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5A_178/2022 (f) du 04.07.2023 – Nul ne peut se prévaloir de son ignorance d’une norme publiée au Recueil officiel

Arrêt du Tribunal fédéral 5A_178/2022 (f) du 04.07.2023

 

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Nul ne peut se prévaloir de son ignorance d’une norme publiée au Recueil officiel

 

TF

Consid. 3.3.1
La méconnaissance du droit, soit en l’occurrence de la nécessité d’intenter une action en désaveu pour rompre le lien de filiation et des limitations dans le temps pour agir, ne fait pas obstacle à l’écoulement des délais de péremption selon l’art. 256c al. 1 CC et ne constitue pas, en tant que telle, un motif de restitution au sens de l’art. 256c al. 3 CC: nul n’est en effet censé ignorer une loi publiée au recueil officiel. La prise en considération de cette ignorance irait d’ailleurs à l’encontre du but poursuivi par la réglementation des délais, qui est de servir la sécurité juridique, l’enfant ne devant plus être exposé à une remise en discussion du lien de filiation paternel après une certaine période (arrêt 5A_240/2011 du 6 juillet 2011 consid. 6.5, in FamPra.ch 2011 p. 1002; cf. aussi arrêt 5A_210/2016 du 3 juin 2016 consid. 2.2; SCHWENZER/COTTIER, in Commentaire bâlois, 7e éd. 2022, n° 6 ad art. 256c CC; TUOR/SCHNYDER/JUNGO, op. cit., loc. cit. p. 424). Il n’est ainsi pas décisif que le mari ait ou non connaissance de la présomption de paternité de l’art. 255 CC et du fait que cette présomption ne peut être écartée que par le moyen d’une action en désaveu (STETTLER, Le droit suisse de la filiation, TDPS, III/II/2, § 11 p. 191). En l’occurrence, il importe donc peu que le mari n’ait pas ouvert les courriers de l’avocat de l’épouse, qui mentionnaient l’existence et les conséquences de dite présomption, ni même que ce mandataire ait tenté de l’informer de sa paternité juridique. Si des raisons psychologiques peuvent faire obstacle, dans certaines circonstances, à la formation ou à l’exécution de la décision d’agir en justice, tel n’est pas le cas ici, le mari s’étant borné à invoquer, comme cause de son retard, son ignorance de la situation sur le plan juridique, ce qui ne constitue pas en soi un juste motif au sens de l’art. 256c al. 3 CC.

 

 

Arrêt 5A_178/2022 consultable ici

 

6B_569/2023 (f) du 31.07.2023 – Preuve du délai de recours – 100 LTF / Une photo n’est pas suffisante pour prouver l’expédition du recours en temps utile

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_569/2023 (f) du 31.07.2023

 

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Preuve du respect du délai de recours / 100 LTF

Une photo accompagnée de ses métadonnées n’est pas suffisante pour prouver l’expédition du recours en temps utile

 

TF

Consid. 1.1
Selon l’art. 100 al. 1 LTF, le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète. Les délais dont le début dépend d’une communication ou de la survenance d’un événement courent dès le lendemain de celles-ci (art. 44 al. 1 LTF). Le délai est observé si le mémoire est remis à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse le dernier jour du délai (art. 48 al. 1 LTF).

Le délai est sauvegardé si l’acte est remis le dernier jour du délai à minuit (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 p. 529; arrêt 6B_1439/2022 du 22 mars 2023 consid. 2; J EAN-MAURICE FRÉSARD, in Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 10 ad art. 48 LTF). En pratique, l’expédition postale est la règle (cf. JEAN-MAURICE FRÉSARD, in Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 10 ad art. 48 LTF). Peu importe que ce soit à un guichet postal, dans une boîte aux lettres postale ou dans un automate « MyPost 24 » (ATF 142 V 389 consid. 2.2 p. 391; arrêt 4A_466/2022 du 10 février 2023 consid. 2).

La preuve de l’expédition d’un acte de procédure en temps utile incombe à la partie, respectivement à son avocat (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 p. 529; 142 V 389 consid. 2.2 p. 391). Une telle preuve peut résulter du sceau postal, du récépissé de l’envoi posté en recommandé, de l’accusé de réception obtenu au guichet postal, de la quittance imprimée par l’automate MyPost 24 ou de tout autre moyen adéquat, tel le témoignage d’une ou de plusieurs personnes (dont les noms et adresses seront inscrits sur l’enveloppe contenant le recours), voire une séquence audiovisuelle filmant le dépôt du pli dans la boîte postale (avec une possible incidence sur les frais de justice, cf. ATF 147 IV 526 consid. 4 p. 533). En revanche, la date indiquée par une machine d’affranchissement privée (ou, pour les plus modernes, le code-barres avec justificatif de distribution) ne prouve pas la remise de l’envoi à la poste (arrêt 4A_466/2022 du 10 février 2023 consid. 2).

En principe, le sceau postal fait foi de la date d’expédition. Toutefois, cette présomption peut être renversée par tous les moyens appropriés. L’avocat qui dépose son pli dans une boîte postale après la fermeture du guichet doit s’attendre à ce que le courrier ne soit pas enregistré le jour même de la remise, mais à une date ultérieure (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 p. 530). Aussi doit-il indiquer spontanément à l’autorité de recours, et avant l’échéance du délai, qu’il a respecté celui-ci, en présentant les moyens qui l’attestent (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 p. 530 et les références citées). Pour renverser la présomption, il importe que la partie recourante produise ses preuves dans le délai de recours, ou du moins les désigne dans l’acte de recours, ses annexes ou sur l’enveloppe qui le contient (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 p. 530).

Consid. 1.2
En l’espèce
, le jugement querellé a été notifié au recourant le 16.03.2023. Le délai de 30 jours pour recourir au Tribunal fédéral est donc arrivé à échéance le 01.05.2023, compte tenu des féries judiciaires de Pâques (cf. art. 46 al. 1 let. a LTF) et du fait que le dernier jour du délai tombait sur le dimanche 30.04.2023 (cf. art. 45 al. 1 LTF). L’enveloppe contenant le recours a été affranchie en courrier A par le biais d’une machine d’affranchissement privée, porte la date du 01.05.2023, et a été reçue le 03.05.2023 par le Tribunal fédéral. L’indication « déposé dans la boîte de la Poste suisse le 01.05.2023 à 23:56 à U.__ » a été apposée sur le verso de l’enveloppe. Toutefois, celle-ci ne porte aucun sceau postal. Or, conformément à la jurisprudence précitée, la date indiquée par la machine d’affranchissement privée est impropre à prouver la remise de l’envoi à la poste. Il en va de même de l’indication apposée sur ladite enveloppe. Dans ces circonstances, l’on ignore la date et l’heure auxquelles le recours a été déposé à La Poste Suisse.

Il incombe dès lors au recourant d’apporter la preuve stricte du respect du délai de recours au Tribunal fédéral. A cet égard, le mandataire du recourant a produit une photographie, laquelle ne montre que le coin supérieur droit de l’enveloppe avec la fenêtre laissant apparaître le destinataire du pli, soit en l’occurrence le Tribunal fédéral et, en arrière-plan, la boîte postale de La Poste Suisse. Bien que les métadonnées y annexées indiquent que cette photographie a été prise le 01.05.2023 à 23h56, ces éléments ne permettent pas d’apporter la preuve stricte du respect du délai de recours de 30 jours. En effet, à la différence d’une séquence audiovisuelle, ils ne permettent pas d’établir que l’enveloppe contenant le recours a bien été glissée dans la boîte postale à la date et à l’heure indiquées et que le pli était déjà fermé au moment de la prise du cliché photographique. Par ailleurs, le mandataire du recourant n’apporte aucun autre élément probatoire, en particulier pas de témoins qui seraient en mesure d’attester d’un tel dépôt au moment indiqué.

En déposant le recours dans une boîte postale, affranchi en courrier A, et en se contentant du cliché photographique décrit précédemment, le recourant échoue à apporter la preuve stricte, qui pourtant lui incombe, du respect du délai de recours au Tribunal fédéral. Il s’ensuit que le recours doit être déclaré irrecevable.

 

Arrêt 6B_569/2023 consultable ici

 

Casso VD AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023 – Valeur probante d’une expertise psychiatrique – 43 LPGA / Enregistrement sonore exploitable à la suite d’un problème d’ordre technique – 44 al. 6 LPGA – 7k OPGA / Retrait du rapport d’expertise litigieux du dossier AI

Arrêt de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023

 

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Valeur probante d’une expertise psychiatrique / 43 LPGA

Enregistrement sonore inexploitable à la suite d’un problème d’ordre technique / 44 al. 6 LPGA – 7k OPGA

Retrait du rapport d’expertise litigieux du dossier AI

 

Remarques liminaires

Une fois n’est pas coutume, un arrêt cantonal est résumé sur notre site. Il s’agit l’un des premiers arrêts (en tout cas le premier à notre connaissance) concernant l’enregistrement sonore défaillant lors d’une expertise médicale mise en œuvre par un assureur social. Au moment de la publication de notre résumé, l’arrêt n’est pas entré en force. On soulignera que la juridiction cantonale a renvoyé la cause à l’office AI pour qu’il complète l’instruction et rende une nouvelle décision sur le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

En fait

Assurée, de nationalité irakienne, mariée et mère de trois enfants, au bénéfice d’une formation d’auxiliaire de santé. Depuis le 01.10.2009, l’assurée a travaillé comme femme de chambre auprès d’une hôtel. Incapacité de travail attestée à 100% dès le 24.08.2017, puis à 50% dès le 09.10.2017.

L’assureur perte de gain maladie de l’employeur a versé des indemnités journalières jusqu’au 31.07.2018, conformément aux rapports d’expertise d’un spécialiste en rhumatologie et d’un spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie (Dr C.__ ; rapport du 24.03.2018).

Le 25.07.2018, l’assurée a déposé une demande AI. Se basant sur un rapport d’examen du SMR daté du 25.07.2019, l’office AI a informé l’assurée de son intention de rejeter sa demande de prestations. Selon ce rapport, à l’expiration de la période d’attente d’un an, si elle présentait une capacité de travail de 50% dans son activité habituelle, l’intéressée était en mesure de travailler à plein temps dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles.

L’assurée, assistée de son assurance protection juridique, a contesté ce préavis négatif, en fournissant divers rapports médicaux.

