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8C_810/2019 (f) du 07.09.2020 – 3 accidents de la circulation – Séquelles physiques en lien de causalité avec chacun des accidents – 6 LAA / Absence de séquelles physiques en lien de causalité avec le 2e accident / Lien de causalité adéquate entre le 3e accident et les troubles (lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin » examiné selon le 115 V 133) / Examen de la causalité adéquate en cas d’accidents successifs

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_810/2019 (f) du 07.09.2020

 

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3 accidents de la circulation – Séquelles physiques en lien de causalité avec chacun des accidents / 6 LAA

Absence de séquelles physiques en lien de causalité avec le 2e accident

Lien de causalité adéquate entre le 3e accident et les troubles (lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin » examiné selon le 115 V 133)

Examen de la causalité adéquate en cas d’accidents successifs

 

Assurée, née en 1982, travaillant en qualité d’ensemblière, est victime de trois accidents successifs de la circulation :

  • Le 19.01.2009, elle a subi une distorsion cervicale simple en percutant une voiture à l’arrêt. Le cas avait alors été pris en charge par l’assurance-accidents, qui a versé des prestations jusqu’en décembre en 2010.
  • Le 02.12.2012, la voiture dont elle était passagère à l’arrière au milieu a glissé sur une plaque de glace et s’est brusquement arrêtée contre une butte, projetant les passagers vers leur gauche. Selon la description de l’accident figurant dans la déclaration de sinistre, l’arrêt soudain du véhicule a projeté l’assurée contre le passager arrière assis à côté d’elle ; afin d’éviter le choc entre eux, l’assurée « a effectué une torsion au niveau du bassin et du bras » pour se retenir contre la fenêtre ; elle a ressenti par la suite des douleurs au niveau de la fesse et de la jambe. Il est en outre mentionné « hanche droite » sous la rubrique « partie du corps atteinte ». Entendue à son domicile le 13.06.2013, l’assurée a précisé que l’accident s’était produit à vitesse réduite et que le voyage avait pu se poursuivre après l’arrêt du véhicule contre le talus. A la suite de l’accident du 02.12.2012, l’assurée a poursuivi son activité professionnelle, jusqu’à ce qu’elle consulte le 28.12.2012 son médecin traitant (médecin-chef du Service de chirurgie orthopédique et de réadaptation physique du Centre médical D.__), lequel a attesté une incapacité de travail dès cette date.
  • Le 19.07.2013, alors qu’elle était à l’arrêt devant un signal « cédez le passage » au volant de son véhicule, celui-ci a été percuté par le véhicule qui la suivait. En raison de douleurs cervicales, de vertiges et de nausées, elle s’est rendue aux urgences de l’Hôpital E.__ trois jours plus tard, où les médecins ont diagnostiqué une contusion cervicale et des céphalées post-traumatiques. Un CT-scan cérébral et un angio-CT des troncs supra-aortiques pratiqués le 22.07.2017 n’ont pas mis en évidence de lésion traumatique cranio-cervicale visible.

L’assurance-accidents a confié la mise en œuvre d’une expertise neurologique à un spécialiste en neurologie, qui a constaté un examen neurologique parfaitement normal, relevant néanmoins un tableau de contractures musculaires douloureuses, une labilité émotionnelle, des phénomènes d’ordre neurovégétatif et des troubles du sommeil d’ordre psychophysiologique entrant dans le cadre d’un état de stress chronique. Sur le plan psychiatrique, l’assurée est suivie par un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, depuis le 08.02.2013, en raison notamment d’un état de stress post-traumatique.

L’assurance-accidents a nié le droit de l’assurée à des prestations d’assurance pour les suites de l’accident du 02.12.2012, au motif qu’il n’existait pas de lien de causalité au moins probable entre cet événement et les troubles présentés par l’assurée. En revanche, elle prenait en charge les suites de l’accident du 19.07.2013 jusqu’au 31.03.2016, considérant que les troubles subsistant au-delà de cette date étaient exclusivement de nature maladive.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 04.11.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Séquelles physiques en lien de causalité avec l’accident du 02.12.2012

Sur le plan médical, il est établi que l’assurée a attendu le 28.12.2012 avant de consulter son médecin traitant, lequel a attesté une incapacité de travail en raison d’un burn-out. Cela étant, on ne peut pas retenir que l’accident du 02.12.2012 aurait justifié l’incapacité de travail attestée à compter du 28.12.2012, bien que le praticien ait mentionné une accentuation des crampes et des douleurs en raison de celui-ci dans son rapport du 14.01.2013. Par ailleurs, il ressort des rapports médicaux du médecin-traitant que l’assurée souffrait déjà de nombreuses affections avant l’événement litigieux (vertiges rotatoires, cervicoscapulalgies bilatérales, discopathies cervicales, troubles statiques, déconditionnement musculaire).

Quant à la hernie discale décelée par une IRM lombaire du 08.03.2013 et opérée le 09.04.2013, aucun médecin ne l’a expressément attribuée à l’accident du 02.12.2012. Certes, le spécialiste en médecine physique et réadaptation consulté a considéré qu’elle était très probablement due à l’événement en cause. Il n’en reste pas moins qu’il motive cette appréciation uniquement par l’absence de problèmes rachidiens antérieurs à l’accident du 02.12.2012 « hormis un bref épisode de lombalgies aigües et modérées en 2004 » et par l’apparition immédiate de la symptomatologie douloureuse, ce qui est insuffisant pour établir un lien de causalité naturelle avec l’accident du 02.12.2012 (raisonnement « post hoc, ergo propter hoc »; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb p. 341 s.; arrêt 8C_331/2015 du 21 août 2015 consid. 2.2.3.1, in SVR 2016 UV n° 18 p. 55). On rappellera en outre que selon l’expérience médicale, pratiquement toutes les hernies discales s’insèrent dans un contexte d’altération des disques intervertébraux d’origine dégénérative, un événement accidentel n’apparaissant qu’exceptionnellement, et pour autant que certaines conditions particulières soient réalisées, comme la cause proprement dite d’une telle atteinte; une hernie discale peut être considérée comme étant due principalement à un accident lorsque celui-ci revêt une importance particulière, qu’il est de nature à entraîner une lésion du disque intervertébral et que les symptômes de la hernie discale (syndrome vertébral ou radiculaire) apparaissent immédiatement, entraînant aussitôt une incapacité de travail (arrêt 8C_746/2018 du 1er avril 2019 consid. 3.3 et les arrêts cités). Or en l’espèce, ces conditions ne sont manifestement pas remplies.

Pour le reste, on ne voit pas que les « tensions rachidiennes » soient constitutives de séquelles physiques organiques; quant aux brèves réponses du médecin traitant à un questionnaire soumis par la protection juridique de l’assurée – dans lesquelles il soutient que les troubles actuels, soit au 27.05.2016, seraient en lien de causalité certain avec l’accident du 02.12.2012 « en raison de l’accentuation des douleurs et des crampes dans un contexte de myogélose global » -, elles ne répondent pas aux critères jurisprudentiels en matière de valeur probante des rapports médicaux (cf. ATF 134 V 231 consid. 5.1 p. 232 et l’arrêt cité) et ne sont pas suffisamment étayées.

En conclusion, il n’est pas possible de déduire des rapports susmentionnés un lien de causalité entre l’accident du 02.12.2012 et les atteintes dont l’assurée a souffert ultérieurement sur le plan somatique.

 

Lien de causalité adéquate entre l’accident du 19.07.2013 et ses troubles persistant au-delà du 31.03.2016

En matière de lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin », de traumatisme analogue ou de traumatisme cranio-cérébral sans preuve d’un déficit fonctionnel organique, l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident et l’incapacité de travail ou de gain doit en principe être reconnue en présence d’un tableau clinique typique présentant de multiples plaintes (maux de têtes diffus, vertiges, troubles de la concentration et de la mémoire, nausées, fatigabilité, troubles de la vue, irritabilité, dépression, modification du caractère, etc.; ATF 134 V 109 consid. 9 p. 122 ss).

Pour l’examen de la causalité adéquate, selon la jurisprudence, la situation dans laquelle les symptômes, qui peuvent être attribués de manière crédible au tableau clinique typique, se trouvent toujours au premier plan doit être distinguée de celle dans laquelle l’assuré présente des troubles psychiques qui constituent une atteinte à la santé distincte et indépendante du tableau clinique caractéristique habituellement associé aux traumatismes en cause :

  • Dans le premier cas, cet examen se fait sur la base des critères particuliers développés pour les cas de traumatisme de type « coup du lapin » à la colonne cervicale, de traumatisme analogue à la colonne cervicale ou de traumatisme cranio-cérébral, lesquels n’opèrent pas de distinction entre les éléments physiques et psychiques des atteintes (cf. ATF 134 V 109 consid. 10.3 p. 130; 117 V 359 consid. 6a p. 367).
  • Dans le second cas, il y a lieu de se fonder sur les critères applicables en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident, c’est-à-dire en excluant les aspects psychiques (cf. ATF 134 V 109 précité consid. 9.5 p. 125 s.; 127 V 102 consid. 5b/bb p. 103 et les références; 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140 et 403 consid. 5c/aa p. 409).

En l’occurrence, les juges cantonaux confirmé la présence d’un tableau clinique caractéristique habituellement associé aux traumatismes de type « coup du lapin ». Pour l’examen de la causalité adéquate, ils se sont fondés sur les critères applicables en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident, c’est-à-dire en excluant les aspects psychiques, considérant (implicitement) que l’assurée présentait des troubles psychiques constituant une atteinte à la santé distincte et indépendante du tableau clinique. Dans le cadre de cet examen, ils ont qualifié l’événement du 19.07.2013 d’accident de gravité moyenne, à la limite inférieure de cette catégorie, et ont considéré qu’aucun critère n’était réalisé.

L’application des critères en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident et la qualification en tant qu’accident de gravité moyenne à la limite inférieure de la catégorie ne sont pas contestées par l’assurée et n’apparaissent pas critiquables au vu des rapports du psychiatre traitant, d’une part, et des déclarations de l’assurée et du rapport biomécanique, d’autre part. En cas d’accidents de gravité moyenne à la limite des accidents de peu de gravité, il faut un cumul de quatre critères au moins parmi les sept consacrés par la jurisprudence ou que l’un des critères se manifeste avec une intensité particulière (arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.1, in SVR 2019 UV n° 27 p. 99). Il y a dès lors lieu d’examiner ci-après si et dans quelle mesure les différents critères sont réalisés.

En ce qui concerne le critère de la durée anormalement longue du traitement médical, les juges cantonaux ont constaté que l’assurée avait été astreinte à porter une collerette en mousse durant trois jours et à suivre un traitement antalgique; elle avait régulièrement consulté le médecin traitant, qui lui avait prescrit du repos, des séances de physiothérapie et la prise d’un relaxant musculaire. L’assurée se prévaut du suivi chiropratique, du suivi psychiatrique et d’autres traitements (acupuncture, cures thermales, réflexothérapies, massages, etc.). L’aspect temporel n’est pas seul décisif dans l’examen du critère en cause. Sont également à prendre en considération la nature et l’intensité du traitement; à cet égard, la prise de médicaments antalgiques et la prescription de traitements par manipulations même pendant une certaine durée ne suffisent pas à fonder ce critère (arrêt 8C_1007/2012 du 11 décembre 2013 consid. 5.4.3 et les arrêts cités). En l’espèce, la nature des traitements invoqués par l’assurée n’implique pas une intensité suffisante pour admettre la réalisation du critère. Quant au suivi psychiatrique, il n’est pas déterminant, dès lors que l’examen des critères applicables lorsque des troubles psychiques constituent une atteinte à la santé distincte et indépendante du tableau clinique se fait précisément en excluant les aspects psychiques.

L’assurée invoque de nombreuses difficultés et des complications importantes au regard des troubles apparus à la suite de ses trois accidents de la circulation. On ne voit toutefois pas en quoi les atteintes dont elle se prévaut (exacerbation des syndromes cervico-vertébral et post-commotionnel, réactivation des symptômes liés à l’état de stress post-traumatique, douleurs au niveau de l’oreille droite, etc.) constitueraient des difficultés apparues dans le processus de guérison et des complications importantes. On rappellera en outre qu’il convient de faire abstraction des troubles non objectivables et en particulier des troubles psychiques (cf. arrêt 8C_612/2019 du 30 juin 2020 consid. 3.3.5 et les arrêt cités).

Le critère du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques ne peut pas non plus être retenu en l’espèce, dans la mesure où l’assurée était déjà en incapacité totale de travail avant l’accident du 19.07.2013. On notera en outre que le psychiatre traitant de l’assurée a attesté une incapacité de travail totale pour raison psychique depuis début 2013.

Enfin, les douleurs physiques persistantes doivent être relativisées étant donné que les troubles psychiques exerçaient déjà une influence prépondérante sur l’état de l’assurée. Même en admettant la réalisation de ce critère, il ne revêt pas à lui seul une intensité suffisante pour admettre l’existence d’un lien de causalité adéquate.

Quant aux autres critères (les circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident, la gravité ou la nature particulière des lésions physiques, les erreurs dans le traitement médical), ils n’entrent pas en considération et ne sont d’ailleurs pas invoqués par l’assurée.

 

Examen de la causalité adéquate en cas d’accidents successifs

L’assurée soutient ensuite que la question de la causalité adéquate – telle qu’elle vient d’être traitée – devrait être examinée globalement, à savoir en tenant compte également des suites des accidents de 2009 et de 2012. En effet, les trois accidents auraient touché la même partie du corps, à savoir le rachis, et ne pourraient plus être distingués les uns des autres sur le plan de la symptomatologie douloureuse et de l’incapacité de travail.

