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4A_312/2024 (d) du 05.12.2024, destiné à la publication – IPAI et indemnité à titre de réparation morale – Droit préférentiel de répartition en cas de faute concomitante du lésé / Changement de jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_312/2024 (d) du 05.12.2024, destiné à la publication

 

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Indemnité pour atteinte à l’intégrité et indemnité à titre de réparation morale – Droit préférentiel de répartition en cas de faute concomitante du lésé / 72 LPGA – 73 LPGA

Changement de jurisprudence

 

A.________ (le lésé ; le recourant) a subi le 08.10.2010 un grave traumatisme par écrasement à sa main gauche, qui a été entraînée dans une machine et saisie par le rouleau d’entraînement. Lors de l’examen final par le médecin-conseil de l’assureur-accidents, un trouble fonctionnel complexe de la main gauche avec une mobilité minimale des doigts longs, une fonction nettement limitée du pouce et une légère diminution de la mobilité du poignet ainsi qu’un trouble de stress post-traumatique et une amplification des symptômes ont été diagnostiqués. Le lésé a fait valoir à l’encontre de son employeur, B.__ SA (l’employeur ; l’intimé ; la défenderesse), un droit à une indemnité pour tort moral en raison d’une violation du devoir de diligence (art. 328 al. 2 CO) et d’une responsabilité fondée sur l’art. 58 CO (défauts d’ouvrage).

 

Procédures cantonales

Après une tentative infructueuse de conciliation, le lésé a déposé le 11.07.2019 une action partielle, réclamant une indemnité pour tort moral de CHF 30’000, plus intérêts, sous réserve d’une action complémentaire ultérieure. Le 24.03.2021, le tribunal a rejeté l’action. Bien que toutes les conditions fondant la responsabilité fussent réunies, il a nié une responsabilité de l’employeur au motif que l’accidenté avait commis une faute grave concomitante, interrompant le lien de causalité adéquate entre l’absence de dispositif de protection sur la machine et le dommage survenu.

Le recours interjeté contre le jugement du 24.03.2021 a été rejeté sur le fond par le Tribunal cantonal le 15.04.2024. Contrairement au tribunal de district, le Tribunal cantonal n’a pas considéré la faute concomitante du lésé comme suffisamment grave pour interrompre le lien de causalité adéquate. Cependant, il a estimé que l’indemnité pour tort moral à laquelle il avait droit était inférieure à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité qu’il avait reçue, de sorte qu’il ne lui restait aucune prétention à l’égard de l’employeur.

Le Tribunal cantonal a procédé à l’évaluation du tort moral en deux phases :

  • Dans une première phase, il a fixé le montant de base à CHF 31’500, correspondant à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité octroyée et non contestée.
  • Dans une seconde phase, le Tribunal cantonal a pris en compte les particularités du cas d’espèce. Il a augmenté le montant de base de 30% au total (10% pour le changement de personnalité survenu après un stress extrême d’une part, 10% pour le trouble de stress post-traumatique, et 10% la réinsertion infructueuse ainsi que l’atteinte à l’avenir économique) pour atteindre environ CHF 41’000. Il a ensuite pris en compte une faute concomitante d'(au moins) un quart et a ainsi calculé une indemnité pour tort moral totale de CHF 30’750 (CHF 41’000 ./. CHF 10’250 [25%]), qui n’atteignait pas l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

TF

Consid. 2
Selon la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, l’assureur est subrogé, jusqu’à concurrence des prestations légales, aux droits de l’assuré et de ses survivants contre tout tiers responsable, dès la survenance de l’événement dommageable (art. 72 al. 1 LPGA).

Néanmoins, selon l’art. 73 LPGA, les droits de l’assuré et de ses survivants ne passent à l’assureur que dans la mesure où les prestations qu’il alloue, jointes à la réparation due pour la même période par le tiers responsable, excèdent le dommage causé par celui-ci (al. 1). Si l’assureur a réduit ses prestations au sens de l’art. 21 al. 1, 2 ou 4 LPGA, les droits de l’assuré ou de ses survivants passent à l’assureur dans la mesure où les prestations non réduites, jointes à la réparation due pour la même période par le tiers, excèdent le montant du dommage (al. 2). Les droits qui ne passent pas à l’assureur restent acquis à l’assuré ou à ses survivants. Si seule une partie de l’indemnité due par le tiers responsable peut être récupérée, l’assuré ou ses survivants ont un droit préférentiel sur cette partie (al. 3).

Les droits passent à l’assureur pour les prestations de même nature (art. 74 al. 1 LPGA), l’indemnité pour atteinte à l’intégrité et l’indemnité à titre de réparation morale constituant notamment des prestations de même nature (art. 74 al. 2 let. e LPGA).

Consid. 2.1
Selon l’art. 73 al. 1 LPGA, la personne lésée bénéficie d’un droit préférentiel par rapport à l’assureur social exerçant son recours (KIESER, Kommentar ATSG, 4e éd. 2020, n. 8 ss ad art. 73 LPGA; KLETT/MÜLLER, in: Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, n. 13 ad art. 73 LPGA; FRÉSARD-FELLAY, in: Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n. 2 ad art. 73 LPGA [ci-après: FRÉSARD-FELLAY, CR LPGA]; HARDY LANDOLT, Genugtuungsrecht, 2e éd. 2021, p. 337 § 21.I.B.2 n. 1204). Ce droit préférentiel signifie que l’assurance ne peut exercer un recours au détriment du lésé. Si elle ne couvre qu’une partie du dommage, le lésé peut réclamer la partie non couverte au responsable, et l’assurance n’a un droit de recours que dans le cadre de la prétention en responsabilité qui subsiste ensuite (ATF 120 II 58 consid. 3c et les références). Ce droit préférentiel vise à préserver la personne lésée d’un dommage non couvert, mais ne doit pas conduire à son enrichissement (ATF 131 III 12 consid. 7.1; voir aussi sur l’ensemble de la question l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_204/2017 du 29 août 2017 consid. 8.3.2 et les références).

Consid. 2.2
Avant l’entrée en vigueur de la LPGA, la question de savoir si et dans quelle mesure ce droit préférentiel s’applique aux prétentions en réparation morale lors de la coordination avec une indemnité pour atteinte à l’intégrité était controversée dans la doctrine (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 316; arrêt du Tribunal fédéral 4A_631/2017 du 24 avril 2018 consid. 4.2; FRÉSARD-FELLAY, Le recours subrogatoire de l’assurance-accidents sociale contre le tiers responsable ou son assureur, 2007, p. 365 n. 1100 [ci-après: FRÉSARD-FELLAY, Le recours]; THOMAS FREI, Die Integritätsentschädigung nach Art. 24 und 25 des Bundesgesetzes über die Unfallversicherung, 1998, p. 171 ss).

Consid. 2.2.1
Une partie de la doctrine ne reconnaissait pas de différences essentielles avec les dommages-intérêts, mais se basait sur le fait que la jurisprudence tendait vers un traitement analogue du dommage et de la réparation morale (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 316; ALEXIS OVERNEY, L’indemnité pour atteinte à l’intégrité selon la LAA et l’indemnité à titre de réparation morale, in: FZR 1993 p. 239 ss, 254; LANDOLT, op. cit., p. 338 s. § 21.I.B.2 n. 1207 ss; voir aussi PIERRE TERCIER, La fixation de l’indemnité pour tort moral en cas de lésions corporelles et de mort d’homme, in: Mélanges Assista, 1989, p. 143 ss, 164).

Consid. 2.2.2
Une autre partie de la doctrine rejetait en principe l’application du droit préférentiel partiel, car la nature et la méthode de calcul de l’indemnité à titre de réparation morale différaient de la fixation des dommages-intérêts (SCHAER, Grundzüge des Zusammenwirkens von Schadensausgleichsystemen, 1984, p. 118 s. Rz. 325 – 329, p. 421 Rz. 1220; ALFRED KELLER, Haftpflichtrecht im Privatrecht, Bd. II, 2e éd. 1998, p. 223; PETER BECK, Quotenvorrecht und Genugtuung, in: SVZ 63/1995 p. 254 ss, 256 und 258 [ci-après: BECK, Quotenvorrecht]; JOSEF RÜTSCHE, Ausgewählte Probleme bei der Abwicklung eines Schadenfalles – aus der Sicht des UVG-Versicherers, in: Haftpflicht- und Versicherungsrechtstagung 1991, Tagungsbeiträge, Nr. 5, p. 16 s. III.1). Une indemnité à titre de réparation morale réduite correspondrait au préjudice moral moindre subi par la personne lésée, et la faute concomitante de la victime déterminerait l’ampleur du préjudice moral (KELLER, op. cit., p. 223). De plus, le texte de la loi ne parlerait que de dommage pour le droit préférentiel (BECK, Quotenvorrecht, op. cit., p. 256; KELLER, op. cit., p. 223; RÜTSCHE, op. cit., p. 17 III.1).

Consid. 2.2.3
Avant l’entrée en vigueur de la LPGA, le Tribunal fédéral a adopté une position intermédiaire. Il ne reconnaissait pas au lésé un droit préférentiel complet en cas de réduction de son droit à la réparation morale, mais ne laissait passer à l’assureur que la part des prestations fournies réduite à hauteur du taux de réduction selon le droit de la responsabilité civile (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 316; arrêt du Tribunal fédéral 4C.152/1997 du 25 mars 1998 consid. 7b). Le taux de réduction selon le droit de la responsabilité civile devait être déduit de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité non réduite (OFTINGER/STARK, Schweizerisches Haftpflichtrecht, vol. 1, 5e éd. 1995, p. 442 § 8 n. 55 y compris note 101; LANDOLT, op. cit., p. 338 § 21.I.B.2 n. 1205; FRÉSARD-FELLAY, Cr LPGA, op. cit., n. 43 ss ad art. 73 LPGA; chacun avec un exemple de calcul).

Consid. 2.2.4
Cette solution est issue de STARK (OFTINGER/STARK, op. cit., p. 442 § 8 N. 55) (BEATRICE GURZELER, Beitrag zur Bemessung der Genugtuung, 2005, p. 122; ALEXANDRE GUYAZ, Le tort moral en cas d’accident, in: SJ 2013 II p. 260; FREI, op. cit., p. 174). Selon cette interprétation, le droit préférentiel ne peut être appliqué que lorsqu’un montant de dommage est établi, qui peut être comparé au montant des dommages-intérêts. Ce n’est pas le cas pour la réparation morale; on ne peut pas déterminer numériquement le montant de la réparation morale sans motif de réduction et, s’il y en a un, son impact financier. Il n’y a pas de taux de réduction applicable. Au contraire, la réparation morale doit être fixée ex aequo et bono en tenant compte de tous les facteurs pertinents. Pour cette raison, le droit préférentiel ne peut pas être appliqué directement. L’une des variables de calcul, le dommage total, est indéterminée. C’est pourquoi seule une application par analogie des dispositions sur le droit préférentiel en matière de quote-part est envisageable, en réduisant la prestation d’assurance concernée pour le recours selon le taux de réduction prévu par le droit de la responsabilité civile (OFTINGER/STARK, op. cit., p. 442 § 8 N. 55).

Consid. 2.3
Si la solution de compromis a été partiellement approuvée (FRÉSARD-FELLAY, Le recours, op. cit., p. 368 n. 1108 ss.), elle a été critiquée par une partie importante de la doctrine (arrêt cité 4A_631/2017 E. 4.3; FRÉSARD-FELLAY, CR LPGA, N. 46 ad Art. 73 LPGA; ARNAUD NUSSBAUMER, L’arrêt du TF 4A_631/2017 du 24.4.2018: une précision jurisprudentielle discrète mais importante en matière de droit préférentiel du lésé, in: HAVE 2018 p. 401 ss 402; THOMAS KOLLER, Quotenvorrecht und Genugtuungsleistungen, in: AJP 1997 p. 1427 ss.; GURZELER, op. cit., p. 122 s.; FREI, op. cit., p. 174; WERRO, La responsabilité civile, 3e éd. 2017, p. 420 N 1485). La doctrine n’est pas unanime sur la question de savoir si la solution de compromis simplifie (FRÉSARD-FELLAY, Le recours, op. cit., p. 368 n. 1108 ss) ou complique (KOLLER, op. cit., p. 1431 s.) le règlement des cas de responsabilité civile.

La doctrine récente ne voit aucune raison d’écarter ou de limiter l’application du droit préférentiel selon l’art. 73 al. 1 LPGA en matière de réparation morale (BREHM, Berner Kommentar, 5e éd. 2021, N. 83-83c ad Art. 47 OR; LANDOLT, op. cit., p. 338 s. § 21.I.B.2 Rz. 1207 ss.; KLETT/MÜLLER, op. cit., N. 34 ad Art. 73 ATSG; WERRO/ PERRITAZ, in: Commentaire romand, Code des obligations I, 3e éd. 2021, N. 26 ad Art. 47 CO; MARC M. HÜRZELER, Extrasystemische Koordination: Regress der Sozialversicherer auf Haftpflichtige, in: Recht der Sozialen Sicherheit, Steiger-Sackmann/Mosimann [Hrsg.], 2014, p. 1336 Rz. 36.23; PETER BECK, Zusammenwirken von Schadenausgleichsystemen, in: Haftung und Versicherung, Weber/Münch [Hrsg.], 2. Aufl. 2015, p. 301 Rz. 6.148 [ci-après: BECK, Zusammenwirken]; cf. GURZELER, op. cit., p. 122 s.; FREI, op. cit., p. 174 s.). Même les adversaires initiaux du droit préférentiel partiel se prononcent désormais, par rapport à la solution de compromis, pour l’application du droit préférentiel complet (KELLER, op. cit., p. 225 ; BECK, Zusammenwirken, op. cit., p. 301, no 6.148).

