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9C_203/2021 (f) du 02.02.2022 – Changement de caisse-maladie en cas de retard de paiement / Non-paiement des primes et des participations aux coûts / Compensation entre dette et dommage / Responsabilité de la caisse-maladie / Violation du devoir d’information de la caisse-maladie

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_203/2021 (f) du 02.02.2022

 

Consultable ici

 

Changement de caisse-maladie en cas de retard de paiement / 7 LAMal – 105l OAMal

Non-paiement des primes et des participations aux coûts – Procédure de sommation / 64a LAMal – 105b OAMal

Compensation entre la dette des assurés et l’éventuel dommage causé à ceux-ci par la caisse-maladie / 120 al. 1 CO

Responsabilité de la caisse-maladie ayant empêché le changement d’assureur – Dommage / 78 LPGA – 7 al. 6 LAMal – LRCF

Violation du devoir d’information de la caisse-maladie de chiffrer concrètement le montant des arriérés

 

Affiliés à Helsana Assurances SA (ci-après: Helsana) pour l’assurance obligatoire des soins depuis le 01.01.2012, les conjoints A.__ et B.__ ont reçu différents rappels de paiement de primes arriérées en 2014. Ils ont résilié leur contrat respectif pour le 31.12.2014 (lettres du 25.11.2014). Helsana a pris acte de ces résiliations et informé les assurés que celles-ci ne seraient effectives que si elle était en possession d’une attestation d’assurance du nouvel assureur et s’il ne subsistait aucun arriéré de paiement au moment de la fin des contrats (lettres du 03.12.2014).

Le nouvel assureur, Assura-Basis SA (ci-après: Assura) a communiqué à Helsana qu’il acceptait A.__ et B.__ comme nouveaux assurés. Helsana a toutefois refusé les résiliations dans la mesure où les assurés ne s’étaient pas acquittés de toutes les factures émises en 2014; elle leur a indiqué que la résiliation n’était pas valable et qu’ils ne pouvaient changer d’assureur qu’à la condition d’une nouvelle lettre de résiliation pour la prochaine échéance (courrier du 09.01.2015 à chacun des assurés). Elle en a informé Assura (lettre du 09.01.2015), qui a annulé les contrats d’A.__ et de B.__ (lettres du 03.02.2015, dont copies ont été adressées aux assurés). Par la suite, Helsana a indiqué aux intéressés qu’elle acceptait leur résiliation rétroactive avec effet au 31.12.2014 dès réception de l’attestation du nouvel assureur (lettre du 02.06.2015). Sans nouvelle de la part des assurés avant le mois de mars 2017, Helsana a alors demandé à Assura de « réactiver » les contrats mentionnés (lettre du 15.03.2017). Cette dernière n’a cependant pas donné suite à cette demande (lettre du 18.04.2017 dont copie a été adressée à A.__). Le changement d’assureur n’a pas eu lieu.

A l’issue de procédures de poursuites relatives à des primes impayées par A.__ ou B.__ entre novembre 2016 et janvier 2019, Helsana a singulièrement levé leurs oppositions formées dans les poursuites nos xxx (décision du 25.10.2018), yyy (décision du 28.01.2019) et yyy (décision du 20.08.2019). Ces décisions ont dans une large mesure été confirmées sur opposition le 13.11.2019. L’assureur-maladie a encore formellement refusé de résilier les contrats des assurés avec effet au 31.12.2014 (décisions du 21.06.2019, confirmées sur opposition le 28.02.2020).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/126/2021 – consultable ici)

A.__ et B.__ ont déféré les trois premières décisions évoquées au tribunal cantonal. Trois causes ont été enregistrées. Les assurés ont aussi recouru contre les deux dernières décisions mentionnées. Deux nouvelles causes ont été enregistrées.

La juridiction cantonale a considéré que Helsana avait indûment refusé le changement d’assureur voulu par les assurés pour le 01.01.2015. A cet égard, elle a relevé que ceux-ci avaient par lettre du 25.11.2014 valablement manifesté leur volonté de changer d’assureur, en agissant dans les délais et en produisant les attestations d’un nouvel assureur. Elle a également constaté qu’on ne pouvait pas reprocher aux assurés un retard de paiement au 31.12.2014 dès lors que, même s’ils n’avaient pas acquitté toutes les primes dues jusqu’alors, la caisse-maladie n’avait pas pu prouver l’envoi d’une sommation de paiement valable au sens de la loi. Elle a encore retenu que la caisse-maladie avait violé son devoir d’information, en n’indiquant pas aux assurés le montant de l’arriéré de primes, et avait ainsi rendu impossible le changement d’assurance. Par ailleurs, elle a considéré que le refus de la résiliation de leurs contrats était injustifié et avait causé aux assurés un dommage que la caisse-maladie était tenue de réparer. Constatant toutefois qu’elle ne disposait d’aucun élément pour évaluer le montant du dommage, elle a annulé les décisions des 13.11.2019 ainsi que 28.02.2020 et renvoyé la cause à la caisse-maladie pour qu’elle complète l’instruction sur ce point (notamment pour qu’elle établisse la différence entre le montant des primes facturées et celui dû si la résiliation des contrats des assurés avait été acceptée) et rende une ou des nouvelles décisions.

Par jugement du 16.02.2021, le tribunal cantonal a joint les cinq causes, admis les recours, annulé les décisions sur opposition des 13.11.2019 et 28.02.2020 et renvoyé la cause à Helsana pour instruction puis nouvelle(s) décision(s) dans le sens des considérants.

 

TF

Consid. 5
L’obligation faite à toute personne domiciliée en Suisse – comme les assurés en l’espèce – de s’assurer pour les soins en cas de maladie (art. 3 al. 1 LAMal) implique l’obligation de payer des primes (art. 61 al. 1 LAMal). Les personnes tenues de s’assurer sont libres de choisir leur assureur (art. 4 LAMal) et d’en changer (art. 7 LAMal). Lorsque la volonté de changer d’assureur résulte de la communication de la nouvelle prime, comme en l’espèce, les assurés doivent respecter un délai de résiliation de leur contrat d’un mois (art. 7 al. 2 LAMal), ne pas être en retard dans le paiement des primes, des participations aux coûts, des intérêts moratoires ainsi que des frais de poursuites (art. 64a al. 6 LAMal) et être affilié à un nouvel assureur qui en a fait la communication à l’ancien assureur (art. 7 al. 5 première phrase LAMal). Le retard de paiement survient lors de la notification de la sommation visée aux art. 64a al. 1 LAMal et 105b al. 1 OAMal (art. 105l al. 1 OAMal). L’assureur doit d’une part informer l’assuré des conséquences d’un retard de paiement sur la possibilité de changer d’assureur (art. 105l al. 2 OAMal). Il doit d’autre part informer l’assuré et le nouvel assureur du maintien de l’affiliation en cas de non-paiement de l’arriéré avant l’expiration du délai pour changer d’assureur (art. 105l al. 3 OAMal). Si le changement d’assureur est impossible du fait de l’ancien assureur, celui-ci doit réparer le dommage qui en résulte, en particulier la différence de prime (art. 7 al. 6 LAMal).

 

Consid. 6.2.1
Il est exact qu’en considérant que l’autorité administrative avait rendu impossible le changement d’assureur voulu par les assurés pour le 01.01.2015, notamment en raison d’une violation de son devoir d’information, et en la condamnant à réparer le préjudice en résultant, la juridiction cantonale a implicitement retenu que les assurés étaient restés affiliés à la caisse-maladie à compter de la date indiquée.

En effet, toute autre interprétation serait contraire au droit dans la mesure où les différentes modalités prévues par l’art. 7 LAMal excluent que le candidat au changement d’assureur puisse se trouver sans couverture d’assurance ou subir une interruption de sa couverture d’assurance: le refus – bien fondé ou pas – opposé par un assureur à un candidat au changement d’assureur n’entraîne dès lors pas une interruption de la protection d’assurance, mais le maintien de la couverture d’assurance auprès de l’ancien assureur (cf. ATF 128 V 263 consid. 3b). Ce maintien est du reste conforme à l’obligation de s’assurer prévue par l’art. 3 al. 1 LAMal. Les assurés ne contestent en outre pas le maintien de leur affiliation à la caisse-maladie ni leur obligation de payer les primes, puisqu’ils admettent en instance fédérale qu’ils restaient, et sont toujours, affiliés à la caisse-maladie, puisqu’elle n’avait pas accepté le changement d’assureur au 01.01.2015 (ni au début 2015, ni à un moment ultérieur).

Consid. 6.2.2
Dans la mesure où, en conséquence, les assurés sont restés affiliés à la caisse-maladie postérieurement au 31.12.2014, cette dernière avait l’obligation de percevoir des primes et, en cas de non-paiement, de procéder à leur recouvrement par voie de poursuites (art. 64a LAMal). Or l’assureur n’est pas libre de fixer le montant des primes. Il doit notamment prélever des primes égales auprès de ses assurés (art. 61 al. 1 seconde phrase LAMal), échelonner les montants des primes selon les différences des coûts cantonaux (art. 61 al. 2 première phrase LAMal) ou fixer des primes plus basses pour les enfants et les jeunes adultes (art. 61 al. 3 LAMal). Il peut aussi réduire les primes d’assurances impliquant un choix limité de fournisseurs de prestations (art. 62 al. 1 LAMal) ou pratiquer d’autres formes d’assurances, mais doit s’en tenir aux formes autorisées et réglementées par le Conseil fédéral (art. 62 al. 2 et 3 LAMal). Dans ces circonstances, l’autorité administrative n’avait pas le choix du montant – du reste non contesté – des primes dues par les assurés. Elle n’avait donc ni à réduire les primes ni à renoncer à les réclamer dans le cadre des poursuites intentées sous peine de violer le droit fédéral. Les considérations contraires de la juridiction cantonale sur ce point ne peuvent être suivies.

Consid. 6.3
Le tribunal cantonal ne pouvait dès lors pas annuler les décisions du 13.11.2019 concernant les mainlevées d’opposition formées dans les poursuites nos xxx, yyy et yyy, même s’il semble qu’il n’entendait pas nier l’existence de la dette des assurés, mais obliger la caisse-maladie à recalculer le montant de cette dette en tenant compte du dommage causé par la caisse-maladie aux assurés lors du changement d’assureur. C’est le lieu de préciser à cet égard que la compensation (au sens de l’art. 120 al. 1 CO) entre la dette des assurés et l’éventuel dommage causé à ceux-ci par la caisse-maladie suppose notamment une déclaration du débiteur (art. 124 al. 1 CO) et que les deux dettes soient exigibles. Malgré le texte de l’art. 120 al. 1 CO, la condition d’exigibilité ne concerne pas les deux créances, mais uniquement la créance compensante, soit la créance de celui qui exerce la compensation. Celui-ci ne peut en effet compenser sa dette qu’avec une créance dont il pourrait réclamer le paiement de l’autre partie. Il suffit en revanche que la créance compensée, soit la dette du compensant et créance de l’autre partie, soit exécutable (arrêt 2C_451/2018 du 27 septembre 2019 consid. 7.4.1 et les références; ATF 132 V 127 consid. 6.4.3.1). Or tel n’est pas le cas en l’occurrence dans la mesure où le montant du dommage doit encore être déterminé. De plus, la compensation ne peut être un motif permettant de s’opposer valablement au prononcé d’une mainlevée définitive à une opposition formée dans le cadre d’une poursuite que si la créance en compensation est prouvée par un jugement au sens de l’art. 81 al. 1 LP ou par une reconnaissance inconditionnelle (ATF 115 III 100 consid. 4); ces exigences font défaut en l’espèce, alors qu’il aurait été au demeurant loisible aux débiteurs d’invoquer non seulement des moyens de fond mais également les exceptions propres au droit des poursuites en instance cantonale (ANDRÉ SCHMIDT, in: Commentaire romand, LP, 2005, n° 29 ad art. 79 LP). Il convient dès lors d’admettre le recours sur ce point et d’annuler le ch. 4 du dispositif de l’arrêt attaqué en tant qu’il porte sur l’annulation des décisions du 13.11.2019. Celles-ci doivent être confirmées.

 

Consid. 7.2.1
Si l’ancien assureur est responsable de l’impossibilité de changer d’assureur, il doit réparer le dommage subi par l’assuré, en particulier compenser la différence de prime (cf. art. 7 al. 6 LAMal). Il s’agit d’une disposition légale spéciale relative à l’obligation de l’assureur-maladie de réparer le dommage conforme à la loi fédérale du 14 mars 1958 sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires (LRCF; RS 170.32; arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 86/01 du 17 juillet 2003 consid. 4.1, non publié in: ATF 129 V 394, mais in: SVR 2004 KV n° 1 p. 1; cf. aussi ATF 139 V 127 consid. 3.2 et 5.1) et, en principe, à l’art. 78 LPGA (arrêt 9C_367/2017 du 10 novembre 2017 consid. 5.2.1; Gebhard Eugster, Krankenversicherung, in: Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 462 n° 194).

Consid. 7.2.2
La conséquence légale de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur n’est pas la reconnaissance rétroactive du changement d’assureur, mais le devoir de l’ancien assureur de verser des dommages-intérêts conformément aux principes généraux du droit de la responsabilité civile. Elle suppose donc un acte ou une omission illicite, un dommage, un lien de causalité entre l’acte ou l’omission d’une part et le dommage d’autre part, ainsi qu’une faute (cf. art. 41 CO; ATF 130 V 448 consid. 5.2). Selon l’art. 7 al. 6 LAMal, l’assureur répond du dommage qui est la conséquence d’un comportement fautif de ses collaborateurs, d’une organisation d’entreprise inadéquate ou d’un autre manquement relevant de sa responsabilité dans l’application de l’assurance obligatoire des soins. Tout dommage effectif et ayant un lien de causalité adéquat avec le comportement de l’assureur est déterminant pour l’évaluation de l’obligation de réparer. L’assureur fautif doit en particulier rembourser la différence par rapport à une prime plus basse du nouvel assureur (art. 7 al. 6 in fine LAMal; ATF 129 V 394 consid. 5.2 in fine; arrêt 9C_367/2017 cité consid. 5.2.2; Eugster, op. cit., p. 463 n° 193).

Consid. 7.3
Il n’est en l’occurrence pas contesté qu’au moment de la résiliation de leur contrat le 25.11.2014, soit dans le délai prévu par l’art. 7 al. 2 LAMal, les assurés ne s’étaient pas acquittés de toutes les factures émises en 2014. Il n’est pas davantage contesté qu’au moment indiqué, un nouvel assureur avait accepté l’affiliation des assurés pour le début de l’année 2015, qu’il avait cependant annulée quelque temps plus tard après avoir été informé par la caisse-maladie que les assurés devaient rester assurés auprès d’elle (cf. art. 105l al. 3 LAMal). Dans ces circonstances, l’autorité administrative était tenue d’informer les assurés que leurs résiliations ne déploieraient aucun effet si les primes, les participations aux coûts et les intérêts moratoires ayant fait l’objet d’un rappel jusqu’à un mois avant l’expiration du délai de changement ou si les frais de poursuite en cours jusqu’à ce moment n’avaient pas été intégralement payés avant l’expiration de ce délai (art. 105l al. 2 OAMal). Elle l’a certes fait d’une manière générale (courriers du 03.12.2014), ce qui ne suffisait cependant pas pour satisfaire à son devoir d’information. En effet, selon la jurisprudence, le devoir d’information implique de chiffrer concrètement le montant des arriérés dû par les candidats au changement d’assureur et de les en informer suffisamment tôt pour qu’ils soient en mesure de régler leurs dettes avant l’expiration du délai de résiliation (cf. arrêt 9C_367/2017 cité consid. 5.4). En ne chiffrant pas le montant des arriérés avant le 02.06.2015, la caisse-maladie a donc violé son obligation d’informer.

Consid. 7.4
Cette constatation suffit à démontrer qu’en violant son obligation d’informer, l’autorité administrative a rendu impossible le changement d’assureur en raison d’un comportement fautif de sa part (respectivement de ses collaborateurs) et est susceptible d’avoir causé aux assurés un dommage pouvant résulter d’une différence de primes favorable à ces derniers que, faute d’éléments d’évaluation disponibles, il convenait d’instruire. Il y a dès lors lieu de rejeter le recours sur ce point. Les ch. 4 et 5 de l’arrêt cantonal en tant qu’ils annulent les décisions du 28.02.2020 – dans la mesure où la caisse-maladie y niait implicitement toute faute de sa part – et renvoient la cause à l’autorité administrative pour instruction puis nouvelle (s) décision (s) au sens des considérants sont conformes au droit.

 

 

Le TF admet partiellement le recours de la caisse-maladie.

 

 

Arrêt 9C_203/2021 consultable ici

 

 

8C_558/2021 (f) du 20.01.2022 – Réduction de l’horaire de travail (RHT) / Mesures dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec le coronavirus / Structures d’accueil de la petite enfance – Entreprises de droit public – Pas de droit aux RHT

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_558/2021 (f) du 20.01.2022

 

Consultable ici

 

Réduction de l’horaire de travail (RHT) / 31 LACI – 32 LACI – 50 OACI

Mesures dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec le coronavirus / Ordonnance COVID-19 assurance-chômage

Structures d’accueil de la petite enfance – Entreprises de droit public – Pas de droit aux RHT

 

Une association sans but lucratif avec siège à Genève a pour but d’accueillir des enfants en âge préscolaire et gère à cette fin six structures d’accueil. Ses ressources proviennent des pensions versées par les parents des enfants, de subventions publiques et privées, des cotisations de ses membres, de dons, legs et autres affectations en espèces ou en nature, des revenus de sa fortune sociale ainsi que des produits de collectes et de ventes et recettes diverses.

Ensuite des mesures officielles prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie de coronavirus par le Conseil fédéral et le Conseil d’État genevois, l’association a été contrainte de fermer ses structures d’accueil dès le 16.03.2020, tout en ménageant un service d’accueil minimum.

Le 01.04.2020, l’association a déposé un préavis de réduction de l’horaire de travail (RHT) pour l’ensemble de ses employés, à savoir 176 personnes, en estimant la perte de travail à 80%.

Par décision, confirmée sur opposition, l’Office cantonal de l’emploi (OCE) a fait opposition au paiement de l’indemnité en cas de RHT, au motif que l’association était au bénéfice d’une subvention de la Ville de Genève (ci-après: la Ville) et qu’elle n’assumait dès lors pas de risque entrepreneurial ou de faillite, les pertes résultant de son activité étant couvertes par des moyens publics au sens de la directive 2020/06 du Secrétariat d’État à l’économie (SECO) du 09.04.2020.

Par décisions du 14.09.2020, l’État de Genève a donné une suite favorable à toutes les demandes d’indemnités de l’association pour pertes liées au COVID-19, en octroyant un montant total de 491’173 fr. – compensant l’entier de la perte sur écolage – à cinq de ses structures d’accueil.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/675/2021 [arrêt de principe] – consultable ici)

Par jugement du 17.06.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Réduction de l’horaire de travail (RHT) – Covid-19

Les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de RHT si, entre autres conditions, la perte de travail doit être prise en considération, si la réduction de l’horaire de travail est vraisemblablement temporaire et si l’on peut admettre qu’elle permettra de maintenir les emplois en question (art. 31 al. 1 let. b et d LACI). La perte de travail n’est prise en considération que si elle est due à des facteurs d’ordre économique et qu’elle est inévitable (art. 32 al. 1 let. a LACI). Pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques ou à d’autres circonstances non imputables à l’employeur (art. 32 al. 3, première phrase, LACI). Le Conseil fédéral a ainsi notamment prévu à l’art. 51 OACI que les pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, ou qui sont dues à d’autres motifs indépendants de la volonté de l’employeur, sont prises en considération lorsque l’employeur ne peut les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou faire répondre un tiers du dommage (al. 1).