Selon la jurisprudence, lorsqu’à la suite de deux ou plusieurs accidents apparaissent des troubles psychiques, l’existence d’un lien de causalité adéquate doit en principe être examinée en regard de chaque accident considéré séparément. Cette règle s’applique en particulier dans les cas où les accidents ont porté sur différentes parties du corps et ont occasionné des atteintes diverses. Le Tribunal fédéral a jugé que le principe d’un examen séparé de la causalité adéquate vaut également dans les cas où la personne assurée a subi plus d’un accident ayant entraîné un traumatisme du type « coup du lapin » ou un traumatisme analogue. Il n’a cependant pas écarté qu’il soit tenu compte de la survenance d’atteintes successives à une même partie du corps dans l’examen des critères jurisprudentiels lorsque les conséquences des différents événements ne peuvent pas être distinguées les unes des autres sur le plan des symptômes douloureux et/ou de l’incapacité de travail. Cette circonstance est à considérer dans le cadre de l’appréciation des critères de la gravité et la nature des lésions, du degré et de la durée de l’incapacité de travail, respectivement du traitement médical (arrêt 8C_1007/2012 du 11 décembre 2013 consid. 5.1 et les références citées). En effet, il ne s’agit pas d’additionner les faits mais de procéder à une appréciation globale des circonstances seulement si la nature du critère à considérer le permet. Aussi le critère des circonstances particulièrement dramatiques ou impressionnantes entourant l’événement accidentel doit-il, comme ce critère l’indique, être examiné séparément pour chaque accident et ne saurait être admis du seul fait que le recourant a été victime de deux accidents successifs dans un intervalle de temps rapproché (arrêt 8C_1007/2012 précité consid. 5.2).

En l’espèce, l’accident du 02.12.2012 n’a pas provoqué de traumatisme de type « coup du lapin » ou un traumatisme analogue. Même si l’on effectuait un examen du caractère adéquat du lien de causalité entre l’accident de 2013 et les troubles de l’assurée persistant au-delà du 31.03.2016, en prenant en considération l’accident de 2009, on ne pourrait pas non plus admettre l’existence d’un tel lien. En effet, l’assurée se prévaut des traitements antalgique et de physiothérapie mis en œuvre à la suite de l’accident de 2009, soit des traitements qui ne sont pas particulièrement pénibles, ni invasifs, de sorte que le critère de la durée anormalement longue du traitement médical demeure exclu. Il en va de mêmes du critère relatif au degré et à la durée de l’incapacité de travail, au vu des diverses périodes d’incapacité de travail consécutives à l’accident de 2009 invoquées par l’assurée (100 % du 19.01.2009 au 01.02.2009, 50 % du 02.02.2018 au 08.02.2009, 100 % du 02.11.2009 au 30.11.2009 et 20 % du 07.06.2010 au 31.08.2011; pour des exemples où le critère a été admis, voir arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.2.7 et les arrêts cités). Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l’assurée, la gravité particulière des lésions n’est pas donnée du seul fait d’avoir subi plusieurs accidents de type « coup du lapin ». Encore faut-il qu’un nouveau traumatisme affecte une colonne vertébrale déjà très endommagée (arrêt 8C_508/2008 du 22 octobre 2008 consid. 5.4), ce qui n’est pas établi en l’espèce. S’agissant des autres critères jurisprudentiels invoqués par l’assurée (caractère particulièrement impressionnant de l’accident de 2009 et douleurs physiques persistantes), il apparaît d’emblée exclu qu’ils puissent revêtir une intensité particulière permettant d’admettre le lien de causalité adéquate litigieux. En effet, par rapport à l’accident de la circulation survenu en 2009, l’assurée se prévaut essentiellement d’une peur intense pour sa propre vie et celle d’autrui. Or l’examen du caractère particulièrement impressionnant d’un accident se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances de l’espèce et non en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse (cf. arrêts 8C_96/2017 du 24 janvier 2018 consid. 5.1, in SVR 2018 UV n° 21 p. 74). Quant aux douleurs physiques persistantes, l’assurée se contente de se référer aux éléments développés dans son précédent grief, sans exposer en quoi un examen global aboutirait à un résultat différent.

 

Frais d’établissement d’un rapport médical

La juridiction cantonale a rejeté la demande de l’assurée au motif que les pièces au dossier étaient probantes et permettaient de trancher le litige et que la causalité adéquate était une question de droit et échappait ainsi à l’appréciation des médecins.

Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures ; à défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’une expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c p. 63; arrêts 8C_61/2016 du 19 décembre 2016 consid. 6.1 in fine, in SVR 2017 UV n° 19 p. 63).

En l’espèce, même si le médecin s’est prononcé sur l’intrication des trois accidents et leur impact sur la survenance des troubles et a établi le diagnostic de syndrome post-commotionnel en lien avec l’accident de 2009, il n’en reste pas moins que son rapport médical, établi à la demande à l’assurée, n’a pas joué un rôle déterminant dans la résolution du litige. Dans ces conditions, la juridiction cantonale était fondée à refuser de mettre les frais d’établissement du rapport en cause à la charge de l’assurance-accidents.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_810/2019 consultable ici

 

 

8C_412/2019 (f) du 09.07.2020 – Lésion assimilée (tendon du sous-épineux et du tendon du sus-épineux) / 6 al. 2 LAA [dans sa teneur en vigueur dès le 01.01.2017] / Lien de causalité naturelle / Appréciation des preuves – Doutes sur la fiabilité et la pertinence de l’appréciation du médecin-conseil – Ad mise en œuvre d’une expertise médicale (44 LPGA)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_412/2019 (f) du 09.07.2020

 

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Lésion assimilée (tendon du sous-épineux et du tendon du sus-épineux) / 6 al. 2 LAA [dans sa teneur en vigueur dès le 01.01.2017]

Lien de causalité naturelle

Appréciation des preuves – Doutes sur la fiabilité et la pertinence de l’appréciation du médecin-conseil – Ad mise en œuvre d’une expertise médicale (44 LPGA)

 

Assuré, né en 1971, employé de production depuis le 15.08.1994. Le 21.08.2017, alors qu’il était en train de nettoyer la machine à dosettes, il s’est cogné l’épaule droite dans la porte de la machine en se relevant. IRM le 11.09.2017 faisant état d’une déchirure transfixiante du tendon du sous-épineux et du tendon du sus-épineux. Le spécialiste FMH en chirurgie orthopédique consulté a attesté une incapacité de travail de 50% dès le 04.10.2017, puis de 100% dès le 13.11.2017, date à laquelle l’assuré s’est soumis à une réparation arthroscopique de la coiffe droite par suture du sus-épineux et du sous-épineux. A partir du 24.04.2018, il a progressivement repris son travail.

D’après les constatations du médecin-conseil, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, il était vraisemblable qu’une atteinte dégénérative ait joué un rôle important, voire prépondérant dans la survenance de la lésion. Le médecin-conseil a exclu un lien de causalité naturelle entre l’événement du 21.08.2017 et les troubles allégués par l’assuré pour les raisons suivantes : l’âge du patient ; l’action vulnérante de l’événement ; le fait qu’il n’y avait pas eu d’arrêt de travail dans les suites de cet événement ; l’IRM du 11.09.2017. D’après ce dernier, une contusion simple de l’épaule guérissait sans séquelles en moins d’un mois, de sorte qu’il fallait considérer que le statu quo sine de l’événement du 21.08.2017 avait été retrouvé à cette échéance, notamment après l’IRM qui avait permis d’exclure la présence de lésions traumatiques objectivables.

L’assurance-accidents a rendu une décision, confirmée sur opposition, par laquelle elle a mis un terme au versement de ses prestations au 11.09.2017, au motif qu’à partir de cette date, il n’existait plus de lien de causalité entre l’événement assuré et les troubles allégués.

 

Procédure cantonale

Admettant qu’il était certes probable qu’une atteinte dégénérative ait exercé une influence déterminante sur la survenance des lésions constatées, la cour cantonale a néanmoins considéré que le rapport du médecin-conseil ne suffisait pas pour établir de façon manifeste le caractère exclusivement dégénératif de ces lésions, ni au moment de l’accident ni postérieurement.

Par jugement du 10.05.2019, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision attaquée et renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

TF

En l’espèce, le jugement attaqué s’analyse comme une décision de renvoi qui, en tant qu’elle oblige l’assurance-accidents à allouer les prestations d’assurance au-delà du 11.09.2017, à charge pour elle d’examiner à nouveau à partir de quelle date le statu quo sine vel ante aura été atteint, ne laisse aucune latitude de jugement à l’assureur-accidents appelé à statuer à nouveau et doit donc être assimilée à une décision finale.

 

Dans la mesure où l’accident est survenu le 21.08.2017, la loi sur l’assurance-accidents (LAA) dans sa teneur en vigueur dès le 01.01.2017 s’applique au cas d’espèce (cf. par. 1 des dispositions transitoires sur la modification de la LAA du 25 septembre 2015, RO 2016 4375, 4388).

Les parties s’accordent sur l’existence d’une lésion qui entre dans la liste de l’art. 6 al. 2 let. f LAA (déchirure des tendons du sous- et du sus-épineux).

Dans l’arrêt 8C_22/2019 du 24 septembre 2019 (publié aux ATF 146 V 51), le Tribunal fédéral a examiné les répercussions de la modification législative relative aux lésions corporelles assimilées à un accident. Il s’est notamment penché sur la question de savoir quelle disposition était désormais applicable lorsque l’assureur-accidents avait admis l’existence d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA et que l’assuré souffrait d’une lésion corporelle au sens de l’art. 6 al. 2 LAA. Le Tribunal fédéral a admis que dans cette hypothèse, l’assureur-accidents devait prendre en charge les suites de la lésion en cause sur la base de l’art. 6 al. 1 LAA. En revanche, en l’absence d’un accident au sens juridique, le cas devait être examiné sous l’angle de l’art. 6 al. 2 LAA (ATF 146 V 51 consid. 9.1 p. 70; résumé dans la RSAS 1/2020 p. 33 ss; arrêt 8C_169/2019 du 10 mars 2020 consid. 5.2).

En l’espèce, la recourante a admis – à juste titre – que l’événement du 21.08.2017 était constitutif d’un accident. Dès lors, la cause doit être examinée exclusivement sous l’angle de l’art. 6 al. 1 LAA. Le jugement attaqué ayant été rendu le 10 mai 2019, soit avant l’arrêt 8C_22/2019 du 24 septembre 2019 précité, la cour cantonale n’a pas pu tenir compte de la nouvelle jurisprudence fédérale en matière de lésions corporelles assimilées à un accident, de sorte qu’on ne saurait lui reprocher une violation du droit fédéral à cet égard.

 

Il reste à examiner la question du lien de causalité entre les lésions constatées et l’accident du 21.08.2017.

Lorsqu’un cas d’assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l’art. 44 LPGA, l’appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères : s’il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d’un médecin de l’assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 139 V 225 consid. 5.2 p. 229; 135 V 465 consid. 4.4 p. 470).

En l’espèce, il existe bien de tels doutes sur les conclusions du médecin-conseil. Dans son rapport du 27.03.2018, le chirurgien traitant a exposé que les imageries réalisées trois semaines après l’évènement accidentel démontraient bel et bien l’existence d’éléments parlant en faveur d’une origine traumatique des atteintes. Il a notamment relevé la présence d’une contusion modérée du muscle sous-épineux dans sa partie distale. Cet aspect, qui correspond par ailleurs aux constatations faites dans le rapport d’IRM, n’a pourtant pas été abordé par le médecin-conseil. Ce dernier a affirmé de manière péremptoire que l’IRM ne montrait aucune lésion traumatique, notamment de la face supérieure de l’épaule qui avait heurté la face inférieure de la portière de l’armoire. Les appréciations des deux médecins s’opposent aussi quant à l’existence respectivement à l’absence d’une amyotrophie des muscles concernés (sous-épineux et sus-épineux), laquelle serait même « avancée » selon les dires du médecin-conseil, alors que dans le rapport d’IRM il est indiqué « absence d’atrophie musculaire ». Les autres facteurs cités par le médecin-conseil, tels que l’âge de l’assuré, l’absence d’arrêt de travail dans les suites immédiates de l’accident ou encore la présence d’un état antérieur à l’épaule droite sont, certes, à prendre en considération dans une appréciation globale. Toutefois, compte tenu de la période relativement courte entre la survenance de l’accident et la cessation des prestations d’assurance, ces facteurs ne sauraient avoir une prévalence sur les constatations faites par imageries, dont l’interprétation est contestée de manière circonstanciée.

Lorsqu’il existe des doutes sur la fiabilité et la pertinence de l’appréciation du médecin-conseil, il appartient en premier lieu à l’assureur-accidents de procéder à des instructions complémentaires pour établir d’office l’ensemble des faits déterminants et, le cas échéant, d’administrer les preuves nécessaires avant de rendre sa décision (art. 43 al. 1 LPGA; ATF 132 V 368 consid. 5 p. 374; arrêt 8C_401/2019 du 9 juin 2020 consid. 5.3.3 et ses références). Dès lors, la cause ne sera pas renvoyée à l’autorité précédente, comme le requiert l’assurance-accidents, mais à cette dernière, afin qu’elle mette en œuvre une expertise dans une procédure au sens de l’art. 44 LPGA et qu’elle rende une nouvelle décision.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et renvoie la cause à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_412/2019 consultable ici

 

 

8C_416/2019 (f) du 15.07.2020 – Causalité naturelle – Syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Algodystrophie / Rappel des critères de Budapest / Temps de latence entre l’événement accidentel et l’apparition du SDRC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_416/2019 (f) du 15.07.2020

 

Consultable ici

NB : cet arrêt, non destiné à la publication, est détaillé, avec de nombreuses références tant médicales que jurisprudentielles. Il s’agit – à notre connaissance – de l’arrêt le plus précis au sujet de la causalité lors d’un SDRC. L’arrêt rappel, à juste titre, qu’un SDRC doit être posé selon les critères de Budapest.

 

Causalité naturelle – Syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Algodystrophie / 6 LAA

Rappel des critères de Budapest

Temps de latence entre l’événement accidentel et l’apparition du SDRC

 

Assurée, née en 1982, infirmière à temps partiel, victime d’un accident le 19.03.2015 : alors que l’assurée se trouvait au guichet d’un office postal, la vitre automatique s’est soudainement abaissée, la blessant à la main droite. Incapacité de travail à 100% du 19.03.2015 au 17.05.2015 puis 70% (capacité de 50% de son 60%) dès le 18.05.2015 et 0% dès le 30.07.2015.

IRM du poignet droit le 24.04.2015 qui était dans les limites de la norme. Rapport du 04.05.2015 émanant d’un service de chirurgie plastique et de la main, l’assurée présentait une entorse MCP D2 D avec réaction sudeckoïde. Au status, il n’y avait pas de tuméfaction, pas d’hypersudation, pas de changement de couleur. La mobilité du poignet et des doigts était bonne. L’assurée souffrait de douleurs à la palpation de tous les espaces intermétacarpiens au premier tiers moyen de la main droite. Elle s’était en outre plainte d’un manque de force au niveau de D2. Consilium neurologique effectué en juin 2015 était rigoureusement physiologique au niveau du membre supérieur droit. Il n’y avait par ailleurs aucun élément évocateur d’une souffrance d’origine radiculaire ou plexulaire. Scintigraphie osseuse trois phases réalisée le 30.09.2015 dans la norme, sans foyer d’hyperactivité pouvant expliquer la symptomatologie de la patiente.

