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8C_487/2021 (f) du 05.05.2022 – LPP – L’admission du recours par la partie intimée ne dispensent pas le Tribunal fédéral d’examiner la cause au fond – 32 LTF / Maxime d’office – 43 al. 1 LPGA – 61 let. c LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_487/2021 (f) du 05.05.2022

 

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Rente d’invalidité LPP – Erreur manifeste du tribunal cantonal dans calcul avoir vieillesse

L’admission du recours par la partie intimée ne dispensent pas le Tribunal fédéral d’examiner la cause au fond – 32 LTF / Maxime d’office – 43 al. 1 LPGA – 61 let. c LPGA

Frais judiciaires et dépens – 66 LTF – 68 LTF

 

Assurée, née en 1976, a travaillé du 01.02.2007 au 31.03.2012 en qualité de secrétaire trilingue et était affiliée pour la prévoyance professionnelle auprès de la A.__ (l’institution de prévoyance).

Le 24.02.2014, l’assurée a présenté une demande de prestations de l’assurance-invalidité. Elle été mise au bénéfice d’une rente entière d’invalidité dès le 01.08.2014 conformément à l’arrêt rendu le 09.03.2017 par le tribunal cantonal dans la cause l’opposant à l’office AI.

Saisie le 31.05.2017 d’une demande de rente de la prévoyance professionnelle, l’institution de prévoyance a informé l’assurée qu’elle estimait ne pas être tenue de lui allouer des prestations. Le 14.03.2018, l’assurée a ouvert action contre l’institution de prévoyance en concluant à l’octroi d’une rente entière d’invalidité d’au moins 41’184 fr. par an dès le 01.04.2012 avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 01.06.2017.

Par arrêt du 29.07.2019 (arrêt PP 4/18 – 25/2019), la cour cantonale a admis la demande, a constaté que l’assurée avait droit à une rente entière d’invalidité de la prévoyance professionnelle à compter du 01.04.2012 et a invité l’institution de prévoyance à fixer le montant des prestations à servir conformément aux considérants.

A la suite de cet arrêt, l’institution de prévoyance a alloué à l’assurée une rente d’invalidité d’un montant mensuel de 2’998 fr. 80. Cette dernière a manifesté son désaccord avec ce montant, invoquant le droit à une rente d’invalidité annuelle de 41’184 fr., soit une rente de 3’432 fr. par mois. L’institution de prévoyance a maintenu sa position, expliquant que l’incapacité de travail invalidante remontait au 27.08.2009, de sorte que le calcul de la rente était effectué sur la base du gain assuré selon le certificat personnel au 01.01.2009 (61’444 fr. 65) et non sur celui au 01.01.2012 (70’595 fr.).

 

Procédure cantonale (arrêt PP 5/20 – 16/2021 – consultable ici)

Le 05.03.2020, l’assurée a déposé à titre principal une demande d’interprétation du dispositif de l’arrêt rendu le 29.07.2019 par la cour cantonale, en concluant à ce que son droit à la rente d’invalidité dès le 01.04.2012 se calcule d’après son gain assuré figurant sur le dernier certificat de prévoyance au 01.01.2012. Subsidiairement, elle a formé une demande en constatation de droit tendant à ce que la rente annuelle entière d’invalidité qui lui est due par l’institution de prévoyance avec intérêts s’élève à au moins 41’184 fr.

Par arrêt du 12.05.2021, la cour cantonale a déclaré irrecevable la demande d’interprétation (chiffre I) et a admis la demande en constatation de droit (chiffre II) en ce sens que l’assurée a droit à compter du 01.04.2012 à une rente annuelle d’invalidité de 46’005 fr. 15 avec intérêts à 5% dès le 14.03.2018 (chiffre III).

 

TF

Consid. 3.1
Compte tenu des motifs et conclusions du recours, le litige en instance fédérale ne porte plus que sur un seul aspect du calcul opéré par la cour cantonale pour fixer le montant de la rente annuelle d’invalidité due par l’institution de prévoyance à l’assurée dès le 01.04.2012.