L’office AI a mis en œuvre une expertise bidisciplinaire (rhumatologie et psychiatrie). Sur le plan psychiatrique, le Dr G.__, spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie, a retenu les diagnostics incapacitants de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère, sans symptôme psychotique (F33.2), et de modification durable de la personnalité après une expérience de catastrophe (F62.0). Au plan somatique, la capacité de travail de l’assurée était entière dans une activité adaptée alors que sur le plan psychiatrique sa capacité de travail était nulle dans toute activité depuis l’été 2020 « selon le rapport de la Dre I.__ [psychiatre traitant] ».

Le SMR a proposé de réinterroger les médecins-experts au motif que leurs conclusions restaient floues et/ou insuffisamment discutées. Au vu de l’ampleur des informations complémentaires à apporter, on ne pouvait exclure la nécessité d’une nouvelle évaluation bidisciplinaire. Les experts ont répondu aux questions complémentaires le 08.09.2021.

Le médecin du SMR a estimé que si l’expert rhumatologue apportait un complément suffisant à son expertise, il était toutefois nécessaire de procéder à une nouvelle expertise psychiatrique de l’assurée, laquelle a été confiée par l’office AI au Dr W.__, spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie.

Dans son rapport d’expertise psychiatrique, le Dr W.__ a posé le diagnostic incapacitant de trouble dépressif récurrent avec syndrome somatique léger (F33.0) et a estimé la capacité de travail de l’assurée à 50% dans toutes activités dès novembre 2019. Il a précisé que, d’un point de vue psychiatrique, toute activité adaptée aux compétences et à la motivation de l’intéressée était envisageable alors que les limitations fonctionnelles ressortaient du registre strictement rhumatologique, sur la base d’un emploi exercé à mi-temps.

Le médecin du SMR a relevé le caractère probant du rapport d’expertise psychiatrique précité, mais a cependant requis un complément d’information auprès du Dr W.__. En réponse aux questions complémentaires de l’office AI, le Dr W.__ a fait savoir que le traitement médicamenteux était largement insuffisant par rapport au diagnostic allégué et à la reconnaissance d’une incapacité de travail complète par le médecin de famille. Le Dr W.__ a indiqué qu’il lui semblait judicieux de réévaluer la situation « par un œil extérieur » six mois après la réadaptation du traitement.

L’office AI a, par décision du 04.08.2022, confirmé la teneur de son préavis négatif du 21.10.2019. L’office AI a précisé que son projet de décision reposait sur une instruction complète et était conforme en tous points aux dispositions légales.

 

L’assurée, par la plume de son nouveau conseil, a déféré cette décision devant la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal.

Dans sa réplique du 26.10.2022, l’assurée a produit un courrier de l’office AI du 18.10.2022 à son conseil indiquant que l’enregistrement sonore de l’entretien d’expertise n’était malheureusement pas exploitable suite à un problème d’ordre technique. Or, elle considère que l’enregistrement précité est indispensable, élément qui fait défaut et dont elle soutient qu’il est à l’origine d’une violation de son droit d’être entendue ainsi que des garanties liées à la transparence des expertises voulue par le législateur ; selon elle, l’expert psychiatre n’a pas tenu compte de ses plaintes subjectives ou les a, à tout le moins, fortement minimisées dans l’anamnèse. L’assurée a requis de la cour cantonale de retrancher du dossier le rapport d’expertise du Dr. W.__ ainsi que son complément. Elle propose dès lors de retenir sa capacité de travail nulle dans une activité adaptée depuis l’été 2020 reconnue par l’expertise bidisciplinaire et corroborée par la psychiatre traitant.

Dans sa duplique, l’office a constaté après réexamen que l’assurée avait droit à un quart de rente, sur la base d’un degré d’invalidité de 41,47%. Pour le surplus, s’il était certes regrettable que l’enregistrement ne soit pas exploitable, celui-ci ne semblait pas déterminant « à supposer qu’on puisse l’apprécier ».

 

En droit

Consid. 4d/aa
Depuis le 1er janvier 2022, sauf avis contraire de l’assuré, les entretiens entre l’assuré et l’expert font l’objet d’enregistrements sonores, lesquels sont conservés dans le dossier de l’assureur (art. 44 al. 6 LPGA). L’entretien comprend l’ensemble de l’entrevue de bilan. Celle-ci inclut l’anamnèse et la description, par l’assuré, de l’atteinte à sa santé (art. 7k al. 1 OPGA. Au moyen d’une déclaration écrite adressée à l’organe d’exécution, l’assuré peut annoncer avant l’expertise qu’il renonce à l’enregistrement sonore (art. 7k al. 3 let. a OPGA) ou demander la destruction de l’enregistrement jusqu’à dix jours après l’entretien (art. 7k al. 3 let. b OPGA). Avant l’entretien, il peut révoquer sa renonciation au sens de l’al. 7k al. 3 let. a OPGA auprès de l’organe d’exécution (art. 7k al. 4 OPGA). L’enregistrement sonore doit être réalisé par l’expert conformément à des prescriptions techniques simples. Les assureurs garantissent l’uniformité de ces prescriptions dans les mandats d’expertise. L’expert veille à ce que l’enregistrement sonore de l’entretien se déroule correctement sur le plan technique (art. 7k al. 5 OPGA). Les experts et les centres d’expertises transmettent l’enregistrement sonore à l’assureur sous forme électronique sécurisée en même temps que l’expertise (art. 7k al. 7 OPGA). Si l’assuré, après avoir écouté l’enregistrement sonore et constaté des manquements techniques, conteste le caractère vérifiable de l’expertise, l’assuré et l’organe d’exécution tentent de s’accorder sur la suite de la procédure (art. 7k al. 8 OPGA). Si la personne assurée et l’office AI ne parviennent pas à se mettre d’accord à ce sujet, l’OAI rendra une décision incidente (Circulaire sur la procédure dans l’assurance-invalidité [CPAI], état au 1er janvier 2022, n°3127).

Consid. 4d/bb
Compte tenu de la finalité de l’enregistrement sonore et de sa forme particulière de conservation, les directives prévoient que lorsque l’assuré demande l’accès à son dossier, l’enregistrement n’est pas transmis d’office avec les actes, dès lors que l’enregistrement a pour but de vérifier, en cas de litige, ce qui a été effectivement dit lors de l’entretien (Michela Messi, AI : les enregistrements favorisent la transparence, in Sécurité sociale [CHSS] 2022).

La personne assurée peut toutefois demander expressément de l’écouter. Par exemple lorsque, en lisant l’expertise, qui en soi sert de base à la décision de l’office AI, elle estime que le rapport d’expertise ne reproduit pas correctement les déclarations faites pendant l’entretien. Dans ce cas, l’office lui transmettra les instructions ainsi que les données nécessaires pour accéder électroniquement à l’enregistrement sonore et pouvoir ainsi l’écouter.

Pour que les experts puissent enregistrer facilement les entretiens et les transmettre aux offices AI, une solution informatique dédiée à l’assurance-invalidité a été créée. Une application pour smartphones permet aux experts d’enregistrer un entretien, de le réécouter et de le transmettre à l’office AI. L’enregistrement sonore n’est pas conservé sur le smartphone, mais téléchargé et stocké sur une plateforme sécurisée. Les experts peuvent également réaliser l’enregistrement avec un dictaphone et le télécharger ensuite sur la plateforme. Vu qu’il s’agit de données particulièrement sensibles, une grande attention a été accordée à la sécurité et à la protection des données lors de la mise en œuvre de l’application.

Pour des raisons de protection des données, l’accès à l’enregistrement sonore a été limité à un groupe très restreint de personnes et institutions : l’assuré même et son représentant, l’organe d’exécution compétent (l’office AI dans les cas AI) ainsi que les tribunaux appelés à statuer sur un éventuel recours.

Consid. 4d/cc
En l’espèce, l’assurée a invoqué des contradictions et des incohérences dans l’anamnèse relatée par le Dr W.__, ainsi que dans les explications de l’expert s’agissant du fils qu’elle a dû laisser en Irak en pleine guerre, provoquant un traumatisme majeur selon l’assurée. Dans le cadre de son recours, elle a contesté différentes affirmations de l’expert, qui ne correspondent pas, selon elle, à la réalité. Elle observe que les indications d’une « mère gentille » et de « souvenir d’une enfance tout à fait normale ou tout à fait heureuse » par l’expert sont en contradiction avec le fait qu’elle a été élevée par sa grand-mère car sa mère ne voulait pas d’elle, comme l’a relevé l’experte G.__, et que, selon ses propres dires, elle était « une enfant qui avait peur ». S’agissant du fils qu’elle a dû laisser en Irak, pour des raisons économiques selon l’expert, elle indique qu’elle avait voulu fuir la guerre en Irak avec ses trois enfants, mais qu’elle avait été forcée de laisser un de ses fils dans son pays d’origine, en pleine guerre. Elle ajoute qu’il ressort clairement des appréciations des Dres G.__ et I.__ que cet épisode a été particulièrement traumatique. Selon l’assurée, le rapport du Dr W.__ comporte également un certain nombre d’incohérences : par exemple, l’expert indique qu’elle n’est pas dramatique tout en signalant peu après que ses douleurs prennent « volontiers une teinte assez dramatique ». L’expert explique également que l’assurée peut reconstituer de manière très claire et précise son histoire personnelle, avec des repères temporels et dates bien maintenues, tout en reprochant dans le même temps à la recourante « une certaine imprécision ». Elle ne comprend pas l’expert lorsqu’il déclare que l’on ne pourrait pas parler de « suicidalité » alors même qu’une tentative et des pensées suicidaires sont attestées par les Dres G.__ et I.__. De plus, l’appréciation de l’expert pour exclure le diagnostic de modification durable de la personnalité après expérience de catastrophe ne correspondrait pas à la réalité avec une tentative de suicide rapportée en 2005 par les médecins, la venue de son fils fortement traumatisé par la guerre (ayant notamment assisté à la mort des membres de sa famille) et celle de son mari avec la reprise des violences conjugales (psychiques et sexuelles ayant perduré de nombreuses années), pour lesquelles on ne saurait parler de simple « conflit de couple » comme l’a fait l’expert. Le tableau clinique décrit par l’expert, symptomatique d’une dépression moyenne à légère, ne correspondrait pas aux descriptions des Dres G.__ et I.__, cette dernière faisant état, dans son rapport du 02.03.2022, de la persistance de la symptomatologie dépressive, anxieuse, algique et du registre traumatique, avec des flash-backs, des symptômes dissociatifs et des voyages pathologiques, éléments toutefois passés sous silence par l’expert. L’assurée conteste que sa prise en charge psychiatrique depuis 2017 serait due à une « certaine insatisfaction professionnelle probable » « voire des soucis quant à l’un de ses fils », analyse qui sous-évalue ses troubles psychiques et qui est également en contradiction avec les avis de ses médecins. Elle reproche en outre à l’expert, en lien avec l’aggravation de la symptomatologie en 2019, de se borner à déclarer qu’elle serait en contradiction avec les éléments objectifs, soit le voyage en Irak durant cette année-là, sans toutefois se prononcer sur les explications fournies par la Dre I.__. De l’avis de l’assurée, les diagnostics de trouble dépressif récurrent avec syndrome somatique léger et de « conflit de couple ; insatisfaction professionnelle, divers » posés par l’expert résultent ainsi d’une analyse tronquée, « minimisant grandement » les troubles présentés. Enfin s’agissant de la capacité de travail, l’assurée observe que l’expert évalue sa capacité de travail médico-théorique à 50% dans une activité adaptée à ses compétences et ses limitations somatiques objectives. Puis à la question « A quel pourcentage évaluez-vous globalement la capacité de travail de l’assuré(e) dans cette activité, par rapport à un 100% ? », l’expert répond : « 50% dès novembre 2019 sur la base d’un plein temps soit 08h00 par jour, cinq jours sur sept ». Interpellé par la suite par le médecin du SMR, il n’a pas été en mesure de préciser l’évolution probable de la capacité de travail dans son complément. L’expert n’aurait en outre pas tenu compte de ses plaintes. En d’autres termes, l’assurée affirme dans ses écritures que le rapport d’expertise reproduirait incorrectement les déclarations qu’elle a faites pendant l’entretien avec l’expert.