Consid. 2.4
Le Tribunal fédéral a également reconnu qu’en cas de réduction en raison d’un état pathologique préexistant, il n’y avait pas de raison de priver le lésé du droit préférentiel prévu à l’art. 73 al. 1 LPGA (arrêt 4A_631/2017 consid. 4.5 cité). Il a laissé ouverte la question de savoir si la solution intermédiaire à la base de l’ATF 123 III 306 consid. 9b et de l’arrêt 4C.152/1997 consid. 7b avait encore sa raison d’être sous le régime de la LPGA, du moins en cas de réduction de la réparation morale pour faute concomitante (arrêt 4A_631/2017 consid. 4.5 cité).

Consid. 2.5
En l’espèce, l’instance précédente n’a pas réduit la réparation morale en raison d’un état maladif préexistant, mais en raison d’une faute concomitante. Se pose ainsi la question, laissée ouverte dans l’arrêt cité 4A_631/2017 consid. 4.5, de savoir si l’ATF 123 III 306 est encore pertinent. L’instance précédente ne justifie pas pourquoi elle n’applique pas le droit préférentiel partiel. On n’arrive à sa solution que si l’on n’accorde à la personne lésée aucun droit préférentiel en matière de réparation morale, contrairement à la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 123 III 306 consid. 9b; arrêts cités 4C.152/1997 consid. 7b; 4A_631/2017 consid. 4.5).

Consid. 2.6
Bien que le texte de loi ne mentionne toujours que le dommage pour le droit préférentiel, cela s’applique indépendamment du motif de réduction (faute concomitante ou état maladif préexistant) et ne s’oppose pas à l’application du droit préférentiel partiel selon l’arrêt cité 4A_631/2017. Le législateur a réglé le principe et l’étendue de la subrogation à l’assureur dans les art. 72 ss LPGA. Selon l’art. 74 al. 2 let. e LPGA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité et l’indemnité à titre de réparation morale constituent notamment des prestations de même nature. Le législateur est donc conscient que les prétentions en réparation morale sont également concernées par la subrogation. Le fait qu’il n’ait pas prévu de réglementation particulière à cet égard dans l’art. 73 LPGA plaide en faveur du fait que les indemnités à titre de réparation morale doivent en principe être également régies par le droit préférentiel, d’autant plus que le Tribunal fédéral a déjà reconnu le droit préférentiel dans sa jurisprudence publiée (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 316), bien que sous une forme atténuée, avant l’entrée en vigueur de la LPGA, et que le législateur ne voulait rien changer à la conception antérieure du droit préférentiel (KIESER, op. cit., n. 13 ad art. 73 LPGA et les références).

Consid. 2.7
Au vu de ce qui précède, il convient de se demander si le législateur aurait voulu s’en tenir à la solution de compromis de l’ATF 123 III 306 consid. 9b. Cependant, l’arrêt cité 4A_631/2017 consid. 4.5 ne partait déjà pas de cette hypothèse, sinon le Tribunal fédéral n’aurait pas pu y appliquer le droit préférentiel complet. En effet, l’ATF 123 III 306 ne concernait nullement un traitement particulier de la faute concomitante, mais abordait des problèmes généraux liés à la fixation de la réparation morale, qui se posent de la même manière pour tous les motifs de réduction :

Consid. 2.7.1
L’ATF 123 III 306 oppose la doctrine qui s’exprimait contre l’application du droit préférentiel – parce que la nature et la méthode de calcul de la réparation morale diffèrent de la fixation des dommages-intérêts – à celle qui ne reconnaît pas de différences essentielles avec les dommages-intérêts – se basant sur le fait que la jurisprudence actuelle tend vers un traitement analogue du dommage et de la réparation morale, et qu’il est approprié que le lésé soit d’abord entièrement indemnisé avant que des tiers qui ont encaissé des cotisations ou des primes n’entrent en jeu (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 316 ; OVERNEY, op. cit, p. 254). Le Tribunal fédéral a suivi la position intermédiaire qui, tout en reconnaissant les différences entre la réparation morale et les dommages-intérêts, préconise néanmoins une application analogique du droit préférentiel dans une mesure réduite (OFTINGER/STARK, op. cit., p. 442 § 8 N. 55). Si l’ATF 123 III 306 était appliqué qu’aux seuls cas de faute concomitante, il ne conserverait en aucun cas sa signification initiale, mais celle-ci devrait être redéfinie (NUSSBAUMER, op. cit., p. 403).

Consid. 2.7.2
Il n’est pas évident de voir en quoi les différences entre l’indemnité à titre de réparation morale et les dommages-intérêts, invoquées par les opposants au droit préférentiel, justifieraient un traitement différent selon le motif de réduction (faute concomitante ou état maladif préexistant). Dans ce dernier cas, ces différences ne s’opposaient toutefois pas à l’application du droit préférentiel complet dans ce dernier cas (arrêt cité 4A_631/2017 consid. 4.5). Cela peut aussi s’expliquer par le fait que la fixation du montant de la réparation morale est certes une décision selon l’équité et que son calcul ne doit donc pas se faire selon des critères schématiques. Le montant de l’indemnité à titre de réparation morale ne doit pas être évalué selon des tarifs fixes, mais doit être adapté au cas d’espèce. Cela n’exclut toutefois pas de procéder à l’évaluation du préjudice immatériel en deux phases : une phase de calcul objective avec un montant de base comme point de repère et une phase ultérieure prenant en compte les particularités du cas d’espèce (base de responsabilité, faute [concomitante], situation individuelle du lésé) (ATF 132 II 117 consid. 2.2.3 et les références). C’est ainsi qu’a procédé le tribunal dans l’arrêt 4A_631/2017 cité, de sorte que l’influence en pourcentage de l’état maladif préexistant sur le montant de la réparation morale était évidente (arrêt cité 4A_631/2017 consid. 3.3). L’instance précédente a également procédé de la sorte dans le jugement attaqué et a expressément indiqué que la part de faute concomitante était (au moins) d’un quart. Sur ce point, le cas à juger ne se distingue pas de l’arrêt 4A_631/2017 cité, lequel n’est pas compatible avec l’ATF 123 III 306. Il a d’ailleurs été compris dans la doctrine comme le signe d’un abandon imminent et bienvenu de l’ATF 123 III 306 (BREHM, op. cit., N. 83c ad Art. 47 OR; NUSSBAUMER, op. cit., p. 403; WEBER, Der Personenschaden im Wandel, in: Personen-Schaden-Forum 2021, p. 46).

Consid. 2.7.3
Si l’ATF 123 III 306 était limité aux cas de faute concomitante, il n’y aurait certes plus de contradiction avec l’arrêt 4A_631/2017 cité, mais la solution de compromis à la base de l’ATF 123 III 306 prendrait une importance que ni son auteur ni le Tribunal fédéral ne lui ont jamais attribuée. Même si des raisons pourraient éventuellement être trouvées pour un traitement différencié des motifs de réduction (et donc aussi pour la poursuite de la jurisprudence établie dans l’ATF 123 III 306 dans le sens d’un droit préférentiel partiel pour les cas de faute concomitante) (cf. KOLLER, op. cit., p. 1430; arrêt cité 4A_631/2017 consid. 4.5), il convient de noter qu’il en va de même, par analogie, pour le dommage (FRÉSARD-FELLAY, Le recours, op. cit., p. 380 n. 1148), pour lequel le législateur n’a pas prévu de traitement particulier de la faute concomitante dans le cadre du droit préférentiel (hormis l’art. 73 al. 2 LPGA). De ce point de vue, un traitement particulier de l’indemnité à titre de réparation morale en cas de réduction due à une faute concomitante ne semble pas indiqué.

Consid. 2.7.4
Si la faute concomitante de la victime devait effectivement influencer l’ampleur du préjudice moral (cf. KELLER, op. cit., p. 223), il faudrait alors distinguer si une réduction est effectuée en considérant que le tort à supporter apparaît plus petit en raison du motif de réduction que sans celui-ci (cette réduction resterait non affectée par le droit préférentiel), ou si la prétention en réparation morale de la personne lésée est réduite parce qu’il ne semble pas approprié, au vu du motif de réduction, de faire supporter à la personne responsable l’indemnité pleine correspondant au tort subi (ici le droit préférentiel s’applique).

Consid. 2.8
Ainsi, il existe des raisons pertinentes qui s’opposent au maintien de la solution selon l’ATF 123 III 306. Le recourant bénéficie en principe du droit préférentiel.

Consid. 3
Il ne ressort pas de l’arrêt attaqué que le préjudice moral ou les souffrances subies à la suite de l’écrasement de la main pendant le travail auraient été diminués par le fait qu’ils n’ont pas été causés uniquement par l’absence de dispositif de protection, mais aussi par une faute concomitante – les douleurs et les restrictions subies par le recourant n’en sont pas affectées. La décision attaquée ne peut pas être comprise ainsi. Sous cet angle également, le recourant peut se prévaloir du droit préférentiel. L’intimé conteste toutefois le calcul de la réparation morale effectué par l’instance précédente. En effet, le recourant ne peut déduire une quelconque prétention fondée sur le droit préférentiel que dans la mesure où l’indemnité à titre de réparation morale non réduite en raison d’une faute concomitante dépasse l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

Consid. 3.1
La défenderesse conteste le fait que l’instance inférieure ait augmenté l’indemnité de base de trois fois 10%.

Consid. 3.1.1 [résumé]
L’instance précédente a conclu que la défenderesse n’avait pas contesté certains changements de personnalité et le trouble de stress post-traumatique. Cependant, la défenderesse affirme que cette interprétation est erronée. Elle soutient n’avoir jamais reconnu ces éléments dans sa réponse, mais avoir simplement cité des expertises psychiatriques et des décisions de l’assurance-accidents et de l’AI. La défenderesse insiste sur le fait qu’elle n’a pas admis ces circonstances, mais les a au contraire contestées dans sa réponse

Consid. 3.1.2
Il est en outre contesté qu’un autre supplément doive être vu dans la perte de la carrière professionnelle ou dans la réinsertion infructueuse du recourant et dans l’atteinte à l’avenir économique. Les explications correspondantes dans les mémoires sont maintenues.

Consid. 3.2
Le recourant fait valoir que le recours joint est étranger à la procédure devant le Tribunal fédéral. L’objet du litige dans cette procédure est uniquement l’application du droit préférentiel. Les arguments avancés par la défenderesse doivent être écartés.

Consid. 3.3
L’objection du recourant n’est pas pertinente : la défenderesse aurait dû déposer son propre recours si elle avait voulu modifier en sa faveur le résultat de la décision attaquée (c’est-à-dire dans le dispositif). En ce sens, il n’existe effectivement pas de possibilité de former un recours joint (ATF 134 III 332 consid. 2.5). En revanche, selon une jurisprudence constante, il est admissible de contester dans la réponse au recours les considérants de l’instance précédente qui peuvent avoir des effets défavorables pour la partie ayant obtenu gain de cause dans la procédure cantonale. Cela correspondait à une pratique constante sous l’empire de l’OJ (déjà ATF 61 II 125 consid. 1; 118 II 36 consid. 3) et continue à s’appliquer sans changement sous le régime du recours en matière civile (arrêt du Tribunal fédéral 4A_605/2019 du 27 mai 2020 consid. 2.2 et la référence). Toutefois, les mêmes exigences de motivation que pour un recours s’appliquent. La réponse au recours n’y satisfait pas, dans la mesure où elle conteste la décision attaquée :

Consid. 3.3.1
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les simples renvois au dossier ne sont pas pertinents ; il faut exposer dans l’acte de recours lui-même en quoi le jugement attaqué viole le droit (ATF 143 II 283 consid. 1.2.3; 140 III 115 consid. 2; 133 II 396 consid. 3.2 avec références). De plus, le simple fait de s’en tenir aux arguments développés dans les écritures cantonales ne satisfait pas à l’exigence d’une discussion suffisante de la décision attaquée. Il n’y a pas lieu d’entrer en matière sur le grief relatif à l’avenir économique.

Consid. 3.3.2
Mais même en faisant abstraction de cela, la défenderesse ne démontre pas suffisamment ce qu’elle prétend avoir exposé précisément dans les passages cités par l’instance précédente (cf. sur les exigences y relatives : arrêts du Tribunal fédéral 4A_125/2024 du 5 août 2024 consid. 4.3; 4A_438/2023 du 9 janvier 2024 consid. 1.3.2; chacun avec références) et en quoi il serait manifestement insoutenable de conclure qu’elle n’a pas contesté les allégations de la partie adverse. Le fait qu’il n’y ait pas eu de reconnaissance expresse ne signifie pas que l’intimée ait contesté de manière juridiquement suffisante les allégations de la partie adverse, d’autant plus qu’aux endroits indiqués, elle ne fait «aucune remarque» sur certaines allégations du recours et renvoie elle-même à des pièces jointes à la demande. Une citation d’une expertise ainsi que des décisions de l’assurance-accidents ou de l’AI peut également indiquer que les allégations du demandeur ne sont pas contestées. La défenderesse devrait démontrer où et dans quelle mesure elle prétend avoir clairement contesté les circonstances invoquées par l’instance précédente. Une simple affirmation ne suffit pas à satisfaire aux exigences de motivation.

