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8C_686/2024 (f) du 04.04.2025 – Causalité naturelle – Déchirure du ménisque / Avis divergent du médecin-conseil et du chirurgien orthopédique traitant

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_686/2024 (f) du 04.04.2025

 

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Causalité naturelle – Déchirure du ménisque / 6 LAA – 36 LAA

Avis divergent du médecin-conseil et du chirurgien orthopédique traitant

 

Assurée, née en 1966 et exerçant comme consultante prévente, qui, le 03.04.2022, s’est tordu la cheville gauche au bas d’un escalier puis est tombée en avant sur les genoux, sur le carrelage.

Une IRM du genou droit réalisée le 12.04.2022 a révélé une fine bursite infra-patellaire superficielle et une déchirure horizontale oblique du ménisque interne. L’IRM du genou gauche du 11.05.2022 n’a mis en évidence aucune lésion traumatique. Le 19.09.2022, le chirurgien orthopédique traitant a pratiqué une arthroscopie du genou droit avec méniscectomie externe partielle, résection de synovite antérieure et antéro-interne puis suture du ménisque interne. Dans son rapport du 16.11.2022, le chirurgien orthopédique a attribué ces lésions à l’accident du 03.04.2022, mentionnant également un antécédent d’arthroscopie du genou gauche en 2010. Dans son avis du 23.12.2022, le médecin-conseil a estimé que l’assurée présentait une déchirure du ménisque dégénérative préexistante. Selon lui, l’assurée avait subi une contusion des genoux – qui n’avait pas provoqué la déchirure du ménisque – et le statu quo sine était atteint à six semaines de l’accident.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin au versement des prestations d’assurance avec effet au 15.05.2022, au motif que les troubles qui subsistaient au genou droit n’étaient plus dus à l’accident du 03.04.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2023 170 – consultable ici)

Par jugement du 16.10.2024, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1.1
Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose notamment, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle et adéquate. Dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, en cas d’atteinte à la santé physique, la causalité adéquate se recoupe largement avec la causalité naturelle, de sorte qu’elle ne joue pratiquement pas de rôle (ATF 123 V 102; 122 V 417; 118 V 286 consid. 3a; 117 V 359 consid. 5d/bb). Un rapport de causalité naturelle doit être admis lorsque le dommage ne se serait pas produit du tout ou ne serait pas survenu de la même manière. Il n’est pas nécessaire que cet événement soit la cause unique, prépondérante ou immédiate de l’atteinte à la santé. Il suffit qu’associé éventuellement à d’autres facteurs, il ait provoqué l’atteinte à la santé, c’est-à-dire qu’il se présente comme la condition sine qua non de cette atteinte (ATF 148 V 356 consid. 3; 148 V 138 consid. 5.1.1; 142 V 435 consid. 1).

Consid. 3.1.2
En vertu de l’art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l’atteinte à la santé n’est que partiellement imputable à l’accident. Lorsqu’un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l’assurance-accidents d’allouer des prestations cesse si l’accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l’accident. Tel est le cas lorsque l’état de santé de l’intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l’accident (statu quo ante) ou à celui qui existerait même sans l’accident par suite d’un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n’est pas rétabli, l’assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l’état maladif préexistant, dans la mesure où il s’est manifesté à l’occasion de l’accident ou a été aggravé par ce dernier (ATF 146 V 51 consid. 5.1 et les arrêts cités). En principe, on examinera si l’atteinte à la santé est encore imputable à l’accident ou ne l’est plus (statu quo ante ou statu quo sine) sur le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1), étant précisé que le fardeau de la preuve de la disparition du lien de causalité appartient à la partie qui invoque la suppression du droit (ATF 146 V 51 consid. 5.1 in fine; arrêt 8C_675/2023 du 22 mai 2024 consid. 3).

Consid. 3.1.3
Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis motivé d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en oeuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.5 et 4.6).

Consid. 3.2
Dans un arrêt publié aux ATF 146 V 51, le Tribunal fédéral a examiné les répercussions de la modification législative relative aux lésions corporelles assimilées à un accident (art. 6 al. 2 LAA dans sa teneur en vigueur dès le 1 er janvier 2017). Il s’est notamment penché sur la question de savoir quelle disposition était désormais applicable lorsque l’assureur-accidents avait admis l’existence d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA et que l’assuré souffrait d’une lésion corporelle comprise dans la liste de l’art. 6 al. 2 LAA. Le Tribunal fédéral a admis que dans l’hypothèse où une telle lésion est imputable à un accident, l’assureur-accidents doit prendre en charge les suites de la lésion en cause sur la base de l’art. 6 al. 1 LAA, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il soit établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’accident ne constitue plus, même très partiellement, la cause naturelle et adéquate de la lésion. En revanche, en l’absence d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA, l’assureur-accidents est en principe tenu de verser des prestations pour une lésion corporelle comprise dans la liste de l’art. 6 al. 2 LAA, à moins qu’il ne prouve que cette lésion est due principalement à l’usure ou à une maladie. Cela étant, lorsque l’assureur-accidents fournit la preuve qu’un accident n’est pas une cause, même très partielle, d’une lésion corporelle de la liste et qu’il n’existe par ailleurs pas d’indice qu’un événement survenu après l’accident pourrait constituer une cause possible de cette lésion, la preuve que celle-ci est due de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie est par là-même apportée (ATF 146 V 51 consid. 9.1 et 9.2).

Consid. 4.1 [résumé]
La cour cantonale a qualifié l’événement du 03.04.2022 d’accident au sens de l’art. 4 LPGA, point non contesté par les parties, et a admis le lien de causalité entre les contusions aux genoux et cet accident. Elle s’est ensuite penchée sur l’origine traumatique de la déchirure méniscale droite, en s’appuyant sur l’IRM du 12.04.2022, un test de Lachman positif qui révélait, selon les juges cantonaux, une probable rupture (partielle) du ligament croisé antérieur (LCA) confirmée lors de l’arthroscopie du 19.09.2022.

Les juges cantonaux ont retenu que les images IRM et les explications du chirurgien traitant démontraient l’origine accidentelle des lésions (déchirures du ménisque interne/externe et du LCA), malgré des signes dégénératifs chroniques. Ils ont souligné que le chirurgien traitant avait rapidement procédé à une méniscectomie avec suture plutôt que d’avoir recours à un traitement conservateur.

Le tribunal cantonal a encore souligné que le fait que le médecin-conseil mettait en avant des signes dégénératifs préexistants ne suffisait pas à expliquer la déchirure extrêmement complexe de la corne antérieure du ménisque interne et la déchirure partielle du LCA, surtout chez une assurée encore jeune. Sur la base de son évaluation, la cour cantonale a considéré que la déchirure du ménisque du genou droit était due à l’accident. Elle est parvenue à la conclusion que l’assureur-accidents était tenu de verser des prestations au-delà du délai de six semaines.

Consid. 4.3.1
Pour le chirurgien orthopédique traitant – dont les explications sont convaincantes selon la juridiction cantonale -, le traumatisme du 03.04.2022 est à l’origine de la déchirure du ménisque interne du genou droit. Ce spécialiste relève qu’à l’IRM du 12.04.2022 le radiologue n’a, à aucun moment, décrit une lésion dégénérative de ce genou mais uniquement une déchirure méniscale. L’assurée présente une déchirure grave du ménisque interne avec un arrachement de la corne antérieure secondaire à l’accident, sans évidence d’un état antérieur. De surcroît, selon lui, on ne suture pas les ménisques dans le cadre de lésions dégénératives. Le chirurgien énonce également suivre l’assurée depuis octobre 2009, laquelle ne s’est jamais plainte d’un quelconque problème de son genou droit.

Consid. 4.3.2
Selon le médecin-conseil, l’assurée présentait déjà une lésion méniscale du genou droit avant l’événement du 03.04.2022. En effet, l’IRM réalisée le 12.04.2022 mettait en évidence une lésion linéaire, horizontale oblique, soit une lésion dégénérative, qui évolue sur deux à quatre ans. Selon le rapport du radiologue, la contusion du genou n’avait provoqué qu’une fine bursite prépatellaire, sans épanchement, sans lésion ligamentaire ni oedème osseux. Une contusion ne provoquait pas de déchirure méniscale ni de chondropathie. Les images de l’arthroscopie du 19.09.2022 confirmaient également l’état dégénératif du ménisque interne et la chondropathie. Le médecin-conseil a maintenu que la bursite due à la contusion guérissait habituellement en six semaines.

Consid. 4.3.3 [résumé]
En l’état, les opinions du médecin-conseil et du chirurgien traitant divergent quant à l’interprétation des imageries et l’existence d’un état dégénératif préexistant. Le premier fonde son analyse sur sa propre lecture commentée de l’IRM du 12.04.2022 et de l’arthroscopie du 19.09.2022, tandis que le second s’en tient strictement au rapport radiologique initial, soulignant que ni lui ni le médecin-conseil ne sont radiologues.

Le désaccord porte également sur le mécanisme lésionnel : le médecin-conseil exclut qu’un choc direct puisse provoquer une déchirure méniscale, alors que le chirurgien affirme son origine nécessairement traumatique. Ce dernier a toutefois nuancé sa position, en procédure cantonale, en reconnaissant l’incertitude sur le mécanisme exact (choc direct ou rotation) lors de la chute.

Cela étant, la juridiction cantonale ne pouvait, sans autre mesure d’instruction, interpréter elle-même les clichés de l’IRM du 12.04.2022 pour en déduire les signes dégénératifs et les signes traumatiques. Elle ne pouvait par ailleurs se fier sans autre à l’avis du chirurgien orthopédique traitant, dès lors qu’il fait état de considérations juridiques en énonçant que lorsqu’il y a une chute et une déchirure du ménisque, il s’agit toujours d’un accident selon l’art. 6 LAA. Enfin, on rappellera que la manifestation de symptômes douloureux après la survenance d’un accident ne suffit pas, à elle seule, à établir un rapport de causalité naturelle avec l’accident (raisonnement « post hoc, ergo propter hoc »; ATF 142 V 325 consid. 2.3.2.2; 119 V 335 consid. 2b/bb).

Consid. 4.3.4
Les avis contradictoires – et impossibles à départager sans connaissances médicales spécialisées – du médecin-conseil et du chirurgien orthopédique traitant ne permettent pas de se prononcer quant à l’existence d’un lien de causalité naturelle entre la déchirure méniscale du genou droit et l’accident du 03.04.2022. La cause doit être examinée plus en détail, de sorte qu’elle sera renvoyée à l’assurance-accidents pour mise en œuvre d’une expertise auprès d’un spécialiste en chirurgie orthopédique, qui s’adjoindra s’il l’estime nécessaire l’aide d’un spécialiste en radiologie. Il appartiendra à l’expert de déterminer si l’événement du 03.04.2022 est une cause, même très partielle, de la déchirure du ménisque interne du genou droit, au degré de la vraisemblance prépondérante, ou si cette atteinte est exclusivement dégénérative. L’assurance-accidents rendra ensuite une nouvelle décision sur le droit aux prestations de l’assurée au-delà du 15.05.2022. En ce sens, le recours se révèle bien fondé.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et la décision sur opposition.

