Archives de catégorie : Jurisprudence

6B_1247/2020 (f) du 07.10.2021, destiné à la publication – Tardiveté du dépôt du recours au niveau cantonal – Admissibilité de la preuve du respect du délai par vidéo

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1247/2020 (f) du 07.10.2021, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 04.11.2021 disponible ici

 

Un enregistrement vidéo peut en principe apporter la preuve qu’un acte judiciaire a été déposé dans une boîte aux lettres de La Poste Suisse en temps utile. Le Tribunal fédéral admet le recours contre la décision du Tribunal cantonal du canton du Valais.

Un homme avait recouru en 2020 contre le classement d’une procédure pénale auprès du Tribunal cantonal valaisan. Son avocat a déposé le pli contenant le recours dans une boîte aux lettres de La Poste Suisse à 22h05 le soir du dernier jour du délai de dix jours. Dans le pli lui-même, il a informé le Tribunal que le cachet postal figurant sur l’enveloppe expédiée pouvait indiquer la date du jour suivant et qu’il produirait donc un enregistrement vidéo comme preuve du dépôt du recours en temps utile. Le lendemain, le Tribunal cantonal a reçu une clé USB contenant un enregistrement vidéo. Le Tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le recours, qui portait le cachet postal du lendemain, le jugeant hors délai et considérant que l’enregistrement vidéo ne constituait pas une preuve effective du dépôt du recours en temps utile.

Le Tribunal fédéral admet le recours de l’intéressé. Selon le Code de procédure pénale (CPP), le délai est sauvegardé notamment si l’acte de procédure est remis à La Poste Suisse le dernier jour du délai (à minuit) (article 91 CPP). La date du dépôt est présumée coïncider avec celle du sceau postal. Cette présomption peut cependant être renversée. On peut toutefois attendre de l’expéditeur qu’il produise la preuve du dépôt en temps utile avant l’expiration du délai, ou à tout le moins qu’il fasse référence à ce moyen de preuve dans l’envoi lui-même. L’avocat de l’intéressé a dûment procédé de la sorte dans le cas d’espèce. Contrairement à l’avis du Tribunal cantonal, l’enregistrement vidéo peut alors servir de preuve de la remise en temps utile à la poste. Il est vrai, comme l’a retenu le Tribunal cantonal, que les enregistrements audiovisuels sont relativement faciles à manipuler. Toutefois, un avocat commettrait un grave manquement à ses obligations professionnelles s’il falsifiait un moyen de preuve afin d’établir le dépôt en temps utile de son acte. En l’absence d’indices d’une falsification, il ne se justifie pas de douter de l’authenticité d’un enregistrement. La séquence audiovisuelle doit naturellement contenir tous les éléments nécessaires à la preuve, notamment la date et l’heure du dépôt de l’acte ainsi que l’identification du pli contenant le recours. Le Tribunal cantonal valaisan devra ainsi examiner si le contenu de la vidéo apporte la preuve du respect du délai.

Enfin, il convient de relever que le visionnage d’une preuve vidéo peut entraîner un effort supplémentaire et que les coûts correspondants peuvent être mis par le tribunal à la charge de l’expéditeur, c’est-à-dire, par exemple, de l’avocat responsable.

 

 

Arrêt 6B_1247/2020 consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 04.11.2021 disponible ici

Version italienne: Prova video ammissibile per dimostrare il rispetto del termine

Version allemande : Videobeweis für Fristwahrung zulässig

 

 

8C_283/2021 (f) du 25.08.2021 – Suspension du droit à l’indemnité en cas de refus d’un travail convenable – Ne pas donner suite à une assignation à un travail réputé convenable – 30 al. 1 LACI – 16 LACI / Des lacunes en informatique ne constituent pas un motif valable susceptible d’alléger la faute

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_283/2021 (f) du 25.08.2021

 

Consultable ici

 

Devoirs de l’assuré / 17 LACI

Suspension du droit à l’indemnité en cas de refus d’un travail convenable – Ne pas donner suite à une assignation à un travail réputé convenable / 30 al. 1 LACI – 16 LACI

Interprétation de la notion juridique indéterminée « sans motif valable » – Des lacunes en informatique ne constituent pas un motif valable susceptible d’alléger la faute

 

Le 12.02.2019, l’assuré s’est annoncé à l’Office cantonal genevois de l’emploi (OCE) et a sollicité l’octroi de l’indemnité de chômage à compter du 01.03.2019, date à laquelle prendrait fin son activité de chauffeur-livreur sur des véhicules poids lourd auprès d’une société de transport et de logistique.

Par courriel du 29.01.2020, l’OCE a assigné l’assuré à postuler pour un poste de chauffeur poids lourd à plein temps de durée indéterminée. L’intéressé devait postuler en ligne jusqu’au 31.01.2020. Le 29.01.2020, sa conseillère lui a en outre envoyé un message SMS afin d’attirer son attention sur le fait qu’une offre d’emploi par courriel lui avait été adressée. A une date indéterminée, l’employeur concerné a signalé à l’OCE que l’assuré ne lui avait pas fait parvenir de dossier de candidature. Invité par sa conseillère à lui faire part de ses commentaires à ce propos, l’assuré ne s’est pas manifesté.

Par décision, , confirmée sur opposition, l’OCE a suspendu le droit de l’assuré à l’indemnité de chômage pour une durée de 31 jours, au motif qu’il avait commis une faute grave en ne donnant pas suite à une assignation qui lui aurait permis de quitter l’assurance-chômage de façon durable.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/247/2021 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que l’emploi assigné à l’assuré devait être qualifié de convenable et que celui-ci n’avait pas transmis sa candidature au potentiel employeur. Ce faisant, l’intéressé avait violé son obligation de diminuer le dommage et une suspension du droit à l’indemnité de chômage devait être prononcée à son encontre en application de l’art. 30 al. 1 let. c et d LACI.

L’instance cantonale a toutefois relevé que l’assuré avait pris au sérieux ses obligations de chômeur, dès lors qu’il n’avait pas commis d’autres manquements. Il avait en outre toujours répondu à toutes les exigences de son statut de demandeur d’emploi, en effectuant activement ses recherches d’emploi et en suivant les formations requises par l’OCE. Enfin, il prenait dorénavant connaissance des courriels qui lui étaient adressés et il avait retrouvé un emploi à partir du 01.10.2020 pour une durée de six mois. Dans ces conditions, sa faute était de gravité moyenne et la suspension de son droit à l’indemnité de chômage devait être réduite à 16 jours.

Par jugement du 23.03.2021, admission partielle du par le tribunal cantonal, réduisant la durée de la suspension à 16 jours.

 

TF

Lorsque l’assuré refuse, sans motif valable, un emploi réputé convenable, il y a faute grave (art. 45 al. 4 let. b OACI). Par motif valable, il faut entendre un motif qui fait apparaître la faute comme étant de gravité moyenne ou légère. Il peut s’agir, dans le cas concret, d’un motif lié à la situation subjective de la personne concernée ou à des circonstances objectives (ATF 141 V 365 consid. 4.1; 130 V 125 consid. 3.5). Si des circonstances particulières le justifient, il est donc possible, exceptionnellement, de fixer un nombre de jours de suspension inférieur à 31 jours. Toutefois, les motifs de s’écarter de la faute grave doivent être admis restrictivement (BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 117 ad art. 30 LACI et les références).

L’interprétation de la notion juridique indéterminée « sans motif valable » (art. 30 al. 1 let. d LACI) est une question de droit relevant, en principe, du plein pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, contrairement à la question de l’exercice du pouvoir d’appréciation (cf. pour l’art. 45 al. 4 OACI: arrêt 8C_756/2020 du 3 août 2021 consid. 3.2.2 et les références).