Consid. 3.4
Les griefs soulevés par la défenderesse s’avèrent insuffisamment motivés, de sorte que la décision attaquée demeure inchangée à cet égard. Elle ne soulève pas, dans sa réponse au recours, d’objections motivées de manière juridiquement suffisante contre le montant réclamé par le recourant. En l’absence d’arguments suffisamment étayés concernant l’ampleur de la réduction due à la faute concomitante, qui est fixée dans la décision attaquée à au moins 25%, la réduction effectuée par l’instance précédente est également maintenue sur ce point.

Consid. 4
Ainsi, le recours s’avère fondé, l’arrêt attaqué doit être annulé et la défenderesse doit être condamnée à payer au recourant CHF 9’500 avec intérêts à 5% depuis le 8 octobre 2010.

Conformément à l’issue de la procédure, la défenderesse est tenue de payer les frais et dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral, l’art. 65 al. 4 let. c LTF s’appliquant aux frais de justice. La cause est renvoyée à l’instance précédente pour qu’elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure cantonale.

 

Le TF admet le recours du lésé.

 

 

Remarques personnelles

Dans l’affaire jugé par le Tribunal fédéral, le montant dû par le responsable a été fixé à CHF 9’500, soit la différence entre l’indemnité pour tort moral fixé par l’instance cantonale à CHF 41’000 et l’indemnité pour atteinte à l’intégrité de CHF 31’500.

Cet arrêt du Tribunal fédéral marque un progrès significatif dans la protection des victimes. En clarifiant l’application du droit préférentiel en matière de tort moral, notre Haute Cour met fin à une pratique controversée issue de l’ATF 123 III 306, renforçant ainsi considérablement la position des victimes. Désormais, celles-ci peuvent bénéficier pleinement du droit préférentiel, y compris pour les indemnités pour tort moral, ce qui représente une avancée majeure dans la reconnaissance de leurs droits.

Cette décision uniformise le traitement du droit préférentiel, qu’il s’agisse de dommages matériels ou de tort moral, simplifiant ainsi la pratique juridique et assurant une plus grande cohérence dans l’application de la loi. Cette approche s’aligne parfaitement avec l’esprit de la LPGA et l’intention du législateur de protéger les intérêts des victimes d’accidents. En reconnaissant que la fixation de l’indemnité pour tort moral ne se distingue pas fondamentalement de l’indemnité pour dommage matériel, le Tribunal fédéral justifie un traitement similaire, ce qui contribue à une meilleure équité dans l’indemnisation des victimes.

En conclusion, cette décision représente une évolution positive du droit en faveur d’une meilleure protection des victimes. Elle reflète une compréhension plus nuancée et équitable des préjudices subis, notamment en ce qui concerne le tort moral, et devrait contribuer à l’avenir à une indemnisation plus juste et complète des victimes.

 

Arrêt 4A_312/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 4A_312/2024 (d) du 05.12.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/01/4a_312-2024)

 

 

8C_271/2024 (f) du 11.10.2024 – Capacité de travail exigible de 100% mais exercice de l’ancienne activité (non adaptée) à 60% – Détermination du revenu d’invalide

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_271/2024 (f) du 11.10.2024

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide pour un assuré ayant subi une amputation transtibiale / 16 LPGA

Obligation de réduire le dommage / 21 al. 4 LPGA

Capacité de travail exigible de 100% mais exercice de l’ancienne activité (non adaptée) à 60% – Détermination du revenu d’invalide

 

Assuré, né en 1962, disposant d’un CFC de ramoneur, travaillait depuis 1989 comme agent d’exploitation spécialisé auprès de l’entreprise B.__ SA. Le 03.07.2019, il a subi une chute en montagne pendant son travail, entraînant une fracture ouverte du pilon tibial de la jambe droite. Malgré plusieurs interventions chirurgicales, son état s’est détérioré, menant à une amputation transtibiale droite le 30.04.2020 en raison d’un retard de consolidation, avec pseudarthrose septique et insuffisance vasculaire.

L’assuré a été hospitalisé pour réadaptation à deux reprises, d’abord du 04.03.2020 au 30.04.2020, puis du 05.05.2020 au 07.08.2020. Une évaluation médicale effectuée le 01.10.2020 a objectivé une bonne évolution à presque cinq mois de l’amputation. Il a été relevé les limitations fonctionnelles suivantes : pas de position prolongée debout, pas de marche en terrain irrégulier ou en pente, pas de montée ou descente d’escaliers de manière fréquente, pas de port de charges de plus de 10 kg de manière fréquente et montée ou descente d’échelle très occasionnellement seulement. La marche sur les échafaudages devait être évitée et l’assuré devait pouvoir utiliser des bâtons de marche pour la marche prolongée.

Le 17.02.2021, l’employeur a proposé un poste à 65%, mais l’assurance-accidents a exprimé des doutes quant à la prise en charge des 35% restants. Le médecin-conseil a confirmé, le 01.03.2021, qu’une activité adaptée à plein temps était exigible, sous réserve de pauses régulières (minimum quatre par jour) afin de soigner le moignon.

L’assuré a commencé un travail à temps partiel le 24.05.2021 pour trois semaines, prolongé ensuite pour évaluation. À la suite de cette période, son rendement a été fixé à 40% puis à 50%.

L’état de santé de l’assuré étant stabilisé, l’assurance-accidents a mis fin au paiement des soins médicaux et des indemnités journalières avec effet au 30.09.2021 (sous réserve de contrôles médicaux et des traitements symptomatiques). Par décision du 17.09.2021, confirmée sur opposition, elle a reconnu à l’assuré le droit à une rente d’invalidité d’un taux de 25% dès le 01.10.2021. Elle a notamment déterminé le revenu d’invalide sur la base des données statistiques issues de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS). En outre, elle lui a accordé une IPAI de 35%.

L’assuré a été engagé à un taux d’activité de 60% auprès de l’entreprise B.__ SA dès le 01.10.2021.

L’office AI a accordé à l’assuré une rente entière d’invalidité du 01.07.2020 au 31.12.2020, au motif que, dès le 16.09.2020, toute activité légère et adaptée à son état de santé était exigible de sa part, à 100%, avec un rendement normal; dès lors, elle a fixé le taux d’invalidité à 32%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 04.04.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. Lorsque l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide (ATF 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 419 consid. 5.2; 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 6.2
L’assuré soutient que, durant toute la procédure administrative, l’assurance-accidents n’aurait proposé aucune autre démarche de réinsertion que celle chez son ancien employeur. Il serait donc contraire à la bonne foi de lui reprocher indirectement cette réinsertion, en lui imposant un autre emploi. À ce propos, il sied de rappeler que la réadaptation professionnelle incombe en principe aux organes de l’assurance-invalidité (cf. art. 19 al. 1 LAA et art. 15 ss LAI). En l’espèce, l’office AI a constaté qu’un droit théorique à un reclassement (art. 17 LAI) existait, dès lors que l’activité exercée auparavant n’était plus réalisable à 100%; toutefois, les conditions subjectives du droit à cette mesure n’étaient pas réalisées, parce que l’assuré souhaitait conserver son activité habituelle adaptée à 60%. Le grief soulevé par l’assuré est ainsi infondé. La cour cantonale a en outre exposé à juste titre que le principe général de l’obligation de diminuer le dommage valable en droit des assurances sociales, ancré notamment à l’art. 21 al. 4 LPGA, exige de l’assuré de mettre en œuvre tout ce qu’on peut raisonnablement attendre de lui pour atténuer les conséquences de son accident (ATF 134 V 109 consid. 10.2.7; 129 V 460 consid. 4.2).

Consid. 6.3.1
Il ressort des constatations de l’arrêt attaqué et des protocoles d’entretien que l’assuré ne peut pas reprendre l’activité qu’il avait exercé auprès de B.__ SA avant l’accident à cause des limitations fonctionnelles qu’il présente. L’employeur a fait un effort pour lui attribuer des travaux qui sont adaptées à ces limitations et qu’il est encore en mesure d’accomplir. Cependant, l’employeur a souligné qu’il n’a pas la possibilité de regrouper certaines activités pour en faire une occupation à 100% en raison de l’organisation du travail et qu’il ne pourra pas toujours assurer une occupation durable de 65 à 70%. Finalement, il a engagé l’assuré dès le 01.10.2021 à un taux de 60%. Ce taux d’occupation est ainsi dû principalement à l’impossibilité pour l’employeur d’offrir à l’assuré un taux d’activité supérieur.

Consid. 6.3.2
Si une augmentation du taux d’occupation n’est pas possible selon les indications de l’employeur, le revenu correspondant à la capacité de travail résiduelle (dépassant le taux d’activité effectivement mis en œuvre), peut être déterminé, selon la jurisprudence, en fonction des donnés statistiques, pour autant qu’une telle possibilité de gain puisse être réalistement envisagée au regard du marché du travail équilibré (arrêts 9C_140/2017 du 18 août 2017 consid. 5.4; 8C_7/2014 du 10 juillet 2014 consid. 7 et 8, in SVR 2014 IV n° 37 p. 130; MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 30 ad art. 16 LPGA).

Consid. 6.3.3
En l’espèce l’employeur n’a pas pu proposer un taux d’occupation supérieur à 60%. Le maintien de cet emploi est par ailleurs justifié au vu des circonstances. En ce qui concerne le salaire exact dès le 01.10.2021, il ne figure pas au dossier, mais l’assuré admet que sa perte de gain, s’il travaille à 60% exclusivement pour B.__ SA, est de 40%. On peut ainsi partir du principe que son revenu effectif se situe à 60% du salaire de 87’075 fr. qu’il gagnait avant l’accident, soit autour de 52’245 fr. Compte tenu de l’éventail d’emplois diversifiés disponibles sur le marche équilibré du travail, la nature et l’importance des troubles présentés par l’assuré ne constituent pas des obstacles irrémédiables à la reprise d’une activité professionnelle à 40%.

Consid. 6.3.4
Par conséquent, il sied de déterminer le revenu d’invalidité sur la base du salaire que réalise l’assuré pour son activité de 60% auprès de B.__ SA et d’y ajouter un salaire hypothétique, qui est pris en compte à raison de 40%. Ce dernier se détermine sur la base de l’ESS 2018 (tableau TA1_tirage_skill_level, total homme, niveau de compétence 1, en tenant compte de l’horaire normal de travail de la branche économique et de l’évolution des salaires nominaux, soit 68’761 fr. 80, selon le calcul de l’assurance-accidents qui n’est pas remis en question par l’assuré). Pour une activité à 40%, il correspond à un montant de 27’504 fr. 70. Même en prenant en considération, par hypothèse, un abattement maximal de 25%, le revenu à prendre en considération (20’628 fr. 50), additionné à celui réalisé auprès de B.__ SA (52’245 fr.), exclurait un taux d’invalidité supérieur à celui constaté par l’assurance-accidents. Il n’en va pas différemment en prenant en considération une diminution de rendement de 10% pour tenir compte de la nécessité de faire des pauses. Il s’ensuit que le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_271/2024 consultable ici

 

8C_639/2023 (f) du 25.09.2024 – Troubles psychiques – Causalité adéquate – 6 LAA / Collisions moto-auto – Scootériste percutée par un véhicule qui ne lui a pas accordé la priorité (« stop »)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_639/2023 (f) du 25.09.2024

 

Consultable ici

 

Troubles psychiques – Causalité adéquate / 6 LAA

Collisions moto-auto – Scootériste percutée par un véhicule qui ne lui a pas accordé la priorité (« stop ») – Rappel de la casuistique pour la catégorisation de l’accident – Moyen stricto sensu in casu

Critère des difficultés apparues au cours de la guérison et complications importantes admis – Processus de guérison compliqué par le développement d’un SDRC et de deux thromboses veineuses profondes

Critère des douleurs physiques persistantes admis en raison notamment du SDRC

Critère de la durée anormalement longue du traitement médical admis

 

Assurée, née en 1970, a été victime d’un accident de la circulation routière le 22.01.2018 alors qu’elle circulait à scooter. Elle a subi une fracture du plateau tibial gauche justifiant des interventions chirurgicales le 30.01.2018 et le 21.06.2018, puis une ablation du matériel d’ostéosynthèse (AMO) le 09.04.2019. L’assurée a présenté des douleurs persistantes au genou et à la cheville gauches, avec des sensations de blocage, nécessitant l’utilisation de béquilles.

L’assurée a repris son activité professionnelle en août 2019, de façon progressive jusqu’à un taux de 70%. Dès le 19.06.2020, elle a présenté une incapacité de travail de 50% pour des motifs psychiques.

Le 16.02.2021, le médecin-conseil a retenu les diagnostics de fracture du plateau tibial gauche, de syndrome douloureux régional complexe (SDRC), de douleurs neuropathiques du membre inférieur gauche et de raideur de la cheville gauche. La capacité de travail était diminuée de 20% jusqu’à l’échéance des deux ans post-opératoires puis, dans le futur, de 10% pour une activité sédentaire stricte. L’état était stabilisé à deux ans de la dernière intervention du 09.04.2019. Ce médecin a fixé le taux de l’IPAI à 25%. Le 30.04.2021, il a réévalué la baisse de rendement à 5%.