Dans sa décision du 25.02.2016, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin à l’octroi de ses prestations avec effet au 30.09.2015, en se fondant essentiellement sur le point de vue de son médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. Ce dernier a considéré qu’aucune pathologie organique telle qu’une séquelle de fracture ou de luxation, ou une lésion tendineuse d’envergure, susceptible d’expliquer les douleurs durables, n’avait été objectivée à l’aide des examens effectués (IRM, scintigraphie osseuse, examen neurologique). Il a nié tout lien de causalité entre l’accident et la maladie de Sudeck entre-temps diagnostiquée, au motif que celle-ci était apparue dix-huit-mois après l’accident, précisant qu’une algodystrophie pouvait survenir de manière spontanée. Il a en outre expliqué qu’un délai de six mois dès l’accident était largement suffisant pour déceler un Sudeck précoce à l’aide d’une scintigraphie. Or la scintigraphie réalisée en septembre 2015 n’avait révélé aucun signe de cette maladie. Enfin, il a relevé que l’examen neurologique réalisé en juin 2015 avait permis d’exclure des troubles au niveau des sensations et de la sensibilité au niveau des mains et des poignets.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 69/16 – 62/2019 – consultable ici)

Expertise médicale mise en œuvre. Au plan diagnostique, les experts ont considéré que les douleurs persistantes intenses malgré un traitement antalgique, apparues à la suite d’un traumatisme par écrasement et après exclusion d’autres diagnostics à l’imagerie, laissaient suspecter un syndrome douloureux régional complexe (SDRC), aussi appelé syndrome ou maladie de Sudeck, algoneurodystrophie ou algodystrophie. Si les signes cliniques du SDRC étaient certes apparus tardivement, des symptômes sensitif et moteur survenant dans le SDRC étaient évoqués en juin 2015 lors du consilium neurologique. En outre, l’introduction d’un traitement par vitamine C en août 2015, utilisé habituellement pour réduire l’incidence de SDRC après les fractures de poignet, suggérait qu’un SDRC était suspecté. Sur la question du lien de causalité, les experts judiciaires ont retenu qu’il existait un lien de causalité certain entre l’événement accidentel du 19.03.2015 et le SDRC, au motif notamment que les douleurs étaient apparues immédiatement après le traumatisme, qu’elles avaient persisté sans interruption, que les examens complémentaires mis en œuvre avaient permis d’exclure une autre cause et qu’un traumatisme par écrasement était décrit comme facteur de risque d’un SDRC.

Par jugement du 09.05.2019, admission du recours par le tribunal cantonal et réformation de la décision en ce sens que l’assurance-accidents est tenue de prendre en charge au-delà du 30.09.2015 les suites de l’événement accidentel survenu le 19 mars 2015.

 

TF

Syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS)

Le syndrome douloureux régional complexe (ou complex regional pain syndrome [CRPS]), anciennement nommé algodystrophie ou maladie de Sudeck, a été retenu en 1994 par un groupe de travail de l’International Association for the Study of Pain (IASP). Il constitue une entité associant la douleur à un ensemble de symptômes et de signes non spécifiques qui, une fois assemblés, fondent un diagnostic précis (DR F. LUTHI/DR P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L TURLAN/DR M. KONZELMANN, Syndrome douloureux régional complexe, in Revue médicale suisse 2019, p. 495). L’IASP a aussi réalisé un consensus diagnostique aussi complet que possible avec la validation, en 2010, des critères dits de Budapest, à savoir:

1) Douleur qui persiste et apparaît disproportionnée avec l’événement initial

2) Au moins un symptôme dans trois (critères cliniques) ou quatre (critères recherche) des quatre catégories suivantes:

a) Sensoriel: le patient décrit une douleur qui évoque une hyperpathie et/ou une allodynie

b) Vasomoteur: le patient décrit une asymétrie de température et/ou un changement de couleur et/ou une asymétrie de couleur

c) Sudomoteur/œdème: le patient décrit un œdème et/ou une asymétrie de sudation

d) Moteur/trophique: le patient décrit une raideur et/ou une dysfonction motrice (faiblesse, trémor, dystonie) et/ou un changement trophique (pilosité, ongles, peau).

3) Au moins un signe dans deux des catégories suivantes (critères cliniques et recherche) :

a) Sensoriel: confirmation d’une hyperpathie et/ou allodynie

b) Vasomoteur: confirmation d’une asymétrie de température et/ou changement de couleur et/ou asymétrie de couleur

c) Sudomoteur/oedème: confirmation d’un œdème et/ou asymétrie de sudation

d) Moteur/trophique: confirmation d’une raideur et/ou dysfonction motrice (faiblesse, trémor, dystonie) et/ou changement trophique (pilosité, ongles, peau)

4) Il n’existe pas d’autre diagnostic qui explique de manière plus convaincante les symptômes et les signes cliniques

Les critères ci-dessus sont exclusivement cliniques et ne laissent que peu de place aux examens radiologiques (radiographie, scintigraphie, IRM). L’utilisation de l’imagerie fait l’objet d’une controverse dans le milieu médical, mais garde un rôle notamment dans la recherche de diagnostics différentiels, ou lorsque les signes cliniques sont discrets ou incomplets ainsi que dans certaines formes atypiques (DRS K. DISERENS/P. VUADENS/PR JOSEPH GHIKAIN, Syndrome douloureux régional complexe: rôle du système nerveux central et implications pour la prise en charge, in Revue médicale suisse 2020, p. 886; F. LUTHI/M. KONZELMANN, Le syndrome douloureux régional complexe [algodystrophie] sous toutes ses formes, in Revue médicale suisse 2014, p. 271).

En pratique,

  • si les critères 1 à 3 sont remplis et que le critère 4 est respecté, on doit considérer que le patient souffre d’un SDRC; toutefois la valeur prédictive positive n’est que de 76%.
  • si les critères sont partiellement remplis, il faut poursuivre le diagnostic différentiel et réévaluer le patient.
  • si les critères ne sont pas remplis, le patient a une probabilité quasi nulle d’avoir un SDRC (DR F. LUTHI/DR P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L TURLAN/DR M. KONZELMANN, op. cit., p. 498).

Le SDRC est quatre fois plus fréquent chez la femme, le plus souvent au membre supérieur, avec une prédominance entre 50 et 70 ans. L’introduction des critères de Budapest a réduit de 50% les diagnostics de SDRC (DRS K. DISERENS/P. VUADENS/PR JOSEPH GHIKAIN, op. cit., p. 885 s.).

 

Causalité naturelle et algodystrophie (SDRC/CRPS)

S’agissant de l’admission d’un lien de causalité entre un accident et une algodystrophie, le Tribunal fédéral a considéré, dans un arrêt 8C_384/2009 du 5 janvier 2010, que trois conditions cumulatives devaient être remplies: 1° la preuve d’une lésion physique après un accident (p. ex. un hématome ou une enflure) ou l’apparition d’une algodystrophie à la suite d’une opération nécessitée par l’accident; 2° l’absence d’un autre facteur causal de nature non traumatique (p. ex. état après un infarctus du myocarde, après une apoplexie, etc.); 3° une courte période de latence entre l’accident et l’apparition de l’algodystrophie (au maximum six à huit semaines). Dans l’arrêt en question, le Tribunal fédéral a nié l’existence d’un rapport de causalité naturelle avec une probabilité prépondérante entre un accident et un SDRC, dès lors que le délai de latence entre l’accident et l’apparition du SDRC était supérieur à une année. Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal fédéral s’est fondé sur un article médical (B. KIENER ET R. KISSLING, Expertise et algodystrophie) paru en 1998 dans une brochure sur le SDRC (Algodystrophie, éditeurs E. BÄR/M. FELDER/B. KIENER) publiée par la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (CNA) et Novartis.

Depuis lors, grâce aux recherches scientifiques entreprises, de nouvelles et importantes connaissances sur la physiopathologie du SDRC ont pu être acquises, lesquelles ont motivé un remaniement complet de la brochure en question qui a été actualisée et rééditée sous le titre « SDRC Syndrome douloureux régional complexe » (W.JÄNIG/R. SCHAUMANN/W.VOGT [éditeurs]) en 2013. Dans un article paru dans ladite brochure, ses auteurs expliquent que la question de la causalité doit être résolue en étudiant en particulier l’évolution en fonction du temps et en prenant en compte les critères de Budapest ainsi que d’autres facteurs ayant marqué significativement le décours. Selon ces auteurs, ce n’est qu’une fois que l’expert a posé un diagnostic de SDRC qu’il faut, s’agissant de la causalité accidentelle, démontrer qu’une lésion corporelle de l’extrémité concernée s’est bien produite ; si tel est le cas, se pose alors la question de savoir si le SDRC est apparu durant la période de latence correspondante de six à huit semaines (R. SCHAUMANN/W. VOGT/F. BRUNNER, Expertise, in: SDRC Syndrome douloureux régional complexe, 2013, p. 130 s.). Cette période de latence de six à huit semaines ne constitue qu’une valeur empirique et ne fait nullement l’objet d’un consensus médical. Au demeurant, elle a été proposée en 1998, soit avant que les critères diagnostiques du SDRC aient été établis. On ne saurait dès lors établir, sur le plan juridique, une règle absolue quant au délai dans lequel les symptômes du SDRC devraient se manifester.

Dans un arrêt 8C_177/2016 du 22 juin 2016, le Tribunal fédéral a du reste précisé, s’agissant du temps de latence entre l’événement accidentel et l’apparition du SDRC, qu’il n’est pas nécessaire qu’un SDRC ait été diagnostiqué dans les six à huit semaines après l’accident pour admettre son caractère causal avec l’événement accidentel; il est en revanche déterminant qu’on puisse conclure, en se fondant sur les constats médicaux effectués en temps réel, que la personne concernée a présenté, au moins partiellement, des symptômes typiques du SDRC durant la période de latence de six à huit semaines après l’accident (voir aussi arrêts 8C_27/2019 du 20 août 2019 consid. 6.4.2; 8C_123/2018 du 18 septembre 2018 consid. 4.1.2; 8C_673/2017 du 27 mars 2018 consid. 5 et les références citées).

Dans l’arrêt 8C_177/2016 précité, l’assurée avait annoncé le 01.11.2012 un accident (chute sur les mains et blessure à l’annulaire droit) survenu le 25.10.2011. Le premier rapport médical au dossier datait du 12.12.2012, soit plus d’une année après l’accident, et arrivait à la conclusion qu’il n’existait pas d’explication pour les douleurs persistantes de l’assurée et qu’il manquait des indices cliniques pour poser le diagnostic de SDRC. Nonobstant cela, l’assureur avait versé des indemnités journalières jusqu’au 30.06.2013 et pris en charge le traitement médical au-delà de cette date. Tant la juridiction cantonale que le Tribunal fédéral saisi par l’assureur-accidents ont admis l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’événement accidentel du 25.10.2011 et le diagnostic de SDRC posé pour la première fois par des experts médicaux le 28.11.2013, soit plus de deux ans après l’événement déclenchant; ils ont admis que les symptômes du SDRC avaient bel et bien dû exister avant la pose du diagnostic, car on ne pouvait pas expliquer autrement l’incapacité de travail de longue durée attestée médicalement dans l’activité habituelle.

 

En l’espèce, l’assurée a présenté une incapacité de travail totale dans son activité habituelle dès le jour de l’accident, ce qui laisse supposer qu’elle souffrait d’une atteinte dont l’élément déclenchant était, avec une haute vraisemblance, l’accident assuré. Elle a en outre présenté des symptômes au niveau de sa main droite au cours des premières semaines ayant suivi l’accident (fortes douleurs persistantes, manque de force au niveau de D2). Lors du consilium, le neurologue a constaté que l’assurée avait l’impression d’avoir moins de sensibilité et moins de force au niveau de sa main droite. Il s’agit là de symptômes sur un plan sensoriel et moteur qui ne sauraient purement et simplement être ignorés, d’autant moins qu’ils font partie des symptômes cliniques typiques du SDRC à propos desquels il existe un consensus médical.

Quant à l’examen de scintigraphie osseuse qui s’est révélé dans la norme en septembre 2015, il ne permet pas d’exclure un SDRC d’apparition tardive. En effet, même si les constatations faites lors de la pratique d’examens paracliniques (radiographies, scintigraphie, IRM) sont normales, on ne peut pas pour autant exclure formellement un SDRC (O. ROMMEL/C. MAIHÖFNER, Aspects cliniques du SDRC, in: SDRC Syndrome douloureux régional complexe, 2013, p. 78). Par conséquent, la négativité de la scintigraphie réalisée en septembre 2015 ne permettait pas d’exclure le développement en cours d’un syndrome de Sudeck, suggéré par le tableau clinique lui-même.

Par ailleurs, l’assurée s’est plainte de façon continue de douleurs au site du traumatisme. Un spécialiste en neurologie (rapport produit lors de la procédure cantonale) avait pu constater, en sus de l’hypoesthésie dans le territoire de la branche superficielle du nerf radial (critère sensoriel), une légère augmentation de la température locale (critère vasomoteur), contrôlée à plusieurs reprises en début et en fin d’examen (cf. rapport du 14 mars 2017). La scintigraphie osseuse trois phases réalisée le 29.09.2016, soit environ dix-huit mois après l’accident, avait permis de constater une anomalie locale en relation avec un syndrome de Sudeck au lieu précis du traumatisme, de sorte qu’il était difficile, selon le neurologue, d’attribuer au hasard ou à une autre cause, par ailleurs inconnue, le développement du SDRC, même tardif, sur le site traumatique lui-même. Ce spécialiste a conclu qu’un développement tardif inhabituel des signes scintigraphiques avait peut-être une explication (extra-traumatique ou non) qu’un expert du SDRC pourrait expliquer, mais qu’il ne voyait pas comment on pouvait sérieusement écarter toute composante traumatique au vu de la chronologie décrite et de la confirmation finale par scintigraphie, même si cette seconde scintigraphie avait été réalisée de manière différée.