 

Arrêt 8C_686/2024 consultable ici

 

8C_461/2024 (f) du 26.03.2025 – Gain assuré pour l’indemnité journalière LAA / Salaire déterminant pour les associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives / Associé d’une Sàrl après l’accident

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_461/2024 (f) du 26.03.2025

 

Consultable ici

 

Gain assuré pour l’indemnité journalière LAA / 15 LAA

Salaire déterminant pour les associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives / 22 al. 2 let. c OLAA

Associé d’une Sàrl après l’accident – Vraisemblance de la qualité d’associé de la Sàrl au moment de l’accident

 

L’assuré, né en 1972, occupait un emploi à 90% comme gérant d’immeubles chez B.__. À la suite d’un accident de ski survenu le 13.02.2022 entraînant une tétraplégie complète, il a demandé le 19.05.2022 à son assurance-accidents une majoration de son gain assuré. Cette demande concernait un revenu hypothétique de 22’425 fr. 60 lié à son activité parallèle depuis l’été 2020 au sein de la société C.__ Sàrl (exploitant un bar à vin dont les associés inscrits au registre du commerce étaient alors D.__ et E.__), bien qu’aucun salaire n’ait été effectivement perçu,

L’assuré a invoqué l’art. 22 al. 2 let. c OLAA, soutenant avoir travaillé environ 80 heures mensuelles comme co-gérant. Il a produit une attestation de D.__ (10.05.2022) mentionnant un versement de 40’000 fr. en juillet 2020 pour l’acquisition de parts sociales, ainsi qu’une déclaration de E.__ (11.05.2022) confirmant l’assuré avait régulièrement travaillé en qualité de co-gérant de la société C.__ Sàrl à hauteur d’environ 80 heures par mois depuis le mois de juillet 2020.

L’assurance-accidents a rejeté sa demande le 10.06.2022, soulignant que l’assuré n’était ni inscrit au registre du commerce comme associé-gérant, ni déclaré à l’AVS pour cette activité, et absent de la police d’assurance de C.__ Sàrl. Malgré l’argumentation de l’assuré le 15.06.2022 sur son acquisition de parts sociales et le rapport particulier avec l’employeur, les décisions du 09.08.2022 et 21.10.2022 ont confirmé le refus de majoration du gain assuré.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 130/22 – 75/2024 – consultable ici)

Par jugement du 02.07.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 15 LAA, les indemnités journalières et les rentes sont calculées d’après le gain assuré (al. 1). Est réputé tel, pour le calcul des indemnités journalières, le dernier salaire que l’assuré a reçu avant l’accident (al. 2). L’alinéa 3 lettre c de cette disposition confère au Conseil fédéral la compétence d’édicter des prescriptions sur le gain assuré pris en considération lorsque l’assuré ne gagne pas, ou pas encore, le salaire usuel dans sa profession.

Selon l’art. 22 al. 2 OLAA, est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS, sous réserve, en particulier, des membres de la famille de l’employeur travaillant dans l’entreprise, des associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives, pour lesquels il est au moins tenu compte du salaire correspondant aux usages professionnels et locaux (art. 22 al. 2 let. c OLAA). Le but de cette réglementation est d’éviter que les assurés qui se trouvent dans un rapport particulier avec leur employeur et, de ce fait, perçoivent un gain inférieur à celui qu’ils pourraient réaliser normalement sur le marché du travail, ne soient désavantagés lorsqu’ils ont droit à des prestations de l’assurance-accidents (arrêt 8C_14/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.3).

Consid. 4 [résumé]
La juridiction cantonale a refusé de reconnaître l’existence d’une activité régulière du recourant au sein de C.__ Sàrl avant l’accident du 13.02.2022, faute de preuves atteignant le degré de vraisemblance prépondérante. Elle a relevé l’absence totale de cotisations AVS déclarées pour cette société sur le compte individuel de l’assuré, le fait que ce dernier n’avait jamais été déclaré par le biais de la police d’assurance-accidents de cette société et qu’aucune annonce n’ayant au demeurant été faite à la caisse supplétive.

Aucun document probant (emploi du temps, correspondance, etc.) n’a été produit pour étayer les 80 heures mensuelles alléguées. L’assuré n’a notamment pas fourni les enregistrements horaires requis par l’art. 21 CCNT pour les hôtels/restaurants, convention qu’il invoquait paradoxalement pour calculer son salaire hypothétique. Les juges cantonaux ont précisé que cette disposition ne prévoit aucune exception pour les cadres.

Les difficultés financières liées à la pandémie avancées pour justifier l’absence de rémunération n’ont été corroborées par aucun document comptable. La qualification de stagiaire a été écartée dès lors qu’il n’expliquait pas quel métier ou titre il visait, et en l’absence de patente conforme à l’art. 8 de la loi cantonale sur les débits de boissons. En outre, la CCNT prévoyait une rémunération obligatoire des stagiaires, laquelle faisait défaut chez l’assuré.

L’assuré ne disposait par ailleurs pas de la qualité d’associé-gérant à la date de l’accident. La cession des parts sociales n’est intervenue que le 01.06.2023 (avec approbation de l’assemblée à cette date), et l’inscription au registre du commerce seulement le 13.12.2023. Le tribunal cantonal a souligné que la cession requérait un écrit et une validation collective, conditions non remplies avant l’accident. Enfin, aucun lien familial avec les associés n’a été établi.

En définitive, les juges cantonaux ont considéré que les éléments versés au dossier ne permettaient pas d’établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré était gérant, associé ou employé de C.__ Sàrl au moment de l’accident, ni qu’un lien familial ne fût établi avec l’un des gérants ou associés de cette société.

Consid. 5.2.1 [résumé]
L’assuré invoque une violation de son droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) et du principe inquisitoire, reprochant à la juridiction cantonale d’avoir mené une instruction incomplète sur son activité présumée au sein de C.__ Sàrl. Il estime que la cour cantonale aurait dû solliciter des preuves complémentaires si elle doutait de cette activité, d’autant que l’assureur n’avait pas contesté son existence lors de la décision sur opposition.

Consid. 5.2.2
Le droit d’être entendu découlant de l’art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour le justiciable de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Selon la maxime inquisitoire, il appartient au juge qui dirige la procédure de dire quels sont les faits pertinents et d’administrer les preuves propres à les établir. Il peut ainsi renoncer à procéder à des mesures d’instruction lorsqu’il parvient à la conclusion qu’elles ne sont pas décisives pour la solution du litige ou qu’elles ne pourraient l’amener à modifier son opinion. Ce refus d’instruire ne viole le droit d’être entendu des parties que si l’appréciation anticipée de la pertinence du moyen de preuve offert à laquelle le juge a ainsi procédé est entachée d’arbitraire (cf. sur cette notion, ATF 148 II 465 consid. 8.1; 148 I 145 consid. 6.1). Le principe de la maxime inquisitoire ne lui interdit donc pas de procéder à une appréciation anticipée des preuves déjà recueillies pour évaluer la nécessité d’en administrer d’autres (ATF 130 III 734 consid. 2.2.3; arrêt 1P.145/1999 du 5 octobre 1999 consid. 3a).

Consid. 5.2.3 [résumé]
La cour cantonale a justifié son refus d’auditionner E.__ en estimant disposer d’éléments suffisants pour trancher. Elle a relevé que ce témoin s’était déjà exprimé par écrit et que son audition n’aurait pas modifié l’appréciation des faits, déjà dûment établi par les pièces du dossier. Les juges cantonaux ont ainsi procédé à une appréciation anticipée des preuves.

Pour ce qui a trait à l’instruction de la cause, la juge instructrice a requis de l’assuré un certain nombre de documents destinés à étayer ses allégations relatives à son activité pour le compte de la société C.__ Sàrl. On ne voit pas à quelle mesure d’instruction supplémentaire aurait dû ou pu procéder la cour cantonale. Les faits déterminants pour l’issue du litige ont été établis. Que la juridiction cantonale n’ait finalement pas suivi la version de l’assuré ne dénote pas un défaut d’instruction. On ne discerne ainsi aucune violation du droit d’être entendu ou de la maxime inquisitoire. Le grief est rejeté.

Consid. 6.1 [résumé]
L’assuré conteste la définition restrictive de la qualité d’associé retenue par la cour cantonale, qui conditionne celle-ci à l’inscription au registre du commerce. Il invoque l’art. 22 al. 2 let. c OLAA, soutenant que sa participation économique effective à la société C.__ Sàrl depuis juillet 2020. Par ailleurs, l’exigence de l’inscription au registre du commerce ne ressort pas de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA.

Il souligne avoir notamment agi comme co-gérant et endossé le risque économique de l’entreprise. Il était donc bel et bien dans une relation spéciale avec son employeur, raison pour laquelle il avait accepté de travailler sans percevoir de salaire en raison des mauvais résultats économiques de la société.

Il relève aussi une inégalité de traitement inadmissible entre les associés déjà inscrits au registre du commerce et ceux qui ne le sont pas encore, alors qu’ils seraient matériellement dans la même situation (prise de décisions, gestion de la société, fardeau du risque économique).

Consid. 6.2
On ne saurait suivre l’assuré lorsqu’il affirme qu’il devait être reconnu comme associé de la société C.__ Sàrl depuis juillet 2020. Il ressort en effet des constatations de la juridiction cantonale que la cession des parts sociales de la société C.__ Sàrl achetées par l’assuré à D.__ en 2020 n’a eu lieu que le 01.06.2023, selon le contrat de cession de parts sociales du même jour. Une telle cession requiert en outre l’approbation de l’assemblée des associés (art. 786 CO), laquelle n’a été donnée que lors de l’assemblée du 01.06.2023, soit postérieurement à la date de l’accident. La cession des parts sociales n’a donc pas pu déployer ses effets avant cette date, étant par ailleurs observé que l’assuré n’a été inscrit au registre du commerce que six mois plus tard, le 13.12.2023. Vu ce qui précède, c’est à juste titre que la cour cantonale a retenu que l’assuré n’était pas un associé de la société C.__ Sàrl au moment de l’accident, de sorte que l’art. 22 al. 2 let. c OLAA ne lui était pas applicable pour ce motif déjà.

On relèvera encore que tel qu’il est formulé par l’assuré, le grief tiré d’une violation du principe de l’égalité de traitement ne satisfait manifestement pas aux exigences accrues de motivation imposées par l’art. 106 al. 2 LTF en matière de griefs constitutionnels (ATF 146 I 62 consid. 3; 143 IV 500 consid. 1.1; 142 III 364 consid. 2.4). En effet, c’est justement parce qu’il n’avait pas encore acquis la qualité d’associé conformément aux art. 785 ss CO que l’assuré ne pouvait pas être considéré comme tel au sens de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA, indépendamment de son inscription ou non au registre du commerce. L’assuré admet qu’il n’a perçu aucun salaire soumis à cotisation et n’a produit aucune pièce propre à démontrer qu’un tel salaire aurait au moins été convenu. Un salaire ne peut donc pas être pris en considération dans le gain assuré – l’art. 22 al. 2 let. c OLAA n’étant pas applicable – indépendamment du point de savoir si l’assuré a ou non exercé une activité pour C.__ Sàrl. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les griefs de l’assuré relatifs aux constatations de faits du jugement cantonal sur ce point.

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_461/2024 consultable ici

 

8C_347/2024 (f) du 07.01.2025 – Indemnités journalières LAA et rente AI – Surindemnisation – Frais d’avocat nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de la surindemnisation – 69 al. 2 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_347/2024 (f) du 07.01.2025

 

Consultable ici

 

Indemnités journalières LAA et rente AI – Surindemnisation / 68 LPGA – 69 LPGA

Frais supplémentaires – Frais d’avocat nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de la surindemnisation / 69 al. 2 LPGA

 

Assuré, né en 1973, a subi des accidents de la circulation routière en janvier 2007 et en février 2014, qui ont entraîné des lésions au fémur droit et à la hanche droite. L’assurance-accidents a pris en charge ces deux accidents et a versé des indemnités journalières du 24.05.2007 au 17.09.2007, puis du 17.09.2014 au 31.05.2017. L’assuré a par ailleurs été mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité de l’assurance-invalidité du 01.07.2015 au 31.05.2017. Le 22.05.2017, il est décédé, laissant pour héritiers légaux son épouse B.__ ainsi que leurs deux enfants mineurs.