Par décision, confirmée sur opposition le 16.09.2021, l’assurance-accidents a refusé à l’assurée le droit à une rente d’invalidité et fixé une IPAI de 25%. Du point de vue somatique, la capacité de travail dans une activité adaptée était de 100% avec une diminution de rendement de 5%. La relation de causalité adéquate entre les troubles psychiques et l’accident était exclue.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/662/2023 – consultable ici)

Par jugement du 04.09.2023, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, condamnant notamment l’assurance-accidents à verser à l’assurée une rente fondée sur un taux d’invalidité de 50% dès le 01.09.2021, ainsi qu’une IPAI de 40%, sous déduction des prestations déjà versées.

 

TF

Consid. 4.2.1
Les juges cantonaux ont considéré, sur la base de la jurisprudence fédérale, que les collisions entre motocycles et voitures de tourisme devaient généralement être qualifiées d’accidents de gravité moyenne au sens strict, en l’absence de circonstances aggravantes supplémentaires. En l’occurrence, ils ont noté qu’un taxi avait coupé la route à l’assurée alors que celle-ci circulait en scooter; ensuite de la chute, elle s’était retrouvée coincée en partie sous le taxi, avec le scooter sur sa jambe. Au vu de la jurisprudence, ils ont qualifié cet événement d’accident de gravité moyenne au sens strict.

Consid. 4.2.2
La casuistique des accidents impliquant des motocyclistes percutés par un véhicule automobile classe le choc d’un motocycliste roulant à une vitesse comprise entre 50 km/h et 70 km/h avec un automobiliste en train de bifurquer dans la catégorie des accidents de gravité moyenne stricto sensu (arrêt 8C_99/2019 du 8 octobre 2019 consid. 4.4.1 et les arrêts cités). Les cas d’un motocycliste projeté à une dizaine de mètres du point d’impact et d’une collision frontale entre un scooter et une camionnette ont pour leur part été considérés comme des accidents de gravité moyenne à la limite des cas graves (arrêts 8C_134/2015 du 14 septembre 2015 consid. 5.3; 8C_917/2010 du 28 septembre 2011 consid. 5.3).

Au vu de la jurisprudence, les circonstances invoquées par l’assurance-accidents, à savoir le fait que l’assurée n’ait pas été projetée et qu’il n’y ait pas eu d’impact direct avec le véhicule, auraient été susceptibles d’aggraver la qualification de l’accident si elles avaient été réalisées. Leur absence ne saurait cependant remettre en cause la classification opérée par les juges cantonaux. En particulier, dans le premier arrêt que l’assurance-accidents invoque à l’appui de son argumentation (arrêt 8C_235/2020 du 15 février 2021), un automobiliste avait heurté avec l’avant droit de sa voiture l’avant du scooter de l’assuré et l’avait ainsi projeté par-dessus la voiture; la classification de l’accident (gravité moyenne au sens strict) n’avait toutefois pas été remise en question devant le Tribunal fédéral et donc pas été examinée par celui-ci (consid. 4.2), qui avait cependant jugé que la projection en l’air conférait un caractère impressionnant à l’accident (consid. 4.3.1). Dans le second cas invoqué par l’assurance-accidents, qualifié d’accident de peu de gravité à la limite supérieure (arrêt 8C_105/2012 du 23 juillet 2012 consid. 5.4), l’assuré, surpris par une manœuvre de freinage de son fils qui roulait devant lui, avait dû freiner brusquement et avait chuté de son scooter sur l’épaule droite. Cette constellation n’est cependant pas comparable avec le cas sous revue, où l’assurée s’est fait couper la route et a été percutée par un véhicule qui ne lui a pas accordé la priorité en quittant une route marquée d’un signal « stop ».

Consid. 4.2.3
Au vu de ce qui précède, c’est à bon droit que la cour cantonale a considéré que l’accident entrait dans la catégorie des accidents de gravité moyenne au sens strict. Pour cette catégorie d’accident, trois critères jurisprudentiels doivent être remplis ou l’un des critères doit s’être manifesté de manière particulièrement marquante pour que le lien de causalité adéquate entre les troubles psychiques et l’accident puisse être admis (cf. arrêt 8C_418/2022 du 1 er mars 2023 consid. 4.1 et l’arrêt cité).

Consid. 4.4.1
Concernant l’existence de difficultés apparues au cours de la guérison et les complications importantes, ces deux aspects ne doivent pas être remplis de manière cumulative. Il doit toutefois exister des motifs particuliers ayant entravé ou ralenti la guérison (arrêts 8C_236/2023 du 22 février 2014 consid. 3.4.5; 8C_400/2022 du 21 décembre 2022 consid. 4.3.4 et les arrêts cités).

De tels motifs existent en l’espèce puisque le processus de guérison de l’assurée a été compliqué par le développement d’un SDRC avec allodynie et des douleurs aux épaules, ce qui a prolongé le traitement médical et nécessité des infiltrations. L’assurée a en outre subi deux opérations imposées par des complications, soit une AMO partielle (le matériel gênant le glissement des tissus mous périarticulaires), doublée d’une intervention pour redonner de la mobilité au genou gauche, et une AMO complète (en raison de l’équin de la cheville gauche et pour obtenir une cheville plus mobile). L’assurée a également subi des complications en raison de deux thromboses veineuses profondes, d’une plaie chirurgicale qui a mis du temps à se fermer, d’une raideur du genou, d’arthrose et de douleurs aux épaules nécessitant des soins continus. Le fait que l’assurance-accidents juge ces difficultés comme surmontables dès lors que l’assurée avait pu reprendre le travail à temps partiel plus d’un an et demi après l’accident n’affecte pas leur réalité. Le critère en cause est ainsi réalisé.

Consid. 4.4.2
S’agissant du critère des douleurs physiques persistantes, il faut que des douleurs importantes aient existé sans interruption notable durant tout le temps écoulé entre l’accident et la clôture du cas (cf. art. 19 al. 1 LAA). L’intensité des douleurs est examinée au regard de leur crédibilité ainsi que de l’empêchement qu’elles entraînent dans la vie quotidienne (ATF 134 V 109 consid. 10.2.4; arrêt 8C_565/2022 du 23 mai 2023 consid. 4.2.7 et l’arrêt cité).

En l’occurrence, il n’est pas contesté que l’assurée souffre d’un SDRC en lien de causalité naturelle avec l’accident. Or l’un des critères (dits de Budapest) pour admettre l’existence d’un SDRC est la présence d’une douleur persistante disproportionnée par rapport à l’événement initial (cf. arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.1). L’expertise atteste par ailleurs des douleurs physiques persistantes dues à l’allodynie et à l’arthrose du genou gauche. Les différents médecins, y compris le médecin-conseil, rapportent d’intenses douleurs et le taux de travail de l’assurée a précisément dû être revu à la baisse en raison notamment de ses douleurs, ce qui illustre leur impact sur sa vie quotidienne. Les critiques de l’assurance-accidents à cet égard sont manifestement mal fondées et doivent être écartées.

Consid. 4.4.3
Comme retenu à juste titre par l’instance cantonale, le critère de la durée anormalement longue du traitement médical (cf. à ce titre ATF 148 V 138 consid. 5.3.1) doit également être admis, au vu de la nature et de l’intensité des nombreux traitements et interventions subis par l’assurée (cf. consid. 4.4.1 supra). L’assurance-accidents ne le conteste d’ailleurs pas.

Consid. 4.5
Les trois critères jurisprudentiels retenus par les juges cantonaux sont ainsi réalisés, de sorte que le lien de causalité adéquate entre les troubles psychiques de l’assurée et l’accident doit être confirmé. Le grief de l’assurance-accidents doit être rejeté sans qu’il soit nécessaire d’examiner ses critiques dirigées contre les critères que la juridiction cantonale a laissé ouverts.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_639/2023 consultable ici

 

8C_415/2023 (d) du 03.10.2024, destiné à la publication – Indemnité pour atteinte à l’intégrité – Amputation des deux jambes / Addition des deux taux de 50% – IPAI 100%

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_415/2023 (d) du 03.10.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité – Amputation des deux jambes / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Addition des deux taux de 50% – IPAI 100%

 

Assuré, né en 1999, travaillait dans un restaurant de sandwichs entre la fin de ses études gymnasiales et de son service militaire et le début prévu de ses études de physique. Le 08.02.2020, il a chuté du quai sous un train. En raison de l’amputation des deux membres inférieurs, l’assurance-accidents lui a accordé, par décision du 16.05.2022 confirmée sur opposition le 18.10.2022, une IPAI de 80% (CHF 118’560).

 

Procédure cantonale

Par jugement du 14.04.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, portant l’IPAI à 100% (CHF 148’200).

 

TF

Consid. 3
Le tribunal cantonal a correctement exposé les dispositions et principes concernant le droit à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité selon l’art. 24 al. 1 et 25 al. 1 LAA ainsi que l’annexe 3 de l’OLAA (en lien avec l’art. 25 al. 2 LAA). Il faut pour cela une atteinte importante et durable à l’intégrité physique ou mentale au sens d’un déficit anatomique, fonctionnel, mental ou psychique (ATF 115 V 147 consid. 1; 113 V 218 consid. 4b) avec une altération des fonctions vitales et de la qualité de vie (ATF 117 V 71 consid. 3a/bb/aaa). La gravité de l’atteinte à l’intégrité est évaluée en fonction des constatations médicales. À constat médical égal, l’atteinte à l’intégrité est la même pour tous les assurés ; elle est évaluée de manière abstraite et égalitaire dans l’assurance-accidents, sans tenir compte des circonstances particulières du cas d’espèce. Il ne s’agit pas non plus d’estimer le préjudice subi, mais de déterminer de manière médico-théorique l’atteinte à l’intégrité physique ou mentale, en faisant abstraction des facteurs subjectifs (ATF 133 V 224 consid. 5.1; 115 V 147 consid. 1 et les références; arrêt 8C_812/2010 du 2 mai 2011 consid. 6.2). Il est sans importance que l’atteinte puisse être plus ou moins complètement compensée grâce à un moyen auxiliaire, avec pour conséquence qu’elle n’a plus d’effet négatif dans la vie quotidienne ou seulement dans une moindre mesure. L’évaluation de l’atteinte à l’intégrité en cas de perte de fonction ou d’incapacité d’utilisation d’un organe doit donc se faire selon l’état non corrigé, même en cas d’utilisation de prothèses (ATF 115 V 147 consid. 3a; RAMA 2001 n° U 445 p. 555, U 40/01 consid. 4; RAMA 2003 n° U 496 p. 403, U 313/02 consid. 3 et 4; arrêt 8C_746/2022 du 18 octobre 2023 consid. 4.3).

Le jugement attaqué expose également de manière correcte les principes relatifs à la fixation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en cas de concours de plusieurs atteintes physiques, mentales ou psychiques résultant d’un ou plusieurs accidents (art. 36 al. 3 OLAA). Il convient de souligner que l’atteinte à l’intégrité doit être déterminée individuellement pour chaque perte. Si un ou plusieurs événements assurés entraînent différentes atteintes à l’intégrité, les pourcentages correspondant aux différentes atteintes doivent être additionnés, pour autant que les atteintes soient médicalement clairement établies et que leurs effets puissent être clairement distingués les uns des autres (ATF 116 V 156 consid. 3, en particulier 3b; SVR 2008 UV n° 10 p. 32, U 109/06 consid. 6; RAMA 1988 n° U 48 p. 230 consid. 2b; arrêts 8C_38/2024 du 28 juin 2024 consid. 2.3.2; 8C_300/2020 du 2 décembre 2020 consid. 4.3; 8C_19/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.4; 8C_826/2012 du 28 mai 2013 consid. 3.2; U 363/02 du 5 avril 2004 consid. 5). Si cette condition n’est pas remplie, il convient, conformément à la pratique, de vérifier le résultat par rapport à des dommages comparables selon le barème ou de procéder à une comparaison avec une atteinte plus importante répertoriée dans le barème. Cela a été le cas par exemple en cas d’intolérance persistante à la charge d’une jambe avec limitation des mouvements du genou et de la cheville ainsi que d’arthroses, ou en cas de tableau clinique avec vertiges, acouphènes et troubles de l’équilibre ainsi qu’un trouble psychique, chaque fois après des accidents de la circulation (voir en particulier les arrêts 8C_38/2024 du 28 juin 2024 consid. 4; 8C_826/2012 du 28 mai 2013 consid. 3.4; arrêt non publié U 100/98 du 30 novembre 1998 consid. 3b et 3c; en outre, arrêt U 179/94 du 16 août 1995 partiellement publié dans SJZ 1996 p. 127; arrêts non publiés U 314/98 du 5 juillet 1999 consid. 1; U 235/96 consid. 5b avec référence à RAMA 1989 n° U 78 p. 357 consid. 3f). L’atteinte à l’intégrité ne peut toutefois pas dépasser 100% au total (art. 36 al. 3 OLAA; ATF 116 V 156 consid. 3b; arrêt 8C_812/2010 du 2 mai 2011 consid. 4-6).

