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8C_254/2022 (f) du 03.02.2023 – Propulsion électrique pour fauteuil manuel – Moyens auxiliaires / Critères de simplicité et d’adéquation – Principe de la proportionnalité dans le cadre de l’assurance-accidents sociale – 11 al. 2 LAA – 1 al. 2 OMAA / Causalité naturelle et adéquate

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_254/2022 (f) du 03.02.2023

 

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Propulsion électrique pour fauteuil manuel – Moyens auxiliaires destinés à compenser un dommage corporel ou la perte d’une fonction / 11 LAA – OMAA

Critères de simplicité et d’adéquation – Principe de la proportionnalité dans le cadre de l’assurance-accidents sociale / 11 al. 2 LAA – 1 al. 2 OMAA

Octroi d’un moyen auxiliaire – Existence d’un lien de causalité (naturelle et adéquate) entre l’atteinte à la santé et l’accident / 6 LAA – 1 al. 1 OMAA

 

Assuré né en 1978 qui, le 26.09.2006, a été victime d’un accident de moto, provoquant une paraplégie complète au-dessous de la vertèbre D4, nécessitant la remise d’un fauteuil roulant manuel. Dès le 01.10.2007, l’assuré a progressivement repris le travail et a depuis lors occupé différents postes de juriste dans les secteurs privé et public. A l’heure actuelle, il exerce comme avocat indépendant et comme juge assesseur. Il est marié et père de deux enfants.

L’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 30% avec effet au 01.04.2012, mais lui a refusé une allocation pour impotent.

Par courrier du 25.03.2019, l’assuré a sollicité une allocation pour impotent en raison de problèmes rencontrés aux deux épaules. Par décision, l’assurance-accidents a, d’une part, refusé le droit à des prestations d’assurance LAA en lien avec les troubles aux deux épaules, et, d’autre part, a accordé une allocation pour impotent de degré faible à compter du 01.03.2019.

Le 24.02.2021, l’assuré a sollicité la prise en charge d’un système de traction électrique de type « Triride » d’une valeur de 8’961 fr. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé la prise en charge d’un propulseur électrique à titre de moyen auxiliaire.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/297/2022 – consultable ici)

Par jugement du 30.03.2022, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 11 LAA, l’assuré a droit aux moyens auxiliaires destinés à compenser un dommage corporel ou la perte d’une fonction; le Conseil fédéral établit la liste de ces moyens auxiliaires (al. 1). Les moyens auxiliaires sont d’un modèle simple et adéquat; l’assureur les remet en toute propriété ou en prêt (al. 2). A l’art. 19 OLAA, le Conseil fédéral a délégué au Département fédéral de l’intérieur (DFI) la compétence de dresser la liste des moyens auxiliaires et d’édicter des dispositions sur la remise de ceux-ci. Ce département a édicté l’ordonnance du 18 octobre 1984 sur la remise de moyens auxiliaires par l’assurance-accidents (OMAA [RS 832.205.12]) avec, en annexe, la liste des moyens auxiliaires. Selon l’art. 1 OMAA, l’assuré a droit aux moyens auxiliaires figurant sur la liste en annexe, dans la mesure où ceux-ci compensent un dommage corporel ou la perte d’une fonction qui résulte d’un accident ou d’une maladie professionnelle (al. 1). Le droit s’étend aux moyens auxiliaires nécessaires et adaptés à l’atteinte à la santé, d’un modèle simple et adéquat, ainsi qu’aux accessoires indispensables et aux adaptations qu’exige l’atteinte à la santé; le nombre et les caractéristiques des moyens auxiliaires doivent répondre tant aux exigences de la vie privée qu’à celles de la vie professionnelle (al. 2). L’annexe à l’OMAA comprend notamment les fauteuils roulants sans moteur (ch. 9.01) ainsi que les fauteuils roulants à moteur électrique; ces derniers sont fournis si des assurés incapables de marcher ne peuvent pas utiliser un fauteuil roulant usuel par suite de paralysies ou d’autres infirmités des membres supérieurs et ne peuvent se déplacer de façon indépendante qu’en fauteuil roulant mû électriquement (ch. 9.02). Les dispositifs de propulsion électrique pour fauteuil manuel – comme celui litigieux en l’espèce – sont assimilés aux fauteuils roulants à moteur électrique (ATF 135 I 161 consid. 4; arrêt 8C_699/2013 du 3 juillet 2014 consid. 2.1). Le droit à ce moyen auxiliaire suppose donc que l’assuré ait besoin d’un fauteuil roulant, qu’il ne soit pas en mesure d’utiliser un fauteuil roulant usuel et qu’il ne puisse se déplacer de manière autonome qu’avec un fauteuil roulant électrique (arrêt 9C_543/2014 du 17 novembre 2014 consid. 5).