Parallèlement aux restrictions imposées pour lutter contre la pandémie de coronavirus, le Conseil fédéral a arrêté l’Ordonnance du 20 mars 2020 sur les mesures dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec le coronavirus (Ordonnance COVID-19 assurance-chômage; RS 837.033), entrée en vigueur avec effet rétroactif au 17 mars 2020 et modifiée à plusieurs reprises, qui a introduit des mesures spécifiques dans le domaine des RHT. Le 20 mai 2020, le Conseil fédéral a en outre adopté l’Ordonnance sur l’atténuation des conséquences économiques des mesures destinées à lutter contre le coronavirus sur l’accueil extra-familial institutionnel pour enfants (Ordonnance COVID-19 accueil extra-familial pour enfants; RS 862.1), entrée en vigueur avec effet rétroactif au 17 mars 2020 et abrogée le 17 septembre 2020.

Selon la jurisprudence, l’indemnité en cas de RHT est une mesure préventive au sens large: l’allocation de cette indemnité a pour but d’éviter le chômage complet des travailleurs – soit leurs congés ou leurs licenciements – d’une part et, d’autre part, de maintenir simultanément les emplois dans l’intérêt des employeurs aussi bien que des travailleurs. Or en règle générale, les conditions précitées du droit à l’indemnité en cas de RHT ne sauraient être remplies si l’employeur est une entreprise de droit public, faute pour celui-ci d’assumer un risque propre d’exploitation. Au contraire, les tâches qui lui incombent de par la loi doivent être exécutées indépendamment de la situation économique, et les impasses financières, les excédents de dépenses ou les déficits peuvent être couverts au moyen des deniers publics (recettes des impôts). Bien plus, il n’existe en général aucune menace de perdre son emploi là où les travailleurs ont la possibilité d’être déplacés dans d’autres secteurs, ainsi que cela est le cas dans les communautés ou établissements publics d’une certaine importance. En revanche, compte tenu des formes multiples de l’action étatique, on ne saurait de prime abord exclure que, dans un cas concret, le personnel des services publics remplisse les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT. Ce qui est déterminant en fin de compte, conformément à la finalité du régime de la prestation, c’est de savoir si, par l’allocation de l’indemnité en cas de RHT, un licenciement peut être évité (ATF 121 V 362 consid. 3a et les références).

C’est à brève échéance que le versement de l’indemnité en cas de RHT doit pouvoir éviter un licenciement. En effet, ces indemnités ont un caractère préventif. Il s’agit de mesures temporaires. Le statut du personnel touché par la réduction de l’horaire de travail est dès lors décisif pour l’allocation de l’indemnité. Ainsi, là où ce personnel est au bénéfice d’un statut de fonctionnaire ou d’un statut analogue limitant les possibilités de licenciement que connaît le contrat de travail, ce statut fait échec à court terme – éventuellement à moyen terme – à la suppression d’emploi. Dans ce cas, les conditions du droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail ne sont pas remplies. L’exigence d’un risque économique à court ou moyen terme concerne aussi l’entreprise. Cela ressort notamment de l’art. 32 al. 1 let. a LACI, selon lequel la perte de travail n’est prise en considération que si elle est due à des facteurs d’ordre économique et qu’elle est inévitable. A l’évidence, cette condition ne saurait être remplie si l’entreprise ne court aucun risque propre d’exploitation, à savoir un risque économique où l’existence même de l’entreprise est en jeu, par exemple le risque de faillite ou le risque de fermeture de l’exploitation. Or si l’entreprise privée risque l’exécution forcée, il n’en va pas de même du service public, dont l’existence n’est pas menacée par un exercice déficitaire (ATF 121 V 362 précité consid. 3b et les références).

 

La recourante et la Ville ont signé le 26.11.2019 un contrat de prestations. Selon l’art. 10 al. 2 de ce contrat de prestations, après acceptation des comptes annuels de l’association, la Ville s’engage à verser à l’association le montant de l’éventuelle perte annuelle comptabilisée. L’art. 8 al. 1 prévoit que les comptes sont remis au plus tard six mois après la date de clôture du dernier exercice. L’art. 13 dispose que la Ville verse à l’association une subvention d’exploitation calculée sur son budget annuel, préalablement approuvé par le SDPE (al. 1); sur demande de l’association et selon les modalités fixées par le SDPE, la Ville peut verser exceptionnellement des montants supplémentaires (al. 3).

En l’espèce, la cour cantonale a retenu que la recourante était une association de droit privé, subventionnée à plus de 50% par la Ville selon le contrat de prestations du 26.11.2019 liant les deux parties. En application de l’Ordonnance COVID-19 accueil extra-familial pour enfants, l’État de Genève avait, par décisions du 14.09.2020, accordé à la recourante un soutien financier couvrant l’entier de sa perte sur écolage subie en raison de la fermeture de ses structures d’accueil à compter du 16.03.2020. Dès lors que conformément à l’art. 1 al. 3 de l’Ordonnance COVID-19 accueil extra-familial pour enfants, les décisions précitées précisaient que l’indemnisation était subsidiaire à toutes les autres prestations publiques visant à atténuer les conséquences économiques du coronavirus et qu’elles pouvaient être révoquées en tout temps, la recourante disposait toutefois d’un intérêt actuel à recourir contre la décision de l’OCE lui refusant l’indemnité en cas de RHT.

 

Les juges cantonaux ont ensuite examiné la validité de la directive 2020/06 du SECO, qui indique notamment que le risque de disparition d’emplois constitue une condition essentielle du droit à l’indemnité en cas de RHT et qu’en ce sens, les entreprises de droit public, comme les associations ou les employeurs privés qui exploitent une entreprise ou fournissent des prestations sur mandat d’une institution publique, doivent démontrer qu’ils sont confrontés à un risque immédiat de disparition d’emplois malgré les accords existants avec l’institution publique qui les mandate. Relevant que les dispositions légales en matière de RHT ne prévoyaient pas de réglementation particulière concernant les entreprises de droit public et les secteurs privatisés fournissant des prestations sur mandat d’une institution publique, la juridiction cantonale a constaté que cette problématique avait toutefois été abordée par le Tribunal fédéral, en particulier à l’ATF 121 V 362, et que la directive 2020/06 ne faisait que préciser les principes dégagés par la jurisprudence et repris par la doctrine. Il n’y avait dès lors aucune raison de considérer que ladite directive était contraire à la loi, le litige pouvant néanmoins être résolu sans qu’il fût nécessaire de s’y référer.

Examinant tout d’abord la question du statut du personnel de la recourante, plus particulièrement celle de la condition d’un risque de licenciement à brève échéance, l’autorité cantonale a retenu qu’un éventuel licenciement aurait été prononcé par la recourante en raison de sa situation économique et des pertes qu’elle aurait subies du fait de la fermeture des crèches; que l’on retienne les principes applicables en matière de droit public ou de droit privé, elle aurait ainsi procédé à une suppression de poste. Il s’agissait donc de savoir si un tel licenciement aurait pu intervenir à brève échéance, conformément aux délais de congé prévus par l’art. 335c CO, ou si les dispositions légales ainsi que la CCT du personnel prévoyaient des délais plus longs. Relevant que les rapports de travail entre la recourante et ses employés étaient régis par le droit privé, la cour cantonale a considéré que l’art. 335c CO n’était toutefois pas applicable, dès lors qu’une procédure spéciale en cas de suppression de poste était prévue par l’art. 18 du règlement et l’art. 10 CCT du personnel. Selon cette procédure, similaire à celle de reclassement existant pour les fonctionnaires, la recourante devait favoriser le réengagement de l’employé dont le poste était supprimé auprès d’une autre structure d’accueil, le licenciement ne pouvant être prononcé qu’en l’absence de réengagement moyennant un délai de congé de quatre mois pour la fin d’un mois, après avoir obtenu le préavis du SDPE. Les points de savoir si les employés de la recourante bénéficiaient d’un statut analogue à celui des fonctionnaires et si la condition du risque de licenciement à brève échéance était remplie pouvaient toutefois rester ouverts, dès lors que la recourante était de toute manière exposée à un risque restreint de fermeture, comme cela ressortait des considérants suivants.

 

Si la jurisprudence en question a bien été développée pour déterminer si le personnel des services publics remplissait les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT, elle n’a introduit aucune condition supplémentaire pour les entités publiques par rapport aux entités privées. Les conditions du risque de licenciement à brève échéance des employés ainsi que du risque propre d’exploitation encouru par l’entreprise – qui sont détaillées à l’ATF 121 V 362 en rapport avec les entreprises de droit public – doivent être remplies par tout employeur, public ou privé, requérant l’indemnité en cas de RHT. La juridiction cantonale était ainsi fondée à se référer à cette jurisprudence pour trancher le litige. Ce faisant, elle n’a, quoi qu’en dise la recourante, nullement fondé sa décision sur la directive 2020/06 du SECO, de sorte que les questions soulevées par la recourante par rapport à cette directive peuvent rester indécises.

 

La jurisprudence à laquelle le tribunal cantonal s’est référé – à juste titre – précise que c’est à brève échéance que le versement de l’indemnité en cas de RHT doit pouvoir éviter un licenciement. On ne voit donc pas que les juges cantonaux aient violé le droit fédéral, comme le soutient la recourante, en considérant que le risque de licenciement devait être imminent pour que le droit à l’indemnité soit reconnu.

 

Dès lors que des mesures limitant les licenciements – favorisant notamment le reclassement au sein de l’entreprise – existent également dans certains secteurs privés, on peut effectivement se demander si le fait que la CCT du personnel prévoit une procédure de réengagement similaire à celle de reclassement existant pour les fonctionnaires peut faire obstacle au versement de l’indemnité en cas de RHT en faveur de la recourante. La juridiction cantonale a toutefois laissé ouverts les points de savoir si les employés de la recourante avaient un statut analogue à celui des fonctionnaires et si ceux-ci couraient un risque de licenciement à brève échéance. Ces questions peuvent demeurer indécises, les juges cantonaux ayant retenu à bon droit que la recourante n’était pas exposée à un risque de fermeture.

 

Il n’est pas contesté que le contrat de prestations conclu entre la Ville et la recourante garantit à cette dernière le versement d’une subvention d’exploitation, que des montants supplémentaires peuvent exceptionnellement être versés sur demande de la recourante et que la Ville s’engage à verser à la recourante le montant de l’éventuelle perte annuelle comptabilisée. Compte tenu en particulier de cette garantie de couverture de perte, on ne saurait considérer que la recourante court un risque propre d’exploitation, à savoir un risque économique où son existence même est en jeu.

 

Le TF rejette le recours de l’association.

 

 

Arrêt 8C_558/2021 consultable ici

 

Cf. également l’arrêt 8C_559/2021 du 20.01.2022 (jugement cantonal ATAS/676/2021 [arrêt de principe] du 17.06.2021) traitant de la même problématique.

 

 

8C_421/2021 (f) du 27.01.2022 – proposé à la publication – Accident de vélo de gravité moyenne stricto sensu – Troubles psychiques / Critère de la durée anormalement longue du traitement médical admis / Gain assuré pour la rente – Travailleurs temporaires – Contrat de durée déterminée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_421/2021 (f) du 27.01.2022, proposé à la publication

 

Consultable ici

 

Accident de vélo de gravité moyenne stricto sensu – Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate / 6 LAA

Critère de la durée anormalement longue du traitement médical admis

Pas d’examen approfondi du lien de causalité adéquate avant l’examen du lien de causalité naturelle (expertise psychiatrique) – Rappel de la jurisprudence, également à l’intention des autorités de recours de première instance

Gain assuré pour la rente – Travailleurs temporaires – Contrat de durée déterminée / 15 LAA – 22 al. 4 OLAA

Interprétation des «revenus perçus auprès des différents employeurs durant l’année précédant l’accident»

 

Assuré, né en 1980, a été engagé par B.__ SA en tant qu’employé d’entretien pour une durée déterminée du 04.08.2014 au 29.08.2014. Le 01.09.2014, alors qu’il circulait à vélo, il a chuté après que sa roue avant se fut bloquée dans les rails du tram. L’accident a causé une fracture des quatre branches ilio- et ischio-pubiennes et de l’aileron sacré gauche, une fracture de l’arc postérieur de plusieurs côtes droites associée à une très fine lame de pneumothorax, une occlusion thrombotique sur dissection avec hématome associé de l’artère iliaque interne gauche, ainsi qu’un hématome rétropéritonéal. Admis à l’hôpital, l’assuré a subi deux ostéosynthèses en raison des fractures au niveau du bassin. Le 14.10.2014, il a été transféré à la Clinique de réadaptation, où il a séjourné jusqu’au 01.04.2015. Ensuite de l’ablation du matériel postérieur le 15.09.2015, il a effectué un deuxième séjour à la Clinique de réadaptation du 16.09.2015 au 06.10.2015.

Alors qu’il avait repris une activité de coursier à vélo à temps partiel, l’assuré a été victime, le 14.12.2016, d’une nouvelle chute lors de laquelle il s’est blessé au poignet gauche (lésion du ligament scapho-lunaire).

Le 27.04.2017, le médecin-conseil a constaté, lors de l’examen, une détérioration importante de l’état de santé de l’assuré et a préconisé un nouveau séjour auprès de la Clinique de réadaptation avec prise en charge globale, somatique et psychologique, séjour qui a eu lieu du 24.05.2017 au 21.06.2017. Dans leur rapport établi à l’issue du séjour, les médecins de la Clinique de réadaptation ont constaté que la situation était stabilisée du point de vue des capacités fonctionnelles au niveau du bassin, même si une diminution des douleurs pouvait encore être attendue; s’agissant du poignet gauche, une stabilisation était attendue dans un délai d’environ deux mois. Relevant que le pronostic de réinsertion était favorable dans l’ancienne activité et dans une activité adaptée, les médecins ont retenu les limitations fonctionnelles suivantes : pas de position assise prolongée, pas de port de charges lourdes ou en porte-à-faux, pas de mouvements de rotation répétitifs avec le tronc, pas de marche prolongée sur terrain irrégulier, pas de mouvements nécessitant de la force du poignet gauche. Sur le plan psychique, ils ont relevé l’absence de trouble psychiatrique constitué, tout en préconisant un soutien psychologique.

Le 09.01.2018, le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie auprès de la Clinique de réadaptation a fait état d’un trouble de l’adaptation avec réaction mixte, dépressive et anxieuse, prolongée, et a considéré que la capacité de travail de l’assuré était alors proche de zéro.

Le 10.01.2018, le médecin-conseil a procédé à l’examen final de l’intéressé. Il a relevé que la situation au niveau du bassin pouvait être considérée comme stabilisée depuis le mois d’avril ou au plus tard depuis le mois de juin 2017. Quant à la situation au niveau du poignet gauche, elle était stabilisée depuis le 18.10.2017 (date d’une consultation auprès d’un médecin spécialiste en chirurgie de la main). L’assuré disposait d’une capacité de travail entière dans une activité à faible charge physique, de type sédentaire avec possibilité d’alterner à volonté les positions assise et debout. En outre, le médecin-conseil a fixé le taux de l’atteinte à l’intégrité à 30% pour les troubles au niveau du bassin, considérant que l’atteinte au poignet ne justifiait aucune indemnisation à ce titre.

Par décision du 23.04.2018, l’assurance-accidents a reconnu le droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 14% à compter du 01.03.2018 – calculée sur la base d’un gain annuel assuré de 16’779 fr. – et lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 30%.

L’assuré s’est opposé à cette décision, se prévalant notamment d’un rapport du docteur F.__ du 22 mai 2018, dans lequel le psychiatre indiquait que les accidents constituaient une cause naturelle à sa décompensation actuelle.

Parallèlement à la procédure devant l’assureur-accidents, l’office cantonal AI du Valais, saisi d’une demande de prestations de l’assurance-invalidité, a confié une expertise psychiatrique au docteur G.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, dont les conclusions du rapport, rendu le 30.08.2018, s’opposaient en partie à celles du docteur F.__, en tout cas en ce qui concernait la répercussion des troubles psychiques sur la capacité de travail de l’intéressé.

L’assuré a été adressé une ultime fois à la Clinique de réadaptation pour une évaluation multidisciplinaire avec précision des limitations résiduelles, laquelle s’est déroulée du 26.02.2019 au 12.03.2019.

Par décision du 15 avril 2019, la CNA a partiellement admis l’opposition, en ce sens qu’elle a fixé le gain assuré à 46’814 fr. et le taux d’atteinte à l’intégrité à 40%. Pour le reste, elle a considéré que les dysfonctions urologiques et sexologiques dont souffrait l’assuré n’entraînaient aucune incapacité de travail et que les troubles psychiques n’étaient pas en relation de causalité adéquate avec les deux accidents, de sorte qu’elle n’entendait pas mettre en œuvre d’autres mesures d’instruction afin de départager les avis des docteurs F.__ et G.__.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 30.04.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate

Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose d’abord, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou ne serait pas survenu de la même manière (ATF 142 V 435 consid. 1; 129 V 177 consid. 3.1). Le droit à des prestations de l’assurance-accidents suppose en outre l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’accident et l’atteinte à la santé. La causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de manière générale favorisée par une telle circonstance (ATF 144 IV 285 consid. 2.8.2; 139 V 176 consid. 8.4.2; 129 V 177 précité consid. 3.2).

En présence de troubles psychiques consécutifs à un accident, la jurisprudence a dégagé des critères objectifs qui permettent de juger du caractère adéquat du lien de causalité. Il y a lieu, d’une part, d’opérer une classification des accidents en fonction de leur degré de gravité et, d’autre part, de prendre en considération un certain nombre d’autres critères déterminants (cf. ATF 129 V 402 consid. 4.4.1; 115 V 133 consid. 6c/aa, 403 consid. 5c/aa).

Dans un arrêt du 17 février 2021, publié aux ATF 147 V 207, le Tribunal fédéral a rappelé que dans la mesure où le caractère naturel et le caractère adéquat du lien de causalité doivent être remplis cumulativement pour octroyer des prestations d’assurance-accidents, la jurisprudence admet de laisser ouverte la question du rapport de causalité naturelle dans les cas où ce lien de causalité ne peut de toute façon pas être qualifié d’adéquat. Il n’est en revanche pas admissible reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques d’un assuré avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées au moyen d’une expertise psychiatrique concluante. D’une part, un tel procédé est contraire à la logique du système. En effet, le droit à des prestations découlant d’un accident suppose tout d’abord, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Ainsi, on ne peut pas retenir qu’un accident est propre, sous l’angle juridique, à provoquer des troubles psychiques éventuellement incapacitants sans disposer de renseignements médicaux fiables sur l’existence de tels troubles, leurs répercussions sur la capacité de travail et leur lien de causalité avec cet accident. D’autre part, la reconnaissance préalable d’un lien de causalité adéquate est un élément de nature à influencer, consciemment ou non, le médecin psychiatre dans son appréciation du cas, et donc le résultat d’une expertise psychiatrique réalisée après coup s’en trouverait biaisé (ATF 147 V 207 consid. 6.1 et les références).