Il convient d’ajouter que le Tribunal fédéral n’est pas autorisé à contrôler la manière dont l’instance précédente a évalué l’atteinte à l’intégrité. Il ne peut intervenir qu’en cas d’exercice erroné du pouvoir d’appréciation (art. 24 al. 1 LAA; art. 95 let. a LTF; arrêts 8C_760/2023 du 24 juin 2024 consid. 3.3; 8C_193/2013 du 4 juin 2013 consid. 4.1).

Consid. 4.1
Selon l’instance cantonale, il y a bilatéralement une perte de la jambe au-dessus du genou au sens de la réglementation explicite de l’annexe 3 de l’OLAA. Cette lésion, considérée isolément, doit être indemnisée à 50%. Selon le tribunal cantonal, les deux indemnités pour atteinte à l’intégrité doivent être additionnées.

Consid. 4.2
L’assurance-accidents – recourante – fait valoir qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 100% au total ne se justifie pas au vu de la comparaison avec la perte d’intégrité en cas de tétraplégie fixée à 100% selon l’annexe 3 de l’OLAA et en particulier aussi compte tenu de la distinction qui y est faite par rapport à la paraplégie, indemnisée à 90%.

Consid. 5.1
Il est incontestable que les deux jambes présentent une perte au-dessus du genou. Il s’agit là d’atteintes médicalement évidentes. Ainsi, conformément à la pratique, la condition est remplie pour une addition des atteintes à l’intégrité expressément prévues dans l’ordonnance à raison de 50% chacune. Le fait que l’instance cantonale ait accordé à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 100% n’est donc pas critiquable.

Consid. 5.2
Même une appréciation du résultat correspondant d’une indemnité de 100% au regard d’autres atteintes éventuellement comparables recensés dans le barème ne pourrait rien y changer.

Selon la liste de l’annexe 3 de l’OLAA, un groupe d’atteintes très graves à l’intégrité est évalué entre 80 et 100%. C’est le cas de la tétraplégie ainsi que de la cécité totale (100%), de la paraplégie (90%), de la surdité totale (85%) et de l’atteinte très grave à la fonction pulmonaire ou rénale, du très grave trouble organique de la parole langage et du très grave syndrome moteur ou psycho-organique (80% chacun). Au sein de ce groupe d’atteintes très graves, il n’y a donc qu’une légère gradation de 20% au total. Viennent ensuite, avec un grand écart, évaluées chacune à 50%, la perte d’un bras au niveau du coude ou en dessus, la perte d’une jambe au-dessus du genou, la très grave défiguration et l’atteinte très grave et douloureuse au fonctionnement de la colonne vertébrale. Enfin, une multitude d’autres atteintes sont estimées jusqu’à 40%. L’assurance-accidents ne conteste pas qu’il faille classer la perte des deux jambes au-dessus du genou parmi les lésions les plus graves régies par l’annexe 3 de l’OLAA, puisqu’elle a elle-même accordé une indemnité de 80%. Il serait difficile de justifier pourquoi la perte des deux jambes entraînerait une perte d’intégrité moins importante qu’une tétraplégie, d’autant plus qu’un déficit anatomique s’ajoute ici au déficit fonctionnel.

De plus, il faut tenir compte du fait que le Tribunal fédéral n’intervient que dans le cas d’un exercice erroné du pouvoir d’appréciation. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_415/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_415/2023 (d) du 03.10.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/11/8c_415-2023)

 

8C_800/2023 (f) du 03.09.2024 – Assistance gratuite d’un conseil juridique – 37 al. 4 LPGA / Montant de l’indemnité – Réduction de la note d’honoraires de l’avocat

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_800/2023 (f) du 03.09.2024

 

Consultable ici

 

Assistance gratuite d’un conseil juridique / 37 al. 4 LPGA

Montant de l’indemnité – Réduction de la note d’honoraires de l’avocat / 12a OPGA – 10 FITAF

 

Le 19.07.2017, l’assuré a été victime d’une chute lui causant des fractures lombaires.

Par décision du 09.11.2020, l’assurance-accidents a accordé à l’assuré l’assistance gratuite d’un conseil juridique et désigné l’avocat A.__ à cet effet. Le 17.10.2021, l’avocat A.__ a fait parvenir à l’assurance-accidents une note d’honoraires d’un montant de CHF 7’261.56, correspondant à 21,75 heures d’activité au tarif horaire de 300 fr., soit CHF 6’525, auxquels s’ajoutaient les frais de photocopies, d’envois et de téléphonie ainsi que la TVA. Par lettre du 23.12.2021, l’assurance-accidents a communiqué à A.__ qu’elle lui verserait une indemnité de CHF 3’500 (TVA incluse) pour son activité de conseiller juridique au titre de l’assistance gratuite. Sur requête de l’intéressé, elle a rendu une décision formelle le 21.02.2022, par laquelle elle a confirmé le montant précité, en exposant notamment que l’indemnité tenait compte de 15 heures de travail rémunérées à 200 fr. de l’heure.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 8/22 et 41/22 – 116/2023 – consultable ici)

L’avocat A.__ a recouru contre la décision du 21.02.2022. Il a également interjeté un recours, pour son client, contre une décision sur opposition du 26.11.2021, par laquelle l’assurance-accidents a nié le droit de celui-ci à une rente d’invalidité et lui a octroyé une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 15%.

Par jugement du 02.11.2023, rejet des deux causes, qui été jointes, par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Aux termes de l’art. 37 al. 4 LPGA, lorsque les circonstances l’exigent, l’assistance gratuite d’un conseil juridique est accordée au demandeur. Conformément à l’art. 12a OPGA, les art. 8 à 13 du règlement concernant les frais, dépens et indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral (FITAF ; RS 173.320.2) sont applicables par analogie aux frais d’avocat d’une partie au bénéfice de l’assistance gratuite d’un conseil juridique. Selon l’art. 10 FITAF, les honoraires d’avocat et l’indemnité du mandataire professionnel n’exerçant pas la profession d’avocat sont calculés en fonction du temps nécessaire à la défense de la partie représentée (al. 1); le tarif horaire des avocats est de 200 fr. au moins et de 400 fr. au plus (hors TVA) (al. 2).

Consid. 3.2.1
Le droit d’être entendu, tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst. (les art. 6 § 1 CEDH et 14 ch. 1 du Pacte ONU II n’ayant pas de portée propre à cet égard; cf. arrêt 5A_462/2019 du 29 janvier 2020 consid. 5.2.3.1), implique pour l’autorité l’obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, l’attaquer utilement s’il y a lieu et afin que l’autorité de recours puisse exercer son contrôle. Le juge doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1). Il n’a toutefois pas l’obligation d’exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut se limiter à l’examen des questions décisives pour l’issue du litige (ATF 149 V 156 consid. 6.1).

Consid. 3.2.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont estimé que la décision contestée était suffisamment motivée pour permettre à l’avocat A.__ de comprendre et contester les raisons du montant de l’indemnité accordée. Ils ont validé l’application du tarif minimum légal par l’intimée, jugeant qu’un tarif cantonal plus élevé ne justifiait pas à lui seul une contestation. Ils ont considéré que la cause ne présentait pas de complexité particulière, les normes applicables n’étant pas particulièrement difficiles à interpréter et le cas de l’assuré étant ordinaire. Ils ont souligné que la liste des opérations devait correspondre au travail raisonnablement attendu d’un avocat, sans multiplication injustifiée des actes. Les juges ont rejeté l’argument de l’avocat concernant la rétribution des correspondances de trois minutes, estimant que le contexte de droit public nécessitait moins d’intervention de l’avocat que le droit privé. De plus, le fait de ne pas systématiquement écarter les opérations relatives à la prise de connaissance des courriers ne signifiait pas pour autant que toutes les activités déployées pouvaient être retenues. Ils ont conclu que l’appréciation de l’assurance-accidents, jugeant excessive l’activité facturée par l’avocat d’office, était justifiée compte tenu de la complexité ordinaire du cas et de la période limitée concernée.

Consid. 3.3
A l’aune de la jurisprudence susmentionnée (consid. 3.2.1 supra), la motivation de l’autorité précédente apparaît largement suffisante. Celle-ci a justifié le montant alloué de manière à permettre à l’avocat A.__ de comprendre les motifs qui les ont conduits à confirmer l’indemnité de 3’500 fr., quand bien même elle n’a pas discuté en détail la note de frais produite par l’avocat A.__. Le grief tiré d’un défaut de motivation et d’une violation du droit d’être entendu est mal fondé.

 

Consid. 4.2.1
Le montant de l’indemnité d’un conseil juridique au titre de l’assistance gratuite concerne une question d’appréciation qui ne peut être corrigée en dernière instance que lorsque la juridiction précédente a violé les prescriptions pertinentes ou a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (arrêt 8C_676/2010 du 11 février 2011 consid. 3), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 148 V 419 consid. 5.4 et les arrêts cités). Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a jugé que les différentes structures des frais d’avocats cantonales ainsi que la réglementation cantonale sur les tarifs des avocats ne constituaient pas un critère pour le montant de l’indemnité et qu’un taux d’honoraires de 200 fr. (hors TVA) se révélait conforme au droit fédéral dans son résultat (ATF 131 V 153 consid. 6.2 et 7).

Consid. 4.2.2
En l’espèce,
le tarif horaire de 200 fr., qui a servi de base à la fixation de l’indemnité, s’inscrit dans la fourchette prévue par l’art. 10 FITAF, applicable en vertu du renvoi de l’art. 12a OPGA en lien avec l’art. 37 al. 4 LPGA, de sorte que la juridiction cantonale n’a en tout cas pas violé les dispositions légales et réglementaires applicables en confirmant un tel tarif. En outre, les arrêts du Tribunal administratif fédéral cités par l’avocat A.__ ne sont pas pertinents; le tarif appliqué dans ces arrêts concerne les dépens accordés en procédure judiciaire, ce qui ne relève pas de l’assistance gratuite au sens de l’art. 37 al. 4 LPGA. Pour le reste, on ne décèle, dans la motivation de l’arrêt attaqué, ni abus ni excès du pouvoir d’appréciation des premiers juges. En justifiant la réduction de l’indemnité réclamée eu égard à la complexité somme toute relative de l’affaire et à l’existence d’une nouvelle procédure à partir de la rechute à l’automne 2020, ils se sont fondés sur des critères objectifs et appropriés. S’agissant précisément de la complexité du cas, un degré élevé de difficulté ne peut pas être déduit du seul fait que l’assuré s’est vu accordé le bénéfice de l’assistance gratuite, dès lors que la question du droit ou non à une telle assistance n’était pas litigieuse et n’a pas fait l’objet d’un examen par le juge. En outre, l’avocat A.__ ne démontre pas que la cour cantonale aurait mal apprécié la situation en considérant que le cas ne posait aucune question qui sortait du cadre habituel dans ce genre de procédure. On ne peut donc en déduire de leur part une pratique restrictive qui justifierait le tarif minimal indépendamment des circonstances du cas d’espèce. C’est également à juste titre qu’elle n’a tenu compte que de ce qui était raisonnablement attendu d’un avocat, compte tenu de la maxime inquisitoire qui régie la procédure administrative en matière d’assurances sociales (cf. 43 LPGA; arrêt I 786/05 du 12 septembre 2006 consid. 4.1).

 

Le TF rejette le recours de l’avocat A.__.

 

Arrêt 8C_800/2023 consultable ici

 

8C_85/2023 (f) du 16.09.2024 – Rente transitoire – 19 LAA – 30 OLAA / Indexation du revenu sans invalidité [cf. mon commentaire] / Assistance judiciaire – 64 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_85/2023 (f) du 16.09.2024

 

Consultable ici

 

Rente transitoire / 19 LAA – 30 OLAA

Indexation du revenu sans invalidité [cf. mon commentaire] / 16 LPGA

Jurisprudence de l’AI pour les assuré-e-s de plus de 55 ans pas pertinente en LAA

Indemnité pour atteinte à l’intégrité – Aggravation future (arthrodèse) / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Assistance judiciaire – Ressources financières (fortune) du recourant / 64 LTF

 

Assuré, né en 1965, maçon-coffreur, victime d’un accident le 15.02.2017 : alors qu’il était en train de coffrer un mur, il a chuté d’une échelle à 2 mètres de hauteur. L’accident s’est soldé par une fracture ouverte du tibia distal gauche de grade 2, traitée chirurgicalement à plusieurs reprises.

Dès le 01.02.2018, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité entière.

Le 26.05.2021, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle mettrait fin au paiement des soins médicaux et de l’indemnité journalière avec effet au 01.06.2021. Par décision du 24 juin 2021, confirmée sur opposition le 18 octobre 2021, elle a constaté que l’assuré ne remplissait pas les critères établis par l’assurance-invalidité pour ouvrir le droit à des mesures professionnelles et, par conséquent, à une rente d’invalidité transitoire. Elle a également nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, étant donné que la comparaison des revenus de valide et d’invalide ne laissait qu’apparaître une perte économique de 7%. En revanche, elle lui a octroyé une IPAI d’un taux de 15%.