Alors que les juges cantonaux ont retenu, au titre de l’avoir de vieillesse déterminant pour calculer cette rente, un montant de 704’519 fr. 93, l’institution de prévoyance soutient que ce montant doit être établi à 630’672 fr. 90, ce qui donne, après application du taux de conversion de 6,53% selon l’annexe 3 RPEC [Règlement de prévoyance pour les personnes employées et les bénéficiaires de rente de la Caisse de prévoyance de la Confédération; RS 172.220.141.1], une rente annuelle d’invalidité de 41’182 fr. 95 et non pas de 46’005 fr. 15 comme fixé dans le dispositif de l’arrêt entrepris. Plus particulièrement, l’institution de prévoyance s’en prend à la manière dont la cour cantonale a déterminé, dans le cas d’espèce, la somme des bonifications de vieillesse depuis la naissance du droit à la prestation d’invalidité jusqu’à l’âge de 65 ans selon l’art. 24 RPEC, somme qui, avec l’avoir de vieillesse selon l’art. 36 RPEC que la personne assurée a accumulé jusqu’à la naissance du droit à la prestation d’invalidité, compose l’avoir de vieillesse déterminant servant au calcul de la rente (voir l’art. 57 al. 1 let. a et b RPEC).

Consid. 3.2
L’assurée ayant conclu à l’admission du recours sur ce point, il convient de déterminer ce que cela implique pour l’examen de la cause par la Cour de céans.

En droit privé, lorsque la cause est soumise à la maxime de disposition, l’acquiescement devant un tribunal est considéré comme un acte de procédure unilatéral par lequel la partie intimée reconnaît le bien-fondé de la prétention de la partie recourante et admet les conclusions de celle-ci (cf. arrêt 5A_667/2018 du 2 avril 2019 consid. 3.2, publié in SJ 2019 I 344). En droit des assurances sociales, dans lequel prévaut la maxime d’office (cf. art. 43 al. 1 et art. 61 let. c LPGA), l’acquiescement de la partie intimée ne permet pas au Tribunal fédéral de rayer la cause du rôle conformément à l’art. 32 al. 2 LTF; en d’autres termes, des conclusions de la partie intimée tendant à l’admission du recours ne dispensent pas le Tribunal fédéral d’examiner la cause au fond, en vérifiant que la situation résultant de l’admission du recours soit conforme au droit fédéral et en rendant une décision sur le fond (FLORENCE AUBRY GIRARDIN, in: Commentaire de la LTF, 2e éd. 2014, n° 23a ad art. 32 LTF; arrêts 8C_331/2020 du 4 mars 2021 consid. 2.1; 9C_149/2017 du 10 octobre 2017 consid. 1; 2C_299/2009 du 28 juin 2010 in RDAF 2010 II 494, consid. 1.3.4).

Il convient dès lors d’examiner si, comme le soutient l’institution de prévoyance, la cour cantonale a violé les dispositions pertinentes du RPEC en établissant le montant de la rente annuelle d’invalidité à 46’005 fr. 15 sur la base d’un avoir de vieillesse déterminant de 704’519 fr. 93.

Consid. 4.1
Invoquant un établissement inexact des faits (art. 97 al. 1 et art. 105 al. 2 LTF), l’institution de prévoyance reproche à la cour cantonale d’avoir pris en compte à double la même prestation de libre passage de l’assurée dans l’avoir de vieillesse déterminant pour le calcul de la rente d’invalidité selon l’art. 57 al. 1 let. a et b RPEC. Elle explique que le 09.10.2012, elle avait transféré, en raison de la sortie de l’assurée de sa caisse, un montant de 46’381 fr. 40 (sic) sur un compte auprès de la Fondation institution supplétive LPP et que ce montant lui avait été reversé par cette dernière le 16.10.2019, majoré des intérêts courus depuis le versement jusqu’à la date de remboursement (48’279 fr. 19), après qu’elle avait été condamnée à verser une rente d’invalidité à l’assurée par arrêt du 29.07.2019. Ces faits ressortaient clairement de ses écritures ainsi que des documents qu’elle avait versés en procédure cantonale, et auraient dû être constatés par la cour cantonale conformément à son obligation d’établir les faits d’office (art. 73 al. 2 LPP). La prise en compte, par l’instance cantonale, à la fois du montant de 46’381 fr. 40 et du versement de 48’279 fr. 19 conduisait à un calcul de rente erroné en violation des dispositions règlementaires.