En l’espèce, la cour cantonale, tout comme l’assurance-accidents, a procédé à l’examen du caractère adéquat du lien de causalité entre les troubles psychiques et les accidents subis, laissant ouverte la question du lien de causalité naturelle. Elle a écarté l’existence du lien de causalité adéquate, classant l’accident du 14.12.2016 dans la catégorie des accidents insignifiants et celui du 01.09.2014 dans la catégorie des accidents de gravité moyenne. A ce dernier propos, elle a considéré que seuls deux des critères posés par la jurisprudence en la matière pouvaient être retenus, soit les critères relatifs aux complications médicales et à la persistance des douleurs. Cela ne suffisait pas, dès lors qu’en présence d’un accident de gravité moyenne, il fallait un cumul de trois critères sur les sept ou au moins que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante, hypothèses en l’occurrence non réalisées.

De son côté, l’assuré soutient, au regard de l’accident du 01.09.2014, que cinq critères seraient réunis, à savoir, en sus des critères retenus par la cour cantonale, la durée anormalement longue du traitement médical, la nature particulière des lésions physiques, ainsi que le degré et la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques.

S’agissant du critère de la durée anormalement longue du traitement médical, l’aspect temporel n’est pas seul décisif; sont également à prendre en considération la nature et l’intensité du traitement, et si l’on peut en attendre une amélioration de l’état de santé de l’assuré (arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.2.3). La prise de médicaments antalgiques et la prescription de traitements par manipulations, même pendant une certaine durée, ne suffisent pas à fonder ce critère (arrêt 8C_804/2014 du 16 novembre 2015 consid. 5.2.2 et la référence). La jurisprudence a notamment nié que ce critère fût rempli dans le cas d’un assuré ayant subi quatre interventions chirurgicales entre juillet 2010 et juillet 2015, au motif notamment que les hospitalisations avaient été de courte durée et que mises à part lesdites interventions, l’essentiel du traitement médical avait consisté en des mesures conservatrices (arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.2.3). En revanche, elle l’a admis dans le cas d’un assuré qui, hospitalisé du 15 décembre 2011 au 5 janvier 2012, avait subi trois interventions chirurgicales du coude gauche, puis une ablation du fixateur externe le 7 février 2012, une ablation du matériel d’ostéosynthèse et arthrolyse du coude le 19 novembre 2013 nécessitant une hospitalisation jusqu’au 19 décembre suivant et enfin une opération de neurolyses des nerfs ulnaire et médian au coude et poignet gauches le 10 février 2015; l’assuré avait en outre séjourné à la Clinique de réadaptation pendant un peu plus d’un mois pour une évaluation multidisciplinaire et professionnelle (arrêt 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 6.3.2). Le critère a également été admis dans le cas d’une longue et pénible convalescence sur une période de 21 mois impliquant trois interventions chirurgicales ayant tenu l’assuré loin de chez lui pendant près de cinq mois à compter de l’accident, puis deux autres opérations pratiquées par la suite pour enlever le matériel d’ostéosynthèse et nécessitant encore deux semaines de rééducation intensive (arrêt 8C_818/2015 du 15 novembre 2016 consid. 6.2).

En l’espèce, hormis les traitements médicamenteux ou non invasifs, tels que les séances de physiothérapie, l’assuré a été hospitalisé pendant sept mois ensuite de l’accident du 01.09.2014 (du 01.09.2014 au 01.04.2015), dont deux mois de transferts « lit-fauteuil » pour garantir l’absence de charge sur les deux membres inférieurs. Il s’est soumis à deux opérations chirurgicales d’ostéosynthèse au niveau du bassin le 08.09.2014, à une opération d’ablation du matériel d’ostéosynthèse le 15.09.2015, suivie de trois semaines d’hospitalisation, puis à une nouvelle hospitalisation de près d’un mois (du 24.05.2017 au 21.06.2017) en raison de l’exacerbation des douleurs au niveau du bassin et enfin à une évaluation multidisciplinaire du 26.02.2019 au 12.03.2019. Au titre d’interventions figurent également une urétrographie-cystoscopie sous narcose le 30.04.2018 et des perfusions de xylocaïne et de kétamine fin 2018-début 2019. Contrairement à ce qu’ont retenu les juges cantonaux, le critère afférent à la durée et à l’intensité du traitement médical doit ainsi être considéré comme rempli.

Avec les deux autres critères admis par la juridiction précédente, cela suffirait en principe à reconnaître le caractère adéquat des troubles psychiques de l’assuré, étant rappelé que l’accident du 01.09.2014 a été classé dans la catégorie des accidents de gravité moyenne. A ce stade, il est toutefois prématuré d’examiner si la cour cantonale était fondée à retenir les critères relatifs aux complications médicales et aux douleurs persistantes ou si les autres critères encore invoqués par l’assuré sont bel et bien réalisés. En effet, en tout état de cause, il n’est pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées.

Il convient par conséquent de renvoyer la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle instruise ces questions – d’ailleurs en partie controversées dans le cas d’espèce – au moyen d’une expertise psychiatrique concluante (cf. ATF 141 V 574 s’agissant de l’évaluation du caractère invalidant des troubles psychiques). Puis elle se prononcera définitivement sur le droit de l’assuré à des prestations pour ses troubles psychiques, en procédant, au besoin, à un nouvel examen circonstancié du lien de causalité adéquate.

Ce qui précède vaut également pour les autorités de recours de première instance qui se retrouveraient dans la même constellation, à savoir saisies d’un examen du lien de causalité adéquate à l’égard de troubles psychiques alors que la question de la causalité naturelle a été laissée ouverte. Dans ce cas, si le juge parvient à la conclusion que l’appréciation de l’assureur-accidents est erronée sur un ou plusieurs critères et que l’admission du lien du causalité adéquate pourrait entrer en considération, il doit, avant de statuer définitivement sur ce dernier point, instruire ou faire instruire par l’assureur-accidents les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle.

 

Gain assuré

Les rentes sont calculées d’après le gain assuré (art. 15 al. 1 LAA). Est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (art. 15 al. 2, 2e phrase, LAA). Le législateur a chargé le Conseil fédéral d’édicter des prescriptions sur le gain assuré pris en considération dans des cas spéciaux, soit notamment lorsque l’assuré est occupé de manière irrégulière (art. 15 al. 3 let. d LAA). Faisant usage de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a prévu à l’art. 22 al. 4 OLAA que les rentes sont calculées sur la base du salaire que l’assuré a reçu d’un ou plusieurs employeurs durant l’année qui a précédé l’accident, y compris les éléments de salaire non encore perçus et auxquels il a droit (1re phrase); si les rapports de travail ont duré moins d’une année, le salaire reçu au cours de cette période est converti en gain annuel (2e phrase); en cas d’activité de durée déterminée, la conversion se limite à la durée prévue (3e phrase).

A l’ATF 138 V 106, le Tribunal fédéral a jugé que chez les travailleurs temporaires, la durée prévue de l’activité de durée déterminée en fonction de laquelle doit se faire la conversion du gain réalisé (cf. art. 22 al. 4, 2e et 3e phrases, OLAA) ne doit pas forcément correspondre à la durée du contrat de durée déterminée auprès de l’employeur. En effet, il apparaissait difficilement conciliable avec le but de la réglementation spéciale – soit de faire bénéficier les travailleurs occupés de manière irrégulière d’une protection d’assurance appropriée – que le montant de la rente d’invalidité d’un assuré qui, par exemple, avait été placé auprès d’une entreprise par une agence de travail temporaire pour une mission limitée dans le temps se détermine uniquement en fonction du salaire reçu au cours de cette période; il subsistait alors un risque que ces assurés soient exclus d’une protection appropriée de l’assurance. Le Tribunal fédéral a dès lors retenu qu’il fallait en toute hypothèse considérer comme salaire déterminant pour le calcul de la rente d’invalidité celui reçu au moment de l’accident converti en un gain correspondant à la durée normale d’activité de l’assuré eu égard à la carrière professionnelle accomplie jusque-là, y compris les périodes effectuées à l’étranger: Si l’on pouvait déduire de la biographie professionnelle que le contrat de durée limitée auprès d’un employeur correspondait à la durée normale d’activité, la conversion se limitait à la durée prévue selon l’art. 22 al. 4, 3e phrase, OLAA; s’il en résultait que l’intéressé aurait exercé une activité au-delà de la durée de la mission prévue, il fallait se baser sur cette plus longue période d’activité; enfin, s’il s’avérait que celui-ci aurait travaillé toute l’année, alors la règle de l’art. 22 al. 4, 3e phrase, OLAA ne trouvait pas application et la conversion du gain obtenu n’était pas limité, conformément à l’art. 22 al. 4, 2e phrase, OLAA (ATF 138 V 106 consid. 7.2; arrêts 8C_210/2020 du 8 juillet 2020 consid. 6.2; 8C_705/2010 du 15 février 2012 consid. 5.2).

Ainsi, dans le cas d’un assuré de nationalité allemande qui avait subi un accident sur un chantier de construction en Suisse, où il avait été placé par une agence de travail temporaire, le Tribunal fédéral a jugé que le gain assuré devait être calculé de façon à convertir le salaire perçu durant le rapport de travail sur une année entière, parce que la biographie professionnelle de l’intéressé avait mis en évidence qu’il avait toujours travaillé depuis la fin de sa formation (arrêt 8C_480/2010 du 20 mars 2012). Il a toutefois relevé que pour les ressortissants étrangers, la durée de la période de conversion du salaire obtenu était limitée à la durée d’autorisation de travailler du point de vue du droit des étrangers (ATF 138 V 106 consid. 7.3 in fine).

En l’espèce, les premiers juges ont confirmé le montant du gain assuré de 46’814 fr. tel que retenu par l’assurance-accidents, après annualisation, sur la base du salaire perçu par l’assuré pour son activité de durée déterminée auprès de B.__ SA (3591 fr. 15 / 28 jours x 365).

L’assuré conteste le montant retenu. Il soutient que le gain annuel assuré aurait dû être fixé en additionnant le total des revenus perçus auprès des différents employeurs durant l’année précédant l’accident, soit 16’779 fr. conformément au calcul de la CNA dans sa décision initiale du 23 avril 2018, puis en annualisant ce montant. Il obtient ainsi un gain assuré de 65’152 fr. 50 (16’779 fr. / 94 jours x 365).

Ce point de vue ne peut pas être suivi. Si l’art. 22 al. 4, 1re phrase, OLAA dispose que les rentes sont calculées sur la base du salaire que l’assuré a reçu d’un ou plusieurs employeurs durant l’année qui a précédé l’accident, cela ne signifie pas qu’il faille tenir compte des salaires afférents à des contrats de travail qui n’ont plus cours lors de la survenance de l’accident. Sont en effet déterminants le rapport de travail et les circonstances salariales qui existaient au moment de l’événement accidentel (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 956 n. 182). Quant à l’annualisation du salaire, elle intervient, conformément à l’art. 22 al. 4, 2e phrase, OLAA, lorsqu’au moment déterminant, la relation de travail – généralement de durée indéterminée – a duré moins d’une année. Cette règle a pour but principal de combler les lacunes de salaire, du point de vue temporel, résultant du fait que la personne assurée n’a pas perçu de salaire pendant toute l’année précédant l’accident; elle vaut également en cas de changement d’activité (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 957 n. 182). En outre, en ce qui concerne les travailleurs occupés de manière irrégulière, il convient également d’annualiser le gain obtenu pour la mission précédant l’accident lorsque l’on peut retenir, au vu de la biographie professionnelle, qu’un employé au bénéfice d’un contrat de durée limitée aurait travaillé toute l’année. En l’espèce, tant l’assurance-accidents que l’instance cantonale ont considéré que l’assuré devait bénéficier de cette règle destinée à protéger les travailleurs occupés de manière irrégulière. Cela étant, c’est à juste titre que les juges cantonaux ont annualisé le salaire perçu au moment déterminant, soit celui afférent à la relation de travail précédant immédiatement l’événement accidentel. Ils n’avaient pas à tenir compte des salaires touchés pour les missions antérieures.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré, renvoyant la cause à l’assureur-accidents pour mise en œuvre de l’expertise et nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_421/2021 consultable ici

 

 

8C_535/2020 (f) du 03.05.2021 – Restitution de prestations indûment touchées / 95 LACI – 25 LPGA / Péremption du droit de demander la restitution – Dies a quo du délai d’un an – 25 al. 2 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_535/2020 (f) du 03.05.2021

 

Consultable ici

 

Restitution de prestations indûment touchées / 95 LACI – 25 LPGA

Péremption du droit de demander la restitution – Dies a quo du délai d’un an – 25 al. 2 LPGA

 

Assurée, née en 1978, a travaillé dès juin 2011 en qualité d’employée de commerce à 90% auprès d’une entreprise horlogère. Fin décembre 2017, elle a sollicité l’octroi de prestations de l’AI au motif d’une dégradation de son état de santé, qui était à l’origine d’un arrêt de travail complet à compter du 30.08.2017. Elle a été licenciée en avril 2018 avec effet au 31.05.2018. Après s’être annoncée en avril 2018 à l’ORP, elle a requis l’octroi d’une indemnité de chômage dès le 01.06.2018. Elle a indiqué être disposée à travailler à 50% et toucher des indemnités journalières de la part d’une assurance perte de gain maladie (ci-après: l’assurance PGM) depuis le 30.08.2017, précisant que ce cas d’assurance était « en cours » et produisant à ce titre une décision de cet assureur du 28.02.2018, qui confirmait la cessation, à compter du 01.06.2018, du versement des indemnités journalières allouées au titre de la maladie. Les 28.06.2018 et 28.07.2018, elle a déposé auprès de la caisse de chômage des formulaires « Indications de la personne assurée » (ci-après: formulaires IPA) faisant état d’une incapacité de travail de 50%.

Pour les mois de juin et juillet 2018, l’assurée a perçu de la caisse de chômage une indemnité calculée sur la base d’un gain assuré de 2738 fr., qui tenait compte d’une aptitude au placement de 50% dans la dernière activité lucrative. Fin juillet 2018, la caisse de chômage a reçu un décompte de l’assurance PGM, qui faisait état du versement à l’assurée d’indemnités pour maladie pour les mois de juin et juillet 2018, à raison d’une incapacité de travail de 50%. Informée du dépôt fin 2017 d’une demande de prestations AI par l’assurée, la caisse de chômage a réévalué le 29.08.2018 son gain assuré à un montant de 4929 fr. à partir du 01.06.2018, en se fondant sur un taux d’occupation de 90% dans le dernier emploi exercé. Des paiements complémentaires d’indemnités de chômage ont conséquemment eu lieu pour juin et juillet 2018.

En septembre 2019, la caisse de chômage a été informée par l’ORP que l’assurée avait perçu des indemnités journalières pour maladie de la part de l’assurance PGM, à raison d’une incapacité de travail de 50%, durant la période de juin 2018 à août 2019. L’ORP a par ailleurs transmis à la caisse de chômage une copie d’un écrit de l’assurance PGM du 17.07.2018, dont il ressortait que sa décision du 28.02.2018 était annulée et que des indemnités étaient allouées à l’assurée dès juin 2018 sur la base d’une incapacité de travail de 50%.

Par décision du 01.11.2018, confirmée sur opposition, la caisse de chômage a réclamé à l’assurée la restitution d’un montant de 17’602 fr. 35, correspondant à des indemnités versées à tort pour la période comprise entre le 01.06.2018 et le 31.08.2019.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 06.07.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

En ce qui concerne plus précisément la question de la péremption du droit de demander la restitution, l’art. 25 al. 2 LPGA prévoit que ledit droit s’éteint un an après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Il s’agit de délais (relatif et absolu) de péremption, qui doivent être examinés d’office (ATF 146 V 217 consid. 2.1 p. 219; 140 V 521 consid. 2.1 p. 525).

Selon la jurisprudence, le délai de péremption relatif d’une année commence à courir dès le moment où l’administration aurait dû connaître les faits fondant l’obligation de restituer, en faisant preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elle. L’administration doit disposer de tous les éléments qui sont décisifs dans le cas concret et dont la connaissance fonde – quant à son principe et à son étendue – la créance en restitution à l’encontre de la personne tenue à restitution (ATF 146 V 217 consid. 2.1 précité p. 219 s.; 140 V 521 consid. 2.1 précité). Si l’administration dispose d’indices laissant supposer l’existence d’une créance en restitution, mais que les éléments disponibles ne suffisent pas encore à en établir le bien-fondé, elle doit procéder, dans un délai raisonnable, aux investigations nécessaires. Si elle omet de le faire, le début du délai de péremption doit être fixé au moment où elle aurait été en mesure de rendre une décision de restitution si elle avait fait preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elle. En revanche, lorsqu’il résulte d’ores et déjà des éléments au dossier que les prestations en question ont été versées indûment, le délai de péremption commence à courir sans qu’il y ait lieu d’accorder à l’administration du temps pour procéder à des investigations supplémentaires (arrêts 8C_799/2017 du 11 mars 2019 consid. 5.4; 9C_454/2012 du 18 mars 2013 consid. 4 non publié in ATF 139 V 106 et les références).

Lorsque le versement de prestations indues repose sur une erreur de l’administration, le délai de péremption relatif d’un an n’est pas déclenché par le premier acte incorrect de l’office en exécution duquel le versement est intervenu. Au contraire, selon la jurisprudence constante, il commence à courir le jour à partir duquel l’organe d’exécution aurait dû, dans un deuxième temps – par exemple à l’occasion d’un contrôle des comptes ou sur la base d’un indice supplémentaire – reconnaître son erreur en faisant preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger de lui (ATF 146 V 217 précité consid. 2.2 p. 220 et les références; arrêt 8C_405/2020 du 3 février 2021 consid. 3.2.2). En effet, si l’on plaçait le moment de la connaissance du dommage à la date du versement indu, cela rendrait souvent illusoire la possibilité pour l’administration de réclamer le remboursement de prestations allouées à tort en cas de faute de sa part (ATF 124 V 380 consid. 1 p. 383; arrêt 8C_799/2017 précité consid. 5.4).

 

Se plaignant d’une violation de l’art. 25 al. 2 LPGA, l’assurée soutient que plusieurs éléments au dossier auraient dû permettre à la caisse de chômage de se rendre compte de la poursuite du versement d’indemnités de la part de l’assurance PGM à hauteur de 50%. Dans sa demande d’indemnités de chômage, elle aurait indiqué être disposée à travailler à 50%, précisant qu’elle recevait une indemnité pour maladie depuis le 30.08.2017 et que ce cas était « en cours ». Par ailleurs, la caisse de chômage aurait reçu fin juillet 2018 le décompte de l’assurance PGM pour juin et juillet 2018, qui attestait de la continuation du versement des indemnités pour maladie à l’assurée, et elle aurait reconnu son erreur à ne pas avoir pris la mesure de son contenu. Enfin, l’assurée aurait toujours mentionné dans les formulaires IPA remplis mensuellement être au bénéfice d’une assurance perte de gain en cas de maladie et rechercher un emploi à un taux d’activité de 50% depuis le 01.06.2018. Dans ces conditions, la caisse de chômage aurait été informée au plus tard en juillet ou août 2018 que l’assurée continuait à percevoir des indemnités pour maladie de la part de l’assurance PGM, et elle aurait dû réagir sans tarder et recalculer immédiatement et correctement les indemnités de chômage. La réception en septembre 2019 d’informations qu’elle connaissait déjà n’aurait pas eu pour effet de reporter le dies a quo du délai de péremption relatif d’une année de l’art. 25 al. 2 LPGA, faute de quoi chaque communication d’une nouvelle confirmation ou d’un nouveau document, attestant d’une situation connue ou qui aurait dû être connue, aurait pour effet de reporter sans cesse le dies a quo du délai en question, en violation du droit.