Consid. 4d/cc
En définitive, dès lors que l’office AI a confirmé dans un courrier du 18.10.2022 au conseil de l’assurée que l’enregistrement sonore de l’expertise du Dr W.__ n’était pas exploitable, la cour cantonale n’est pas en mesure de déterminer si les déclarations de l’assurée ont été saisies correctement et reprises avec exactitude dans le rapport de l’expert. Un tel enregistrement sonore s’avère pourtant indispensable pour savoir si l’expert psychiatre a correctement tenu compte des plaintes de l’assurée, sans les minimiser, ce d’autant plus que le tableau clinique dressé par le Dr W.__ diffère des observations des Drs G.__ et I.__.

Quoi qu’en dise l’office AI dans sa duplique du 28.11.2022, l’enregistrement sonore de l’expertise menée par le Dr W.__ est un élément indispensable pour permettre au tribunal cantonal de statuer sur les critiques soulevées par l’assurée en lien avec la vérification de l’expertise. Par conséquent, faute d’enregistrement sonore, l’expertise psychiatrique du 05.05.2022 du Dr W.__ ainsi que son complément du 21.07.2022 devront être retirés du dossier.

Consid. 4g
En l’absence d’une appréciation psychiatrique suffisamment motivée pour établir de manière objective si l’assurée présente une atteinte psychique d’une gravité telle que la mise en valeur de sa capacité de travail sur le marché du travail ne peut plus du tout ou seulement partiellement être exigible de sa part, il s’avère nécessaire de faire compléter l’instruction médicale. Il convient par conséquent de renvoyer la cause à l’office AI, autorité à qui il incombe en premier lieu d’instruire, conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 43 al. 1 LPGA). Compte tenu de l’absence d’atteinte objective d’origine somatique et de la prévalence d’une symptomatologie douloureuse sans substrat organique, l’office AI mettra en œuvre une nouvelle expertise psychiatrique auprès d’un spécialiste en psychiatrie, autre que le Dr W.__. Même si le praticien précité s’efforçait d’occulter complètement son évaluation basée sur le premier entretien, on ne peut pas garantir qu’il ne continuerait pas à être influencé par cet entretien, si sa deuxième expertise psychiatrique contenait les mêmes conclusions. Cela fait, il appartiendra à l’office AI de rendre une nouvelle décision statuant sur la demande de l’assurée.

Consid. 5a
Le recours doit être admis, ce qui entraîne l’annulation de la décision rendue par l’office AI, la cause lui étant renvoyée pour mise en œuvre d’une expertise psychiatrique dans le sens des considérants, puis nouvelle décision, étant précisé que l’expertise psychiatrique du 05.05.2022 du Dr W.__ ainsi que son complément du 21.07.2022 doivent être retirés du dossier.

 

Arrêt de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023 consultable ici

 

 

8C_554/2022 (f) du 22.06.2023 – Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents / Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – Déchirure du LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_554/2022 (f) du 22.06.2023

 

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Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents / 36 LPGA

Examen d’un conflit d’intérêt entre le médecin-conseil et le médecin-traitant travaillant dans une clinique qui collabore avec plus de 200 médecins spécialistes

Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – Déchirure du LCA – Rapport du médecin-conseil / 6 LAA

Demande de révision procédurale / 53 al. 1 LPGA

 

Assurée, infirmière, s’est blessée au genou gauche le 05.12.2007 (choc contre un lit) et présentait des douleurs au niveau du genou, du tibia et de la cheville gauches. Aucun diagnostic précis n’a été posé durant les différentes investigations réalisées. En 2009, l’assurée a consulté à plusieurs reprises pour les douleurs à sa jambe gauche le Dr  C.__ spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, qui lui a prescrit neuf séances de physiothérapie. Par déclaration de rechute du 18.01.2013, l’employeur a annoncé à l’assurance-accidents que l’assurée souffrait d’un début d’arthrose. Après avoir recueilli l’avis du Dr  D.__, médecin-conseil et spécialiste en chirurgie orthopédique, l’assurance-accidents a rendu le 04.03.2013 une décision, confirmée sur opposition le 12.06.2013, constatant que les troubles traités dès le 08.01.2013 n’étaient pas en relation de causalité naturelle avec l’accident du 05.12.2017 et que la responsabilité de l’assurance-accidents n’était dès lors pas engagée.

Le 08.05.2018, l’assurée a glissé sur un marque-page en sortant du lit et a subi une foulure respectivement une entorse du genou gauche. Dans un rapport d’IRM réalisée le 20.02.2019, il est fait état d’une rupture ancienne du LCA, d’une arthrose fémoro-tibiale médiane sévère et d’une chondropathie de grade II diffuse fémoro-tibiale latérale. Par décision du 15.06.2020, l’assurance-accidents a informé l’assurée que la relation de causalité entre ses lésions au genou gauche et l’accident du 08.05.2018 ne pouvait être admise que jusqu’au 08.08.2018 et que le cas relevait de l’assurance-maladie dès le 09.08.2018. L’assurée a formé opposition contre cette décision, en faisant notamment valoir que la découverte d’une rupture ancienne du LCA lors de l’IRM réalisée en février 2019 constituait un fait nouveau qui justifiait la révision de la décision sur opposition du 12.06.2013. Après avoir soumis une nouvelle fois le cas à son médecin-conseil (Dr  D.__), l’assurance-accidents a rendu le 17.08.2021 une décision sur opposition par laquelle elle a admis jusqu’au 08.11.2018 l’existence d’un rapport de causalité entre l’événement du 08.05.2018 et les troubles du genou gauche, rejetant l’opposition pour le surplus.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 121/21 – 99/2022 – consultable ici)

Par jugement du 15.08.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents

Consid. 3.1
Dans un grief d’ordre formel, l’assurée fait valoir un motif de récusation à l’encontre du Dr D.__, qui travaille en tant que médecin-conseil de l’assurance-accidents parallèlement à son activité de médecin accrédité à la Clinique H.__ du Groupe G.__.

Consid. 3.2
A cet égard, la cour cantonale a exposé correctement les dispositions légales régissant la récusation d’un médecin-conseil d’un assureur-accidents (cf. art. 36 al. 1 LPGA en lien avec l’art. 10 PA, applicable à titre subsidiaire selon l’art. 55 al. 1 LPGA).

Consid. 3.3
L’assurée invoque un conflit d’intérêts, dans la mesure où le Dr D.__ serait un collègue du Dr C.__, qu’elle avait consulté en 2008 et 2009 et auquel elle reproche de ne pas avoir fait d’IRM de son genou gauche à la suite de l’accident du 5 décembre 2007. A l’appui de son argumentation, elle se réfère à l’ATF 148 V 225.

Consid. 3.4
La cour cantonale a examiné le bien-fondé du motif de récusation et a constaté, sur la base des informations figurant sur le site internet de la Clinique H.__ du Groupe G.__, que cet établissement collaborait avec plus de 200 médecins spécialistes, qui exploitaient des cabinets différents. Elle a conclu que ces circonstances n’étaient pas de nature à créer l’apparence d’une prévention, dans la mesure où le Dr D.__ et le Dr C.__ n’exploitaient pas un même cabinet de groupe.

Consid. 3.5
L’assurée, qui ne conteste pas ces faits, se borne à présenter sa propre appréciation de la situation, sans aucunement démontrer en quoi le raisonnement de la cour cantonale serait manifestement insoutenable. En effet, on peine à comprendre en quoi le fait d’exercer comme médecin accrédité dans la même clinique privée qu’un autre confrère serait susceptible de créer l’apparence d’une prévention, surtout lorsque cette clinique occupe plus de 200 médecins spécialisés. Comme les premiers juges l’ont relevé à bon droit, on ne saurait comparer la situation du cas d’espèce à celle qui a donné lieu à l’ATF 148 V 225, qui concernait deux médecins travaillant dans les mêmes locaux au sein d’un petit cabinet de groupe, dont ils partageaient les frais.

Force est en outre de constater que la supposition de l’assurée selon laquelle il ne serait pas exclu que le Dr C.__ travaille (aussi) en qualité de médecin-conseil de l’assurance-accidents, ne trouve aucun fondement dans les pièces du dossier et est d’ailleurs expressément réfutée par l’assurance-accidents.

Enfin, on ne saurait suivre l’assurée lorsqu’elle entrevoit un indice de prévention dans le fait que l’assurance-accidents ait demandé au Dr C.__ de transmettre les renseignements médicaux directement au Dr D.__ plutôt que de les envoyer à l’adresse électronique générale de l’assureur. En effet, les motifs tenant à l’organisation interne de l’assureur, notamment le fait qu’un médecin spécialiste, comme le Dr D.__, intervienne à plusieurs reprises dans le même dossier, ne constituent pas une raison de douter de son impartialité, même si ses avis ont pu être défavorables à l’assuré (Anne-Sylvie Dupont, in: Dupont/Moser-Szeless [éd.], Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, Bâle 2018, n° 12 ad art. 36 LPGA et les références).