Statuant le 27.08.2020, l’assurance-accidents a reconnu une surindemnisation de 42’571 fr. 70 en faveur de l’assuré pour la période du 17.09.2014 au 31.05.2017, ce montant devant être compensé avec les arrérages de l’assurance-invalidité. Par décision sur opposition du 18.08.2022, l’assurance-accidents a partiellement admis l’opposition de B.__ et fixé le montant de la surindemnisation à 36’287 fr. 70.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 107/22 – 45/2024 – consultable ici)

Par jugement du 07.05.2024, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que le montant de la surindemnisation a été fixé à 33’025 fr. 75.

 

TF

Consid. 3.2.1
L’art. 69 al. 1 LPGA pose le principe de la concordance des droits (« Kongruenzprinzip »). Selon ce principe, qui a une portée générale dans l’assurance sociale (ATF 142 V 75 consid. 6.3.1), les prestations sociales concomitantes concordent lorsque les assureurs sociaux sont tenus à verser des prestations de même nature et but, pour la même période, pour la même personne et pour le même événement dommageable (arrêt 8C_748/2023 du 6 juin 2024 consid. 4.1.2 et les références citées).

Consid. 3.2.2
Les frais supplémentaires au sens de l’art. 69 al. 2 LPGA sont des frais qui ne peuvent pas être couverts par des prestations sociales. En font notamment partie les frais d’avocat engagés par un assuré, pour autant qu’ils aient été occasionnés par le cas d’assurance. Concrètement, il s’agit des frais d’avocat nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de la surindemnisation. Les frais visant à obtenir des prestations d’une assurance responsabilité civile, par exemple, en sont exclus. En outre, seules les dépenses nécessaires doivent être prises en compte, de sorte que les frais d’avocat dépassant le cadre habituel ne peuvent pas être pris en considération; cela vaut aussi bien pour les frais avant le procès que pour les frais causés par une procédure judiciaire, ces derniers pouvant être pris en compte uniquement dans la mesure où ils n’ont pas été couverts par une indemnité de partie (ATF 139 V 108 consid. 5.7 et 6).

Consid. 3.2.3
L’art. 69 al. 2 LPGA fixe une limite de surindemnisation, laquelle est augmentée en tenant compte de certains postes de dommage et de frais non assurés. Ces postes n’étant pas assurés, ils ne sont pas, par la force des choses, congruents avec les prestations d’assurances sociales prises en compte dans le calcul de la surindemnisation. L’art. 69 al. 2 LPGA a uniquement pour objet la limite de surindemnisation et n’a aucun effet sur le point de savoir quelles prestations sont, selon le principe de la concordance des droits, en concours au sens de l’art. 69 al. 1 LPGA. En d’autres termes, l’extension de la limite de surindemnisation à des éléments non assurés ne remet pas en cause le principe de la concordance des droits (arrêt 9C_480/2022 du 29 août 2024, destiné à la publication, consid. 8.3.2).

Consid. 4 [résumé]
Les juges cantonaux ont confirmé que seuls les frais d’avocats nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales influant sur le calcul de la surindemnisation étaient pris en compte. Les listes de frais liées à des procédures pénales et privées indépendantes ont été écartées.

Concernant la liste n° 1637 (« Procès – hernies inguinales »), les opérations jusqu’au 23.09.2015 avaient déjà été indemnisées dans le cadre de l’assistance judiciaire à hauteur de 2’396 fr. 50. Le solde s’élevait à 340 fr. 20, TVA comprise. Ce montant devait être inclus dans le calcul de surindemnisation. Concernant la liste n° 1094 (« Litige LAA et complémentaire LAA »), il y avait lieu de tenir compte uniquement des opérations qui, au degré de la vraisemblance prépondérante, pouvaient être rattachées à la procédure menée par l’assurance-accidents, soit un montant de 1’235 fr. 56.

Concernant les frais liés à l’office AI, le temps facturé (8 heures et 20 minutes) était excessif et devait être réduit à deux heures, représentant un montant de 646 fr. 20. Seules étaient admises les démarches effectuées auprès de l’OAI ayant un impact direct sur la procédure d’assurance-accidents et sur le calcul de surindemnisation. Enfin, pour la période du 9 juin 2020 au 22 août 2022, les frais admissibles (création de listes, analyses, entretiens téléphoniques et correspondances avec l’assurance-accidents, opposition et examen de la décision sur opposition) s’élevaient à 1’040 fr. Au total, les frais d’avocat retenus étaient ainsi de 3’261 fr. 95, ramenant la surindemnisation à 33’025 fr. 75 (36’287 fr. 70 moins 3’261 fr. 95 [arrondis]).

Le tribunal cantonal a précisé que les frais postérieurs au décès de l’assuré (mai 2017) pouvaient être considérés s’ils concernaient la procédure d’assurance-accidents. Enfin, l’aide apportée par l’épouse avant le décès n’a pas été retenue, faute de perte concrète de revenus.

Consid. 5.1
L’assurance-accidents soutient que l’activité du conseil de l’épouse de l’assuré aurait visé à obtenir des prestations correspondant à la période de référence allant du 17.09.2014 au 31.05.2017, de sorte que les démarches effectuées en dehors de ce cadre temporel ne devraient pas faire partie des frais supplémentaires au sens de l’art. 69 al. 2 LPGA. Il serait contraire à cette disposition et au principe de la concordance des droits de faire abstraction de cette période de référence, en considérant que les frais d’avocat antérieurs et postérieurs à celle-ci et au décès de l’assuré peuvent être pris en compte dans le calcul de surindemnisation.

Consid. 5.2
Cette critique est mal fondée. Faute d’être couverts par des prestations sociales, les frais supplémentaires selon l’art. 69 al. 2 LPGA ne peuvent pas, par définition, être soumis au principe de la concordance des droits ancré à l’art. 69 al. 1 LPGA (cf. consid. 3.2.2 in initio et 3.2.3 supra). Dans ces conditions, on ne saurait limiter les frais d’avocat inclus dans le calcul de surindemnisation à ceux relatifs au travail accompli durant la période correspondant à l’octroi des prestations d’assurances. Seul est décisif le point de savoir si les frais d’avocat – qu’ils soient antérieurs, contemporains ou postérieurs à la période d’indemnisation – étaient ou non nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de la surindemnisation (cf. consid. 3.2.2 supra).

Consid. 6.1 [résumé]
L’assurance-accidents, invoquant une violation de l’art. 69 al. 2 LPGA ainsi qu’une appréciation arbitraire des preuves, reproche aux juges cantonaux d’avoir inclus dans le calcul de surindemnisation des frais d’avocat non nécessaires à l’obtention des prestations sociales déterminantes.

Consid. 6.2.1
Les frais d’avocat portant sur la période entre le 9 juin 2020 et le 22 août 2022 (« création listes opérations et courrier [assureur LAA] », « analyse calcul surindemnisation [assureur LAA] et entretien tél. [assureur LAA] », « opposition [assureur LAA] », « courrier [assureur LAA] » et « examen décision sur opposition et dossier, détermination cliente »), totalisant un montant de 1’040 fr., se rapportent à la procédure de surindemnisation. Or cette procédure ne visait pas en tant que telle à obtenir les prestations d’assurances à prendre en compte dans le calcul de surindemnisation, à savoir les indemnités journalières de l’assurance-accidents et la rente d’invalidité de l’assurance-invalidité. Les frais d’avocat qui y sont liés sortent du cadre défini par la jurisprudence, selon laquelle les frais d’avocat inclus dans le calcul de surindemnisation se limitent aux dépenses nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances déterminantes pour le calcul de surindemnisation (cf. consid. 3.2.2 supra). C’est donc en violation de l’art. 69 al. 2 LPGA que le tribunal cantonal a comptabilisé dans ce calcul le montant de 1’040 fr. relatif aux frais d’avocat engagés dans le cadre de la procédure de surindemnisation. Bien fondé, le grief de l’assurance-accidents portant sur ce montant doit être admis.

Consid. 6.2.2
S’agissant de la liste n° 1094 (« Litige [assureur LAA] et [complémentaire LAA] »), la juridiction cantonale n’a pris en considération que les opérations en lien avec la procédure auprès de l’assurance-accidents. Celle-ci ne conteste pas que les opérations retenues à ce titre par les juges cantonaux, pour un montant total de 1’235 fr. 56, portent bien sur cette procédure. Elle n’expose pas – et on ne voit pas – en quoi ces opérations n’auraient pas été nécessaires à l’obtention des indemnités journalières. Contrairement à ce qu’elle semble penser, le fait que les frais d’avocat aient été engagés avant un procès ou en vue d’un procès ne constitue pas en soi une raison de les exclure du calcul de surindemnisation; le point décisif est de savoir si les démarches de l’avocat dépassent le cadre habituel (cf. consid. 3.2.2 supra), ce que l’assurance-accidents ne soutient pas. L’instance précédente a donc inclus à bon droit le montant de 1’235 fr. 56 dans les frais supplémentaires au sens de l’art. 69 al. 2 LPGA.

Consid. 6.2.3
Il en va de même du montant de 340 fr. 20 correspondant à la liste n° 1637 (« Procès – hernies inguinales »). L’assurance-accidents se limite à indiquer que « rien ne permet de penser que les opérations effectuées […] correspondaient effectivement à des démarches visant à obtenir les prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de surindemnisation », sans expliquer précisément en quoi les opérations effectuées entre le 20 juin 2016 et le 19 décembre 2017 auraient été étrangères à un tel but ou en quoi l’avocat de l’épouse de l’assuré aurait exécuté son mandat en excédant le cadre habituel.

Consid. 6.2.4
Enfin, le raisonnement des juges cantonaux, qui les a amenés à retenir un montant de 646 fr. 20 en lien avec les opérations auprès de l’OAI, ressort clairement de l’arrêt entrepris. Ils ont en effet expliqué pour quelle raison le temps indiqué par le conseil de l’épouse de l’assuré devait être ramené de 8 heures et 20 minutes à deux heures, en précisant que le montant de 646 fr. 20 correspondait à deux heures au tarif horaire de 300 fr., à quoi s’ajoutait la TVA. Le grief tiré d’une violation de l’obligation de motiver (sur cette notion, cf. arrêt 8C_388/2023 du 10 avril 2024 consid. 7.2 et les arrêts cités) s’avère mal fondé. Pour le reste, l’assurance-accidents n’expose pas en quoi les opérations comptabilisées par la cour cantonale n’auraient pas été nécessaires à l’obtention de prestations déterminantes dans le calcul de surindemnisation.

Consid. 6.3
Au vu de ce qui précède, le montant de la surindemnisation fixé par les premiers juges doit être augmenté de 1’040 fr., passant ainsi de 33’025 fr. 75 à 34’065 fr. 75. Le recours doit donc être partiellement admis et l’arrêt cantonal ainsi que la décision sur opposition du 18 août 2022 réformés en ce sens que le montant de la surindemnisation est fixé à 34’065 fr. 75. Le recours est rejeté pour le surplus.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_347/2024 consultable ici

 

Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique [DNT] 2024

Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique [DNT] 2024

 

L’office fédéral de la statistique (OFS) a publié le 22.05.2025 les chiffres annuels de la durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique (NOGA 2008), en heures par semaine, jusqu’à l’année 2024.