En tant qu’autorité de surveillance, le SECO a adopté un barème (indicatif) à l’intention des organes d’exécution. Quand bien même de telles directives ne sauraient lier les tribunaux, elles constituent un instrument précieux pour ces organes d’exécution lors de la fixation de la sanction et contribuent à une application plus égalitaire dans les différents cantons (ATF 141 V 365 consid. 2.4; arrêt 8C_40/2019 du 30 juillet 2019 consid. 5.4). Cela ne dispense cependant pas les autorités décisionnelles d’apprécier le comportement de l’assuré compte tenu de toutes les circonstances – tant objectives que subjectives – du cas concret, notamment des circonstances personnelles, en particulier de celles qui ont trait au comportement de l’intéressé au regard de ses devoirs généraux d’assuré qui fait valoir son droit à des prestations. Elles pourront le cas échéant aller en dessous du minimum prévu par le barème indicatif (arrêt 8C_756/2020 précité consid. 3.2.3 et les références). Le barème du SECO prévoit une suspension d’une durée de 31 à 45 jours en cas de premier refus d’un emploi convenable d’une durée indéterminée (Bulletin LACI IC, ch. D79/2.B/1).

Il ressort des faits constatés par la juridiction cantonale que l’assuré a été assigné à postuler pour un emploi par courriel de l’OCE du 29.01.2020 et que sa conseillère a attiré son attention sur ce point par message SMS du même jour. Les juges cantonaux n’ont à ce titre pas retenu que le courriel et le message SMS en question n’auraient pas été acheminés jusqu’à leur destinataire, de telle sorte que celui-ci n’aurait pas été en mesure d’en prendre connaissance en consultant sa boîte de messagerie électronique et son portable. Selon la cour cantonale, la conseillère de l’assuré a par ailleurs indiqué qu’elle communiquait avec lui par courriel et par téléphone. Il résulte en outre des déclarations faites par l’assuré lors de sa comparution personnelle – telles que reproduites dans l’arrêt attaqué – que ses deux fils vivaient encore avec lui et son épouse et que l’un d’eux lui avait créé son adresse électronique et avait écrit pour lui des courriels en février 2019 et en janvier 2020. On peut donc en déduire que l’assuré bénéficiait de l’assistance d’au moins une personne partageant son ménage pour ses échanges électroniques avec l’OCE et sa conseillère, lesquels n’avaient pas un caractère exceptionnel. Il s’est du reste engagé à consulter quotidiennement sa boîte de messagerie électronique en signant un plan d’actions le 25.02.2019 et a indiqué disposer de son propre téléphone mobile. Dans ces conditions, ses lacunes en informatique ne constituent pas un motif valable au sens de l’art. 45 al. 4 OACI, susceptible d’alléger sa faute, comme l’a implicitement retenu l’autorité cantonale.

En réalité, la cour cantonale a jugé que la faute de l’assuré était seulement de gravité moyenne sur la seule base de son comportement général en tant que chômeur, compte tenu notamment du fait qu’il n’avait pas commis d’autre manquement à ses obligations. Or de tels éléments ne sauraient constituer un motif valable tel que visé par l’art. 45 al. 4 OACI, puisqu’ils sont étrangers aux circonstances ayant conduit au manquement reproché à l’assuré. Le raisonnement des juges cantonaux reviendrait à conditionner la reconnaissance d’une faute grave – qui est la règle en cas de refus d’un travail convenable ou de manquement assimilé – à l’existence d’autres manquements de l’assuré, en violation de l’art. 45 al. 4 OACI. Il convient encore de noter que l’OCE, en prononçant une suspension du droit à l’indemnité de chômage d’une durée de 31 jours, a infligé à l’assuré la sanction minimale prévue par la loi et le barème du SECO.

Il résulte de ce qui précède que c’est en violation du droit fédéral que la juridiction cantonale a admis une faute moyennement grave (au lieu d’une faute grave) et a réduit la durée de la suspension du droit à l’indemnité à 16 jours.

 

Le TF admet le recours du SECO, annule le jugement cantonal et confirme la décision litigieuse.

 

 

Arrêt 8C_283/2021 consultable ici

 

 

9C_381/2020 (d) du 15.02.2021 – Allocation pour impotent de l’AI : aide de tiers pour accomplir les actes ordinaires de la vie vs accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_381/2020 (d) du 15.02.2021

 

Consultable ici

 

Allocation pour impotent de l’AI : aide de tiers pour accomplir les actes ordinaires de la vie vs accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie

 

Une même prestation d’aide peut relever aussi bien de l’aide de tiers dans l’accomplissement d’un acte ordinaire de la vie que de l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie; or, elle ne peut faire l’objet d’une double prise en compte. Si l’aide requise va au-delà de la gestion de la vie quotidienne au sens de l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie, elle doit être prise en compte à titre d’acte ordinaire de la vie.

 

Est déterminant pour évaluer le taux de l’impotence (faible, moyenne ou grave) le nombre d’actes de la vie quotidienne qui nécessitent l’aide d’une tierce personne ainsi que la question de savoir si la personne a besoin d’un accompagnement pour faire aux nécessites de la vie. Dans la pratique se pose par conséquent régulièrement la question de savoir si une aide doit être prise en compte à titre d’acte ordinaire de la vie ou d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie. Le Tribunal fédéral a examiné cette question dans son arrêt du 15 février 2021 (9C_381/2020).

 

Pour le développement et les commentaires de cet arrêt, cf. la publication «Droit et Handicap 08/2021 (21.10.2021)» de Martina Čulić d’Inclusion Handicap, consultable ici.

 

 

Arrêt 9C_381/2020 consultable ici

Retraite anticipée dans la prévoyance professionnelle / Recherche d’emploi et indemnité de chômage également en cas de retraite anticipée

Retraite anticipée dans la prévoyance professionnelle / Recherche d’emploi et indemnité de chômage également en cas de retraite anticipée

 

Le Tribunal fédéral a rendu deux arrêts qui répondent à des questions concernant la retraite anticipée. Son arrêt du 26 mars 2021 (9C_732/2020) portait sur la question de savoir si une personne peut décider de prendre une retraite anticipée même lorsque le cas de prévoyance «invalidité» est déjà survenu. Dans son arrêt du 15 juin 2021 (8C_721/2020, destiné à la publication), le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence de longue date. Il a étendu le champ d’application de la retraite anticipée involontaire aux personnes qui, non seulement pour des motifs économiques mais aussi pour d’autres raisons sans qu’il y ait faute de leur part, ont pris une retraite anticipée après avoir été licenciées.

 

Vu que les deux cas de prévoyance «invalidité» et «âge» s’excluent mutuellement, la possibilité d’une retraite anticipée prévue par le règlement devient caduque dès la survenance du cas de prévoyance «invalidité». Selon l’arrêt du Tribunal fédéral du 26 mars 2021 (9C_732/2020), ce principe s’applique même dans le cas où la personne assurée a demandé à être mise à la retraite anticipée avant que l’AI ait rendu sa décision d’octroi d’une rente.

Dans son arrêt du 15 juin 2021 (8C_721/2020, destiné à la publication), le Tribunal fédéral a statué que l’on pouvait admettre l’existence d’une retraite anticipée involontaire au sens de l’art. 12 al. 2 let. a de l’ordonnance sur l’assurance-chômage (OACI) même dans le cas où une personne choisit, après avoir été licenciée, le versement anticipé de prestations de vieillesse en lieu et place d’une prestation de sortie. De cette manière, l’activité soumise à cotisation exercée avant la mise à la retraite anticipée est prise en compte comme période de cotisation.

 

Pour le développement et les commentaires de ces deux arrêts, cf. la publication «Droit et Handicap 07/2021 (21.10.2021)» de Petra Kern d’Inclusion Handicap, consultable ici.