Dans son projet de décision du 08.09.2022, l’office AI a prévu de continuer le versement de la rente d’invalidité, notamment en raison de l’âge de l’assuré (plus de 55 ans) nécessitant au préalable la mise en œuvre de mesures de réadaptation, avant qu’une réduction ou une suppression de la rente d’invalidité soit effectuée.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2021 227 – consultable ici)

Par jugement du 15.09.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.5
En procédure devant le Tribunal fédéral, l’assuré s’en prend également au revenu de valide. En se référant au revenu fixé par l’OAI, il estime que celui-ci serait au moins de 81’444 fr., puisqu’il s’agirait du revenu réalisable en 2016 et que le revenu d’invalide aurait été indexé jusqu’en 2021.

Consid. 3.6
Pour déterminer le revenu de valide de 74’243 fr., l’assurance-accidents s’est fondée sur les informations remises par l’ancien employeur de l’assuré, et en particulier sur le salaire horaire de base pour 2020 (32 fr. 45) qu’elle a multiplié par les heures de travail conventionnelles annuelles (2112) puis par 8,33% pour le 13e salaire. En revanche, s’agissant du revenu d’invalide, l’assurance-accidents l’a indexé pour 2019 (x 0,9%) et 2020 (0,8%) et, pour l’année 2021, elle a tenu compte d’une « estimation trimestrielle de l’indexation actuelle », soit de 0,5%. Dans la mesure où il s’agit toutefois d’une simple estimation provisoire et que l’indexation, à ce moment-là, n’était pas établie au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 144 V 427 consid. 4.3 [ndr : la référence est erronée]), il n’y a pas lieu d’en tenir compte. Cela étant, cette modification n’est pas de nature à changer l’issue du recours, l’incapacité de gain résultant de la comparaison des revenus étant inférieur à 10% (cf. art. 18 al. 1 LAA).

En outre, l’assuré ne démontre pas en quoi le revenu de valide fixé par l’OAI à 81’444 fr. sur la base du revenu en 2016 serait davantage pertinent. On observera dans ce contexte que l’OAI semble avoir considéré à tort que le revenu inscrit au compte AVS individuel de l’assuré en 2016 avait été réalisé sur 9 mois plutôt que sur 10 mois.

 

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme; le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente. Le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur la naissance du droit aux rentes lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité quant à la réadaptation professionnelle intervient plus tard (art. 19 al. 3 LAA).

En se fondant sur cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 30 OLAA  qui, sous le titre « Rente transitoire », prévoit à son alinéa premier que lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité concernant la réadaptation professionnelle n’interviendra que plus tard, une rente sera provisoirement allouée dès la fin du traitement médical; cette rente est calculée sur la base de l’incapacité de gain existant à ce moment-là; le droit s’éteint dès la naissance du droit à une indemnité journalière de l’assurance-invalidité (let. a), avec la décision négative de l’assurance-invalidité concernant la réadaptation professionnelle (let. b) ou avec la fixation de la rente définitive (let. c).

Consid. 4.1.2
Selon la jurisprudence applicable en assurance-invalidité, il existe des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans révolus ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cette jurisprudence, qui est également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5), ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut pas, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, l’office de l’assurance-invalidité doit vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel, même si celui-ci a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste (arrêts 9C_670/2021 du 26 octobre 2022 consid. 4.1; 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 4.1; 9C_276/2020 du 18 décembre 2020 consid. 6 et les arrêts cités).

Consid. 4.2
L’assuré invoque une violation des art. 19 LAA et 16 LPGA en tant que la cour cantonale aurait nié l’application de la jurisprudence précitée en matière d’assurance-accidents. Selon lui, si on imputait aux assurés âgés de plus de 55 ans un revenu exigible alors même qu’ils n’ont pas encore bénéficié des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité, on rendrait les art. 19 al. 3 LAA et 30 OLAA lettres mortes pour cette catégorie d’assurés.

Consid. 4.3.1
L’allocation d’une rente transitoire au sens de l’art. 30 OLAA a pour but d’indemniser l’assuré de sa perte de gain avant l’octroi de mesures de réadaptation professionnelle de l’assurance-invalidité, qui pourraient modifier le degré d’invalidité fondant la rente de l’assurance-accidents. Elle n’entre en considération que si les mesures de réadaptation sont en lien avec une atteinte à la santé d’origine accidentelle (arrêt 8C_892/2015 du 29 avril 2016 consid. 4.1; PHILIPP GEERTSEN, in: Hürzeler/Kieser [édit.], Kommentar zum Schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, 2018, no 30 ad art. 19 LAA; JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in: Meyer [édit.], SBVR, Vol. XIV, Soziale Sicherheit – Sécurité sociale, 3ème éd. 2015, no 260 p. 985). La rente transitoire est fixée, comme la rente ordinaire ou « définitive », en fonction d’une comparaison de revenus. Toutefois, comme l’évaluation intervient avant l’exécution de mesures de réadaptation, seule entre en considération, à ce stade, l’activité qui peut être raisonnablement exigée de la part d’un assuré n’ayant pas encore bénéficié d’une telle mesure, compte tenu d’un marché du travail équilibré. Pour le surplus, la méthode d’évaluation de l’invalidité est identique (ATF 139 V 514 consid. 2.3; GEERTSEN, op. cit., no 37 ad art. 19 LAA; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, no 260 p. 985).

Consid. 4.3.2
Dans le domaine de l’assurance-accidents, l’art. 28 al. 4 OLAA prescrit de prendre en considération, pour évaluer le degré d’invalidité d’un assuré qui n’a pas repris d’activité lucrative après l’accident en raison de son âge, ou dont la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé, les revenus que pourrait réaliser un assuré d’âge moyen dont la santé aurait subi une atteinte de même gravité.

Consid. 4.3.3
En l’espèce, l’OAI envisage l’allocation de mesures de réadaptation professionnelle parce que l’assuré, dont la suppression de la rente de l’assurance-invalidité est envisagée, est âgé de plus de 55 ans. La jurisprudence considère en effet que sauf cas particulier, son âge l’empêche de mettre en valeur sa capacité résiduelle de gain sans mesure de réadaptation professionnelle (cf. consid. 4.1.2 supra). Cette considération n’est toutefois pas pertinente dans le contexte d’une comparaison de revenus pour fixer le droit à la rente de l’assurance-accidents, compte tenu de l’art. 28 al. 4 OLAA, qu’il s’agisse d’une rente transitoire ou d’une rente ordinaire « définitive » (dans ce sens également, arrêt 8C_212/2017 du 1er février 2018 consid. 4.3 et les références). Il s’ensuit que l’assurance-accidents et les juges cantonaux étaient en droit de procéder à une comparaison de revenu en prenant en considération la capacité résiduelle de travail de l’assuré dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, sans égard au fait que des mesures de réadaptation étaient envisagées par l’assurance-invalidité en raison de son âge. Dès lors que le taux d’invalidité résultant de cette comparaison est inférieur à 10%, il n’ouvre droit ni à une rente transitoire, ni à une rente ordinaire « définitive ».

 

Consid. 5.1
L’atteinte à l’intégrité au sens de l’art. 24 al. 1 LAA consiste généralement en un déficit corporel (anatomique ou fonctionnel) mental ou psychique. La gravité de l’atteinte, dont dépend le montant de l’indemnité, se détermine uniquement d’après les constatations médicales. L’évaluation incombe donc avant tout aux médecins qui doivent, d’une part, constater objectivement quelles limitations subit l’assuré et, d’autre part, estimer l’atteinte à l’intégrité en résultant (arrêt 8C_656/2022 du 5 juin 2022 consid. 3.4 et les références citées).

Consid. 5.2
Pour déterminer l’IPAI, les juges cantonaux se sont fondés sur l’appréciation médicale de la médecin-conseil. Dans son rapport du 08.07.2019, cette spécialiste a indiqué que son estimation se basait sur la table 5 des barèmes d’indemnisation pour atteinte à l’intégrité selon la LAA pour une arthrose talo-crurale de la cheville gauche et une mobilité réduite en flexion/extension à 15-0-0°, par analogie à une arthrose tibio-tarsienne de la cheville gauche de degré moyen à grave, soit 15%. Elle a ajouté que cette estimation se fondait sur l’appréciation actuelle et le scanner du 27.05.2019 et qu’elle devra être modifiée en cas d’aggravation.

Consid. 5.3
L’assuré conteste cette appréciation en faisant valoir qu’elle ne tiendrait pas compte de l’aggravation qui serait établie par le fait qu’une arthrodèse serait proposé par les spécialistes. Il estime que le dossier présente des lacunes et que les juges cantonaux auraient substitué leur propre appréciation à celle des médecins.

Consid. 5.4
Si une arthrodèse a été proposée à l’assuré, ce n’est pas parce que l’état de sa cheville gauche s’était aggravé, mais dans un but thérapeutique afin de soulager ses douleurs. Après un examen complet des rapports médicaux pertinents, la cour cantonale a conclu à bon droit qu’une aggravation de l’état du pied gauche n’avait pas pu être objectivée, malgré les nombreux examens qui avaient été effectués à la CRR, notamment un ENMG, un SPECT-CT ainsi que des radiographies du pied et de la cheville gauches. En l’absence d’un avis médical contraire, c’est aussi à juste titre, qu’elle s’est fondée sur l’appréciation de la médecin-conseil pour fixer l’IPAI à 15%, sans qu’il fût nécessaire d’administrer des preuves supplémentaires (cf. ATF 148 V 356 consid. 7.4 sur l’appréciation anticipée des preuves).

 

Consid. 6.2.1
Aux termes de l’art. 64 al. 1 LTF, si une partie ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec, le Tribunal fédéral la dispense, à sa demande, de payer les frais judiciaires et de fournir des sûretés en garantie des dépens. Il attribue un avocat à cette partie si la sauvegarde de ses droits le requiert (art. 64 al. 2 LTF).

Consid. 6.2.2
La condition de l’indigence est réalisée si la personne concernée ne peut assumer les frais du procès sans entamer les moyens nécessaires à son entretien et à celui de sa famille (ATF 128 I 225 consid. 2.5.1; 127 I 202 consid. 3b et les arrêts cités). Pour déterminer l’indigence, il y a lieu de tenir compte de la situation financière du requérant dans son ensemble, soit d’une part de ses charges et, d’autre part, de ses ressources effectives. Il faut également tenir compte de sa fortune, pour autant qu’elle soit disponible (ATF 144 III 531 consid. 4.1; 124 I 1 consid. 1a; 124 I 97 consid. 3a). En cas de mariage, sont pris en considération les ressources et la fortune de la conjointe ou du conjoint (ATF 115 Ia 193 consid. 3a). L’État ne peut toutefois exiger que la partie requérante utilise ses économies, si elles constituent sa « réserve de secours », laquelle s’apprécie en fonction des besoins futurs de l’indigent selon les circonstances concrètes de l’espèce, tel l’état de santé et l’âge de la partie requérante (ATF 144 III 531 consid. 4.1).

Consid. 6.2.3
En l’espèce, il ressort du questionnaire pour l’assistance judiciaire que les dépenses de l’assuré et de sa conjointe dépassent leurs revenus. Cependant, les époux disposent d’une fortune liquide de 206’764 fr., placée sur divers comptes bancaires en Suisse et à l’étranger. L’assuré ne démontre pas qu’il ne pourrait pas disposer librement de ce montant, qui dépasse largement une éventuelle « réserve de secours ». Il dispose ainsi d’une fortune suffisante et disponible pour supporter les frais judiciaires et les honoraires de l’avocat qu’il a mandaté, si bien que la condition de l’indigence n’est pas réalisée. Une des conditions cumulatives de l’octroi de l’assistance judiciaire faisant défaut, la requête d’assistance judiciaire doit être rejetée sans qu’il soit nécessaire d’en examiner les autres.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Remarques personnelles

Le raisonnement du Tribunal fédéral au considérant 3.6, selon lequel une « simple estimation provisoire » ne suffit pas pour l’indexation du revenu sans invalidité à 2021, soulève quelques interrogations.

Premièrement, il convient de noter une possible erreur de référence concernant l’ATF 144 V 427 consid. 4.3 cité. Cette décision traite de l’indemnité en cas d’insolvabilité et de la vraisemblance des créances de salaire, sans comporter de considérant 4.3. Bien que compréhensible, cette imprécision mériterait d’être clarifiée pour assurer une base jurisprudentielle solide.

La position du Tribunal fédéral sur l’insuffisance de l’estimation trimestrielle de l’Office fédéral de la statistique (OFS) pour établir l’indexation au degré de la vraisemblance prépondérante soulève des questions pratiques importantes. Il serait bénéfique que le Tribunal fédéral précise la méthodologie à suivre pour l’indexation des revenus avec et sans invalidité dans de telles circonstances, notamment lorsque les données définitives ne sont pas encore disponibles au moment de la décision.

De jurisprudence constante, la comparaison des revenus s’effectue lorsque toutes les conditions sont réalisées, notamment celles de l’art. 19 al. 1 LAA en assurance-accidents. Dans le cas jugé, l’état de santé a été considéré comme stabilisé en 2021, impliquant que les revenus avec et sans invalidité doivent refléter cette année-là. Cependant, au moment de la décision sur opposition en octobre 2021, l’indexation définitive pour 2021 n’était pas encore disponible, créant ainsi un dilemme pratique pour les organes décisionnels ou pour l’assuré dans le cadre de son recours.