Pour rappel, ces statistiques sont nécessaires pour la détermination des revenus sans et avec invalidité en cas d’utilisation des salaires statistiques (ESS).

 

Notre page « Durée normale du travail dans les entreprises » a été mise à jour.

 

 

Interpellation Porchet 25.3072 « Quelle reconnaissance dans la LAA/OLAA pour les victimes de viol ? » – Avis du Conseil fédéral du 21.05.2025

Interpellation Porchet 25.3072 « Quelle reconnaissance dans la LAA/OLAA pour les victimes de viol ? » – Avis du Conseil fédéral du 21.05.2025

 

Consultable ici

 

Texte déposé

Dans son arrêt 8C_548/2023 (d) du 21.02.2024 – Notion d’accident – Acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance, le Tribunal fédéral considère qu’une agression sexuelle, a fortiori en situation de soumission chimique, pourtant dénoncée et reconnue, ne pouvait pas être qualifiée d’accident au sens de l’art. 4 LPGA. L’impact de cette jurisprudence est lourd pour les victimes concernées : pas d’indemnités journalières, pas de prise en charge de l’examen médical (art. 10 LAA).

Selon le TF, le fait d’être inconsciente au moment de l’agression et de ne pas avoir de souvenir de l’acte permettait de considérer que ce n’est pas un accident. Certaines violences sexuelles, vu leur effet traumatisant, empêchent les victimes d’en avoir un souvenir immédiat. La jurisprudence du TF en déduit qu’il ne s’agit alors pas d’un « événement d’une grande violence survenu en présence de la personne assurée » (ce qui permettrait de qualifier d’accident les traumatismes qui sont engendrés par l’agression). Le motif invoqué par le TF est très choquant : c’est parce que la personne n’en a d’abord pas le souvenir que le TF considère que l’agression est « hors de sa présence » et ainsi qu’une condition fait défaut pour qualifier le cas d’accident. L’argument tiré des premières déclarations (lesquelles font foi sur les autres) témoigne d’une grande méconnaissance de la problématique des violences sexuelles (les souvenirs reviennent ensuite, par bribes), et en particulier en cas de soumission chimique.

Dans ces conditions, je pose les questions suivantes au Conseil fédéral :

  1. Le Conseil fédéral considère-t-il comme important que la LAA et l’OLAA permettent une prise en charge uniforme par l’assurance-accident des victimes de violences sexuelles?
  2. Comment le CF évalue-t-il l’évolution de la pratique depuis l’arrêt 8C_548/2023 (d) du 21.02.2024 du Tribunal fédéral?
  3. Le CF reconnaît-il l’effet traumatique des violences sexuelles sur les victimes et l’importance de prendre en compte cet aspect des violences sexuelles dans la mise en œuvre de la LAA et de l’article 4 LPGA?
  4. Selon le CF, la soumission chimique peut-elle permettre la qualification d’accident?
  5. Le CF est-il prêt à modifier la LAA et/ou l’OLAA pour permettre une prise en charge uniforme par l’assurance-accident des victimes de violences sexuelles?

 

Avis du Conseil fédéral du 21.05.2025

L’article 4 de la loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA ; RS 830.1) prévoit que, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort. De façon générale, le Tribunal fédéral a toujours retenu que le viol ou la contrainte sexuelle pouvait déclencher une réaction immédiate de peur et d’effroi et était constitutif d’un événement de terreur extraordinaire répondant à la notion d’accident. Dans l’arrêt mentionné dans l’interpellation, le Tribunal fédéral a toutefois estimé, en se basant sur une jurisprudence constante, que le caractère accidentel ne pouvait pas être retenu. Les juges ont rappelé que, pour qu’un accident au sens juridique du terme existe en cas d’atteinte à la santé psychique due à choc émotionnel, il faut « un événement terrible et extraordinaire, qui entraîne un choc psychique correspondant, déclenché par un incident violent se déroulant en présence immédiate de la personne assurée, et être susceptible, par sa violence inattendue, de provoquer des effets typiques de l’angoisse (paralysie, emballement cardiaque), même chez une personne en bonne santé, en perturbant son équilibre psychique ».

Le Tribunal cantonal avait estimé que l’événement avait déclenché chez l’assurée une réaction immédiate de peur et de terreur et a donc eu un impact soudain sur son psychisme, ce qui implique l’admission d’un événement traumatisant extraordinaire répondant à la définition d’un accident. Saisi d’un recours, le Tribunal fédéral, tout en admettant que l’assurée a été victime d’une agression sexuelle, a pour sa part nié l’existence d’un accident. Il a estimé que, l’assurée n’ayant pas pris conscience de l’incident immédiatement, la condition de l’immédiateté n’était pas remplie. L’interprétation du Tribunal fédéral a donc été différente de celle du Tribunal cantonal.

Le Conseil fédéral répond comme suit aux questions de l’interpellation :

  1. Le cadre légal actuel prévoit que la législation sur l’assurance-accidents s’applique, lorsque l’événement à l’origine de l’affection remplit les critères constitutifs de la notion juridique d’accident. La grande majorité des cas de violences sexuelles remplissent ces critères.
  2. L’arrêt dont fait mention l’interpellation n’a pas impliqué de changement de jurisprudence. Il confirme au contraire une jurisprudence constante du Tribunal fédéral en matière d’influences soudaines sur le psychisme dues à la peur. En ce sens, le Conseil fédéral n’a pas constaté de changement de pratique.
  3. Le Conseil fédéral reconnait le traumatisme des victimes de violences sexuelles. Il estime fondamental qu’elles puissent être reconnues comme telles et prises en charge par les différents organes compétents en la matière, comme les centres dépendants de la loi fédérale sur les victimes d’infractions (LAVI ; RS 312.5). Le Conseil fédéral reconnait l’importance de la prise en charge par l’assurance-accidents des conséquences des violences sexuelles.
  4. La détermination du caractère accidentel d’un événement s’effectue au cas par cas, en fonction des circonstances. Le Conseil fédéral estime que, de façon générale, la présence d’une soumission chimique ne doit pas forcément exclure l’existence d’un accident au sens juridique du terme.
  5. En l’état actuel du droit, les conséquences des violences sexuelles peuvent aujourd’hui être prises en charge par l’assurance-accidents, si l’événement à l’origine des affections répond aux critères constitutifs de la notion juridique d’accident. Cela étant, le Conseil fédéral examinera si et comment les bases juridiques peuvent être adaptées afin que le viol soit toujours également reconnu comme un accident en cas de «soumission chimique».

 

Interpellation Porchet 25.3072 « Quelle reconnaissance dans la LAA/OLAA pour les victimes de viol ? » – Avis du Conseil fédéral du 21.05.2025 consultable ici

 Ma traduction de l’arrêt du TF 8C_548/2023 (d) du 21.02.2024 disponible ici

Un article sera prochainement rédigé par mes soins au sujet de cet arrêt.

 

8C_587/2024+8C_589/2024 (f) du 25.03.2025 – Qualité de travailleur assuré à titre obligatoire – Début et fin de la couverture d’assurance – Caractère réel du contrat de travail – 1a LAA – 3 LAA / Vraisemblance des salaires versés niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_587/2024+8C_589/2024 (f) du 25.03.2025

 

Consultable ici

 

Qualité de travailleur assuré à titre obligatoire – Début et fin de la couverture d’assurance – Caractère réel du contrat de travail / 1a LAA – 3 LAA

Vraisemblance des salaires versés niée

 

Dans le cadre du contrat de travail du 26.08.2010, l’assuré, engagé par l’entreprise individuelle de son père B.__ (ci-après: l’entreprise B.__), active dans le secteur de la construction, occupait un poste d’aide monteur polyvalent avec un salaire mensuel brut de 1’200 CHF incluant jours fériés et 13ᵉ salaire, pour une durée hebdomadaire variable. Le 16.06.2020, l’assuré – qui participait régulièrement à des courses de supercross aux États-Unis – a chuté lors d’un entraînement dans ce pays, ce qui a occasionné une fracture de la troisième vertèbre thoracique avec recul du mur postérieur et compression de la moelle, à l’origine d’une paraplégie immédiate.

Par décision du 23.04.2021 confirmée sur opposition le 23.09.2021, l’assurance-accidents a refusé de prendre en charge les suites de l’accident. En substance, elle a retenu que l’assuré avait travaillé en dernier lieu pour l’entreprise familiale le 28.12.2019 et qu’il s’était trouvé ensuite en congé sabbatique aux États-Unis. Malgré l’apparent versement d’un salaire entre décembre 2019 et juin 2020, la situation devait être considérée comme un congé non payé, eu égard au fait que l’assuré n’avait fourni aucune contrepartie professionnelle pendant près de six mois. Dans ces conditions, il n’était pas assuré selon la LAA au moment de l’accident survenu le 16.06.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 147/21 et AA 148/21 – 93/2024 – consultable ici)

Par jugement du 28.08.2024, rejet du recours de l’assuré et de celui de la caisse-maladie par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 1a al. 1 let. a LAA, sont assurés à titre obligatoire contre les accidents les travailleurs occupés en Suisse, y compris les travailleurs à domicile, les apprentis, les stagiaires, les volontaires ainsi que les personnes travaillant dans des écoles de métiers ou des ateliers protégés. Aux termes de l’art. 1 OLAA, est réputé travailleur selon l’art. 1a al. 1 LAA quiconque exerce une activité lucrative dépendante au sens de la législation fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (AVS). De manière générale, la jurisprudence considère comme tel la personne qui, dans un but lucratif ou de formation et sans devoir supporter de risque économique propre, exécute durablement ou provisoirement un travail pour un employeur, auquel il est plus ou moins subordonné. Sont ainsi visées avant tout les personnes au bénéfice d’un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO ou qui sont soumises à des rapports de service de droit public (ATF 144 V 411 consid. 4.2; 141 V 313 consid. 2.1). Dans le doute, la qualité de travailleur doit être déterminée, de cas en cas, à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment au regard de l’existence d’une prestation de travail, d’un lien de subordination et d’un droit au salaire sous quelque forme que ce soit (arrêts 8C_419/2022 du 6 avril 2023 consid. 3.1; 8C_59/2022 du 6 septembre 2022 consid. 3.1 et les arrêts cités). Selon la jurisprudence afférente aux art. 319 ss CO, les éléments caractéristiques du contrat de travail sont une prestation de travail, un rapport de subordination, une rémunération et un élément de durée (ATF 148 II 426 consid. 6.3). Ces quatre conditions à l’existence d’un contrat de travail sont cumulatives (ANNE MEIER, in Commentaire romand, Code des obligations I, 3e éd. 2021, n° 8 ad art. 319 CO).

Consid. 3.2
L’art. 3 LAA prévoit que l’assurance produit ses effets dès le jour où débutent les rapports de travail ou dès que naît le droit au salaire, mais en tout cas dès le moment où le travailleur prend le chemin pour se rendre au travail (al. 1, première phrase); l’assurance cesse de produire ses effets à la fin du 31 e jour qui suit le jour où prend fin le droit au demi-salaire au moins (al. 2, première phrase). Pendant un congé non payé, les rapports de travail, qui continuent d’exister, sont suspendus. La prise d’un congé non payé a donc pour conséquence la suspension des obligations principales découlant du rapport de travail, à savoir l’obligation de travailler de l’employé ainsi que l’obligation de l’employeur de verser le salaire, tout en limitant également certaines obligations accessoires, comme par exemple le droit de donner des instructions et le devoir de protection de l’employeur, ainsi que le devoir de fidélité du travailleur. Le congé non payé a aussi des répercussions du point de vue des assurances sociales. Conformément à l’art. 3 al. 2 LAA, l’assurance-accidents obligatoire prend fin le 31e jour suivant le jour où cesse le droit au demi-salaire, ce qui signifie qu’au-delà d’un congé non payé de 31 jours, il n’y a plus de couverture d’assurance, même si les rapports de travail ne sont que suspendus (arrêts 8C_413/2019 du 22 août 2019 consid. 6.1; 8C_472/2018 du 22 janvier 2019 consid. 5.1.1; CÉCILE MATTER/CLAUDIO HELMLE, in Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 29 ad art. 3 LAA).