9C_588/2020 (d) du 18.05.2021 – Prestation pour survivants : restitution d’un capital-décès versé à une personne non autorisée du cercle des bénéficiaires et droit à des intérêts moratoires / 35a LPP – 104 al. 1 CO – 7 OLP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_588/2020 (d) du 18.05.2021

 

Consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 157 consultable ici

 

Prestation pour survivants : restitution d’un capital-décès versé à une personne non autorisée du cercle des bénéficiaires et droit à des intérêts moratoires / 35a LPP – 104 al. 1 CO – 7 OLP

 

En vertu de l’art. 35a LPP, une institution de prévoyance peut réclamer la restitution du capital-décès qu’elle a versé à une personne du cercle des bénéficiaires moins bien placée qu’une autre dans l’ordre de priorité et qui n’a donc pas droit à cette prestation. Des intérêts moratoires sont dus sur la demande de restitution. Le montant des intérêts est déterminé en premier lieu par les dispositions réglementaires et subsidiairement sur la base de l’art. 7 OLP.

Sur la base du règlement de prévoyance, une caisse de pension a versé un capital-décès à la sœur de l’assuré décédé, alors que ce capital ne lui était pas dû, mais revenait à la partenaire de l’assuré. Le Tribunal fédéral devait examiner en appel si une éventuelle obligation pour la sœur de rembourser l’institution de prévoyance était fondée sur l’art. 35a LPP ou sur les principes juridiques généraux de l’enrichissement sans cause légitime au sens de l’art. 62 CO. Il devait en outre décider si et dans quelle mesure la sœur était tenue de verser des intérêts moratoires sur la restitution.

Le TF a considéré que les conditions suivantes sont pertinentes pour une restitution dans le champ d’application de l’art. 35a LPP : (1) la prestation fournie doit être une prestation d’assurance au sens des art. 13 ss LPP ; (2) la prestation doit avoir été versée en vertu du règlement de prévoyance ; (3) la prestation doit avoir été versée de manière indue – c’est-à-dire sans raison légale (ou réglementaire) – ou le fondement juridique de la prestation doit avoir cessé d’exister après coup.

Le TF est arrivé à la conclusion que l’art. 35a LPP constitue en l’espèce la base légale applicable à la demande de restitution. Selon lui, il n’est ainsi pas contesté que la prestation versée – le capital-décès – était une prestation d’assurance (1). En outre, il relève que l’institution de prévoyance a versé la prestation à un bénéficiaire présumé sur la base de l’ordre des bénéficiaires prévu dans le règlement, et non à un tiers non impliqué. L’institution de prévoyance pensait, sur la base du règlement, être tenue de verser la prestation à cette personne. Cette dernière aurait aussi pu faire valoir son propre droit à la prestation pour survivant auprès de l’institution de prévoyance. Une relation pertinente du point de vue de la prévoyance professionnelle existait par conséquent dans le cas présent (2). Le fait que l’hypothèse de l’institution de prévoyance selon laquelle elle était tenue de verser la prestation à la recourante se soit ensuite révélée inexacte remplit également la condition du caractère indu de la prestation au sens de l’art. 35a al. 1 LPP (3).

Le TF devait en outre décider si des intérêts étaient dus sur la demande de restitution, car ce point n’est pas réglé à l’art. 35a LPP. S’appuyant sur la jurisprudence actuelle (voir ATF 145 V 18, consid. 4.2 et 5.2.1), il a jugé, en l’absence de bases statutaires et en se fondant sur l’art. 104 al. 1 CO, que les intérêts moratoires sont autorisés dans le droit de la prévoyance professionnelle tant dans le domaine des prestations que dans celui des cotisations. Étant donné que le règlement pertinent concernant la restitution ne contient en l’espèce aucune disposition sur les intérêts moratoires, ces derniers sont dus sur la base de l’art. 104 al. 1 CO. Enfin, en ce qui concerne le montant des intérêts moratoires, en l’absence de disposition explicite dans le règlement, le taux d’intérêt dû correspond à celui de l’art. 7 OLP (taux d’intérêt minimal LPP plus 1%).

 

 

Arrêt 9C_588/2020 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 157 consultable ici

 

8C_13/2021 (f) du 06.09.2021 – Lésion corporelle comprise dans la liste énumérée à l’art. 6 al. 2 LAA / Déchirure partielle du tendon d’Achille – Preuve libératoire pas apportée par l’assurance-accidents

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_13/2021 (f) du 06.09.2021

 

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Lésion corporelle comprise dans la liste énumérée à l’art. 6 al. 2 LAA

Déchirure partielle du tendon d’Achille – Preuve libératoire pas apportée par l’assurance-accidents – Ad expertise médicale

 

Assuré, enseignant en éducation physique, a ressenti le 04.05.2019 une violente douleur derrière le pied droit, alors qu’il présentait un exercice dans le cadre d’un stage d’entraînement de gardiens de but de football. Diagnostic : rupture complète du tendon d’Achille droit, confirmée par une IRM effectuée le 10.05.2019. Le médecin-conseil de l’assurance-accidents, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, a relevé dans un formulaire rempli le 30.07.2019 que l’assuré souffrait d’une déchirure partielle du tendon d’Achille sur fond dégénératif.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé d’allouer des prestations à l’assuré, au motif que l’événement du 04.05.2019 ne pouvait pas être qualifié d’accident et qu’il n’avait pas occasionné une lésion corporelle assimilée à un accident.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 17/20 – 173/2020 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que l’assuré avait fait le 04.05.2019 la démonstration d’un exercice de sauts à la corde, suivi d’un démarrage en course, et qu’il avait ressenti une vive douleur au moment dudit démarrage. Cette lésion avait eu lieu dans un contexte sportif et aucune pièce au dossier ne faisait état d’un mouvement imprévu ou involontaire au moment de la survenance de la douleur, de sorte que l’on ne pouvait pas conclure à l’existence d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA.

Les juges cantonaux ont constaté que la déchirure du tendon s’était produite ensuite d’un événement clairement identifiable, à savoir un démarrage soudain lors d’un entraînement de football. Après s’être référée à des extraits issus de la littérature médicale sur la tendinopathie chronique, l’instance cantonale a retenu que le constat d’état remanié du tendon d’Achille, qui plaidait en faveur d’une atteinte relativement avancée dudit tendon, n’était pas remis en cause par l’avis du spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur traitant, qui avait déclaré ne pas pouvoir affirmer avec certitude que la rupture du tendon s’était produite sur une tendinopathie chronique. Cela étant, aucune pièce au dossier n’indiquait que l’assuré avait présenté des signes cliniques d’une telle affection avant l’événement du 04.05.2019, de sorte que la qualification des atteintes préexistantes de tendinopathie chronique par le médecin-conseil paraissait excessive. A tout le moins, le fait que de telles atteintes aient pu favoriser une déchirure aiguë du tendon d’Achille ne suffisait pas à considérer qu’elles en avaient constitué la cause prépondérante. Par ailleurs, au vu de la littérature médicale relative à la déchirure aiguë du tendon d’Achille, les circonstances de l’événement du 04.05.2019 (démarrage brusque avec changement de direction, contraction explosive du triceps sural, ainsi que douleur et claquement ressentis par l’assuré avec perte de fonction immédiate) étaient typiques d’une telle déchirure aiguë. Dans ce contexte, rien ne permettait de considérer que les facteurs dégénératifs préexistants ayant pu favoriser la lésion avaient, au degré de la vraisemblance prépondérante, joué un rôle causal prépondérant dans son apparition, par rapport au démarrage brusque effectué par l’assuré.