 

Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante

Consid. 4.2
Pour l’examen du lien de causalité naturelle entre l’événement du 08.05.2018 et les troubles au genou, la cour cantonale s’est fondée sur le rapport du médecin-conseil du 23.04.2021. Dans cette appréciation, le médecin-conseil a retenu qu’il était hautement probable que la déchirure du LCA se soit constituée progressivement à cause de la déformation très importante du genou, suffisamment sévère pour générer des contraintes particulièrement anormales sur le pivot central, ainsi qu’à cause d’une conséquence de l’arthrose, l’ostéophytose de l’échancrure, laquelle était susceptible de générer un conflit chronique avec le LCA. Il a conclu, sur la base de l’ensemble des éléments radio-cliniques, que l’événement du 08.05.2018 avait été responsable d’une contusion ou distorsion bénigne du genou qui cessait généralement de déployer ses effets après quelques jours ou semaines, un éventuel hématome ou un œdème post-contusionnel se résorbant dans ce délai. En présence de troubles dégénératifs sous-jacents ou de troubles de surmenage, qui pouvaient ralentir quelque peu la récupération fonctionnelle, le délai de résorption pouvait aller jusqu’à trois, voire six mois si ces troubles étaient importants, par exemple en cas de gonarthrose avancée ou d’obésité morbide. Au-delà de ce délai, et sans preuve d’une lésion structurelle émanant d’un événement traumatique, les troubles persistants étaient dus à une autre cause.

Consid. 4.4
On rappellera que le simple fait qu’un médecin-conseil soit engagé par un assureur et qu’il soit, dans cette fonction, amené à se prononcer plusieurs fois dans un même dossier ne constitue pas un motif pour mettre en doute la fiabilité et la pertinence de ses constatations. Ce qui est au contraire déterminant, c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2; 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a).

Contrairement à ce que soutient l’assurée, le médecin-conseil a été cohérent et constant dans ses rapports des 24.05.2020 et 23.04.2021. Il a en particulier constaté que l’IRM réalisée neuf mois après l’événement du 08.05.2018 avait mis en évidence une déchirure ancienne du LCA, qui – en l’absence de tout épanchement – ne pouvait en l’occurrence pas être rattachée à cet événement, mais constituait une pathologie qui s’était progressivement développée à cause de la déformation très importante du genou gauche (plus marquée que celle du genou droit). Tenant compte du caractère anodin des deux événements accidentels de 2007 et 2018, des éléments radio-cliniques, des courtes périodes d’incapacité de travail et des importantes pathologies préexistantes (obésité, déviation sévère de l’axe de la jambe vers l’intérieur), le médecin-conseil est parvenu à la conclusion que l’événement du 08.05.2018, qui s’est soldé par une contusion ou distorsion bénigne du genou gauche, a transitoirement (soit pendant une durée de trois mois) décompensé l’état de celui-ci.

En l’absence d’un avis médical contraire, c’est à bon droit que la cour cantonale s’est fondée sur l’appréciation du médecin-conseil, sans qu’il fût nécessaire d’administrer des preuves supplémentaires (cf. ATF 148 V 356 consid. 7.4 sur l’appréciation anticipée des preuves), et a retenu que l’assurance-accidents était fondée à mettre un terme au versement des prestations d’assurance six mois après l’événement du 08.05.2018.

 

Demande de révision procédurale

Consid. 5.1
Les juges cantonaux ont relevé que la recevabilité de la demande de révision était douteuse, puisque l’assurée n’avait demandé la révision de la décision sur opposition du 12.06.2013 que le 30.07.2020, soit plus d’une année après la découverte de la déchirure du LCA. Ils ont en outre relevé que la découverte de la rupture du LCA en février 2019 ne semblait pas être un fait nouveau ouvrant la voie de la révision, dès lors que le rapport d’IRM ne permettait pas de dater la déchirure du LCA et qu’aucune pièce médicale ne permettait de lier, au degré de la vraisemblance prépondérante, cette atteinte à l’accident survenu onze ans plus tôt. Sur la base de ces constatations, la cour cantonale a conclu qu’il n’existait pas de motif de révision.

Consid. 5.2
L’assurée se limite à soulever des critiques de type appellatoire, sans démontrer en quoi la juridiction cantonale aurait établi les faits de manière manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l’art. 95 LTF. En particulier, elle ne se prononce aucunement sur la recevabilité de sa demande de révision, ni ne démontre que les conditions nécessaires à la révision d’une décision administrative (cf. arrêt 8C_562/2019 du 16 juin 2020 consid. 3) seraient remplies, si bien qu’il n’y a pas lieu de revenir sur l’appréciation de la cour cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_554/2022 consultable ici

 

9C_155/2023 (f) du 19.06.2023 – Recours irrecevable – Conclusions « aberrantes » – Pas d’intérêt juridiquement protégé pour les justiciables à obtenir l’avis des tribunaux sur des questions théoriques

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_155/2023 (f) du 19.06.2023

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité extraordinaire

Recours irrecevable – Conclusions « aberrantes » (porter le taux d’invalidité de 75% à 80%)

Pas d’intérêt juridiquement protégé pour les justiciables à obtenir l’avis des tribunaux sur des questions théoriques

Publication des arrêts du Tribunal fédéral – Principe de la transparence / 27 LTF – 59 RTF

 

Assurée, née en 1975, présente une atteinte à la santé depuis l’âge de 17 ans. Elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 21.12.2020. Par décision du 11.04.2022, l’office AI lui a octroyé une rente extraordinaire de l’assurance-invalidité dès le 01.06.2021, en fonction d’un degré d’invalidité de 75%.

 

Procédure cantonale

L’assurée a interjeté recours contre cette décision, demandant notamment à ce qu’il soit répondu à ses questions et à ce que son degré d’invalidité soit porté à 80%.

Statuant le 04.01.2023, le Tribunal cantonal a déclaré le recours irrecevable. Il a rappelé tout d’abord que le droit à une rente entière de l’assurance-invalidité existait à partir d’un degré d’invalidité de 70%, de sorte que l’intéressée n’avait aucun intérêt digne de protection à contester le degré d’invalidité fixé à 75%. De plus, sauf à desservir totalement ses intérêts, l’intéressée ne disposait également d’aucun intérêt actuel digne de protection à se voir accorder une rente ordinaire de l’assurance-invalidité (d’un montant mensuel de 1’195 fr.) en lieu et place d’une rente extraordinaire (d’un montant mensuel de 1’593 fr.).

 

TF

Consid. 6.2
Destinataire de l’arrêt attaqué refusant d’entrer en matière pour des motifs de procédure sur son recours cantonal, la recourante a en principe un intérêt digne de protection à en demander l’annulation, cela indépendamment et sans préjudice du motif d’irrecevabilité retenu par l’autorité précédente, qui constitue l’objet de la contestation devant le Tribunal fédéral (ATF 145 II 168 consid. 2 et les références). En vertu de l’art. 42 al. 1 et 2 LTF, la partie recourante doit cependant motiver son recours en exposant succinctement en quoi la décision attaquée viole le droit. En particulier, la motivation doit se rapporter à l’objet du litige tel qu’il est circonscrit par la décision litigieuse (ATF 133 IV 119 consid. 6.4). Lorsque le recours cantonal a été déclaré irrecevable, les motifs développés dans le mémoire de recours devant le Tribunal fédéral doivent porter exclusivement sur la question de la recevabilité traitée par l’instance précédente à l’exclusion du fond du litige (ATF 144 II 184 consid. 1.1; 135 II 145 consid. 3.1). Les griefs de violation des droits fondamentaux sont en outre soumis à des exigences de motivation accrues au sens de l’art. 106 al. 2 LTF, la partie recourante devant alors citer les principes constitutionnels qui n’auraient pas été respectés et expliquer de manière claire et précise en quoi ces principes auraient été violés (ATF 146 I 62 consid. 3).

 

Consid. 6.3
En l’occurrence, comme l’a rappelé la juridiction cantonale, l’office AI a déjà alloué à la recourante une rente extraordinaire de l’assurance-invalidité, qui s’élève selon la loi à 133 1/3% du montant minimum de la rente ordinaire complète correspondante (art. 40 al. 3 LAI). Aussi, en demandant à la juridiction cantonale de porter son taux d’invalidité de 75% à 80%, soit dans les deux cas un degré d’invalidité déjà supérieur au seuil de 70% ouvrant droit à une rente entière (art. 28b al. 3 LAI), la recourante a pris des conclusions que la doctrine qualifie d’ « aberrantes » (voir p. ex. GRÉGORY BOVET, Commentaire de la LTF, 3 e éd. 2022, n° 41 ad art. 76 LTF), car elles ne correspondent nullement à un intérêt personnel juridiquement protégé ou digne de protection. En outre, la loi ne confère pas un intérêt juridiquement protégé pour les justiciables à obtenir l’avis des tribunaux sur des questions théoriques et qui ne sont pour ce motif pas déterminantes pour l’issue d’un litige. De plus, en l’absence d’éléments précis indiquant une date d’adoption prochaine de nouvelles prescriptions fixant un seuil plus élevé que celui de 70% pour l’octroi d’une rente entière de l’assurance-invalidité, il n’appartient pas non plus aux tribunaux de tenir compte des craintes de la recourante quant à d’éventuelles futures modifications législatives pour fonder sa qualité pour recourir (ATF 129 II 497 consid. 5.3.3). Aussi, en se limitant à répéter devant le Tribunal fédéral son insatisfaction de ne pas trouver dans l’arrêt attaqué une réponse à la question de savoir pourquoi son degré d’invalidité a été fixé par l’office AI à 75%, et non pas à 80%, la recourante n’expose pas de manière conforme aux exigences d’un recours devant le Tribunal fédéral (art. 42 al. 2 LTF) les éléments propres à établir la recevabilité de son recours devant le Tribunal fédéral.

 

Consid. 8
La recourante demande enfin que le présent arrêt ne soit pas publié, ce qui ne saurait être agréé. La publication des arrêts est conforme à la loi, qui prescrit – selon le principe de la transparence – que tous les arrêts du Tribunal fédéral sont publiés et ce sans exception (art. 27 LTF et 59 al. 1 let. b du règlement du 20 novembre 2006 du Tribunal fédéral [RTF]; arrêt 5A_354/2018 du 21 septembre 2018 consid. 2.1 et les références).

La protection des données et de la personnalité limite toutefois le contenu de la publication: l’art. 27 al. 2 LTF prévoit dans cette optique que les décisions sont « en principe » publiées sous forme anonyme.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_155/2023 consultable ici

 

9C_454/2022 (f) du 15.06.2023 – Modification d’une décision d’octroi de prestations complémentaires / Reconsidération – Examen des rapports juridiques sous tous leurs aspects – 53 al. 2 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_454/2022 (f) du 15.06.2023

 

Consultable ici

 

Obligation de restituer des prestations indûment touchées – Modification d’une décision d’octroi de prestations complémentaires / 25 LPGA

Reconsidération – Examen des rapports juridiques sous tous leurs aspects / 53 al. 2 LPGA

 

Assuré, marié et père de deux enfants (nés en 1999 et 2001), est au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité, assortie de rentes pour enfants, depuis le 01.11.2011. Par décision du 04.07.2014, la caisse de compensation lui a alloué des prestations complémentaires à compter du 01.11.2011. Ce droit a été confirmé à plusieurs reprises par la suite.

