ne serait toutefois pas opportune, même ensuite de l’entrée en vigueur de la révision en question, laquelle concerne l’utilisation des salaires statistiques pour la comparaison des revenus ainsi que les instruments de correction. Le Tribunal fédéral n’a pas à se prononcer sur ce point dans le cas d’espèce.

 

 

[1] Entre autres, l’expertise statistique «Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung» de l’Office d’études du travail et de la politique sociale (BASS SA) ; l’avis juridique «Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung» et les conclusions qui en ont été tirées par le Prof. Dr. iur. Gächter, le Dr. iur. Egli, le Dr. iur. Meier et le Dr. iur. Filippo; remarques complémentaires «Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn» du Prof. em. Riemer Kafka et du Dr. phil. Schwegler

 

 

Communiqué de presse du TF du 09.03.2022 consultable ici

Bestimmung des Invaliditätsgrades anhand der LSE-Tabellenlöhne – Änderung der Rechtsprechung nicht angezeigt, Medienmitteilung des Bundesgerichts, 09.03.2022

Determinazione del grado d’invalidità sulla base dei salari delle tabelle RSS – cambiamento di giurisprudenza non opportuno, Comunicato stampa del Tribunale federale, 09.03.2022

 

 

9C_488/2021 (d) du 10.01.2022 – Revenu d’invalide – Abattement – Baisse de rendement – Troubles psychiques

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_488/2021 (d) du 10.01.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu d’invalide – Abattement / 16 LPGA

Baisse de rendement – Troubles psychiques

 

Assuré, né en 1977, ébéniste de formation, titulaire d’une maturité professionnelle et travaillant en dernier lieu comme dessinateur dans un bureau d’architecture, a déposé une demande AI en juin 2013 en raison d’un trouble bipolaire et d’un syndrome d’apnée du sommeil sévère. L’office AI a procédé aux investigations usuelle et a mis en œuvre deux expertises pluridisciplinaires.

Selon la dernière expertise, l’assuré est apte à travailler à partir d’avril 2013 dans son activité habituelle habituel ou dans un emploi adapté, à raison de 7,5 heures en moyenne (par jour) avec une limitation de la capacité de travail de 20% en raison d’un besoin accru de pauses, soit 70% au total.

L’office AI a nié le droit à une rente.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 04.08.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2.2
L’instance inférieure a calculé le revenu d’invalide à partir du salaire statistique (ESS 2016, TA1, niveau de compétence 1, hommes, Total), en n’accordant aucun abattement sur celui-ci.

L’assuré demande une déduction de 10%, ne pouvant désormais œuvrer qu’à temps partiel (70%) dans des activités adaptées aux limitations fonctionnelles retenues.

Selon le Tribunal fédéral, il convient d’opposer au grief de l’assuré qu’il peut encore travailler 7,5 heures par jour. Cela correspond, pour un temps de travail hebdomadaire moyen de 41,7 heures, à un taux d’occupation de près de 90%, ce qui, statistiquement parlant, n’entraîne pas une perte de salaire disproportionnée (cf. ESS 2016, T18, hommes, sans fonction de cadre). La diminution de la capacité de travail de 20% attestée par les experts en raison d’un besoin accru de pauses a déjà été prise en compte dans l’évaluation médicale de la capacité de travail et ne doit pas être prise en compte une nouvelle fois dans le calcul de la déduction (ATF 146 V 16 consid. 4.1).

Selon le jugement cantonal, qui s’appuie sur la dernière expertise médicale, l’assuré peut effectuer des travaux pratiques et variés. Selon l’évaluation de l’expert, les activités à charge émotionnelle, celles soumises à une forte pression temporelle, avec des horaires de travail très irréguliers et les travaux nécessitant une surveillance ou une commande prolongée de machines ne conviennent pas. Ces restrictions ne justifient pas un abattement sur le salaire statistique, car une prévenance de la part du supérieur et des collègues de travail due des troubles psychiques ne constitue pas une circonstance déductible en soi. De plus, l’assuré a encore accès à une multitude d’activités dans lesquelles les restrictions qualitatives n’ont pas d’effet.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_488/2021 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 9C_488/2021 (d) du 10.01.2022 – Revenu d’invalide – Abattement – Baisse de rendement – Troubles psychiques, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/03/9c_488-2021)

