Archives par mot-clé : Assurance-accidents

8C_85/2023 (f) du 16.09.2024 – Rente transitoire – 19 LAA – 30 OLAA / Indexation du revenu sans invalidité [cf. mon commentaire] / Assistance judiciaire – 64 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_85/2023 (f) du 16.09.2024

 

Consultable ici

 

Rente transitoire / 19 LAA – 30 OLAA

Indexation du revenu sans invalidité [cf. mon commentaire] / 16 LPGA

Jurisprudence de l’AI pour les assuré-e-s de plus de 55 ans pas pertinente en LAA

Indemnité pour atteinte à l’intégrité – Aggravation future (arthrodèse) / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Assistance judiciaire – Ressources financières (fortune) du recourant / 64 LTF

 

Assuré, né en 1965, maçon-coffreur, victime d’un accident le 15.02.2017 : alors qu’il était en train de coffrer un mur, il a chuté d’une échelle à 2 mètres de hauteur. L’accident s’est soldé par une fracture ouverte du tibia distal gauche de grade 2, traitée chirurgicalement à plusieurs reprises.

Dès le 01.02.2018, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité entière.

Le 26.05.2021, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle mettrait fin au paiement des soins médicaux et de l’indemnité journalière avec effet au 01.06.2021. Par décision du 24 juin 2021, confirmée sur opposition le 18 octobre 2021, elle a constaté que l’assuré ne remplissait pas les critères établis par l’assurance-invalidité pour ouvrir le droit à des mesures professionnelles et, par conséquent, à une rente d’invalidité transitoire. Elle a également nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, étant donné que la comparaison des revenus de valide et d’invalide ne laissait qu’apparaître une perte économique de 7%. En revanche, elle lui a octroyé une IPAI d’un taux de 15%.

Dans son projet de décision du 08.09.2022, l’office AI a prévu de continuer le versement de la rente d’invalidité, notamment en raison de l’âge de l’assuré (plus de 55 ans) nécessitant au préalable la mise en œuvre de mesures de réadaptation, avant qu’une réduction ou une suppression de la rente d’invalidité soit effectuée.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2021 227 – consultable ici)

Par jugement du 15.09.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.5
En procédure devant le Tribunal fédéral, l’assuré s’en prend également au revenu de valide. En se référant au revenu fixé par l’OAI, il estime que celui-ci serait au moins de 81’444 fr., puisqu’il s’agirait du revenu réalisable en 2016 et que le revenu d’invalide aurait été indexé jusqu’en 2021.

Consid. 3.6
Pour déterminer le revenu de valide de 74’243 fr., l’assurance-accidents s’est fondée sur les informations remises par l’ancien employeur de l’assuré, et en particulier sur le salaire horaire de base pour 2020 (32 fr. 45) qu’elle a multiplié par les heures de travail conventionnelles annuelles (2112) puis par 8,33% pour le 13e salaire. En revanche, s’agissant du revenu d’invalide, l’assurance-accidents l’a indexé pour 2019 (x 0,9%) et 2020 (0,8%) et, pour l’année 2021, elle a tenu compte d’une « estimation trimestrielle de l’indexation actuelle », soit de 0,5%. Dans la mesure où il s’agit toutefois d’une simple estimation provisoire et que l’indexation, à ce moment-là, n’était pas établie au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 144 V 427 consid. 4.3 [ndr : la référence est erronée]), il n’y a pas lieu d’en tenir compte. Cela étant, cette modification n’est pas de nature à changer l’issue du recours, l’incapacité de gain résultant de la comparaison des revenus étant inférieur à 10% (cf. art. 18 al. 1 LAA).

En outre, l’assuré ne démontre pas en quoi le revenu de valide fixé par l’OAI à 81’444 fr. sur la base du revenu en 2016 serait davantage pertinent. On observera dans ce contexte que l’OAI semble avoir considéré à tort que le revenu inscrit au compte AVS individuel de l’assuré en 2016 avait été réalisé sur 9 mois plutôt que sur 10 mois.

 

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme; le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente. Le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur la naissance du droit aux rentes lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité quant à la réadaptation professionnelle intervient plus tard (art. 19 al. 3 LAA).

En se fondant sur cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 30 OLAA  qui, sous le titre « Rente transitoire », prévoit à son alinéa premier que lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité concernant la réadaptation professionnelle n’interviendra que plus tard, une rente sera provisoirement allouée dès la fin du traitement médical; cette rente est calculée sur la base de l’incapacité de gain existant à ce moment-là; le droit s’éteint dès la naissance du droit à une indemnité journalière de l’assurance-invalidité (let. a), avec la décision négative de l’assurance-invalidité concernant la réadaptation professionnelle (let. b) ou avec la fixation de la rente définitive (let. c).

Consid. 4.1.2
Selon la jurisprudence applicable en assurance-invalidité, il existe des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans révolus ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cette jurisprudence, qui est également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5), ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut pas, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, l’office de l’assurance-invalidité doit vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel, même si celui-ci a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste (arrêts 9C_670/2021 du 26 octobre 2022 consid. 4.1; 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 4.1; 9C_276/2020 du 18 décembre 2020 consid. 6 et les arrêts cités).

Consid. 4.2
L’assuré invoque une violation des art. 19 LAA et 16 LPGA en tant que la cour cantonale aurait nié l’application de la jurisprudence précitée en matière d’assurance-accidents. Selon lui, si on imputait aux assurés âgés de plus de 55 ans un revenu exigible alors même qu’ils n’ont pas encore bénéficié des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité, on rendrait les art. 19 al. 3 LAA et 30 OLAA lettres mortes pour cette catégorie d’assurés.

Consid. 4.3.1
L’allocation d’une rente transitoire au sens de l’art. 30 OLAA a pour but d’indemniser l’assuré de sa perte de gain avant l’octroi de mesures de réadaptation professionnelle de l’assurance-invalidité, qui pourraient modifier le degré d’invalidité fondant la rente de l’assurance-accidents. Elle n’entre en considération que si les mesures de réadaptation sont en lien avec une atteinte à la santé d’origine accidentelle (arrêt 8C_892/2015 du 29 avril 2016 consid. 4.1; PHILIPP GEERTSEN, in: Hürzeler/Kieser [édit.], Kommentar zum Schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, 2018, no 30 ad art. 19 LAA; JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in: Meyer [édit.], SBVR, Vol. XIV, Soziale Sicherheit – Sécurité sociale, 3ème éd. 2015, no 260 p. 985). La rente transitoire est fixée, comme la rente ordinaire ou « définitive », en fonction d’une comparaison de revenus. Toutefois, comme l’évaluation intervient avant l’exécution de mesures de réadaptation, seule entre en considération, à ce stade, l’activité qui peut être raisonnablement exigée de la part d’un assuré n’ayant pas encore bénéficié d’une telle mesure, compte tenu d’un marché du travail équilibré. Pour le surplus, la méthode d’évaluation de l’invalidité est identique (ATF 139 V 514 consid. 2.3; GEERTSEN, op. cit., no 37 ad art. 19 LAA; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, no 260 p. 985).

Consid. 4.3.2
Dans le domaine de l’assurance-accidents, l’art. 28 al. 4 OLAA prescrit de prendre en considération, pour évaluer le degré d’invalidité d’un assuré qui n’a pas repris d’activité lucrative après l’accident en raison de son âge, ou dont la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé, les revenus que pourrait réaliser un assuré d’âge moyen dont la santé aurait subi une atteinte de même gravité.

Consid. 4.3.3
En l’espèce, l’OAI envisage l’allocation de mesures de réadaptation professionnelle parce que l’assuré, dont la suppression de la rente de l’assurance-invalidité est envisagée, est âgé de plus de 55 ans. La jurisprudence considère en effet que sauf cas particulier, son âge l’empêche de mettre en valeur sa capacité résiduelle de gain sans mesure de réadaptation professionnelle (cf. consid. 4.1.2 supra). Cette considération n’est toutefois pas pertinente dans le contexte d’une comparaison de revenus pour fixer le droit à la rente de l’assurance-accidents, compte tenu de l’art. 28 al. 4 OLAA, qu’il s’agisse d’une rente transitoire ou d’une rente ordinaire « définitive » (dans ce sens également, arrêt 8C_212/2017 du 1er février 2018 consid. 4.3 et les références). Il s’ensuit que l’assurance-accidents et les juges cantonaux étaient en droit de procéder à une comparaison de revenu en prenant en considération la capacité résiduelle de travail de l’assuré dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, sans égard au fait que des mesures de réadaptation étaient envisagées par l’assurance-invalidité en raison de son âge. Dès lors que le taux d’invalidité résultant de cette comparaison est inférieur à 10%, il n’ouvre droit ni à une rente transitoire, ni à une rente ordinaire « définitive ».

 

Consid. 5.1
L’atteinte à l’intégrité au sens de l’art. 24 al. 1 LAA consiste généralement en un déficit corporel (anatomique ou fonctionnel) mental ou psychique. La gravité de l’atteinte, dont dépend le montant de l’indemnité, se détermine uniquement d’après les constatations médicales. L’évaluation incombe donc avant tout aux médecins qui doivent, d’une part, constater objectivement quelles limitations subit l’assuré et, d’autre part, estimer l’atteinte à l’intégrité en résultant (arrêt 8C_656/2022 du 5 juin 2022 consid. 3.4 et les références citées).

Consid. 5.2
Pour déterminer l’IPAI, les juges cantonaux se sont fondés sur l’appréciation médicale de la médecin-conseil. Dans son rapport du 08.07.2019, cette spécialiste a indiqué que son estimation se basait sur la table 5 des barèmes d’indemnisation pour atteinte à l’intégrité selon la LAA pour une arthrose talo-crurale de la cheville gauche et une mobilité réduite en flexion/extension à 15-0-0°, par analogie à une arthrose tibio-tarsienne de la cheville gauche de degré moyen à grave, soit 15%. Elle a ajouté que cette estimation se fondait sur l’appréciation actuelle et le scanner du 27.05.2019 et qu’elle devra être modifiée en cas d’aggravation.

Consid. 5.3
L’assuré conteste cette appréciation en faisant valoir qu’elle ne tiendrait pas compte de l’aggravation qui serait établie par le fait qu’une arthrodèse serait proposé par les spécialistes. Il estime que le dossier présente des lacunes et que les juges cantonaux auraient substitué leur propre appréciation à celle des médecins.

Consid. 5.4
Si une arthrodèse a été proposée à l’assuré, ce n’est pas parce que l’état de sa cheville gauche s’était aggravé, mais dans un but thérapeutique afin de soulager ses douleurs. Après un examen complet des rapports médicaux pertinents, la cour cantonale a conclu à bon droit qu’une aggravation de l’état du pied gauche n’avait pas pu être objectivée, malgré les nombreux examens qui avaient été effectués à la CRR, notamment un ENMG, un SPECT-CT ainsi que des radiographies du pied et de la cheville gauches. En l’absence d’un avis médical contraire, c’est aussi à juste titre, qu’elle s’est fondée sur l’appréciation de la médecin-conseil pour fixer l’IPAI à 15%, sans qu’il fût nécessaire d’administrer des preuves supplémentaires (cf. ATF 148 V 356 consid. 7.4 sur l’appréciation anticipée des preuves).

 

Consid. 6.2.1
Aux termes de l’art. 64 al. 1 LTF, si une partie ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec, le Tribunal fédéral la dispense, à sa demande, de payer les frais judiciaires et de fournir des sûretés en garantie des dépens. Il attribue un avocat à cette partie si la sauvegarde de ses droits le requiert (art. 64 al. 2 LTF).

Consid. 6.2.2
La condition de l’indigence est réalisée si la personne concernée ne peut assumer les frais du procès sans entamer les moyens nécessaires à son entretien et à celui de sa famille (ATF 128 I 225 consid. 2.5.1; 127 I 202 consid. 3b et les arrêts cités). Pour déterminer l’indigence, il y a lieu de tenir compte de la situation financière du requérant dans son ensemble, soit d’une part de ses charges et, d’autre part, de ses ressources effectives. Il faut également tenir compte de sa fortune, pour autant qu’elle soit disponible (ATF 144 III 531 consid. 4.1; 124 I 1 consid. 1a; 124 I 97 consid. 3a). En cas de mariage, sont pris en considération les ressources et la fortune de la conjointe ou du conjoint (ATF 115 Ia 193 consid. 3a). L’État ne peut toutefois exiger que la partie requérante utilise ses économies, si elles constituent sa « réserve de secours », laquelle s’apprécie en fonction des besoins futurs de l’indigent selon les circonstances concrètes de l’espèce, tel l’état de santé et l’âge de la partie requérante (ATF 144 III 531 consid. 4.1).