Selon les experts mandatés par la cour cantonale, le diagnostic de SDRC peut être posé tardivement, alors que les critères de Budapest étaient présents. Le diagnostic de SDRC après un traumatisme peut également être tardif si les symptômes initiaux sont inconstants ou d’apparition tardive et ne remplissaient pas les critères de Budapest initialement. Les experts ont précisé que le délai entre le traumatisme et le diagnostic de SDRC reste sujet à débat. En effet, il n’existe pas de consensus médical sur la question de savoir dans quel délai après une blessure on peut diagnostiquer un SDRC et l’on ne dispose pas d’examens paracliniques qui permettent de confirmer indubitablement le diagnostic (O. ROMMEL/W. VOGT, Epidémiologie, facteurs de risque et aspects économiques, in: SDRC Syndrome douloureux régional complexe, 2013, p. 25).

Dans le cas présent, aucun médecin n’a évoqué une autre cause non liée à l’accident (« Unfallfremde Ursache ») qui aurait à elle seule pu expliquer ou être à l’origine des symptômes et des signes cliniques présentés par l’assurée. L’affirmation du médecin-conseil, selon laquelle l’algodystrophie peut aussi survenir spontanément, ne saurait à cet égard suffire pour admettre que l’atteinte présentée par l’assurée serait à mettre exclusivement sur le compte de facteurs étrangers à l’accident. En effet, selon la doctrine médicale la plus récente, le SDRC est rare et il survient dans la majorité des cas après un traumatisme de l’appareil locomoteur ou un accident vasculaire cérébral (DR F. LUTHI/DR P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L TURLAN/DR M. KONZELMANN, op. cit., 2019, p. 495). Aussi, en l’absence d’accident vasculaire cérébral ou d’autres facteurs étrangers à l’accident susceptibles à eux seuls d’expliquer le SDRC, l’assureur-accidents ne pouvait pas supprimer ses prestations.

Vu ce qui précède, l’arrêt cantonal échappe à la critique en tant qu’il condamne l’assurance-accidents à prendre en charge au-delà du 30.09.2015 les suites de l’événement accidentel survenu le 19.03.2015.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_416/2019 consultable ici

 

NB : cet arrêt, non destiné à la publication, est détaillé, avec de nombreuses références tant médicales que jurisprudentielles. Il s’agit – à notre connaissance – de l’arrêt le plus précis au sujet de la causalité lors d’un SDRC. L’arrêt rappel, à juste titre, qu’un SDRC doit être posé selon les critères de Budapest.

 

 

8C_826/2019 (f) du 13.05.2020 – Causalité naturelle – Vraisemblance de l’existence d’un traumatisme cranio-cérébral et de lésions cérébrales structurelles ou d’une lésion traumatique de type « coup du lapin » – 6 LAA / Troubles psychiques

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_826/2019 (f) du 13.05.2020

 

Consultable ici

 

Causalité naturelle – Vraisemblance de l’existence d’un traumatisme cranio-cérébral et de lésions cérébrales structurelles ou d’une lésion traumatique de type « coup du lapin » / 6 LAA

Troubles psychiques

 

Le 03.03.2010, assurée, née en 1974, percutée par un véhicule de tourisme alors qu’elle traversait à pied une route à Genève. Hospitalisée jusqu’au 05.03.2010 au sein du Service de chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil moteur. Entre le 05.03.2010 et le 07.04.2010, elle a suivi une réadaptation orthopédique. Le rapport médical initial LAA faisait état d’une fracture du plateau supérieur de L1, d’une fracture de la tête du péroné droit, ainsi que de contractures musculaires multiples (surtout dans les régions lombaire, cervicale et à la cuisse droite). Dans leur rapport de sortie du 26.04.2010, les médecins de l’hôpital ont confirmé le diagnostic posé dans le rapport initial LAA.

Dans le cadre de son traitement ambulatoire, l’intéressée – qui s’est plainte également de troubles d’ordre psychique – a été examinée par plusieurs thérapeutes, lesquels ont posé divers diagnostics complémentaires (syndrome post-traumatique et dysfonctionnement cervico-occipital bilatéral ; état de stress post-traumatique ; épisodes dépressifs et troubles dissociatifs de conversion mixte ; trouble dépressif léger à moyen).

Dans un rapport du 16.08.2012, un spécialiste en radiologie et neuroradiologie diagnostique a indiqué qu’un méningiome – mis en évidence lors d’une IRM cérébrale en juin 2010 – n’avait pas grandi et que l’on pouvait encore observer des lésions punctiformes non spécifiques banales pour l’âge dans la substance blanche des lobes frontaux.

Le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, a indiqué que l’accident survenu quatre ans auparavant n’avait pas révélé de traumatisme crânien évident. Il a précisé que quelques épisodes de lombalgies persistaient ensuite de la fracture de la première vertèbre lombaire, mais qu’ils étaient plutôt liés à une mauvaise position au poste de travail ou à la station assise prolongée. Il a enfin relevé que l’incapacité de travail de l’assurée (de 40%) semblait liée uniquement à des problèmes neuropsychologiques et psychiatriques. Le médecin-conseil a retenu un taux d’atteinte à l’intégrité de 6% en raison des affections à la colonne vertébrale.

Dans son rapport du 01.04.2014, le psychiatre-conseil a posé le diagnostic différentiel de troubles dissociatifs de conversion versus neurasthénie et personnalité obsessionnelle ou schizoïde.

En date du 18.07.2016, l’assurée s’est soumise à une IRM cérébrale, en vue de mettre à jour une éventuelle lésion cérébrale. L’examen a révélé la présence de plusieurs anomalies de signal de la substance blanche mais a conclu à l’absence d’hémorragie intracrânienne et de lésion structurelle post-traumatique.

Au terme de son rapport du 24.03.2017, le neurologue-conseil de l’assureur-accidents a indiqué qu’en l’absence de traumatisme cranio-cérébral et de lésions cérébrales structurelles objectivables, un lien de causalité entre les troubles neurocognitifs de l’assurée et l’accident du 03.03.2010 n’était pas établi au degré de la vraisemblance prépondérante.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin à ses prestations pour les suites de l’accident du 03.03.2010, avec effet au 28.02.2018 au soir, et a alloué à l’assurée une IPAI de 6% pour les séquelles dues à la fracture de sa première vertèbre lombaire.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 112/18 – 147/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que l’existence d’un TCC consécutif à l’accident du 03.03.2010 – qui aurait selon l’assurée eu pour conséquence des troubles neuropsychologiques – n’avait pas été établie au degré de la vraisemblance prépondérante, au vu des documents médicaux. Il s’agissait tout au plus d’une hypothèse possible. Se référant aux pièces médicales, les juges cantonaux ont en outre relevé que les anomalies de signal de la substance blanche, de même que le méningiome, ne présentaient pas les caractéristiques d’une atteinte traumatique. Aucun rapport médical au dossier ne faisait état d’une éventuelle lésion du rachis cervical ou d’un traumatisme à la colonne cervicale analogue à celui de type « coup du lapin ». Soulignant, pour résumer, l’absence de TCC ou de traumatisme du rachis cervical, ainsi que d’autre lésion cérébrale d’origine accidentelle, la cour cantonale a ensuite nié tout lien de causalité adéquate entre l’accident et les troubles psychiques de l’assurée, laissant ouverte la question du lien de causalité naturelle.

Par jugement du 11.11.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le droit aux prestations suppose notamment qu’il existe, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette condition est réalisée lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou qu’il ne serait pas survenu de la même manière. Il n’est pas nécessaire que l’accident soit la cause unique ou immédiate de l’atteinte à la santé: il suffit qu’associé éventuellement à d’autres facteurs, il ait provoqué l’atteinte à la santé, c’est-à-dire qu’il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte. Savoir si l’événement assuré et l’atteinte en question sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait que l’administration, ou le cas échéant le juge, examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d’ordre médical, et qui doit être tranchée à la lumière de la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l’appréciation des preuves dans l’assurance sociale (ATF 142 V 435 consid. 1 p. 438 et les références citées).

En vertu de l’art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l’atteinte à la santé n’est que partiellement imputable à l’accident. Lorsqu’un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l’assurance-accidents d’allouer des prestations cesse si l’accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l’accident. Tel est le cas lorsque l’état de santé de l’intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l’accident (statu quo ante) ou à celui qui serait survenu même sans l’accident par suite d’un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n’est pas rétabli, l’assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l’état maladif préexistant, dans la mesure où il a été causé ou aggravé par l’accident (arrêt 8C_97/2019 du 5 août 2019 consid. 3.2 et les références citées).

En matière de lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin », de traumatisme analogue ou de traumatisme cranio-cérébral sans preuve d’un déficit fonctionnel organique, l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident et l’incapacité de travail ou de gain doit en principe être reconnue en présence d’un tableau clinique typique présentant de multiples plaintes (maux de têtes diffus, vertiges, troubles de la concentration et de la mémoire, nausées, fatigabilité, troubles de la vue, irritabilité, dépression, modification du caractère, etc.). Il faut cependant que l’existence d’un tel traumatisme et de ses suites soit dûment attestée par des renseignements médicaux fiables (ATF 134 V 109 consid. 9.1 p. 122).

 

Aucun médecin n’a diagnostiqué une lésion du rachis cervical de type « coup du lapin » ou un traumatisme cranio-cérébral. On relèvera – avec les juges cantonaux – qu’un éventuel TCC n’a été évoqué par certains thérapeutes qu’au titre de simple hypothèse. Le spécialiste en neurologie, électroencéphalographie et électroneuromyographie a quant à lui fait allusion à un « discret traumatisme cranio-cérébral ». Cela étant, il a, dans le même rapport, considéré qu’une telle atteinte n’était pas la cause probable des symptômes de l’assurée, qu’il a plutôt attribués aux difficultés de cette dernière dans l’organisation de sa vie, à un état anxio-dépressif et à un stress important « inhérent à la prise en charge de sa vie ». Enfin, les examens radiologiques (en particulier les IRM) auxquels s’est soumise l’assurée n’ont pas révélé de lésion traumatique de type « coup du lapin ».

La seule mention par l’assurée de douleurs au niveau des cervicales postérieurement à l’accident ne permet pas non plus de retenir l’existence d’un traumatisme de type « coup du lapin ».

Il en va de même des circonstances de l’accident mises en avant par l’assurée. Celle-ci explique que la vitesse du véhicule lors du choc (20 km/h selon elle) et la distance à laquelle elle aurait été projetée (plus de cinq mètres selon elle) seraient, indépendamment des autres circonstances de l’espèce, de nature à causer un traumatisme crânien de type « coup du lapin ». Une telle présomption d’ordre général, en l’absence de tout renseignement médical venant étayer une lésion de cet ordre dans le cas concret, ne saurait être admise. La jurisprudence citée par l’assurée (arrêt U 265/05 du 21 juin 2006 consid. 3.1) ne lui est d’aucun secours ; contrairement à ce qu’elle affirme, le considérant évoqué ne fixe pas une vitesse entre 10 et 15 km/h comme « limite de vitesse dommageable » pour admettre une lésion de type « coup du lapin ». En tout état de cause, on ne saurait considérer que toute collision d’un piéton avec un véhicule lancé à plus de 10 ou 15 km/h devrait induire – de manière générale et sans égard au cas particulier – la reconnaissance d’une telle lésion.

Il ne ressort pas des documents médicaux que les diverses affections (troubles de la concentration, de céphalées, de troubles mnésiques et attentionnels, de prosopagnosie, d’angoisse, d’anxiété, d’un ralentissement psychomoteur, de troubles de l’humeur, de fatigabilité et d’irritabilité) constituent les suites d’un traumatisme cranio-cérébral, de lésions du rachis cervical ou d’une lésion analogue provoqués par l’accident. Or la jurisprudence précitée exige bien que les symptômes du tableau clinique typique soient mis en lien avec un tel type de traumatisme et que celui-ci soit dûment attesté.

Il s’ensuit que la cour cantonale était fondée à confirmer la décision de l’assurance-accidents de clore le dossier de l’assurée avec effet au 28.02.2018, de mettre fin à ses prestations pour les suites de l’accident du 03.03.2010 et de lui allouer une IPAI correspondant à un taux de 6%, seule l’atteinte à l’intégrité résultant de la fracture de la vertèbre L1 étant en relation de causalité avec l’accident, à l’exclusion des troubles psychiques respectivement cognitifs et dysexécutifs.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_826/2019 consultable ici

 

 

4A_328/2018 (f) du 27.08.2019 – IJ maladie LCA et notion de « maladie » / Rappel des notions de causalité naturelle, symptômes de pont et rechute, propres à l’assurance sociale / Caractère post-traumatique d’une arthrose de la cheville 45 ans après un accident et références de la littérature scientifique idoine

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_328/2018 (f) du 27.08.2019

 

Consultable ici

 

IJ maladie LCA et notion de « maladie »

Rappel des notions de causalité naturelle, symptômes de pont et rechute, propres à l’assurance sociale

Caractère post-traumatique d’une arthrose de la cheville 45 ans après un accident et références de la littérature scientifique idoine

 

En 2006, l’assuré a conclu auprès d’une société d’assurances une assurance contre le risque de perte de gain en cas de maladie, prévoyant le versement d’indemnités journalières correspondant à la totalité du salaire assuré, fixé à 60’000 fr. par an, durant 730 jours, après un délai d’attente de 30 jours. L’article 3 CGA définissait la maladie comme « toute atteinte involontaire à la santé qui requiert un traitement médical et qui n’est pas la conséquence d’un accident ou des suites d’un accident ».

En février 2010, la société d’assurances a sommé l’assuré de payer sa prime 2010. Celui-ci s’est finalement exécuté le 01.09.2010.

Le 06.11.2010, l’assuré a annoncé à la société d’assurances qu’il avait subi, le 29.10.2010, une arthrodèse tibio-astragalienne suite à une arthrose de la cheville droite. Il a joint à son envoi une déclaration de maladie faisant état d’une cessation d’activité au 13.09.2010 et deux certificats médicaux établis par le Dr M1.__, spécialiste FMH en médecine interne et rhumatologie, attestant d’une incapacité de travail totale à compter du 13.09.2010.

Le 30.08.2010, le Dr M2.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et en traumatologie de l’appareil locomoteur, rapporte que le 26.08.2010, il a examiné pour la première fois l’assuré qui lui était adressé par son médecin traitant, soit le Dr M1.__. Le patient présentait depuis plusieurs années des douleurs de la cheville droite de type mécanique ; il avait été victime d’une fracture de cette cheville à la suite d’un accident de sport (football), fracture qui avait été traitée conservativement. Le patient marchait avec une canne depuis 2 ans. Depuis quelques mois, les douleurs étaient devenues invalidantes, en particulier en station debout et lors de marches en terrain irrégulier ou à la montée. Le médecin a posé le diagnostic de troubles dégénératifs de la cheville droite d’origine post-traumatique après légère antéposition et varisation du talus et fracture de la cheville à l’âge de 19 ans.