Dans le cadre d’une révision périodique du dossier de l’assuré initiée en novembre 2019, la caisse de compensation a constaté que les allocations familiales versées à l’assuré pour ses enfants avaient augmenté et que des allocations familiales complémentaires devaient être prises en compte à partir du mois de mars 2017. Par décision du 06.11.2020, elle a exigé de l’assuré la restitution d’un montant de 6’210 fr., correspondant aux prestations complémentaires indûment perçues du 01.03.2017 au 30.11.2020. Après que l’assuré s’est opposé à cette décision en indiquant qu’il ne contestait pas la correction du montant des allocations familiales et complémentaires, mais la prise en compte d’un revenu hypothétique pour son épouse dans le calcul de son droit à des prestations complémentaires (opposition du 04.12.2020), la caisse de compensation a confirmé sa décision (décision sur opposition du 28.07.2021). En bref, elle a considéré que sa décision du 06.11.2020 portait uniquement sur le montant des allocations familiales et complémentaires, si bien qu’il n’était pas possible de réexaminer, dans ce cadre, la prise en compte d’un revenu hypothétique pour l’épouse, qui n’avait jamais été contesté; elle a également précisé que les éléments invoqués par l’assuré ne permettaient pas d’écarter le revenu hypothétique du calcul.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 29.08.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2
Considérant que l’assuré ne contestait pas le bien-fondé de la restitution découlant de l’augmentation des allocations familiales et complémentaires, ni le calcul opéré par la caisse de compensation à cet égard, la juridiction cantonale a circonscrit l’objet du litige au point de savoir si, dans le cadre du réexamen de son droit aux prestations complémentaires justifié par ladite augmentation, l’assuré pouvait valablement contester le poste relatif au revenu hypothétique de son épouse, lequel n’avait pas été modifié dans ce cadre et était entré en force. Elle a d’abord nié que l’art. 25 al. 2 let. b de l’Ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 (OPC-AVS/AI), en relation avec l’art. 17 LPGA, fût applicable en l’espèce, dès lors que l’assuré n’avait pas fait état d’une modification de ses circonstances personnelles ou économiques nécessitant d’adapter le montant de la prestation au sens de la disposition précitée de l’OPC-AVS/AI. Les juges cantonaux ont considéré à cet égard que l’assuré avait signalé une erreur commise par l’administration dès l’octroi des prestations complémentaires, si bien qu’il sollicitait la reconsidération, respectivement la révision du poste relatif au revenu hypothétique de son épouse.

L’instance précédente a ensuite examiné si la voie de la reconsidération pour ledit poste était ouverte, ce qu’elle a nié. En se fondant sur l’état de fait existant à l’époque tel qu’il ressortait du dossier, elle a considéré que la caisse de compensation n’avait pas procédé à une application erronée du droit, dès lors qu’elle ne disposait, à ce moment-là, d’aucun élément attestant du fait que l’épouse de l’intéressé avait diminué son taux d’activité pour s’occuper de lui. Par ailleurs, l’assuré n’avait à aucun moment fait part à la caisse de compensation du besoin d’aide qu’il nécessitait de la part de son épouse ni transmis les rapports d’enquête établis par l’office AI. La juridiction cantonale a également nié que l’assuré pût se prévaloir d’un motif de révision procédurale fondé sur la production de l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_165/2020 du 15 juin 2020 (concernant le droit à l’allocation pour impotent du recourant), dès lors déjà qu’il n’avait pas agi dans le délai relatif de 90 jours à partir du moment où il avait pris connaissance de cet arrêt (art. 67 al. 1 PA par renvoi de l’art. 55 al. 1 LPGA). Elle a au demeurant considéré que les faits ressortant de cet arrêt n’étaient pas nouveaux.

 

Consid. 3.1
A la suite des juges cantonaux, on rappellera que l’obligation de restituer des prestations indûment touchées (art. 25 LPGA) suppose que soient remplies les conditions d’une reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA) ou d’une révision procédurale (art. 53 al. 1 LPGA) de la décision – formelle ou non – par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 130 V 318 consid. 5.2). Selon l’art. 53 al. 2 LPGA, l’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable.

Consid. 3.2
Comme le fait valoir à juste titre l’assuré, lorsque les conditions de la reconsidération – ou de la révision procédurale (éventualité écartée par la juridiction cantonale dont le raisonnement n’est pas remis en cause par les parties) – sont réalisées, le rapport juridique doit être examiné pour le futur sous tous ses aspects, comme il en va en cas de révision au sens de l’art. 17 LPGA, c’est-à-dire en tenant compte de l’ensemble des faits déterminants pour le droit aux prestations et son éventuelle étendue, sur la base d’un état de fait établi de manière correcte et complète au moment de la décision ou de la décision sur opposition (arrêt 9C_321/2013 du 19 septembre 2013 consid. 2.1.2 et les arrêts cités). L’examen du droit à la prestation et, le cas échéant, de son étendue (ex nunc et) pro futuro est la règle en matière d’assurance-invalidité (arrêts 9C_215/2007 du 2 juillet 2007 consid. 6.1 et 9C_960/2008 du 6 mars 2009 consid. 1.2).

En revanche, la modification d’une décision d’octroi de prestations complémentaires peut avoir un effet ex tunc ou un effet ex nunc et pro futuro (cf. sur la seconde éventualité, art. 25 OPC-AVS/AI). La modification a un effet ex tunc – et partant justifie, le cas échéant, la répétition des prestations déjà perçues – lorsque sont réalisées les conditions qui président à la révocation, par son auteur, d’une décision administrative, dont celles de la reconsidération (arrêt P 26/02 du 20 janvier 2003 consid. 2). Dans ce cas, l’obligation de restituer des prestations complémentaires indûment perçues doit simplement permettre de rétablir l’ordre légal, après la découverte du motif justifiant la reconsidération (ou la révision procédurale) de la décision initiale d’octroi de prestations (ATF 122 V 134 consid. 2 d-e; arrêt 9C_398/2021 du 22 février 2022 consid. 5.3). Compte tenu de cet objectif, si l’administration admet que les conditions de la reconsidération de la décision d’octroi des prestations complémentaires sont réalisées et requiert la restitution de celles-ci – la modification correspondante déployant alors un effet ex tunc -, elle est tenue d’examiner le rapport juridique sous tous ses aspects lorsque l’ayant droit fait valoir qu’un autre élément de fait ou de droit que celui justifiant, de l’avis de l’organe d’exécution, la reconsidération conduirait à un résultat différent.

Consid. 3.3
En l’occurrence, la juridiction cantonale a examiné la question de la prise en compte du revenu hypothétique de l’épouse de l’assuré dès mars 2017, soulevée au stade de l’opposition, sous l’angle uniquement de la reconsidération et du caractère « manifestement erroné » de cet élément. Quant à la caisse de compensation, elle a procédé à l’examen du droit du recourant à des prestations complémentaires en tenant compte du poste relatif au revenu hypothétique de son épouse, sous l’angle de la révision, et elle a effectué un examen pro futuro, à compter du mois de décembre 2020, soit au moment où l’intéressé avait indiqué que « [son] épouse […] ne p[ouvait] plus travailler en raison du besoin d’aide dû au handicap de son mari » (opposition du 4 décembre 2020). Dans la décision sur opposition du 28.07.2021, la caisse de compensation a en effet indiqué qu’elle serait en mesure d’adapter le calcul des prestations complémentaires de l’assuré, en application de l’art. 25 al. 1 let. c et al. 2 let. b OPC-AVS/AI, en relation avec l’art. 17 LPGA, à supposer que l’état de santé de l’intéressé se fût aggravé depuis la décision du 04.07.2014, ce qu’elle a toutefois nié.

Dans ces circonstances, et comme les éléments de fait déterminants sous l’angle de l’examen du droit aux prestations complémentaires défini en l’espèce font défaut dans l’arrêt attaqué, il convient de renvoyer la cause à la caisse de compensation afin qu’elle procède à un nouvel examen du droit de l’assuré à des prestations complémentaires qui portera également sur la question du revenu hypothétique de son épouse, pour la période sur laquelle porte la restitution (de mars 2017 à novembre 2020).

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_454/2022 consultable ici

 

9C_41/2023 (f) du 27.06.2023 – Evaluation de l’allocation pour impotent / 9 LPGA – 42 LAI – 37 RAI / Avis du SMR vs Rapport de l’enquête à domicile

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_41/2023 (f) du 27.06.2023

 

Consultable ici

 

Evaluation de l’allocation pour impotent / 9 LPGA – 42 LAI – 37 RAI

Avis du SMR vs Rapport de l’enquête à domicile

 

Par décision du 01.06.2018, l’office AI a octroyé à l’assurée, née en 1973 et mère de huit enfants (nés entre 1993 et 2010), un quart de rente d’invalidité depuis le 01.03.2017, fondé sur un taux d’invalidité de 40%, assorti de cinq rentes pour enfant. Cette décision a été confirmée successivement par le tribunal cantonal, puis par le Tribunal fédéral (arrêt 9C_628/2020 du 29.07.2021).

Entre-temps, en juin 2018, l’assurée a sollicité une allocation pour impotent. L’office AI a notamment diligenté une enquête à domicile (rapport du 17.06.2019). L’enquêtrice a fait état d’un besoin d’aide régulière et importante en relation avec les six actes ordinaires de la vie, depuis 2012 au minimum; elle a également attesté un besoin d’accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie et de surveillance personnelle. Après avoir soumis le rapport d’enquête à domicile au médecin du SMR, spécialiste en médecine interne générale, l’office AI a nié le droit de l’assurée à une allocation pour impotent, par décision du 16.10.2020.

Dans l’intervalle, en septembre 2020, l’assurée a demandé le réexamen de son droit à la rente d’invalidité, en alléguant une aggravation de son état de santé.