Consid. 6.2.3
En l’espèce, il ressort du questionnaire pour l’assistance judiciaire que les dépenses de l’assuré et de sa conjointe dépassent leurs revenus. Cependant, les époux disposent d’une fortune liquide de 206’764 fr., placée sur divers comptes bancaires en Suisse et à l’étranger. L’assuré ne démontre pas qu’il ne pourrait pas disposer librement de ce montant, qui dépasse largement une éventuelle « réserve de secours ». Il dispose ainsi d’une fortune suffisante et disponible pour supporter les frais judiciaires et les honoraires de l’avocat qu’il a mandaté, si bien que la condition de l’indigence n’est pas réalisée. Une des conditions cumulatives de l’octroi de l’assistance judiciaire faisant défaut, la requête d’assistance judiciaire doit être rejetée sans qu’il soit nécessaire d’en examiner les autres.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Remarques personnelles

Le raisonnement du Tribunal fédéral au considérant 3.6, selon lequel une « simple estimation provisoire » ne suffit pas pour l’indexation du revenu sans invalidité à 2021, soulève quelques interrogations.

Premièrement, il convient de noter une possible erreur de référence concernant l’ATF 144 V 427 consid. 4.3 cité. Cette décision traite de l’indemnité en cas d’insolvabilité et de la vraisemblance des créances de salaire, sans comporter de considérant 4.3. Bien que compréhensible, cette imprécision mériterait d’être clarifiée pour assurer une base jurisprudentielle solide.

La position du Tribunal fédéral sur l’insuffisance de l’estimation trimestrielle de l’Office fédéral de la statistique (OFS) pour établir l’indexation au degré de la vraisemblance prépondérante soulève des questions pratiques importantes. Il serait bénéfique que le Tribunal fédéral précise la méthodologie à suivre pour l’indexation des revenus avec et sans invalidité dans de telles circonstances, notamment lorsque les données définitives ne sont pas encore disponibles au moment de la décision.

De jurisprudence constante, la comparaison des revenus s’effectue lorsque toutes les conditions sont réalisées, notamment celles de l’art. 19 al. 1 LAA en assurance-accidents. Dans le cas jugé, l’état de santé a été considéré comme stabilisé en 2021, impliquant que les revenus avec et sans invalidité doivent refléter cette année-là. Cependant, au moment de la décision sur opposition en octobre 2021, l’indexation définitive pour 2021 n’était pas encore disponible, créant ainsi un dilemme pratique pour les organes décisionnels ou pour l’assuré dans le cadre de son recours.

Dans ce contexte, il serait particulièrement utile que le Tribunal fédéral clarifie la méthode à appliquer pour calculer les revenus avec et sans invalidité. Plusieurs options se présentent, chacune avec ses avantages et inconvénients :

  • Utiliser l’indexation définitive jusqu’en 2020 risquerait de ne pas refléter fidèlement, au sens de la vraisemblance prépondérante, la situation économique de 2021.
  • Reprendre le taux d’indexation de 2020 pour 2021 pourrait ne pas tenir compte des évolutions économiques récentes.
  • Utiliser l’estimation provisoire de l’OFS pour 2021, bien qu’imparfaite, pourrait être considérée comme la donnée la plus probante – au sens de la vraisemblance prépondérante – disponible au moment de la décision.

Il est important de rappeler que la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Dans le cas jugé, lors de l’établissement de la décision sur opposition le 18.10.2021, l’estimation provisoire de l’OFS semblait être la meilleure approximation disponible, en l’absence d’autres données plus fiables.

En conclusion, il serait donc appréciable que le Tribunal fédéral apporte des précisions sur les modalités d’indexation à appliquer dans de telles situations, en tenant compte des contraintes pratiques et des données disponibles au moment de la décision. Une telle clarification permettrait non seulement d’assurer une plus grande sécurité juridique, mais aussi de faciliter le travail des organes d’application du droit et des tribunaux inférieurs, tout en garantissant un traitement équitable et cohérent des assurés.

 

Arrêt 8C_85/2023 consultable ici

 

 

8C_475/2024 (f) du 01.10.2024 – Droit à l’assistance gratuite d’un conseil juridique pour la procédure administrative – 37 al. 4 LPGA / Décision pas susceptible de causer à l’assureur social un préjudice irréparable

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_475/2024 (f) du 01.10.2024

 

Consultable ici

 

Droit à l’assistance gratuite d’un conseil juridique pour la procédure administrative en matière d’assurance sociale – Remboursement de l’assitance gratuite / 37 al. 4 LPGA

Décision pas susceptible de causer à l’assureur social un préjudice irréparable / 93 LTF

 

Par décision sur opposition du 12.01.2024, l’assurance-accidents a refusé de prendre en charge les suites d’une agression dont avait été victime l’assuré le 11.10.2022 et a refusé de mettre celui-ci au bénéfice de l’assistance juridique gratuite.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/542/2024 – consultable ici)

Par jugement du 28.06.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, en tant qu’il portait sur la question de l’assistance juridique gratuite, et lui a reconnu le droit à celle-ci pour la procédure administrative à compter du 24.07.2023. Sur le fond, la procédure est toujours pendante devant la juridiction cantonale

 

TF

Consid. 2.2
L’arrêt attaqué, qui porte uniquement sur le droit à l’assistance gratuite d’un conseil juridique pour la procédure administrative en matière d’assurance sociale au sens de l’art. 37 al. 4 LPGA, est une décision incidente au sens de l’art. 93 LTF (cf. ATF 144 V 97 consid. 1; 139 V 600 consid. 2.2). Le recours n’est dès lors recevable que si la décision incidente peut causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF), la seconde hypothèse prévue à l’art. 93 al. 1 let. b LTF n’entrant manifestement pas en considération (ATF 139 V 600 consid. 2.2 et 2.3).

Consid. 3.1
Il appartient à la partie recourante d’alléguer et d’établir la possibilité que la décision incidente lui cause un dommage irréparable, à moins que celui-ci ne fasse d’emblée aucun doute (art. 42 al. 2 LTF; ATF 149 II 170 consid. 1.3; 142 V 26 consid. 1.2 et les références).

Consid. 3.2
En l’espèce, l’assurance-accidents soutient que si les prestations d’assistance juridique sont versées à tort, il sera à craindre que la procédure en restitution de ces prestations se révèle infructueuse, dès lors que l’assuré allègue être sans revenu et qu’il a perçu l’assistance judiciaire en procédure cantonale. Cet argument doit toutefois être écarté dans la mesure où, le cas échéant, l’assurance-accidents pourra réclamer le remboursement de l’assistance juridique non pas au prénommé, mais à sa représentante légale (cf. arrêt 8C_328/2013 du 4 février 2014 consid. 3.2.2, in SVR 2014 IV n° 9 p. 36).

Pour le reste, selon une jurisprudence constante, la décision qui reconnaît le droit d’un assuré à l’assistance gratuite d’un conseil juridique n’est pas susceptible de causer à l’assureur social un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF (cf., parmi d’autres, arrêts 9C_361/2022 du 14 novembre 2022 consid. 1.2; 9C_37/2018 du 21 février 2018; 8C_15/2017 du 16 janvier 2017; 9C_65/2017 du 28 février 2017; 8C_328/2013 consid. 3.2.2 précité).

Il s’ensuit que l’arrêt entrepris ne peut pas faire l’objet d’un recours immédiat devant le Tribunal fédéral. Il pourra en revanche être attaqué, s’il y a lieu, avec la décision finale qu’il précède (arrêt 9C_361/2022 consid. 1.2 précité et les références).

 

Le TF déclare le recours de l’assurance-accidents irrecevable.

 

Arrêt 8C_475/2024 consultable ici

 

Rentes de veuves et de veufs de l’AVS: le Conseil fédéral adopte le message

Rentes de veuves et de veufs de l’AVS: le Conseil fédéral adopte le message

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 23.10.2024 consultable ici / cf. mes commentaires en bas d’article

 

Le Conseil fédéral veut éliminer les différences de traitement entre hommes et femmes en matière de rentes de survivants de l’AVS et adapter le régime à l’évolution de la société. Il a pris acte des résultats de la consultation sur une modification de la loi sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS) et adopté le message au Parlement lors de sa séance du 23 octobre 2024. Le texte proposé prévoit entre autres d’octroyer une rente de parent survivant jusqu’aux 25 ans du plus jeune enfant, indépendamment de l’état civil des parents. Les rentes actuelles des veuves et veufs de 55 ans et plus seront maintenues, tout comme celles des bénéficiaires de prestations complémentaires de 50 ans et plus. Les personnes plus jeunes y auront encore droit pendant deux ans. Ce projet répond également au besoin de financement de l’AVS et au mandat d’assainissement des finances de la Confédération.

Selon la législation actuelle, les veuves ont droit une rente à vie, même si elles n’ont pas d’enfant à charge, tandis que les veufs ne peuvent y prétendre que jusqu’à la majorité du cadet de leurs enfants. La Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a constaté cette inégalité de traitement entre les sexes en 2022. Depuis, la Suisse a mis en place un régime transitoire accordant aux veufs ayant des enfants une rente à vie, en attendant de réformer un système qui repose encore sur une répartition traditionnelle des rôles entre hommes et femmes. Le Conseil fédéral souhaite adapter les rentes de survivants à l’évolution des structures familiales, incluant les familles recomposées et les parents non mariés, avec des prestations indépendantes de l’état civil, centrées sur la présence d’enfants au sein du ménage. En conséquence, il a proposé de modifier la loi sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS). Après avoir pris acte des résultats de la consultation, le Conseil fédéral a adopté le message au Parlement lors de sa séance du 23 octobre 2024.

 

Mesures proposées

Cette révision vise à soutenir de façon ciblée les survivants à la suite d’un décès ou tant qu’ils ont des enfants à charge. Elle tient compte des personnes menacées de précarité par le veuvage ou des situations difficiles liées à l’âge. En dehors de ces périodes délicates, il n’est plus justifié de verser des rentes à vie, sans tenir compte de la situation financière de l’assuré.

Droits pour les personnes qui deviennent veuves ou veufs après l’entrée en vigueur de la réforme

  • Octroi d’une rente de survivant aux parents, jusqu’aux 25 ans de l’enfant, quel que soit leur état civil et leur sexe; prolongation du versement au-delà de 25 ans en cas de prise en charge d’un enfant en situation de handicap donnant droit aux bonifications pour tâches d’assistance de l’AVS;
  • Octroi d’une rente de veuvage transitoire de deux ans pour les personnes n’ayant plus d’enfants à charge. Cela concerne les couples mariés, ainsi que les personnes divorcées qui recevaient une contribution d’entretien du défunt.
  • Prise en charge dans le régime des prestations complémentaires des veuves et des veufs âgés de 58 ans et plus au moment du décès et n’ayant plus d’enfants à charge, si le décès mène à la précarité;
  • Dans l’assurance-accidents: octroi d’une rente également aux veufs lorsque, au décès de leur conjointe, ils ont des enfants qui n’ont plus droit à une rente ou s’ils ont accompli leur 45e année, comme c’est actuellement le cas pour les veuves.

Droit des personnes qui perçoivent déjà une rente de veuve ou de veuf avant la réforme

  • Maintien des rentes de veuve et de veuf en cours pour les personnes âgées de 55 ans et plus au moment de l’entrée en vigueur; suppression des rentes pour les personnes plus jeunes que 55 ans dans un délai de deux ans après l’entrée en vigueur de la modification, à moins qu’elles aient encore des enfants à charge (disposition transitoire);
  • Maintien des rentes de veuve et de veuf pour les bénéficiaires de prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (PC) âgés de 50 ans et plus au moment de l’entrée en vigueur (disposition transitoire).