Consid. 3.2.1
Comme tout moyen auxiliaire, un fauteuil roulant à moteur électrique ou un dispositif assimilé doit répondre aux critères de simplicité et d’adéquation (art. 11 al. 2 LAA; art. 1 al. 2 OMAA). Ces critères, qui sont l’expression du principe de la proportionnalité, supposent d’une part que la prestation en cause soit propre à atteindre le but fixé par la loi et apparaisse nécessaire et suffisante à cette fin, et d’autre part qu’il existe un rapport raisonnable entre le coût et l’utilité du moyen auxiliaire, compte tenu de l’ensemble des circonstances de fait et de droit du cas particulier (ATF 141 V 30 consid. 3.2.1; 135 I 151 consid. 5.1; arrêt 8C_52/2016 du 8 avril 2016 consid. 3.1, in SVR 2016 UV n° 43 p. 142). Il découle de ces exigences que le droit à un fauteuil électrique est exclu pour les assurés qui peuvent se déplacer seuls en fauteuil roulant manuel, même dans les cas où un système électrique leur serait utile (ATF 140 V 538 consid. 5.2; cf. ATF 132 V 215 consid. 4.31 et les références). La remise de ce moyen est également exclue si la personne invalide ne peut pas utiliser seule le système de démarrage et de freinage électrique d’un fauteuil roulant (ATF 140 V 538).

Consid. 3.2.2
Selon la jurisprudence, l’existence d’une forte déclivité ou d’un emplacement inaccessible à un fauteuil roulant n’est pas en soi un motif suffisant pour admettre le droit à un dispositif de propulsion électrique car, le cas échéant, toute personne dépendante d’un fauteuil roulant pourrait prétendre à un tel dispositif. Une telle extension du droit n’est pas compatible avec le but consistant à accorder un fauteuil roulant électrique aux assurés qui ne peuvent pas utiliser un fauteuil roulant usuel par suite de paralysies ou d’autres infirmités des membres supérieurs et ne peuvent se déplacer de façon indépendante qu’en fauteuil mû électriquement (ch. 9.02 de l’annexe à l’OMAA). Bien que le chiffre 9.02 de l’annexe à l’OMAA indique qu’un assuré a droit à un fauteuil roulant électrique pour se « déplacer de façon indépendante », cela ne signifie pas que l’intéressé doit pouvoir circuler sur tous les terrains et dans tous les lieux possibles. Il ressort en effet du principe de la proportionnalité qu’un rapport raisonnable doit exister, dans le cadre de l’assurance-accidents sociale, entre le but visé, le bénéfice supposé apporté par le moyen auxiliaire en question et le coût de celui-ci. Dans ce contexte, les exigences de la vie privée et de la vie professionnelle (art. 1 al. 2 OMAA) font référence aux lieux les plus proches situés hors du domicile dans lesquels s’établissent les contacts sociaux habituels de la population (ATF 135 I 161 consid. 6; arrêts 9C_543/2014 du 17 novembre 2014 consid. 5; 8C_699/2013 du 3 juillet 2014 consid. 6.2; 9C_265/2012 du 12 octobre 2012 consid. 4.1; 8C_34/2011 du 13 septembre 2011 consid. 4.3, in SVR 2012 IV n° 20 p. 89). A cet égard, il est un fait notoire que, pour des raisons architecturales, de nombreux lieux publics ou privés ne sont pas ou que très difficilement accessibles aux personnes handicapées se déplaçant en fauteuil roulant (manuel ou électrique). Si cet état de fait est la source d’inconvénients certains, puisqu’il tend, en comparaison avec la situation des personnes valides, à restreindre l’autonomie et la qualité du contact social des personnes à mobilité réduite, la jurisprudence a également souligné que l’assurance sociale n’a pas pour mission d’assurer les mesures qui sont les meilleures dans le cas particulier, mais seulement celles qui sont nécessaires et propres à atteindre le but visé (ATF 131 V 167 consid. 4.2 et la référence citée; arrêts 8C_279/2014 du 10 juillet 2015 consid. 7.2, in SVR 2016 UV n° 3 p. 5; 9C_265/2012 du 12 octobre 2012 consid. 4.2; 8C_699/2013 du 3 juillet 2014 consid. 6.2; à propos de la discrimination à l’égard des personnes handicapées, voir ATF 134 I 105 consid. 5).