Par jugement du 10.11.2020, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Aux termes de l’art. 6 al. 2 LAA (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2017), l’assurance-accidents alloue aussi ses prestations pour certaines lésions corporelles, parmi lesquelles les déchirures de tendons (cf. let. f), pour autant qu’elles ne soient pas dues de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie.

Selon la jurisprudence récente du Tribunal fédéral (ATF 146 V 51), lorsqu’une lésion corporelle comprise dans la liste énumérée à l’art. 6 al. 2 LAA est diagnostiquée, l’assureur-accidents est tenu à prestations aussi longtemps qu’il n’apporte pas la preuve libératoire que cette lésion est due de manière prépondérante, c’est-à-dire à plus de 50% de tous les facteurs en cause, à l’usure ou à une maladie (cf. consid. 8.2.2.1 et 8.3). En effet, contrairement à ce qui prévalait en matière de lésions corporelles assimilées à un accident sous l’empire de l’ancien droit (cf. art. 6 al. 2 LAA et art. 9 al. 2 OLAA dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016), l’octroi de prestations sur la base de l’art. 6 al. 2 LAA (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2017) ne suppose plus que les conditions constitutives de la notion d’accident (cf. art. 4 LPGA) soient réalisées, à la seule exception du caractère « extraordinaire » de la cause extérieure. Le seul fait que l’on soit en présence d’une lésion corporelle comprise dans la liste énumérée à l’art. 6 al. 2 LAA entraîne la présomption qu’il s’agit d’une lésion corporelle assimilée à un accident, qui doit être prise en charge par l’assureur-accidents. Celui-ci est dès lors tenu de prester aussi longtemps qu’il n’apporte pas la preuve, en s’appuyant sur des avis médicaux probants, que cette lésion est due de manière prépondérante à l’usure ou à la maladie (cf. consid. 8.6).

Le médecin-conseil a retenu que l’assuré avait subi une déchirure partielle du tendon d’Achille droit, qui s’intégrait dans un cadre dégénératif préexistant prépondérant sous la forme d’une tendinopathie achilléenne chronique. Il a motivé son appréciation en se référant aux clichés de l’IRM du 10.05.2019, lesquels mettaient en évidence un petit hématome adjacent à la rupture intra-tendineuse et un reste de tendon pas uniquement hétérogène, mais épaissi de manière irrégulière. Ce tableau reflétait typiquement un contexte dégénératif et ne correspondait pas, « avec une certaine haute vraisemblance », à une « solution de continuité abrupte d’un tendon sur tendon sain ». Le médecin-conseil mentionnait également les conclusions du spécialiste en radiologie, qui avait diagnostiqué une lésion subtotale du tendon et avait noté un aspect remanié du reste du tendon, qui pouvait évoquer une tendinopathie chronique préexistante.

Le chirurgien orthopédique traitant a lui aussi diagnostiqué une rupture subtotale du tendon. Sans se référer à l’art. 6 al. 2 LAA, il a toutefois indiqué ne pas pouvoir affirmer avec certitude que la rupture aiguë du tendon s’était produite sur une tendinopathie chronique, sans pour autant exclure une telle pathologie. Il a expliqué que l’assuré n’avait jamais fait état de signes cliniques d’une tendinopathie chronique (douleur ou gêne du tendon) avant l’événement du 04.05.2019, qu’une rupture aiguë montrait toujours une lacération du tendon et jamais une rupture nette (sauf en cas de section par objet contondant), et que l’IRM n’avait pas montré de calcification qui serait un signe clair et indiscutable de tendinopathie chronique.

Même en admettant, sur la base des avis médicaux du médecin-conseil, que la déchirure aiguë du tendon d’Achille droit de l’assuré survenue le 04.05.2019 lors de son brusque démarrage en course s’est produite sur fond de tendinopathie achilléenne chronique préexistante (asymptomatique), force est de constater que l’affirmation de ce médecin selon laquelle la lésion en cause serait due de manière prépondérante à un processus dégénératif n’est aucunement étayée sur le plan médical. Or c’est à l’assurance-accidents qu’incombe le fardeau de la preuve libératoire que la lésion est due de manière prépondérante – soit à plus de 50% de tous les autres facteurs en cause – à l’usure ou à la maladie. Dans cette optique, elle avait l’obligation d’instruire d’office les éléments médicaux déterminants pour la résolution du cas (art. 43 al. 1 LPGA) et ne pouvait pas se contenter des avis médicaux insuffisamment motivés de son médecin-conseil – qui ne sauraient constituer une preuve libératoire au sens de la jurisprudence – pour refuser la prise en charge de l’atteinte à la santé de l’assuré. L’avis succinct du chirurgien orthopédique traitant, lequel n’a pas constaté mais n’a pas non plus exclu définitivement une tendinopathie chronique préexistante, ne permet pas à l’inverse d’exclure à lui seul une lésion causée de manière prépondérante par une telle affection.

Les avis médicaux au dossier ne permettent donc pas de trancher le point de savoir si la déchirure du tendon d’Achille droit subie par l’assuré le 04.05.2019 est due de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie, sous la forme d’une tendinopathie chronique préexistante. Dans ces conditions et malgré la présomption de l’art. 6 al. 2 LAA, la cour cantonale n’était pas fondée à imposer à l’assurance-accidents la prise en charge des suites de cette affection sans ordonner une expertise indépendante et en procédant de surcroît elle-même à des constatations et des analyses d’ordre médical ne figurant pas dans les différents avis médicaux au dossier.

Il s’impose donc de renvoyer la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle mette en œuvre une expertise médicale au sens de l’art. 44 LPGA (cf. dans ce sens arrêts 8C_382/2020 du 3 décembre 2020 consid. 6.3 et 6.4; 8C_618/2019 du 18 février 2020 consid. 8.2; 8C_267/2019 du 30 octobre 2019 consid. 7.2.2). Si l’expert désigné n’arrive pas à la conclusion motivée et convaincante que la lésion de l’assuré est due de manière prépondérante à l’usure ou à la maladie, il appartiendra alors à l’assurance-accidents de prendre en charge les suites de l’atteinte à la santé de l’assuré.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et la décision litigieuse, renvoyant le dossier à l’assurance-accidents pour mise en œuvre de l’expertise médicale.

 

 

Arrêt 8C_13/2021 consultable ici

 

 

9C_132/2021 (d) du 15.09.2021, destiné à la publication – Allocation pour perte de gain en lien avec le coronavirus : rejet du recours d’une médecin indépendante

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_132/2021 (d) du 15.09.2021, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 14.10.2021 consultable ici

 

Allocation pour perte de gain en lien avec le coronavirus : rejet du recours d’une médecin indépendante

 

Les dispositions valables de la mi-mars à la mi-septembre 2020 en matière d’indemnisation des pertes de gain subies par des personnes indépendantes en raison du coronavirus sont exhaustives. Il n’appartient pas au juge de les compléter. Le Tribunal fédéral rejette le recours d’une médecin indépendante dont la demande d’indemnités pour perte de gain avait été écartée.

Une médecin indépendante s’était annoncée à la mi-avril 2020 auprès de la caisse de compensation compétente afin de recevoir une indemnité pour perte de gain en lien avec le coronavirus. Elle avait fait valoir une baisse du chiffre d’affaires durant la période du 17.03.2020 au 27.04.2020, lorsque l’activité médicale était limitée à des interventions urgentes. La caisse de compensation avait refusé de lui verser des indemnités car elle ne remplissait pas les conditions requises. Elle avait recouru sans succès auprès du Tribunal administratif du canton de Berne.

Le Tribunal fédéral rejette le recours de l’intéressée.