Cette réforme ne touche pas au droit à la rente de veuve et de veuf de la prévoyance professionnelle car il n’existe pas de différence de traitement entre hommes et femmes. La rente de la prévoyance professionnelle est en principe versée jusqu’au décès ou au remariage du conjoint survivant. De nombreuses institutions de prévoyance prévoient déjà aujourd’hui des prestations de survivants pour les personnes qui subviennent à l’entretien d’un enfant commun. Ces prestations réglementaires permettent, dès lors, de tenir compte des modes de vie actuels.

La réforme tient également compte des besoins de financement de l’AVS et des finances de la Confédération. Si elle entre en vigueur en 2026, elle permettra à l’horizon 2030 une diminution des dépenses de l’AVS d’environ 350 millions de francs, dont 70 millions d’économie pour la Confédération. Ces chiffres tiennent compte des perspectives financières actualisées le 16 septembre 2024 par l’OFAS et du financement de la 13e rente AVS.

 

Commentaires personnels

Bien que la réforme des rentes de survivants vise à instaurer l’égalité entre hommes et femmes, elle suscite des critiques quant à son impact potentiel sur les veuves. Historiquement, ces dernières sont plus nombreuses à dépendre des rentes de survivants, notamment celles qui ont sacrifié leur carrière pour élever leurs enfants ou s’occuper du foyer. Les veuves âgées rencontrent souvent des difficultés pour réintégrer le marché du travail en raison du vieillissement, du manque de formation continue ou de l’obsolescence de leurs compétences. Les emplois disponibles pour celles ayant un parcours professionnel discontinu sont souvent précaires ou mal rémunérés, augmentant ainsi leur risque de pauvreté. La suppression des rentes à vie sans compensation adéquate pourrait aggraver cette situation.

Les experts soulignent que bien que la réforme cherche à établir une égalité formelle entre les sexes, elle ne prend pas suffisamment en compte les inégalités structurelles persistantes telles que les différences de salaires, de temps de travail et de carrières interrompues. Traiter hommes et femmes sur un pied d’égalité sans ajustements spécifiques pourrait perpétuer les désavantages subis par les femmes. Cette approche pourrait donc être perçue comme injuste, car elle ignore les besoins spécifiques des femmes.

Une solution pourrait être l’introduction d’une rente dégressive, où la rente serait progressivement réduite à partir de 55 ans jusqu’à son extinction à 65 ans, âge de la retraite ordinaire. Cela permettrait aux personnes concernées de mieux s’adapter financièrement.

Une autre option pourrait être de combiner la suppression progressive des rentes à vie avec une amélioration des mesures de réinsertion professionnelle. Le système pourrait inclure des programmes de formation spécifiques pour les veuves et veufs afin de faciliter leur retour sur le marché du travail. En particulier, des programmes de reconversion pour les personnes ayant interrompu leur carrière pendant une longue période pourraient être mis en place.

En conclusion, bien que la réforme vise à instaurer une égalité entre hommes et femmes dans l’octroi des rentes de survivants, elle pourrait avoir un impact négatif disproportionné sur les femmes, en particulier celles qui ont été économiquement dépendantes de leur conjoint. Le fait de ne pas tenir compte de cette dépendance et de la difficulté pour certaines femmes de réintégrer le marché du travail à un âge avancé pourrait accentuer les inégalités existantes, plutôt que de les réduire.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 23.10.2024 consultable ici

Message du Conseil fédéral et perspectives financières de l’AVS disponibles ici

Rapport de consultation du 23.10.2024, Résumé des résultats de la consultation, disponible ici

Message du Conseil fédéral du 23.10.2024 relative à la modification de la LAVS « Adaptation des rentes de survivants », paru in FF 2024 2768 

Modification de la LAVS « Adaptation des rentes de survivants », paru in FF 2024 2769 

 

8C_799/2023 (f) du 03.09.2024 – Stabilisation de l’état de santé / Estimation de l’IPAI – Valeur probante de l’appréciation médicale du médecin-conseil

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_799/2023 (f) du 03.09.2024

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Estimation de l’IPAI – Valeur probante de l’appréciation médicale du médecin-conseil / 24 LAA – 25 LAA

 

Le 19.07.2017, assuré, né en 1972, a été victime d’un accident dans un parc d’attractions. Alors qu’il était assis sur un rocher, il a été projeté en l’air par un jet d’eau et a chuté de quelques mètres sur le sol. La chute lui a causé des fractures lombaires (en L1, L2 et L4).

L’assurance-accidents a pris en charge les frais médicaux et a versé l’indemnité journalière jusqu’au 30.06.2020, considérant qu’à partir de cette date, la poursuite du traitement médical ne pourrait pas apporter d’amélioration significative à l’état de santé consécutif à l’accident. Par décision du 19.06.2020, elle a refusé de lui allouer une rente d’invalidité, en raison d’un taux d’invalidité de 2%, soit insuffisant pour ouvrir le droit à une telle prestation. En revanche, elle lui a reconnu le droit à une IPAI de 15%. Saisie d’une opposition, elle l’a rejetée, tout en modifiant légèrement le calcul du taux d’invalidité; elle indiquait en outre que le droit de l’assuré à des prestations en lien avec une rechute serait examiné séparément (décision sur opposition du 26.11.2021).

 

Procédure cantonale (arrêt AA 8/22 et 41/22 – 116/2023 – consultable ici)

Par jugement du 02.11.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.3.1
En ce qui concerne d’abord la question de la stabilisation de l’état de santé, il sied de rappeler que le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme; le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (art. 19 al. 1 LAA). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Il ne suffit pas qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_682/2023 et 8C_695/2023 du 24 avril 2024 consid. 3.1.1 et les références).

Consid. 3.3.2
En l’espèce, les juges cantonaux ont confirmé que l’état de santé de l’assuré était stabilisé en mai 2020 (et qu’il était en mesure de travailler à un taux de 100% dans une activité adaptée), en se fondant sur l’appréciation du Dr E.__, médecin-conseil, du 25.05.2020, confirmée par le Dr C.__, médecin-conseil, le 05.05.2021. Ils ont relevé que les médecins consultés n’avaient pas d’autre traitement médical à proposer en dehors de l’ablation du matériel d’ostéosynthèse (toutefois refusée par l’assuré), d’un traitement conservateur et de la physiothérapie, ce qui ne constituait pas des traitements susceptibles d’améliorer notablement l’état de santé de celui-ci (référence faite à l’arrêt U 551/06 du 14 décembre 2017 consid. 7.3). Ainsi, faute d’amélioration possible, le cas de l’assuré devait être considéré comme stabilisé au printemps 2020. Les médecins de la Clinique F.__ avaient d’ailleurs évoqué une stabilisation médicale dans un délai de deux à trois mois après le séjour de l’assuré du 15.01.2020 au 11.02.2020. La stabilisation avait en outre été reconnue par l’assuré lui-même lors d’une consultation de l’appareil locomoteur du 05.05.2020 et par la voix de son avocat dans son opposition du 24.08.2020.

Consid. 3.3.4
En faisant valoir que les médecins dont il invoque les rapports ne constateraient pas clairement la stabilisation de son état de santé en mai 2020, l’assuré ne démontre pas, ni même ne prétend, que l’on pouvait encore attendre de la continuation d’un traitement médical une sensible amélioration de son état de santé au sens de l’art. 19 al. 1 LAA. En l’occurrence, dans aucun des rapports cités par lui, il n’appert qu’un traitement médical était encore envisagé au moment où l’assurance-accidents a mis fin aux prestations temporaires. D’ailleurs, dans son rapport relatif à la consultation du 05.05.2020, le Dr G.__ (chef de clinique à la Clinique F.__) ne préconise même plus la continuité de la physiothérapie. Enfin, contrairement à ce que fait valoir l’assuré, dans son rapport du 06.10.2021, le Dr D.__, médecin praticien, ne soutient pas que seule une expertise permettrait de savoir si l’état de santé était stabilisé ou non au moment déterminant. Il se limite à indiquer qu’une expertise serait certainement nécessaire pour examiner si la péjoration de l’équilibre sagittale intervient ou non sur une structure déjà atteinte non touchée par le traumatisme, question qui tout au plus relève de la procédure ouverte à l’annonce de la rechute en automne 2020.

 

Consid. 3.5.1
Pour ce qui est de l’IPAI, la cour cantonale a confirmé le taux de 15% retenu par l’assurance-accidents sur la base des conclusions du Dr E.__, médecin-conseil, du 18.05.2020, lequel s’est référé à la table 7 du barème d’indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA dans les affections de la colonne vertébrale (fourchette basse de la catégorie de douleurs ++). Elle a relevé que ce taux avait été confirmé par le Dr C.__, médecin-conseil, dans son évaluation du 05.05.2021. L’assuré ne pouvait opposer à cette appréciation les conclusions du Dr D.__ du 25.11.2020 estimant le taux de l’atteinte à 30%, dès lors que ce médecin additionnait deux facteurs qui ne pouvaient pas être cumulés et que ses conclusions concernaient la période postérieure à la rechute. Ainsi, il convenait de suivre l’avis du premier médecin-conseil qui n’était remis en doute par aucun autre avis médical circonstancié et objectivé.

 

Consid. 3.5.3
En l’occurrence, les conclusions relatives à l’IPAI du 18.05.2020 du Dr E.__ – qui a examiné personnellement l’assuré en octobre 2019 – font partie de son appréciation globale du 25.05.2020, laquelle tient compte des pièces jusqu’au 11.05.2020 et non jusqu’en février comme le soutient l’assuré. Son avis n’est pas dépourvu de motivation dès lors que le médecin indique la table sur laquelle il s’est fondé et, à l’intérieur de celle-ci, l’atteinte retenue (degré et échelle d’appréciation des douleurs), en précisant que le taux tient compte d’un état préexistant et de l’évolution à moyen terme. A cet égard, les critiques de l’assuré sur le descriptif lacunaire de l’accident (absence de mention d’un atterrissage sur sol rocailleux) sont dépourvues de pertinence, l’IPAI ne s’examinant pas au regard du déroulement d’un accident mais à l’aune des lésions subies. Quant aux rapports médicaux qu’il invoque, ils ne contiennent aucune estimation de l’atteinte à l’intégrité. Enfin, comme l’ont relevé les juges cantonaux, l’appréciation du Dr D.__ du 25.11.2020 (soit après l’annonce de la rechute) relève d’un cumul erroné entre un taux de 15% pour des fractures de catégorie 10-20° et un taux de 15% pour une spondylodèse. Or, selon la table 7 appliquée par ce médecin, les taux décrits sous fractures cervicales, dorsales ou lombaires comprennent précisément les cas de spondylodèse, cyphose ou scoliose. C’est bien ce qu’explique le Dr C.__ dans son rapport relatif à l’examen du 05.05.2021, qui ne contredit pas expressément l’appréciation du Dr E.__ mais tient compte de l’état de santé au jour de l’examen (et donc postérieur à l’annonce de la rechute). En conclusion, l’assuré échoue à mettre en doute le taux de 15% retenu par les juges cantonaux, sur la base des conclusions du Dr E.__ du 18.05.2020.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_799/2023 consultable ici

 

8C_782/2023 (f) du 06.06.2024 – Fin du droit aux indemnités journalières – Stabilisation de l’état de santé / Vraisemblance du revenu sans invalidité / Revenu d’invalide – Pas d’abattement pour permis B / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_782/2023 (f) du 06.06.2024

 

Consultable ici

 

Fin du droit aux indemnités journalières – Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Vraisemblance du revenu sans invalidité / 16 LPGA

Revenu d’invalide – Pas d’abattement pour permis B / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1987, gérant de l’entreprise B.__ Sàrl (ci-après: la société), qu’il avait fondée et qui avait été inscrite au registre du commerce le 07.02.2017. Le 17.10.2018, il a été victime d’un accident sur l’autoroute, en Italie, alors qu’il était passager d’un véhicule.

Par décision du 10.02.2022, confirmée sur opposition le 24.05.2022, l’assurance-accidents lui a octroyé une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 20% mais lui a dénié le droit à une rente d’invalidité, motif pris que le taux d’invalidité de 9% n’ouvrait pas le droit à une telle prestation.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 73/22 – 110/2023 – consultable ici)

Par jugement du 12.10.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Il ne suffit pas qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_682/2023 du 24 avril 2024 consid. 3.1.1 et les références).