9C_366/2021 (d) du 03.01.2022 – Marché du travail équilibré – Exploitabilité de la capacité résiduelle de travail – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_366/2021 (d) du 03.01.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Marché du travail équilibré – Exploitabilité de la capacité résiduelle de travail / 16 LPGA

 

En août 2017, l’assuré, né en 1969, a déposé une 3e demande AI (après deux précédents refus), invoquant un complexe de Shone. Après avoir procédé aux investigations usuelles, notamment une expertise pluridisciplinaire (médecine interne générale, cardiologie et neurologie), l’office AI a accordé à l’assuré une demi-rente AI avec effet au 01.04.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2020.00279 – consultable ici)

Par jugement du 22.04.2021, admission partielle du recours par le tribunal cantonal. Le droit à une demi-rente AI du 01.04.2018 au 31.08.2019 a été confirmé ; l’affaire est retournée à l’office AI pour investigations supplémentaires et examen du droit à une rente d’invalidité à partir du 01.09.2019

 

TF

Le Tribunal fédéral a examiné si le tribunal cantonal a violé le droit fédéral en refusant à l’assuré le droit à une rente d’invalidité supérieure à une demi-rente pour la période du 01.04.2018 au 31.08.2019.

Consid. 3.2
L’examen du droit à la rente lors d’une nouvelle demande après un refus préalable de la rente (cf. à ce sujet l’art. 87 al. 3 en relation avec l’al. 2 RAI ; ATF 130 V 71 consid. 2.2) doit être effectué en appliquant par analogie les principes relatifs à la révision de la rente selon l’art. 17 LPGA (ATF 143 V 409 consid. 4.2.1 ; 143 V 418 ; 141 V 281).

Consid. 4.1
Il est établi et incontesté que l’état de santé de l’assuré s’est détérioré depuis le dernier refus de rente et qu’il n’est plus en mesure, durant la période litigieuse en l’espèce, que d’exercer une activité à 70% adaptée à son état de santé. Ce qui est en revanche contesté, c’est le caractère exploitable de la capacité de travail médico-théorique.

Consid. 4.2
La possibilité pour une personne assurée d’exploiter ses capacités résiduelles sur le marché du travail général et équilibré dépend des circonstances concrètes du cas d’espèce. Sont déterminants, conformément à la jurisprudence, le type et la nature de l’atteinte à la santé et de ses conséquences, l’effort prévisible de réadaptation et d’adaptation et, dans ce contexte, également la structure de la personnalité, les talents et aptitudes existants, la formation, le parcours professionnel ou l’applicabilité de l’expérience professionnelle acquise dans l’activité habituelle (arrêt 9C_650/2015 du 11 août 2016 consid. 5.3 et les références). En ce qui concerne le marché du travail équilibré, il s’agit d’une notion théorique, de sorte que l’on ne peut pas admettre à la légère que la capacité de travail résiduelle est inutilisable (arrêts 8C_442/2019 du 20 juillet 2019 consid. 4.2 et 9C_485/2014 du 28 novembre 2014 consid. 3.3.1). Le caractère irréaliste de la capacité de travail résiduelle est admis lorsque l’activité raisonnablement exigible n’est possible que sous une forme si limitée que le marché du travail équilibré ne la connaît pratiquement pas ou qu’elle ne serait possible qu’au prix d’une prévenance illusoire de la part d’un employeur moyen et que la recherche d’un emploi correspondant apparaît donc d’emblée comme exclue (arrêts 9C_426/2020 du 29 avril 2021 consid. 5.2 et 9C_644/2019 du 20 janvier 2020 consid. 4.2, tous deux avec référence).

Consid. 4.3
L’assuré fait valoir que la capacité de travail qui lui reste n’est pas exploitable sur le marché du travail équilibré. Comme l’a toutefois considéré à juste titre l’instance précédente, ce marché du travail offre des postes pour lesquels la personne active peut, si nécessaire, faire une pause à tout moment (cf. aussi arrêt 8C_434/2021 du 10 août 2021 consid. 5.4). Le fait qu’il faille s’attendre à l’avenir également à des phases d’incapacité de travail passagère ne change rien à cette situation.