Consid. 4.2
En l’occurrence, on doit donner raison à l’institution de prévoyance. Après avoir pris en considération d’une manière correcte la prestation de sortie de l’assurée, à sa valeur au 31.03.2012 (soit 46’381 fr. 40), au titre de l’avoir de vieillesse accumulée par celle-ci au moment de la naissance du droit à la prestation d’invalidité (cf. art. 57 al. 1 let. a RPEC), la cour cantonale a également porté en compte, dans le calcul de la somme des bonifications de vieillesse futures de l’assurée (cf. art. 57 al. 1 let. b RPEC), le montant de 48’279 fr. 19 correspondant au versement effectué par la Fondation institution supplétive LPP à l’institution de prévoyance en date du 16.10.2019 (voir le tableau y relatif figurant à la page 25 de l’arrêt entrepris). Il s’agit là d’une erreur manifeste de la cour cantonale, puisqu’il ressort des pièces produites par-devant elle que le montant de 48’279 fr. 19 constitue la prestation de sortie de l’assurée versée par l’institution de prévoyance en 2012 et restituée à cette dernière en 2019 avec les intérêts courus depuis lors conformément à l’art. 90 RPEC, et non pas une prestation de sortie acquise par l’assurée auprès d’autres institutions de prévoyance et apportée à l’institution de prévoyance. Si l’on fait abstraction du montant précité dans le calcul de la somme des bonifications de vieillesse futures de l’assurée, l’avoir de vieillesse déterminant de celle-ci s’élève à 630’672 fr. 90, comme cela résulte du tableau récapitulatif à la page 18 du recours. Il en découle une rente annuelle d’invalidité de 41’182 fr. 95 (630’672 fr. 90 x 6,53).

Consid. 4.3
Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis et l’arrêt attaqué réformé en ce sens que l’assurée a droit, à compter du 01.04.2012, à une rente annuelle d’invalidité de 41’182 fr. 95 avec intérêts à 5% dès le 14.03.2018.

 

Consid. 5
Doit encore être résolue la question des frais et dépens de la présente procédure.

Consid. 5.1
Selon l’art. 66 al. 1 LTF, en règle générale, la partie qui succombe doit payer les frais judiciaires; si les circonstances le justifient, le Tribunal peut les répartir autrement ou renoncer à les mettre à la charge des parties. En ce qui concerne les dépens, le Tribunal fédéral décide si et, le cas échéant, dans quelle mesure les frais de la partie obtenant gain de cause sont supportés par celle qui succombe (art. 68 al. 1 LTF). En règle générale, aucuns dépens ne sont alloués à la Confédération, aux cantons, aux communes ou aux organisations chargées de tâches de droit public lorsqu’ils obtiennent gain de cause dans l’exercice de leurs attributions officielles (art. 68 al. 3 LTF).

Consid. 5.2
En l’espèce, l’institution de prévoyance obtient gain de cause. Elle a dû recourir pour faire corriger une erreur manifeste commise par la cour cantonale dans l’établissement de l’avoir de vieillesse déterminant de l’assurée. Devant le Tribunal fédéral, cette dernière ne s’est pas identifiée à l’arrêt entrepris, mais elle a au contraire acquiescé au recours, mettant en évidence l’erreur qui faussait le calcul de sa rente. On ne saurait donc lui reprocher d’avoir succombé sur ce point devant le Tribunal fédéral (cf. arrêt 4A_595/2011 précité consid. 3), de sorte qu’il sera renoncé à la perception de frais judiciaires pour la procédure fédérale (art. 66 al. 1, deuxième phrase, LTF). Bien qu’obtenant gain de cause, l’institution de prévoyance, en sa qualité d’institution chargée de tâches de droit public, n’a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF; ATF 128 V 124 consid. 5b). Quant à l’assurée, elle saurait ne se voir allouer les dépens qu’elle demande dès lors qu’elle n’obtient pas gain de cause (art. 68 al. 1 LTF).

 

Le TF admet le recours de l’institution de prévoyance.

 

 

Arrêt 8C_487/2021 consultable ici

 

8C_586/2021 (f) du 05.05.2022 – Vraisemblance prépondérante – Causalité naturelle – 6 LAA / Plaie au talon par une aiguille à coudre – Infection – Fasciite nécrosante – Amputation du membre inférieur droit

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_586/2021 (f) du 05.05.2022

 

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Valeur probante du rapport d’expertise / 44 LPGA

Vraisemblance prépondérante – Causalité naturelle / 6 LAA

Plaie au talon par une aiguille à coudre – Infection – Fasciite nécrosante – Amputation du membre inférieur droit

Principe « post hoc ergo propter hoc » (mis en relation avec d’autres éléments médicalement déterminants) admis

 

Assurée, née en 1950, travaillait comme secrétaire au sein d’un hôpital. Le 11.03.2012, elle a marché sur une aiguille à coudre qui s’est cassée dans la plante de son pied droit et a dû être extraite par une intervention chirurgicale, réalisée par le docteur C.__, spécialiste en chirurgie orthopédique. Le 26.03.2012, ce médecin a revu l’assurée; il a constaté que l’évolution était parfaitement satisfaisante et que la cicatrice n’était localement pas encore complètement fermée, notamment la couche cornée.