 

Consid. 4.3
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral exposée ci-dessus, un fauteuil roulant à moteur électrique ou un dispositif assimilé n’est octroyé qu’à titre exceptionnel (cf. consid. 3.2 supra). En l’espèce, il ressort des constatations de l’arrêt attaqué et des déclarations de l’assuré que celui-ci est toujours en mesure de se déplacer en fauteuil roulant manuel de manière indépendante, c’est-à-dire sans l’aide d’un tiers ou d’un appareil de traction électrique. En effet, il a déclaré lors de l’audition de comparution personnelle du 25.02.2022 qu’il pouvait se déplacer sur une distance d’environ un kilomètre sans avoir trop de problèmes aux épaules. Son étude se trouvait à environ un kilomètre de son domicile, de sorte qu’il pouvait s’y rendre en fauteuil roulant manuel, et l’école de ses enfants était à la même distance, sans montée. Il peut ainsi rejoindre sans l’aide d’autrui ses principaux lieux de contacts sociaux et professionnels, notamment son étude, les commerces et l’école de ses enfants, qui sont tous situés dans ce périmètre d’un kilomètre. Pour aller aux endroits de contacts sociaux réguliers plus éloignés, il dispose d’une voiture adaptée à son handicap. Certes, la remise de l’appareil de traction électrique lui éviterait dix transferts douloureux par semaine du fauteuil roulant à la voiture et vice-versa (mais pas les autres transferts inévitables dans la vie quotidienne mentionnés par la cour cantonale). L’assuré soutient (dans son mémoire de réponse) que ce dispositif lui éviterait dix transferts par jour, mais il ne démontre pas en quoi les constatations de fait de la cour cantonale seraient incorrectes. Il allègue en outre pas pouvoir se déplacer seul sur une distance de plus d’un kilomètre, ce qui aurait pour conséquence qu’il ne pourrait notamment pas se rendre sur son lieu de travail, « qui se situe à une distance de deux kilomètres aller-retour ». Ce faisant, il se met toutefois en contradiction avec ses propres dépositions devant les premiers juges, selon lesquelles il peut se rendre à son étude en fauteuil roulant manuel. Au vu des conditions strictes que pose la jurisprudence à l’octroi d’un dispositif de propulsion électrique (voire d’un fauteuil roulant à moteur électrique), la possibilité d’éviter certains transferts ne saurait justifier d’assimiler la nécessité de ménager les épaules à une impossibilité de se déplacer de manière autonome en fauteuil roulant manuel.

Concernant l’argument selon lequel le dispositif à traction électrique serait la seule mesure adéquate pour permettre à l’assuré de surveiller ses enfants lors de leurs sorties à l’extérieur, et qu’il serait ainsi à même d’assumer ses responsabilités de père dans les lieux de contacts sociaux habituels que sont notamment les parcs, l’assurance-accidents soutient, à juste titre, que cet élément sécuritaire justifierait alors l’octroi d’un dispositif de traction électrique à tout parent dépendant d’un fauteuil roulant et ce indépendamment de toute paralysie ou autre infirmité des membres supérieurs; ce dispositif ne servirait ainsi pas pour compenser une perte de fonction des membres supérieurs.