Dans le cas concret, la condition selon laquelle l’activité doit être exercée à proximité de la clinique de cardiologie qui assure le suivi n’entraîne pas non plus de restriction de l’exploitabilité. Le tribunal cantonal a interprété cette condition en ce sens que le lieu de travail ne devait pas être plus éloigné de la clinique B.__ que le domicile du patient. Par cette interprétation, le tribunal cantonal n’a pas estimé de manière manifestement erronée le sens et la portée de la déclaration de l’expert ; selon le contexte de cette déclaration, le médecin-expert voulait en premier lieu exclure par celle-ci une activité de service extérieur. Selon les constatations de l’instance précédente, l’assuré habite à U.__, soit à 35 km de la clinique de cardiologie où il est traité. Dans ce rayon autour de la clinique B.__ se trouve l’une des régions les plus économiquement fortes de Suisse, de sorte que cette condition ne rend pas irréaliste la recherche d’un emploi correspondant. Par conséquent, l’instance inférieure n’a pas violé le droit fédéral en admettant l’exploitabilité de la capacité résiduelle de travail de l’assuré.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_366/2021 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 9C_366/2021 (d) du 03.01.2022 – Marché du travail équilibré – Exploitabilité de la capacité résiduelle de travail, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/03/9c_366-2021)

9C_429/2020 (f) du 24.06.2021 – Solde des cotisations sociales d’un indépendant plus de 11 ans après – Dies a quo du délai de péremption d’un an / Entrée en force de la taxation fiscale déterminante / 16 LAVS – 23 RAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_429/2020 (f) du 24.06.2021

 

Consultable ici

 

Solde des cotisations sociales d’un indépendant plus de 11 ans après – Dies a quo du délai de péremption d’un an

Entrée en force de la taxation fiscale déterminante / 16 LAVS – 23 RAVS

Intérêt moratoire

 

A.__, né en 1977, était associé de la société en nom collectif C.__. Il a requis son affiliation à titre de personne exerçant une activité lucrative indépendante auprès de la caisse cantonale de compensation à compter du 01.05.2002.

De 2003 à 2008, la caisse de compensation a, en se fondant sur un revenu annuel annoncé de 72’000 fr., fixé provisoirement le montant des cotisations sociales à la charge de A.__ pour chacune des années en cause. En date du 31.12.2007, l’intéressé a définitivement cessé son activité indépendante. Le 14.04.2008, la caisse de compensation a rendu un décompte final des cotisations dues, précisant qu’il s’agissant d’une taxation provisoire « dans l’attente des éléments fiscaux ».

Le 16 novembre 2018, l’autorité fiscale cantonale a informé la caisse de compensation que A.__ avait réalisé un revenu de 144’343 fr. en 2005 (capital investi: 29’518 fr.), de 187’605 fr. en 2006 (capital investi: 37’703 fr.) et de 546’442 fr. en 2007 (capital investi: 285’542 fr.). Par décisions séparées du 23.09.2019, confirmées sur opposition, la caisse de compensation a réclamé à A.__ un montant supplémentaire de 63’985 fr. 05 correspondant à l’arriéré des cotisations sociales dues pour la période du 01.01.2005 au 31.12.2007, avec des frais d’administration, ainsi qu’un montant de 35’610 fr. 20 à titre d’intérêts moratoires.

 

Procédure cantonale (arrêt AVS 47/19 – 17/2020 – consultable ici)

La juridiction cantonale a retenu que la caisse de compensation avait réclamé à juste titre à A.__ l’arriéré de cotisations sociales dues sur l’ensemble des revenus des années 2005 à 2007. La procédure de rappel d’impôts portait en effet sur l’ensemble des revenus de A.__ pour cette période, annulant et remplaçant de facto les décisions de taxation rendues en 2008 et 2009. Ce n’était dès lors qu’à partir de la communication par l’autorité fiscale des taxations définitives en novembre 2018 que la caisse de compensation avait été en mesure de réclamer, conformément à l’art. 39 RAVS, l’arriéré des cotisations sociales dues. Dans la même logique, dès lors qu’elle était fondée à réclamer les cotisations sociales sur l’ensemble des revenus du recourant des années 2005 à 2007, la juridiction cantonale a considéré que c’est à bon droit que la caisse de compensation avait facturé des intérêts moratoires.