Selon l’article 2, alinéas 3 et 3bis de l’ordonnance du Conseil fédéral sur les pertes de gain Covid-19, dans sa version en vigueur du 17.03.2020 au 16.09.2020, les indépendants avaient droit à l’allocation pour perte de gain en tant que personnes directement concernées en cas d’interruption de l’activité lucrative en raison de fermetures ordonnées d’entreprises ou d’interdictions de manifestations. Les indépendants qui ne tombaient pas sous le coup de cette disposition avaient uniquement un droit indirect à la compensation de la perte de gain en lien avec le coronavirus, au titre de cas de rigueur ; la condition était d’avoir subi une perte de revenu et la réalisation d’un revenu provenant d’une activité lucrative soumise à l’AVS compris entre 10’000 et 90’000 francs en 2019. Dans le cas concret, il n’est pas contesté que la médecin concernée avait en principe pu poursuivre son activité après le 17.03.2020 et qu’elle avait réalisé un revenu de plus de 90’000 francs en 2019. Elle ne remplissait donc pas les conditions pour bénéficier d’une indemnité pour perte de gain. Contrairement à ce qu’elle a soutenu, la règlementation du Conseil fédéral n’était pas lacunaire. Au contraire, il ressort de l’interprétation des dispositions en question que le Conseil fédéral, en sa qualité de législateur, a délibérément voulu distinguer seulement deux catégories d’indépendants et établir une réglementation exhaustive pour le droit direct et indirect à l’indemnité pour perte de gain. Le Conseil fédéral n’a pas accepté de satisfaire intégralement l’ensemble des demandes au moyen d’indemnités à fonds perdus. Par conséquent, il n’y a pas de place pour un comblement de lacunes par le juge.

Dans le cas d’espèce, la règlementation en question ne viole pas non plus le principe de l’égalité de traitement et elle n’est pas arbitraire. En particulier, en ce qui concerne la limite supérieure de revenu de 90’000 francs pour les personnes indirectement touchées, de tels seuils ne sont pas inhabituels en droit des assurances sociales ; la limite fixée est appropriée dans le contexte global pour définir un cas de rigueur.

Enfin, il n’y a pas de violation de la liberté économique.

 

 

Arrêt 9C_132/2021 consultable ici

 

 

9C_529/2020 (f) du 25.08.2021 – Qualification de prélèvements réguliers effectués par l’administrateur président et l’administratrice secrétaire sur le compte courant dont ils sont titulaires auprès de la société anonyme – Cotisations sociales sur les prélèvements – 4 LAVS – 5 al. 2 LAVS – 6 al. 1 RAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_529/2020 (f) du 25.08.2021

 

Consultable ici

 

Qualification de prélèvements réguliers effectués par l’administrateur président et l’administratrice secrétaire sur le compte courant dont ils sont titulaires auprès de la société anonyme – Cotisations sociales sur les prélèvements / 4 LAVS – 5 al. 2 LAVS – 6 al. 1 RAVS

Caisses de compensation pas impérativement liées par les communications des autorités fiscales / 23 RAVS

 

A.B.__ et B.B.__ apparaissent au Registre du commerce en tant qu’administrateur président et administratrice secrétaire de A.__ SA, dont ils sont également salariés. Le 26.01.2017, la caisse de compensation AVS a communiqué à la société le décompte final des cotisations sociales dues pour 2016. Ce décompte se fondait sur la déclaration 2016 des salaires payés par A.__ SA. Y figuraient les montants de 205’913 fr. 60 (18’442 fr. 80+187’470 fr. 80) versés à A.B.__ et de 23’200 fr. 80 versés à B.B.__. La société a demandé la rectification du décompte mentionné le 27.02.2017. Elle arguait que les salaires versés en 2016 étaient de 39’006 fr. pour A.B.__ et de 53’520 fr. pour B.B.__.

Entre autres mesures d’instruction, la caisse a procédé le 05.05.2017 à un contrôle des salaires déclarés par l’employeur du 01.01.2012 au 31.12.2016. Se fondant sur les éléments de comptabilité recueillis à l’occasion de ce contrôle, elle a sollicité des précisions à propos « de débits réguliers de 18’000 fr. sur l’année 2016 ». A.__ SA a expliqué que le salaire de A.B.__ avait été ramené à 23’606 fr. en 2016 dans la mesure où ce dernier touchait une rente AVS depuis le mois de février et que les époux A.B.__ et B.B.__ disposaient auprès de la société d’un compte courant sur lequel ils prélevaient 18’000 fr. par mois.

Par décision du 02.10.2017, confirmée sur opposition le 24.10.2017, la caisse a qualifié de salaire les prélèvements de 18’000 fr. par les époux A.B.__ et B.B.__ sur leur compte courant.

 

Procédure cantonale (arrêt AVS 46/17-22/2020 – consultable ici)

Dans le cadre du recours, A.__ SA a notamment produit la décision de taxation 2016 de la société, les déclarations de dividendes 2012-2016 et le procès-verbal de l’assemblée générale ordinaire des actionnaires tenue le 06.03.2017. Sur demande du juge instructeur, elle a encore déposé le certificat de salaire 2016 de A.B.__, la déclaration d’impôt 2016 du couple A.B.__ et B.B.__ ainsi que la décision de taxation correspondante et les comptes 2016-2017 de la société.

La juridiction cantonale a relevé que, sur réclamation, les autorités fiscales avaient modifié la décision de taxation du couple A.B.__ et B.B.__ en ce sens que, sur la base de la comptabilité de la société intimée, elles avaient admis que le salaire de A.B.__ en 2016 s’était élevé à 36’000 fr. et celui de son épouse à 48’000 francs. Elle a considéré que, selon l’art. 23 RAVS, les renseignements fournis par les autorités fiscales liaient les autorités compétentes en matière d’AVS. Elle en a dès lors déduit que les montants prélevés chaque mois par les époux A.B.__ et B.B.__ sur leur compte courant l’avaient été à titre de dividendes et que le salaire brut 2016 soumis à cotisations était de 39’006 fr. (avant déduction de la franchise AVS dès 65 ans) pour A.B.__ et de 53’520 fr. pour B.B.__.

Par jugement du 02.06.2020, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision en ce sens que « pour 2016, le salaire brut de A.B.__ [était] fixé à 39’006 fr. et celui de B.B.__ à 53’520 fr. ».

 

TF

Selon les constatations cantonales, succinctes, le seul motif qui a en l’occurrence amené les juges cantonaux à qualifier de dividendes les prélèvements de 18’000 fr. effectués par les époux A.B.__ et B.B.__ sur leur compte courant semble être le caractère contraignant de la décision de taxation, corrigée sur réclamation, par laquelle les autorités fiscales avaient accepté de reconsidérer le montant des salaires déclarés par les époux A.B.__ et B.B.__ pour l’année 2016.

Or, contrairement à ce que laisse entendre la juridiction cantonale, les caisses de compensation ne sont pas impérativement liées par les communications des autorités fiscales.

Certes, à l’instar de ce qui prévaut pour la détermination du revenu et du capital propre (cf. art. 9 al. 3 LAVS en lien avec l’art. 23 RAVS), les informations fournies par les autorités fiscales, qui ont des implications en droit fiscal, sont – en principe – contraignantes pour les autorités compétentes en matière d’AVS, notamment en ce qui concerne le point de savoir s’il existe un revenu provenant d’une activité lucrative et, le cas échéant, d’une activité indépendante ou salariée. Toutefois, les autorités compétentes en matière d’AVS peuvent procéder à leurs propres investigations, plus approfondies, s’il existe de sérieux doutes quant à l’exactitude de la communication fiscale (cf. ATF 147 V 114 consid. 3.4.2; voir aussi ATF 145 V 50 consid. 3.3 et les références).