Il ressort des considérations de la cour cantonale que la remise du dispositif à traction litigieux est certes une solution idéale pour la situation de l’assuré, car elle facilite son quotidien et lui offre un confort maximal. Toutefois, dans son cas particulier, le but légal poursuivi, c’est-à-dire compenser la perte de fonction des jambes et lui offrir une mobilité autonome, peut déjà être atteint de manière adéquate et suffisante avec un fauteuil manuel et un véhicule automobile adapté. Dès lors, l’octroi du dispositif à propulsion électrique est en contradiction avec le principe selon lequel l’assurance sociale n’a pas pour mission d’assurer les mesures qui sont les meilleures, mais seulement celles qui sont nécessaires et propres à atteindre le but visé (ATF 135 I 161 consid. 5.1), et est ainsi contraire au droit fédéral.

 

Consid. 5.1
L’assurance-accidents avait également refusé le moyen auxiliaire sollicité au motif qu’il n’existait pas de lien de causalité entre les troubles aux épaules et l’accident du 26.09.2006. Elle s’était fondée sur sa décision du 28.10.2019, dans laquelle elle avait refusé le droit aux prestations de l’assurance-accidents pour les troubles aux épaules faute de lien de causalité avec l’évènement accidentel. Cependant, la cour cantonale a laissé ouverte la question de la causalité, considérant qu’elle n’était pas décisive pour juger du droit à un dispositif de propulsion électrique, mais qu’était déterminante la seule question de savoir si le moyen auxiliaire servait à compenser un dommage corporel ou une perte de fonction due à l’accident, soit en l’espèce l’usage des jambes.

Consid. 5.2
Il sied de rappeler que, comme toute autre prestation de l’assurance-accidents, l’octroi d’un moyen auxiliaire présuppose (entre autres) l’existence d’un lien de causalité (naturelle et adéquate) entre l’atteinte à la santé et l’évènement accidentel (cf. ATF 129 V 177 consid. 3). Cela ne ressort pas seulement de l’art. 6 al. 1 LAA, mais également de l’art. 1 al. 1 OMAA, qui exige que les moyens auxiliaires doivent servir à compenser un dommage corporel ou la perte d’une fonction résultant d’un accident ou d’une maladie professionnelle (cf. ATF 146 V 129 consid. 5.6). Comme le recours doit être admis déjà pour les raisons exposées ci-dessus, il n’est toutefois pas nécessaire d’examiner plus avant la question du lien de causalité.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_254/2022 consultable ici

 

Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne C-389/20 du 24.02.2022 / La législation espagnole qui exclut les employés de maison des prestations de chômage alors qu’il s’agit presque exclusivement de femmes est contraire au droit de l’Union

Arrêt de la CJUE C-389/20 (f) du 24.02.2022 dans l’affaire CJ c. TGSS

 

Arrêt C-389/20 consultable ici

Communiqué de presse n° 37/22 du 24.02.2022 disponible ici

 

Égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale / Prohibition de toute discrimination fondée sur le sexe / Protection contre le chômage / Objectifs légitimes de politique sociale / Proportionnalité

 

La législation espagnole qui exclut les employés de maison des prestations de chômage alors qu’il s’agit presque exclusivement de femmes est contraire au droit de l’Union.

La protection octroyée par le système spécial de sécurité sociale applicable aux employés de maison prévu par la législation espagnole ne comprend pas la protection contre le chômage.

Une travailleuse, employée de maison qui travaille pour une personne physique, est affiliée à ce système spécial depuis le mois de janvier 2011. En novembre 2019, elle a adressé à la Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS) (trésorerie générale de la sécurité sociale, Espagne) une demande de cotisation au titre de la protection contre le risque de chômage afin d’acquérir le droit à ces prestations sociales. La TGSS a rejeté cette demande au motif que la possibilité de cotiser audit système spécial en vue d’obtenir une protection contre le risque de chômage est expressément exclue par la législation espagnole.

La travailleuse a alors formé un recours devant le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo nº 2 de Vigo (tribunal administratif au niveau provincial no 2 de Vigo, Espagne), en faisant valoir, en substance, que la législation nationale place les employés de maison dans une situation de détresse sociale lorsque leur emploi cesse pour des raisons qui ne leur sont pas imputables. En effet, cela les empêcherait d’accéder non seulement à la prestation de chômage, mais également aux autres aides sociales subordonnées à l’extinction du droit à cette prestation.