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a considéré que le rapport du 17.06.2019 de l’enquêtrice n’était pas probant et que c’était donc à juste titre que l’office AI s’en était écarté. Les juges cantonaux ont constaté à cet égard que le rapport d’enquête à domicile contenait plusieurs incohérences et certaines contradictions. Par ailleurs, en se fondant sur les conclusions du médecin du SMR, ils ont admis que l’enquêtrice n’avait pas apprécié de façon critique les déclarations et plaintes de l’assurée, mais qu’elle s’était contentée de les reprendre telles quelles, sans recul. L’instance cantonale a ensuite nié que les avis des médecins traitants de l’assurée fûssent suffisamment motivés et détaillés pour permettre de retenir un besoin d’aide régulière et importante pour l’accomplissement des actes élémentaires de la vie quotidienne au sens de l’art. 37 RAI. Pour le surplus, le Tribunal cantonal a constaté que les explications du médecin du SMR, selon lesquelles le trouble de la personnalité borderline de l’assurée favoriserait l’autolimitation et les comportements démonstratifs, n’étaient contredites par aucune pièce médicale au dossier. En conséquence, il a confirmé que l’assurée ne remplissait pas les conditions d’octroi d’une allocation pour impotent.

Par jugement du 01.12.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Comme le fait valoir à juste titre l’assurée, les juges cantonaux se sont avant tout fondés sur la situation de l’assurée telle qu’elle se présentait au moment de l’expertise pluridisciplinaire réalisée le 25 novembre 2016, dans le cadre de l’instruction de sa demande tendant à l’octroi d’une rente d’invalidité. En effet, en se référant au rapport du médecin du SMR pour nier son droit à une allocation pour impotent, ils ont repris l’appréciation qu’a faite ce médecin sur la base des conclusions de l’experte E.__, spécialiste en médecine interne générale et en rhumatologie. Dans son rapport, le médecin du SMR a indiqué que les résultats de l’enquête à domicile étaient « quasi-caricaturaux » et ne « fai[saien]t que refléter ce sur quoi la [doctoresse] E.__ nous a[vait] mis en garde: toute évaluation extérieure aboutira systématiquement à la présentation d’un tableau dramatique, sans proportion aucune avec les atteintes médicalement objectivables de cette assurée », sans se prononcer au sujet de la situation prévalant concrètement postérieurement à l’expertise.

Ce faisant, en rejetant des résultats de l’enquête à domicile tout en suivant les conclusions du médecin du SMR, la juridiction cantonale s’est fondée sur l’avis d’un médecin qui n’a pas évalué les capacités de l’assurée quant aux conditions de la prestation en cause en fonction d’un examen concret de l’assurée, alors qu’une enquête sur place pour déterminer les circonstances concrètes est en principe nécessaire pour l’évaluation de l’impotence. Dans la mesure où le médecin du SMR – qui n’est au demeurant pas psychiatre – estimait qu’un tel examen « externe » n’aboutirait à aucun résultat probant, il appartenait à l’office AI de procéder à une mesure d’instruction complémentaire, en convoquant par exemple l’assurée à une discussion, voire à un examen auprès du SMR. Par ailleurs, en expliquant que le trouble de la personnalité borderline favorisait « nettement le comportement catastrophiste de cette personne, qui s’autolimite en tout », le médecin du SMR n’indique pas si concrètement le diagnostic psychiatrique a des effets dans la vie quotidienne de l’assurée, par rapport aux actes ordinaires de la vie et au besoin d’accompagnement.

Consid. 4.2
Dans ces circonstances, la cause doit être renvoyée à l’office AI pour qu’il procède aux mesures d’instruction nécessaires quant au droit de l’assurée à une allocation pour impotent à la suite de la demande de prestations qu’elle a déposée en juin 2018. Il lui incombera ensuite de rendre une nouvelle décision sur ce point, au besoin en tenant compte du résultat de la procédure concernant le réexamen du droit de l’assurée à la rente d’invalidité, initiée en septembre 2020. La conclusion subsidiaire de l’assurée se révèle bien fondée.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_41/2023 consultable ici

 

9C_304/2020 (f) du 08.07.2020 – Obligation de diminuer le dommage – Réadaptation par soi-même / Revenu d’invalide effectif après mesures de réadaptation – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_304/2020 (f) du 08.07.2020

 

Consultable ici

 

Obligation de diminuer le dommage – Réadaptation par soi-même

Revenu d’invalide effectif après mesures de réadaptation / 16 LPGA

Le fait d’effectuer pour un même taux d’activité (100%) un nombre d’heures de travail hebdomadaire plus important depuis la survenance de son atteinte à la santé sans pertinence

 

Assuré, né en 1967, a travaillé comme ouvrier de forage et conducteur d’engin de forage à plein temps du 27.04.2009 au 31.07.2012. Victime d’un arrêt de travail survenu le 01.12.2009, il a été mis en arrêt de travail complet. Après avoir tenté une reprise de son activité professionnelle, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 11.10.2012.

Selon le SMR, l’assuré pouvait depuis le 16.04.2012 exercer à plein temps une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites. L’office AI a pris en charge le coût d’un reclassement professionnel dès le 13.06.2014, notamment de logisticien, avec permis de conduire de camion et de cariste. Au terme de la formation, l’assuré a été engagé comme chauffeur à 100% dès le 01.06.2017. L’office AI a rejeté la demande de prestations; il a nié en particulier le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 31.03.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Dans le domaine de l’assurance-invalidité, on applique de manière générale le principe selon lequel un invalide doit, avant de requérir des prestations, entreprendre de son propre chef tout ce qu’on peut raisonnablement attendre de lui, pour atténuer le mieux possible les conséquences de son invalidité; c’est pourquoi un assuré n’a pas droit à une rente lorsqu’il serait en mesure, au besoin en changeant de profession, d’obtenir un revenu excluant une invalidité ouvrant droit à une rente. La réadaptation par soi-même est un aspect de l’obligation de diminuer le dommage et prime aussi bien le droit à une rente que celui à des mesures de réadaptation. Le point de savoir si une mesure peut être exigée d’un assuré doit être examiné au regard de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas concret (ATF 138 I 205 consid. 3.2 p. 209 et les références).

 

Consid. 5.2
En ce qui concerne le revenu d’invalide, il doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. Si l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu, qui correspond au travail effectivement fourni, ne contient pas d’élément de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide (ATF 143 V 295 consid. 2.2 p. 296; 139 V 592 consid. 2.3 p. 593; 126 V 75 consid. 3b/aa p. 76; 117 V 8 consid. 2c/aa p. 17 et les références).

En se limitant à mentionner qu’il doit effectuer pour un même taux d’activité (100%) un nombre d’heures de travail hebdomadaire plus important depuis la survenance de son atteinte à la santé, l’assuré ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter de la jurisprudence constante (sur les conditions d’un changement de jurisprudence, ATF 144 V 72 consid. 5.3.2 p. 77). Du fait déjà que les activités exercées avant et après l’invalidité ne sont pas les mêmes, le nombre d’heures effectuées dans l’une et l’autre branche professionnelle n’ont pas à être « comparées de manière proportionnelle » comme le voudrait l’assuré. On ne saurait y voir une inégalité de traitement. Il ne prétend par ailleurs pas que l’on ne pourrait pas raisonnablement attendre de lui, pour atténuer le mieux possible les conséquences de son atteinte à la santé, de travailler à plein temps dans sa nouvelle activité professionnelle. Les premiers juges ont dès lors fixé à bon droit le revenu d’invalide de l’assuré à 62’400 fr., soit au revenu effectivement réalisé par celui-ci après son reclassement professionnel.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_304/2020 consultable ici

 

4A_563/2019 (f) du 14.07.2020 – ATF 146 III 339 – Assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie LCA – Distinction entre une assurance de sommes et une assurance de dommages

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_563/2019 (f) du 14.07.2020, ATF 146 III 339

 

Arrêt 4A_563/2019 consultable ici – ATF 146 III 339

 

Assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie LCA – Distinction entre une assurance de sommes et une assurance de dommages

Droit à l’indemnité journalière après résiliation des rapports de travail – Vraisemblance de l’exercice d’une activité lucrative sans l’atteinte à la santé

 

L’entreprise C.__ AG a engagé l’assuré en qualité de chef de projet, par contrat de travail prenant effet le 01.02.2016 avec un temps d’essai de trois mois. A ce titre, le prénommé bénéficiait de l’assurance collective perte de gain maladie conclue par l’employeuse auprès de la compagnie B.__ SA (ci-après : la société d’assurance).

Le 10.03.2016, l’assuré a été licencié pour le 20.03.2016, « conformément au délai légal de 7 jours durant la période d’essai ». Ce même jour, il a consulté son psychiatre traitant, qui a diagnostiqué un épisode dépressif sévère. Le médecin a délivré un certificat d’incapacité de travail à 100 % renouvelé chaque mois depuis lors. A l’expiration d’un délai d’attente de 60 jours, la société d’assurance a versé à l’assuré de pleines indemnités journalières du 09.05.2016 au 14.06.2016, puis des demi-indemnités du 15.06.2016 au 14.07.2016.

Atteint d’une maladie polykystique rénale, l’assuré souffre d’une insuffisance rénale qui s’est aggravée au point d’annihiler sa capacité de travail depuis le 30.05.2016. Ultérieurement, il est apparu que l’assuré avait besoin d’une dialyse, voire d’une transplantation.

Le 21.08.2016, l’assuré a déposé une demande de prestations auprès de l’assurance-invalidité en raison d’un état anxio-dépressif dû à un conflit au travail (depuis le 10.03.2016) et un début d’insuffisance rénale (dès le 30.05.2016). Le service médical régional de l’assurance-invalidité a considéré que la capacité de travail de l’assuré était nulle dans toute activité dès le 10.03.2016. L’office AI a mis l’assuré au bénéfice d’une rente entière d’invalidité, à compter du 01.03.2017.

L’assuré a vainement demandé à la société d’assurance qu’elle poursuive le versement des indemnités journalières. La société d’assurance a confirmé son refus de prester en arguant du fait que l’assuré n’éprouvait aucun dommage. Même sans l’affection qui s’était déclarée le jour du licenciement, il n’aurait pas pu toucher des indemnités de chômage – le délai-cadre d’indemnisation ayant été épuisé -, et il n’y avait pas lieu de penser qu’il aurait retrouvé, rapidement ou non, un nouvel emploi. C’était donc à tort que des indemnités journalières lui avaient été servies du 09.05.2016 au 14.07.2016. Eu égard au délai écoulé et afin de ne pas placer l’assuré dans la gêne, la société d’assurance renonçait à demander la restitution du montant corrélatif; en revanche, elle excluait de verser de plus amples prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/890/2019 – consultable ici)

Par jugement du 01.10.2019, rejet intégral de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
La Cour de justice genevoise a jugé en substance que pour avoir droit à des indemnités journalières, l’assuré devait subir une perte effective sur le plan économique du fait de l’état dépressif affectant sa capacité de travail. L’assurance en cause était une assurance collective qui, de par sa nature, était généralement conclue sous la forme d’une assurance de dommages. Cet axiome était en l’occurrence confirmé par les conditions générales : le montant de l’indemnité dépendait de l’importance de l’incapacité de travail; elle était calculée sur la base du salaire effectif et pouvait être diminuée en cas de surindemnisation.