Consid. 3.3 [résumé]
La compétence de l’assureur dépend de l’activité exercée au moment de l’accident : l’assureur de l’employeur concerné couvre les accidents professionnels (art. 77 al. 1 LAA), tandis que celui de la dernière activité couvre les accidents non professionnels (art. 99 OLAA). En cas de pluralité d’employeurs, l’assureur compétent est celui lié à l’activité en cours lors de l’accident (art. 99 al. 1 OLAA).

Consid. 4.1 [résumé]
Les juges cantonaux ont relevé plusieurs indices laissant douter du caractère réel du contrat de travail daté du 26.06.2010. Ils ont constaté que les revenus bruts figurant à l’extrait de compte individuel de l’assuré ne correspondaient pas aux modalités prévues dans le contrat, ce qui suggérait que ce dernier aurait pu être rédigé a posteriori pour servir les intérêts du dossier. Par ailleurs, le contrat ne précisait pas le nombre d’heures mensuelles à effectuer, ce qui était inhabituel, et aucun élément probant ne venait étayer l’assertion de la caisse-maladie recourante selon laquelle l’assuré aurait occupé un emploi à 30%. Il n’était en outre pas contesté qu’aucune trace des heures de travail ni de la présence de l’assuré n’était tenue, rendant toute vérification sur l’activité réellement accomplie ou sur une éventuelle compensation annuelle impossible.

L’entreprise B.__ expliquait l’absence de relevés horaires par le versement d’un salaire mensuel et affirmait que l’assuré aurait doublé son temps de travail entre juin et décembre 2019 afin de cumuler assez de jours pour compenser un congé sabbatique prévu en 2020. Or, cette explication paraissait peu vraisemblable, l’assuré ayant participé à un championnat de supercross aux États-Unis durant l’été 2019, comme l’établissait une interview accordée au site Internet (…). Le dossier ne contenait en outre aucune quittance de salaire ni relevé bancaire attestant le paiement effectif du salaire convenu, et notamment, un versement de CHF 6’000 opéré le 26.03.2020 n’apparaissait pas dans la comptabilité 2020 de l’entreprise.

L’analyse de la comptabilité des années 2019 et 2020 révélait en outre que les paiements de salaires étaient enregistrés comme des opérations de caisse, alors même que l’entreprise ne disposait pas des fonds nécessaires, selon le compte «Caisse» de 2019. De plus, toutes les écritures transitaient par le compte transitoire «Salaire à payer», avec, chose inhabituelle, la même date pour toutes les écritures mensuelles de salaire. Pour l’année 2020, le compte «Caisse» indiquait un seul versement pour l’ensemble du salaire annuel, enregistré le 31 décembre 2020.

Au vu de l’ensemble de ces éléments et de l’absence de preuve quant à la réception effective des montants en question, les juges cantonaux ont retenu qu’il s’agissait de simples écritures comptables, sans réels mouvements de fonds en faveur de l’assuré.

Consid. 4.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont examiné la nature des activités professionnelles de l’assuré au moment de l’accident. Bien que celui-ci ait occasionnellement aidé l’entreprise familiale, ils ont souligné que son engagement principal en 2020 était lié à sa carrière de pilote professionnel de supercross pour l’écurie C.__. Cette activité, exercée depuis 2015, était qualifiée de professionnelle malgré l’absence de contrat écrit ou de rémunération directe, l’écurie fournissant le matériel nécessaire en contrepartie, ce qui établissait un lien de subordination au sens de l’art. 3 LAA.

L’instance cantonale a rejeté l’argument d’un retour prévu en Suisse durant la pause du championnat (du 08.02.2020 au 28.03.2020). La pause en question était destinée à prendre du repos avant de reprendre l’entraînement physique et technique et à faire des tests de matériel dans la perspective des prochaines courses, sans intention de reprendre son activité chez B.__. La cour cantonale en a conclu que son activité de pilote ne constituait pas une simple activité de loisirs, mais une véritable activité professionnelle, exercée en 2020 pour le compte d’un employeur, l’écurie C.__. Dès lors, les deux activités (emploi familial et carrière sportive) n’étaient pas simultanées et s’excluaient l’une l’autre.

Au moment de l’accident du 16.06.2020, l’assuré ne travaillait pas pour l’entreprise de son père, mais pour l’écurie C.__. Il n’appartenait donc pas à l’assurance-accidents de prendre en charge le cas, conformément aux art. 77 al. 1, première phrase, LAA et 99 al. 1 OLAA a contrario.

Consid. 4.3
Le tribunal cantonal a ensuite considéré que l’assuré ne pouvait pas se prévaloir du principe de la protection de la bonne foi pour obtenir des prestations de la part de l’assurance-accidents. Le fait qu’il avait bénéficié de prestations de celle-ci lors d’un précédent accident n’était pas décisif. Au surplus, l’assurance-accidents ne lui avait pas fait une quelconque promesse de prise en charge d’un éventuel nouvel accident de supercross. Enfin, par appréciation anticipée des preuves, la juridiction cantonale a rejeté les requêtes de l’assuré d’audition de témoins, qui auraient pu préciser les contours de son activité pour l’entreprise B.__.

 

Consid. 5.2.1 [résumé]
Les juges cantonaux ont relevé plusieurs éléments suggérant un caractère fictif du contrat de travail entre l’assuré et l’entreprise B.__, sans statuer définitivement sur son existence réelle. Bien qu’il ait admis la possibilité de prestations occasionnelles pour cette entreprise, il a retenu qu’au moment de l’accident du 16.06.2020, l’assuré exerçait exclusivement son activité de pilote pour l’écurie C.__, exonérant ainsi l’assureur-accidents de toute obligation. Cette motivation n’a toutefois pas clarifié la qualification juridique du contrat de travail ni statué sur la qualité de travailleur assuré au sens de l’art. 1a al. 1 let. a LAA, laissant dans l’incertitude la couverture de l’activité sporadique pour l’entreprise familiale.

Consid. 5.2.2 [résumé]

Cela étant, le tribunal cantonal a établi de manière non arbitraire que l’assuré résidait aux États-Unis depuis janvier 2020 pour participer à un championnat de supercross et n’envisageait pas de revenir en Suisse lors de la pause de six semaines (février-mars 2020). Cette conclusion s’appuie sur son interview publiée, où il détaillait une semaine de repos suivie de préparations sportives, sans mention d’un retour. Les versions contradictoires de l’assuré – retour prévu en avril puis en mai 2020 – ont été jugées irrecevables au regard du calendrier des compétitions (épreuve prévue le 04.04.2020) et de son projet de développer son entreprise D.__ aux États-Unis, après le championnat de supercross, en proposant des chambres, des motos et du coaching aux États-Unis. Vu la nature de cette activité, on voit mal comment il aurait pu développer cette entreprise depuis la Suisse. Il découle de ce qui précède qu’au moment de son accident, l’assuré n’avait pas travaillé pour l’entreprise B.__ depuis au moins six mois, et qu’il n’aurait vraisemblablement pas agi différemment en l’absence du Covid-19.

L’instance cantonale a également rejeté l’allégation d’un doublement du temps de travail en 2019 pour compenser un congé en 2020, soulignant que l’assuré avait concouru aux États-Unis de juin à août 2019, excluant toute activité simultanée pour l’entreprise B.__. Aucun détail sur les chantiers ou tâches effectuées en 2019 n’a été fourni, et l’argument d’un congé de trois mois s’avérait incompatible avec le calendrier initial du championnat.

Consid. 5.2.3
Au vu de ce qui précède, et pour autant que l’on puisse admettre l’existence dès 2010 de rapports de travail au sens de l’art. 319 CO entre l’assuré et l’entreprise B.__, ces rapports de travail ont été à tout le moins suspendus début 2020 au plus tard. Les premiers juges ont constaté sans arbitraire qu’il n’était pas établi que le paiement d’un montant de CHF 6’000 en mars 2020 correspondait à un salaire. Par ailleurs, en l’absence de toute prestation de travail en 2020, le seul versement d’un salaire pour des heures de travail qui auraient été effectuées en 2019 ne suffirait pas pour faire perdurer la relation de travail jusqu’en juin 2020, les éléments caractéristiques du contrat de travail étant cumulatifs (cf. consid. 3.1 in fine supra). Au moment de l’accident du 16.06.2020, l’assuré n’avait donc pas la qualité de travailleur occupé en Suisse au sens de l’art. 1a al. 1 let. a LAA. Par conséquent, l’assurance-accidents n’a pas à répondre des suites de cet accident, l’assuré ayant été assuré au plus tard jusqu’à fin janvier 2020 en vertu de l’art. 3 al. 2 LAA (cf. consid. 3.2 in fine supra).

Consid. 5.3
Toujours sous couvert d’un établissement manifestement inexact des faits, l’assuré fait en outre grief à la juridiction cantonale d’avoir retenu que son activité de pilote de supercross constituait une activité professionnelle exercée pour le compte de l’écurie C.__. Le point de savoir si un contrat de travail le liait à cette écurie de supercross en 2020 peut toutefois rester indécis, dès lors que même si tel n’était pas le cas, l’assurance-accidents ne devrait pas couvrir le sinistre du 16.06.2020 pour les raisons évoquées ci-dessus.

Consid. 6.1.1 [résumé]
La caisse-maladie recourante conteste l’appréciation des preuves par le tribunal cantonal, soutenant que les revenus annuels de CHF 14’400 perçus par l’assuré entre 2016 et 2019 démontraient son assujettissement à l’assurance-accidents jusqu’à fin 2019. Elle argue que l’assureur n’a pas prouvé l’absence totale de rapport de travail en 2020 et souligne le versement mensuel de CHF 1’200, correspondant selon elle à un taux d’activité de 30%. Il serait peu crédible qu’une petite entreprise familiale puisse se permettre de s’acquitter d’un tel salaire sans contrepartie du salarié.

Consid. 6.1.2
Ainsi que l’on vient de le voir, le tribunal cantonal a émis de sérieux doutes quant à l’existence de véritables rapports de travail entre l’assuré et l’entreprise de son père, sans toutefois trancher clairement cette question (cf. consid. 5.2.1 supra). Quoi qu’il en soit, pour les motifs déjà exposés (cf. consid. 5.2.2 et 5.2.3 supra), en l’absence de toute prestation de travail en 2020, l’assuré n’était pas assuré par l’assurance-accidents contre les risques d’accidents au moment de l’événement du 16.06.2020. Les griefs de la caisse-maladie recourante, qui n’amènent rien de nouveau, sont mal fondés.

Consid. 6.2.1 [résumé]
La caisse-maladie recourante conteste la qualification de l’activité de l’assuré auprès de l’écurie C.__ comme professionnelle, soulignant l’absence de rémunération en espèces et son incapacité à subvenir à ses besoins sans le salaire de l’entreprise B.__. Elle invoque la jurisprudence fédérale (ATF 150 V 391 ; 139 V 457) pour soutenir l’existence d’un contrat de travail avec B.__ au moment de l’accident, celui-ci devant être pris en charge par l’assurance-accidents.