Le 14.12.2010, le Dr M1.__ a adressé un nouveau rapport à la société d’assurances indiquant que la cause des troubles était « maladive et accidentelle», les douleurs à caractère mécanique étant localisées à la cheville droite, depuis plusieurs années, à la suite d’un accident de sport.

Le Dr M2.__ a établi deux certificats de travail attestant d’une incapacité de travail jusqu’au 01.03.2011 ; le premier faisait remonter le départ de l’incapacité au 26.08.2010, le second au 09.09.2010.

Dans le cadre du suivi post-opératoire, le Dr M2.__ a réexaminé le patient le 26.10.2011. Dans son rapport, le chirurgien orthopédiste a indiqué comme diagnostic «S/p arthrodèse redressante tibio-astragalienne D dans le cadre d’une arthrose post-traumatique».

Par courrier du 10.02.2011, la société d’assurances a refusé ses prestations en raison d’une problématique de prime impayée. Des échanges de correspondances s’en sont suivis. Le 13.07.2012, la société d’assurances a annoncé à l’assuré que son dossier allait être transmis au service de sinistres afin que son « cas de maladie» puisse être traité normalement. La société d’assurances a versé à l’assuré la somme de 27’452 fr. représentant 167 indemnités journalières à 164 fr. 38 le jour, pour la période du 13.10.2010 au 28.03.2011.

Par courrier du 10.06.2013, l’assuré a vainement réclamé le paiement du solde des indemnités journalières par 92’548 fr. (soit 120’000 fr. – 27’452 fr.).

 

Procédure cantonale

A la suite d’un arrêt du Tribunal fédéral (ATF 141 III 479 consid. 2), le dossier a été transmis au Tribunal cantonal valaisan, en sa qualité d’instance cantonale unique en matière d’assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale.

Par jugement du 26.04.2018, le Tribunal cantonal a rejeté la demande. En substance, il a retenu que la couverture d’assurance, suspendue en février 2010 par la sommation de payer la prime 2010, était à nouveau en vigueur depuis quelques jours lorsque l’incapacité de travail de l’assuré avait débuté le 13.09.2010. Cela étant, la police d’assurance ne couvrait que les cas de maladie. Or, le Tribunal cantonal s’était convaincu que les troubles ayant occasionné l’incapacité de travail dès septembre 2010 étaient d’origine post-traumatique. Le Dr M2.__ avait «toujours affirmé de manière constante et cohérente que les troubles de la cheville droite étaient dus à une arthrose post-traumatique, au contraire du Dr M1.__ dont les appréciations sur ce point [avaie]nt constamment varié». L’avis selon lequel les douleurs de l’assuré étaient la conséquence de l’accident subi au football à l’âge de 19 ans était corroboré par le fait que l’intéressé souffrait de la cheville droite depuis plusieurs années, comme l’attestaient les deux médecins dans leurs rapports. En bref, l’atteinte à la santé était accidentelle et n’était pas couverte par la police en question. Les renseignements fournis par les Drs M1.__ et M2.__ étaient suffisants pour se forger une opinion, qu’un nouvel avis médical ne pourrait pas modifier; aussi convenait-il de rejeter la requête d’expertise médicale.

 

TF

En matière d’assurances sociales, la jurisprudence a développé les principes suivants :

  • La définition légale de la maladie englobe toutes les atteintes à la santé qui ne sont pas dues à un accident (cf. art. 3 al. 1 LPGA). Il s’ensuit qu’une atteinte à la santé est en principe imputable soit à une maladie, soit à un accident (arrêts 9C_537/2007 du 29 août 2008 consid. 3.3; 4C.230/2000 du 10 novembre 2000 consid. 3). Pour répondre à la notion juridique d’ «accident » (art. 4 LPGA), l’atteinte à la santé doit notamment trouver son origine dans un facteur extérieur, c’est-à-dire résulter d’une cause exogène au corps humain (arrêt 8C_235/2018 du 16 avril 2019 consid. 6.2). L’assurance-maladie sociale est tenue de provisoirement prendre en charge certaines prestations qui pourraient relever de l’assurance-accident, notamment lorsqu’est litigieuse la causalité de l’atteinte à la santé (art. 70 al. 2 let. a LPGA; cf. aussi art. 112 al. 1 OAMal; ATF 131 V 78 consid. 3; arrêt 8C_236/2008 du 14 octobre 2008 consid. 3.1). Dans ce contexte, l’assureur-maladie qui ne veut pas fournir de prestations doit ainsi prouver que la cause de l’atteinte est accidentelle (arrêt précité 4C.230/2000 consid. 3, cité par UELI KIESER, ATSG-Kommentar, 3e éd. 2015, n° 38 ad art. 3 LPGA).
  • La responsabilité de l’assureur-accident s’étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables – y compris les rechutes et séquelles tardives – qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle et adéquate avec l’événement assuré. Les rechutes et les séquelles tardives ont ceci en commun qu’elles sont attribuables à une atteinte à la santé qui, en apparence seulement, mais non dans les faits, était considérée comme guérie. Il y a rechute lorsque c’est la même affection qui se manifeste à nouveau. On parle de séquelles tardives lorsqu’une atteinte apparemment guérie produit, au cours d’un laps de temps prolongé, des modifications organiques ou psychiques qui conduisent souvent à un état pathologique différent (ATF 118 V 293 consid. 2c p. 296; arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 4.1). Comme le souligne un auteur, sur le plan dogmatique les rechutes et séquelles tardives ne sont rien d’autre que les suites directes d’un accident. Elles se distinguent toutefois par le facteur temporel qui complique la preuve (THOMAS ACKERMANN, Kausalität, in Unfall und Unfallversicherung, 2009, p. 41). A cet égard, la jurisprudence en matière d’assurances sociales considère que plus le temps écoulé entre l’accident et la manifestation de l’affection est long, plus les exigences quant à la preuve du rapport de causalité naturelle, selon le degré de vraisemblance prépondérante, doivent être sévères (arrêts 8C_589/2017 du 21 février 2018 consid. 3.2.2; 8C_61/2016 du 19 décembre 2016 consid. 3.2).
  • La preuve de la causalité peut nécessiter d’établir des « symptômes de pont » (Brückensymptome), soit des signes (symptômes ou plaintes) du patient permettant d’opérer un lien (« pont ») entre l’événement dommageable et l’atteinte à la santé qui survient longtemps après (cf. arrêt 4A_432/2011 du 18 octobre 2011 consid. 3.1; GEORG GAHN, Neurologische Begutachtung: Schwierige Rechtsbegriffe, in Der medizinische Sachverständige 2017 p. 212 [accessible sur le site Internet www.medsach.de]). Pour illustrer le rôle des symptômes de pont, un neurologue cite l’exemple suivant : une épilepsie structurelle peut se manifester des années après une lésion neurologique substantielle causée par un accident, mais elle peut aussi apparaître chez des patients âgés comme cause primaire, non liée à un épisode traumatique. Il incombe à un expert de se prononcer sur le lien de causalité (GAHN, ibidem).
  • Dans ses considérants relatifs aux rechutes et séquelles tardives, la Ire Cour de droit social relève que lorsqu’un assuré émet des plaintes en les motivant par un accident, l’assureur-accident prend en charge les dommages causés par l’événement accidentel, mais couvre les atteintes à la santé ultérieures uniquement en présence de clairs symptômes de pont (eindeutige Brückensymptome, cf. par ex. arrêt précité 8C_589/2017 consid. 3.2.2; arrêts 8C_331/2015 du 21 août 2015 consid. 2.2.2; 8C_113/2010 du 7 juillet 2010 consid. 2.3).
  • Ladite Cour s’appuie également sur des règles d’expérience et des formes de présomption. On admet par exemple que la hernie discale est normalement due à un processus dégénératif des disques et ne découle qu’exceptionnellement d’un accident (arrêt 8C_614/2007 du 10 juillet 2008 consid. 4.1.1). Si l’assureur-accident doit prendre en charge la complication temporaire due à un accident, il ne couvre en principe pas les rechutes tardives, sauf s’il existe de clairs symptômes de pont entre l’accident et la rechute (arrêt 8C_755/2018 du 11 février 2019 consid. 4.4).
  • Cela étant, il faut garder à l’esprit que la preuve de la causalité naturelle dépend avant tout des renseignements donnés par les médecins (arrêt précité 8C_589/2017 consid. 3.2.4; arrêt 8C_571/2016 du 24 mars 2017 consid. 3 in fine; arrêt précité 8C_331/2015 consid. 2.2.3.1). Selon les circonstances d’espèce, l’absence de symptômes de pont n’exclut pas nécessairement la causalité naturelle (arrêt 8C_175/2009 du 26 juin 2009 consid. 3.2).

Il paraît pertinent de s’inspirer des principes précités développés en matière d’assurances sociales, tout en gardant à l’esprit qu’il est ici question d’une assurance privée. Il appartient à l’assuré d’établir son droit à la prestation, ce qui suppose notamment d’établir un cas de maladie. Cela étant, il est « aidé » par la définition y relative, en ce sens qu’une atteinte établie à la santé est une maladie du moment qu’elle ne résulte pas d’un accident.

En l’occurrence, dans tous ses rapports, au contraire des deux laconiques attestations d’incapacité, le spécialiste en orthopédie a attribué l’arthrose de la cheville droite à l’évolution post-traumatique, en évoquant la fracture subie à ce membre inférieur à l’âge de 19 ans.

L’assuré insiste sur l’écoulement du temps, en soulignant que près de 45 ans se sont écoulés entre la fracture et la survenance de l’incapacité de travail. Il précise avoir pu travailler et pratiquer de nombreux sports pendant ce laps de temps.

Le facteur temps n’a pas échappé aux deux médecins. Cela étant, sous réserve du cas marginal des deux attestations de février 2011, le spécialiste en orthopédie a toujours imputé l’arthrose à la fracture de la cheville droite.

Cette analyse va clairement dans le sens de la littérature scientifique, qui peut aisément être trouvée sur Internet (PubMed, US National Library of Medicine, à l’adresse https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed. Cf. notamment DELCO, KENNEDY ET ALII, Post-Traumatic Osteoarthritis of the Ankle: A Distinct Clinical Entity Requiring New Research Approaches,  in Journal of Orthopaedic Research 2017 440 ss; THOMAS, HUBBARD-TURNER ET ALII, Epidemiology of Posttraumatic Osteoarthritis,  in Journal of Athletic Training 2017 491 ss; BARG, PAGENSTERT ET ALII, Ankle Osteoarthritis, Etiology, Diagnostics, and Classification,  in Foot and Ankle Clinics 2013 411 ss; LÜBBEKE, SALVO ET ALII, Risk factors for post-traumatic osteoarthritis of the ankle: an eighteen year follow-up study,  in International Orthopaedics 2012 1403 ss; VALDERRABANO, HORISBERGER ET ALII, Etiology of Ankle Osteoarthritis,  in Clinical Orthopaedics and Related Research 2009 1800 ss; HORISBERGER ET ALII, Posttraumatic Ankle Osteoarthritis After Ankle-Related Fractures – Abstract,  in Journal of Orthopaedic Trauma 2009 60 ss; PATRICK VIENNE, Arthrose de la cheville: Possibilités de traitement chirurgical visant à conserver l’articulation,  in Schweizerische Zeitschrift für Sportmedizin und Sporttraumatologie 2008 13 ss; SALTZMAN, SALAMON ET ALII, Epidemiology of Ankle Arthritis: Report of A Consecutive Series of 639 Patients From a Tertiary Orthopaedic Center,  in The Iowa Orthopaedic Journal 2005 44 ss).

Il en ressort de façon consensuelle que l’arthrose de la cheville, au contraire de celle de la hanche ou du genou, est le plus fréquemment d’origine post-traumatique ; des taux de l’ordre de 70% à 80%, voire 90% sont avancés (cf. notamment DELCO, KENNEDY ET ALII, op. cit., p. 2 et 3; VIENNE, op. cit., p. 13; SALTZMAN, SALAMON ET ALII, op. cit., p. 44 et 46). Les fractures sont mentionnées au premier chef, ainsi que les entorses et déchirures ligamentaires. Le temps de latence entre la blessure et l’ultime degré de l’arthrose est généralement long; il est de plusieurs années, et même de décennies. Une étude retient un temps de latence moyen de 20,9 ans, dans une fourchette comprise entre 1 et 52 ans (HORISBERGER ET ALII, op. cit. [Abstract], cités par BARG, PAGENSTERT ET ALII, op. cit., p. 412). Cet élément dépend de facteurs tels que le type de fracture, les complications pendant la phase de guérison, l’âge au moment de la blessure, un mauvais alignement du varus ainsi qu’un indice de masse corporelle élevé (BARG, PAGENSTERT ET ALII, op. cit., p. 412 s. et les réf. citées); l’impact sur le cartilage lors du traumatisme initial semble être un facteur important (DELCO, KENNEDY ET ALII, op. cit., p. 3; cf. aussi BARG, PAGENSTERT ET ALII, op. cit., p. 413 et 415). Pour expliquer les singularités de l’arthrose de la cheville par rapport à celle de la hanche ou du genou (laquelle est généralement idiopathique), les chercheurs mettent en avant les caractéristiques anatomiques, biomécaniques et cartilagineuses de la cheville.

Dans le cas concret, les deux médecins soulignent que le patient souffrait depuis des années de douleurs localisées à la cheville droite, lesquelles se sont exacerbées et sont devenues invalidantes en 2010. L’assuré marchait déjà avec une canne depuis deux ans.

De l’arrêt attaqué, des rapports médicaux, certificats et autres renseignements écrits auxquels il se réfère, respectivement des explications de l’assuré, il ne ressort pas que celui-ci aurait eu les mêmes douleurs, symptômes et anomalies à la cheville gauche. Il n’apparaît pas non plus qu’une arthrose aiguë aurait également frappé d’autres régions de son corps, ni qu’il aurait souffert de polyarthrite rhumatoïde ou d’autres affections associées à une arthrose secondaire de la cheville (cf. BARG, PAGENSTERT ET ALII, op. cit., p. 412; VALDERRABANO, HORISBERGER ET ALII, op. cit., p. 1802).