Il n’est pas contesté que des indemnités d’un montant de 17’602 fr. 35 ont été indûment perçues par l’assurée en raison d’une erreur de la caisse de chômage. C’est à juste titre que la cour cantonale a retenu que cette erreur avait été commise en août 2018 – plus précisément le 29.08.2018 -, au moment où la caisse de chômage a décidé d’allouer à l’assurée, à compter du 01.06.2018, des indemnités de chômage correspondant à un taux d’occupation de 90% dans le dernier emploi exercé, malgré la réception fin juillet 2018 d’un décompte de l’assurance PGM faisant état du versement en juin et juillet 2018 d’indemnités pour maladie fondées sur une incapacité de travail de 50%. Avant le 29.08.2018, la caisse de chômage avait correctement versé à l’assurée des indemnités de chômage en tenant compte d’une aptitude au placement de 50%, ce qui n’est pas contesté par l’assurée. Au vu de la jurisprudence, le délai de péremption d’un an ne saurait commencer à courir au moment où la caisse de chômage a commis son erreur le 29.08.2018, et encore moins antérieurement à cette date comme le soutient l’assurée, malgré les informations fournies par celle-ci et la réception par la caisse de chômage du décompte de l’assurance PGM fin juillet 2018. Ensuite de ladite erreur, il ne ressort pas des faits constatés par la juridiction cantonale qu’avant septembre 2019, la caisse de chômage aurait procédé à un contrôle des versements au bénéfice de l’assurée ou qu’elle aurait été en possession d’un indice supplémentaire qui lui aurait permis de se rendre compte de son erreur. Ce n’est qu’en septembre 2019 qu’elle a constaté son erreur, après avoir reçu de l’ORP des informations et des documents attestant du versement d’indemnités pour maladie de la part de l’assurance PGM durant la période de juin 2018 à août 2019. Ce sont bien ces nouveaux éléments d’information qui ont déclenché le délai de péremption d’une année. En rendant sa décision de restitution le 01.11.2019, la caisse de chômage a par conséquent agi dans le respect dudit délai, dont le dies a quo n’a pas été reporté ensuite d’une nouvelle communication à la caisse de chômage.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_535/2020 consultable ici

 

8C_677/2021+8C_687/2021 (d) du 31.01.2022 – Revenu sans invalidité – Parallélisation des revenus à comparer – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_677/2021+8C_687/2021 (d) du 31.01.2022

 

Consultable ici

NB: traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Revenu sans invalidité – Parallélisation des revenus à comparer / 16 LPGA

Pas de parallélisation en présence d’une CCT

 

Assurée, née en 1993, employée depuis mars 2014 en tant que collaboratrice de cuisine à la boulangerie B.__ AG. Le 20.03.2016, elle a été renversée par une voiture alors qu’elle marchait sur le trottoir. Elle a subi des blessures à la colonne vertébrale cervicale et thoracique ainsi qu’une fracture de la jambe gauche. Cette dernière a été opérée à l’hôpital C.__ et a provoqué par la suite des douleurs persistantes ainsi qu’un trouble de la marche. Par la suite, des troubles psychiques sont également apparus. Après un séjour à la clinique de réadaptation en octobre 2017, l’assurance-invalidité a accordé des mesures professionnelles. L’assurée s’est d’abord soumise à un entraînement à l’endurance et a ensuite effectué un essai de travail dans une boulangerie. Après un examen final par le médecin-conseil le 17.10.2019, l’assurance-accidents a accordé une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 20% au total (cheville gauche : 15% ; colonne cervicale et thoracique : 5%). L’assurance a toutefois refusé de reconnaître le droit à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 02.09.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité à partir du 01.01.2020 fondée sur un taux d’invalidité de 10%.

 

TF

Consid. 4.2.1
En ce qui concerne la détermination du degré d’invalidité selon la méthode de comparaison des revenus (art. 16 LPGA), il convient de souligner que le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas devenu invalide (revenu sans invalidité) doit en règle générale être calculé sur la base du dernier salaire obtenu, adapté si nécessaire au renchérissement et à l’évolution du revenu, car l’expérience montre que l’activité exercée jusqu’alors aurait été poursuivie en l’absence d’atteinte à la santé (ATF 144 I 103 consid. 5.3 ; 135 V 58 consid. 3.1 ; cf. aussi ATF 135 V 297 consid. 5.1 ; 134 V 322 consid. 4.1). La jurisprudence a déjà pris en compte à plusieurs reprises les salaires dus en vertu d’une convention collective de travail pour déterminer le revenu sans invalidité (arrêt 8C_134/2021 du 8 septembre 2021 consid. 5.4 et les références).

Consid. 4.2.2
Si, pour des raisons étrangères à l’invalidité (p. ex. faible niveau de formation scolaire, absence de formation professionnelle, connaissances insuffisantes de l’allemand, possibilités d’emploi limitées en raison du statut de saisonnier), une personne assurée percevait un revenu nettement inférieur à la moyenne, il convient de tenir compte de cette circonstance lors de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA (ce que l’on appelle la parallélisation des revenus à comparer ; ATF 125 V 146 consid. 5c/bb ; arrêt I 696/01 du 4 avril 2002 consid. 4). Il faut en tenir compte, pour autant que rien n’indique qu’elle ne désire pas s’en contenter délibérément.

Ce n’est qu’ainsi que le principe selon lequel la perte de gain due à des facteurs étrangers à l’invalidité ne doit pas être prises en compte du tout, ou alors de manière égale pour les deux revenus comparés, est respecté (ATF 129 V 222 consid. 4.4). Le raisonnement de base de cette jurisprudence est le suivant : Lorsqu’une personne assurée obtient un salaire nettement inférieur à la moyenne dans l’activité qu’elle exerçait en bonne santé, parce que ses caractéristiques personnelles (notamment le manque de formation ou de connaissances linguistiques, le statut de droit des étrangers) l’empêchent d’obtenir un salaire moyen, il ne faut pas admettre qu’elle pourrait obtenir un salaire moyen (proportionnel) en raison d’une atteinte à la santé (ATF 134 V 322 consid. 4.1 ; 135 V 58 consid. 3.4.3 ; 135 V 297 consid. 5.1 ; arrêt 8C_721/2017 du 26 septembre 2018 consid. 3.4.1). Une parallélisation n’a lieu que dans le taux minimal déterminant de 5% est dépassé (ATF 135 V 297).

Lors de l’examen du caractère inférieur à la moyenne du revenu sans invalidité, il convient de comparer en premier lieu le revenu statistique usuel de la branche selon l’ESS (ATF 141 V 1 consid. 5.6). Si le salaire de base correspond au salaire minimum prévu par une convention collective de travail (CCT) déclarée de force obligatoire par le Conseil fédéral dans la branche professionnelle concernée, il ne peut pas être qualifié d’inférieur à la moyenne, car les revenus usuels de la branche y sont représentés de manière plus précise que dans l’ESS. Une parallélisation des revenus à comparer n’entre donc pas en ligne de compte dans un tel cas, conformément à la jurisprudence (arrêts 8C_310/2020 du 23 juillet 2020 consid. 2 et 3 ; 8C_88/2020 du 14 avril 2020 consid. 3.2.2 ; 8C_141/2016 du 17 mai 2016 consid. 5.2.2).

 

Consid. 5.1
L’instance cantonale a déterminé le revenu d’invalide sur la base de l’ESS et a retenu un abattement de 10%. Quant au revenu sans invalidité, le tribunal cantonal s’est basé sur le même salaire [sans abattement], car il a estimé qu’il n’existait pas d’indices permettant de penser que l’assurée aurait voulu se contenter délibérément d’un revenu inférieur effectivement obtenu, soit 44’772 francs. Le taux d’invalidité est ainsi de 10%.

 

Consid. 6.3.1
En ce qui concerne le revenu sans invalidité, l’assurance-accidents fait valoir que l’instance cantonale a utilisé à tort, pour le calculer, la valeur statistique [ligne « Total »] pour les activités d’aide simple (55’222 francs) au lieu du revenu antérieur, bien que ce dernier, avec 44’772 francs, ait même été légèrement plus élevé que le salaire annuel minimum selon la CCT de 44’655 francs (3435 francs x 13).

Contrairement aux objections de l’assurée, on ne voit pas en quoi le salaire minimum prévu à partir du 1er janvier 2019 par la CCT déclarée de force obligatoire par le Conseil fédéral (FF 2018 7107 ss) pour les travailleurs sans diplôme professionnel ne devrait pas être pris en compte comme valeur de référence (dont le montant n’est pas contesté) au moment de l’entrée en vigueur de la rente en janvier 2020. Comme le montant correspondant est inférieur à la valeur que l’instance précédente a constatée pour l’année 2019 sur la base des indications de l’employeuse, on ne peut pas considérer ici, conformément à la pratique, qu’il s’agit d’une valeur inférieure à la moyenne. Il convient au contraire de retenir le salaire de 44’772 francs comme revenu sans invalidité.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents (8C_677/2021) et rejette le recours de l’assurée (8C_687/2021)

 

 

Arrêt 8C_677/2021+8C_687/2021 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_677/2021+8C_687/2021 (d) du 31.01.2022 – Revenu sans invalidité – Parallélisation des revenus à comparer, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/09/8c_677-2021)

 

 

 

9C_241/2021 (f) du 18.11.2021 – Valeur probante d’une expertise bidisciplinaire – 44 LPGA / Capacité de travail exigible dans une activité adaptée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_241/2021 (f) du 18.11.2021

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’une expertise bidisciplinaire – Indépendance des experts / 44 LPGA

Capacité de travail exigible dans une activité adaptée

 

Assurée, née en 1978, mariée et mère de trois enfants, a travaillé en qualité de vendeuse et gérante adjointe au sein d’un commerce franchisé. Dépôt de l’annonce AI le 13.11.2015 en raison d’une spondylarthrite ankylosante engendrant une incapacité de travail dès le 03.09.2015. Par la suite, elle a précisé suivre une psychothérapie.

Une expertise bidisciplinaire a été mise sur pied auprès d’un centre d’expertises médicales. Le spécialiste en médecine interne générale et en rhumatologie et la spécialiste en psychiatrie et psychothérapie ont retenu les diagnostics invalidants de spondylite ankylosante, de syndrome douloureux chronique, de syndrome du canal carpien bilatéral à prédominance droite et d’épisode dépressif moyen sans syndrome somatique. Sur le plan somatique, les experts ont conclu que la capacité de travail était nulle dans l’activité habituelle depuis le 03.09.2015; à partir de cette date, la capacité de travail était en revanche de 70% sans perte de rendement dans une activité adaptée (sans port fréquent de charges supérieures à 5 kilos, sans sollicitation répétitive des ceintures scapulaires ni des articulations des poignets et des doigts, sans surcharge mécanique du rachis ni des articulations portantes et sans station prolongée en position debout, assise ou accroupie). Au plan psychique, la capacité de travail était, depuis septembre 2014, de 70% tant dans l’activité habituelle que dans une autre activité adaptée à l’état psychique de l’assurée (avec peu de responsabilités et nécessitant peu de capacité d’adaptation et d’apprentissage). Les experts ont précisé que les incapacités de travail somatique et psychique ne s’additionnaient pas.

Par décision du 09.12.2019, l’office AI a rejeté la demande de prestations de l’assurée, motif pris que le taux d’invalidité de 33% était insuffisant pour ouvrir le droit à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2020 7 – consultable ici)

L’instance cantonale a constaté que les experts, qui avaient procédé à des examens somatique (2,45 heures) et psychiatrique (2 heures) complets, avaient suffisamment motivé leurs conclusions. Par ailleurs, on ne pouvait pas leur reprocher de ne pas avoir pris contact directement avec les médecins traitants de l’assurée, aucune clarification n’ayant été nécessaire, ni de s’être fondés sur des rapports d’imagerie médicale au dossier sans avoir procédé à de nouveaux examens, à l’exception d’un taux sérique, ou encore d’avoir rendu une expertise à « caractère ponctuel ».

La juridiction cantonale a relevé que la doctoresse D.__, spécialiste en rhumatologie et médecin traitant, ne partageait pas l’avis des médecins experts. Cette spécialiste avait posé le diagnostic de spondylarthrite ankylosante, voire d’arthrite psoriasique, et considérait que l’assurée ne pouvait travailler que quatre heures par jour dans une activité adaptée permettant l’alternance des positions assise/debout et la prise de pauses, et évitant les mouvements répétitifs, le port de charges ainsi que les positions inclinée et accroupie. Les juges cantonaux ont toutefois considéré que les médecins experts avaient écarté à raison le diagnostic d’arthrite psoriasique, en se référant aux critères de classification de CASPAR (Classification Criteria for Psoriatic Arthritis). Au demeurant, la doctoresse D.__ admettait expressément que cette controverse diagnostique n’avait pas d’incidence sur la question de la capacité de travail. En revanche, elle avait perçu les limitations fonctionnelles de l’assurée plus sévèrement que les experts. Il ressortait pourtant du dossier que l’assurée était en mesure – bien qu’à son rythme et avec l’aide de ses enfants – de prendre en charge un ménage de cinq personnes, d’assurer la préparation des repas, de faire la vaisselle, le nettoyage du linge et le repassage, ainsi que le nettoyage de l’appartement (aspirateur et panosse) et les commissions. Dès lors que de telles tâches seraient impossibles à réaliser si l’on devait suivre les conclusions de la doctoresse D.__, ses conclusions, en contradiction avec le quotidien de l’assurée, n’étaient pas convaincantes. La cour cantonale a finalement retenu que les conclusions des médecins experts étaient plus convaincantes et mieux motivées, de sorte qu’elles devaient être suivies.

Par jugement du 04.03.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assurée reproche à la cour cantonale de ne pas s’être réellement prononcée sur un rapport d’évaluation d’impotence du 06.09.2020 et sur un projet de décision de l’office AI du 14.09.2020 lui octroyant une allocation pour impotent de degré faible à domicile. Le contenu de ces documents remettrait en cause les observations de l’expert rhumatologue, selon lesquelles l’assurée ne serait pas impotente et serait capable d’accomplir plusieurs tâches ménagères. L’assurée soutient qu’au vu du rapport d’évaluation d’impotence décrivant son quotidien, les juges cantonaux ne pouvaient pas retenir qu’elle était en mesure de prendre en charge un ménage de cinq personnes. Le tribunal cantonal aurait ainsi sombré dans l’arbitraire en méconnaissant la portée, le contenu et l’importance du rapport d’évaluation d’impotence du 06.09.2020 et du projet de décision du 14.09.2020.

La juridiction cantonale a décrit les actes de la vie quotidienne que pouvait effectuer l’assurée en se référant au rapport d’évaluation d’impotence du 06.09.2020. Ses constatations concernant la prise en charge par l’assurée d’un ménage de cinq personnes et les tâches ménagères dont celle-ci s’acquitterait avec leur assistance sont toutefois issues du rapport d’expertise du 18.02.2019, non du rapport d’évaluation d’impotence en question. Cela étant, il ressort bien de ce rapport d’expertise que l’assurée a fait savoir au cours de l’expertise qu’elle assumait les tâches inhérentes à un ménage de cinq personnes, si besoin avec l’aide de ses enfants et de son époux, assurant notamment la préparation des repas, la vaisselle, diverses activités de nettoyage ainsi que les commissions. Cette description des activités ménagères effectuées par l’assurée est dans une large mesure compatible avec celle du rapport d’évaluation d’impotence, selon laquelle l’assurée nécessite l’aide de son époux et de ses enfants pour certains travaux ménagers plus lourds. C’est donc sans arbitraire que la cour cantonale a apprécié ce moyen de preuve. Il en va de même du projet de décision de l’office AI du 14.09.2020, qui a trait à une allocation pour impotent dont les conditions d’octroi divergent de celles d’une rente d’invalidité (cf. art. 42 ss LAI).

 

L’assurée conteste la valeur probante de l’expertise. Selon elle, l’indépendance du centre d’expertise par rapport à l’office AI ne serait pas garantie, dès lors que ce bureau d’expertise – qui poursuivrait un but économique – aurait été créé par une ancienne médecin du Service médical régional (SMR) de l’assurance-invalidité, puis racheté par l’un de ses anciens collègues du SMR. L’assurée se plaint par ailleurs du fait que l’expertise reposerait seulement sur deux examens médicaux ponctuels (rhumatologique et psychiatrique) de sa personne, ce qui ne serait pas suffisant pour définir précisément et objectivement sa capacité de travail médico-théorique, comme souligné par la doctoresse D.__, qui la suivrait elle depuis six ans. L’assurée soutient en outre que l’expert rhumatologue aurait dû s’entretenir avec la doctoresse D.__ en vue d’obtenir une description précise des fluctuations de son état de santé, et que les médecins experts auraient dû procéder eux-mêmes à l’examen de clichés radiologiques et non se contenter de la simple lecture des rapports d’imagerie.

Le seul fait allégué par l’assurée que le centre d’expertise ait été fondé et soit géré par d’anciens médecins du SMR ne suffit pas à mettre en cause l’indépendance des médecins y travaillant ni à dénier toute valeur probante à leurs expertises. Il ne s’agit pas d’un fait qui mettrait en évidence un lien de subordination entre le centre d’expertises et l’assurance-invalidité. Quoi qu’en dise ensuite l’assurée, le rapport d’expertise repose sur des examens complets, est motivé et exempt de contradictions, de sorte qu’il répond aux exigences posées par la jurisprudence en la matière. Dans leur complément d’expertise du 29 novembre 2019, les experts du BEM ont en outre expliqué de manière convaincante pour quelle raison l’analyse de clichés radiologiques n’avait pas été nécessaire, dès lors que celle des rapports d’imagerie était en adéquation avec leurs propres constatations cliniques. Par ailleurs, on ne saurait reprocher aux experts de s’être uniquement appuyés sur des examens cliniques ponctuels pour aboutir à leurs conclusions, puisqu’il résulte de leur rapport qu’ils ont procédé à une analyse détaillée du dossier médical complet de l’assurée, comprenant notamment les rapports de la doctoresse D.__.

En ce qui concerne les limitations fonctionnelles de l’assurée, il résulte de ses propres déclarations aux experts et à l’auteur du rapport d’impotence du 06.09.2020 qu’elle est en mesure d’accomplir de nombreuses tâches ménagères et qu’elle ne nécessite l’assistance d’un tiers que pour certaines tâches ponctuelles. La description de son quotidien n’entre ainsi pas en contradiction avec les limitations fonctionnelles retenues par les experts pour l’exercice d’une activité lucrative, qualifiées d’ailleurs de « tout à fait correctes » par la doctoresse D.__, cette spécialiste étant en désaccord avec les experts s’agissant du taux de capacité de travail de l’assurée dans une activité adaptée et de son exigibilité. Au vu des explications convaincantes et détaillées des médecins experts et de l’ensemble du dossier, la cour cantonale n’a pas versé dans l’arbitraire en retenant – sans ordonner de complément d’instruction – une capacité de travail de 70% dans une activité adaptée correspondant aux limitations fonctionnelles fixées par lesdits experts. L’avis divergent de la doctoresse D.__, qui a conclu à une capacité de travail de quatre heures par jour dans une activité adaptée, ne met pas en évidence d’éléments concrets dont les experts n’auraient pas tenu compte dans leur évaluation de la capacité de travail. Enfin, les secteurs de la production et des services recouvrent un large éventail d’activités variées et non qualifiées, plusieurs d’entre elles ne comportant pas des travaux de manutention fine.