Consid. 6.2.2
Le point de savoir si des rapports de travail unissaient l’assuré et l’écurie C.__ peut demeurer indécis, puisque sans égard à cette question, la couverture d’assurance par l’assurance-accidents selon la LAA au moment de l’accident doit être niée (cf. consid. 5.3 supra). Dans ces conditions, la jurisprudence citée par la caisse-maladie recourante – qui concerne des personnes assurées obligatoirement selon la LAA, en vertu d’une activité à temps partiel, exerçant une autre activité non assurée facultativement – ne lui est d’aucun secours.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré et de la caisse-maladie.

 

Arrêt 8C_587/2024+8C_589/2024 consultable ici

 

Commentaire

Cet arrêt illustre les enjeux complexes liés à la qualification des rapports de travail et à la détermination du champ d’application de la LAA, notamment en présence d’activités multiples et de contrats aux contours flous.

L’arrêt rappelle les effets d’un congé non payé sur la couverture LAA. En application de l’art. 3 al. 2 LAA, l’assurance cesse 31 jours après la fin du droit à un demi-salaire, même si le contrat est suspendu et non résilié. Cet aspect est important pour les employeurs et travailleurs : une interruption d’activité prolongée, sans contrepartie professionnelle, entraîne une perte de couverture, indépendamment des écritures comptables (arrêts du TF 8C_413/2019 du 22 août 2019 consid. 6.1; 8C_472/2018 du 22 janvier 2019 consid. 5.1.1; CÉCILE MATTER/CLAUDIO HELMLE, in Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 29 ad art. 3 LAA).

A la suite du Tribunal cantonal, le Tribunal fédéral souligne la rigueur attendue dans la preuve des revenus et des heures travaillées. Un salaire versé sans prestation effective, des écritures comptables non corroborées par des flux financiers réels, ou des déclarations contradictoires (ex. : dates de retour en Suisse) peuvent suffire à invalider la couverture d’assurance. Les entreprises familiales doivent être vigilantes pour éviter les soupçons de contrats a posteriori, notamment en cas de sinistre.

Cet arrêt renforce la nécessité d’une approche factuelle et rigoureuse pour qualifier les rapports de travail et leur incidence sur l’assurance-accidents. Il met en garde contre les pratiques informelles dans les entreprises familiales et rappelle que la LAA ne couvre pas les situations où le lien de subordination et la contrepartie effective font défaut. Une vigilance accrue dans la rédaction des contrats et la gestion des dossiers comptables s’impose pour éviter les contentieux.

 

8C_414/2024 (f) du 11.03.2025 – Surindemnisation – Indemnité journalière LAA et rente AI / Gain dont l’assuré est présumé avoir été privé – Evolution vraisemblable du taux d’activité de la personne assurée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_414/2024 (f) du 11.03.2025

 

Consultable ici

 

Surindemnisation – Indemnité journalière LAA et rente AI / 69 LPGA – 51 al. 3 OLAA

Gain dont l’assuré est présumé avoir été privé – Evolution vraisemblable du taux d’activité de la personne assurée

 

Assurée, née en 1970, exerçant deux activités professionnelles : un poste à 60% comme réceptionniste à l’Hôtel C.__ depuis mai 2008 et un engagement extra à 20% pour le service du brunch à l’Hôtel D.__ depuis mars 2009. Le 14.11.2010, elle a été victime d’un accident dans la cuisine de l’Hôtel D.__ (fracture de l’humérus gauche). L’assurance-accidents a versé des indemnités journalières pour les deux emplois jusqu’aux reprises partielles en juin 2012, puis janvier 2013 et septembre 2013, entrecoupées de nouvelles périodes d’incapacité (décembre 2015 à juin 2016).

Une enquête ménagère diligentée par l’office AI a conclu à un statut d’activité professionnelle initialement à 80% (et 20% ménagère), puis à 100% dès novembre 2012.

L’assurance-accidents a mis fin aux indemnités journalières en septembre 2016 pour l’Hôtel C.__ et octobre 2016 pour l’Hôtel D.__ par décision du 21 mars 2017. Elle a également refusé une rente d’invalidité et une IPAI, décision partiellement réformée par le tribunal cantonal le 1er novembre 2019, octroyant une IPAI de 3’150 fr.

L’office AI a alloué à l’assurée une rente entière d’invalidité du 01.03.2013 au 28.02.2014, une demi-rente du 01.03.2014 au 29.02.2016 et une rente entière du 01.03.2016 au 28.02.2017 (arrêt du tribunal cantonal du 14.06.2022).

Par décision du 15.04.2021, confirmée sur opposition le 25.01.2022, l’assurance-accidents a exigé de l’assurée le remboursement d’un montant de 22’320 fr., correspondant à sa surindemnisation du fait du versement d’indemnités journalières de l’assurance-accidents du 14.11.2010 au 31.08.2016 et d’une rente d’invalidité de l’assurance-invalidité du 01.03.2013 au 31.08.2016.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 28/22 – 62/2024 [jugement non consultable sur le site du TC])

Par jugement du 06.06.2024, admission du recours par le tribunal cantonal et annulation de la décision sur opposition.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 68 LPGA, sous réserve de surindemnisation, les indemnités journalières et les rentes de différentes assurances sociales sont cumulées. L’art. 69 al. 1 LPGA prévoit que le concours de prestations des différentes assurances sociales ne doit pas conduire à une surindemnisation de l’ayant droit (première phrase); ne sont prises en compte dans le calcul de la surindemnisation que des prestations de nature et de but identiques qui sont accordées à l’assuré en raison de l’événement dommageable (seconde phrase). L’art. 69 al. 2 LPGA précise qu’il y a surindemnisation dans la mesure où les prestations sociales légalement dues dépassent, du fait de la réalisation du risque, à la fois le gain dont l’assuré est présumé avoir été privé, les frais supplémentaires et les éventuelles diminutions de revenu subies par les proches. Aux termes de l’art. 69 al. 3 LPGA, les prestations en espèces sont réduites du montant de la surindemnisation (première phrase); sont exceptées de toute réduction les rentes de l’AVS et de l’AI, de même que les allocations pour impotents et les indemnités pour atteinte à l’intégrité (deuxième phrase); pour les prestations en capital, la valeur de la rente correspondante est prise en compte (troisième phrase).

En vertu de l’art. 51 al. 3 OLAA, le gain dont on peut présumer que l’assuré se trouve privé correspond à celui qu’il pourrait réaliser s’il n’avait pas subi de dommage (première phrase); le revenu effectivement réalisé est pris en compte (seconde phrase).

Consid. 3.2
Selon la jurisprudence, le « gain dont l’assuré est présumé avoir été privé » correspond au salaire hypothétique que l’assuré aurait réalisé sans invalidité, au moment où doit s’effectuer le calcul de surindemnisation. Il ne correspond pas forcément au gain effectivement obtenu avant la survenance de l’invalidité. En revanche, il existe une relation étroite entre le gain dont l’assuré est présumé avoir été privé et le revenu sans invalidité fixé sur la base de l’art. 16 LPGA. Dans les deux cas, il s’agit en effet du revenu hypothétique que la personne concernée aurait vraisemblablement obtenu sans atteinte à la santé. À cet égard, les circonstances concrètes et les chances réelles de l’assuré sur le marché du travail dont déterminantes. En partant du dernier salaire perçu avant l’atteinte à la santé, il convient de prendre en compte tous les changements ayant une incidence sur le revenu (renchérissement, augmentation réelle, progression de carrière, etc.) qui auraient vraisemblablement eu lieu en l’absence de l’invalidité (ATF 137 V 20 consid. 5.2.3.1; 126 V 468 consid. 4a; 125 V 163 consid. 3b; 122 V 151 consid. 3c; arrêt 8C_298/2020 du 2 novembre 2020 consid. 5.1; cf. aussi GHISLAINE FRÉSARD-FELLAY / JEAN-MAURICE FRÉSARD, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 37 et 38 ad art. 69 LPGA). S’il existe des éléments concrets permettant d’admettre qu’un assuré travaillant jusqu’alors à temps partiel aurait repris, en l’absence d’invalidité, une activité à plein temps, la limite de surindemnisation doit être adaptée en conséquence (ATF 142 V 75 consid. 6.3.1; arrêt 9C_554/2023 du 22 mai 2024 consid. 4.1).

Consid. 4 [résumé]
Les juges cantonaux ont relevé que les parties ne contestaient pas le caractère de prestations de nature et de but identiques des indemnités journalières de l’assurance-accidents et de la rente d’invalidité de l’assurance-invalidité, accordées en raison du même événement dommageable. Concernant le gain perdu, ils ont estimé, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assurée aurait augmenté son taux d’activité à 100% dès novembre 2012 sans l’accident, compte tenu de sa situation financière (mari au chômage et nécessité de subvenir aux besoins familiaux). L’office AI et le tribunal cantonal avaient confirmé ce statut dans leurs décisions respectives. Selon la cour cantonale, il n’y avait pas de raison, dans le calcul de surindemnisation, de s’écarter de ce qui avait été retenu en matière d’assurance-invalidité au sujet de l’évolution vraisemblable du taux d’activité de l’assurée.

L’assurance-accidents n’a pas fourni d’arguments pour s’écarter de cette évaluation, se bornant à invoquer un arrêt du Tribunal fédéral (8C_512/2012 du 7 juin 2013), jugé non pertinent en l’espèce.

Les juges cantonaux ont calculé les gains présumés perdus en retenant un taux de 100% à l’Hôtel C.__ dès novembre 2012 : 62’159 fr. 56 pour la période du 17.11.2010 au 17.06.2012 et 196’911 fr. 53 pour celle du 28.01.2013 au 31.08.2016. Après déduction des revenus effectivement perçus en reprenant partiellement son travail pendant la période faisant l’objet du calcul de surindemnistation (46’789 fr. 59), le gain perdu total s’élève à 212’281 fr. 50 pour la période du 14.11.2010 au 31.08.2016, et à 150’121 fr. 94 pour celle du 28.01.2013 au 31.08.2016. Les prestations perçues par l’assurée (175’409 fr. pour la première période et 126’224 fr. pour la seconde) n’excèdent pas ces montants. Ainsi, aucune surindemnisation n’est constatée, que le calcul débute le 14.11.2010 ou le 28.01.2013.

Consid.5.2
Quoi qu’en dise l’assurance-accidents, les motifs avancés par la cour cantonale pour fixer le salaire hypothétique de l’assurée en tenant compte d’une activité à temps plein à compter de novembre 2012 sont convaincants. Même si l’assurance-accidents n’est pas liée par les décisions en matière d’assurance-invalidité, il y a selon la jurisprudence une relation étroite entre le gain dont l’assuré est présumé avoir été privé et le revenu sans invalidité fixé sur la base de l’art. 16 LPGA (cf. consid. 3.2 supra). Or, en assurance-invalidité, l’office AI puis le tribunal cantonal ont estimé que sans invalidité, l’assurée aurait travaillé à temps complet dès novembre 2012. En matière de surindemnisation, au vu des éléments au dossier – en particulier l’enquête ménagère diligentée par l’office AI en novembre 2013 -, les juges cantonaux pouvaient également retenir que sans invalidité, l’assurée aurait vraisemblablement augmenté son taux d’activité à 100% dès novembre 2012. Au moment de l’accident, celle-ci avait déjà augmenté son temps de travail global en mars 2009 en acceptant un poste à 20% pour l’Hôtel D.__, en sus de son emploi à 60% auprès de l’Hôtel C.__. En décembre 2011, elle a fait savoir à l’office AI que sans atteinte à la santé, elle travaillerait à un taux de 80%. Environ deux ans plus tard, elle a expliqué à l’enquêtrice ménagère que la situation financière difficile de son ménage l’aurait conduite, sans atteinte à la santé, à travailler à plein temps dès novembre 2012; elle précisait que son époux touchait des prestations de la caisse de chômage depuis une année et que sa fille était âgée de douze ans. Le rapport de l’enquêtrice détaille la situation financière du ménage et rien ne permet de douter de la réalité des revenus et charges qui y sont énumérés. Par ailleurs, les questions et détails liés au droit du mari de l’assurée à l’indemnité de chômage ne sont pas déterminants; dès l’instant où celui-ci était sans emploi, il est plausible que l’assurée aurait en toute circonstance cherché à augmenter encore plus son taux de travail si son état de santé l’avait permis. On ajoutera qu’en novembre 2012, l’âge de la fille du couple était davantage conciliable avec un emploi à temps complet de l’assurée que quelques années auparavant, indépendamment de l’activité de son époux.