Le 30.03.2012, l’assurée a consulté le docteur D.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, pour une éventuelle arthroplastie totale du genou gauche. Ce praticien a confirmé l’indication à une telle intervention, mais comme il n’y avait pas urgence, celle-ci pouvait être réalisée dans deux ans, à l’âge de la retraite de l’assurée. En date du 07.04.2012, l’assurée s’est présentée aux urgences en raison d’une toux, d’un malaise généralisé, de rhinorrhée, de crachats verts, de maux de gorge et de céphalées depuis quatre jours. Il a été diagnostiqué une rhino-sinusite avec écoulement postérieur et une toux sur syndrome descendant. Le 09.04.2012, le spécialiste en médecine interne générale s’est rendu au domicile de l’assurée en raison d’un état fébrile et de suspicion d’une infection pulmonaire ou abdominale. Il a diagnostiqué un probable érésipèle au niveau du membre inférieur droit et a prescrit un traitement antibiotique. Le 10.04.2012, l’assurée a été hospitalisée dans un état comateux, en raison d’un choc septique sur fasciite nécrosante à Streptococcus pyogenes du membre inférieur droit. Au vu de l’évolution défavorable, elle a dû être amputée du membre inférieur droit le 09.05.2012.

Pour savoir s’il y avait un lien de causalité entre l’accident du 11.03.2012 et le traitement ultérieur, l’assurance-accidents a confié une expertise bidisciplinaire à un spécialiste en infectiologie et un spécialiste en chirurgie orthopédique. Dans son rapport du 25.07.2013, l’infectiologue a conclu que la causalité était « probable avec une probabilité de >50% ». En revanche, le chirurgien orthopédique a retenu que la causalité naturelle entre la fasciite nécrosante et la plaie du 11.03.2012 était possible, mais pas probable (rapport du 27.01.2014).

Se fondant sur l’expertise du chirurgien orthopédique et sur le rapport de son médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique, du 15.10.2014, l’assurance-accidents a considéré qu’un lien de causalité naturelle entre l’accident du 11.03.2012 et les troubles traités dès le 09.04.2012 n’était pas établi au degré de la vraisemblance prépondérante, et elle a par conséquent refusé de prendre en charge les traitements entrepris dès le 09.04.2012.

Après l’opposition formée par l’assurée, l’assurance-accidents a mis en œuvre une nouvelle expertise, qu’elle a confiée à un autre spécialiste en infectiologie. Dans son rapport du 01.06.2018, ce dernier a conclu qu’un lien causal entre l’accident du 11.03.2012 et l’infection ayant entraîné l’hospitalisation le 10.04.2012 était probable. Sur la base des rapports de son médecin-conseil, l’assurance-accidents a néanmoins rejeté l’opposition par décision sur opposition du 30.04.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 71/19 – 90/2021 – consultable ici)

Par jugement du 28.07.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant en ce sens que l’assurance-accidents était tenue de prendre en charge tous les frais de traitement relatifs aux troubles survenus dès le 09.04.2012, consécutifs à l’accident du 11.03.2012.

Sur demande de rectification voire d’interprétation de l’assurée, le tribunal cantonal a, par arrêt du 09.09.2021 (AA 71/19 – 90/2021 (int.)), prononcé que son arrêt du 28.07.2021 devait être compris en ce sens que l’assurance-accidents était tenue de prendre en charge, à compter du 09.04.2012, les suites de l’accident subi par l’assurée le 11.03.2012.

 

TF

Consid. 3.2
Selon la jurisprudence, le tribunal peut accorder une pleine valeur probante à une expertise mise en œuvre dans le cadre d’une procédure administrative au sens de l’art. 44 LPGA, aussi longtemps qu’aucun indice concret ne permet de douter de son bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4; 125 V 351 consid. 3b/bb).

Consid. 3.3
En ce qui concerne la preuve, le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1; 126 V 353 consid. 5b; 125 V 193 consid. 2; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3).