Consid. 3.2.2 [résumé]
L’assuré soutient principalement que l’opération chirurgicale recommandée n’était pas exigible. Cependant, il ne démontre pas qu’un autre traitement médical aurait pu améliorer sensiblement son état de santé. Il ne conteste pas non plus la stabilisation de son état au 01.11.2022, conformément à l’art. 19 al. 1 LAA. Au contraire, il cite un rapport de la médecin-conseil, du 12.07.2021, selon lequel aucun traitement chirurgical ni médical ne pourrait améliorer de manière notable son état de santé. Par ailleurs, si l’on considérait que l’intervention chirurgicale était exigible et susceptible d’améliorer sensiblement l’état de santé de l’assuré, celui-ci ne pourrait s’en prévaloir – tout en refusant de s’y soumettre – dans le but de maintenir son droit aux indemnités journalières.

L’assuré évoque des contradictions entre les rapports médicaux pour justifier une expertise, mais son argument n’est pas fondé. Bien que la médecin-conseil ait noté le refus de l’assuré des propositions chirurgicales et l’absence de changement de l’angle de cyphotisation, cela n’est pas contradictoire avec l’avis du chirurgien traitant qui avait évoqué une possible intervention tout en reconnaissant qu’elle n’était pas exigible d’un point de vue assécurologique.

En conclusion, le grief de l’assuré est rejeté et la date de stabilisation de son état de santé est maintenue.

 

Consid. 4.2.1
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 139 V 176 consid. 5.3).

Consid. 4.2.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont constaté que deux mois après l’accident, la société avait informé l’assurance-accidents d’une augmentation rétroactive du salaire de l’assuré (son gérant) à CHF 6’900 par mois à partir du 01.08.2018, soit environ deux mois avant l’accident. Un avenant au contrat de travail non daté, signé par l’assuré en tant qu’employeur et employé, a été produit. Cependant, la déclaration de sinistre du 19.10.2018 mentionnait un salaire mensuel de CHF 5’000, jugé plus conforme au revenu effectif de l’assuré avant l’accident, considérant le certificat de salaire de CHF 50’187net pour 2017. Les juges ont rappelé l’art. 15 al. 2 LAA, prévoyant que le salaire déterminant pour le calcul des rentes est celui gagné durant l’année précédant l’accident. Ils ont validé la décision de la l’assurance-accidents de prendre en compte un salaire annuel de CHF 68’536 (CHF 5’272 x 13) comme revenu de valide, correspondant au salaire de la Convention nationale du gros œuvre pour 2021 mentionné dans le contrat de travail de l’assuré.

Consid. 4.3
Les considérations des juges cantonaux sont convaincantes et il convient de s’y rallier; un salaire mensuel de CHF 6’900 n’apparaît pas comme le montant le plus vraisemblable au regard des éléments mis en évidence par eux. Les explications de l’assuré sont soit incomplètes, soit confuses. En effet, s’il avait perçu en 2017 un salaire uniquement à partir de juillet, cela reviendrait à retenir un revenu moyen mensuel de plus de CHF 8’000 au vu du certificat de salaire 2017 mentionnant un revenu annuel net de CHF 50’187, ce qui se heurte au contenu du contrat de travail et à la prétendue augmentation de salaire (à CHF 6’900) dès le mois d’août 2018. Quant aux fiches de salaire, elles mentionnent un versement en espèces, sans que le dossier fasse état de quittance de paiement. Ces éléments sont autant de motifs qui ne plaident pas en faveur de l’assuré. Partant, les juges cantonaux étaient fondés à confirmer le choix de l’assurance-accidents de se référer aux salaires conventionnels, vu les allégations contestables de l’assuré et la faible force probante que l’on peut accorder aux pièces produites par lui.

 

Consid. 5.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 419 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Consid. 5.3
En l’occurrence, la cour cantonale a confirmé le taux d’abattement appliqué par l’assurance-accidents sur le revenu statistique « compte tenu de la situation de l’assuré ». Toutefois, à la lecture de l’arrêt attaqué, il n’est pas possible de saisir quel (s) facteur (s) de réduction entrent en considération pour eux. Quoi qu’il en soit, l’argumentation de l’assuré, en tant qu’il requiert une déduction de 25% liée au handicap, doit être rejetée.

Celui-ci ne conteste pas sa capacité totale de travail, sans diminution de rendement, dans une activité adaptée, ni les limitations fonctionnelles retenues, excluant les activités avec port de charges très légères (inférieures à 5 kg), les activités nécessitant une position statique (assis ou debout; alternance des positions nécessaire), la marche répétée ou prolongée et la position en porte-à-faux du rachis. Cela étant, compte tenu du large éventail d’activités légères offert dans le marché du travail, un certain nombre d’entre elles sont adaptées à de telles limitations et accessibles sans aucune formation particulière. L’on peut penser à des activités simples et répétitives dans le domaine industriel léger (par exemple montage, contrôle ou surveillance d’un processus de production; ouvrier à l’établi dans des activités simples et légères, etc.). Par conséquent et vu qu’une diminution de rendement n’a pas été retenue, un taux de 10% en raison du handicap peut être confirmé. Quant aux autres facteurs de réduction, ils n’entrent pas en considération (le permis B n’étant pas susceptible de réduire les perspectives salariales de l’assuré au regard de la nature des activités encore exigibles).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_782/2023 consultable ici

 

8C_121/2024 (f) du 06.08.2024 – Revenu sans invalidité d’un gérant d’une Sàrl – 16 LPGA / Fluctuations de revenus – Détermination du revenu sans invalidité – Moyenne du relevé des comptes individuels (CI)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_121/2024 (f) du 06.08.2024

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité d’un gérant d’une Sàrl / 16 LPGA

Fluctuations de revenus – Détermination du revenu sans invalidité – Moyenne du relevé des comptes individuels (CI)

 

Assuré, né en 1969, a travaillé en qualité de peintre, formellement employé par sa propre société à responsabilité limitée B.__, dont il est l’associé gérant unique depuis 2009. Le 08.03.2014, alors qu’il se trouvait sur un chantier, l’assuré a été agressé par un carreleur qui lui a assené un coup de poing à l’œil droit. Il a subi une fracture des os propres du nez qui a conduit à une intervention chirurgicale. Par la suite, l’assuré a présenté une atteinte à ses fonctions olfactive, visuelle et gustative.

L’assurance-accidents a initialement refusé de prester pour les troubles olfactifs et cognitifs de l’assuré au-delà du 24.07.2015. Après plusieurs recours et décisions, l’assurance a finalement admis un lien de causalité entre l’accident et les troubles olfactifs, mais a nié ce lien pour d’autres lésions. Elle a reconnu une capacité de travail totale dès le 01.08.2015. Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours de l’assuré et a renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour déterminer si les troubles olfactifs impactaient concrètement la capacité de gain de l’assuré au-delà du 31.07.2015 (8C_580/2021 du 20.04.2022).

En juillet 2022, l’assurance-accidents s’est procuré l’extrait de compte individuel de l’assuré affichant ses revenus soumis à cotisation et a analysé la comptabilité de sa société. Dans une note du 12.08.2022, elle a retenu que l’assuré avait un statut d’indépendant. Au vu des fortes fluctuations des salaires déclarés, le revenu sans invalidité devait être calculé sur une moyenne. Elle l’a fixé à CHF 60’387, ce qui correspondait à la moyenne des revenus de 2010 à 2013, chacun indexé à 2015. Le revenu d’invalide, fixé à CHF 66’652.40, était basé sur l’ESS) 2014 (TA1_tirage_skill_level, hommes, niveau 1). Aucun abattement n’était justifié. La comparaison des revenus ne révélait aucune perte de gain.

Par décision du 15.08.2022, l’assurance-accidents a repris son calcul d’invalidité et exclu le droit à une rente d’invalidité. Par décision sur opposition du 27.04.2023, l’assurance-accidents a rejeté l’opposition, mais admis un abattement de 5% sur la base de la nationalité et de l’autorisation de séjour de l’assuré. Le revenu d’invalide devait ainsi être fixé à CHF 63’319.49. La comparaison des revenus ne montrait pas de perte de gain.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/22/2024 – consultable ici)

Par jugement du 27.08.2015, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
L’arrêt attaqué expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs à l’évaluation de l’invalidité. Il présente notamment la jurisprudence selon laquelle le revenu sans invalidité s’évalue le plus concrètement possible, soit généralement d’après le dernier salaire perçu avant la survenance de l’atteinte à la santé. Il est toutefois possible de s’en écarter lorsqu’on ne peut le déterminer sûrement, notamment lorsqu’il est soumis à des fluctuations importantes; il faut alors procéder à une moyenne des gains réalisés sur une période relativement longue (arrêts 9C_651/2019 du 18 février 2020 consid. 6.2 et 9C_428/2009 du 13 octobre 2009 consid. 3.2.1; cf. ég. arrêt 8C_157/2023 du 10 août 2023 consid. 3.2 et les références). On peut ainsi y renvoyer.

Consid. 3.2
Il ressort de l’arrêt cantonal que l’extrait de compte individuel de l’assuré affichait des revenus soumis à cotisation de CHF 20’499 en 2006, CHF 38’730 en 2007, CHF 22’115 en 2008, CHF 55’746 en 2009, CHF 55’471 en 2010, CHF 55’471 en 2011, CHF 53’692 en 2012 et CHF 74’136 en 2013. Sur cette base, les juges cantonaux ont considéré que les revenus de l’assuré avaient subi des fluctuations importantes et qu’en se fondant sur les salaires soumis à cotisation sur une période de quatre ans, l’assurance-accidents avait établi le revenu sans invalidité de façon conforme aux principes dégagés par la jurisprudence. Le choix d’une telle période courant dès 2010 plutôt qu’une période plus longue était favorable à l’assuré dès lors que les salaires soumis à cotisation durant les années précédentes étaient largement inférieurs, hormis en 2009.

Consid. 3.3
L’appréciation de la cour cantonale ne prête pas flanc à la critique. En effet, les revenus perçus par l’assuré en 2013 dépassent de plus de 35% ceux qu’il a touchés depuis qu’il est l’associé unique de son entreprise, alors que ses revenus entre 2009 et 2012 ont varié de quelques centaines de francs. Sans préjuger des perspectives futures de l’assuré et de son entreprise, les gains de l’assuré en 2013 présentent une fluctuation importante par rapport aux années précédentes et ne permettent pas de déterminer avec certitude son revenu sans invalidité. La cour cantonale n’a ainsi pas violé le droit fédéral en considérant que l’assurance-accidents pouvait se fonder sur une moyenne des revenus pour déterminer le revenu sans invalidité. Comme elle l’a relevé, la période de quatre ans retenue à cet effet est par ailleurs favorable à l’assuré. Mal fondée, l’argumentation de l’assuré doit être écartée.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_121/2024 consultable ici

 

Atteinte à l’intégrité en cas de lésion oculaire – Révision de la table 11

Atteinte à l’intégrité en cas de lésion oculaire – Révision de la table 11

 

Article de Dominik Gerber Hostettler/Karen Jäger, in Suva Medical du 30.09.2024 consultable ici

 

Vingt-six ans après sa dernière révision, le tableau IpAI 11 de la Suva, relatif aux lésions oculaires consécutives à un accident, a fait l’objet d’une nouvelle révision afin de tenir compte des progrès de la médecine. Les erreurs mathématiques ont été corrigées, les données concernant la restriction du champ visuel et la diplopie ont été intégrées dans un document, et la lisibilité a été simplifiée.

Situation initiale

La loi fédérale sur l’assurance-accidents de 1984 a introduit le versement d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité en cas de lésions corporelles importantes et persistantes. Dans l’ordonnance d’exécution de cette loi, le Conseil fédéral a défini des valeurs pour certains tableaux cliniques. Sur cette base, la Suva a développé différents tableaux afin d’uniformiser les évaluations correspondantes. Le tableau 11, révisé pour la dernière fois en 1998, concerne les lésions oculaires consécutives à un accident.

