8C_349/2024 (f) du 19.12.2024 – Dies a quo du délai d’opposition de l’employeur qui a été informé par courriel de l’envoi d’une décision pour son employée / Décision formelle vs informelle

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_349/2024 (f) du 19.12.2024

 

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Dies a quo du délai d’opposition de l’employeur qui a été informé par courriel de l’envoi d’une décision pour son employée / 49 LPGA – 52 LPGA

Décision formelle vs informelle / 49 LPGA – 51 LPGA

 

B.B.__ est l’unique associé gérant, avec signature individuelle, de la société A.__ Sàrl (ci-après aussi: la société). C.B.__ (ci-après: l’assurée), née en 1991, fille de B.B.__, a été engagée par la société comme assistante de direction. Le 13.06.2021, l’assurée a été victime d’un accident et s’est plainte depuis lors de douleurs lombaires. L’assurance-accidents a pris en charge le cas. Le 22.03.2022, celle-ci a informé par téléphone B.B.__ que les frais du cas de sa fille seraient pris en charge jusqu’au 16.09.2021 et qu’ensuite, le cas relèverait de la maladie; l’attention du prénommé était en outre attirée sur la possibilité de déposer une opposition motivée contre la décision à venir.

Par décision du 23.03.2022, l’assurance-accidents a mis un terme à ses prestations avec effet au 16.09.2021, motif pris qu’après cette date, le lien de causalité entre l’accident et les troubles de l’assurée ne pouvait plus être admis au degré de la vraisemblance prépondérante. Cette décision a été notifiée à l’assurée par courrier postal le 25.03.2022.

Le 24.03.2022, l’assurance-accidents a envoyé un courriel à la société, à l’adresse électronique de B.B.__, dont la teneur était la suivante:
« […] En notre qualité d’assureur-accidents obligatoire, nous avons examiné notre obligation de verser des prestations pour l’événement du 13 juin 2021. À titre d’information, nous vous communiquons un extrait de notre décision du 23.03.2022.

Dispositif

  1. L’assurance-accidents met un terme au versement de ses prestations au 16 septembre 2021.
  2. En application de l’art. 11 al. 1, let. b de l’ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales (OPGA), l’effet suspensif est retiré pour tout recours éventuel.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à nous contacter. Nous vous fournirons volontiers de plus amples informations. […] »

Par courriel du 24.05.2022, B.B.__ a, au nom de la société, manifesté son opposition à la décision du 23.03.2022. Par décision sur opposition du 13.07.2022, l’assurance-accidents a déclaré l’opposition irrecevable pour tardiveté; le délai d’opposition avait commencé à courir le 25.03.2022, soit le lendemain de la notification régulière par voie électronique, et était arrivé à échéance – compte tenu des féries judiciaires – le dimanche 08.05.2022, le terme devant être reporté au 09.05.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 93/22 – 40/2024 – consultable ici)

Par jugement du 02.05.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 49 al. 1 LPGA, l’assureur doit rendre par écrit les décisions qui portent sur des prestations, créances ou injonctions importantes ou avec lesquelles l’intéressé n’est pas d’accord. L’art. 49 al. 3 LPGA dispose que les décisions indiquent les voies de droit (première phrase); elles doivent être motivées si elles ne font pas entièrement droit aux demandes des parties (deuxième phrase); la notification irrégulière d’une décision ne doit entraîner aucun préjudice pour l’intéressé (troisième phrase). Aux termes de l’art. 51 LPGA, les prestations, créances et injonctions qui ne sont pas visées à l’art. 49 al. 1 peuvent être traitées selon une procédure simplifiée (al. 1); l’intéressé peut exiger qu’une décision soit rendue (al. 2). L’art. 52 al. 1 LPGA prévoit que les décisions peuvent être attaquées dans les trente jours par voie d’opposition auprès de l’assureur qui les a rendues, à l’exception des décisions d’ordonnancement de la procédure.

Consid. 3.2.1
S’agissant du délai pour contester un acte de l’administration, la jurisprudence distingue selon qu’il s’agit de la clôture du cas signifiée de manière informelle ou d’un décompte d’indemnités journalières. Dans la première éventualité, le délai pour faire part de son désaccord est d’un an car, sur cette question, l’administration aurait dû obligatoirement statuer par le biais d’une décision écrite (art. 49 al. 1 LPGA; voir aussi l’art. 124 OLAA; cf. ATF 134 V 145 consid. 5.3.2; 132 V 412 consid. 4). La situation est en revanche différente dans la seconde éventualité, à savoir lorsque l’intéressé veut contester une communication pouvant faire l’objet d’une procédure simplifiée en vertu de l’art. 51 al. 1 LPGA. Contre une communication effectuée conformément au droit sous la forme simplifiée, il est possible d’exiger une décision écrite dans un délai de réflexion, qui, selon les circonstances, peut être supérieur au délai légal de 30 jours mais qui ne saurait cependant dépasser plusieurs mois (ATF 134 V 145 consid. 5.3.1). Aussi, ce délai doit-il être fixé à 3 mois ou 90 jours à compter de la communication d’un décompte d’indemnité journalière (arrêt 8C_789/2012 du 16 septembre 2013 consid. 4.1 et les arrêts cités).