Consid. 4.1
Il ressort de l’arrêt attaqué que l’assurance-accidents avait mandaté les docteurs F.__ (expert infectiologue) et G.__ (expert orthopédique) pour une expertise bidisciplinaire sur le rapport de causalité entre l’accident du 11.03.2012 et les événements survenus à partir du 09.04.2012. Les conclusions de ces deux experts étant contradictoires, le médecin-conseil de l’assurance-accidents s’était rallié à l’appréciation de l’expert orthopédique, qui a conclu à un rapport de causalité seulement possible. Suivant les avis de l’expert orthopédique et du médecin-conseil, l’assurance-accidents avait refusé, par décision du 02.02.2015, la prise en charge des traitements à partir du 09.04.2012. Ce n’était que trois ans plus tard qu’elle avait confié une nouvelle expertise sur la question de la causalité à un deuxième expert infectiologue, qui était parvenu à la même conclusion que le premier, à savoir un lien de causalité probable entre l’accident et les traitements litigieux en l’espèce. Toutefois, l’assurance-accidents s’était écartée de l’appréciation de ce troisième expert et avait maintenu sa position dans sa décision sur opposition du 30.04.2019.

Consid. 4.2.1
La juridiction cantonale a retenu que face aux deux expertises des experts infectiologue et orthopédique, qui aboutissaient à des conclusions contradictoires sans que les experts soient parvenus à se mettre d’accord sur la question cruciale du lien de causalité entre l’accident du 11.03.2012 et les événements survenus à partir du 09.04.2012, il apparaissait nécessaire de recourir à un troisième expert. C’était donc à juste titre que l’assurance-accidents avait ordonné une nouvelle expertise, confiée cette fois-ci à un autre expert infectiologue.

Consid. 4.2.2
La cour cantonale a ensuite exposé de manière détaillée les raisons qui faisaient douter la valeur probante de l’expertise du chirurgien orthopédique. Elle a notamment retenu que, même si les rapports médicaux à disposition entre le 30.03.2012 et le 09.04.2012 ne faisaient pas mention de plaie ou de cicatrice dans la plante du pied droit de l’assurée, on ne pouvait rien en déduire sur l’état de cette plaie et ce praticien ne pouvait pas être suivi lorsqu’il affirmait avoir démontré que la plaie à la plante du pied était fermée et guérie « ceci vu et confirmé par différents intervenants thérapeutiques ». Concernant le rapport du premier expert infectiologue, les juges cantonaux ont constaté que bien qu’il fût relativement succinct, cela ne suffisait pas à lui ôter toute valeur probante. Ce spécialiste avait relevé deux points particulièrement importants dans la détermination de l’existence du lien de causalité, à savoir le fait que la blessure initiale soit survenue au niveau du talon droit et que la fasciite nécrosante ait touché la partie inférieure de la jambe droite (étant précisé que les fasciites nécrosantes étaient des infections qui se propageaient par continuité et non pas de manière hématogène) ainsi que le fait que le pied droit de l’assurée n’était pas complètement guéri le 26.03.2012 (étant précisé que même des lésions minimes de la barrière cutanée pouvaient être la porte d’entrée pour des Streptococcus pyogenes).

Consid. 4.2.3
Quant au rapport d’expertise du 01.06.2018 du deuxième expert infectiologue, les juges cantonaux ont considéré qu’il remplissait en tous points les réquisits jurisprudentiels pour se voir accorder une pleine valeur probante, qu’il contenait une argumentation claire et convaincante et que ses conclusions étaient confortées par d’autres rapports médicaux au dossier, notamment des médecins traitants. En particulier, le docteur J.__, médecin hospitalier intensiviste à l’Hôpital B.__, avait rapporté le 25.04.2012 que le point de départ de l’érésipèle correspondait à une plaie de la plante du pied droit de l’assurée et le professeur K.__, chef de service d’orthopédie et traumatologie de l’Hôpital B.__, avait abouti à la même conclusion dans son rapport du 21.06.2012, à savoir qu’il s’agissait d’un état après excision d’un corps étranger au pied droit de l’assurée en mars 2012. En suivant l’avis du deuxième expert infectiologue, les juges cantonaux ont admis, au degré de la vraisemblance prépondérante, l’existence d’un lien de causalité entre l’accident du 11.03.2012 et les événements survenus à partir du 09.04.2012.