Cependant, certaines sections de ce tableau sont désormais obsolètes dans la pratique. Certaines ne semblent plus réalistes d’un point de vue médical, en tenant compte des progrès thérapeutiques et des avancées de la médecine.

De plus, une section comporte des erreurs mathématiques (tableau «Lésions oculaires combinées», dernière page du tableau 11 révisé en 1998), où des atteintes plus graves à la santé se traduisent parfois par une atteinte à l’intégrité plus faible.

En outre, les informations relatives à l’évaluation des atteintes à l’intégrité en cas de diplopie et de restrictions du champ visuel sont présentées de manière très sommaire. En interne, la Suva évaluait ces atteintes sur la base d’une publication élaborée en 1994 (Guide sur les lésions oculaires 1994, ABAS94, publication Suva 2293/5). Cette publication n’a pas été numérisée, ce qui la rendait quasiment inaccessible au grand public et aux experts.

Pour toutes ces raisons, il a été décidé de réviser le tableau 11. Cette révision vise à intégrer les progrès médicaux significatifs réalisés au cours des 25 dernières années, à corriger les erreurs mathématiques et à regrouper dans un seul document les informations concernant les restrictions du champ visuel et la diplopie.

Un autre objectif est de simplifier la lisibilité pour les utilisateurs et utilisatrices moins expérimentés.

Dans l’ensemble, il ne s’agit pas d’une révision complète, car l’évaluation des atteintes ophtalmologiques reste globalement inchangée, avec peu de modifications concernant les atteintes à l’intégrité correspondantes.

 

Réflexions et commentaires relatifs à la révision

Structure du tableau 11

En guise d’introduction, les remarques générales rappellent brièvement les bases juridiques, tandis que les autres sections fournissent des valeurs indicatives pour les atteintes à l’intégrité consécutives à différentes lésions ophtalmologiques, avec, le cas échéant, une brève justification.

 

Révision des paragraphes individuels

Introduction, remarques générales
Cette section présente brièvement les bases légales, à savoir la LAA et l’OLAA, pour l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité, ainsi que certaines réflexions fondamentales.

La remarque relative aux tableaux de Rintelen, encore présente dans la révision de 1998, a été supprimée. Bien que ces tableaux de 1954 soient intéressants d’un point de vue historique, ils ne sont plus connus ni utilisés dans la pratique actuelle. Les principales réflexions qu’ils contiennent restent valables et ont été intégrées aux connaissances de base en ophtalmologie moderne. Il en va de même pour le Vademecum de la Société Suisse d’Ophtalmologie, qui n’a pas été mis à jour depuis plusieurs décennies et n’est plus disponible.

Il en est de même pour la remarque relative aux lésions préexistantes non assurées. Ces considérations restent valables dans une approche pluridisciplinaire des réflexions générales sur l’atteinte à l’intégrité. La remarque sur les risques de lésions ultérieures est également obsolète. En effet, selon l’art. 36 OLAA, il convient de tenir équitablement compte des aggravations prévisibles.

  1. Diminution unilatérale de la vision

L’indication de la vision de loin est reprise telle quelle de la révision de 1998, bien que la vision ne soit désormais plus exprimée en valeurs décimales (1,0 ; 0,9 ; 0,8 ; 0,7 ; … 0,1 ; 0), mais en échelle logarithmique (1,0 ; 0,8 ; 0,63 ; 0,5 ; … 0,16 ; 0,1 ; 0,08 ; 0,05 ; 0,0). Toutefois, dans la pratique clinique, les indications en échelle décimale sont encore couramment utilisées, et elles sont donc conservées pour l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité. En plus du fait que des valeurs d’atteinte à l’intégrité étaient déjà attribuées dans la révision de 1998 pour des niveaux de vision plus faibles, cette reprise permet d’assurer l’égalité de traitement de tous les cas dans la révision actuelle.

L’objectif est de remédier à une incertitude fréquente dans l’estimation de l’atteinte à l’intégrité. Désormais, on accorde davantage d’importance au potentiel visuel, c’est-à-dire à la vision de loin probablement atteignable avec une correction optimale et après la clôture définitive du cas (voir également les paragraphes «Aphakie» et «Anisométropies»). Il n’est pas rare, dans la médecine des assurances, qu’une nouvelle intervention soit réalisée des années après la clôture du cas et l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité, permettant ainsi de mieux exploiter le potentiel visuel. Par exemple, une cicatrice cornéenne, dont le traitement chirurgical avait été refusé au moment de la clôture (par les médecins traitants ou la personne assurée, par exemple en raison d’un risque jugé trop élevé), peut être opérée ultérieurement si une amélioration des techniques chirurgicales rend l’intervention plus facile, plus sûre et plus fiable. Dans un tel cas, l’atteinte à l’intégrité pourrait alors avoir été nettement surévaluée.

  1. Pseudophakie, aphakie

De nos jours, l’aphakie consécutive à un accident est rarement un état permanent. Dans la grande majorité des cas, la lentille intraoculaire manquante peut être remplacée ultérieurement par une lentille artificielle (implantation de lentille secondaire), parfois plusieurs années après. Il n’est donc plus justifié d’évaluer l’atteinte à l’intégrité séparément pour l’aphakie. Si la clôture administrative du cas est souhaitée, il convient plutôt de présumer une future pseudophakie (implantation d’une lentille artificielle après l’ablation du cristallin) pour estimer l’atteinte à l’intégrité. Si une implantation secondaire n’est pas pertinente ou possible médicalement, notamment en cas d’autres atteintes affectant la vision, l’atteinte à l’intégrité doit être évaluée selon le paragraphe 2 (Diminution unilatérale de la vision) ou le paragraphe 9 (Lésions oculaires combinées). Il est bien entendu possible de déroger à cette prescription avec une argumentation d’expert appropriée, c’est-à-dire en justifiant une autre évaluation de l’atteinte à l’intégrité.

  1. Anisométropies

À partir d’un certain degré, les anisométropies (importantes différences de réfraction entre les deux yeux) ne peuvent plus être corrigées par des lunettes, en principe lorsque la différence dépasse 3,0 dioptries entre les deux yeux. Dans ce cas, le traitement doit être réalisé avec des lentilles de contact ou par une intervention réfractive. Ainsi, l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité doit prendre en compte la vision pouvant être obtenue après une correction optimale, conformément au paragraphe 2. Cette prescription peut également être contournée sur la base d’une argumentation d’expert appropriée.

  1. Dommages esthétiques

Les problèmes répartis sur différents paragraphes dans la révision de 1998 ont été regroupés en une seule section. Seuls les cas dûment justifiés donnent lieu à l’estimation d’une atteinte à l’intégrité supplémentaire de plus de 5%. Pour la perte de la vision d’un œil, le législateur fixe une atteinte à l’intégrité de 30% comme atteinte maximale. Par exemple, la fourniture d’une prothèse oculaire doit être évaluée avec une atteinte à l’intégrité de 35% (cela correspond à une cécité unilatérale totale associée à une altération esthétique, atteinte à l’intégrité 30 + 5 = 35%).

  1. Diplopie

La diplopie n’a été prise en compte que de manière sommaire dans la révision de 1998. Afin de préciser l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité, la pratique interne de la Suva s’est référée à la publication 2293/5 de la Suva, le Guide sur les lésions oculaires 1994 (ABAS94), et a procédé à l’estimation de l’atteinte à l’intégrité conformément au chiffre 931. La publication ABAS94 n’a pas été mise à jour et n’a pas de version numérique. C’est pourquoi cette publication n’est plus accessible pour la plupart des utilisateurs et utilisatrices externes de la Suva. L’intégration du graphique correspondant dans le tableau 11 est donc logique.

  1. Restrictions du champ visuel

À l’instar de l’évaluation de la diplopie, l’évaluation des restrictions du champ visuel était également réalisée en interne par la Suva à l’aide du Guide ABAS94. Les valeurs ont été précisées et intégrées dans le tableau 11.

  1. Lésions oculaires combinées

Le tableau «Lésions oculaires combinées» de la révision de 1998 comportait des erreurs et a fait l’objet d’un nouveau calcul ainsi que d’un contrôle par l’actuaire interne de la Suva.

 

Résumé

Les auteurs de la révision de 2024 du tableau 11 ont visé à établir une publication indépendante permettant d’évaluer de manière cohérente les atteintes à l’intégrité sur la base des troubles de la santé ophtalmologiques consécutifs à un accident. Il s’agit d’une part de fournir suffisamment de points de repère, et d’autre part de laisser une marge de manœuvre suffisante aux différentes évaluations d’experts. Les écarts par rapport aux valeurs d’atteinte à l’intégrité dans le tableau 11 peuvent être justifiés par une argumentation d’expert.

La publication ABAS94, utilisée jusqu’à présent en interne à la Suva et quasiment inaccessible aux experts externes, a été intégrée au tableau 11.

On s’est en outre efforcé de mieux tenir compte des progrès de la médecine ophtalmologique. Cela concerne en particulier la meilleure vision atteignable, l’aphakie et l’anisométropie.

Enfin, la révision de 2024 doit fournir une application compréhensible également pour les utilisateurs les moins expérimentés.

 

Article de Dominik Gerber Hostettler/Karen Jäger, in Suva Medical du 30.09.2024 consultable ici

Nouvelle table 11 consultable ici

 

Dominik Gerber Hostettler/Karen Jäger, Integritätsschaden unfallbedingter Augenschäden: Revision Tabelle 11, Suva Medical 30.09.2024, hier abrufbar

 

NB : Notre page «Tables des indemnisations des atteintes à l’intégrité selon la LAA» a été mise à jour.

 

Les personnes accidentées avant l’âge d’être assurées seront mieux protégées en cas de rechute

Les personnes accidentées avant l’âge d’être assurées seront mieux protégées en cas de rechute

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 27.09.2024 consultable ici

 

Le Conseil fédéral veut mieux protéger les personnes accidentées avant l’âge d’être assurées. Lors de sa séance du 27 septembre 2024, il a adopté le message relatif à la révision de la loi sur l’assurance-accidents pour mettre en œuvre la motion 11.3811 Darbellay « Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents ». Cette modification garantit le versement des indemnités journalières par l’assurance-accidents (LAA) dans les cas où l’incapacité de travail est due à une rechute ou aux séquelles tardives d’un accident survenu lorsque l’assuré était plus jeune et donc pas encore assuré à l’assurance-accidents.

Si une personne qui n’exerce pas encore d’activité professionnelle est victime d’un accident, les frais médicaux sont pris en charge par sa caisse-maladie. Plus tard, si elle souffre d’une rechute ou de séquelles liées à cet accident de jeunesse alors qu’elle a intégré le monde du travail, cette personne ne bénéficie pas d’indemnités journalières de la LAA, l’accident initial n’ayant pas été assuré. Cette personne doit donc se tourner vers sa caisse-maladie, qui prend en charge les frais médicaux aux conditions de la loi sur l’assurance-maladie (LAMal). La perte de gain est quant à elle assurée par l’employeur, mais pour une durée déterminée.

En réponse à la motion 11.3811 Darbellay « Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents », adoptée par le Parlement, le Conseil fédéral propose de modifier la LAA.  Dorénavant, les rechutes et les séquelles tardives à la suite d’un accident qui n’a pas été assuré par la LAA et qui est survenu avant l’âge de 25 ans seront considérées comme des accidents non professionnels et donneront droit aux indemnités journalières durant 720 jours au plus. Ce nouveau risque à charge des assureurs présentera un coût maximal estimé à 17 millions de francs par année. Il sera financé par une très légère adaptation des primes LAA.

 

Dans le détail et commentaires des articles par le Conseil fédéral

Nouvel art. 8 al. 3 LAA : « Les rechutes et les séquelles tardives dont souffre un assuré à la suite d’un accident (art. 4 LPGA) qui n’a pas été assuré par la présente loi et qui est survenu avant l’âge de 25 ans sont également réputées accidents non professionnels. L’al. 2 n’est pas applicable. Seules les prestations d’assurance visées à l’art. 16, al. 2bis, sont allouées. »

Les rechutes et les séquelles tardives dont souffre un assuré à la suite d’un accident non assuré par la LAA et survenu avant l’âge de 25 ans seront désormais considérées comme des accidents non professionnels. Il découle de cette disposition que tous les accidents qui n’ont initialement pas été pris en charge par un assureur-accidents suisse entrent en considération, qu’ils aient été pris en charge par un assureur-maladie, suisse ou étranger, ou en vertu de la loi fédérale du 13 juin 1911 sur l’assurance en cas de maladie et d’accidents, abrogée en 1996.