Eu égard aux circonstances d’espèce et aux particularités de l’arthrose de la cheville, il n’était pas nécessaire d’exiger des symptômes de pont plus étayés et reculés. On ne discerne par ailleurs aucun arbitraire dans l’appréciation ayant conduit la cour cantonale à être convaincue par les conclusions du Dr M2.__, fondées sur les mêmes observations cliniques que le Dr M1.__ et qui s’inscrivent dans la droite ligne de la littérature scientifique.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_328/2018 consultable ici

 

 

8C_261/2019 (d) du 08.07.2019 – Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate – 6 LPGA / Examen de l’invalidité – 8 al. 1 LPGA – 18 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_261/2019 (d) du 08.07.2019

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Consultable ici

 

Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate / 6 LPGA

Examen de l’invalidité / 8 al. 1 LPGA – 18 LAA

 

Assurée, née en 1963, employée de commerce dans une fondation, a été victime d’un accident de la circulation. La force de la collision lui a fait cogner la tête contre la vitre latérale de sa voiture. Après le remorquage de la voiture, l’assuré a pris le train pour se rendre au travail. Une première consultation médicale a eu lieu le jour suivant. Son médecin traitant, spécialiste en médecine générale, a diagnostiqué un TCC léger, une distorsion de la colonne cervicale et diverses contusions ; il a attesté une incapacité de travail à 50% à partir du 11.02.2015.

Le 14.11.2017, l’assurance-accidents a mis un terme à l’allocation des prestations rétroactivement au 01.09.2016, en se basant notamment sur l’évaluation du dossier par son médecin-conseil, spécialiste en neurologie. L’assurance-accidents a renoncé au remboursement des prestations octroyées au-delà du 22.08.2017. L’opposition de l’assurée a été rejetée.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a estimé qu’au 01.09.2016, date de la fin des prestations, aucune amélioration significative de l’état de santé ne devait être attendue par la poursuite du traitement médical, de sorte que l’assurance-accidents a eu raison de clore l’affaire. En ce qui concerne les troubles à la colonne cervicale, elle a nié, sur la base de la jurisprudence relative au coup du lapin (ATF 134 V 109), un lien de causalité adéquate entre l’accident et une (éventuelle) incapacité de travail pour les troubles évoqués au-delà du 01.09.2016.

En l’absence de lien de causalité adéquate, le tribunal cantonal aurait pu laisser ouverte la question d’un lien de causalité naturelle (ATF 135 V 465 consid. 5.1 p. 472). Néanmoins, les juges cantonaux l’ont examinée et ont constaté que les troubles n’étaient plus « accidentels », mais de nature dégénérative, à compter du 01.09.2016.

Par jugement du 14.03.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

En principe, l’octroi de prestations au titre de l’assurance accidents obligatoire présuppose un accident professionnel, un accident non professionnel ou une maladie professionnelle (art. 6 al. 1 LAA). Toutefois, l’assureur accidents n’est responsable des atteintes à la santé que dans la mesure où celles-ci présentent un lien de causalité non seulement naturelle mais aussi adéquat avec l’événement assuré (ATF 142 V 435 consid. 1 p. 438 ; 129 V 177 consid. 3 p. 181). L’adéquation – en tant que limitation légale de la responsabilité de l’assureur-accidents résultant du lien de causalité naturelle – est pratiquement sans importance dans le domaine des lésions traumatiques objectivables d’un point de vue organique, car ici la causalité adéquate coïncide largement avec la causalité naturelle (ATF 134 V 109 consid. 2 p. 111 s. ; 127 V 102 consid. 5b/bb p. 103).

Sont considérés comme objectivables les résultats de l’investigation (médicale) susceptibles d’être confirmés en cas de répétition de l’examen, lorsqu’ils sont indépendants de la personne de l’examinateur ainsi que des indications données par le patient. Ainsi, on ne peut parler de lésions traumatiques objectivables d’un point de vue organique que lorsque les résultats obtenus sont confirmés par des investigations réalisées au moyen d’appareils diagnostiques ou d’imagerie et que les méthodes utilisées sont reconnues scientifiquement (ATF 138 V 248 consid. 5.1 p. 251 ; arrêt 8C_387/2018 du 16 novembre 2018 consid. 3.3). Si les troubles en cause sont en lien de causalité naturelle avec l’accident, mais non objectivement prouvés, l’évaluation de l’adéquation doit se fonder sur le cours ordinaire des choses et, le cas échéant, d’autres critères liés à l’accident doivent être inclus (ATF 134 V 109 consid. 2.1 p. 111 s.).

Si la personne assurée a subi un accident qui justifie l’application de la juridiction du coup du lapin, les critères spécifiés par l’ATF 134 V 109 consid. 10 p. 126 ss sont déterminants à cet égard. Si cette jurisprudence n’est pas applicable, les critères d’adéquation développés pour les troubles psychiques consécutifs à un accident (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140) doivent être appliqués (ATF 134 V 109 consid. 2.1 p. 111 s.). Si le lien de causalité avec l’accident est retenu, les critères développés dans l’ATF 130 V 352 puis 141 V 281 doivent être appliqués par analogie pour évaluer l’effet invalidant d’une lésion spécifique de la colonne cervicale sans déficit fonctionnel organique objectivable (voir ATF 141 V 574 ; selon l’ancienne jurisprudence : ATF 136 V 279 consid. 3.2.3 p. 283 en lien avec 141 V 281 consid. 4.2 p. 298).

Tous les troubles à la santé psychiques doivent être soumis à une procédure structurée conformément à l’ATF 141 V 281 (ATF 143 V 418) en ce qui concerne leurs effets sur les capacités. Pour des raisons d’égalité juridique, cela s’applique également – et indépendamment de leur caractère éventuellement organique – à l’évaluation de l’effet invalidant d’une lésion spécifique de la colonne cervicale sans déficit fonctionnel organique objectivable (voir ATF 141 V 574 ; voir déjà 136 V 279 consid. 3.2.3 p. 283, toujours dans le cadre de la pratique alors en vigueur de la surmontabilité selon ATF 130 V 352).

Contrairement à l’assurance-invalidité, régie par principe de la finalité, qui est axée sur l’évaluation de l’impact des atteintes à la santé, l’assurance-accidents présuppose l’existence d’un lien de causalité naturelle (dans le cas d’atteinte à la santé organique non objectivable, cf. ATF 138 V 248 consid. 4 p. 251) et adéquate entre ces derniers et l’accident.

Le lien de causalité (art. 6 al. 1 LAA) et la limitation de gain ou l’invalidité (art. 8 al. 1 LPGA en lien avec l’art. 18 LAA) représentent des conditions « de qualification » [Anspruchsvoraussetzungen] différentes et impliquent des questions complètement différentes avec des besoins de clarification ou d’examen différents. Ainsi, le Tribunal fédéral a récemment jugé que la procédure d’examen selon l’ATF 141 V 281 n’est pas conçue pour apporter la preuve d’un lien de causalité naturelle (arrêt 8C_181/2019 du 2 mai 2019 consid. 5.2). Par conséquent, l’examen de l’adéquation purement normatif, fondé sur des critères, poursuit un objectif différent – à savoir celui de limiter la responsabilité – de l’évaluation des répercussions fonctionnelles fondée sur une évaluation normative et structurée. Cela ne change rien au fait que des éléments de fait partiellement identiques sont pris en compte et que certains chevauchements peuvent apparaître avec des critères et indicateurs individuels (voir Thomas Gächter, Funktion und Kriterien der Adäquanz im Sozialversicherungsrecht, Personen-Schaden-Forum 2016, p. 36 ss). Donc, si le fait de nier le lien de causalité naturelle et adéquate signifie que cette condition préalable essentielle aux prestations fait déjà défaut, il n’est pas nécessaire de procéder à l’évaluation des répercussions fonctionnelles (voir ATF 141 V 574 consid. 5.2 p. 582 ; Kaspar Gehring, in Frey/Mosimann/Bollinger [Hrsg.]: AHVG-IVG, 2018, N. 58 ad Art. 4 ATSG).

Dès lors que l’instance cantonale a nié à la fois le lien de causalité naturelle et le lien de causalité adéquate, on ne peut objecter qu’elle n’a pas examiné plus avant l’existence d’une invalidité.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_261/2019 consultable ici

Proposition de citation : 8C_261/2019 (d) du 08.07.2019 – Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/05/8c_261-2019)

 

4A_65/2019 (f) du 18.02.2020 – Responsabilité d’une permanence – 394 CO / Atteinte du nerf sciatique lors d’une opération (prothèse totale de hanche), nécessitée par la nécrose aseptique de la tête fémorale imputable au mauvais diagnostic posé initialement / Lien de causalité naturelle et adéquate entre le diagnostic erroné et le dommage admis

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_65/2019 (f) du 18.02.2020

 

Consultable ici

 

Responsabilité d’une permanence / 394 CO

Fracture du col fémoral (type Garden I) non diagnostiquée

Atteinte du nerf sciatique lors d’une opération (prothèse totale de hanche), nécessitée par la nécrose aseptique de la tête fémorale imputable au mauvais diagnostic posé initialement

Lien de causalité naturelle et adéquate entre le diagnostic erroné et le dommage admis

 

A la suite d’une chute survenue le 09.10.2003 aux environs de 21 30, B.___ s’est rendu à la permanence A.___ SA où il a été examiné par le Dr M.___. Celui-ci a diagnostiqué une « contusion à la hanche gauche », sans effectuer de radiographie. Le patient en est sorti aux alentours de 00h30, sans béquilles et après avoir reçu une piqûre antalgique ainsi que des médicaments anti-inflammatoires. Aucun arrêt de travail n’ayant été prescrit, il a repris son activité professionnelle de cuisinier le même jour.

Le 10.10.2003 en fin de journée, devant la persistance des douleurs, il s’est rendu aux urgences des Etablissements C.___ qui ont diagnostiqué, sur radiographies, une « fracture de type Garden I du col fémoral gauche ». Le 11.10.2003 à 00h35, les Etablissements C.___ ont procédé à une première opération lors de laquelle le col du fémur gauche a été stabilisé par triple vissage. Le même jour dans l’après-midi, ils ont effectué une deuxième opération, après avoir constaté que les vis utilisées étaient trop longues. A l’issue d’un contrôle effectué trois mois après, le patient a été autorisé à reprendre son travail.

Au mois d’août 2004, en raison d’une recrudescence des douleurs, le patient a été examiné par les Etablissements C.___, lesquels ont diagnostiqué une « nécrose aseptique de la tête fémorale gauche ». Le 04.01.2005, il a subi une troisième opération visant à mettre en place une prothèse totale de la hanche gauche. Le 10.01.2005, un examen neurologique a mis en évidence une neurapraxie du nerf sciatique poplité externe gauche.

Confronté à des troubles moteurs du pied gauche et à des douleurs neurogènes, le patient a formé une demande de prestations d’invalidité. Dans le cadre de celle-ci, son état a été jugé stabilisé trois ans après la lésion, une amélioration n’étant plus probable ; l’exercice de l’activité de cuisinier lui était devenu impossible, mais il subsistait une capacité résiduelle de 50% en qualité de réceptionniste. Il a été mis au bénéfice d’une demi-rente d’invalidité dès le 01.04.2008.

 

Procédures cantonales

Le 31.10.2012, B.___ a ouvert action devant le Tribunal de première instance du canton de Genève contre la permanence A.___ SA et les Etablissements C.___.

De l’expertise judiciaire, il ressort que la prise en charge du patient par la permanence n’a pas été faite dans les règles de l’art, le diagnostic posé étant faux, voire ridicule. Quant à savoir si le risque de nécrose était accru en fonction du délai s’écoulant entre la fracture et l’opération, les études cliniques rétrospectives n’étaient pas probantes. L’attitude générale des orthopédistes en Suisse était de traiter une telle fracture sur une base urgente.Un diagnostic correct de la fracture de type « Garden I » du col fémoral aurait permis de diminuer ou de pallier le risque de nécrose aseptique de la tête fémorale gauche.

Quant à l’ostéosynthèse par triple vissage et la mise en place d’une prothèse totale de hanche, elles avaient été effectuées dans les règles de l’art. L’atteinte au nerf sciatique faisait partie des risques rares inhérents à la pose d’une prothèse totale de hanche, qui avait en l’occurrence été rendue nécessaire par la nécrose aseptique de la tête fémorale gauche. Il y avait dès lors un lien de causalité entre cette atteinte et l’erreur de diagnostic de la permanence.

A l’audience des débats principaux, l’expert judiciaire a précisé que la fracture était peu déplacée, de sorte qu’il n’y avait probablement pas de lésion vasculaire. L’accident avait provoqué des saignements qui avaient causé une pression dans l’articulation, ce qui avait interrompu la circulation sanguine. Si l’on intervenait dans un intervalle de 6 à 8 heures pour diminuer cette pression, on avait une meilleure chance de sauver la tête fémorale. Il était clair que si l’intervention s’était déroulée tout de suite après la lésion, les risques d’une nécrose auraient été minimisés. Le fait que les Etablissements C.___ aient utilisé des vis trop longues n’avait strictement aucune importance et n’avait rien à voir avec la nécrose.

Par jugement du 10.10.2017, le Tribunal de première instance a condamné la permanence à payer au patient un total de 39’662 fr. 60, portant intérêts.

Le patient a appelé de ce jugement. La permanence en a fait de même. La Cour de justice a jugé que la permanence avait violé son obligation de diligence en s’abstenant de procéder à un examen clinique correct et en posant un faux diagnostic : elle aurait dû constater une fracture de type « Garden I » du col fémoral gauche, alors qu’elle avait décelé uniquement une « contusion à la hanche gauche ». Pour tout traitement, elle avait prescrit une piqûre antalgique et des médicaments anti-inflammatoires, alors qu’elle aurait dû immédiatement diriger le patient vers un chirurgien, la règle étant d’opérer par vissage en urgence, si possible dans les 6 heures consécutives au traumatisme. Elle avait ainsi retardé la prise en charge chirurgicale du patient. En raison de ce retard, la tête fémorale gauche s’était nécrosée, ce qui avait ultérieurement nécessité une nouvelle intervention chirurgicale destinée à la pose d’une prothèse de la hanche. L’atteinte au nerf sciatique s’était produite durant cette opération. Celle-ci avait été effectuée dans les règles de l’art, mais ce risque était inhérent. Il y avait un lien de causalité tant naturelle qu’adéquate entre ce délai et l’atteinte en question. La permanence était dès lors responsable du dommage subi par le patient ensuite de son incapacité de travail et de l’atteinte portée à son avenir économique.