Par jugement du 18.05.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le délai institué par l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS est un délai de péremption, et non pas de prescription (ATF 115 V 183 consid. 2b et les références; voir aussi ATF 129 V 345 consid. 4.2.2), en ce sens que l’organisme d’assurance qui subit un dommage est déchu du droit d’exiger la réparation de celui-ci s’il n’agit pas dans le délai fixé. Ce délai n’est en principe susceptible d’aucune interruption ni prolongation (à ce sujet, voir ATF 136 II 187 consid. 6; 133 V 14 consid. 6).

L’art. 14 LAVS concerne le prélèvement de cotisations par les caisses de compensation. A teneur de cette disposition, les cotisations perçues sur le revenu provenant de l’exercice d’une activité indépendante, les cotisations des assurés n’exerçant aucune activité lucrative et celles des assurés dont l’employeur n’est pas tenu de payer des cotisations sont déterminées et versées périodiquement. Le Conseil fédéral fixera les périodes de calcul et de cotisations (art. 14 al. 2 LAVS). Le Conseil fédéral édicte des dispositions sur le paiement a posteriori de cotisations non versées (art. 14 al. 4 let. c LAVS).

En vertu de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 39 al. 1 RAVS, selon lequel si une caisse de compensation a connaissance du fait qu’une personne soumise à l’obligation de payer des cotisations n’a pas payé de cotisations ou n’en a payé que pour un montant inférieur à celui qui était dû, elle doit réclamer, au besoin par décision, le paiement des cotisations dues; la prescription selon l’art. 16 al. 1 LAVS est réservée.

Dans le cadre de la fixation des cotisations des assurés, le législateur a par ailleurs confié aux autorités fiscales cantonales le soin de déterminer le revenu provenant d’une activité indépendante et le capital propre engagé dans l’entreprise (art. 9 al. 3 LAVS et 27 RAVS; voir arrêt 9C_179/2007 du 7 novembre 2007 consid. 4.2).

Ainsi, en vertu de l’art. 23 RAVS, pour établir le revenu déterminant, les autorités fiscales cantonales se fondent sur la taxation passée en force de l’impôt fédéral direct. Elles tirent le capital propre engagé dans l’entreprise de la taxation passée en force de l’impôt cantonal adaptée aux valeurs de répartition intercantonales (al. 1). En l’absence d’une taxation passée en force de l’impôt fédéral direct, les données fiscales déterminantes sont tirées de la taxation passée en force de l’impôt cantonal sur le revenu ou, à défaut, de la déclaration vérifiée relative à l’impôt fédéral direct (al. 2). Si l’autorité fiscale procède à une taxation fiscale consécutive à une procédure en soustraction d’impôts, les al. 1 et 2 sont applicables par analogie (al. 3). Les caisses de compensation sont liées par les données des autorités fiscales cantonales (al. 4). Si les autorités fiscales cantonales ne peuvent pas communiquer le revenu, les caisses de compensation estimeront le revenu déterminant pour fixer les cotisations et le capital propre engagé dans l’entreprise sur la base des données dont elles disposent. Les personnes tenues de payer des cotisations doivent renseigner les caisses de compensation et, sur demande, produire toutes les pièces utiles (al. 5).

 

C’est tout d’abord en vain que A.__ soutient que la caisse de compensation a commis un abus de droit en rendant la décision de cotisations AVS le 23.09.2019, alors qu’elle disposait depuis 2008 des comptes de la société en nom collectif C.__ des années 2005, 2006 et 2007. Dans le cadre de la fixation des cotisations des assurés exerçant une activité lucrative indépendante, le législateur a expressément confié aux autorités fiscales cantonales le soin de déterminer le revenu provenant d’une activité indépendante et le capital propre engagé dans l’entreprise conformément aux art. 9 al. 3 LAVS et 23 RAVS. Il s’ensuit que les caisses de compensation sont liées, en principe, par les données communiquées par les autorités fiscales cantonales pour fixer les cotisations dues pour l’année de cotisation (art. 23 al. 4 et 27 al. 2 RAVS). N’ayant aucun moyen de contraindre les autorités fiscales à prendre rapidement une décision, la caisse de compensation n’était par conséquent pas tenue d’entreprendre quelque démarche que ce soit auprès de celles-ci (voir arrêt 9C_179/2007 précité consid. 4.2; cf. aussi arrêt 9C_491/2013 du 5 février 2014 consid. 3.2). On ne saurait dès lors reprocher à la caisse de compensation de s’en être tenue aux communications effectives de l’autorité fiscale.