L’assuré était tombé malade consécutivement à la résiliation de son contrat de travail. Il avait épuisé son droit aux prestations de l’assurance-chômage antérieurement à son engagement du 01.02.2016 et n’avait pas cotisé suffisamment pour entraîner l’ouverture d’un nouveau délai-cadre d’indemnisation. Il devait ainsi établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu’il aurait exercé une activité lucrative s’il n’avait pas souffert de troubles psychiques. Or, il avait échoué à rapporter une telle preuve. En effet, il n’avait pas établi avoir été l’objet d’une offre d’emploi sérieuse, les deux attestations produites étant inopérantes. Au demeurant, l’atteinte rénale dont il souffrait ne permettait pas de considérer qu’il aurait été apte à reprendre une quelconque activité, même en l’absence de troubles psychiques.

Consid. 5.2.3
La distinction entre assurance de sommes et assurance de dommages a occupé de longue date la doctrine et la jurisprudence. L’assurance de sommes garantit une prestation prédéfinie lors de la conclusion du contrat, qui doit être versée si l’événement assuré survient, sans égard à ses conséquences pécuniaires et à l’existence d’un possible dommage. En revanche, dans une assurance contre les dommages, les cocontractants font de la perte patrimoniale effective une condition autonome du droit aux prestations; une telle assurance vise à compenser totalement ou partiellement un dommage effectif. Toute assurance vise à parer à d’éventuels revers de fortune. Le critère de distinction ne réside donc pas dans le but, mais bien dans les conditions de la prestation d’assurance (cf. entre autres ATF 119 II 361 consid. 4 p. 364 s.; ATF 104 II 44 consid. 4c; arrêts 4A_367/2016 du 20 mars 2017 consid. 3.2; 4A_53/2007 du 26 septembre 2007 consid. 4.4.2; GERHARD STOESSEL, Schadens- und Summenversicherung: Diskussion seit hundert Jahren, in Mélanges du Bureau National Suisse d’Assurance […], 2000, p. 504; VINCENT BRULHART, Droit des assurances privées [ci-après: Assurances privées], 2e éd. 2017, p. 521 s.).

L’assurance de sommes permet à l’assuré de cumuler les prétentions en versement des indemnités journalières prévues par le contrat d’assurance avec d’autres prétentions découlant du même événement dommageable. La surindemnisation est possible; conformément à l’art. 96 LCA (RS 221.229.1), les droits que l’ayant droit aurait contre des tiers en raison du sinistre ne passent pas à l’assureur (ATF 133 III 527 consid. 3.2.5). L’assurance de dommages, en revanche, est gouvernée par le principe indemnitaire; pour éviter le cumul, l’art. 72 LCA a institué un droit de recours de l’assureur à l’encontre du tiers responsable (arrêt précité 4A_53/2007 consid. 4.4.2; BRULHART, Assurances privées, op. cit., p. 521).

Savoir si l’on est en présence d’une assurance de sommes ou de dommages dépend en définitive du contrat d’assurance et des conditions générales. L’expression « incapacité de gain » n’est pas déterminante dans la mesure où elle est parfois utilisée comme un synonyme de l’incapacité de travail (cf. arrêt 4A_332/2010 du 22 février 2011 consid. 5.2.4). Les règles usuelles d’interprétation des contrats sont applicables (arrêt précité 4A_53/2007 consid. 4.4.2). Lorsque l’interprétation ainsi dégagée laisse subsister un doute sur leur sens, les conditions générales doivent être interprétées en défaveur de leur auteur, conformément à la règle dite des clauses ambiguës (Unklarheitsregel, in dubio contra stipulatorem; ATF 124 III 155 consid. 1b p. 158; ATF 122 III 118 consid. 2a; arrêt 4A_177/2015 du 16 juin 2015 consid. 3.2).

D’aucuns font observer que les conditions générales d’assurance ne formulent pas toujours explicitement l’exigence d’un dommage, laquelle peut aussi découler de l’interprétation qui doit s’étendre le cas échéant aux autres documents contractuels. S’il en résulte que la prestation d’assurance est conditionnée à une perte patrimoniale déclenchée par l’événement assuré, il s’agit d’une assurance de dommages, quand bien même l’étendue de la prestation est jusqu’à un certain point forfaitisée – ce qui arrive fréquemment pour des raisons pratiques (STOESSEL, op. cit., p. 510 § 1 et p. 511 § 2; sur la forfaitisation, cf. aussi HÄBERLI/HUSMANN, Krankentaggeld, versicherungs- und arbeitsrechtliche Aspekte, 2015, p. 9 s. n. 36).

Divers auteurs constatent en outre que les assurances collectives conclues par une entreprise pour le personnel sont typiquement des assurances de dommages (MATTER/FREY, ius.focus 2016 p. 16; IVANO RANZANICI, Les effets de l’incapacité de travailler pour cause d’une maladie successive à la résolution du contrat de travail, in Regards croisés sur le droit du travail: Liber Amicorum pour Gabriel Aubert, 2015, p. 276; STEPHAN FUHRER, Kollektive Krankentaggeldversicherung – aktuelle Fragen, in Annales SDRCA 2014 [ci-après: Annales 2014], p. 86). L’employeur a en effet l’obligation de verser, pour un temps limité, le salaire du travailleur empêché de travailler pour cause de maladie (art. 324a CO). Pour autant qu’elle offre des prestations équivalentes, une assurance collective couvrant tout le personnel de l’entreprise peut libérer cette dernière d’une telle obligation, le risque lié à l’incapacité de travail étant alors assumé par l’assureur (cf. art. 324a al. 4 CO; cf. entre autres RANZANICI, op. cit., p. 272-274; VINCENT BRULHART, L’assurance collective contre la perte de gain en cas de maladie [ci-après: Assurance collective], in Le droit social dans la pratique de l’entreprise, 2006, p. 99 s.; cf. ATF 141 III 112 consid. 4.1-4.3). Le fait que l’assurance couvre des personnes non nommément désignées comme le fait qu’elle se réfère au dernier salaire AVS touché dans l’entreprise plaident en faveur d’une assurance de dommages (HANS-RUDOLF MÜLLER, Grundlagen der Krankentaggeldversicherung nach VVG, in Krankentaggeldversicherung: Arbeits- und versicherungsrechtliche Aspekte, 2007, p. 29-31; HÄBERLI/ HUSMANN, op. cit., p. 11 n. 42; MATTER/FREY, ius.focus 2016 p. 16).

L’assurance collective peut voir co-exister une assurance de dommages pour le personnel salarié et une assurance de sommes pour le chef d’entreprise/employeur (MÜLLER, op. cit., p. 30; HÄBERLI/HUSMANN, op. cit., p. 10 n. 40; RUDOLF LUGINBÜHL, Krankentaggeldversicherungen, Allgemeiner Überblick und aktuelle Probleme, in Arbeitsunfähigkeit und Taggeld, 2010, p. 20); l’assurance de sommes est en effet fréquente s’agissant des indépendants (HÄBERLI/ HUSMANN, op. cit., p. 9 n. 33; cf. BRULHART, Assurance collective, op. cit., p. 110 s.).

Les tribunaux ont (trop) souvent été occupés par des litiges sur la nature de l’assurance contractée, qui eussent pu aisément être évités si les assureurs avaient indiqué clairement dans leurs conditions générales quel type d’assurance était offert (cf. FUHRER, Annales 2014, op. cit., p. 86 s.).

Le législateur a toutefois fait en sorte de remédier à cette situation. Dans un premier temps, il avait été envisagé d’instituer un jeu de présomptions inférant que les assurances de personnes sont des assurances de sommes et les autres assurances, des assurances de dommages (cf. art. 28 de l’Avant-projet de la Commission d’experts du 31 juillet 2006; FUHRER, Annales 2014, op. cit., p. 86 s. et la sous-note 66). Une autre solution a finalement été trouvée. Le Parlement vient d’adopter le 19 juin 2020 une modification de la LCA comprenant un nouvel art. 3 al. 1 let. b, en vertu duquel l’assureur doit « renseigner le preneur d’assurance, de manière compréhensible et par un moyen permettant d’en établir la preuve par un texte », en particulier « sur l’étendue de la couverture d’assurance et sa nature, c’est-à-dire la question de savoir s’il s’agit d’une assurance de sommes ou d’une assurance dommages » (cf. FF 2020 5496, avec délai référendaire au 8 octobre 2020; cf. aussi le Message du 28 juin 2017 concernant la révision de la LCA, FF 2017 4787 s. et 4818).

Consid. 5.2.4
En l’occurrence, l’assurance convenue tend expressément à parer aux « conséquences économiques de l’incapacité de travail due à une maladie » (art. B 1 al. 1 CGA). Cet élément n’est pas décisif, puisque le but d’une telle assurance – qu’elle soit de sommes ou de dommages – vise à obvier à la perte financière découlant d’une maladie (cf. ATF 119 II 361 consid. 4 p. 365).