Branche d’assurance concernée

Comme il n’existait pas de rapport de travail au moment de la survenance de l’accident, on ne peut logiquement pas comptabiliser les rechutes et autres séquelles tardives comme des accidents professionnels. Si tel était le cas, les employeurs pourraient au surplus se voir prétériter dans le cadre du calcul des primes selon le système dit de la tarification d’expérience, également appelé bonus-malus, alors même qu’ils n’ont absolument aucun lien avec l’accident initial. Les rechutes et autres séquelles tardives doivent donc être considérées comme des accidents non professionnels et il convient de le mentionner expressément.

Définition de la jeunesse

À l’instar de ce qui se pratique dans d’autres lois du domaine des assurances sociales (AVS, allocations familiales ou de formation), la limite de 25 ans a été retenue. L’accident doit donc avoir eu lieu avant le jour du 25e anniversaire.

Cercle des personnes assurées

N’octroyer des prestations en lien avec les événements en question qu’aux personnes également assurées contre les accidents non professionnels, c’est-à-dire travaillant au moins huit heures par semaine auprès d’un même employeur, irait à l’encontre de la motion. La lacune dénoncée ne serait en effet pas complètement comblée. Aussi est-il prévu que les personnes qui sont uniquement assurées contre les accidents professionnels puissent également prétendre à des indemnités journalières en vertu du nouveau droit. Cette solution, qui contrevient certes au principe d’équivalence entre prime et prestation, répond à la volonté du Parlement. Dans le domaine de l’assurance-accidents, d’autres exceptions au principe d’équivalence existent, notamment lorsque les rapports de travail ont duré moins d’une année, puisque le salaire reçu au cours de cette période est converti en gain annuel et que le gain assuré ne correspond ainsi plus aux primes versées. Logiquement, la nouvelle disposition précise que l’art. 8, al. 2, LAA, qui prévoit que les travailleurs occupés à temps partiel au sens de l’art. 7, al. 2, LAA ne sont pas assurés contre les accidents non professionnels, n’est pas applicable. L’exception prévue à l’art. 7, al. 2, LAA, à savoir que les accidents qui se produisent sur le trajet que l’assuré doit emprunter pour se rendre au travail sont réputés accidents professionnels pour les personnes travaillant moins de huit heures par semaine, ne s’applique pas non plus dans le cas présent puisqu’elle concerne les accidents professionnels.

Prestations

La troisième phrase du nouvel al. 3 précise que, conformément à la volonté exprimée par l’auteur de la motion, seules les prestations d’assurance visées à l’art. 16, al. 2bis, à savoir les indemnités journalières, sont allouées. La motion demande en effet de «garantir le versement des indemnités journalières dans les cas où l’incapacité de travail est due à une rechute ou aux séquelles tardives d’une blessure survenue lorsque l’assuré était plus jeune» et donc non assuré par la LAA. Le projet se limite donc à introduire une obligation de verser les indemnités journalières, et aucune autre prestation du catalogue de la LAA. Les soins médicaux continueront ainsi à être pris en charge par l’assurance-maladie, aux conditions de la LAMal, qui a dans la plupart des cas pris en charge l’accident initial. Une éventuelle rente serait quant à elle à la charge de l’assurance-invalidité.

 

Nouvel art. 16 al. 2bis LAA : « L’assuré a également droit à une indemnité journalière dans les cas visés à l’art. 8, al. 3. Le droit naît au moment où la perte de gain due à l’incapacité de travail n’est plus compensée par l’employeur ou par une assurance. En l’absence d’une telle compensation, il naît au début de l’incapacité de travail. Dans tous les cas, il s’éteint lorsque l’assuré a recouvré sa pleine capacité de travail ou qu’il décède, mais au plus tard après 720 jours. »

L’assuré aura désormais également droit à une indemnité journalière dans les cas de rechutes et de séquelles tardives dont il souffre à la suite d’un accident non assuré par la LAA et survenu avant l’âge de 25 ans. Le droit naît avec le début de l’incapacité de travail ou dès que la perte de gain due à l’incapacité de travail n’est plus compensée par l’employeur ou par une assurance. Il s’éteint dès que l’assuré a recouvré sa pleine capacité de travail ou dès qu’il décède, mais au plus tard après 720 jours.

Début de l’obligation de prester

Le droit à l’indemnité journalière naît avec le début de l’incapacité de travail ou dès que la perte de gain due à l’incapacité de travail n’est plus compensée par l’employeur ou par une assurance. L’art. 324a CO prévoit que si le travailleur est empêché de travailler sans faute de sa part, l’employeur lui verse le salaire pour un temps limité, à condition que les rapports de travail aient duré plus de trois mois ou aient été conclus pour plus de trois mois. En présence d’une assurance obligatoire, il doit également garantir le versement des quatre cinquièmes du salaire si la couverture d’assurance est inférieure ou si un délai d’attente est prévu (art. 324b CO). Le salaire n’est donc pas garanti dans tous les cas. Tous les travailleurs ne disposent pas non plus d’une assurance indemnisant la perte de salaire. Afin d’éviter une lacune de la couverture, le début de l’obligation de prester de l’assureur-LAA est donc fixé au moment où débute l’incapacité de travail ou dès que la perte de gain n’est plus compensée. Dans les cas où la compensation de la perte de gain par un quelconque assureur n’atteint pas 80% du gain assuré au sens de l’art. 17 LAA pour une incapacité totale de travail, l’assureur-LAA verse la différence entre le montant de l’indemnité journalière versé par l’assurance susmentionnée et 80% du gain assuré. Par ailleurs, le délai de carence traditionnel de la LAA (art. 16, al. 2, LAA) ne s’applique pas aux rechutes et autres séquelles tardives initialement non assurées, ce qui correspond à la pratique actuelle pour les rechutes et autres séquelles tardives assurées. Comme plusieurs jours peuvent parfois s’écouler entre la rechute effective, la consultation médicale, le début du traitement et l’incapacité de travail, cette solution s’impose.

Subsidiarité

Le nouveau droit est subsidiaire aux autres sources de perte de gain. L’assuré peut faire valoir son droit à l’indemnité journalière seulement lorsque la perte de gain n’est plus compensée par l’employeur, conformément à l’art. 324a CO, ou par une assurance perte de gain. L’éventuelle compensation par l’assureur-LAA de la différence entre la perte de gain versée par une assurance perte de gain et 80% du gain assuré est réservée.

Fin temporelle de la couverture

Les règles générales de la LAA s’appliquent pour déterminer l’âge jusqu’auquel un travailleur peut prétendre à des prestations en cas de rechute ou de séquelles tardives d’une blessure survenue lorsqu’il était jeune. Toute personne active et assurée peut donc prétendre à ces prestations, même si elle est employée après l’âge de référence de la retraite. Le cercle des personnes concernées correspond aux travailleurs actifs selon les règles générales de la LAA.

Fin de l’obligation de prester

Les règles générales en vigueur dans la LAA (art. 16, al. 2, LAA) prévoient que le droit à l’indemnité journalière s’éteint dès que l’assuré a recouvré sa pleine capacité de travail, dès qu’une rente est versée ou lorsque l’assuré décède. Il n’est toutefois pas possible ici de se référer à ces règles générales. En effet, conformément aux objectifs de la motion, le texte du projet se limite à introduire la prise en charge des indemnités journalières. Aucune rente LAA ne sera ainsi versée pour une rechute ou des séquelles tardives initialement non assurées. Le droit à l’indemnité journalière ne peut donc s’éteindre avec le versement d’une rente. Or, si l’assuré ne recouvre pas sa pleine capacité de travail, il paraît impensable que l’assureur verse des indemnités journalières jusqu’au décès de l’assuré. En conséquence, la nouvelle disposition prévoit que les prestations sont versées durant un temps limité, soit 720 jours au maximum par cas annoncé. Cette limite temporelle en cas d’incapacité de travail durable se calque sur les principes en vigueur dans le domaine des indemnités journalières en cas de maladie selon la LAMal. Si la perte de gain est initialement assurée par l’employeur ou par une autre assurance, cette durée de 720 jours est calculée non pas à partir du moment où débute l’incapacité de travail, mais à compter du moment où l’employeur ou l’assurance perte de gain cesse d’octroyer ses prestations. Dans les cas où l’assureur-LAA est appelé à verser la différence entre le montant de l’indemnité journalière de l’assurance susmentionnée et 80% du gain assuré, la durée de 720 jours est calculée à compter du moment où l’assureur-LAA verse le complément. Il s’agit donc d’un versement effectif des indemnités journalières durant 720 jours au plus, par cas annoncé.

Gain assuré déterminant

Le gain déterminant pour le versement de l’indemnité journalière en vertu de l’art. 16, al. 2bis, est celui prévu par les règles générales de la LAA (art. 15 LAA). Le gain déterminant en cas de rechute est celui que l’assuré a reçu juste avant celle-ci. L’art. 23, al. 8, OLAA, prévoit que ce gain ne saurait être inférieur à 10% du montant maximum du gain journalier assuré, sauf pour les bénéficiaires de rentes de l’assurance sociale. L’ordonnance d’application précisera que cette disposition s’applique par analogie dans les cas visés à l’art. 8, al. 3, de la loi.

Examen du lien de causalité

L’examen du lien de causalité, à l’instar de ce qui s’applique en général dans la LAA, doit être effectué par l’assureur-LAA auquel le cas a été annoncé. Cet examen classique doit permettre de déterminer si l’assureur est compétent pour prendre le cas en charge.

Financement

L’art. 92, al. 1, LAA prévoit que les primes se composent d’une prime nette correspondant aux risques et de différents suppléments. Les assureurs LAA devront donc intégrer le risque découlant du nouveau droit dans leurs calculs afin de fixer une prime conforme à l’état actuel des risques. Il en découlera une très légère augmentation des primes.

Coordination avec l’assurance-invalidité et l’assurance-chômage

La naissance du nouveau droit introduit par le présent projet ne remet pas en cause les règles générales en vigueur dans la LAA qui régissent la coordination entre les différentes branches d’assurance. Ainsi, l’indemnité journalière de l’assurance-accidents n’est pas allouée s’il existe un droit à une indemnité journalière de l’assurance-invalidité ou à une allocation de maternité, de paternité, de prise en charge ou d’adoption selon la LAPG (art. 16, al. 3, LAA). S’agissant de la coordination avec la loi fédérale du 25 juin 1982 sur l’assurance-chômage (LACI), l’assurance-accidents verse la prestation entière si l’incapacité de travail d’un assuré au chômage est supérieure à 50% et la moitié de la prestation si elle est supérieure à 25% mais inférieure ou égale à 50%. Une incapacité de travail de 25% ou moins ne donne pas droit à une indemnité journalière (art. 25, al. 3, OLAA).

 

Dispositions transitoires relatives à la modification du xx.xx.xxxxx

1 En cas de rechutes ou séquelles tardives survenues avant l’entrée en vigueur de la modification du … pour lesquelles l’employeur ou une assurance continue de verser une compensation de la perte de gain due à l’incapacité de travail après l’entrée en vigueur de cette modification, le droit à l’indemnité journalière prévu à l’art. 16, al. 2bis, naît dès que la perte de gain n’est plus compensée.

2 Si, à l’entrée en vigueur de la modification du …, l’assuré n’a pas droit à une compensation de la perte de gain de la part de son employeur ou d’une assurance, le droit à l’indemnité journalière prévu à l’art. 16, al. 2bis, naît à l’entrée en vigueur de cette modification.

Les rechutes survenues à compter de l’entrée en vigueur des modifications liées aux art. 8, al. 3, et 16, al. 2bis, LAA engendreront un droit à l’indemnité journalière.