 

Compte tenu des particularités de la procédure de cotisations AVS des indépendants, le législateur a ensuite posé à l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS une règle spécifique en matière de péremption qui s’écarte des règles générales de l’art. 24 al. 1 LPGA. Lorsque les cotisations perçues sur le revenu proviennent d’une activité indépendante (art. 8 al. 1 LAVS), le délai de péremption n’échoit en principe qu’un an après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force (art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS). En choisissant comme point de départ du délai de péremption la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force, et non pas le moment effectif de la connaissance du dommage, le législateur a choisi explicitement de faire supporter à l’organisme d’assurance tout retard dans la communication par l’autorité fiscale cantonale de la taxation fiscale déterminante entrée en force.

L’art. 16 al. 1 LAVS s’applique ensuite également à la situation dans laquelle une procédure pour soustraction fiscale a été mise en œuvre (au sens des art. 175 ss LIFD [RS 642.11]). Si des cotisations doivent être prélevées sur un revenu taxé dans une procédure en soustraction d’impôts, le délai d’un an de l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS ne prend naissance qu’après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force. A cet égard, le Tribunal fédéral a précisé que les modifications de l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS, entrées en vigueur le 1er janvier 2012, n’ont pas apporté de modification substantielle par rapport à l’ancien droit. Si l’ancien art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS faisait expressément référence à « la taxation fiscale déterminante ou [à] la taxation consécutive à une procédure pour soustraction d’impôts », la nouvelle réglementation qui ne contient plus que l’expression « taxation fiscale déterminante » apporte exclusivement une simplification rédactionnelle (arrêt 9C_736/2018 du 5 décembre 2018 consid. 2). La jurisprudence rendue concernant la taxation consécutive à une procédure pour soustraction d’impôts, qui était auparavant expressément mentionnée dans l’énoncé de l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS, garde par conséquent toute sa valeur. L’organisme d’assurance est censé suffisamment connaître son dommage après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force, y compris la taxation consécutive à une procédure pour soustraction d’impôts.

Dès lors que les taxations fiscales des 16 avril 2008 (pour l’année 2005), 1er septembre 2008 (pour l’année 2006) et 13 juillet 2009 (pour l’année 2007) reposaient sur des données incomplètes, de sorte qu’une reprise d’impôts a eu lieu postérieurement, le point de départ du délai de péremption d’un an au sens de l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS est reporté à la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale consécutive à la procédure pour soustraction d’impôts est entrée en force. Selon les faits constatés par la juridiction cantonale, il s’agit de la fin de l’année 2018. En réclamant le solde des cotisations sociales dues le 23.09.2019, la caisse de compensation a par conséquent agi dans le délai d’un an après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force (art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS). Les cotisations arriérées réclamées par la caisse de compensation ne sont pas frappées de péremption.

 

C’est finalement en vain que A.__ se plaint de la perception d’un intérêt moratoire. L’intérêt moratoire n’a pas le caractère d’une sanction ou d’une pénalité; sa justification réside dans la perte d’intérêts que subit le créancier et le gain que réalise le débiteur. Dans la mesure où A.__ a déclaré à la caisse de compensation un revenu (de 72’000 fr.) sensiblement inférieur à celui qu’il percevait en réalité (144’343 fr. en 2005, 187’605 fr. en 2006 et 546’442 fr. en 2007), il doit payer des intérêts moratoires sur les cotisations arriérées réclamées dès le 1er janvier qui suit la fin de l’année civile pour laquelle les cotisations sont dues (art. 41 bis al. 1 let. b RAVS). Dans la décision du 14.04.2008, la caisse de compensation a du reste précisé qu’elle procédait à une taxation des cotisations sociales dans l’attente des éléments fiscaux et indiqué expressément, dans les documents annexés à la décision, qu’elle réservait une rectification ultérieure sur la base de la communication fiscale.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 9C_429/2020 consultable ici