Comme relevé par l’autorité précédente, l’arrêt 8C_512/2012 cité par l’assurance-accidents ne lui est d’aucun secours. Comme exposé par la cour cantonale, ce jugement précise que seules les pertes de revenus causées par l’accident indemnisé doivent être prises en compte pour déterminer le gain dont l’assuré est présumé avoir été privé, sans pour autant remettre en cause la jurisprudence relative au calcul de ce gain (cf. consid. 3.2 supra), à laquelle l’assurance-accidents fait d’ailleurs elle-même référence. Les griefs de l’assurance-accidents s’avèrent ainsi mal fondés.

Pour le reste, l’assurance-accidents ne critique pas les calculs opérés par les juges cantonaux, qui leur ont permis de conclure à l’absence d’une surindemnisation de l’assurée, quelle que soit la période de calcul considérée (à savoir celle du 14.11.2010 au 31.08.2016 ou celle du 28.01.2013 au 31.08.2016). Le point – évoqué dans le recours – de savoir laquelle de ces périodes est déterminante peut donc rester indécis.

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_414/2024 consultable ici

 

Progression des salaires nominaux de 1,8% en 2024 et hausse des salaires réels de 0,7%

Progression des salaires nominaux de 1,8% en 2024 et hausse des salaires réels de 0,7%

 

Communiqué de presse de l’OFS du 22.04.2025 disponible ici  

En 2024, l’indice suisse des salaires nominaux a enregistré une hausse moyenne de 1,8% par rapport à l’année précédente, atteignant ainsi 104,2 points (base 2020 = 100). Avec une inflation annuelle moyenne de +1,1%, les salaires réels ont progressé de 0,7%, s’établissant à 97,6 points (base 2020 = 100), selon les calculs de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

Pour la pratique quotidienne, vous trouverez les divers tableaux sur notre page Evolution des salaires.

 

Communiqué de presse de l’OFS du 22.04.2025 disponible ici  

8C_486/2024 (f) du 13.02.2025 – Vraisemblance du syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Causalité naturelle / Doutes quant à la fiabilité et la pertinence du rapport du médecin-conseil

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_486/2024 (f) du 13.02.2025

 

Consultable ici

 

Vraisemblance du syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Causalité naturelle / 6 LAA

Doutes quant à la fiabilité et la pertinence du rapport du médecin-conseil

 

Assuré, né en 1960, a été engagé le 01.04.2016 en qualité de secrétaire administratif avec un taux d’activité à 50% par l’entreprise B.__ SA (après des mesures d’ordre professionnel accordées à la suite d’un accident de la circulation du 23.08.2008).

Par déclaration d’accident du 04.01.2021, l’employeur a annoncé à l’assurance-accidents que l’assuré avait fait une chute durant la nuit du 31.12.2020 au 01.01.2021 (lésions : fracture déplacée du cotyle droit et de la branche ischio-pubienne droite).

L’assuré a séjourné dans une clinique de réadaptation du 12.01.2021 au 17.05.2021 pour une rééducation intensive sous la supervision de la doctoresse F.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation, qui a poursuivi son suivi médical après ce séjour. Dans un rapport du 14.06.2021, cette médecin a constaté une évolution lentement favorable sur le plan orthopédique tout en mentionnant des douleurs neurogènes au membre inférieur droit, un diabète de type II et une cirrhose sur stéato-hépatite. Elle a estimé que l’état de l’assuré n’était pas stabilisé. Lors d’un contrôle le 14.09.2021, elle a noté une amélioration lente mais constante des capacités fonctionnelles du membre inférieur droit tout en soulignant la persistance des douleurs neurogènes. Sur cette base, la doctoresse G.__, médecin-conseil de l’assurance-accidents, a conclu que l’assuré pouvait reprendre son activité à mi-temps dès le 04.10.2021 puis à plein temps après un mois (soit son mi-temps), tout en définissant les limitations fonctionnelles à respecter.

La doctoresse F.__ a exprimé son désaccord, indiquant que la position assise ne pouvait pas être maintenue dans le temps en raison des douleurs neurogènes de type syndrome douloureux régional complexe (SDRC), qui étaient consécutives à l’accident (probablement favorisées par un étirement du plexus à l’occasion de la fracture du bassin); par ailleurs, l’assuré ne pouvait pas porter de chaussures fermées longtemps et devait poursuivre le traitement de désensibilisation en ergothérapie. Dans une appréciation du 09.11.2021, la doctoresse G.__ a confirmé son point de vue.

Par décision 12.11.2021, confirmée sur opposition le 11.01.2022, l’assurance-accidents a réduit et supprimé les indemnités journalières allouées jusque-là en considération de la capacité de travail retenue par sa médecin-conseil.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 08.07.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
La responsabilité de l’assureur-accidents s’étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle et adéquate avec l’événement assuré (ATF 148 V 356 consid. 3). Pour la validation du diagnostic de SDRC (ou CRPS pour Complex Regional Pain Syndrom), il est communément fait référence aux critères dits « de Budapest », qui sont exclusivement cliniques et associent symptômes et signes dans quatre domaines: sensoriels, vasomoteurs, sudomoteurs/oedème, moteurs/trophiques (voir arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.1). En tant que maladie de nature neurologique-orthopédique-traumatologique, le SDRC est qualifié d’atteinte organique. Dans la mesure toutefois où son étiologie et sa pathogenèse ne sont pas claires, la jurisprudence a posé trois conditions cumulatives pour admettre l’existence d’un lien de causalité naturelle entre un SDRC et un accident, dont une courte période de latence entre l’accident et l’apparition de l’atteinte (au maximum six à huit semaines). À cet égard, le Tribunal fédéral a précisé qu’il n’est pas nécessaire qu’un SDRC ait été diagnostiqué dans les six à huit semaines après l’accident mais qu’il est en revanche déterminant que sur la base des constats médicaux effectués en temps réel, il soit établi que la personne concernée a présenté, au moins partiellement, des symptômes typiques du SDRC durant cette période de latence (arrêts 8C_473/2022 du 20 janvier 2023 consid. 5.5.1, in: SVR 2021 UV n° 9 p. 48; 8C_1/2023 du 6 juillet 2023 consid. 7.2).

Consid. 3.3
Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.6 et 4.7; arrêt 8C_816/2021 du 2 mai 2022 consid. 3.2 et l’arrêt cité).

Consid. 4.1 [résumé]
La doctoresse G.__, sans avoir examiné cliniquement l’assuré, a estimé qu’il pouvait reprendre son travail dès novembre 2021 sur le plan orthopédique, compte tenu des capacités fonctionnelles de sa hanche. Elle a considéré que l’atteinte neurogène au pied droit, évoquée par la doctoresse F.__ dans un contexte de SDRC, n’était qu’une hypothèse. Selon elle, les critères de Budapest n’étaient pas remplis, aucun examen radiologique complémentaire n’avait été effectué, et le traitement médicamenteux n’avait pas été ajusté pour un SDRC. De plus, un bilan neurologique réalisé par le docteur I.__ à la clinique de réadaptation n’a révélé aucun substrat neurologique expliquant les douleurs au pied droit, hormis un doute sur une atteinte mineure au muscle droit antérieur. La doctoresse G.__ a également souligné que le développement d’un SDRC loin de l’articulation touchée était rare et que les douleurs neurogènes tardives de l’assuré pourraient être liées à une neuropathie diabétique ou alcoolique. Elle a notamment relevé que la chute avait eu lieu dans un contexte d’alcoolisation aiguë et que l’assuré était suivi pour des problèmes hépatiques.

Consid. 4.2 [résumé]
Faisant sienne ces conclusions, la cour cantonale a retenu que les seules séquelles liées à l’accident concernaient la hanche droite. Elle a jugé que l’état de l’assuré était stabilisé dès le 02.11.2021 et qu’il pouvait reprendre son emploi à son taux d’activité habituel. Elle a jugé que les avis médicaux dont se prévalait l’assuré ne remettaient aucunement en cause ce point de vue. Concernant la hanche droite, les docteurs F.__ et E.__ avaient constaté une bonne évolution post-opératoire avec des amplitudes permettant la position assise et n’avaient recommandé que des mesures thérapeutiques limitées. Quant aux douleurs neurogènes alléguées, la simple mention d’un œdème variable et d’autres symptômes dans un rapport de la doctoresse F.__ ne suffisait pas à valider un diagnostic de SDRC selon la jurisprudence applicable. Les diagnostics secondaires de SDRC posés par les professeurs E.__ et H.__ ont également été écartés pour les mêmes raisons. La cour cantonale a estimé que la doctoresse G.__ avait expliqué de manière convaincante pourquoi ces douleurs neurogènes n’étaient pas en lien de causalité avec l’accident assuré et a confirmé la décision de l’assurance-accidents.

 

Consid. 5
En l’occurrence, on peut d’emblée remarquer que l’affirmation de la doctoresse G.__ selon laquelle les douleurs neurogènes de l’assuré sont apparues seulement six mois après l’accident est contredite par les déclarations de la doctoresse F.__ qui en a fait le constat lors du séjour de celui-ci à la clinique de réadaptation du 12.01.2021 au 17.05.2021. La doctoresse F.__ a également spécifié que même si l’assuré avait présenté peu de signes vaso-moteurs à l’époque, elle avait observé des signes évocateurs d’un SDRC d’allure froide (oedème variable; hypersensibilité; troubles de la commande motrice), et qu’elle lui avait prescrit le traitement idoine dans un tel cas, qui était celui administré pour les douleurs neuropathiques, en sus d’une prise en charge multi-modale avec des thérapies de la sensibilité et du schéma corporel. Or la cour cantonale ne pouvait pas simplement faire fi de ces éléments – qui sont pertinents et sur lesquels la doctoresse G.__ ne s’est même pas prononcée dans son appréciation ultérieure du 20.06.2022 –, au prétexte de leur caractère succinct. Si ce n’est l’apparition de douleurs neurogènes significatives dans les suites proches de l’accident, on ne voit pas quelle autre raison aurait amené la doctoresse F.__ à organiser un bilan neurologique par le docteur I.__, neurologue, le 05.03.2021. On peut noter que ce médecin avait conclu à un examen « proche de la normale » – et non pas « dans les limites de la norme » comme le dit la doctoresse G.__ -, et qu’il avait souligné que l’électro-neuro-myographie (ENMG) avait été « de réalisation et d’interprétation difficiles ». Cela étant, depuis qu’elle suit l’assuré, la doctoresse F.__ a régulièrement fait état de douleurs neurogènes dans un contexte de SDRC en lien avec l’accident et a attesté une incapacité de travail. À cela on peut ajouter que le professeur H.__ (du Team rachis de l’Hôpital D.__), auquel le professeur E.__ (du Team hanche de l’Hôpital D.__) avait adressé l’assuré en raison de ses douleurs, a exclu un conflit radiculaire et qu’il a aussi émis l’avis que la symptomatologie « avec des douleurs neuropathiques et des phénomènes végétatifs ainsi que moteurs pouv[ait] effectivement être interprétée dans le cadre d’un CRPS [SDRC] ». Certes, aucun de ces médecins traitants ne s’est prononcé dans un rapport détaillé selon les critères de Budapest et à l’aune des trois conditions cumulatives posées par la jurisprudence pour admettre un lien de causalité entre un SDRC et un accident. Au regard des éléments avancés, il subsiste néanmoins des doutes suffisants quant à la fiabilité et la pertinence de l’appréciation de la doctoresse G.__ sur les points qu’elle a retenus, d’autant que celle-ci a insisté sur une problématique alcoolique de l’assuré qui n’est pas établie.