Il en ira de même si une rechute ou séquelle tardive survient avant l’entrée en vigueur de la modification, mais que la compensation de la perte de gain due à l’incapacité de travail par l’employeur ou une assurance perte de gain ne prend fin qu’après son entrée en vigueur. Dans ce cas de figure, le droit à l’indemnité journalière naît dès que la perte de gain n’est plus compensée par l’employeur ou une assurance perte de gain et s’éteint au plus tard 720 jours après la fin de cette compensation.

Dans les cas où la compensation de la perte de gain due à l’incapacité de travail par l’employeur ou une assurance perte de gain a pris fin avant l’entrée en vigueur de la modification mais que l’incapacité de travail se poursuit, le droit à l’indemnité journalière naît à l’entrée en vigueur de la modification et s’éteint au plus tard après 720 jours. Il en va de même s’il n’existait pas de compensation de la perte de gain.

Les rechutes donnant lieu à une incapacité de travail, et donc à une compensation de la perte de gain par l’employeur ou une assurance perte de gain se terminant avant l’entrée en vigueur des modifications, n’engendrent aucun droit à l’indemnité journalière.

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 27.09.2024 consultable ici

Message du Conseil fédéral du 27.09.2024 concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-accident consultable ici

Modification de la LAA consultable ici

Condensé des résultats de la procédure de consultation (rapport sur les résultats) consultable ici

 Motion 11.3811 Darbellay «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents» consultable ici

Objet du Conseil fédéral 18.037 «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents. Rapport du Conseil fédéral sur le classement de la motion 11.3811 (Darbellay)» consultable ici

Rapport du Conseil fédéral du 28 mars 2018 relatif au classement de la motion 11.3811 Darbellay «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents» paru in FF 2018 2407

Le persone che subiscono un infortunio prima di essere assicurate saranno più tutelate in caso di ricaduta, comunicato stampa dell’UFSP del 27.09.2024 disponibile qui

Besserer Schutz für vor dem Versicherungsalter verunfallte Personen mit Rückfällen oder Spätfolgen, Medienmitteilung des BAG vom 27.09.2024 hier abrufbar

 

8C_219/2024 (f) du 28.08.2024 – Réduction des prestations – Notion de rixe niée / Lien indirect entre une agression violente et une altercation antérieure – Pertinence limitée de cette disposition

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_219/2024 (f) du 28.08.2024

 

Consultable ici

 

Réduction des prestations – Notion de rixe niée / 39 LAA – 49 al. 2 OLAA

Lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu

Lien indirect entre une agression violente et une altercation antérieure – Pertinence limitée de cette disposition

 

L’assuré, né en 1975, chef de salle, a fait annoncer à l’assurance-accidents qu’il avait « ressenti des gestes brutaux », sans souvenirs précis, alors qu’il rentrait chez lui en date du 23.08.2021, ce qui avait entraîné son hospitalisation le jour même jusqu’au 08.09.2021. Diagnostic principal : TCC dans un contexte d’éthylisation aiguë sur probable chute et agression, avec fracture oblique de l’os occipital gauche et hématome épidural en regard, contusion hémorragique fronto-temporale droite et fracture/enfoncement du mur antérieur du sinus maxillaire droit. Il a ensuite été transféré dans une clinique de réadaptation, où il a séjourné jusqu’au 21.09.2021. Un examen neurologique réalisé dans cet établissement a révélé une amnésie pré- et post-traumatique de plusieurs minutes avant l’événement du 23.08.2021 jusqu’à un jour après celui-ci. Le 01.10.2021, l’assuré a déclaré à l’assurance-accidents que ses souvenirs de la soirée du 23.08.2021 n’étaient pas clairs, qu’il avait chuté et reçu des coups, que d’autres personnes étaient impliquées et que la police avait été informée de l’incident.

Par décision, confirmée sur opposition le 22.07.2022, l’assurance-accidents a réduit de moitié ses prestations en espèces en raison des circonstances de l’accident, survenu au cours d’une bagarre. Selon l’assureur-accidents, les dépositions de certains témoins confirmaient que l’assuré avait échangé des propos violents avec son agresseur dans les moments ayant précédé l’accident.

 

Procédure cantonale

L’assuré a recouru contre cette décision sur opposition. Lors de l’instruction de son recours, il a demandé, le 03.01.2024, la suspension de la procédure dans l’attente d’un jugement pénal dans l’affaire PXX, dans laquelle il devait être entendu comme partie plaignante lors des débats prévus le 29.01.2024. L’assuré a transmis le jugement pénal le 28.02.2024.

Par jugement du 29.02.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
Selon l’art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut définir des dangers extraordinaires et des comportements téméraires qui justifient, dans l’assurance des accidents non professionnels, soit un refus, soit une réduction des prestations en espèces. Cette disposition permet de déroger à l’art. 21 al. 1 à 3 LPGA. Sur cette base, l’art. 49 al. 2 OLAA prévoit que les prestations en espèces doivent être réduites d’au moins la moitié si un accident non professionnel survient dans les situations suivantes : participation à une rixe, sauf si l’assuré est blessé sans y participer activement ou en aidant une personne en danger (let. a) ; exposition volontaire à un danger en provoquant gravement autrui (let. b) ; ou participation à des désordres (let. c).

Consid. 3.2.1
La notion de rixe dans l’assurance-accidents est plus large que celle de l’art. 133 CP, même si elle en revêt les principales caractéristiques objectives (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2). Par rixe ou bagarre, il faut entendre une querelle violente accompagnée de coups ou une mêlée de gens qui se battent (ATF 107 V 234 consid. 2a). Il y a participation à une rixe ou à une bagarre, au sens de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA, non seulement quand l’intéressé prend part à de véritables actes de violence, mais déjà s’il s’est engagé dans l’altercation qui les a éventuellement précédés et qui, considérée dans son ensemble, recèle le risque qu’on pourrait en venir à des actes de violence (ATF 107 V 234 consid. 2a; 99 V 9 consid. 1; arrêt 8C_773/2021 du 24 mai 2022 consid. 3.2.2 et les arrêts cités). Il importe peu que l’assuré ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute, mais il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger (ATF 99 V 9 consid. 1; arrêt 8C_532/2021 du 9 décembre 2021 consid. 3.2 in fine et les arrêts cités). En revanche, il n’y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l’assuré se fait agresser physiquement, sans qu’il y ait eu au préalable une dispute, et qu’il frappe à son tour l’agresseur dans un mouvement réflexe de défense (arrêt 8C_773/2021 précité consid. 3.2.3 et les arrêts cités).

Consid. 3.2.2
Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l’attitude de l’assuré – qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre – n’apparaît pas comme une cause essentielle de l’accident, l’assureur-accidents n’est pas autorisé à réduire ses prestations d’assurance. Il faut que le comportement à sanctionner soit propre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer une atteinte à la santé du genre de celle qui s’est produite (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2; arrêt 8C_532/2021 précité consid. 3.3 et les arrêts cités).

Consid. 3.2.3
Une responsabilité réduite, voire une incapacité de discernement de la personne assurée, ne peut être admise que dans des cas tout à fait exceptionnels. Aussi, une capacité de discernement réduite en raison de la consommation d’alcool n’exclut pas l’application de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA. Une responsabilité réduite peut en revanche être prise en compte dans le cadre du calcul de la réduction des prestations, qui doit être d’au moins 50% (arrêts 8C_579/2010 du 10 mars 2011 consid. 4; U 325/05 du 5 janvier 2006 consid. 1.2, non publié in ATF 132 V 27, et les références citées).

Consid. 3.2.4
Selon une jurisprudence constante, le juge des assurances sociales n’est pas lié par les constatations de fait et l’appréciation du juge pénal. Il ne s’en écarte cependant que si les faits établis au cours de l’instruction pénale et leur qualification juridique ne sont pas convaincants, ou s’ils se fondent sur des considérations spécifiques au droit pénal qui ne sont pas déterminantes en droit des assurances sociales (ATF 143 V 393 consid. 7.2; 125 V 237 consid. 6a; arrêt 8C_773/2021 précité consid. 3.3 et l’arrêt cité).

Consid. 4 [résumé]
Dans cette affaire, la cour cantonale a établi qu’une bagarre avait éclaté entre l’assuré, D.__, et C.__, avant que ce dernier n’agresse physiquement l’assuré. Plusieurs témoins présents, E.__ et F.__, ainsi que D.__ lui-même, ont confirmé que C.__ avait frappé l’assuré, le faisant chuter, avant de lui asséner des coups supplémentaires. L’assuré ne se souvenait pas de ces événements en raison de son état d’alcoolémie.

Selon les juges cantonaux, dès lors que D.__ était impliqué dans la bagarre, l’assuré aurait pu et dû se rendre compte du danger et du risque que la situation dégénérât, compte tenu des événements ayant eu lieu en début de soirée. En effet, D.__ avait déclaré s’être pris la tête avec l’assuré dans un bar plus tôt dans la soirée, des clients ayant dû les séparer avant que chacun soit parti de son côté. Ces éléments, corroborés par l’acte d’accusation et les déclarations de l’assuré, indiquaient que l’assuré avait pris un risque en continuant dans cette direction, se plaçant ainsi dans une situation dangereuse. La cour cantonale a estimé que lorsque l’assuré rentrait chez lui et qu’il était arrivé en direction de D.__, qui était accompagné de C.__, il aurait dû se rendre compte qu’une nouvelle bagarre pouvait se produire.

Les juges cantonaux ont conclu que, par son comportement, l’assuré s’était placé dans une zone de danger exclue de l’assurance. Il ne pouvait pas se prévaloir de son taux d’alcoolémie élevé pour se disculper. La réduction de 50% des prestations par l’assureur-accidents a été jugée correcte, tenant compte d’une éventuelle réduction de discernement due à l’alcoolémie.

Consid. 6.2.1 [résumé]
Selon le jugement pénal, il y a eu une altercation violente le 23.08.2021 entre C.__ et l’assuré, à la suite d’une rencontre fortuite. Après une première dispute entre l’assuré et D.__ plus tôt dans la soirée, C.__, en ayant été informé, a intercepté l’assuré et l’a violemment agressé sans provocation. C.__ lui a assené un coup de poing qui a fait tomber l’assuré au sol, sa tête heurtant les pavés. Alors que l’assuré était inconscient, C.__ a poursuivi l’agression en lui donnant des coups de pied au ventre et à la tête, avec prise d’élan, le retournant sur le dos. Avant de fuir, il a jeté une table de terrasse vers la victime. Le tribunal pénal a qualifié ces actes de tentative de meurtre par dol éventuel, reconnaissant la gravité et l’intention potentielle de l’agresseur.

Consid. 6.2.2
Les faits constatés par le tribunal pénal – qui correspondent dans une large mesure à ceux retenus par la cour cantonale – se fondent sur les déclarations circonstanciées de l’un des principaux protagonistes (D.__), confirmées pour l’essentiel par C.__ lui-même. Il est ainsi notamment établi que celui-ci, à la vue de l’assuré qui remontait la rue dans sa direction, s’est dirigé vers lui avec l’intention manifeste de le frapper, au vu des propos que lui a prêtés D.__ (« Je vais le sécher »), dont il n’y a pas lieu de douter. Quand bien même on ne peut pas exclure que de brefs éclats verbaux aient précédé le premier coup, on ne saurait en déduire que l’assuré a contribué à envenimer la situation, puisque C.__ s’est approché de lui déjà dans le but d’en découdre et de le molester. En outre, tout indique que l’assuré s’est retrouvé dans la même rue que D.__ par hasard, alors qu’il rentrait chez lui. Aucun élément ne permet de retenir qu’il marchait dans sa direction et celle de C.__ dans l’idée de se confronter une nouvelle fois à D.__. Lorsqu’il est arrivé à leur hauteur, c’est d’ailleurs C.__ qui s’est avancé vers lui, et non pas lui qui s’est rapproché de D.__. Par ailleurs, il ne connaissait pas et n’avait jamais vu C.__ auparavant, de sorte que même s’il avait aperçu D.__ dans la rue en amont – ce qui n’est pas établi –, il ne pouvait pas s’attendre, en continuant simplement son chemin en direction de son domicile, à être victime d’une agression de la part d’un inconnu, malgré l’altercation l’ayant opposé à D.__ plus tôt dans la soirée. On ne voit pas non plus qu’il aurait eu la moindre possibilité de prendre la fuite pour échapper à l’agression imprévisible, gratuite et très violente de C.__. En somme, on ne peut pas retenir qu’il aurait pu et dû se rendre compte du danger que représentait son agresseur et qu’il aurait pu s’y soustraire, ni que son comportement était de nature à entraîner une telle agression. Dans ces conditions, l’assurance-accidents et le tribunal cantonal ont violé le droit fédéral en réduisant les prestations en espèces en application de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA. Le fait que l’agression de l’assuré, par une personne qui lui était inconnue, soit indirectement liée à une altercation qu’il avait eue plus tôt dans la soirée avec D.__, ne suffit pas à considérer que cette disposition serait pertinente en l’espèce.