Importent au premier chef les conditions entourant l’obligation de prester (cf. consid. 5.2.3 supra). En l’occurrence, il appert que l’assureur doit payer des indemnités journalières « lorsque […] l’assuré est dans l’incapacité de travailler », ces indemnités étant « calculées sur la base du dernier salaire AVS perçu dans l’entreprise assurée » avant la maladie (art. B 8 al. 1 et B 6 al. 1 CGA). Pris à la lettre, l’art. B 8 al. 1 CGA implique que l’incapacité de travail suffit à entraîner le versement de l’indemnité, ce qui pourrait en soi plaider en faveur d’une assurance de sommes. On ne discerne en effet nul réquisit quant à un éventuel dommage ou autre perte de gain. Il n’est pas précisé que l’indemnité journalière est versée en cas d’incapacité de travail « jusqu’à concurrence de la perte de gain établie » (cf. par exemple art. 14 al. 1 CGA de l’assurance collective proposée par X., éd. 2012 et 2015, accessibles sur Internet […]); il n’est pas non plus énoncé que l’assureur renonce à exiger la preuve d’une perte de gain concrète, tout en se réservant le droit d’exiger une telle preuve dans des cas individuels (cf. art. 5.4 let. d CGA de l’assurance perte de gain maladie offerte par Y., éd. juillet 2019, également sur Internet […]). Cela étant, il faut se garder de conclusions trop hâtives fondées sur la seule lettre de l’art. B 8 al. 1 CGA et privilégier une approche globale. L’on gardera ainsi à l’esprit que l’assuré bénéficie de cette assurance collective en tant que salarié de l’entreprise qui est la preneuse d’assurance. Il n’apparaît pas que le personnel assuré, et l’assuré en particulier, ait été nommément désigné. Est déterminant le salaire effectif de l’ayant droit, soit le dernier salaire AVS perçu dans l’entreprise assurée avant le début de la maladie; comme le souligne la doctrine, ces éléments plaident pour une assurance de dommages. Qui plus est, l’arrêt attaqué précise, en évoquant l’art. B 10 CGA, que l’indemnité peut être réduite en cas de surindemnisation, les prestations de tiers étant prises en compte sauf si le contraire a été expressément convenu (assurance de sommes). Cet élément, typique d’une assurance de dommages fondée sur le principe de l’indemnisation, n’est certes pas un critère absolu. Doctrine et jurisprudence ont relevé qu’il peut se retrouver exceptionnellement dans une assurance de sommes si les conditions générales le prévoient (ATF 133 III 527 consid. 3.2.5 in fine et la réf. à ROLAND BREHM, L’assurance privée contre les accidents, 2001, p. 191-192 n. 376). Le présent régime contractuel fait toutefois prévaloir la règle générale: les prestations de tiers sont imputées, sauf si le contraire est exprimé, auquel cas il s’agit d’une assurance de sommes. Autrement dit, les assurances dans lesquelles les prestations de tiers sont imputées constituent des assurances de dommages.

Sur la base des éléments limités dont on dispose – à savoir certains articles des conditions générales cités ou mentionnés (art. B 10) dans l’arrêt attaqué, à l’exclusion de la police d’assurance topique -, il faut bien admettre que l’autorité précédente n’a pas enfreint le droit fédéral en considérant que l’assurance en question était une assurance de dommages. L’assuré se réfère à d’autres clauses CGA qui ne figurent pas dans l’arrêt attaqué, sans satisfaire aux exigences nécessaires pour obtenir un complètement de l’état de fait (cf. ATF 140 III 86 consid. 2 p. 90). Au demeurant, l’art. B 11 al. 7 CGA n’a pas l’importance que lui prête l’assuré. Cette clause, relative au droit de passage dans l’assurance individuelle, précise que le montant maximum assurable est celui qui résulte ou résulterait des indemnités de chômage; cela n’exclut pas, dans le contexte précité, d’apposer à l’assurance collective l’étiquette d’une assurance de dommages.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_563/2019 consultable ici – ATF 146 III 339

 

L’ATF 146 III 339 a été confirmé par l’ATF 147 III 73 : La présomption de fait selon laquelle, sans la maladie qui l’affecte, une personne sans emploi exercerait une activité lucrative ne s’applique que si l’incapacité de travail est survenue avant la signification du congé (confirmation de la jurisprudence; consid. 3.2 et 3.3).

 

8C_654/2019 (f) du 14.04.2020 – Aptitude au placement – Autorisation de séjour et de travail / 8 LACI – 15 LACI – 21 al. 3 LEI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_654/2019 (f) du 14.04.2020

 

Consultable ici

 

Aptitude au placement – Autorisation de séjour et de travail / 8 LACI – 15 LACI – 21 al. 3 LEI

 

Assuré, né en 1982, ressortissant du pays B.__, est titulaire d’un Bachelor en science pharmaceutique et d’un Master of Science en biotechnologie délivrés par deux universités dans le pays B.__. Du 01.10.2012 au 31.07.2017, il a occupé un poste d’assistant-doctorant, sur la base d’un contrat de durée déterminée renouvelable d’année en année. Il était alors au bénéfice d’une autorisation de séjour (permis B) pour « formation avec activité ». L’assuré a obtenu son doctorat ès sciences avec une thèse en neurosciences en novembre 2017. Son engagement auprès de l’école a été prolongé du 01.08.2017 au 30.09.2018 en qualité de post-doctorant. Son permis de séjour a été renouvelé. Le 27.09.2018, l’intéressé a fait une demande de prolongation de son titre de séjour, lequel arrivait à échéance le 05.10.2018.

Le 12.09.2018, l’assuré s’est inscrit auprès de l’ORP comme demandeur d’emploi, avec une disponibilité à l’emploi de 100%, et a sollicité l’indemnité de chômage à partir du 01.10.2018.

Le Service de l’emploi (ci-après: SDE) a interpellé le Contrôle du marché du travail et protection des travailleurs du SDE (ci-après: CMTPT) pour qu’il lui indique si l’assuré était au bénéfice d’une autorisation de séjour et de travail en Suisse, étant précisé que l’assuré aurait déposé une demande pour un permis L. Le 05.11.2018, le CMTPT a répondu que le dossier était à l’examen « sans droit de travailler dès le 05.10.2018 ».

Par décision, la division juridique des ORP a déclaré l’assuré inapte au placement dès le 05.10.2018, au motif qu’il n’était plus au bénéfice d’un permis de séjour l’autorisant à travailler à partir de cette date. L’intéressé s’est opposé à cette décision, rappelant qu’une demande de renouvellement de son permis de séjour était pendante et produisant une attestation du Service de la population du canton de Vaud (ci-après: SPOP) du 01.10.2018, laquelle certifiait que son dossier était en cours de traitement et que son séjour était admis jusqu’à droit connu sur une décision en matière de police des étrangers. Par décision du 16.01.2019, le SDE a rejeté l’opposition.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 23.08.2019, admission du recours par le tribunal cantonal réformant la décision en ce sens que l’assuré est reconnu apte au placement à compter du 05.10.2018.

 

TF

Consid. 2.1
L’assuré n’a droit à l’indemnité de chômage que s’il est apte au placement (art. 8 al. 1 let. f LACI). Selon l’art. 15 al. 1 LACI, est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire. L’aptitude au placement suppose, logiquement, que l’intéressé soit au bénéfice d’une autorisation de travail qui lui permette, le cas échéant, d’accepter l’offre d’un employeur potentiel. A défaut d’une telle autorisation, il s’agit de déterminer – de manière prospective, sur la base des faits tels qu’ils se sont déroulés jusqu’au moment de la décision sur opposition (ATF 143 V 168 consid. 2 p. 170; 120 V 385 consid. 2 p. 387) – si l’assuré, ressortissant étranger, pouvait ou non compter sur l’obtention d’une autorisation de travail (arrêt 8C_581/2018 du 25 janvier 2019 consid. 2.2 THOMAS NUSSBAUMER, Arbeitslosenversicherung, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 2347 n. 269; BORIS RUBIN, Assurance-chômage et service public de l’emploi, 2019, p. 51 n. 234).

 

Consid. 3.1
Selon l’art. 21 al. 3 LEI (dans sa teneur en vigueur au 1er janvier 2019, laquelle est identique à celle de l’art. 21 al. 3 LEtr en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018), en dérogation à l’ordre de priorité prévu par l’al. 1, un étranger titulaire d’un diplôme d’une haute école suisse peut être admis en vue de l’exercice d’une activité lucrative, si son activité lucrative revêt un intérêt scientifique ou économique prépondérant; il est admis provisoirement pendant six mois à compter de la fin de sa formation ou de sa formation continue en Suisse pour trouver une telle activité.

Consid. 3.2
Les juges cantonaux ont considéré en l’occurrence que l’admission provisoire prévue par cette disposition suffisait à reconnaître l’aptitude au placement de l’assuré, spécialiste en neurosciences, à partir du 05.10.2018. Un tel raisonnement ne saurait toutefois être suivi. A supposer que l’assuré remplît les conditions pour être admis provisoirement dès la fin de son activité post-doctorale en vue de rechercher un emploi au sens de l’art. 21 al. 3 LEI, cela ne permet pas en soi de considérer qu’il pouvait compter sur la délivrance d’une autorisation de travailler pendant la période litigieuse. En effet, l’admission, respectivement la prise d’emploi, d’un ressortissant étranger autorisé provisoirement à séjourner en Suisse pour trouver un emploi qualifié en vertu l’art. 21 al. 3 LEI est soumise pour approbation au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) et à la délivrance d’une autorisation de séjour et de travail (cf. les Directives du SEM « Domaines des étrangers » [Directives LEI] ch. 5.1.2 et « Séjour avec activité lucrative » [Chapitre 4 des Directives LEI] ch. 4.4.6). Il faut donc se demander, sur la base des faits tels qu’ils se sont déroulés jusqu’au moment de la décision sur opposition, si l’assuré pouvait compter ou non sur l’obtention d’une telle autorisation (cf. arrêts 8C_581/2018 précité 4.2.2; 8C_479/2011 du 10 février 2012 consid. 3.2.2 in fine). Or il ne ressort pas des constatations de la juridiction cantonale que la question de la prise d’un emploi hautement qualifié se soit posée au moment de l’inscription de l’assuré au chômage jusqu’à la décision sur opposition du 16.01.2019. Les juges cantonaux évoquent certes une proposition d’engagement de la société D.__, mais sans précision sur la nature de l’emploi, ni sur la date de la proposition et de l’engagement éventuel. Un renvoi pour compléter les faits sur ce point ne se justifie toutefois pas, dès lors que les conditions pour compléter d’office l’état de fait du jugement attaqué sont remplies (cf. arrêt 8C_645/2014 du 3 juillet 2015 consid. 3.4). Il ressort en effet clairement du dossier de la procédure cantonale que la proposition d’engagement, figurant dans le dossier du SPOP, est postérieure à la décision sur opposition (cf. courriel de la société D.__ du 6 février 2019). Dans ces conditions, rien ne permettait de retenir que, pendant la période litigieuse, l’assuré pouvait compter sur l’obtention d’une autorisation de travail pour un emploi hautement qualifié. On notera par ailleurs que si l’exercice d’une activité accessoire en marge des recherches d’emploi au sens de l’art. 21 al. 3 LEI peut être autorisée à raison de 15 heures par semaine au maximum (cf. Directives LEI ch. 5.1.2), il n’en reste pas moins qu’en l’espèce, l’assuré n’avait plus le droit de travailler à compter du 05.10.2018, selon les indications du CMTPT.

Consid. 3.3
Il résulte de ce qui précède que les premiers juges ont reconnu à tort l’aptitude au placement de l’assuré, en l’absence de circonstances permettant de compter sur la délivrance d’une autorisation de travailler, ce qui conduit à l’admission du recours.

 

Le TF admet le recours du Service de l’emploi.

 

Arrêt 8C_654/2019 consultable ici