Dans ce contexte, il serait particulièrement utile que le Tribunal fédéral clarifie la méthode à appliquer pour calculer les revenus avec et sans invalidité. Plusieurs options se présentent, chacune avec ses avantages et inconvénients :

  • Utiliser l’indexation définitive jusqu’en 2020 risquerait de ne pas refléter fidèlement, au sens de la vraisemblance prépondérante, la situation économique de 2021.
  • Reprendre le taux d’indexation de 2020 pour 2021 pourrait ne pas tenir compte des évolutions économiques récentes.
  • Utiliser l’estimation provisoire de l’OFS pour 2021, bien qu’imparfaite, pourrait être considérée comme la donnée la plus probante – au sens de la vraisemblance prépondérante – disponible au moment de la décision.

Il est important de rappeler que la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Dans le cas jugé, lors de l’établissement de la décision sur opposition le 18.10.2021, l’estimation provisoire de l’OFS semblait être la meilleure approximation disponible, en l’absence d’autres données plus fiables.

En conclusion, il serait donc appréciable que le Tribunal fédéral apporte des précisions sur les modalités d’indexation à appliquer dans de telles situations, en tenant compte des contraintes pratiques et des données disponibles au moment de la décision. Une telle clarification permettrait non seulement d’assurer une plus grande sécurité juridique, mais aussi de faciliter le travail des organes d’application du droit et des tribunaux inférieurs, tout en garantissant un traitement équitable et cohérent des assurés.

 

Arrêt 8C_85/2023 consultable ici

 

 

8C_475/2024 (f) du 01.10.2024 – Droit à l’assistance gratuite d’un conseil juridique pour la procédure administrative – 37 al. 4 LPGA / Décision pas susceptible de causer à l’assureur social un préjudice irréparable

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_475/2024 (f) du 01.10.2024

 

Consultable ici

 

Droit à l’assistance gratuite d’un conseil juridique pour la procédure administrative en matière d’assurance sociale – Remboursement de l’assitance gratuite / 37 al. 4 LPGA

Décision pas susceptible de causer à l’assureur social un préjudice irréparable / 93 LTF

 

Par décision sur opposition du 12.01.2024, l’assurance-accidents a refusé de prendre en charge les suites d’une agression dont avait été victime l’assuré le 11.10.2022 et a refusé de mettre celui-ci au bénéfice de l’assistance juridique gratuite.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/542/2024 – consultable ici)

Par jugement du 28.06.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, en tant qu’il portait sur la question de l’assistance juridique gratuite, et lui a reconnu le droit à celle-ci pour la procédure administrative à compter du 24.07.2023. Sur le fond, la procédure est toujours pendante devant la juridiction cantonale

 

TF

Consid. 2.2
L’arrêt attaqué, qui porte uniquement sur le droit à l’assistance gratuite d’un conseil juridique pour la procédure administrative en matière d’assurance sociale au sens de l’art. 37 al. 4 LPGA, est une décision incidente au sens de l’art. 93 LTF (cf. ATF 144 V 97 consid. 1; 139 V 600 consid. 2.2). Le recours n’est dès lors recevable que si la décision incidente peut causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF), la seconde hypothèse prévue à l’art. 93 al. 1 let. b LTF n’entrant manifestement pas en considération (ATF 139 V 600 consid. 2.2 et 2.3).

Consid. 3.1
Il appartient à la partie recourante d’alléguer et d’établir la possibilité que la décision incidente lui cause un dommage irréparable, à moins que celui-ci ne fasse d’emblée aucun doute (art. 42 al. 2 LTF; ATF 149 II 170 consid. 1.3; 142 V 26 consid. 1.2 et les références).

Consid. 3.2
En l’espèce, l’assurance-accidents soutient que si les prestations d’assistance juridique sont versées à tort, il sera à craindre que la procédure en restitution de ces prestations se révèle infructueuse, dès lors que l’assuré allègue être sans revenu et qu’il a perçu l’assistance judiciaire en procédure cantonale. Cet argument doit toutefois être écarté dans la mesure où, le cas échéant, l’assurance-accidents pourra réclamer le remboursement de l’assistance juridique non pas au prénommé, mais à sa représentante légale (cf. arrêt 8C_328/2013 du 4 février 2014 consid. 3.2.2, in SVR 2014 IV n° 9 p. 36).

Pour le reste, selon une jurisprudence constante, la décision qui reconnaît le droit d’un assuré à l’assistance gratuite d’un conseil juridique n’est pas susceptible de causer à l’assureur social un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF (cf., parmi d’autres, arrêts 9C_361/2022 du 14 novembre 2022 consid. 1.2; 9C_37/2018 du 21 février 2018; 8C_15/2017 du 16 janvier 2017; 9C_65/2017 du 28 février 2017; 8C_328/2013 consid. 3.2.2 précité).

Il s’ensuit que l’arrêt entrepris ne peut pas faire l’objet d’un recours immédiat devant le Tribunal fédéral. Il pourra en revanche être attaqué, s’il y a lieu, avec la décision finale qu’il précède (arrêt 9C_361/2022 consid. 1.2 précité et les références).

 

Le TF déclare le recours de l’assurance-accidents irrecevable.

 

Arrêt 8C_475/2024 consultable ici

 

Rentes de veuves et de veufs de l’AVS: le Conseil fédéral adopte le message

Rentes de veuves et de veufs de l’AVS: le Conseil fédéral adopte le message

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 23.10.2024 consultable ici / cf. mes commentaires en bas d’article

 

Le Conseil fédéral veut éliminer les différences de traitement entre hommes et femmes en matière de rentes de survivants de l’AVS et adapter le régime à l’évolution de la société. Il a pris acte des résultats de la consultation sur une modification de la loi sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS) et adopté le message au Parlement lors de sa séance du 23 octobre 2024. Le texte proposé prévoit entre autres d’octroyer une rente de parent survivant jusqu’aux 25 ans du plus jeune enfant, indépendamment de l’état civil des parents. Les rentes actuelles des veuves et veufs de 55 ans et plus seront maintenues, tout comme celles des bénéficiaires de prestations complémentaires de 50 ans et plus. Les personnes plus jeunes y auront encore droit pendant deux ans. Ce projet répond également au besoin de financement de l’AVS et au mandat d’assainissement des finances de la Confédération.

Selon la législation actuelle, les veuves ont droit une rente à vie, même si elles n’ont pas d’enfant à charge, tandis que les veufs ne peuvent y prétendre que jusqu’à la majorité du cadet de leurs enfants. La Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a constaté cette inégalité de traitement entre les sexes en 2022. Depuis, la Suisse a mis en place un régime transitoire accordant aux veufs ayant des enfants une rente à vie, en attendant de réformer un système qui repose encore sur une répartition traditionnelle des rôles entre hommes et femmes. Le Conseil fédéral souhaite adapter les rentes de survivants à l’évolution des structures familiales, incluant les familles recomposées et les parents non mariés, avec des prestations indépendantes de l’état civil, centrées sur la présence d’enfants au sein du ménage. En conséquence, il a proposé de modifier la loi sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS). Après avoir pris acte des résultats de la consultation, le Conseil fédéral a adopté le message au Parlement lors de sa séance du 23 octobre 2024.

 

Mesures proposées

Cette révision vise à soutenir de façon ciblée les survivants à la suite d’un décès ou tant qu’ils ont des enfants à charge. Elle tient compte des personnes menacées de précarité par le veuvage ou des situations difficiles liées à l’âge. En dehors de ces périodes délicates, il n’est plus justifié de verser des rentes à vie, sans tenir compte de la situation financière de l’assuré.

Droits pour les personnes qui deviennent veuves ou veufs après l’entrée en vigueur de la réforme

  • Octroi d’une rente de survivant aux parents, jusqu’aux 25 ans de l’enfant, quel que soit leur état civil et leur sexe; prolongation du versement au-delà de 25 ans en cas de prise en charge d’un enfant en situation de handicap donnant droit aux bonifications pour tâches d’assistance de l’AVS;
  • Octroi d’une rente de veuvage transitoire de deux ans pour les personnes n’ayant plus d’enfants à charge. Cela concerne les couples mariés, ainsi que les personnes divorcées qui recevaient une contribution d’entretien du défunt.
  • Prise en charge dans le régime des prestations complémentaires des veuves et des veufs âgés de 58 ans et plus au moment du décès et n’ayant plus d’enfants à charge, si le décès mène à la précarité;
  • Dans l’assurance-accidents: octroi d’une rente également aux veufs lorsque, au décès de leur conjointe, ils ont des enfants qui n’ont plus droit à une rente ou s’ils ont accompli leur 45e année, comme c’est actuellement le cas pour les veuves.

Droit des personnes qui perçoivent déjà une rente de veuve ou de veuf avant la réforme

  • Maintien des rentes de veuve et de veuf en cours pour les personnes âgées de 55 ans et plus au moment de l’entrée en vigueur; suppression des rentes pour les personnes plus jeunes que 55 ans dans un délai de deux ans après l’entrée en vigueur de la modification, à moins qu’elles aient encore des enfants à charge (disposition transitoire);
  • Maintien des rentes de veuve et de veuf pour les bénéficiaires de prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (PC) âgés de 50 ans et plus au moment de l’entrée en vigueur (disposition transitoire).

Cette réforme ne touche pas au droit à la rente de veuve et de veuf de la prévoyance professionnelle car il n’existe pas de différence de traitement entre hommes et femmes. La rente de la prévoyance professionnelle est en principe versée jusqu’au décès ou au remariage du conjoint survivant. De nombreuses institutions de prévoyance prévoient déjà aujourd’hui des prestations de survivants pour les personnes qui subviennent à l’entretien d’un enfant commun. Ces prestations réglementaires permettent, dès lors, de tenir compte des modes de vie actuels.

La réforme tient également compte des besoins de financement de l’AVS et des finances de la Confédération. Si elle entre en vigueur en 2026, elle permettra à l’horizon 2030 une diminution des dépenses de l’AVS d’environ 350 millions de francs, dont 70 millions d’économie pour la Confédération. Ces chiffres tiennent compte des perspectives financières actualisées le 16 septembre 2024 par l’OFAS et du financement de la 13e rente AVS.

 

Commentaires personnels

Bien que la réforme des rentes de survivants vise à instaurer l’égalité entre hommes et femmes, elle suscite des critiques quant à son impact potentiel sur les veuves. Historiquement, ces dernières sont plus nombreuses à dépendre des rentes de survivants, notamment celles qui ont sacrifié leur carrière pour élever leurs enfants ou s’occuper du foyer. Les veuves âgées rencontrent souvent des difficultés pour réintégrer le marché du travail en raison du vieillissement, du manque de formation continue ou de l’obsolescence de leurs compétences. Les emplois disponibles pour celles ayant un parcours professionnel discontinu sont souvent précaires ou mal rémunérés, augmentant ainsi leur risque de pauvreté. La suppression des rentes à vie sans compensation adéquate pourrait aggraver cette situation.

Les experts soulignent que bien que la réforme cherche à établir une égalité formelle entre les sexes, elle ne prend pas suffisamment en compte les inégalités structurelles persistantes telles que les différences de salaires, de temps de travail et de carrières interrompues. Traiter hommes et femmes sur un pied d’égalité sans ajustements spécifiques pourrait perpétuer les désavantages subis par les femmes. Cette approche pourrait donc être perçue comme injuste, car elle ignore les besoins spécifiques des femmes.

Une solution pourrait être l’introduction d’une rente dégressive, où la rente serait progressivement réduite à partir de 55 ans jusqu’à son extinction à 65 ans, âge de la retraite ordinaire. Cela permettrait aux personnes concernées de mieux s’adapter financièrement.

Une autre option pourrait être de combiner la suppression progressive des rentes à vie avec une amélioration des mesures de réinsertion professionnelle. Le système pourrait inclure des programmes de formation spécifiques pour les veuves et veufs afin de faciliter leur retour sur le marché du travail. En particulier, des programmes de reconversion pour les personnes ayant interrompu leur carrière pendant une longue période pourraient être mis en place.

En conclusion, bien que la réforme vise à instaurer une égalité entre hommes et femmes dans l’octroi des rentes de survivants, elle pourrait avoir un impact négatif disproportionné sur les femmes, en particulier celles qui ont été économiquement dépendantes de leur conjoint. Le fait de ne pas tenir compte de cette dépendance et de la difficulté pour certaines femmes de réintégrer le marché du travail à un âge avancé pourrait accentuer les inégalités existantes, plutôt que de les réduire.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 23.10.2024 consultable ici

Message du Conseil fédéral et perspectives financières de l’AVS disponibles ici

Rapport de consultation du 23.10.2024, Résumé des résultats de la consultation, disponible ici

Message du Conseil fédéral du 23.10.2024 relative à la modification de la LAVS « Adaptation des rentes de survivants », paru in FF 2024 2768 

Modification de la LAVS « Adaptation des rentes de survivants », paru in FF 2024 2769 

 

8C_799/2023 (f) du 03.09.2024 – Stabilisation de l’état de santé / Estimation de l’IPAI – Valeur probante de l’appréciation médicale du médecin-conseil

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_799/2023 (f) du 03.09.2024

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Estimation de l’IPAI – Valeur probante de l’appréciation médicale du médecin-conseil / 24 LAA – 25 LAA

 

Le 19.07.2017, assuré, né en 1972, a été victime d’un accident dans un parc d’attractions. Alors qu’il était assis sur un rocher, il a été projeté en l’air par un jet d’eau et a chuté de quelques mètres sur le sol. La chute lui a causé des fractures lombaires (en L1, L2 et L4).