Partant, une instruction par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA s’impose afin de déterminer, premièrement, quelles sont les atteintes de l’assuré se trouvant en lien de causalité avec l’accident du 01.01.2021 (notamment en ce qui concerne un éventuel SDRC), deuxièmement, à partir de quand l’état de santé peut-il être considéré comme stabilisé et, troisièmement, la capacité de travail. La cause sera renvoyée à l’assurance-accidents afin qu’elle mette en œuvre une telle expertise et rende une nouvelle décision sur le droit de l’assuré aux prestations d’assurance à partir du 04.10.2021. Dans cette mesure, le recours se révèle bien fondé.

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_486/2024 consultable ici

 

8C_438/2024 (f) du 18.03.2025 – Notion d’accident – Facteur extérieur de caractère extraordinaire / Mouvement non coordonné / Première version de l’événement fait foi

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_438/2024 (f) du 18.03.2025

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges, non publié)

 

Notion d’accident – Facteur extérieur de caractère extraordinaire / 4 LPGA

Mouvement non coordonné – Rappel de la jurisprudence

Première version de l’événement fait foi

 

Assuré, né en 1965 et travaillant comme concierge à temps partiel pour différents employeurs, a déclaré s’être blessé au dos le 13.09.2022 en déplaçant des pierres dans son jardin. Il a précisé à l’assurance-accidents qu’il posait des plaques de parement sur un mur lorsqu’une plaque s’est décollée. En tentant de la récupérer, il a été entraîné par son poids (environ 10 kg), ce qui lui a provoqué un faux mouvement et une sensation de décharge électrique dans le bas du dos. À la question de savoir si quelque chose d’extraordinaire ou d’inattendu s’était produit dans son mouvement (dérapage ou chute p. ex.), il a répondu par la négative.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à des prestations d’assurance pour les suites de l’événement du 13.09.2022, motif pris qu’il ne s’agissait ni d’un accident ni d’une lésion corporelle assimilée à un accident.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/546/2024 – consultable ici)

Lors de la procédure cantonale, l’assuré a déclaré qu’il venait de poser une plaque de pierre sur le mur lorsqu’il s’était aperçu que son maillet n’était pas à sa portée mais à 50 centimètres de son bras. En cherchant à le récupérer, la plaque de pierre s’est détachée et il l’a attrapée avec les deux mains, à hauteur de la taille sur le côté, d’un geste extrêmement brusque.

Par jugement du 28.06.2024, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’assurance-accidents est en principe tenue d’allouer ses prestations en cas d’accident professionnel ou non professionnel (art. 6 al. 1 LAA). Est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d’accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l’atteinte, le caractère involontaire de l’atteinte, un facteur extérieur à l’origine de l’atteinte et, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Il suffit que l’un d’entre eux fasse défaut pour que l’événement ne puisse pas être qualifié d’accident (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1; 129 V 402 consid. 2.1 et les références).

Consid. 3.2
Pour admettre la présence d’un accident, il ne suffit pas que l’atteinte à la santé trouve sa cause dans un facteur extérieur, soit une cause exogène au corps humain. Encore faut-il que ce facteur puisse être qualifié d’extraordinaire. Cette condition est réalisée lorsque le facteur extérieur excède le cadre des événements et des situations que l’on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d’habituels, autrement dit des incidents et péripéties de la vie courante (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1; 134 V 72 consid. 4.1). Le caractère extraordinaire ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Celui-ci doit s’écarter de la mesure ordinaire et normale dans laquelle les influences de l’environnement agissent sur le corps humain (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, vol. XIV, 3 e éd. 2016, p. 923 n° 94).

Consid. 3.3.1
L’existence d’un facteur extérieur est en principe admise en cas de mouvement non coordonné, à savoir lorsque le déroulement habituel et normal d’un mouvement corporel est interrompu par un empêchement non programmé, lié à l’environnement extérieur, tel le fait de glisser, de trébucher, de se heurter à un objet ou d’éviter une chute. Le facteur extérieur – modification entre le corps et l’environnement extérieur – constitue alors en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1; arrêts 8C_24/2022 du 20 septembre 2022 consid. 3.2 in SVR 2023 UV n° 13 p. 40; 8C_404/2020 du 11 juin 2021 consid. 3.1 et les références). À titre d’exemples, l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire a été admise dans le cas d’un assuré, blessé à l’épaule gauche, qui a retenu, par un mouvement du membre supérieur gauche, un panneau d’environ 80 kilos glissant des mains de la personne qui l’aidait à le transporter (arrêt 8C_404/2020 du 11 juin 2021 consid. 5.2), dans le cas d’un poseur de sols qui, par un mouvement brusque et incontrôlé au niveau du membre supérieur droit, présentant une certaine intensité, a rattrapé précipitamment un rouleau de moquette qui glissait d’une étagère (arrêt 8C_194/2015 du 11 août 2015 consid. 5.2.2), dans le cas d’un assuré rattrapant, à moins de 80 centimètres du sol, un gaufrier de 25 kilos qui tombait d’une table, le dos courbé et les bras en avant (arrêt 8C_579/2014 du 28 novembre 2014 consid. 5 et 6.3) ou encore dans le cas d’une infirmière, amenée à fournir un effort violent et improvisé lors du déplacement d’une patiente, déplacement qui devait impérativement s’effectuer à deux en raison des contraintes induites par l’invalidité de celle-ci; la collègue de l’infirmière avait lâché prise de manière subite, de sorte que cette dernière s’était retrouvée seule à supporter toute la charge pour éviter le pire (arrêt U 9/04 du 15 octobre 2004 consid. 5).

Consid. 3.3.2
En revanche, le facteur extérieur extraordinaire a été nié dans les cas suivants: une assistante maternelle qui s’est blessée au poignet en empêchant un enfant de cinq ans, pesant 20 kilos, de tomber d’une chaise « Tripp-Trapp » (arrêt 8C_242/2021 du 2 novembre 2021 consid. 6 ss); un boucher qui s’est fait mal au dos en se saisissant d’une caisse de viande d’environ 25 kilos collant à l’étagère sur laquelle elle était posée, reculant de quelques pas pour retrouver l’équilibre (arrêt 8C_783/2013 du 10 avril 2014 consid. 6.2); un assuré qui a présenté des douleurs au dos après avoir tenté de redresser, par un mouvement réflexe, une plante en pot qui se trouvait sur un chariot de transport, lequel menaçait de basculer (arrêt U 144/06 du 23 mai 2006 consid. 2.1 et 2.2); une aide-soignante qui s’est blessée à l’épaule en rattrapant une caisse de livres qui lui avait glissé des mains (arrêt 8C_1019/2009 du 26 mai 2010 consid. 5.1.2); un infirmier qui s’est fait mal au niveau des cervicales en se retournant brusquement pour tenter de retenir une patiente, laquelle s’était levée de sa chaise roulante (arrêt 8C_726/2009 du 30 avril 2010 consid. 5); une infirmière, pesant 62 kilos, souffrant d’une hernie discale, qui a soudainement dû supporter le poids d’une patiente de 66 kilos, en la déplaçant de son lit au fauteuil (arrêt U 421/01 du 15 janvier 2003 consid. 3); une aide-soignante qui, avec une stagiaire, soutenait une patiente d’environ 90 kilos qui s’effondrait, la conduisant à se pencher plus fortement, entraînant une vive douleur à l’épaule (arrêt 8C_444/2009 du 11 janvier 2010 consid. 4.3); un acteur qui a souffert d’une hernie discale lors d’une représentation, alors qu’il devait amortir le saut d’une collègue (pesant environ 58 kilos) qui lui faisait face (arrêt U 67/94 du 10 octobre 1994 consid. 5).

Consid. 3.4
Au sujet de la preuve de l’existence d’une cause extérieure prétendument à l’origine de l’atteinte à la santé, on rappellera que les explications d’un assuré sur le déroulement d’un fait allégué sont au bénéfice d’une présomption de vraisemblance. Il peut néanmoins arriver que les déclarations successives de l’intéressé soient contradictoires entre elles. En pareilles circonstances, selon la jurisprudence, il convient de retenir la première explication, qui correspond généralement à celle que l’assuré a faite alors qu’il n’était pas encore conscient des conséquences juridiques qu’elle aurait, les nouvelles explications pouvant être – consciemment ou non – le produit de réflexions ultérieures (ATF 143 V 168 consid. 5.2.2; 121 V 45 consid. 2a et les références).

Consid. 5.1 [résumé]
L’assurance-accidents soutient que les atteintes à la santé de l’assuré (lombalgie, discopathie étagée dégénérative, effet de masse au niveau du disque L2-L3) ne peuvent être attribuées à un facteur externe. Bien qu’elle ne conteste pas les faits établis par les juges cantonaux concernant l’événement du 13.09.2022, elle argue qu’aucun facteur extérieur extraordinaire n’a causé ces atteintes. Elle estime que la dynamique du mouvement et l’effort fourni par l’assuré n’étaient pas exceptionnels au regard de sa constitution physique (72-74 kilos) et de ses habitudes professionnelles. Elle critique également la qualification par les juges cantonaux du geste comme un mouvement en porte-à-faux, rejetant ainsi l’idée d’un mouvement non coordonné. Enfin, elle compare cet événement à deux précédents (arrêts U 238/99 du 14 février 2000 et 8C_1019/2009 du 26 mai 2010) où le Tribunal fédéral avait nié la présence d’un facteur extérieur extraordinaire dans des cas similaires impliquant la réception soudaine d’un poids.

Consid. 5.2
En l’occurrence, le point de vue de la juridiction cantonale quant au déroulement de l’événement du 13.09.2022 ne peut être suivi.

Selon la déclaration de sinistre du 20.09.2022, l’assuré déplaçait des pierres dans son jardin. Il a ensuite expliqué, dans un questionnaire rempli le 11.10.2022, qu’il posait des plaques de parement sur un mur lorsqu’une plaque s’est décollée; en voulant la récupérer, il avait été entraîné par le poids du parement (environ 10 kilos) qui lui avait fait faire un faux mouvement. Force est de constater que cette description de l’événement ne permet pas de retenir une position penchée en avant ou un mouvement en porte-à-faux qui aurait résulté de la prise du maillet sur le sol. Il appert au contraire que l’assuré n’était pas en position de porte-à-faux lorsqu’il a réceptionné la plaque de pierre avant d’accompagner le mouvement de chute de celle-ci. Au vu du poids de cette pierre et de la jurisprudence mentionnée ci-avant (consid. 3.3.2 supra), ces circonstances ne permettent pas de constater le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Il s’ensuit que l’autorité précédente a qualifié à tort d’accidentel l’événement du 13.09.2022. Le recours se révèle dès lors bien fondé et doit être admis.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_438/2024 consultable ici