Compte tenu de ce qui précède, la caisse de compensation avait donc la possibilité de s’écarter de la décision de taxation des autorités fiscales à condition de pouvoir démontrer l’inexactitude de leur communication. Elle a suggéré l’existence d’une telle inexactitude, de façon succincte dans la décision sur opposition rendue le 24.10.2017, et la suggère, de façon plus détaillée dans le mémoire de recours produit en instance fédérale, en déduisant le caractère salarial des prélèvements de 18’000 fr. du fait que les époux A.B.__ et B.B.__ avaient généralement compensé par le passé le solde débiteur de leur compte courant en y reversant leurs salaires et non leurs dividendes.

On relèvera d’abord que, comme déjà mentionné, les constatations de la juridiction cantonale sont non seulement très succinctes mais également inexactes, dans le sens où les décisions de taxation ne lient pas forcément les caisses de compensation chargées de fixer le montant des cotisations sociales. De plus, elles ne permettent pas de comprendre la raison pour laquelle le fait que les autorités fiscales ont accepté de reconsidérer le montant des salaires déclarés par les époux A.B.__ et B.B.__ en 2016, en retenant un montant salarial global inférieur à celui déclaré initialement, justifierait de qualifier de dividendes les prélèvements de 18’000 fr., qui devaient apparemment être qualifiés de salaire auparavant. On ne trouve à cet égard aucune explication dans l’arrêt attaqué.

On ajoutera ensuite que les thèses défendues par les parties à propos de la manière dont les époux A.B.__ et B.B.__ remboursaient la dette que représentait le solde négatif de leur compte courant engendré par les prélèvements de 18’000 fr. (sur le fonctionnement du compte courant actionnaire, cf. arrêt 9C_77/2020 du 25 mars 2021 consid. 5.1) ne permettent pas de déterminer la nature des prélèvements en question. En effet, peu importe que par le passé, les époux A.B.__ et B.B.__ aient d’un point de vue comptable versé leurs salaires sur leur compte courant, ainsi que le prétend la caisse de compensation, ou qu’en 2016, ils y aient versé une partie des dividendes distribués cette année-là, ainsi que le soutient la société intimée. Dès lors que leur compte courant présentait un solde débiteur à la fin de l’année 2016, les époux A.B.__ et B.B.__ étaient libres de s’acquitter de leur dette envers la société intimée au moyen des salaires qu’il percevaient en raison de leur qualité de salariés ou des dividendes qu’ils percevaient en raison de leur qualité d’actionnaires. Ce n’est pas parce que, par le passé, le montant annuel des prélèvements (18’000 x 13 = 234’000) équivalait approximativement au montant des salaires déclarés et reversés sur le compte courant (205’913,6 + 23’200,8 = 228’514, 4), et laissait ainsi penser que les prélèvements évoqués correspondaient à une avance sur salaire, ou que, pour l’année 2016, une partie des dividendes avait servi à compenser la dette engendrée par lesdits prélèvements, et laissait ainsi penser que ceux-ci correspondaient à une avances sur dividendes, que la situation est figée à tout jamais. Le fait que A.B.__ a atteint l’âge de la retraite durant l’année 2016, ce dont le raisonnement de la caisse de compensation et des juges cantonaux ne tient pas compte, peut en soi justifier un changement de qualification des prélèvements mensuels. En effet, lorsqu’un travailleur atteint cet âge, il cesse – d’ordinaire – toute activité professionnelle. Il n’est toutefois pas impossible qu’il continue à exercer une telle activité au-delà dudit âge, sans changer son taux d’occupation ou en le diminuant, ni que l’employeur choisisse du point de vue financier de maintenir le niveau antérieur de vie de l’employé sans contre-prestation en retour, d’autant plus lorsqu’employeur et employé sont une seule et même personne qui – comme en l’espèce – est administratrice et actionnaire de la société dans laquelle elle est également salariée.

L’élément essentiel pour le paiement des cotisations sociales – ce sur quoi la juridiction cantonale ne s’est pas prononcée – est de déterminer si la prestation de l’employeur est fondée sur les rapports de travail ou si elle a été versée en raison de droits de participation (cf. ATF 145 V 50 consid. 3.2; 134 V 297 consid. 2.1; voir aussi arrêt 9C_77/2020 du 25 mars 2021 consid. 6.2 et les références).

 

En l’absence de constatations pertinentes permettant de résoudre cette question, il convient d’annuler l’arrêt entrepris et de renvoyer la cause au tribunal cantonal.

 

Le TF admet le recours de la caisse de compensation, annulant le jugement cantonal et renvoyant la cause à l’instance cantonale.

 

 

Arrêt 9C_529/2020 consultable ici

 

 

8C_441/2017 (f) du 06.06.2018 – Troubles psychiques – ESPT – Rappel de la notion de la causalité naturelle – 6 LAA / Expertise médicale – Considérations d’ordre général vs données individuelles de l’assurée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_441/2017 (f) du 06.06.2018

 

Consultable ici

 

Troubles psychiques – ESPT – Rappel de la notion de la causalité naturelle / 6 LAA

Expertise médicale – Considérations d’ordre général vs données individuelles de l’assurée

 

Assurée, née en 1953, travaillait à plein temps en qualité d’assistante de police. Le 26.02.2011 en début d’après-midi, alors qu’elle effectuait son service, elle a été la cible de plusieurs coups de feu tirés au niveau de ses jambes et de son bassin par un homme qui se trouvait derrière elle à une trentaine de mètres. Deux balles l’ont atteinte dont l’une s’est arrêtée dans le fémur tandis que l’autre est ressortie. L’homme a pris la fuite peu après. Il s’est dénoncé à la police deux jours plus tard, avouant avoir tiré sur l’assurée qu’il avait choisie par hasard car il en voulait aux assistants de police.

L’assurée a subi une fracture sous-trochantérienne du fémur droit et a été opérée le jour même de l’accident au service de traumatologie de l’hôpital B.__. L’assurance-accidents a pris en charge le cas qui a nécessité un suivi médical tant sur le plan orthopédique que psychiatrique, l’assurée ayant développé des crises d’angoisse durant son hospitalisation.

L’assurée a recommencé à travailler le 01.03.2012 à 50% dans un nouveau poste au sein du secrétariat des unités de circulation.

Une expertise orthopédique-psychiatrique a été mise en œuvre par l’assurance-accidents (rapports en septembre 2013). Le médecin orthopédiste a constaté que sur le plan osseux, la fracture s’était bien consolidée. L’assurée, dont l’état était stabilisé, présentait une insuffisance du muscle fessier qui avait été touché par la deuxième balle, ainsi qu’une hypoesthésie perdurante plantaire, entraînant une boiterie de Trendelenburg et de Duchenne. L’atteinte à l’intégrité s’élevait à 10%. Une activité essentiellement debout n’était plus possible contrairement à celle en position semi-assise qui était réalisable à 100% avec tout au plus une diminution de rendement de 10%. Quant au médecin psychiatre, il a retenu les diagnostics de trouble dépressif récurrent (épisode actuellement moyen) (F33.1) et d’état de stress post-traumatique [ESPT] (F43.1). Selon lui, la causalité naturelle entre ces affections – qui entraînaient une incapacité de travail de 50% – et l’accident était actuellement donnée. Il suggérait cependant une réévaluation du cas au début de l’année 2015 vu les antécédents psychiatriques de l’assurée sous la forme d’épisodes anxio-dépressifs et de trouble panique avec agoraphobie.

Par décision du 23.10.2013, l’assurance-accidents a mis fin au traitement médical physique et alloué à A.__ une indemnité pour atteinte à l’intégrité d’un taux de 10%.

L’assurée a été réexaminée par l’expert psychiatre en janvier 2015. Ce médecin est parvenu à la conclusion que depuis le 26.02.2015, les facteurs étrangers à l’événement traumatique étaient la cause prépondérante du maintien et de la gravité des troubles psychiques actuels de l’assurée avec un degré de vraisemblance plus grand que 75%.