Par arrêt du 29.11.2018, la Cour de justice a réformé cette décision en ce sens qu’elle a condamné la permanence à payer au patient un total de 325’721 fr., intérêts en sus.

 

TF

Le patient a chargé le Dr. M.___, œuvrant au sein de la permanence (recourante) en qualité de médecin, d’examiner son état et de prendre les mesures thérapeutiques adéquates. Il s’agit d’un contrat de mandat au sens de l’art. 394 al. 1 CO (ATF 132 III 359 consid. 3.1 p. 362) et la responsabilité de la permanence s’analyse sous l’angle de l’art. 398 al. 1 CO, lequel renvoie aux règles régissant la responsabilité du travailleur dans les rapports de travail (art. 321e CO).

 

Lien de causalité naturelle entre le diagnostic erroné et le dommage

En matière de causalité hypothétique, la jurisprudence se satisfait du degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 132 III 715 consid. 3.2 p. 720; 124 III 155 consid. 3d p. 165). La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 p. 89; 132 III 715 consid. 3.1 p. 720). Or, on peut inférer des explications de l’expert judiciaire qu’il n’existait certes pas d’absolue certitude, mais bel et bien une vraisemblance prépondérante selon laquelle la tête fémorale ne se serait pas nécrosée si l’intervention chirurgicale avait eu lieu sans tarder. La permanence ne convainc pas en proposant une autre lecture. L’appréciation des preuves à laquelle s’est livrée la cour cantonale n’a rien d’arbitraire.

Le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral n’est pas illimité en cette matière. Certes, le Tribunal fédéral a coutume de préciser qu’il est lié, au sens de l’art. 105 al. 1 LTF, par les constatations concernant la causalité hypothétique lorsqu’elles reposent sur des faits ressortant de l’appréciation des preuves ; en revanche, si la causalité hypothétique est déduite exclusivement de l’expérience de la vie, il revoit librement cette question de droit (ATF 132 III 305 consid. 3.5 p. 311; 115 II 440 consid. 5b; arrêts 4A_403/2016 du 18 avril 2017 consid. 3.2, 4A_543/2016 du 1 er novembre 2016 consid. 3.2.3). En l’espèce, l’appréciation des juges cantonaux s’est fondée sur une expertise judiciaire définissant les standards de diligence que l’on pouvait attendre et les conséquences des manquements constatés. Il se justifie ainsi de restreindre à l’arbitraire le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral. Cela étant, il est entendu que l’examen de la causalité adéquate, dans la mesure où il conserve un objet (cf. arrêt 4A_464/2008 du 22 décembre 2008 consid. 3.3.1), se fait avec un pouvoir d’examen libre (ATF 143 III 242 consid. 3.7  in fine; cf. consid. 5 infra).

La permanence affirme encore qu’un certain type de fracture favoriserait l’apparition d’une nécrose sans égard au délai de prise en charge. Certes, le Dr O.___, chef de clinique aux Etablissements C.___, a déclaré qu’il n’y avait dans la littérature aucune preuve formelle qu’un retard de 24 à 36 heures dans la prise en charge chirurgicale augmentait le risque de nécrose aseptique. Ce risque était à son avis lié au type de fracture et non pas à un délai de prise en charge chirurgicale. Toutefois, ce praticien a confirmé, comme deux autres médecins en sus de l’expert, qu’une prise en charge en urgence était indispensable. Au surplus, il n’y a rien à redire, sous l’angle de l’arbitraire, au fait que la cour cantonale ait accordé la préséance aux constatations de l’expert judiciaire, qui a – selon ses termes – poussé son analyse plus loin pour répondre à la question posée.

 

Lien de causalité adéquate entre l’erreur de diagnostic et le dommage

La permanence fait valoir que la lésion du nerf sciatique pendant l’opération de pose de prothèse de la hanche est exceptionnelle et imprévisible, ce qui ne permettrait pas d’admettre que cette opération était, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, propre à entraîner une telle lésion. Certes, il ressort du jugement cantonal que cette lésion survient dans un nombre très restreint de cas (1 à 2%). Cela étant, le caractère adéquat d’une cause ne suppose pas que l’effet considéré se produise généralement, ni même qu’il soit courant. Il suffit qu’il s’inscrive dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles (ATF 143 III 242 consid. 3.7 p. 250; 139 V 176 consid. 8.4.2; 96 II 392 consid. 2). Tel est bien le cas ici. Il n’y a dès lors nulle violation du droit dont la permanence serait fondée à se plaindre.

La permanence soutient également que la troisième opération chirurgicale, lors de laquelle le nerf sciatique de le patient a été endommagé, a interrompu le lien de causalité adéquate. Certes, une telle interruption peut se concevoir en présence d’un événement extraordinaire ou exceptionnel auquel on ne pouvait s’attendre (force naturelle, fait du lésé ou d’un tiers) qui revêt une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus immédiate du dommage et relègue à l’arrière-plan les autres facteurs ayant contribué à le provoquer – y compris le fait imputable à la partie recherchée. Toutefois, il n’y a ici nulle faute des Etablissements C.___ susceptible d’intervenir à ce titre, ni intervention d’un élément naturel en tant que tel. De l’avis de l’expert, il s’agit d’un risque inhérent à l’opération, qui entre dans le champ du possible, mais se produit rarement ; or, l’opération comportant ce risque a été provoquée par la nécrose elle-même imputable au mauvais diagnostic de la permanence. Ce grief doit pareillement être rejeté.

 

 

Le TF rejette le recours de la permanence.

 

 

Arrêt 4A_65/2019 consultable ici

 

 

8C_164/2019 (f) du 06.03.2020 – Rente d’invalidité – Capacité de travail exigible pour les seules suites de l’accident – 16 LPGA / Troubles dégénératifs préexistants au niveau de la colonne lombaire / Atteinte à la santé partiellement imputable à l’accident / 36 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_164/2019 (f) du 06.03.2020

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité – Capacité de travail exigible pour les seules suites de l’accident / 16 LPGA

Troubles dégénératifs préexistants au niveau de la colonne lombaire

Atteinte à la santé partiellement imputable à l’accident / 36 LAA

 

Assuré, né en 1962, chef d’équipe (maçon), s’est blessé à la cheville droite le 08.05.2012 (multiples fractures ouvertes du pilon tibial).

L’assuré s’est soumis à des interventions chirurgicales à son membre inférieur droit les 08.05.2012, 21.05.2012, 11.03.2013 et 17.09.2015. Il a également séjourné à la Clinique romande de réadaptation (CRR) du 25.06.2014 au 22.07.2014 et du 02.11.2016 au 30.11.2016. En se fondant sur l’avis de son médecin-conseil, l’assurance-accidents a mis fin à la prise en charge du cas avec effet au 30.11.2017. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 23% avec effet au 01.12.2017 ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 20%.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 65/18 – 12/2019 – consultable ici)

Par jugement du 31.01.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Aux termes de l’art. 36 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l’atteinte à la santé n’est que partiellement imputable à l’accident (al. 1) ; les rentes d’invalidité, les indemnités pour atteinte à l’intégrité ainsi que les rentes de survivants sont réduites de manière équitable lorsque l’atteinte à la santé ou le décès ne sont que partiellement imputables à l’accident (al. 2, 1ère phrase) ; toutefois, en réduisant les rentes, on ne tiendra pas compte des états antérieurs qui ne portaient pas atteinte à la capacité de gain (al. 2, 2ème phrase).

L’art. 36 al. 2 LAA repose sur l’idée qu’une atteinte à la santé peut ne pas avoir été causée uniquement par un accident mais conjointement à d’autres facteurs étrangers à celui-ci. Partant du principe que l’assurance-accidents n’intervient que pour les conséquences des accidents, l’art. 36 al. 2, 1ère phrase, LAA prévoit une réduction possible des rentes d’invalidité en cas de lésions causées par des facteurs extérieurs à l’accident. L’art. 36 al. 2, 2ème phrase, LAA a pour but de faciliter la liquidation d’un dommage dû à un accident lorsqu’il existe un état préexistant – somatique ou psychique – étranger à l’accident et d’éviter que l’assuré ne doive, pour le même accident, se retourner contre plusieurs assureurs différents (ATF 121 V 326 consid. 3c p. 333 et les références). L’art. 36 al. 2 LAA trouve application lorsque l’accident et l’événement non assuré ont causé conjointement une atteinte à la santé et si les troubles résultant des facteurs assurés et non assurés coïncident (ATF 126 V 116 consid. 3a p. 116; 121 V 326 consid. 3c p. 333 et les références). L’art. 36 LAA n’est pas applicable, en revanche, lorsque les deux facteurs ont causé des lésions sans corrélation entre elles, par exemple des atteintes portées à des parties différentes du corps ; dans ce cas, les suites de l’accident doivent être considérées pour elles-mêmes (ATF 126 V 116 consid. 3a p. 116; 121 V 326 consid. 3c p. 333; arrêt 8C_696/2014 du 23 novembre 2015 consid. 2.3).

Selon la jurisprudence, lorsque des troubles dégénératifs préexistants au niveau de la colonne lombaire, qui étaient asymptomatiques, sont décompensés à cause d’un accident, l’aggravation doit être considérée comme terminée en règle générale après six à neuf mois, mais au plus tard après une année (arrêts 8C_755/2018 du 11 février 2019 consid. 4.4.2; 8C_326/2008 du 24 juin 2008 consid. 3.3 et les références).

 

En l’espèce, l’assuré n’établit nullement que l’accident du 08.05.2012 a influencé d’une quelconque manière ses lombalgies chroniques préexistantes. Il ne prétend en particulier pas qu’une lésion structurelle due à l’accident aurait été confirmée par des examens radiologiques. Au contraire, les médecins traitants se sont limités à relever qu’au niveau lombaire, l’assuré était actuellement plutôt asymptomatique en raison de la faible intensité de ses activités. Dans la mesure où les troubles résultant de facteurs assurés (multiples fractures ouvertes du pilon tibial) et non assurés (lombalgie chronique sur status après diagnostic d’une hernie discale L4-L5 et discopathie L3-S1, premier diagnostic en 2005) ne coïncident pas, l’art. 36 al. 2 LAA ne trouve pas application. L’auteur que cite l’assuré à l’appui de son argumentation le rappelle du reste expressément (HARDY LANDOLT, in: Hürzeler/Kieser [éd.], Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, n° 17 ad art. 36 LAA). Les premiers juges pouvaient par conséquent, à la suite d’une appréciation anticipée des preuves (ATF 141 I 60 consid. 3.3 p. 64; 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 298), renoncer à mettre en œuvre l’expertise médicale requise par l’assuré.

Ensuite des considérations qui précèdent, il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation des juges cantonaux selon laquelle les seules séquelles (physiques) laissées par l’accident survenu le 08.05.2012 n’étaient pas de nature à fonder une incapacité de travail dans le cadre d’une activité adaptée à compter du 30.11.2017.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_164/2019 consultable ici

 

 

8C_650/2018 (f) du 23.10.2019 – Tendinopathie chronique (dégénérative) de la coiffe des rotateurs – Causalité naturelle – Statu quo sine / 6 LAA – 36 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_650/2018 (f) du 23.10.2019

 

Consultable ici

 

Tendinopathie chronique (dégénérative) de la coiffe des rotateurs – Causalité naturelle – Statu quo sine / 6 LAA – 36 LAA

 

Assuré, né en 1973, jardinier paysagiste, tombe, le 14.12.2013, contre un mur avec son épaule droite qui a lâché, en transportant une caisse de bois.

Le spécialiste FMH en chirurgie orthopédique a diagnostiqué une rupture subtotale du tendon du sous-scapulaire avec luxation médiane hors de la gouttière bicipitale du tendon du long chef du biceps, une déchirure partielle du sus-épineux et une discrète contusion du trochiter. Le chirurgien a opéré l’épaule droite de l’assuré le 04.03.2014. Une arthro-IRM réalisée le 13.10.2014 a mis en évidence une re-déchirure post-réparation de la coiffe sans rétraction tendineuse visible ainsi qu’une importante bursite sous-acromio-deltoïdienne réactionnelle. Le chirurgien a prescrit une injection de PRP (plasma riche en plaquettes).

L’assurance-accidents a adressé l’assuré à un chef de service du service d’orthopédie et traumatologie d’un hôpital universitaire. Ce praticien a conclu, au terme de son examen du 15.04.2015, qu’il était difficile d’expliquer par les éléments objectifs l’importance du syndrome douloureux résiduel ainsi que l’impossibilité de réaliser une abduction active ; dans ce contexte, il était peu probable qu’une révision chirurgicale avec complément de réparation du sous-scapulaire permette d’améliorer significativement la situation sur le plan subjectif.

L’assurance-accidents a mis en œuvre une expertise médicale, mandatant à cet effet un spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et précisant qu’elle suspendait ses prestations jusqu’à connaissance des conclusions de l’expert. Dans son rapport d’expertise du 22.03.2016, le médecin-expert a conclu que l’assuré présentait une tendinopathie chronique (dégénérative) de la coiffe des rotateurs aux deux épaules. Du côté droit, il existait un doute quant à une péjoration aiguë de cette tendinopathie lors de l’événement survenu le 14.12.2013. La supputée lésion traumatique avait été traitée correctement et ne montrait pas de complication majeure. Habituellement, un délai de 6 à 12 mois paraissait nécessaire pour récupérer d’une telle chirurgie. Au-delà, le cursus de l’épaule droite de l’assuré était manifestement régi par le potentiel évolutif de sa coiffe des rotateurs dégénérative (argument prévalant aussi pour l’épaule controlatérale).

Le médecin-conseil de l’assurance-accidents a relevé que ni le bilan radiologique de l’assuré ni le protocole opératoire du chirurgien ne permettaient d’objectiver les signes d’une luxation ; par ailleurs, l’assuré présentait tous les facteurs de risques d’une tendinopathie, et la fixation du statu quo sine une année après l’intervention chirurgicale paraissait correcte.