Pour le reste, l’assurée ne critique pas la fixation du revenu d’invalide issu des données statistiques, pas plus que le calcul du revenu sans invalidité et du taux d’invalidité. Il n’y a donc pas lieu de s’en écarter.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_241/2021 consultable ici

 

8C_756/2020 (f) du 03.08.2021 – Suspension du droit de l’assuré à l’indemnité chômage – 30 LACI / Erreurs de courriers électroniques – Absence de postulation – Obligation de diminuer le dommage – Faute grave – 45 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_756/2020 (f) du 03.08.2021

 

Consultable ici

 

Suspension du droit de l’assuré à l’indemnité chômage / 30 LACI

Erreurs de courriers électroniques – Absence de postulation – Obligation de diminuer le dommage – Faute grave / 45 OACI

 

Assuré, né en 1976, s’est inscrit en qualité de demandeur d’emploi auprès de l’office régional de placement (ci-après: ORP) le 03.09.2018 et a sollicité l’octroi des indemnités de chômage dès cette date. Le 09.09.2019, l’ORP a assigné l’assuré à postuler auprès de l’entreprise B.__ pour un poste d’une durée de six mois en tant que Deployment Finance Associate à compter du 01.10.2019. L’assuré devait postuler jusqu’au 11.09.2019 par courrier électronique. Le 24.09.2019, cette entreprise a indiqué n’avoir reçu aucune postulation de la part de l’assuré. Ensuite d’une invitation de l’office cantonal de l’emploi (ci-après: OCE) à s’expliquer sur ce fait, l’assuré a déclaré qu’il avait postulé par courriel le 11.09.2019 à 19h05, mais que le destinataire n’avait pas reçu sa postulation, selon un message d’erreur reçu par retour de courriel. L’assuré a ajouté qu’il ne lui était pas possible de contacter la personne responsable, car il n’avait pas d’autres coordonnées que le courriel et qu’il pensait avoir tout fait pour transmettre sa candidature dans les temps.

Par décision, confirmée sur opposition, l’OCE a suspendu le droit de l’assuré à l’indemnité de chômage pour une durée de 34 jours à compter du 12.09.2019, au motif qu’il avait, par un manque de vigilance au moment de sa postulation, fait échouer une possibilité d’emploi qui lui aurait permis de diminuer le dommage à l’assurance, et que cette faute devait être qualifiée de grave.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1057/2020 – consultable ici)

Par jugement du 10.11.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réduisant la durée de la sanction de 34 à 16 jours, en qualifiant la faute de gravité moyenne.

 

TF

L’assuré qui fait valoir des prestations d’assurance doit, avec l’assistance de l’office du travail compétent, entreprendre tout ce qu’on peut raisonnablement exiger de lui pour éviter le chômage ou l’abréger; il lui incombe, en particulier, de chercher du travail, au besoin en dehors de la profession qu’il exerçait précédemment et il est tenu d’accepter tout travail convenable qui lui est proposé (art. 17 al. 1 et 3 LACI). Le droit de l’assuré à l’indemnité est suspendu lorsqu’il est établi que celui-ci n’observe pas les prescriptions de contrôle du chômage ou les instructions de l’autorité compétente, notamment en refusant un travail convenable (art. 30 al. 1 let. d LACI). Est assimilé à un refus d’emploi convenable le fait de ne pas donner suite à une assignation à un travail réputé convenable (ATF 122 V 34 consid. 3b; arrêt 8C_468/2020 du 27 octobre 2020 consid. 3.2 et les références). L’art. 30 al. 1 let. d LACI trouve application non seulement lorsque l’assuré refuse expressément un travail convenable qui lui est assigné, mais également déjà lorsqu’il s’accommode du risque que l’emploi soit occupé par quelqu’un d’autre ou fait échouer la perspective de conclure un contrat de travail (ATF 122 V 34 consid. 3b précité; arrêts 8C_750/2019 du 10 février 2020 consid. 4.1; 8C_865/2014 du 17 mars 2015 consid. 3 et les références).

Les erreurs de courriers électroniques relèvent également du refus d’emploi, car il s’agit de démarches importantes auxquelles l’assuré doit être particulièrement attentif. Ainsi, le Tribunal fédéral a retenu que, compte tenu du manque de fiabilité du trafic électronique en général, et en particulier des difficultés liées à la preuve de l’arrivée d’un message électronique dans la sphère de contrôle du destinataire, l’expéditeur d’un courriel était tenu de vérifier soigneusement l’adresse saisie et qu’en cas d’incertitude, il pouvait être tenu de s’informer auprès de l’employeur sur la réception de sa candidature et de réagir en l’absence de cette dernière en déposant son pli auprès de la Poste ou en réessayant de l’envoyer par voie électronique. Il appartient en effet à l’expéditeur de prendre certaines précautions, sans quoi il devra assumer le risque, conformément aux règles sur la répartition du fardeau de la preuve (cf. ATF 145 V 90 consid. 3.2 et les références), que son envoi ne parvienne pas – ou pas dans un délai prévu – auprès du destinataire (cf. ATF 145 V 90 consid. 6.2.2; arrêts 8C_339/2016 du 29 juin 2016 consid. 4.4; 2C_699/2012 du 22 octobre 2012 consid. 4.2).

Selon l’art. 30 al. 3 LACI, la durée de la sanction est proportionnelle à la gravité de la faute et ne peut excéder 60 jours. L’art. 45 al. 3 OACI prévoit que la suspension dure de 1 à 15 jours en cas de faute légère (let. a), de 16 à 30 jours en cas de faute de gravité moyenne (let. b) et de 31 à 60 jours en cas de faute grave (let. c). Lorsque l’assuré refuse, sans motif valable, un emploi réputé convenable, il y a faute grave (art. 45 al. 4 let. b OACI). Cependant, ce motif de suspension ne doit être qualifié de faute grave que si l’assuré ne peut pas faire valoir de motif valable. Par motif valable, il faut entendre un motif qui fait apparaître la faute comme étant de gravité moyenne ou légère. Il peut s’agir, dans le cas concret, d’un motif lié à la situation subjective de la personne concernée ou à des circonstances objectives (ATF 141 V 365 consid. 4.1; 130 V 125 consid. 3.5). Ainsi, dans un arrêt C 230/01 du 13 février 2003 (DTA 2003 n° 26 p. 248, consid. 3.3), l’ancien Tribunal fédéral des assurances a qualifié de faute de gravité moyenne – justifiant une suspension d’une durée de 19 jours – le refus d’un assuré d’accepter une modification du contrat de travail au sujet de la période durant laquelle il pouvait prendre ses vacances. Si les circonstances particulières le justifient, il est donc possible, exceptionnellement, de fixer un nombre de jours de suspension inférieur à 31 jours. Toutefois, les motifs de s’écarter de la faute grave doivent être admis restrictivement (BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 117 ad art. 30 LACI et les références).

 

L’interprétation de la notion juridique indéterminée « sans motif valable » (art. 30 al. 1 let. d LACI) est une question de droit relevant, en principe, du plein pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, contrairement à la question de l’exercice du pouvoir d’appréciation (cf. pour l’art. 45 al. 4 OACI: arrêts 8C_24/2021 du 10 juin 2021 consid. 3.2.2; 8C_7/2012 du 4 avril 2012 consid. 4.1, in DTA 2012 p. 300).

En tant qu’autorité de surveillance, le SECO a adopté un barème (indicatif) à l’intention des organes d’exécution. Quoique de telles directives ne sauraient lier les tribunaux, elles constituent un instrument précieux pour ces organes d’exécution lors de la fixation de la sanction et contribuent à une application plus égalitaire dans les différents cantons (ATF 141 V 365 consid. 2.4; arrêt 8C_40/2019 du 30 juillet 2019 consid. 5.4). Cela ne dispense cependant pas les autorités décisionnelles d’apprécier le comportement de l’assuré compte tenu de toutes les circonstances – tant objectives que subjectives – du cas concret, notamment des circonstances personnelles, en particulier de celles qui ont trait au comportement de l’intéressé au regard de ses devoirs généraux d’assuré qui fait valoir son droit à des prestations (arrêts 8C_406/2020 du 28 avril 2021 consid. 4.3; 8C_601/2012 du 26 février 2013 consid. 4.1 et les références, non publié in ATF 139 V 164). Elles pourront le cas échéant aller en dessous du minimum prévu par le barème indicatif (arrêts 8C_2/2012 du 14 juin 2012 consid. 3.2; 8C_64/2012 du 26 juin 2012 consid. 3.2). Le barème du SECO prévoit une suspension d’une durée de 34 à 41 jours en cas depremier refus d’un emploi convenable d’une durée déterminée de six mois (Bulletin LACI IC, ch. D79/2.A/9).

En l’espèce, il est établi que l’assuré avait envoyé sa postulation le 11.09.2019 à 19h05 à l’adresse électronique erronée (…@…or au lieu de…@…org) et qu’un message d’erreur que son courriel n’avait pas pu être remis, le domaine du destinataire n’existant pas, lui a été envoyé immédiatement après (soit le 11.09.2019 à 19h05). En outre, l’assuré n’a jamais contesté que, par la suite, il n’avait pas entrepris d’autre démarche pour transmettre sa candidature à l’employeur potentiel. Bien au contraire, il a admis qu’il pensait avoir fait tout son possible afin de transmettre son dossier. Par conséquent, la cour cantonale a retenu à juste titre que l’assuré avait manqué de vigilance lorsqu’il avait voulu envoyer sa postulation et n’avait ainsi pas donné suite à l’assignation du 09.09.2019, de sorte que la sanction était justifiée dans son principe.

Concernant la quotité de la sanction, les juges cantonaux se sont écartés de la décision de l’OCE, en réduisant cette quotité de 34 à 16 jours. Ils ont motivé cette décision par le fait que l’assuré, auquel l’ORP avait adressé une assignation par courrier électronique le 09.09.2019 à 17h05, ne disposait que d’un délai de deux jours pour faire une offre d’emploi. Dans ce délai, il avait rédigé sa lettre de motivation en anglais et avait adressé son dossier de candidature le dernier jour dudit délai à l’adresse électronique figurant dans l’annonce, mais il avait tronqué l’adresse par erreur. Il avait constaté cette erreur trop tard pour la corriger. Compte tenu de l’heure de l’envoi de la postulation, soit 19h07 (recte: 19h05), son allégation apparaissait vraisemblable. Dans ces circonstances, le degré de gravité de sa faute apparaissait moindre que celui d’un assuré qui n’aurait même pas tenté d’envoyer sa candidature. Par conséquent, la sanction de 34 jours était disproportionnée et une suspension de 16 jours était suffisante pour sanctionner le manque de diligence de l’assuré.

Force est en effet de constater que bien qu’il ait eu connaissance que son dossier n’avait pas été transmis à l’employeur en raison d’une erreur dans l’adresse électronique, l’assuré n’a ensuite entrepris aucune démarche ultérieure. Il a notamment omis de contrôler l’adresse électronique qu’il venait d’utiliser et de réessayer de faire parvenir sa postulation à l’employeur. Par ailleurs, l’avertissement de l’échec de la remise de son message lui est parvenu immédiatement après l’envoi à l’adresse erronée, ce qui aurait dû l’amener sur le champ à vérifier l’adresse électronique utilisée. Il n’a pas non plus essayé d’envoyer son dossier par voie postale ou, au moins, de prendre contact soit avec l’employeur soit avec son conseiller auprès de l’ORP. Par contre, le fait mentionné par la cour cantonale qu’il ait dû postuler en anglais dans un délai de deux jours (ce qu’il a réussi à faire) n’a aucune incidence. En outre, contrairement à ce que retiennent les juges cantonaux, la sanction de 34 jours ne dépasse pas le minimum que prévoit le barème du SECO pour le refus d’un emploi convenable ou d’un emploi en gain intermédiaire à durée déterminée de six mois (cf. consid. 3.2.3 supra). Le cas d’espèce ne présente donc aucun élément qui permettrait d’admettre un motif valable justifiant une diminution de la sanction prévue par l’art. 45 al. 4 let. b OACI en relation avec le barème établi par le SECO.

Il résulte de ce qui précède que c’est en violation du droit fédéral que la juridiction cantonale a admis une faute moyennement grave (au lieu d’une faute grave) et a réduit la durée de la suspension du droit à l’indemnité à 16 jours.

 

Le TF admet le recours du SECO, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_756/2020 consultable ici

 

 

9C_663/2020 (f) du 11.08.2021 – Décision d’octroi à titre rétroactif d’une rente limitée dans le temps – 17 LPGA / Assurée proche de l’âge de la retraite (moins d’une année de l’âge ouvrant le droit à une rente AVS)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_663/2020 (f) du 11.08.2021

 

Consultable ici

 

Décision d’octroi à titre rétroactif d’une rente limitée dans le temps / 17 LPGA

Assurée proche de l’âge de la retraite (moins d’une année de l’âge ouvrant le droit à une rente AVS)

 

Titulaire d’un certificat fédéral de capacité (CFC) d’employée de commerce et d’un certificat d’assistante en gestion du personnel, l’assurée, née en janvier 1956, a travaillé comme gestionnaire de dossiers à 100% auprès d’un hôpital depuis le 01.09.1983. Après plusieurs arrêts de travail, notamment à 100% depuis le 11.01.2017, elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 25.07.2017.

L’office AI a procédé aux investigations usuelles et mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire. Lors de l’évaluation consensuelle, les médecins experts ont diagnostiqué des troubles dépressifs récurrents (épisode actuel léger sans syndrome somatique), des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool (syndrome de dépendance, utilisation continue), une agoraphobie avec trouble panique, une personnalité évitante, une polyneuropathie sensitive des membres inférieurs, un éthylisme chronique, une hypertension artérielle, un emphysème et des lombalgies sans sciatalgies associées (mises en relation avec la présence d’une hernie discale). Selon les médecins, l’assurée présentait une capacité de travail nulle d’un point de vue psychique depuis le 11.01.2017; à compter du 26.09.2018, elle disposait d’une capacité de travail de 100% dans son activité habituelle, avec la mise en place d’une aide au placement. Par décision du 20.01.2020, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente entière de l’assurance-invalidité du 01.01.2018 au 31.12.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 54/20 – 319/2020 – consultable ici)

La juridiction cantonale a retenu que les troubles diagnostiqués n’avaient eu que des répercussions temporaires sur la capacité de travail de l’assurée et qu’ils s’étaient amendés sous traitement. L’assurée était par conséquent dotée d’une capacité de travail entière dans son activité habituelle d’employée de commerce à compter du 26.09.2018. Les juges cantonaux ont considéré qu’il ne s’agissait dès lors pas de déterminer si elle avait des chances de retrouver un emploi adapté à son handicap, puisqu’elle bénéficiait d’une capacité de travail entière adaptée dans son activité habituelle. Dès lors, il n’y avait pas lieu d’examiner son cas à l’aune de la jurisprudence relative aux assurés proches de l’âge de la retraite. Au demeurant, les juges cantonaux ont relevé que l’assurée était titulaire d’un CFC d’employée de commerce depuis 1975 et qu’elle avait été en mesure de décrocher un certificat d’assistante en gestion du personnel en 2010, ce qui démontrait assurément des ressources professionnelles et une faculté d’adaptation à de nouvelles exigences. Le domaine d’activités concerné était par ailleurs un secteur où les postes de travail étaient particulièrement nombreux, y compris sous contrats de durée déterminée, notamment par le biais d’agences de travail intérimaire, en vue par exemple de procéder à des remplacements de courte durée. Vu ce contexte, l’âge de l’assurée ne l’empêchait pas de bénéficier des opportunités professionnelles qui s’offraient à elle jusqu’à l’âge légal de la retraite (64 ans).

Par jugement du 17.09.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le bien-fondé d’une décision d’octroi, à titre rétroactif, d’une rente limitée dans le temps doit être examiné à la lumière des conditions de révision du droit à la rente (cf. ATF 125 V 413 consid. 2d et les références). Aux termes de l’art. 17 al. 1 LPGA, si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée.

Avant de réduire ou de supprimer une rente d’invalidité, l’administration doit examiner si la capacité de travail que la personne assurée a recouvrée sur le plan médico-théorique se traduit pratiquement par une amélioration de la capacité de gain et, partant, une diminution du degré d’invalidité ou si, le cas échéant, il est nécessaire de mettre préalablement en œuvre une mesure d’observation professionnelle (afin d’établir l’aptitude au travail, la résistance à l’effort, etc.), voire des mesures de réadaptation au sens de la loi (arrêt 9C_92/2016 du 29 juin 2016 consid. 5.1 et les références). Selon la jurisprudence, l’âge de la personne assurée constitue de manière générale un facteur étranger à l’invalidité qui n’entre pas en considération pour l’octroi de prestations. S’il est vrai que ce facteur – comme celui du manque de formation ou les difficultés linguistiques – joue un rôle non négligeable pour déterminer dans un cas concret les activités que l’on peut encore raisonnablement exiger d’un assuré, il ne constitue pas, en règle générale, une circonstance supplémentaire qui, mis à part le caractère raisonnablement exigible d’une activité, est susceptible d’influencer l’étendue de l’invalidité, même s’il rend parfois difficile, voire impossible la recherche d’une place et, partant, l’utilisation de la capacité de travail résiduelle (arrêt 9C_899/2015 du 4 mars 2016 consid. 4.3.1).

La jurisprudence considère qu’il existe cependant des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cela ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis dans une procédure de révision ou de reconsidération; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, l’office de l’assurance-invalidité doit vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel, même si ce dernier a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste (arrêt 9C_517/2016 du 7 mars 2017 consid. 5.2 et les références). Dans l’ATF 145 V 209, le Tribunal fédéral a précisé qu’en cas de réduction ou de suppression de la rente d’invalidité d’un assuré âgé de plus de 55 ans, il y a lieu, en principe, de mettre en œuvre des mesures de réadaptation également lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente.

Au moment où la question de la mise en valeur de sa capacité de travail devait être examinée (à ce sujet, voir ATF 138 V 457 consid. 3.3), l’assurée, née en janvier 1956, se trouvait à moins d’une année de l’âge ouvrant le droit, pour les femmes, à une rente de vieillesse de l’AVS (art. 21 al. 1 let. b LAVS). Elle appartenait donc à la catégorie d’assurés dont il convient de présumer en raison de leur âge qu’ils ne peuvent en principe pas entreprendre de leur propre chef tout ce que l’on peut raisonnablement attendre d’eux pour tirer profit de leur capacité de travail établie sur un plan médico-théorique. Les médecin experts ont de plus retenu qu’elle présentait notamment une agoraphobie avec trouble panique, des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool (avec des signes d’imprégnation éthylique chronique), un syndrome de dépendance, un état général médiocre, un ballonnement abdominal avec réseau veineux suggérant une ascite et une trophicité musculaire globalement médiocre, sans amyotrophie focalisée. Ils ont conclu que si l’assurée avait recouvert une pleine capacité de travail dans son activité habituelle, elle ne pouvait en revanche pas se confronter seule au marché de l’emploi.

Aussi, à l’inverse de ce que soutient la juridiction cantonale, il n’est pas concevable que l’assurée puisse, compte tenu de sa fragilité psychique et de son âge, reprendre seule et du jour au lendemain son activité habituelle auprès d’un autre employeur que celui pour lequel elle a travaillé pendant plus de 30 ans. Dans sa prise de position, le médecin du SMR a d’ailleurs suivi les conclusions des experts et conseillé la mise en place d’une aide au placement (au sens de l’art. 8 al. 3 let. c LAI). On peut douter qu’une telle mesure soit suffisante. Quoi qu’il en soit, il convient de constater que les organes de l’assurance-invalidité se sont écartés des recommandations médicales et n’ont pas pris en considération des mesures d’ordre professionnel, y compris une aide au placement. En relevant que l’assurée est titulaire d’un CFC d’employée de commerce (depuis 1975) et d’un certificat d’assistante en gestion de personnel (depuis 2010), la juridiction cantonale ne fait enfin pas état de circonstances qui permettraient de renoncer à la mise en place de mesures d’ordre professionnel. Les ressources professionnelles et la faculté d’adaptation à de nouvelles exigences mises en avant par la juridiction cantonale reposent en effet sur des faits antérieurs à la décompensation psychique de l’assurée de 2016 et ne permettent pas de remettre en cause les conclusions de l’expertise, soit que l’assurée ne pouvait pas se confronter seule au marché de l’emploi.