Informée par courrier de la fin des prestations envisagée par l’assurance-accidents, la prénommée a produit un rapport de son médecin traitant psychiatre critiquant l’expertise. Invité à se déterminer, l’expert psychiatre a établi un complément d’expertise dans lequel il confirmait ses conclusions.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis un terme à toutes ses prestations avec effet au 31.03.2015.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 25/16 – 41/2017 – consultable ici)

Par jugement du 26.04.2017, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision litigieuse en ce sens que l’assurance-accidents est tenue de prendre en charge les suites de l’événement accidentel du 26.02.2011 au-delà du 31.03.2015.

 

TF

La condition du lien de causalité naturelle est réalisée lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans l’événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou qu’il ne serait pas survenu de la même manière. Il n’est pas nécessaire que l’accident soit la cause unique ou immédiate de l’atteinte à la santé: il suffit qu’associé éventuellement à d’autres facteurs, il ait provoqué l’atteinte à la santé, c’est-à-dire qu’il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte. Savoir si l’événement assuré et l’atteinte en question sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait que l’administration ou, le cas échéant, le juge, examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d’ordre médical, et qui doit être tranchée à la lumière de la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l’appréciation des preuves dans l’assurance sociale (ATF 129 V 177 consid. 3.1 p. 181, 402 consid. 4.3 p. 406).

Si un accident n’a fait que déclencher un processus qui serait de toute façon survenu sans cet événement, le lien de causalité naturelle entre les symptômes présentés par l’assuré et l’accident doit être nié lorsque l’état maladif antérieur est revenu au stade où il se trouvait avant l’accident (statu quo ante) ou s’il est parvenu au stade d’évolution qu’il aurait atteint sans l’accident (statu quo sine) (RAMA 1992 n° U 142 p. 75 consid. 4b). Le seul fait que des symptômes douloureux ne se sont manifestés qu’après la survenance d’un accident ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet accident (raisonnement « post hoc, ergo propter hoc »; cf. ATF 119 V 335 consid. 2b/bb p. 341 s.; RAMA 1999 n° U 341 p. 408 s., consid. 3b). Il convient en principe d’en rechercher l’étiologie et de vérifier, sur cette base, l’existence du rapport de causalité avec l’événement assuré.

Dans le contexte de la suppression du droit à des prestations, la règle selon laquelle le fardeau de la preuve appartient à la partie qui invoque la suppression du droit (RAMA 2000 n° U 363 p. 46 consid. 2 et la référence), entre seulement en considération s’il n’est pas possible, dans le cadre du principe inquisitoire, d’établir sur la base d’une appréciation des preuves un état de fait qui au degré de vraisemblance prépondérante corresponde à la réalité (ATF 117 V 261 consid. 3b p. 264 et les références). La preuve de la disparition du lien de causalité naturelle ne doit pas être apportée par la preuve de facteurs étrangers à l’accident. Il est encore moins question d’exiger de l’assureur-accidents la preuve négative qu’aucune atteinte à la santé ne subsiste plus ou que la personne assurée est dorénavant en parfaite santé. Est seul décisif le point de savoir si les causes accidentelles d’une atteinte à la santé ne jouent plus de rôle et doivent ainsi être considérées comme ayant disparu (cf. arrêt 8C_464/2014 du 17 juillet 2015 consid. 3.3).

En l’occurrence, on doit admettre avec les juges cantonaux que la dernière expertise de l’expert psychiatre ne saurait servir de fondement à la décision de suppression litigieuse.

La raison principale qui a conduit l’expert à retenir que les facteurs étrangers avaient pris une valeur prépondérante depuis le 26.02.2015 est qu’il considère qu’un événement de l’ordre de celui subi par l’assurée ne représente pas un facteur de stress assez grave pour « provoquer per se un [ESPT] qui dure pendant des années ». En raisonnant de la sorte, l’expert psychiatre se prononce selon une approche théorique détachée du cas concret. Il porte un jugement de valeur qui repose davantage sur des considérations d’ordre général (l’expérience médicale et le cours ordinaire des choses) que sur les données individuelles de l’assurée. De plus, la conclusion à laquelle il a abouti contraste singulièrement avec ses observations cliniques puisqu’il mentionne, en janvier 2015, un tableau clinique toujours dominé par des flash-back de l’accident, une hypervigilance, de même qu’une anxiété en relation avec la peur d’être la cible d’un tir par balle en terrain dégagé, soit des symptômes en correspondance avec le traumatisme initial et typiques d’un ESPT. De telles constatations – qui rejoignent au demeurant celles faites par le psychiatre traitant – tendent à démontrer au contraire que l’événement auquel l’assurée a été confrontée joue encore un rôle, ne serait-ce que partiellement, dans son état psychique actuel. Enfin, le seul constat d’antécédents psychiatriques ne prouve pas la disparition du lien de causalité naturelle du moment qu’il suffit que l’accident soit la condition sine qua non de l’atteinte à la santé, même s’il n’en est pas la cause unique. D’ailleurs, l’expert psychiatre ne dit pas que le statu quo sine a été atteint le 26.02.2015, c’est-à-dire que l’assurée est parvenue à un état psychique similaire à celui qu’elle aurait vraisemblablement eu sans l’accident par suite d’un développement ordinaire de ses affections psychiques antérieures. En définitive, et indépendamment des objections soulevées par le médecin traitant à propos de l’influence du passé psychiatrique de l’assurée, la seule conclusion que l’on peut tirer de l’ensemble des considérations de l’expert est qu’il apparaît probable que celle-ci présente un état antérieur de fragilité qui contribue au maintien de ses troubles. On ne saurait pour autant en déduire que l’effet causal de l’accident dans l’apparition et le développement de ces troubles a disparu au sens de la jurisprudence applicable.

Au vu des avis médicaux en présence qui ne sont pas fondamentalement opposés, les juges cantonaux étaient par conséquent fondés à retenir que les troubles psychiques de l’assurée sont encore en relation de causalité naturelle avec l’accident assuré, sans qu’un complément d’instruction soit nécessaire. On peut également se rallier à leur motifs convaincants en ce qui concerne la continuation du traitement médical. Pour terminer, il n’y a pas lieu d’examiner la manière dont ils ont tranché la question de la causalité adéquate, faute de grief soulevé dans le mémoire de recours.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_441/2017 consultable ici

 

 

8C_124/2021 (d) du 02.08.2021 – Revenu d’invalide – Capacité de travail exigible dans l’activité habituelle – 16 LPGA / Revenu d’invalide fixé sur la base du tableau T17 de l’ESS 2018

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_124/2021 (d) du 02.08.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu d’invalide – Capacité de travail exigible dans l’activité habituelle / 16 LPGA

Revenu d’invalide fixé sur la base du tableau T17 de l’ESS 2018

 

Assurée, née en 1972, mère d’un fils (né en 2002), de nationalité étrangère (depuis septembre 2016 également citoyenne suisse), entrée en Suisse après s’être mariée le 18.12.2000. Son mari est décédé en 2006. À partir de 2009, elle a travaillé pour C.__ SA avec un taux d’activité de 70 à 80 %. Le 14.02.2012, 1e annonce AI en raison de troubles psychiques persistants depuis août 2011. L’office AI lui a alors octroyé une mesure de coaching du 01.09.2012 au 31.05.2013. En avril 2013, l’assurée a retrouvé une pleine capacité de travail, raison pour laquelle l’office AI a mis fin aux mesures de réadaptation. Dernièrement, l’assurée a travaillé à partir de mai 2016 pour D.__ SA chez C.__ SA en tant que cheffe de projet dans le domaine de la communication externe d’entreprise.