Consid. 5.1
Dans son rapport du 01.06.2018, le deuxième expert en infectiologie a listé les pièces médicales sur lesquelles son expertise se fonde, a rappelé le contexte médical et a exposé les données scientifiques propres au domaine de la fasciite nécrosante et à la cicatrisation des plaies. Ensuite, il a répondu de manière circonstanciée aux questions qui lui avaient été posées, en tenant compte de l’anamnèse et des plaintes actuelles de l’assurée et de ses propres constatations et en prenant position sur les appréciations des autres experts. Pour évaluer le lien de causalité, il a examiné à la fois le lien temporel et le lien anatomique.

Concernant le lien temporel, qu’il a admis, il a expliqué que l’infection avait été objectivée pour la première fois le 09.04.2012 et qu’elle était ainsi survenue un mois après l’accident, précisant que dans la définition des infections du site opératoire, on utilisait un délai de 30 jours après l’intervention pour considérer qu’une infection de cicatrice était possiblement liée au geste chirurgical. En l’espèce, il ressortait du rapport de la consultation du docteur C.__ que la couche cornée de la peau n’était pas fermée le 26.03.2012, soit deux semaines avant le début de l’infection. Jusqu’au 09.04.2012, aucune observation fiable et documentée ne permettait de connaître l’évolution de la fermeture de cette plaie. On ne pouvait notamment pas partir du principe que l’examen de la jambe et du pied droit par le docteur D.__ aurait eu lieu ni donc que cette consultation constituait une preuve en soi que la plaie était bien fermée à ce moment-là, ce qui aurait semblé par ailleurs étonnant puisqu’elle avait encore été ouverte quatre jours plus tôt. Les cicatrices de la plante du pied étaient connues pour mettre plus de temps à se fermer que d’autres sites anatomiques et le processus de cicatrisation permettant une restauration adéquate de l’intégrité microscopique de la peau pouvait prendre jusqu’à six semaines après l’intervention. La reprise du travail par l’assurée dès le 13.03.2012 avait très probablement contribué à augmenter la charge sur la jambe droite et ainsi ralenti le processus de cicatrisation. L’effraction de la couche cornée sur une plaie chirurgicale qui mettait du temps à se refermer constituait une porte d’entrée tout à fait plausible pour une fasciite nécrosante à Streptococcus pyogenes et l’infection pouvait alors survenir de façon brutale à distance du traumatisme initial, même en l’absence de signe infectieux de la plaie jusque-là.

Quant au lien anatomique, le deuxième expert en infectiologie a retenu qu’il ne pouvait pas être prouvé de façon formelle, dès lors que l’assurée avait bien présenté une infection au niveau du tiers inférieur de la jambe droite, du côté où elle s’était planté l’aiguille, mais que sur la base des documents médicaux à disposition, il n’était pas possible de déterminer si la plaie était le point de départ de l’infection, la localisation exacte de l’érythème n’étant précisée dans aucun rapport médical. Les rapports des consultations infectiologique et orthopédique effectuées le jour de l’admission de l’assurée ne mentionnaient pas non plus de signes d’infection au niveau de la plaie de la plante du pied.

Le deuxième expert en infectiologie a ensuite exposé qu’environ 50% des fasciites nécrosantes se développaient sans porte d’entrée visible et qu’on pensait qu’elles survenaient en général par dissémination hématogène à partir d’un foyer oropharyngé asymptomatique (colonisation de la gorge) ou symptomatique (angine à streptocoque). Toutefois, ce type d’infection se développait en général sur des zones présentant des traumatismes fermés (contusion, crampe, hématome), ce qui n’avait pas été le cas de l’assurée. Quoiqu’elle eût présenté une infection des voies respiratoires deux jours avant le diagnostic de l’infection cutanée, les symptômes pour lesquels elle avait consulté le 07.04.2012 n’étaient pas vraiment typiques d’une angine à streptocoque, le fond de gorge ayant été décrit comme calme et la présence d’une rhinorrhée et d’une toux parlant plutôt en faveur d’une virose. L’expert a retenu que la plaie de la plante du pied était la porte d’entrée de la fasciite nécrosante, soulignant qu’imaginer qu’une infection aussi rare soit survenue par pure coïncidence dans une région du corps aussi proche que la plaie, et dans un intervalle aussi court après la fermeture incomplète de la cicatrice, était hautement improbable.

Dans un courrier de février 2019, le deuxième expert en infectiologie a encore indiqué que c’était bien à cause de l’absence de preuve formelle de la non-fermeture de la plaie initiale et de signes infectieux touchant cette plaie au moment de l’apparition de la fasciite nécrosante qu’il avait conclu à un lien de causalité probable. Si ces éléments avaient été objectivés, il aurait conclu à un lien de causalité certain entre les deux événements, étant relevé que, pour lui, les éléments temporels et géographiques étaient déterminants dans l’appréciation du lien de causalité.