Ensuite des éléments qui précèdent, il conviendrait en principe de renvoyer la cause à l’office AI pour qu’il examine puis mette en œuvre les mesures nécessaires de réintégration sur le marché du travail. Ce ne serait là, toutefois, qu’une vaine formalité, qui retarderait la liquidation de l’affaire, car l’assurée peut prétendre aujourd’hui déjà une rente de vieillesse de l’AVS. Il convient dès lors d’admettre que l’assurée n’était pas en mesure de mettre en valeur sa capacité de travail sur le marché du travail, en dépit de l’amélioration de son état de santé attestée sur un plan médico-théorique. Elle a dès lors droit au maintien de sa rente entière de l’assurance-invalidité au-delà du 31.12.2018 jusqu’au 31.01.2020 (date à partir de laquelle elle a pu prétendre une rente de vieillesse de l’AVS; art. 30 LAI en relation avec l’art. 21 al. 1 let. b et al. 2 LAVS).

 

Le TF admet le recours de l’assurée et réforme le jugement cantonal en ce sens que l’assurée a droit à une rente entière du 01.01.2018 au 31.01.2020.

 

 

Arrêt 9C_663/2020 consultable ici

 

 

ATF 148 V 174 – 8C_256/2021 (d) du 09.03.2022 – Détermination du revenu d’invalide – Méthode générale de comparaison des revenus – 28 LAI (dans sa version valable jusqu’au 31.12.2021) – 16 LPGA / Examen de l’opportunité du changement de jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_256/2021 (d) du 09.03.2022, publié aux ATF 148 V 174

 

Arrêt 8C_256/2021 consultable ici

ATF 148 V 174 consultable ici 

 

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Interdiction des véritables nova / 99 LTF

Détermination du revenu d’invalide – Méthode générale de comparaison des revenus / 28 LAI (dans sa version valable jusqu’au 31.12.2021) – 16 LPGA

Examen de l’opportunité du changement de jurisprudence

 

Assuré, né en 1964, a déposé une première demande AI le 11.12.2001, en raison d’une luxation de l’épaule droite. L’office AI a octroyé à l’assuré une rente entière limitée dans le temps, du 01.11.2002 au 31.10.2003. La décision de l’AI a été confirmée par le tribunal cantonal par jugement du 22.12.2010.

Le 25.06.2012, l’assuré a déposé une nouvelle demande AI. L’office AI a procédé aux investigations usuelles ainsi qu’à la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire et d’une expertise de médecine du trafic. Par décision du 08.04.2014, l’office AI a octroyé à l’assuré un quart de rente d’invalidité à compter du 01.12.2012. Par communication du 24.04.2014, l’office AI a invalidé la décision du 08.04.2014, qui n’était pas encore entrée en force, en se fondant sur l’évaluation de la médecine du trafic. Par décision du 05.05.2014, l’office AI a réclamé la restitution des rentes déjà versées, d’un montant de 10’110 francs. Par décision du 25.06.2014, le droit à une rente d’invalidité a été nié. Tant le tribunal cantonal que le Tribunal fédéral (arrêt 8C_406/2015 du 31.08.2015) ont rejeté le recours déposé contre cette décision.

Le 17.10.2014, l’assuré a déposé une demande de mesures professionnelles auprès de l’office AI puis, le 22.02.2016, une nouvelle demande de prestations, se référant aux opérations qu’il a subies à l’épaule et à la colonne cervicale ainsi qu’aux attaques de panique et à la dépression dont il souffrait depuis 2012. Après de nouvelles investigations, dont une expertise médicale, l’office AI a octroyé à l’assuré un quart de rente d’invalidité à compter du 01.09.2018, par décision du 03.07.2020.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 16.03.2021, admission partiel du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à un quart de rente dès le 01.12.2017, une rente entière à partir du 01.03.2018, trois-quarts de rente à partir du 01.08.2018 et un quart de rente dès le 01.11.2018.

 

TF

L’assuré a recouru contre le jugement. L’office AI conclut au rejet du recours. Sur invitation du Tribunal fédéral, l’OFAS a pris position le 14.06.2021 sur les questions soulevées lors du symposium Weissenstein « Fakten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen » du 05.02.2021. Dans sa requête du 24.06.2021, l’OFSP a renoncé à prendre position. Le 30.06.2021, l’assuré s’est déterminé sur la prise de position de l’OFAS.

Par requête du 15.11.2021, l’assuré a fait parvenir la préimpression de la publication prévue dans la RSAS « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn » de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler. Sur invitation du Tribunal fédéral, l’office AI a pris position le 09.12.2021, l’OFAS le 21.12.2021 et l’OFSP le 23.12.2021. Le 14.01.2022, l’assuré a déposé une requête qualifiée de « quadruplique ».

Le Tribunal fédéral a tenu une délibération publique le 09.03.2022.

 

Interdiction des véritables nova – 99 LTF

Consid. 2.1
Le recours au Tribunal fédéral doit en principe être déposé dans un délai de 30 jours (art. 100 al. 1 LTF). Dans ce délai, il doit indiquer les motifs et être accompagné des moyens de preuve (art. 42 al. 1 LTF). Sauf exceptions (cf. art. 43 LTF), il n’est pas admissible de compléter la motivation du recours après l’expiration du délai (ATF 134 IV 156 consid. 1.6 ; arrêt 8C_467/2021 du 13 août 2021 consid. 1.1).

Consid. 2.2
Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l’autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF), ce qui doit être exposé plus en détail dans le recours. Les véritables nova, c’est-à-dire les faits et moyens de preuve survenus postérieurement au prononcé de la décision entreprise ou qui n’ont été produits qu’après celle-ci, ne sont pas admissibles devant le Tribunal fédéral (ATF 143 V 19 consid. 1.2 et les références). Ne sont pas concernés par l’interdiction des nova selon l’art. 99 al. 1 LTF les faits connus de tous et notoires pour le tribunal, comme par exemple la littérature spécialisée accessible à tous (arrêts 9C_224/2016 du 25 novembre 2016 consid. 2.1, non publié in : ATF 143 V 52, mais in : SVR 2017 KV n° 9 p. 39 ; 9C_647/2018 du 1er février 2019 consid. 2 ; Johanna Dormann, Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 3e éd. 2018, n. 43 et 53 ad art. 99 LTF).

Consid. 2.3
La requête de l’assuré du 15.11.2021, déposée spontanément plus de quatre mois après la réplique, constitue dans une large mesure un complément inadmissible au mémoire de recours et, à cet égard, ne doit en principe pas être prise en considération. L’objectif principal de cette requête était la remise de l’article « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn » de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr phil Schwegler, publié entre-temps dans la RSAS 2021 p. 287 ss. Il s’agit là d’une littérature spécialisée accessible à tous, qui n’est pas concernée par l’interdiction des nova. On peut toutefois se demander si cela s’applique également aux nouveaux tableaux Niveau de compétence (NC [KN en allemand]) 1 « light » (annexes 3a et 3b) et NC 1 « light-moderate » (annexes 4a et 4b) présentés en annexe, sur lesquels se base l’article. Il n’est toutefois pas nécessaire de répondre de manière définitive à la question de savoir ce qu’il en est, comme le montrent les considérants ci-après. Les arguments de l’assuré dans sa requête qualifiée de « quadruplique » ne peuvent pas non plus être pris en considération, dans la mesure où ils constituent également un complément inadmissible au mémoire exposant les motifs du recours.

 

Méthode générale de comparaison des revenus

Consid. 4.1
Le 01.01.2022, la loi fédérale révisée sur l’assurance-invalidité (LAI) est entrée en vigueur (Développement continu de l’AI [DCAI] ; modification du 19.06.2020, RO 2021 705, FF 2017 2535). La décision sur laquelle se fonde l’arrêt ici attaqué a été rendue avant le 01.01.2022. Conformément aux principes généraux du droit intertemporel et des faits déterminants dans le temps (cf. notamment ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; 129 V 354 consid. 1 et les références), les dispositions de la LAI et celles du règlement sur l’assurance-invalidité (RAI) sont donc applicables dans la version qui était en vigueur jusqu’au 31.12.2021.

Consid. 4.2
Le tribunal cantonal a exposé à juste titre les dispositions déterminantes pour l’évaluation du droit à la rente en l’espèce (art. 28 LAI dans sa version valable jusqu’au 31.12.2021), notamment celles relatives à l’incapacité de gain (art. 7 LPGA), à l’invalidité (art. 8 al. 1 LPGA en relation avec l’art. 4 al. 1 LAI) ainsi qu’à la détermination du taux d’invalidité selon la méthode générale de comparaison des revenus (art. 16 LPGA). Les explications relatives aux règles de révision applicables par analogie lors de la nouvelle demande (art. 17 al. 1 LPGA ; ATF 141 V 585 consid. 5.3 in fine et les références) sont également correctes. Il y est renvoyé.

Consid. 5.1
En ce qui concerne le moment du début de la rente, l’instance précédente a tout d’abord expliqué qu’en raison de l’incapacité de travail de 20% à prendre en compte depuis le 05.02.2015, le délai d’attente était considéré comme ouvert à cette date ; il a été rempli le 18.12.2017. Etant donné qu’au plus tôt du droit possible de la rente, l’incapacité de travail n’était que de 40% en moyenne, l’assuré avait droit à un quart de rente à partir du 01.12.2017, qui devait être augmenté à une rente entière au 01.03.2018 en application de l’art. 88a al. 2 RAI.

Pour déterminer le degré d’invalidité sur la base d’une comparaison des revenus, le tribunal cantonal s’est ensuite basé, en ce qui concerne le revenu d’invalide, sur les données issues de l’ESS 2018 publiée par l’OFS. Il a pris en compte la valeur centrale du tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé, total, hommes, niveau de compétence 1 de 5417 francs et a calculé – en l’adaptant au temps de travail hebdomadaire usuel de 41,7 heures et en le calculant sur une année entière – un revenu d’invalide de 67’766.67. francs pour un taux d’occupation de 100%. En tenant compte de la perte de gain de 2% à prendre en considération sur le revenu de valide ainsi que de l’abattement 10% accordée par l’office AI pour les limitations, l’instance précédente a calculé un revenu d’invalide de 23’908.09 francs pour un taux d’occupation de 40% et de 35’862.12 francs pour un taux d’occupation de 60%. Elle a constaté que les résultats des expertises mandatées par Coop Protection Juridique SA sur la question de l’accès équitable aux prestations d’invalidité, présentés lors du symposium Weissenstein du 05.02.2021 et invoqués par l’assuré, ne permettaient pas de calculer le revenu d’invalide selon un autre mode. L’application concrètement demandée du quartile le plus bas [Q1] au lieu du salaire médian comme valeur de référence n’entre pas en ligne de compte en raison de la jurisprudence claire du Tribunal fédéral. S’agissant de l’abattement, la jurisprudence prévoit explicitement une déduction au maximum de 25% sur la valeur médiane en raison de l’atteinte à la santé. L’office AI a suffisamment tenu compte des caractéristiques correspondantes en appliquant une déduction de 10%. Sur la base de la comparaison entre le revenu sans invalidité et le revenu d’invalide, le tribunal cantonal a constaté une perte de gain de 44’350.60 francs ou un taux d’invalidité de 65% en chiffres arrondis à partir du 01.05.2018 et une perte de gain de 32’396.57 francs ou un taux d’invalidité de 47% en chiffres arrondis à partir du 01.08.2018, ce qui a conduit, en application de l’art. 88a al. 2 RAI, à l’octroi de la rente (avec augmentation et diminution).

Consid. 5.2
L’assuré se plaint d’une violation du droit dans la détermination du revenu d’invalide. Dans son recours, il se réfère à nouveau aux résultats de l’enquête présentés lors du symposium Weissenstein du 05.02.2021 et fait valoir que les recherches les plus récentes prouvent que l’application de la valeur médiane de l’ESS pour déterminer le revenu d’invalide rend impossible un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité. La pratique judiciaire en la matière est discriminatoire, car les personnes handicapées sont systématiquement désavantagées, ce qui viole les art. 6, 8 et 14 CEDH ainsi que l’art. 8 Cst. Dans le cas concret, les conséquences du handicap sur le revenu d’invalide ne sont pas prises en compte avec un abattement de 10%. Si le calcul de ce revenu était conforme au droit, il faudrait – en plus de la déduction pour les causes physiques – partir du quartile inférieur Q1 du tableau 9 ou 10 de l’ESS 2016, hommes, niveau de compétence 1, colonne 9/travailleurs auxiliaires. Cela donnerait – indexé pour 2018 et adapté au temps de travail hebdomadaire habituel de l’entreprise de 41,7 heures – un revenu annuel de 59’196 francs pour un taux d’occupation de 100%, de 20’884.35 francs pour un taux d’occupation de 40% et de 31’327.52 francs pour un taux d’occupation de 60%. En comparaison avec le revenu sans invalidité, il en résulte à partir du 01.05.2018 une perte de gain de 47’377.34 francs, soit un taux d’invalidité de 69,4%, et à partir du 01.08. 2018 une perte de gain de 36’931.69 francs, soit un taux d’invalidité arrondi à 54%, ce qui sert de base aux prestations de rente demandées.

Dans une autre requête, l’assuré indique ensuite que les nouveaux tableaux KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » figurant en annexe de la contribution de la RSAS « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn » confirment les conclusions scientifiques des expertises présentées lors du symposium Weissenstein et donc l’effet discriminatoire de la pratique actuelle.

 

Détermination du revenu d’invalide

Consid. 6
Dans son argumentation, l’assuré – en s’appuyant sur les résultats d’analyse des expertises commandées par Coop Protection Juridique SA présentés lors du symposium Weissenstein du 05.02.2021 ainsi que, en complément, sur les nouveaux tableaux KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » mentionnés – fait valoir en premier lieu et pour l’essentiel que la jurisprudence actuelle relative à la détermination du revenu d’invalide viole le droit et est discriminatoire. Il reste à examiner ci-après s’il y a lieu de modifier cette jurisprudence.

Pour une meilleure compréhension, nous présentons tout d’abord les bases juridiques déterminantes dans le cas présent pour la détermination du degré d’invalidité ainsi que la jurisprudence actuelle relative à la détermination du revenu d’invalide :

Consid. 6.1
Conformément à l’art. 16 LPGA, pour déterminer le degré d’invalidité, on met en relation le revenu de l’activité lucrative que l’assuré aurait pu obtenir, après la survenance de l’invalidité et après avoir suivi le traitement médical et d’éventuelles mesures de réadaptation, en exerçant une activité pouvant raisonnablement être exigée de lui sur le marché équilibré du travail (revenu d’invalide) avec le revenu de l’activité lucrative qu’il aurait pu obtenir s’il n’était pas devenu invalide (revenu sans invalidité).

Consid. 6.2
Conformément à la jurisprudence actuelle, la détermination du revenu d’invalide contestée en l’espèce doit se fonder en premier lieu sur la situation professionnelle et lucrative dans laquelle se trouve concrètement la personne assurée. Si, après la survenance de l’invalidité, elle exerce une activité lucrative dans le cadre de laquelle – de manière cumulative – les rapports de travail particulièrement stables et que l’on peut supposer qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible, et si, en outre, le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, le salaire effectivement réalisé est en principe considéré comme le revenu d’invalide.

En l’absence d’un tel revenu, notamment parce que la personne assurée n’a pas repris d’activité lucrative après la survenance de l’atteinte à la santé ou, en tout cas, n’a pas repris d’activité lucrative raisonnablement exigible de sa part, il est possible, selon la jurisprudence, de se référer aux salaires figurant dans les tables de l’ESS (ATF 143 V 295 consid. 2.2 ; 135 V 297 consid. 5.2). En règle générale, c’est la ligne Total qui est appliquée (consid. 5.1 de l’arrêt 9C_237/2007 du 24 août 2007, non publié dans l’ATF 133 V 545 ; arrêt 9C_206/2021 du 10 juin 2021 consid. 4.4.2). Selon la pratique, la comparaison des revenus effectuée sur la base de l’ESS doit ensuite se baser sur le groupe de tableaux A (salaires bruts standardisés) (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa), en se référant habituellement au tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé (ATF 126 V 75 consid. 7a ; arrêts 8C_124/2021 du 2 août 2021 consid. 4.4.1 et 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1).

Ce principe n’est toutefois pas absolu et connaît des exceptions. Conformément à la jurisprudence, il peut tout à fait se justifier de se baser sur le tableau TA7, resp. T17 (à partir de 2012), si cela permet de déterminer plus précisément le revenu d’invalide et si le secteur public est également ouvert à la personne assurée (cf. arrêts 8C_124/2021 du 2 août 2021 consid. 4.4.1 et 8C_111/2021 du 30 avril 2021 consid. 4.2.1 et les références).

Lors de l’utilisation des salaires bruts standardisés, il convient, selon la jurisprudence, de partir à chaque fois de la valeur dite centrale (médiane) (ATF 126 V 75 consid. 3b/bb ; arrêt 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1).

Consid. 6.3
Si le revenu d’invalide est déterminé sur la base de données statistiques sur les salaires, comme notamment l’ESS, la valeur de départ ainsi relevée doit, selon la jurisprudence actuelle, être éventuellement réduite. Il s’agit ainsi de tenir compte du fait que des caractéristiques personnelles et professionnelles telles que le type et l’ampleur du handicap, l’âge, les années de service, la nationalité ou la catégorie de séjour et le taux d’occupation peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire (ATF 142 V 178 consid. 1.3 ; 124 V 321 consid. 3b/aa) et que, selon les circonstances, la personne assurée ne peut exploiter la capacité de travail restante qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne, même sur un marché du travail équilibré (ATF 135 V 297 consid. 5.2 ; 126 V 75 consid. 5b/aa i.f.). L’abattement ne doit toutefois pas être automatique. Il doit être estimé globalement, en tenant compte des circonstances du cas d’espèce, dans les limites du pouvoir d’appréciation, et ne doit pas dépasser 25% (ATF 135 V 297 consid. 5.2 ; 134 V 322 consid. 5.2 ; 126 V 75 consid. 5b/bb-cc). La jurisprudence actuelle accorde notamment un abattement sur le revenu d’invalide lorsqu’une personne assurée est limitée dans ses capacités, même dans le cadre d’une activité non qualifiée physiquement légère. D’éventuelles limitations liées à la santé déjà comprises dans l’évaluation médicale de la capacité de travail ne doivent pas être prises en compte une seconde fois dans l’appréciation de l’abattement, conduisant sinon à une double prise en compte du même facteur (sur l’ensemble : ATF 146 V 16 consid. 4.1 s. et les références).