Consid. 3.2.2
L’art. 49 al. 3 LPGA, à teneur duquel la notification irrégulière d’une décision ne doit entraîner aucun préjudice pour l’intéressé, consacre un principe général du droit qui concrétise la protection constitutionnelle de la bonne foi et les garanties conférées par l’art. 29 al. 1 et 2 Cst. (arrêt 9C_239/2022 du 14 septembre 2022 consid. 5.1; cf. ATF 145 IV 259 consid. 1.4.4; 144 II 401 consid. 3.1). Cependant, la jurisprudence n’attache pas nécessairement la nullité à l’existence de vices dans la notification: la protection des parties est suffisamment garantie lorsque la notification irrégulière atteint son but malgré cette irrégularité. Il y a lieu d’examiner, d’après les circonstances du cas concret, si la partie intéressée a réellement été induite en erreur par l’irrégularité de la notification et a, de ce fait, subi un préjudice. Il convient à cet égard de s’en tenir aux règles de la bonne foi qui imposent une limite à l’invocation du vice de forme (ATF 150 II 26 consid. 3.5.4; 139 IV 228 consid. 1.3; 122 I 97 consid. 3a/aa). En vertu de ce principe, l’intéressé est tenu de se renseigner sur l’existence et le contenu de la décision dès qu’il peut en soupçonner l’existence, sous peine de se voir opposer l’irrecevabilité d’un éventuel moyen pour cause de tardiveté (ATF 139 IV 228 consid. 1.3).

Consid. 5.2.1
Il n’est pas contesté que la décision du 23.03.2022, qui contient notamment une motivation et l’indication de la voie de droit, a été valablement notifiée à l’assurée le 25.03.2022. Ce faisant, l’assurance-accidents a rendu à juste titre une décision au sens de l’art. 49 LPGA puisqu’elle a mis un terme à ses prestations. Par courriel du 24.03.2022, elle a communiqué à l’employeuse recourante un extrait de cette décision, à savoir son dispositif. Dès lors qu’au moment de l’envoi de ce courriel, une décision formelle avait d’ores et déjà été émise, ce à quoi l’employeuse recourante a d’ailleurs été rendue attentive, on ne saurait considérer que celle-ci disposait, en application de la jurisprudence (cf. consid. 3.2.1 supra), d’un délai d’une année pour exiger qu’une décision écrite au sens de l’art. 49 al. 1 LPGA soit rendue. Il s’agit donc bien, comme retenu par le tribunal cantonal, d’un cas de notification irrégulière d’une décision, l’assurance-accidents ayant transmis à l’employeuse recourante le seul dispositif de sa décision, sans motivation ni indication de la voie de droit, de surcroît par courrier électronique.

Consid. 5.2.2
En ce qui concerne l’absence de préjudice causé par la notification irrégulière, le raisonnement des juges cantonaux peut également être confirmé. Le courriel adressé à l’employeuse recourante le 24.03.2022 renvoyait expressément à la décision du 23.03.2022, régulièrement notifiée à l’assurée le 25.03.2022. Il ressortait clairement de ce courriel que seul un extrait de cette décision était transmis à l’employeuse recourante. B.B.__, seul représentant de l’employeuse recourante, avait par ailleurs été averti deux jours plus tôt qu’une décision mettant fin aux prestations allait être rendue et qu’il serait possible de s’y opposer. À réception du courriel du 24.03.2022, le prénommé savait donc qu’une décision avait été rendue le jour précédent, que l’assurance-accidents mettait un terme aux prestations au 16.09.2021 et qu’il était possible de s’opposer à cette décision. Conformément aux règles de la bonne foi, il était tenu de se renseigner sans délai sur le contenu de la décision en question, en vue notamment de prendre connaissance de la motivation et de la voie de droit. Pour ce faire, il pouvait s’adresser à l’assurée – à savoir sa fille -, qui était en possession de la décision dans son intégralité dès le 25.03.2022, ou à l’assurance-accidents, qui aurait été en mesure de lui faire parvenir la décision complète. Dans ces conditions, la cour cantonale a confirmé à juste titre qu’en ne s’opposant à la décision du 23.03.2022 que le 25.05.2022, l’employeuse recourante pouvait se voir opposer l’irrecevabilité de son opposition pour cause de tardiveté. Le point – débattu dans le cadre de l’échange d’écritures – de savoir quand B.B.__ a effectivement eu connaissance de la décision notifiée à sa fille peut demeurer indécis, dès lors que l’intéressé était quoi qu’il en soit tenu de se renseigner dès le 24.03.2022. Il s’ensuit que l’arrêt cantonal ne prête pas le flanc à la critique, que ce soit sous l’angle de l’établissement des faits – que le Tribunal fédéral n’examine que sous l’angle de l’arbitraire – ou de l’application du droit.

Le TF rejette le recours de l’employeuse.

 

Arrêt 8C_349/2024 consultable ici

 

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