 

Consid. 5.2.1
Concernant l’état de fait ressortant de l’arrêt attaqué, l’assurance-accidents fait référence à plusieurs rapports médicaux et en déduit qu’aucune pièce au dossier ne permettrait de penser que la plaie du pied droit se serait ré-ouverte ou infectée et qu’au-delà du 26.03.2012, aucune pièce ne ferait même état d’une plaie au pied droit. Or le deuxième expert en infectiologie a répondu à la question de l’évolution de la fermeture de la plaie, et ce non seulement de manière abstraite et hypothétique, mais également par rapport aux spécificités du cas d’espèce et en prenant position sur les documents qu’invoque l’assurance-accidents. S’agissant du fait qu’aucune pièce médicale ne fait état de rougeur au talon, ni de cloques au dos du pied, comme l’avait retenu le premier expert infectiologue, il faut d’une part retenir que cet élément n’a pas été déterminant dans les appréciations infectiologiques des deux experts dans l’examen de la causalité et ne saurait les remettre en cause. D’autre part, le deuxième expert en infectiologie a tenu compte du fait que la localisation de la rougeur n’était attestée nulle part, précisant que l’information selon laquelle l’infection cutanée aurait commencé au niveau de la plante du pied et aurait remonté le long de la jambe relevait des dires de l’assurée. Par ailleurs, le premier expert infectiologue a retenu comme élément faisant douter de la causalité que l’assurée souffrait de troubles importants de la mémoire et que ses indications étaient parfois incohérentes et contradictoires.

Consid. 5.2.2
L’assurance-accidents soutient en outre que l’expert admettrait la causalité pour des raisons d’ordre chronologique (« infection dans les suites de la plaie, donc à cause d’elle ») ainsi que « géographique (site d’infection proche de la plaie, donc à cause d’elle) « , et qu’il partirait du postulat – non soutenu par la documentation médicale – de la fermeture incomplète de la cicatrice et renverrait à l’adage « post hoc ergo propter hoc », qui n’aurait tout au plus qu’une valeur d’indice selon la jurisprudence. S’il est vrai que le principe « post hoc ergo propter hoc » ne suffit pas en soi à établir un rapport de causalité entre une atteinte à la santé et un accident (ATF 119 V 335 consid. 2b/bb; RAMA 1999 n° U 341 p. 408 s., consid. 3b; arrêt 8C_117/2020 du 4 décembre 2020 consid. 3.1), on ne saurait cependant lui dénier toute valeur lorsqu’il est mis en relation avec d’autres éléments médicalement déterminants comme l’a fait le deuxième expert en infectiologie (cf. arrêt 8C_348/2020 du 7 juin 2021 consid. 4.3). Quelques éléments de son argumentation pourraient certes faire penser à un raisonnement du type « post hoc ergo propter hoc ». Toutefois, loin de se borner à un tel raisonnement, il a expliqué de manière détaillée et circonstanciée l’évolution de la cicatrisation de la plaie chirurgicale à la plante du pied et du développement d’une fasciite nécrosante, se fondant sur ses connaissances spéciales en tant qu’infectiologue et en entreprenant une appréciation critique de la documentation médicale. De plus, il a écarté de manière convaincante d’autres possibles causes de l’infection, et ses conclusions sont corroborées par d’autres rapports médicaux au dossier. On doit dès lors reconnaître avec la cour cantonale que son rapport remplit les exigences formelles et matérielles auxquelles sont soumises les preuves médicales pour pouvoir être prises en considération (ATF 125 V 351 consid. 3a). Il en résulte que la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en suivant l’avis de cet expert et en admettant qu’il existe, au degré de la vraisemblance prépondérante, un lien de causalité probable entre l’accident du 11.03.2012 et les événements survenus dès le 09.04.2012.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_586/2021 consultable ici

 

9C_484/2021 (f) du 11.05.2022 – Valeur probante d’une enquête économique sur le ménage – Troubles d’ordre psychique

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_484/2021 (f) du 11.05.2022

 

Consultable ici

 

Obligation de l’assureur social d’enregistrer de manière systématique tous les documents qui peuvent être déterminants / 46 LPGA

Valeur probante d’une enquête économique sur le ménage afin d’estimer les empêchements que l’assuré rencontre dans ses activités habituelles en raison de troubles d’ordre psychique / 4 LAI – 7 LPGA – 8 LPGA – 28a LAI – 16 LPGA

Adaptation de la notion de travaux habituels intervenue au 01.01.2018 / ch. 3087 CIIAI

 

Assurée, mariée et mère de sept enfants (nés entre 1977 et 1989), ressortissante suisse domiciliée en France, a déposé une demande AI le 02.03.2009. Celle-ci a été rejetée par l’office AI, dont la décision du 13.12.2013 a été confirmée sur recours successifs par le Tribunal fédéral (arrêt 9C_387/2017 du 30 octobre 2017).