Consid. 6.4
Enfin, la jurisprudence actuelle tient également compte, lors de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA, du fait qu’une personne assurée percevait un revenu nettement inférieur à la moyenne dans l’activité qu’elle exerçait lorsqu’elle était en bonne santé, et ce pour des raisons étrangères à l’invalidité (p. ex. faible niveau de formation scolaire, absence de formation professionnelle, connaissances insuffisantes de l’allemand, possibilités d’embauche limitées en raison du statut de saisonnier), pour autant qu’il n’existe aucun indice permettant de penser qu’elle ne désirait pas s’en contenter délibérément. Cela permet de respecter le principe selon lequel les pertes de salaire dues à des facteurs étrangers à l’invalidité ne doivent pas être prises en compte, ou alors d’égale manière pour les deux revenus à comparer (ATF 141 V 1 consid. 5.4 et les références). En pratique, le parallélisme peut être effectué soit au regard du revenu sans invalidité en augmentant de manière appropriée le revenu effectivement réalisé ou en se référant aux données statistiques, soit au regard du revenu d’invalide en réduisant de manière appropriée la valeur statistique (ATF 134 V 322 consid. 4.1 et les références). Selon la jurisprudence actuelle, il ne faut toutefois intervenir que si le revenu sans invalidité est inférieur de plus de 5% par rapport au revenu médian usuel dans la branche, le parallélisme ne devant être effectué que dans la mesure où l’écart en pour cent dépasse la valeur limite de pertinence de 5% (cf. ATF 135 V 297 consid. 6.1 et les références).

Consid. 6.5
L’application correcte de l’ESS, notamment le choix du tableau ainsi que le recours au niveau déterminant (niveau de compétence ou d’exigence), est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement. En revanche, l’existence de conditions concrètement nécessaires, telles qu’une formation spécifique et d’autres qualifications, déterminante pour le choix d’un tableau donné de l’ESS, relève de l’établissement des faits. De même, l’utilisation des chiffres du tableau déterminant de l’ESS sur la base de ces éléments est une question de faits (ATF 143 V 295 consid. 2.4 et les références).

Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique, qu’il soit justifié par les limitations fonctionnelles ou par un autre motif, est une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement. En revanche, l’étendue de l’abattement (indiqué dans le cas concret) est une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2 et les références).

Consid. 6.6
Après avoir exposé les bases juridiques applicables au cas d’espèce, il convient de souligner qu’en raison du système de rentes linéaire – introduit par la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 01.01.2022 –, la détermination du degré d’invalidité au pourcentage près a désormais une grande importances, contrairement au système de l’échelonnement des rentes prévus jusqu’ici par l’art. 28 al. 2 LAI. L’art. 28a al. 1 LAI délègue désormais au Conseil fédéral la compétence de définir par voie d’ordonnance les règles et les critères de détermination du revenu avec et sans invalidité (p. ex. quand il faut se baser sur les valeurs réelles et quand il faut se baser sur les salaires statistiques ou quelle table doit être appliquée), qui reposaient jusqu’à présent en grande partie sur la jurisprudence. De même, le Conseil fédéral procède aux corrections découlant de la jurisprudence pour ces revenus (p. ex. critères à prendre en compte pour une déduction en raison du handicap et montant de la déduction correspondante). Il s’agit notamment de limiter la marge d’interprétation des offices AI et des tribunaux cantonaux, de garantir une unité de doctrine dans toute la Suisse et d’éviter autant que possible les litiges portés devant les tribunaux à propos de l’évaluation de l’invalidité (cf. message concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [Développement continu de l’AI] du 15 février 2017, FF 2017 2363, en particulier 2493 et 2549 [en allemand : FF 2017 2535, en particulier 2668 et 2725]).

 

Examen de l’opportunité du changement de jurisprudence

Consid. 7
Un changement de jurisprudence doit reposer sur des motifs sérieux et objectifs, lesquels, sous l’angle de la sécurité du droit, doivent être d’autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne. Un changement ne se justifie que lorsque la solution nouvelle procède d’une meilleure compréhension du but de la loi, repose sur des circonstances de fait modifiées, ou répond à l’évolution des conceptions juridiques (ATF 147 V 342 consid. 5.5.1 ; 146 I 105 consid. 5.2.2 ; 145 V 50 consid. 4.3.1 ; 141 II 297 consid. 5.5.1 ; 140 V 538 consid. 4.5 et les références).

Consid. 8.1
En ce qui concerne les motifs d’un changement de jurisprudence, le recours s’appuie pour l’essentiel sur l’expertise statistique « Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung » du bureau BASS du 8 janvier 2021 (auteurs : Jürg Guggisberg, Markus Schärrer, Céline Gerber et Severin Bischof ; ci-après: expertise BASS) ainsi que sur l’avis de droit « Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung » du 22 janvier 2021 (ci-après : avis de droit) et ses conclusions « Fakten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen. Schlussfolgerungen aus dem Rechtsgutachten ‘Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung’  » du 27 janvier 2021 (ci-après : conclusions de l’avis de droit), tous deux rédigés par Prof. Dr. iur. Gächter, Dr. iur. Egli, Dr. iur. Meier et Dr. iur. Filippo. Ces derniers résultats de recherche – selon l’assuré – démontrent que l’application de la valeur médiane de l’ESS rend impossible un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité et que la pratique des tribunaux place systématiquement les personnes handicapées dans une situation moins favorable et qu’elle est donc discriminatoire.

Consid. 8.1.1
Ainsi, il ressort de l’expertise BASS du 8 janvier 2021 que les personnes souffrant de problèmes durables à la santé perçoivent des salaires significativement plus bas que les personnes en bonne santé. Les salaires médians des tableaux de l’ESS reflètent largement les salaires des personnes en bonne santé. Le salaire médian des tableaux comme référence pour le revenu des invalides est fictif dans la mesure où il n’est effectivement atteint que par une minorité des personnes concernées. Enfin, des facteurs importants liés au salaire qui ne sont pas pris en compte pourraient réduire massivement les chances de certaines personnes concernées d’atteindre un salaire médian. La seule prise en compte du niveau de compétence ne suffit pas à déterminer le niveau de salaire.

Consid. 8.1.2
Les experts ayant participé à l’avis de droit du 22 janvier 2021 et aux conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 s’accordent ensuite sur dix thèses selon lesquelles la pratique judiciaire actuelle empêche un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité (rentes et mesures de réadaptation) :

« 1. La notion de « marché du travail équilibré » a été insidieusement renforcée par la pratique administrative et judiciaire pour devenir une considération largement fictive, qui ne tient plus compte des changements durables de la situation réelle du marché du travail au détriment des assurés.

  1. La question de savoir si la capacité de travail attestée par le médecin peut être utilisée sur le marché du travail (équilibré) ne peut être qu’affirmative ou négative. Les circonstances concrètes du cas d’espèce ne peuvent être prises en compte que dans le cadre d’une réglementation efficace des cas de rigueur, ce qui n’est jusqu’à présent pas suffisamment appliqué dans la pratique administrative et judiciaire.
  2. L’évaluation de la capacité de travail à partir de l’âge de 60 ans ou pour des profils de travail qui n’existent que si l’employeur fait preuve de complaisance sociale (« emplois de niche ») est éloignée de la réalité et n’est pas acceptable pour les assurés.
  3. Si l’on recourt à des données statistiques sur les salaires (ESS) pour déterminer le revenu d’invalide, ces valeurs moyennes et médianes doivent être adaptées au cas particulier. Dans la pratique administrative et judiciaire actuelle, il existe à cet effet plus d’une douzaine de caractéristiques dont il est régulièrement tenu compte par une déduction de 5 à 25% du salaire indiqué dans le tableau. La suppression (presque) totale de l’abattement sur le salaire statistique, prévue par la révision de l’AI (Développement continu de l’AI), entraînerait par conséquent un durcissement massif de la pratique en matière de rentes.
  4. La pratique administrative et judiciaire relative à l’abattement sur le salaire statistique est tentaculaire et incohérente, ce qui rend très difficile une application juridiquement équitable et sûre des caractéristiques pertinentes pour la déduction.
  5. L’exercice du pouvoir d’appréciation en matière d’abattement se heurte à des limites en raison des dispositions juridiques très vagues et n’est en outre soumis qu’à un contrôle judiciaire limité.
  6. Les données salariales de l’ESS utilisées englobent donc également un grand nombre de profils de postes inadaptés, qui ont tendance à être rémunérés plus fortement en raison de la pénibilité physique du travail, ce qui conduit à un revenu hypothétique d’invalide surestimé et donc à un degré d’AI plus faible.
  7. Les données salariales de l’ESS reposent sur les revenus de personnes en bonne santé. Or, il est possible de démontrer statistiquement que les personnes atteintes dans leur santé gagnent entre 10 et 15% de moins que les personnes en bonne santé exerçant la même activité.
  8. Le droit à des mesures professionnelles de l’AI – en premier lieu le reclassement – dépend de la perte de gain à laquelle on peut s’attendre, raison pour laquelle des salaires statistiques de l’ESS trop élevés (cf. thèses 7 et 8) se révèlent également être un obstacle au mandat de réadaptation de l’assurance-invalidité.
  9. Selon le Tribunal fédéral, l’utilisation des tables ESS existantes ne devrait être qu’une solution transitoire en raison de divers défauts. Dans le cadre du Développement continu de l’AI, ces défauts risquent d’être cimentés et renforcés à long terme, risquant de réduire encore davantage l’évaluation de l’invalidité à une fiction. »

Consid. 8.1.3
Comme solution pour un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité, les experts proposent, dans un premier temps, de se baser immédiatement sur le quartile le plus bas (salaire Q1). La deuxième étape consiste à élaborer des barèmes sur la base de profils d’exigence ou d’activités appropriées et à fixer temporairement des abattements clairs et réalistes applicables immédiatement. Dans un troisième temps, il conviendrait d’exploiter les potentiels de l’ESS (différenciations par branche économique, région, formation, âge, etc.) et d’autoriser immédiatement – c’est-à-dire dans le cadre du Développement continu de l’AI – des abattements temporaires dans les tableaux pour les facteurs susceptibles de réduire le salaire en cas de changement de poste pour des raisons de santé.

 

Consid. 8.2
L’assuré fait en outre remarquer que la Prof. em. Riemer-Kafka et al. sont parvenus à la même conclusion dans une contribution (Invalideneinkommen Tabellenlöhne, in: Jusletter vom 22. März 2021). Dans cette contribution, les auteurs sont également partis du principe que les valeurs médianes de l’ESS pour les personnes atteintes dans leur santé se situaient en dehors de la réalité et que les tables de l’ESS se concentraient sur les personnes en pleine possession de leurs moyens. Il serait nécessaire d’affiner les tables de l’ESS et d’appliquer de manière plus différenciée les abattements liés à l’état de santé aux circonstances réelles, dans le but d’obtenir une égalité de traitement lors de l’évaluation du degré d’invalidité. La pratique actuelle du Tribunal fédéral s’éloigne de cette réalité et conduit à une inégalité de traitement. Le niveau de compétences 1 comprend de nombreuses activités physiques généralement pénibles qui ne peuvent habituellement plus être exigées des assurés concernés. Les personnes atteintes dans leur santé ne sont en outre pas géographiquement mobiles, raison pour laquelle la référence à l’ESS pour l’ensemble de la Suisse sans différenciation régionale du salaire n’est pas appropriée pour ces personnes. Une possibilité d’évaluation différenciée du degré d’invalidité serait de prendre en compte les valeurs quartiles de l’ESS. Une autre solution consisterait à appliquer des barèmes en fonction de la profession ou de la formation, ou encore des barèmes conformes à l’invalidité.

 

Consid. 8.3
Enfin, dans son mémoire complémentaire du 15.11.2021, l’assuré renvoie à l’article « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn ». Il fait notamment valoir que les nouvelles tables KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » mentionnées dans l’annexe relative à l’ESS TA1_tirage_skill_level corroborent les conclusions scientifiques des expertises présentées lors du symposium Weissenstein et donc l’effet discriminatoire de la pratique actuelle. Ainsi, dans le tableau TA1, après élimination des facteurs de distorsion et des activités physiquement pénibles, on constate des salaires médians plus bas, en particulier pour les hommes. La différence de salaire ainsi calculée entre le KN 1 et le KN1 « light-moderate » est d’environ 5 %, et même de 16 % par rapport au KN1 « light ».

 

Consid. 9.1
La détermination du degré d’invalidité est réglée par l’art. 16 LPGA et donc, dans les grandes lignes, par la loi. Sur la base de cette disposition (en relation avec l’art. 7 al. 1 LPGA), le point de référence pour l’évaluation de l’invalidité dans le domaine de l’activité lucrative est le marché du travail supposé équilibré (ATF 147 V 124 consid. 6.2), contrairement au marché du travail effectif. Le fait de se référer au marché du travail équilibré selon l’art. 16 LPGA sert également à délimiter le domaine des prestations de l’assurance-invalidité de celui de l’assurance-chômage (ATF 141 V 351 consid. 5.2). Le marché du travail équilibré est une notion théorique et abstraite. Elle ne tient pas compte de la situation concrète du marché du travail, englobe également, en période de difficultés économiques, des offres d’emploi effectivement inexistantes et fait abstraction de l’absence ou de la diminution des chances des personnes atteintes dans leur santé de trouver effectivement un emploi convenable et acceptable. Il englobe d’une part un certain équilibre entre l’offre et la demande d’emploi ; d’autre part, il désigne un marché du travail qui, de par sa structure, laisse ouvert un éventail de postes différents (ATF 134 V 64 consid. 4.2.1 avec référence ; 110 V 273 consid. 4b ; cf. arrêt 8C_131/2019 du 26 juin 2019 consid. 4.2.2). Le marché du travail équilibré comprend également les emplois dits de niche, c’est-à-dire les offres d’emploi et de travail pour lesquelles les personnes handicapées peuvent compter sur une certaine obligeance de la part de l’employeur. On ne peut toutefois pas parler d’opportunité de travail lorsque l’activité raisonnablement exigible n’est possible que sous une forme si limitée qu’elle est pratiquement inconnue sur le marché équilibré du travail ou qu’elle n’est possible qu’avec la complaisance irréaliste d’un employeur moyen et que la recherche d’un emploi correspondant semble donc d’emblée exclue (SVR 2021 IV n° 26 p. 80, 8C_416/2020 E. 4 ; cf. Christoph Frey/Nathalie Lang, in : Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, N. 72 ad art. 16 LPGA).

Avec le concept d’un marché du travail équilibré, le législateur part donc du principe que même les personnes atteintes dans leur santé ont accès à un emploi correspondant à leurs capacités (restantes). Même si l’éventail des offres d’emploi et de travail s’est modifié au cours des dernières décennies, notamment en raison de la désindustrialisation et des mutations structurelles, il n’est pas permis de s’écarter du concept de marché du travail équilibré prescrit par la loi en se référant à des possibilités d’emploi ou à des conditions concrètes du marché du travail. Dans cette mesure, la critique des experts mentionnée au considérant 8.1.2 (thèse 1), selon laquelle la notion de marché du travail équilibré a été insidieusement renforcée par la pratique administrative et judiciaire pour devenir une considération largement fictive, ne peut pas constituer un motif de modification de la jurisprudence.

 

Consid. 9.2
Jusqu’à présent, la détermination des revenus de l’activité lucrative sur lesquels se fonde la comparaison des revenus prévue à l’art. 16 LPGA (revenus sans invalidité et d’invalide) n’était pas réglée par la loi. La jurisprudence exposée aux considérants 6.2 à 6.5 s’est formée et développée au fil des ans.

Consid. 9.2.1
Conformément à la jurisprudence actuelle, on se base en premier lieu sur la situation professionnelle concrète, en ce sens que la détermination du revenu sans invalidité se fonde sur le gain réalisé dans l’activité exercée jusqu’alors et que celle du revenu d’invalide se base sur la situation professionnelle et lucrative dans laquelle se trouve la personne assurée après la survenance de l’invalidité.

S’il n’est pas possible de déterminer le revenu sans invalidité et/ou d’invalide selon les circonstances du cas d’espèce, on se base subsidiairement sur les statistiques salariales, en règle générale sur les salaires des tables de l’ESS. Dans ce sens, l’utilisation des ESS dans le cadre de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA est, selon une jurisprudence constante, l’ultima ratio (cf. ATF 142 V 178 consid. 2.5.7 et les références) et n’est en principe pas contestée. Les ESS reposent sur une enquête menée tous les deux ans auprès des entreprises en Suisse ; elles s’appuient donc sur des données complètes et concrètes du marché effectif du travail et reflètent l’ensemble des salaires en Suisse.

Lorsque le Tribunal fédéral utilise les salaires bruts standardisés de l’ESS, il se base sur la valeur dite centrale (médiane), ce qui signifie qu’une moitié des salariés gagne moins et l’autre moitié gagne plus. En règle générale, le salaire médian est inférieur à la moyenne arithmétique (« salaire moyen ») dans la répartition des salaires (revenus) et, en comparaison, il est relativement peu sensible [statistiquement parlant] à la prise en compte de valeurs extrêmes (salaires très bas ou très élevés) (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa et la référence ; arrêt 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1). Ce revenu médian peut donc en principe servir de valeur de référence pour déterminer le revenu d’invalide sur un marché du travail équilibré, en partant du principe que les personnes atteintes dans leur santé ont également accès à un emploi correspondant à leurs capacités (restantes).

Consid. 9.2.2
Afin de tenir compte du fait qu’une personne atteinte dans sa santé ne peut, dans certaines circonstances, mettre à profit sa capacité de travail résiduelle qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne, même sur un marché du travail équilibré, la jurisprudence actuelle accorde, lors de la détermination du revenu d’invalide basé sur les données statistiques, la possibilité d’un abattement allant jusqu’à 25%. Cette déduction permet de tenir compte des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier qui justifient une réduction du salaire médian.

L’abattement revêt une importance primordiale en tant qu’instrument de correction lors de la fixation d’un revenu d’invalide aussi concret que possible – ce que reconnaissent également les experts dans l’avis de droit du 22 janvier 2021 (p. 181, n. 687) et dans les conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 (p. 33, n. 93). Le Tribunal fédéral est et a toujours été conscient du fait que l’ESS recense des revenus effectivement réalisés par des personnes le plus souvent non handicapées (ATF 139 V 592 consid. 7.4).

L’expertise BASS n’apporte donc rien de nouveau en ce qui concerne la constatation que l’ESS contient principalement des revenus de personnes en bonne santé. Il met toutefois en évidence les dimensions quantitatives de l’écart des salaires des personnes atteintes dans leur santé et favorise la prise en compte du quartile inférieur Q1 plutôt que de la valeur centrale ou médiane. Jusqu’à présent, le Tribunal fédéral a explicitement refusé – en se référant à la possibilité d’un abattement en raison du handicap – de se baser sur le quartile inférieur Q1 de la valeur statistique au lieu du salaire médian ESS tant pour compenser les pertes liées au handicap que pour tenir compte des différences salariales régionales (arrêt 8C_190/2019 du 12 février 2020 consid. 4.1 et les références).

Outre l’abattement sur le salaire statistique, le parallélisme, en tant qu’autre instrument de correction, poursuit également le but de tenir compte du cas particulier lors de la comparaison des revenus par rapport à une considération standardisée. Dans la mesure où l’assuré fait valoir, en se référant à la critique des experts mentionnée au consid. 8.1.2 ci-dessus (thèses 5 et 6), que la pratique des tribunaux, notamment en matière d’abattement, est excessive et incohérente, il convient d’objecter que le taux de l’abattement indiqué dans le cas concret constitue une question d’appréciation et ne peut être corrigé en dernière instance qu’en cas d’excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou en abusant de celui-ci (cf. consid. 6.5 ci-dessus).

Dans la mesure où la jurisprudence du Tribunal fédéral ne permet pas de déduire quelle déduction est appropriée pour quelles caractéristiques dans un cas concret, elle démontre simplement – mais toujours – si une certaine déduction constitue ou non une erreur de droit dans l’exercice du pouvoir d’appréciation.