L’assurance-accidents a pris en charge les frais médicaux et a versé l’indemnité journalière jusqu’au 30.06.2020, considérant qu’à partir de cette date, la poursuite du traitement médical ne pourrait pas apporter d’amélioration significative à l’état de santé consécutif à l’accident. Par décision du 19.06.2020, elle a refusé de lui allouer une rente d’invalidité, en raison d’un taux d’invalidité de 2%, soit insuffisant pour ouvrir le droit à une telle prestation. En revanche, elle lui a reconnu le droit à une IPAI de 15%. Saisie d’une opposition, elle l’a rejetée, tout en modifiant légèrement le calcul du taux d’invalidité; elle indiquait en outre que le droit de l’assuré à des prestations en lien avec une rechute serait examiné séparément (décision sur opposition du 26.11.2021).

 

Procédure cantonale (arrêt AA 8/22 et 41/22 – 116/2023 – consultable ici)

Par jugement du 02.11.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.3.1
En ce qui concerne d’abord la question de la stabilisation de l’état de santé, il sied de rappeler que le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme; le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (art. 19 al. 1 LAA). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Il ne suffit pas qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_682/2023 et 8C_695/2023 du 24 avril 2024 consid. 3.1.1 et les références).

Consid. 3.3.2
En l’espèce, les juges cantonaux ont confirmé que l’état de santé de l’assuré était stabilisé en mai 2020 (et qu’il était en mesure de travailler à un taux de 100% dans une activité adaptée), en se fondant sur l’appréciation du Dr E.__, médecin-conseil, du 25.05.2020, confirmée par le Dr C.__, médecin-conseil, le 05.05.2021. Ils ont relevé que les médecins consultés n’avaient pas d’autre traitement médical à proposer en dehors de l’ablation du matériel d’ostéosynthèse (toutefois refusée par l’assuré), d’un traitement conservateur et de la physiothérapie, ce qui ne constituait pas des traitements susceptibles d’améliorer notablement l’état de santé de celui-ci (référence faite à l’arrêt U 551/06 du 14 décembre 2017 consid. 7.3). Ainsi, faute d’amélioration possible, le cas de l’assuré devait être considéré comme stabilisé au printemps 2020. Les médecins de la Clinique F.__ avaient d’ailleurs évoqué une stabilisation médicale dans un délai de deux à trois mois après le séjour de l’assuré du 15.01.2020 au 11.02.2020. La stabilisation avait en outre été reconnue par l’assuré lui-même lors d’une consultation de l’appareil locomoteur du 05.05.2020 et par la voix de son avocat dans son opposition du 24.08.2020.

Consid. 3.3.4
En faisant valoir que les médecins dont il invoque les rapports ne constateraient pas clairement la stabilisation de son état de santé en mai 2020, l’assuré ne démontre pas, ni même ne prétend, que l’on pouvait encore attendre de la continuation d’un traitement médical une sensible amélioration de son état de santé au sens de l’art. 19 al. 1 LAA. En l’occurrence, dans aucun des rapports cités par lui, il n’appert qu’un traitement médical était encore envisagé au moment où l’assurance-accidents a mis fin aux prestations temporaires. D’ailleurs, dans son rapport relatif à la consultation du 05.05.2020, le Dr G.__ (chef de clinique à la Clinique F.__) ne préconise même plus la continuité de la physiothérapie. Enfin, contrairement à ce que fait valoir l’assuré, dans son rapport du 06.10.2021, le Dr D.__, médecin praticien, ne soutient pas que seule une expertise permettrait de savoir si l’état de santé était stabilisé ou non au moment déterminant. Il se limite à indiquer qu’une expertise serait certainement nécessaire pour examiner si la péjoration de l’équilibre sagittale intervient ou non sur une structure déjà atteinte non touchée par le traumatisme, question qui tout au plus relève de la procédure ouverte à l’annonce de la rechute en automne 2020.

 

Consid. 3.5.1
Pour ce qui est de l’IPAI, la cour cantonale a confirmé le taux de 15% retenu par l’assurance-accidents sur la base des conclusions du Dr E.__, médecin-conseil, du 18.05.2020, lequel s’est référé à la table 7 du barème d’indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA dans les affections de la colonne vertébrale (fourchette basse de la catégorie de douleurs ++). Elle a relevé que ce taux avait été confirmé par le Dr C.__, médecin-conseil, dans son évaluation du 05.05.2021. L’assuré ne pouvait opposer à cette appréciation les conclusions du Dr D.__ du 25.11.2020 estimant le taux de l’atteinte à 30%, dès lors que ce médecin additionnait deux facteurs qui ne pouvaient pas être cumulés et que ses conclusions concernaient la période postérieure à la rechute. Ainsi, il convenait de suivre l’avis du premier médecin-conseil qui n’était remis en doute par aucun autre avis médical circonstancié et objectivé.

 

Consid. 3.5.3
En l’occurrence, les conclusions relatives à l’IPAI du 18.05.2020 du Dr E.__ – qui a examiné personnellement l’assuré en octobre 2019 – font partie de son appréciation globale du 25.05.2020, laquelle tient compte des pièces jusqu’au 11.05.2020 et non jusqu’en février comme le soutient l’assuré. Son avis n’est pas dépourvu de motivation dès lors que le médecin indique la table sur laquelle il s’est fondé et, à l’intérieur de celle-ci, l’atteinte retenue (degré et échelle d’appréciation des douleurs), en précisant que le taux tient compte d’un état préexistant et de l’évolution à moyen terme. A cet égard, les critiques de l’assuré sur le descriptif lacunaire de l’accident (absence de mention d’un atterrissage sur sol rocailleux) sont dépourvues de pertinence, l’IPAI ne s’examinant pas au regard du déroulement d’un accident mais à l’aune des lésions subies. Quant aux rapports médicaux qu’il invoque, ils ne contiennent aucune estimation de l’atteinte à l’intégrité. Enfin, comme l’ont relevé les juges cantonaux, l’appréciation du Dr D.__ du 25.11.2020 (soit après l’annonce de la rechute) relève d’un cumul erroné entre un taux de 15% pour des fractures de catégorie 10-20° et un taux de 15% pour une spondylodèse. Or, selon la table 7 appliquée par ce médecin, les taux décrits sous fractures cervicales, dorsales ou lombaires comprennent précisément les cas de spondylodèse, cyphose ou scoliose. C’est bien ce qu’explique le Dr C.__ dans son rapport relatif à l’examen du 05.05.2021, qui ne contredit pas expressément l’appréciation du Dr E.__ mais tient compte de l’état de santé au jour de l’examen (et donc postérieur à l’annonce de la rechute). En conclusion, l’assuré échoue à mettre en doute le taux de 15% retenu par les juges cantonaux, sur la base des conclusions du Dr E.__ du 18.05.2020.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_799/2023 consultable ici

 

8C_782/2023 (f) du 06.06.2024 – Fin du droit aux indemnités journalières – Stabilisation de l’état de santé / Vraisemblance du revenu sans invalidité / Revenu d’invalide – Pas d’abattement pour permis B / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_782/2023 (f) du 06.06.2024

 

Consultable ici

 

Fin du droit aux indemnités journalières – Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Vraisemblance du revenu sans invalidité / 16 LPGA

Revenu d’invalide – Pas d’abattement pour permis B / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1987, gérant de l’entreprise B.__ Sàrl (ci-après: la société), qu’il avait fondée et qui avait été inscrite au registre du commerce le 07.02.2017. Le 17.10.2018, il a été victime d’un accident sur l’autoroute, en Italie, alors qu’il était passager d’un véhicule.

Par décision du 10.02.2022, confirmée sur opposition le 24.05.2022, l’assurance-accidents lui a octroyé une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 20% mais lui a dénié le droit à une rente d’invalidité, motif pris que le taux d’invalidité de 9% n’ouvrait pas le droit à une telle prestation.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 73/22 – 110/2023 – consultable ici)

Par jugement du 12.10.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Il ne suffit pas qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_682/2023 du 24 avril 2024 consid. 3.1.1 et les références).

Consid. 3.2.2 [résumé]
L’assuré soutient principalement que l’opération chirurgicale recommandée n’était pas exigible. Cependant, il ne démontre pas qu’un autre traitement médical aurait pu améliorer sensiblement son état de santé. Il ne conteste pas non plus la stabilisation de son état au 01.11.2022, conformément à l’art. 19 al. 1 LAA. Au contraire, il cite un rapport de la médecin-conseil, du 12.07.2021, selon lequel aucun traitement chirurgical ni médical ne pourrait améliorer de manière notable son état de santé. Par ailleurs, si l’on considérait que l’intervention chirurgicale était exigible et susceptible d’améliorer sensiblement l’état de santé de l’assuré, celui-ci ne pourrait s’en prévaloir – tout en refusant de s’y soumettre – dans le but de maintenir son droit aux indemnités journalières.

L’assuré évoque des contradictions entre les rapports médicaux pour justifier une expertise, mais son argument n’est pas fondé. Bien que la médecin-conseil ait noté le refus de l’assuré des propositions chirurgicales et l’absence de changement de l’angle de cyphotisation, cela n’est pas contradictoire avec l’avis du chirurgien traitant qui avait évoqué une possible intervention tout en reconnaissant qu’elle n’était pas exigible d’un point de vue assécurologique.

En conclusion, le grief de l’assuré est rejeté et la date de stabilisation de son état de santé est maintenue.

 

Consid. 4.2.1
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 139 V 176 consid. 5.3).

Consid. 4.2.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont constaté que deux mois après l’accident, la société avait informé l’assurance-accidents d’une augmentation rétroactive du salaire de l’assuré (son gérant) à CHF 6’900 par mois à partir du 01.08.2018, soit environ deux mois avant l’accident. Un avenant au contrat de travail non daté, signé par l’assuré en tant qu’employeur et employé, a été produit. Cependant, la déclaration de sinistre du 19.10.2018 mentionnait un salaire mensuel de CHF 5’000, jugé plus conforme au revenu effectif de l’assuré avant l’accident, considérant le certificat de salaire de CHF 50’187net pour 2017. Les juges ont rappelé l’art. 15 al. 2 LAA, prévoyant que le salaire déterminant pour le calcul des rentes est celui gagné durant l’année précédant l’accident. Ils ont validé la décision de la l’assurance-accidents de prendre en compte un salaire annuel de CHF 68’536 (CHF 5’272 x 13) comme revenu de valide, correspondant au salaire de la Convention nationale du gros œuvre pour 2021 mentionné dans le contrat de travail de l’assuré.

Consid. 4.3
Les considérations des juges cantonaux sont convaincantes et il convient de s’y rallier; un salaire mensuel de CHF 6’900 n’apparaît pas comme le montant le plus vraisemblable au regard des éléments mis en évidence par eux. Les explications de l’assuré sont soit incomplètes, soit confuses. En effet, s’il avait perçu en 2017 un salaire uniquement à partir de juillet, cela reviendrait à retenir un revenu moyen mensuel de plus de CHF 8’000 au vu du certificat de salaire 2017 mentionnant un revenu annuel net de CHF 50’187, ce qui se heurte au contenu du contrat de travail et à la prétendue augmentation de salaire (à CHF 6’900) dès le mois d’août 2018. Quant aux fiches de salaire, elles mentionnent un versement en espèces, sans que le dossier fasse état de quittance de paiement. Ces éléments sont autant de motifs qui ne plaident pas en faveur de l’assuré. Partant, les juges cantonaux étaient fondés à confirmer le choix de l’assurance-accidents de se référer aux salaires conventionnels, vu les allégations contestables de l’assuré et la faible force probante que l’on peut accorder aux pièces produites par lui.

 

Consid. 5.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 419 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Consid. 5.3
En l’occurrence, la cour cantonale a confirmé le taux d’abattement appliqué par l’assurance-accidents sur le revenu statistique « compte tenu de la situation de l’assuré ». Toutefois, à la lecture de l’arrêt attaqué, il n’est pas possible de saisir quel (s) facteur (s) de réduction entrent en considération pour eux. Quoi qu’il en soit, l’argumentation de l’assuré, en tant qu’il requiert une déduction de 25% liée au handicap, doit être rejetée.

Celui-ci ne conteste pas sa capacité totale de travail, sans diminution de rendement, dans une activité adaptée, ni les limitations fonctionnelles retenues, excluant les activités avec port de charges très légères (inférieures à 5 kg), les activités nécessitant une position statique (assis ou debout; alternance des positions nécessaire), la marche répétée ou prolongée et la position en porte-à-faux du rachis. Cela étant, compte tenu du large éventail d’activités légères offert dans le marché du travail, un certain nombre d’entre elles sont adaptées à de telles limitations et accessibles sans aucune formation particulière. L’on peut penser à des activités simples et répétitives dans le domaine industriel léger (par exemple montage, contrôle ou surveillance d’un processus de production; ouvrier à l’établi dans des activités simples et légères, etc.). Par conséquent et vu qu’une diminution de rendement n’a pas été retenue, un taux de 10% en raison du handicap peut être confirmé. Quant aux autres facteurs de réduction, ils n’entrent pas en considération (le permis B n’étant pas susceptible de réduire les perspectives salariales de l’assuré au regard de la nature des activités encore exigibles).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_782/2023 consultable ici