Par lettre du 19.04.2016, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle retenait le 20 avril 2015 comme « date de fin de causalité » entre ses troubles à l’épaule droite et l’accident, laquelle correspondait au dernier versement d’indemnités journalières effectué. Elle renonçait toutefois à demander la restitution des autres prestations (frais de traitements médicaux, frais de transport, médicaments, etc.) déjà versées du 21.04.2015 à ce jour. L’assurance-accidents a confirmé cette prise de position par décision du 05.07.2016, confirmée sur opposition.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 24/17 – 93/2018 – consultable ici)

Se fondant sur le rapport d’expertise, lequel remplissait tous les critères jurisprudentiels en matière de valeur probante, les juges cantonaux ont retenu qu’avant l’événement du 14.12.2013, l’assuré présentait, selon toute vraisemblance, des lésions de la coiffe des rotateurs dégénératives asymptomatiques des deux épaules et que l’accident avait entraîné, au moins possiblement, une aggravation d’une tendinopathie préexistante. A cet égard, une impotence fonctionnelle de l’épaule avait été constatée immédiatement après l’accident et pouvait refléter une lésion surajoutée du tendon sus-épineux, compte tenu de la présence d’un œdème sur son site d’insertion sur le trochiter. Au vu de ce constat, la cour cantonale a considéré que c’était à juste titre que l’assurance-accidents avait pris en charge les suites de l’accident mais qu’au-delà du 20.04.2015, l’origine maladive et dégénérative des troubles présentés par l’assuré était clairement établie.

Par jugement du 14.08.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification du 25 septembre 2015 de la LAA. Dans la mesure où l’événement litigieux est survenu avant cette date, le droit de l’assuré aux prestations d’assurance est soumis à l’ancien droit (cf. dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015). Les dispositions visées seront citées ci-après dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016.

L’art. 6 al. 1 LAA prévoit que les prestations de l’assurance-accidents obligatoire sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident au sens de cette disposition, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique, ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose notamment entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout, ou qu’il ne serait pas survenu de la même manière. Pour admettre l’existence d’un lien de causalité naturelle, il n’est pas nécessaire que l’accident soit la cause unique ou immédiate de l’atteinte à la santé; il faut et il suffit que l’événement dommageable, associé éventuellement à d’autres facteurs, ait provoqué l’atteinte à la santé physique ou psychique de l’assuré, c’est-à-dire qu’il se présente comme la condition sine qua non de celle-ci (ATF 142 V 435 consid. 1 p. 438; 129 V 177 consid. 3.1 p. 181 et les références).

En vertu de l’art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l’atteinte à la santé n’est que partiellement imputable à l’accident. Lorsqu’un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l’assurance-accidents d’allouer des prestations cesse si l’accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l’accident. Tel est le cas lorsque l’état de santé de l’intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l’accident (statu quo ante) ou à celui qui existerait même sans l’accident par suite d’un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n’est pas rétabli, l’assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l’état maladif préexistant, dans la mesure où il s’est manifesté à l’occasion de l’accident ou a été aggravé par ce dernier (cf. arrêts 8C_781/2017 du 21 septembre 2018 consid. 5.1, in SVR 2019 UV n° 18 p. 64; 8C_657/2017 du 14 mai 2018 consid. 3.2 et les références, in SVR 2018 UV n° 39 p. 141). En principe, on examinera si l’atteinte à la santé est encore imputable à l’accident ou ne l’est plus (statu quo ante ou statu quo sine) sur le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1 p. 181).

 

Le fait que dans son rapport d’expertise, le médecin-expert ait fait un bref rappel de la pathologie dégénérative de la coiffe des rotateurs et qu’il n’ait pas cité ses sources en se référant à la « théorie de la prédisposition génétique » – laquelle semblait s’imposer par rapport à celle postulant l’usure des tendons de la coiffe des rotateurs résultant principalement de contraintes répétées, exagérées, responsables au cours du temps de micro-déchirures tendineuses – ne remet pas en cause l’objectivité de ses conclusions. On relèvera qu’à l’instar du médecin-expert, le médecin-conseil de l’assurance-accidents a également mentionné l’importance des facteurs biologiques dans l’évolution de la lésion de la coiffe des rotateurs ; l’assuré présentait des lésions tendineuses pratiquement aussi importantes à l’épaule gauche – qui n’avait pas subi de traumatisme – qu’à l’épaule droite.

Le médecin-expert a expliqué qu’une lésion supputée aiguë de la coiffe des rotateurs, une fois réparée chirurgicalement, évoluait favorablement à moins que surgissent des complications, telles qu’un lâchage de suture des tendons supputés lésés puis réparés, un conflit sous-acromial majeur ou une capsulite/arthrofibrose, voire une surinfection, éventuellement une lésion neurologique. Lorsque l’évolution n’était pas bonne en l’absence des complications mentionnées, comme c’était le cas en l’espèce, il fallait penser à une évolution naturelle d’une pathologie dégénérative préexistante. Dans le cas de l’assuré, cette progression ne pouvait pas être niée ; elle pouvait être constatée sur la dernière IRM, l’atteinte touchant désormais, de manière préférentielle, le sous-épineux, lequel montrait déjà des stigmates d’une surcharge chronique (altération micro-kystique sous-chondrale à son site d’insertion sur le trochiter, aspect tendineux hétérogène en zone critique) sur les images IRM de janvier 2014. Désormais, ce tendon montrait une dégénérescence claire en son corps, allant jusqu’à la solution de continuité d’une partie de ses fibres. Une dégénérescence similaire prévalait également sur l’épaule controlatérale. Les autres changements, mineurs (discrète atrophie du sus-épineux, légère progression de l’atrophie avec infiltrats graisseux du sous-scapulaire), observés sur les dernières images de l’épaule droite, rentraient aussi, avec une très haute vraisemblance, dans le cadre de la progression lente de la maladie de la coiffe des rotateurs. En définitive, l’assuré présentait une tendinopathie chronique dégénérative de la coiffe des rotateurs aux deux épaules. Du côté droit, il existait un doute quant à une péjoration aiguë de cette tendinopathie lors de l’événement survenu le 14.12.2013. Cette lésion avait été traitée correctement et ne montrait pas de complication majeure. Habituellement, un délai de 6 à 12 mois était nécessaire pour récupérer d’une telle chirurgie, permettant un retour à un status fonctionnel usuel (statu quo sine). Si l’on prenait encore en considération le bilan orthopédique universitaire réalisé le 15.04.2015, à l’issue duquel les lésions – supputées en lien avec le traumatisme du 14.12.2013 – ne pouvaient pas rendre compte des plaintes résiduelles, il convenait de considérer qu’au-delà de cette date, le cursus de l’épaule droite de l’assuré était manifestement régi par le potentiel évolutif de sa coiffe des rotateurs dégénérative.

Cela étant, l’expert ne laisse planer aucun doute sur un retour au statu quo sine au plus tard le 20.04.2015 en ce qui concerne les troubles au niveau de l’épaule droite. Il en découle que la juridiction cantonale n’a pas violé le droit fédéral en confirmant la suppression du droit de l’assuré aux indemnités journalières ainsi qu’à la prise en charge du traitement médical au 20.04.2015. Le grief tiré de la violation des art. 6 et 36 LAA et de l’art. 9 al. 2 OLAA tombe dès lors à faux.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_650/2018 consultable ici

 

 

8C_253/2019 (f) du 13.11.2019 – Lien de causalité naturelle – Accident de type « coup du lapin », traumatisme analogue ou de TCC sans preuve déficit fonctionnel organique – Durée de latence entre accident et apparition des douleurs dans la région de la nuque ou de la colonne cervicale / Pas d’IPAI pour les décompensations temporaires dues à l’accident

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_253/2019 (f) du 13.11.2019

 

Consultable ici

 

Lien de causalité naturelle – Accident de type « coup du lapin », de traumatisme analogue ou de traumatisme cranio-cérébral sans preuve d’un déficit fonctionnel organique / 6 LAA

Durée de latence entre l’accident et l’apparition des douleurs dans la région de la nuque ou de la colonne cervicale

IPAI / 24 s. LAA – 36 OLAA

Pas d’IPAI lorsque la perte d’une ou de plusieurs dents peut être compensée par des couronnes ou des ponts fixes

Pas d’IPAI pour les décompensations temporaires dues à l’accident

 

Assurée, née en 1981, au bénéfice d’une curatelle de portée générale (après avoir été placée sous tutelle en 2006), a travaillé d’août 2009 à septembre 2010 en tant qu’aide de maison à 75%. Dès le 01.10.2010, elle a perçu des indemnités journalières de l’assurance-chômage.

Le 20.10.2010, vers 5h15, alors qu’elle se trouvait sur la chaussée, l’assurée a été percutée par une voiture roulant entre 60 et 65 km/h. Elle a été héliportée à l’hôpital, où un examen sanguin a révélé une alcoolémie de 2,8 g/L. L’hospitalisation due au polytraumatisme subi a duré jusqu’au 20.01.2011, date de son retour à domicile.

Le traitement à la sortie de l’hôpital a consisté principalement en une médication et des séances d’ergothérapie et de physiothérapie. En raison de la persistance des douleurs et de la nécessité d’une rééducation complémentaire en milieu stationnaire, l’assurée a séjourné à la Clinique romande de réadaptation du 27.03.2012 au 25.04.2012. Sur le plan psychique, elle a dû être hospitalisée en 2011 à la suite de tentatives de suicide, puis en 2015 pour mise à l’abri d’un risque auto-agressif. Les pièces médicales recueillies au dossier ont montré par ailleurs que l’assurée avait fait l’objet d’hospitalisations en milieu psychiatrique antérieures à l’accident du 20.10.2010.

L’assurance-accidents a mis un terme au versement de l’indemnité journalière et à la prise en charge des frais médicaux au 31.08.2016, sous réserve des contrôles médicaux encore nécessaires. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité, compte tenu d’une incapacité de gain due aux lésions somatiques de 4%, soit un taux inférieur aux 10% ouvrant le droit à la prestation en cause. En ce qui concernait les troubles psychiques, elle a retenu que le statu quo sine avait été atteint au 20.06.2016 au plus tard. Enfin, elle a reconnu le droit de l’assurée à une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 15%.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 101/17-30/2019 – consultable ici)

Se prononçant sur l’étendue des séquelles de l’accident du 20.10.2010, les juges cantonaux ont constaté que seules persistaient des séquelles orthopédiques relativement modérées. Sur le plan psychique, la cour cantonale a retenu que la décompensation – due à l’accident – du trouble de la personnalité préexistant n’était plus observable lors de l’examen du psychiatre-conseil de l’assurance-accidents du 20.06.2016, de sorte que le statu quo sine était atteint à cette date.

Par jugement du 07.03.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Causalité naturelle

En matière de lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin », de traumatisme analogue ou de traumatisme cranio-cérébral sans preuve d’un déficit fonctionnel organique, l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident et l’incapacité de travail ou de gain doit en principe être reconnue en présence d’un tableau clinique typique présentant de multiples plaintes (maux de têtes diffus, vertiges, troubles de la concentration et de la mémoire, nausées, fatigabilité, troubles de la vue, irritabilité, dépression, modification du caractère, etc.). Il faut cependant que l’existence d’un tel traumatisme et de ses suites soit dûment attestée par des renseignements médicaux fiables (ATF 134 V 109 consid. 9.1 p. 122). Se fondant sur l’expérience médicale selon laquelle les troubles au niveau de la région cervicale apparaissent en principe dans un court laps de temps après l’accident, la jurisprudence prend parfois également en compte une certaine période de latence par rapport à l’apparition des symptômes du tableau clinique, sans toutefois établir une règle stricte quant à la durée au cours de laquelle ceux-ci doivent se manifester. Des durées de latence tels que 11 jours entre l’accident et l’apparition des douleurs dans la région de la nuque ou de la colonne cervicale, respectivement 7 mois ou plus de 5 ans, ont conduit à nier la survenance d’un traumatisme de type « coup du lapin » (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Soziale Sicherheit, SBVR vol XIV, 3 e éd. 2016, n. 112 p. 932, et les références citées).

En l’espèce, le spécialiste en neurologie consulté par l’assurée fait état de céphalées quotidiennes et de troubles de la mémoire occasionnels plus de quatre ans après la survenance de l’accident, sans que l’on sache quand ces troubles auraient débuté. En outre, selon ce médecin, les céphalées ont un caractère « tensionnel » et, dans le contexte global, sont plus probablement en relation avec les facteurs psychiques que de nature accidentelle, tout comme les troubles de la mémoire occasionnels. Dans ces conditions, on ne saurait admettre l’existence d’un lien de causalité naturelle entre les céphalées et troubles de la mémoire et l’accident du 20.10.2010, respectivement le traumatisme cranio-cérébral.

Quant aux décompensations psychiques survenues en 2011 et 2014, le psychiatre-conseil de l’assurance-accidents indique que, si elles étaient causées partiellement par les conséquences de l’accident de 2010, une décompensation du trouble de la personnalité préexistant n’était plus observable actuellement. Il conclut que le statu quo sine a été atteint et exclut tout lien de causalité naturelle entre l’accident et les troubles psychiques persistants.

Il s’ensuit qu’en l’absence de lien de causalité naturelle entre l’accident et les troubles allégués par l’assurée (céphalées, troubles de la mémoire et décompensations psychiques), il n’y a pas lieu d’examiner le cas à la lumière des critères jurisprudentiels en matière de causalité adéquate.

 

IPAI

Dans son rapport, le spécialiste en chirurgie et médecin-conseil de l’assurance-accidents a tenu compte du préjudice esthétique dans le calcul du taux de l’atteinte à l’intégrité (« A ces 10%, il convient d’ajouter 5% prenant en compte une légère dérotation et un petit raccourcissement du MIG [membre inférieur gauche] ainsi qu’un certain préjudice esthétique »).

En ce qui concerne les lésions dentaires, l’assurée ne se prévaut d’aucun avis médical pour étayer son droit à une indemnisation. En outre, rien au dossier n’indique qu’elle souffrirait d’une grave atteinte à la capacité de mastiquer, pour laquelle un taux de 25% est reconnu selon l’annexe 3 à l’OLAA. L’assurée ne soutient pas non plus que les conditions d’une indemnisation sur la base de la Table 15 (« Atteinte à l’intégrité en cas de dégâts dentaires dus à un accident ») publiée par la division médicale de la CNA seraient remplies, étant précisé que selon cette table, une indemnité n’est pas due lorsque la perte d’une ou de plusieurs dents peut être compensée par des couronnes ou des ponts fixes.

Quant aux décompensations temporaires dues à l’accident, elles ne peuvent pas non plus justifier l’octroi d’une indemnité dès lors que l’atteinte indemnisée doit être durable, ce qui est le cas lorsqu’il est prévisible que l’atteinte subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie (art. 36 al. 1, première phrase, OLAA).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_253/2019 consultable ici