Consid. 9.2.3
En résumé, pour déterminer le degré d’invalidité de la manière la plus réaliste possible au moyen d’une comparaison des revenus au sens de l’art. 16 LPGA, la jurisprudence actuelle s’oriente subsidiairement, en l’absence de données salariales concrètes, sur les valeurs centrales ou médianes de l’ESS, qui reflètent un marché du travail équilibré. Les possibilités de déduction sur le salaire statistique et de parallélisation constituent des instruments de correction pour une prise en compte adaptée au cas individuel par rapport à une prise en compte standardisée.

La question de savoir dans quelle mesure la détermination du revenu d’invalide sur la base des valeurs médianes de l’ESS, éventuellement corrigées par un abattement lié au handicap et/ou une parallélisation, serait discriminatoire, n’a pas été soulevée de manière étayée dans le recours et n’apparaît pas clairement au regard des arguments avancés par l’assuré. Il ne ressort pas non plus de l’expertise BASS du 8 janvier 2021, ni de l’expertise juridique du 22 janvier 2021, ni des conclusions de l’expertise juridique du 27 janvier 2021, que le fait de partir de la valeur médiane, éventuellement corrigée par un abattement lié au handicap et/ou une parallélisation, serait discriminatoire. Au contraire, les experts dans l’avis de droit et dans les conclusions de l’avis de droit soulignent eux-mêmes l’importance primordiale de l’abattement en tant qu’instrument de correction pour la fixation d’un revenu d’invalide aussi correct que possible. A cet égard, il convient de relever que, d’une part, le salaire médian est en partie atteint par des personnes atteintes dans leur santé et que, d’autre part, les instruments de correction actuels, notamment la possibilité de réduire jusqu’à 25% la valeur médiane, permettent de déterminer un revenu d’invalide inférieur au quartile inférieur Q1.

Il n’y a donc pas de motifs sérieux et objectifs pour modifier la jurisprudence relative au revenu d’invalide déterminé sur la base de données statistiques. On ne peut notamment pas partir du principe que le fait de se baser sur le quartile inférieur Q1 au lieu de la valeur médiane correspond à une meilleure compréhension du but de la loi, à une modification des circonstances de fait ou à l’évolution des conceptions juridiques, comme cela serait nécessaire pour un changement de jurisprudence.

Ce constat est illustré par l’assurance-accidents, dans laquelle le degré d’invalidité est également déterminé selon l’art. 16 LPGA. Le Tribunal fédéral part du principe de l’uniformité de la notion d’invalidité (ATF 133 V 549 consid. 6.1 ; cf. Christoph Frey/Nathalie Lang, op. cit., n. 2, 5 et 79 concernant l’art. 16 LPGA). Se baser sur le quartile inférieur Q1 plutôt que sur la valeur médiane pour déterminer le revenu d’invalide d’un assuré victime d’un accident qui ne peut plus exercer son activité habituelle aurait pour conséquence l’attribution fréquente d’une rente d’invalidité de l’assurance-accidents – étant donné qu’un degré d’invalidité de 10% est déjà déterminant pour l’octroi d’une rente (art. 18 al. 1 LAA). Dans ce contexte, on est surpris que l’OFSP ait renoncé à prendre position sur le recours [Vernehmlassung], faute d’être concerné.

 

Consid. 9.2.4
Enfin, même si les nouveaux tableaux KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » relatifs à l’ESS TA1_tirage_skill_level, mentionnés dans l’annexe de la revue RSAS précitée, n’étaient pas qualifiés de véritables nova (cf. consid. 2.2 et 2.3 ci-dessus), ils ne constituent pas non plus un motif sérieux et objectif pour modifier la jurisprudence relative au revenu d’invalide déterminé sur la base de données statistiques. On peut se référer dans une large mesure au considérant précédent. Dans son mémoire complémentaire, l’assuré ne démontre pas non plus en quoi le calcul du revenu d’invalide sur la base des valeurs médianes du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS, éventuellement corrigées par un abattement lié au handicap et/ou une parallélisation, serait discriminatoire. Se contenter de renvoyer à de nouveaux tableaux avec des valeurs médianes corrigées ne suffit pas à cet effet, d’autant plus que les écarts allégués de 5% pour le tableau KN 1 « light-moderate » et de 16 % pour le KN 1 « light » peuvent être pris en compte avec les instruments de correction actuels, notamment avec la possibilité d’une déduction de la valeur médiane pouvant atteindre 25%.

En outre, le salaire médian selon le tableau TA1_tirage_skill_level est également atteint par des personnes atteintes dans leur santé – comme mentionné ci-dessus – et n’est pas une valeur fantaisiste. Les auteurs de la contribution parlent, à propos des deux nouveaux tableaux, d’un instrument développé sur une base scientifique et interdisciplinaire qui devrait contribuer à la discussion sur le développement de salaires comparatifs plus conformes à l’invalidité, qui pourrait peut-être même convaincre les instances chargées d’appliquer le droit et qui pourrait être utilisé dans la pratique dans l’intérêt d’une plus grande justice et d’un traitement équitable (RSAS 2021 p. 295).

Dans leurs prises de position, l’OFAS et l’OFSP indiquent que le Conseil fédéral a reconnu la nécessité d’agir dans ce sens et qu’il a chargé l’OFAS, dans le cadre du Développement continu de l’AI, d’examiner s’il était possible de développer des bases de calcul spécifiquement adaptées à l’assurance-invalidité. Dans le cadre de cet examen, l’OFAS tiendra bien entendu compte de l’analyse du bureau BASS, de l’avis de droit du Prof. Dr. iur. Gächter et al. ainsi que de l’étude de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler. Selon l’OFAS, il convient de noter que les corrections proposées, notamment pour la dernière étude mentionnée, se concentrent sur les personnes assurées souffrant de troubles physiques. L’accent des nouvelles bases de calcul pour les salaires statistiques est donc mis sur l’élimination des activités qui représentent une (lourde) charge physique. Il convient toutefois de noter que, dans l’assurance-invalidité, près de la moitié des bénéficiaires de rentes souffrent de troubles psychiques à l’origine de leur incapacité de gain et que les travaux physiques pénibles demeurent en soi exigibles pour ces assurés. Selon l’OFAS, il conviendra donc d’examiner entre autres comment la solution proposée se répercutera sur l’ensemble des assurés, également sous l’angle de l’égalité de traitement, si elle est compatible avec le concept d’un marché du travail équilibré, comment elle devrait être coordonnée avec les instruments de correction actuels et, enfin, si et comment elle s’intègre dans la structure de l’évaluation de l’invalidité selon le Développement continu de l’AI. Pour ce faire, il faudrait analyser et développer d’éventuels nouveaux tableaux en tenant compte du cadre légal, des conséquences financières et des répercussions sur les autres assurances sociales.

En l’état actuel des choses, on ne peut donc pas partir du principe que le fait de se baser sur les valeurs médianes corrigées des nouveaux tableaux au lieu de la valeur médiane actuelle du tableau TA1_tirage_skill_level correspond à une meilleure compréhension du but de la loi, à une modification des circonstances de fait ou à l’évolution des conceptions juridiques.

Consid. 9.2.5
En résumé, à l’aune de ce qui précède, les conditions d’une modification de la jurisprudence ne sont pas remplies. On ne peut toutefois pas en déduire que la jurisprudence ne peut pas évoluer – notamment sous une situation juridique révisée – puisque le Tribunal fédéral a déjà constaté que des démarches étaient en cours en vue d’un setting plus précis concernant l’utilisation de l’ESS dans l’assurance-invalidité (ATF 142 V 178 consid. 2.5.8.1). Dans ce sens, l’examen de tableaux plus différenciés pour déterminer notamment le revenu d’invalide sur la base de valeurs statistiques constitue un pas dans la bonne direction. Il convient de saluer le fait que, comme le mentionne l’OFAS, les relevés et les analyses de l’expertise BASS du 8 janvier 2021, de l’avis de droit du 22 janvier 2021, des conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 ainsi que de la contribution de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler publiée dans la RSAS doivent dans ce cadre être pris en considération.

 

Consid. 9.3
Enfin, une modification de la jurisprudence n’est pas non plus opportune compte tenu de la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 01.01.2022. Même si la situation juridique concernant la détermination du revenu d’invalide des personnes atteintes dans leur santé peut ne pas être satisfaisante en tous points, il convient de constater que la critique fondamentale formulée dans l’avis de droit du 22 janvier 2021 et dans les conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 est essentiellement dirigée contre certaines parties de la révision de l’AI (Développement continu de l’AI). Les enquêtes et analyses correspondantes seront intégrées – tout comme celles contenues dans la contribution de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler – dans l’examen du développement de bases de calcul spécifiquement adaptées à l’assurance-invalidité qui doit être effectué dans le cadre du Développement continu de l’AI (cf. consid. 9.2.4 ci-dessus).

Il n’est pas possible dans le cadre de la présente procédure de se pencher plus en détail sur la révision entrée en vigueur le 01.01.2022, étant donné que le présent cas doit être tranché selon l’ancien droit. Dans la mesure où la critique porte sur la jurisprudence actuelle, il n’est pas indiqué de la modifier, notamment au vu de la durée d’application limitée par la révision entrée en vigueur entre-temps.

 

Consid. 10 [non publié aux ATF 148 V 174]
Les conditions d’un changement de jurisprudence n’étant pas remplies, il reste à examiner si l’instance cantonale a violé le droit fédéral en déterminant le revenu d’invalide de l’assuré.

Consid. 10.1 [non publié aux ATF 148 V 174]
Le fait de se référer à l’ESS n’est pas contesté. Dans la mesure où l’assuré fait valoir un revenu d’invalide en tant que travailleur non-qualifié, niveau de compétence 1, quartile inférieur Q1 selon le tableau 9 ou 10 de l’ESS, il ne soulève pas de griefs concrets à l’encontre du tableau TA1_tirage_skill_level utilisé par l’instance cantonale, mais à l’encontre de l’utilisation de la valeur médiane qui y est indiquée. Le fait de se référer au tableau TA1_tirage_skill_level, à la ligne « Total » et à la valeur centrale (médiane) correspond toutefois à la jurisprudence. Selon les considérations ci-dessus, il n’y a aucune raison de s’en écarter et de se baser sur le quartile inférieur Q1.

Consid. 10.2 [non publié aux ATF 148 V 174]
L’assuré fait valoir que l’abattement de 10% ne tient pas suffisamment compte des conséquences du handicap sur le revenu d’invalide ; en plus de la déduction, il faudrait se baser sur le quartile inférieur Q1. Il ressort du consid. 10.1 ci-dessus qu’il ne faut pas se baser sur le quartile Q1. L’étendue de l’abattement (indiqué dans le cas concret) est une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (cf. consid. 6.5 ci-dessus).

Le tribunal cantonal a confirmé l’abattement de 10% retenu par l’office AI en raison des limitations fonctionnelles. Il a expliqué que la limitation du port de charges avec la main droite dominante, l’interdiction de monter sur des échelles et des échafaudages ainsi que d’utiliser des machines dangereuses, la recommandation d’éviter les contacts sociaux continus et le fait que le port de charges très légères devait être alterné avaient déjà été pris en compte lors de la description de l’activité encore exigible et n’imposaient pas de limitations supplémentaires dans le cadre d’une activité adaptée.

Sa structure simple et son QI de 61 ont été pris en compte dans l’évaluation neuropsychologique et ont conduit, dans l’évaluation globale de l’incapacité de travail, à une prise en compte partiellement cumulative des différentes limitations dans les différentes disciplines médicales, raison pour laquelle une prise en compte supplémentaire est également exclue ici.

La présence maximale de cinq à huit heures ne change en rien le rendement de 40 ou 60% pour un taux d’occupation de 100%, raison pour laquelle l’office AI n’a, à juste titre, pas tenu compte d’un abattement en raison d’une activité à temps partiel.

Enfin, l’âge de l’assuré ne constitue pas un motif supplémentaire d’abattement. La situation actuelle due au Covid-19 n’est pas un motif pour s’écarter temporairement du marché du travail équilibré.

Consid. 10.3 [non publié aux ATF 148 V 174]
En résumé, les arguments avancés dans le recours ne font pas apparaître l’arrêt attaqué comme arbitraire ou contraire d’une autre manière au droit fédéral.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_256/2021 consultable ici

ATF 148 V 174 consultable ici 

 

Proposition de citation : 148 V 174 – Détermination du revenu d’invalide, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/04/8c_256-2021-148-v-174)

 

 

9C_779/2020 (f) du 07.05.2021 – Cotisations sociales – Responsabilité des organes de l’employeur / 52 LAVS / Homme de paille – Négligence qualifiée de grave

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_779/2020 (f) du 07.05.2021

 

Consultable ici

 

Cotisations sociales – Responsabilité des organes de l’employeur / 52 LAVS

Homme de paille – Négligence qualifiée de grave

Pluralité de responsables – Relation de causalité entre le comportement du coresponsable solidaire et le dommage

 

Selon le Registre du commerce de Genève, A.__, C.__, A.B.__ et B.B.__ étaient administrateurs de la société D.__ SA, les deux premiers cités depuis le 17.09.2010 et le couple A.B.__ et B.B.__ depuis le 14.04.2009. La société était affiliée en tant qu’employeur pour le paiement des cotisations en matière AVS/AI/APG/AC, d’allocations familiales de droit cantonal (AF) et d’allocations cantonales en cas de maternité (AMat) auprès d’une caisse de compensation. D.__ SA a été déclarée en faillite le 26.11.2015.

La société n’ayant pas payé la totalité des cotisations sociales pour la période de janvier 2014 à mai 2015, la caisse de compensation a produit sa créance dans la faillite. N’ayant pas été désintéressée, elle a, par décisions séparées du 27.02.2018, réclamé réparation de son dommage aux quatre administrateurs. Le 08.03.2018, elle a rendu une décision de sursis au paiement en faveur de A.__ jusqu’au 28.02.2019 portant sur la part pénale des cotisations sociales.

Saisie d’une opposition par le prénommé, la caisse de compensation l’a rejetée et réclamé le paiement du montant de son dommage, fixé à 124’120 fr. 75, correspondant aux cotisations sociales paritaires AVS/AI/APG/AC et assurance-maternité impayées des périodes de janvier, juin à décembre 2014 et de janvier à mai 2015, ainsi qu’aux cotisations dues au régime des allocations familiales de juin à décembre 2014 et de janvier à mai 2015, y compris les frais et intérêts moratoires (décision sur opposition du 12.09.2019).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1056/2020 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont considéré que la caisse de compensation jouissait d’un concours d’actions, de sorte qu’elle pouvait rechercher tous ses débiteurs, quelques-uns ou un seul d’entre eux, à son choix. Il était donc loisible à la caisse de compensation d’agir uniquement contre A.__.

La juridiction cantonale a retenu que A.__ avait commis une négligence qui devait, sous l’angle de l’art. 52 LAVS, être qualifiée de grave. Elle a considéré qu’en sa qualité d’organe formel de la société, il ne pouvait pas se contenter des seules informations qui lui étaient communiquées épisodiquement par les autres administrateurs, notamment par les époux A.B.__ et B.B.__. En conservant formellement un mandat d’administrateur qu’il n’assumait pas dans les faits, A.__ avait occupé une situation comparable à celle d’un homme de paille qui se serait déclaré prêt à assumer ou à conserver un mandat d’administrateur d’une société anonyme, tout en sachant qu’il ne pourra (ou ne voudra) pas le remplir consciencieusement, et a violé, en cela, son obligation de diligence. S’il était incapable de remplir son mandat d’administrateur, A.__ aurait dû démissionner sans délai, et à cette fin, requérir au besoin l’assistance d’un tiers. La passivité de A.__ avait été en relation de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par la caisse de compensation. Les juges cantonaux ont relevé qu’il n’existait cependant pas de base légale suffisante pour rechercher les employeurs ou leurs organes pour le dommage résultant du défaut de paiement des cotisations dues en vertu de la LAMat.

Par jugement du 10.11.2020, admission très partielle du recours par le tribunal cantonal (nouveau calcul du dommage excluant les cotisations impayées découlant de la loi cantonale genevoise du 21 avril 2005 instituant une assurance en cas de maternité et d’adoption)

 

TF

Le comportement d’un organe responsable peut, le cas échéant, libérer son coresponsable solidaire s’il fait apparaître comme inadéquate la relation de causalité entre le comportement de ce dernier et le dommage (arrêt H 207/06 du 19 juillet 2007 consid. 4.2.2, SVR 2008 AHV 5 n° 13; ATF 112 II 138 consid. 4a; voir aussi arrêt 9C_538/2019 du 19 juin 2020 consid. 6.1). La jurisprudence se montre stricte à cet égard. Elle précise qu’une limitation (et, a fortiori, une libération) de la responsabilité fondée sur la faute concurrente d’un tiers ne doit être admise qu’avec la plus grande retenue si l’on veut éviter que la protection du lésé que vise, d’après sa nature, la responsabilité solidaire de plusieurs débiteurs, ne soit rendue en grande partie illusoire (arrêts H 225/04 du 29 novembre 2005 consid. 7; H 156/99 du 20 mars 2000 consid. 5; cf. ATF 127 III 257 consid. 6b; 112 II 138 consid. 4a).

Selon les faits constatés par la juridiction cantonale, A.__ a conservé, pendant plusieurs années, un mandat d’administrateur qu’il n’assumait pas dans les faits. En n’exerçant aucune surveillance sur les personnes chargées de la gestion courante des affaires de la société, A.__ a donc commis une négligence qui doit, sous l’angle de l’art. 52 LAVS, être qualifiée de grave (ATF 132 III 523 consid. 4.6; 112 V 3 consid. 2b). La passivité de A.__ est, de surcroît, en relation de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par la caisse de compensation. A l’inverse de ce qu’il soutient, les autres circonstances qui ont concouru au dommage, notamment le fait que les époux A.B.__ et B.B.__ prenaient seuls, selon lui, toutes les décisions relatives à la marche des affaires de la société, ne présentent rien de si exceptionnel et imprévisible qu’elles relégueraient à l’arrière-plan sa négligence. Si A.__ avait correctement exécuté son mandat d’administrateur, comme il en était tenu, il aurait en effet pu veiller au paiement des cotisations d’assurances sociales ou, à tout le moins, il aurait pu constater que des cotisations d’assurances sociales étaient impayées et prendre les mesures qui s’imposaient. S’il se trouvait dans l’incapacité de prendre ces mesures en raison de l’opposition des organes qui dirigeaient en fait la société, il devait, comme l’a rappelé à juste titre la juridiction cantonale, démissionner de ses fonctions (arrêt 9C_446/2014 du 2 septembre 2014 consid. 4.2). Le grief de A.__ tiré d’une rupture du lien de causalité naturelle et adéquate doit donc être écarté.

 

Pour le surplus, s’il existe une pluralité de responsables, la caisse de compensation jouit d’un concours d’actions et le rapport interne entre les coresponsables ne la concerne pas (cf. ATF 133 III 6 consid. 5.3.2); elle ne peut prétendre qu’une seule fois à la réparation du dommage, chacun des débiteurs répondant solidairement envers elle de l’intégralité du dommage et il lui est loisible de rechercher tous les débiteurs, quelques-uns ou un seul d’entre eux, à son choix (ATF 134 V 306 consid. 3.1 et les références). Comme l’a rappelé à juste titre la juridiction cantonale, la caisse de compensation n’avait donc, pour ce motif, aucune obligation d’agir également à l’encontre de la succession de feu C.__, pour autant que la qualité d’organe de ce dernier eut été établie. Le rapport interne entre les coresponsables ne concerne en effet nullement la caisse de compensation. Le moyen soulevé par A.__ n’est dès lors pas fondé.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 9C_779/2020 consultable ici