Le 17.07.2017, nouvelle demande AI en raison d’une incapacité de travail de 100% depuis mars 2017 pour des troubles psychiques. Après instruction habituelle et mise en œuvre d’une expertise bi-disciplinaire (psychiatrique-rhumatologique), l’office AI a octroyé à l’assurée une rente d’invalidité limitée dans le temps : rente entière dès 01.03.2018 (taux d’invalidité de 100%) ; demi-rente dès mars 2019 (taux d’invalidité de 50%) ; refus de la rente à compter du 01.05.2019 (taux d’invalidité de 20%).

 

Procédure cantonale

Pour déterminer le revenu d’invalidité, la cour cantonale s’est basée sur le revenu médian (valeur centrale) des femmes, niveau de compétences 3, du tableau TA1 de l’ESS. L’assurée, âgée de 48 ans au moment du jugement, avait travaillé en tant que chef de projet pour des entreprises de renom pendant environ huit ans avant sa maladie en 2017. Cette période d’activité n’a pas duré si longtemps qu’un changement de branche professionnelle n’est plus exigible de sa part. Compte tenu de la situation globale, la cour cantonale a constaté qu’il n’est pas justifié de déroger au principe de l’applicabilité du tableau ESS TA1.

L’instance cantonale a constaté que des décompensations sont survenues en 2013 et 2017 après une forte charge de travail. Selon l’assurée, elle voulait reprendre le travail, mais elle craignait de se retrouver à nouveau dans une situation de surmenage. Ces circonstances ont nécessité un changement de secteur, raison pour laquelle les juges cantonaux ont donc déterminé le revenu d’invalide selon la ligne « Total » du tableau TA1 et non du tableau T17.

Par jugement du 24.11.2020, admission du recours par le tribunal cantonal, accordant à l’assurée une rente d’invalidité entière dès le 01.03.2018, de trois-quarts dès le 01.03.2019 et d’un quart dès le 01.05.2019.

 

TF

Selon le rapport d’expertise bi-disciplinaire, ayant pleine valeur probante, l’assurée a été en incapacité de travail à 100% de mars 2017 à novembre 2018 et à 50% de décembre 2018 à janvier 2019 en raison de troubles dépressifs récurrents. À partir de février 2019, l’incapacité de travail est de 20%. Le revenu sans invalidité, non contesté, est de CHF 103’400 en 2018 et CHF 104’331 en 2019. N’est pas non plus litigieuse l’absence d’abattement sur le salaire statistique pour la détermination du revenu d’invalide.

En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible –, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (cf. ATF 143 V 295 consid. 2.2).

En pratique, la comparaison des revenus effectuée sur la base de l’ESS se fonde sur le groupe des tableaux A (salaires bruts standardisés) (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa). Il y a habituellement lieu d’appliquer le tableau TA1 (ATF 126 V 75 consid. 7a ; SVR 2003 IV no. 1 p. 1, I 518/01 consid. 4b). Toutefois, ce principe ne s’applique pas de manière absolue, mais connaît des exceptions. Il peut tout à fait être justifié de se référer à la table TA7 ou T17 (à partir de 2012) si cela permet une détermination plus précise du revenu d’invalidité et si le secteur public est également ouvert à l’assuré (cf. arrêt 8C_212/2018 du 13 juin 2018 consid. 4.4.1 et les références).

L’office AI (recourant) fait valoir que les salaires statistiques médians de la ligne « Total » du tableau TA1 (secteur privé) doivent être pris en compte notamment si l’assuré ne peut plus raisonnablement exercer son activité habituelle et doit se reconvertir dans un autre domaine d’activité. Contrairement à l’arrêt attaqué, cela ne s’applique pas à l’assurée. Depuis février 2019, on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle exerce son dernier emploi de cheffe de projet dans le domaine du marketing et de la communication avec une capacité de travail de 80%. Il ressort du curriculum vitae que l’assurée a exercé exclusivement des activités administratives dans les domaines du marketing, de la coordination des achats, de la gestion de projets et de la communication externe. Par ailleurs, on ne voit pas pourquoi le secteur public ne lui serait pas également ouvert. Compte tenu de la formation qu’elle a suivie dans le domaine du « Creative Advertising » et du « Communication Management » (diplôme en publicité et licence en communication), les très bonnes connaissances de l’allemand (en plus du chinois et de l’anglais comme langues maternelles) et la nationalité suisse obtenue en 2016, il était justifié de se référer aux données salariales du tableau T17 (Salaire mensuel brut (valeur centrale) selon les groupes de professions, l’âge et le sexe ; secteur privé et secteur public [Confédération, cantons, districts, communes, corporations] ensemble, Suisse, en 2018).

Afin de déterminer le revenu d’invalide exigible d’une manière aussi appropriée et proportionnée que possible, en tenant compte de l’expérience et des compétences professionnelles de l’assurée, l’office AI retient la ligne 2 (professions intellectuelles et scientifiques, femmes, âge de 30 à 49 ans) du tableau T17. La ligne 24 (spécialistes en administration d’entreprises) dudit tableau pourrait également être prise en compte. Le salaire médian de la ligne 24 étant de CHF 7’662.- (femmes, 30-49 ans) [plus favorable à l’assurée que celui de la ligne 2 du T17], il résulte un taux d’invalidité de 57% en décembre 2018 (capacité de travail de 50%) et en février 2019 un taux d’invalidité de 31% (capacité de travail de 80%).

Conformément à la pratique, l’assuré doit diminuer le dommage (cf. ATF 130 V 97 consid. 3.2 ; 129 V 460 consid. 4.2 ; arrêt 9C_117/2020 du 3 juin 2020 consid. 5.4) ; doit donc être prise en compte l’activité qui entraîne le taux d’invalidité le plus faible (arrêt 9C_672/2019 du 12 août 2020 consid. 7.2.2).

L’expert psychiatre était au courant des conditions sur le lieu de travail de l’assurée et de ses craintes. Néanmoins, les experts médicaux sont arrivés à la conclusion que le dernier emploi occupé était « idéal » pour l’assurée car il correspondait à ses qualifications et à son expérience et qu’une capacité de travail supérieure ne pouvait être attendue dans une autre activité. A cet égard, il est clair qu’un « changement de secteur économique » vers une activité exigible en dehors du groupe professionnel « Professions intellectuelles et scientifiques » (ligne 2 du tableau T17) ou du groupe professionnel « Spécialistes en administration d’entreprises » (ligne 24 du tableau T17) n’était ni recommandé ni nécessaire selon l’évaluation de l’expert.

Dans la mesure où l’instance cantonale a conclu qu’un « changement de secteur économique » était nécessaire, lequel était nécessairement associé à une perte économique importante, l’arrêt attaqué viole le droit fédéral.

Il ne peut être déduit de l’expertise bi-disciplinaire la nécessité d’un « changement de secteur économique ». Par ailleurs, une activité – raisonnablement exigible – dans les groupes de professions des lignes 2 et 24 du tableau T17 n’entraînerait pas une perte de gain ouvrant le droit à une rente d’invalidité. Ces activités du secteur public sont également accessibles à l’assurée.

Le Tribunal fédéral conclut que la cour cantonale a violé le droit fédéral en jugeant qu’un changement de branche économique était nécessaire et donc que les salaires médians du tableau TA1, ligne « Total », étaient déterminants. Selon le Tribunal fédéral, il semble au contraire approprié de prendre comme base les salaires statistiques du tableau T17 ; il n’y a par ailleurs pas d’erreurs manifestes de procéder à la comparaison des revenus sur cette base.

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

Arrêt 8C_124/2021 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_124/2021 (d) du 02.08.2021 – Revenu d’invalide dans l’activité habituelle fixé sur la base du tableau T17 de l’ESS 2018, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/10/8c_124-2021)