Dans ce contexte, le juge espagnol souligne que la catégorie de travailleurs en cause est constituée presque exclusivement de femmes, raison pour laquelle il demande à la Cour d’interpréter la directive sur l’égalité en matière de sécurité sociale 1, afin de déterminer s’il existe ici une discrimination indirecte fondée sur le sexe, interdite par cette directive.

Dans son arrêt du 24.02.2022, la Cour dit pour droit que la directive sur l’égalité en matière de sécurité sociale s’oppose à une disposition nationale qui exclut les prestations de chômage des prestations de sécurité sociale accordées aux employés de maison par un régime légal de sécurité sociale, dès lors que cette disposition désavantage particulièrement les travailleurs féminins par rapport aux travailleurs masculins, et qu’elle n’est pas justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

La Cour rappelle d’emblée que constitue une discrimination indirecte fondée sur le sexe la situation dans laquelle une disposition apparemment neutre désavantage particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition ne soit objectivement justifiée et proportionnée.

Tout en soulignant qu’il appartient au juge espagnol de vérifier si tel est le cas en l’occurrence, la Cour lui donne des indications à cet effet.

La Cour observe que, conformément à la législation espagnole, tous les travailleurs salariés soumis au régime général de la sécurité sociale, dans lequel le système spécial applicable aux employés de maison est intégré, ont en principe droit aux prestations de chômage. En Espagne, la proportion d’hommes et de femmes salariés serait plus ou moins similaire. En revanche, cette proportion diffèrerait grandement dans le groupe des employés de maison, car les femmes représenteraient plus de 95 % de ce groupe. La proportion des travailleurs salariés de sexe féminin affectés par la différence de traitement découlant de l’exclusion en cause serait donc significativement plus élevée que celle des salariés de sexe masculin. Par conséquent, la législation nationale désavantagerait particulièrement les travailleurs féminins et comporterait ainsi une discrimination indirecte fondée sur le sexe contraire à la directive, à moins qu’elle ne réponde à un objectif légitime de politique sociale et soit apte et nécessaire pour atteindre cet objectif.

Le gouvernement espagnol et la TGSS font valoir que l’exclusion de la protection contre le chômage des employés de maison est liée aux spécificités de ce secteur professionnel, dont le statut des employeurs, et répond à des objectifs de sauvegarde des niveaux d’emploi et de lutte contre le travail illégal et la fraude sociale. La Cour confirme que les objectifs mentionnés sont légitimes du point de vue de la politique sociale. Toutefois, elle considère que la législation espagnole n’apparaît pas apte à atteindre ces objectifs, car elle n’apparaît pas être mise en œuvre de manière cohérente et systématique au regard de ces objectifs.

En effet, la Cour relève que la catégorie de travailleurs exclue de la protection contre le chômage ne se distinguerait pas de manière pertinente d’autres catégories de travailleurs qui ne le sont pas. Elle souligne que ces autres catégories de travailleurs, dont la relation de travail se déroule à domicile pour des employeurs non professionnels, ou dont le domaine de travail présente les mêmes spécificités en termes de taux d’occupation, de qualification et de rémunération que celui des employés de maison, posent des risques analogues en termes de réduction des niveaux d’emploi, de fraude sociale et de recours au travail illégal, mais sont toutes couvertes par la protection contre le chômage. En outre, la Cour ajoute que l’affiliation au système spécial des employés de maison ouvre, en principe, droit à toutes les prestations accordées par le régime général de sécurité sociale espagnol à l’exclusion de celles de chômage. Ce système couvre notamment les risques relatifs aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Il y aurait aussi un manque de cohérence à cet égard, dans la mesure où ces autres prestations présenteraient les mêmes risques de fraude sociale que celles de chômage.

La Cour estime enfin que la législation espagnole apparaît aller au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs mentionnés. L’exclusion de la protection contre le chômage comporterait en effet l’impossibilité d’obtenir d’autres prestations de sécurité sociale auxquelles les employés de maison auraient droit et dont l’octroi est subordonné à l’extinction du droit aux prestations de chômage. Cette exclusion entraînerait ainsi un plus grand manque de protection sociale se traduisant par une situation de détresse sociale.

 

 

Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C-389/20 CJ c. Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS) consultable ici

Communiqué de presse n° 37/22 du 24.02.2022 disponible ici