Il s’ensuit que le recours doit être admis, avec pour conséquence l’annulation de l’arrêt attaqué et de la décision sur opposition.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_219/2024 consultable ici

 

8C_90/2024 (f) du 05.08.2024 – Rente transitoire / Jurisprudence de l’AI pour les assurés de plus de 55 ans non applicable au domaine de la LAA / Revenu d’invalide selon ESS (niv. 1) – Pas d’abattement pour la mauvaise maîtrise du français, le manque de formation professionnelle

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_90/2024 (f) du 05.08.2024

 

Consultable ici

 

Rente transitoire / 19 al. 3 LAA – 30 OLAA

Jurisprudence de l’AI pour les assurés de plus de 55 ans non applicable au domaine de la LAA

Revenu d’invalide selon ESS (niv. 1) / 16 LPGA

Pas d’abattement pour la mauvaise maîtrise du français, le manque de formation professionnelle

 

Assuré, né en 1961, ouvrier dans la construction depuis 1992. Le 02.05.2018, alors qu’il se trouvait dans une fouille de canalisation, il a été partiellement enseveli par l’effondrement d’un bord, ce qui a entraîné des fractures de l’hémi-bassin droit, de la partie droite du sacrum et de l’apophyse de L5 à droite. Le 04.06.2018, il a subi une intervention chirurgicale (stabilisation de l’anneau pelvien antérieur avec une plaque de reconstruction). En cours de traitement, l’assuré s’est également plaint de troubles urologiques, érectiles et psychiques.

Le 30.10.2018, il a déposé une demande de prestations auprès l’office AI.

Le 16.09.2021, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle considérait que sa situation était stabilisée et qu’elle mettait un terme au paiement des frais médicaux et de l’indemnité journalière au 30.11.2021. Par décision du 20.09.2021, confirmée sur opposition le 22.04.2022, elle lui a octroyé une rente fondée sur un taux d’invalidité de 15% dès le 01.12.2021 et a refusé de lui allouer une IPAI. L’assurance-accidents a notamment considéré, sur la base de l’appréciation de son médecin d’arrondissement, que compte tenu des seules atteintes (orthopédiques et neurologiques) en lien de causalité avec l’accident, l’assuré disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles.

Statuant le 12.01.2023, l’office AI, constatant que l’assuré présentait une incapacité de travail totale dans toute activité professionnelle, lui a accordé une rente entière d’invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 89 – consultable ici)

Par jugement du 21.12.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
Se plaignant d’une violation du droit fédéral, l’assuré reproche à la juridiction cantonale de ne pas avoir appliqué la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d’assurance-invalidité relative aux assurés de plus de 55 ans et aux mesures d’ordre professionnel, qui conduirait à l’octroi d’une rente fondée sur un taux d’invalidité de 100%.

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase). L’art. 19 al. 3 LAA précise que le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur la naissance du droit aux rentes lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité quant à la réadaptation professionnelle intervient plus tard. Aux termes de l’art. 30 al. 1 OLAA, lorsqu’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré, mais que la décision de l’AI concernant la réadaptation professionnelle n’interviendra que plus tard, une rente sera provisoirement allouée dès la fin du traitement médical; cette rente est calculée sur la base de l’incapacité de gain existant à ce moment-là. Le droit s’éteint: dès la naissance du droit à une indemnité journalière de l’AI (let. a); avec la décision négative de l’AI concernant la réadaptation professionnelle (let. b); avec la fixation de la rente définitive (let. c).

L’octroi d’une rente provisoire suppose notamment qu’un droit à des mesures de réadaptation professionnelle de l’AI soit sérieusement envisagé. Tel est le cas lorsque, au moment où l’assureur-accidents rend sa décision sur opposition, l’AI n’a pas encore statué de manière définitive sur des mesures de réadaptation professionnelle qui sont en cours d’examen (arrêt 8C_347/2014 du 15 octobre 2014 consid. 3.2; THOMAS FLÜCKIGER, in: Frésard-Fellay/Leuzinger/Pärli [éd.], Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 52 ad art. 19 LAA). Par ailleurs, la décision de l’AI à venir doit porter sur des mesures qui sont de nature à influencer le taux d’invalidité déterminant pour la rente de l’assurance-accidents (arrêts 8C_424/2023 du 21 février 2024 consid. 5.2; 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 4.3.1 et les références; THOMAS FLÜCKIGER, op. cit., n°18 et 53 ad art. 19 LAA).

Consid. 4.1.2
Selon la jurisprudence applicable en assurance-invalidité (cf. arrêts 9C_177/2023 du 26 mars 2024 consid. 6.2; 9C_303/2022 du 31 mai 2023 consid. 5.2 et les arrêts cités), il existe des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans révolus ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cette jurisprudence, qui est également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5), ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut pas, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, l’office de l’assurance-invalidité doit vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel, même si celui-ci a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste.

Consid. 4.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont estimé que la jurisprudence précitée (cf. consid. 4.1.2 supra) invoquée par l’assuré ne s’appliquait pas à l’assurance-accidents, car celle-ci ne prévoit pas de mesures d’ordre professionnel parmi ses prestations. De plus, cette jurisprudence concerne la réduction ou suppression de rentes d’invalidité, ce qui n’était pas pertinent dans le cas présent. La fin du versement des indemnités journalières de l’assurance-accidents ne pouvait pas être assimilée à une réduction ou suppression de rente AI. L’office AI avait considéré que la réinsertion professionnelle de l’assuré était irréaliste et avait donc immédiatement octroyé une rente, d’autant plus que l’assuré souffrait de troubles non couverts par l’assurance-accidents. Par ailleurs, l’assuré avait demandé une retraite anticipée à l’âge de 60 ans (01.12.2021), rendant toute reconversion professionnelle improbable. Dès lors, il ne pouvait pas invoquer les dispositions relatives à la rente transitoire, qui visent à soutenir une reconversion professionnelle. Le fait que l’office AI n’avait pas encore statué sur les mesures de réadaptation n’empêchait pas l’assurance-accidents de clore le dossier.

Consid. 4.4
La relation entre la fixation de la rente d’invalidité par l’assureur-accidents et la réadaptation professionnelle en matière d’assurance-invalidité est exhaustivement réglée aux art. 19 al. 3 LAA et 30 OLAA. En l’espèce, rien n’indique que des mesures d’ordre professionnel aient été en cours d’examen par l’office AI au moment de la décision sur opposition du 22.04.2022. L’assuré, qui avait pris sa retraite anticipée au moment où cette décision sur opposition a été rendue, n’expose d’ailleurs pas quelle mesure aurait été concrètement envisagée et dans quel but, que ce fût antérieurement ou postérieurement à cette décision. Il ne soutient même pas avoir sollicité la moindre mesure. On notera qu’aucune des situations visées par la jurisprudence susmentionnée en matière d’assurance-invalidité (cf. consid. 4.1.2 supra) – en particulier la réduction ou la suppression du droit à la rente de l’assurance-invalidité – n’étaient données, de sorte que l’office AI n’avait pas à faire application de cette jurisprudence. On ne voit donc pas qu’au moment où l’assurance-accidents a rendu sa décision sur opposition, elle devait compter avec une future décision de l’office AI portant sur des mesures de réadaptation professionnelle ayant une potentielle incidence sur le taux de la rente d’invalidité en assurance-accidents, qui devait être fixé en tenant compte des seuls troubles en lien de causalité avec l’accident du 02.05.2018, à savoir les atteintes orthopédiques et neurologiques, à l’exclusion des affections psychiques, urologiques et érectiles.

En tout état de cause, l’assuré perd de vue que la rente provisoire doit aussi être fixée d’après la méthode de comparaison des revenus et que dans ce cadre, l’activité raisonnablement exigible ne correspond pas forcément à l’activité habituelle (arrêt 8C_99/2023 du 7 août 2023 consid. 4.2 et les arrêts cités). En l’espèce, au moment de la décision sur opposition, l’assuré bénéficiait selon l’assurance-accidents et la cour cantonale d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses restrictions fonctionnelles. À ce propos, l’assuré n’émet aucune critique à l’encontre de l’appréciation du médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents. Il n’y a donc pas de raison de s’en écarter. En outre, contrairement à ce qu’il affirme, l’office AI ne lui a pas accordé une rente entière d’invalidité en prenant en considération les seuls troubles causés par l’accident du 02.05.2018. Il a fondé sa décision sur une incapacité de travail totale dans toute activité, en soulignant que l’assurance-accidents avait, pour sa part, tenu compte des seules séquelles de l’accident pour retenir une pleine capacité de travail dans une activité adaptée. Au demeurant, l’assureur-accidents n’est pas lié par l’évaluation de l’invalidité de l’assurance-invalidité (ATF 131 V 362 consid. 2.3; arrêt 8C_493/2022 du 8 mars 2023 consid. 4.5), tout comme l’évaluation de l’invalidité par l’assurance-accidents n’a pas de force contraignante pour l’assurance-invalidité (ATF 133 V 549). L’assuré ne peut donc pas prétendre à une rente – qu’elle soit provisoire ou définitive – fondée sur un taux d’invalidité de 100% du fait de son incapacité de travail dans son activité habituelle d’ouvrier dans la construction.

Pour le reste, on ne voit pas ce que pourrait tirer l’assuré de la jurisprudence en matière d’assurance-invalidité dont il se prévaut. Celle-ci ne s’adresse pas aux assureurs-accidents, lesquels ne sont pas compétents pour octroyer des mesures de réadaptation professionnelle. Aussi, la fin du versement de l’indemnité journalière par l’assureur-accidents ne peut aucunement être corrélée à une quelconque obligation de sa part découlant de cette jurisprudence. Il s’ensuit que le grief du recourant est mal fondé.

 

Consid. 5.1.1
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 5.1.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb; arrêt 8C_682/2023 du 24 avril 2024 consid. 4.1.2.2 et l’arrêt cité).

Consid. 5.1.3
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

 

Consid. 5.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont confirmé l’abattement de 10% appliqué par l’assurance-accidents. Ils ont refusé d’augmenter ce taux en raison de sa qualité d’étranger. Les lacunes linguistiques en français et le manque de formation professionnelle avaient déjà été intégrés, l’assurance-accidents ayant utilisé le niveau de compétence 1 de l’ESS (activités ne nécessitant ni formation ni expérience professionnelle) pour calculer le revenu d’invalide.

Consid. 5.4
Le raisonnement de la cour cantonale échappe à la critique. L’assuré, au bénéfice d’un permis d’établissement et vivant en Suisse depuis de nombreuses années au moment de la décision sur opposition de l’assurance-accidents, n’est pas prétérité par rapport à une personne de nationalité suisse (cf. ATF 126 V 75 consid. 5a/cc; arrêts 8C_454/2023 du 19 décembre 2023 consid. 5.4; 8C_883/2015 du 21 octobre 2016 consid. 6.3.2; 8C_738/2012 du 20 décembre 2012 consid. 6.2). Par ailleurs, sa mauvaise maîtrise du français et des autres langues nationales ainsi que son manque de formation professionnelle ne sont pas déterminants dans le contexte d’activités du niveau de compétence 1, qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifiques (cf. arrêts 8C_454/2023 précité consid. 5.4; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2; 9C_550/2019 du 19 février 2020 consid. 4.3; 9C_898/2017 du 25 octobre 2018 consid. 3.4). En confirmant le taux d’abattement de 10% retenu par l’assurance-accidents, le tribunal cantonal n’a commis ni excès ni abus de son pouvoir d’appréciation.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_90/2024 consultable ici