En octobre 2014, l’assurée a présenté une nouvelle demande de prestations. Entre autres mesures d’instruction, l’administration a sollicité des renseignements médicaux et diligenté une enquête économique sur le ménage (rapport du 03.11.2018). Elle a reconnu le droit de l’assurée à trois quarts de rente d’invalidité du 01.04.2015 au 30.06.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt C-1211/2019 – consultable ici)

Après avoir constaté que les parties ne contestaient ni le statut mixte de personne active à 60% et de ménagère à 40% reconnu à l’assurée par l’office AI, ni qu’elle avait présenté une incapacité totale de travail dans toute activité lucrative dès février 2014, le Tribunal administratif fédéral a circonscrit l’objet du litige à l’évaluation de l’invalidité de l’assurée dans la sphère ménagère. En se fondant sur le rapport d’enquête économique sur le ménage du 03.11.2018, auquel il a accordé une pleine valeur probante, il a déterminé le taux d’empêchement dans les travaux habituels à 14%, à l’instar de l’office AI. Au vu du taux d’invalidité total présenté par l’assurée (66%; soit 60% d’invalidité professionnelle [100% x 60 / 100] et 6% d’invalidité ménagère [14% x 40% / 100]), le TAF a confirmé la décision administrative litigieuse.

Par jugement du 04.08.2021, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 2
Les constatations de la juridiction de première instance sur l’atteinte à la santé, la capacité de travail de la personne assurée et l’exigibilité – pour autant qu’elles ne soient pas fondées sur l’expérience générale de la vie – relèvent d’une question de fait et ne peuvent donc être contrôlées par le Tribunal fédéral que sous un angle restreint (ATF 132 V 393 consid. 3.2). Il en va de même de la constatation d’un empêchement pour les différents postes constituant l’activité ménagère (arrêt 9C_108/2021 du 1er septembre 2021 consid. 3 et les références). On rappellera également qu’il n’y a pas arbitraire du seul fait qu’une solution autre que celle de l’autorité cantonale semble concevable, voire préférable. Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; il faut encore que cette décision soit arbitraire dans son résultat (ATF 141 I 70 consid. 2.2).

Consid. 5.2
L’obligation de l’assureur social d’enregistrer de manière systématique tous les documents qui peuvent être déterminants (art. 46 LPGA), qui constitue le pendant du droit de consulter le dossier et de produire des preuves (découlant des art. 29 al. 2 Cst. et 47 LPGA), tend à garantir l’exhaustivité des pièces produites et établies dans le cadre de la procédure (ATF 138 V 218 consid. 8.1.2 et les arrêts cités). Le fait que l’assureur n’a pas classé toutes les pièces déterminantes de manière cohérente dans l’ordre chronologique ne suffit cependant généralement pas pour conclure qu’il n’aurait pas respecté son obligation de tenir le dossier. Dans un tel cas, il ne suffit pas de critiquer de manière générale une gestion des documents perfectible; la personne assurée doit bien plutôt expliquer précisément en quoi la chronologie manquante par endroits ou le décalage entre les numéros des pièces aurait concrètement rendu impossible une consultation efficace du dossier et constituerait une violation de son droit d’être entendue (cf. arrêt 9C_413/2013 du 18 décembre 2013 consid. 2.2; voir aussi ATF 138 V 218 précité consid. 8.1 et 8.2).

Or en l’espèce, en ce qu’elle se limite à indiquer qu’elle a dû « parcourir l’intégralité des 1017 pages de son dossier, pour retrouver les bons documents » et à déduire de la différence dans la numérotation des documents « la possibilité qu’elle n’ait pas connaissance de l’ensemble des documents du dossier », l’assurée n’établit pas concrètement que son droit d’être entendue aurait été violé. Elle n’allègue en particulier pas que l’une des pièces versées au dossier dans le cadre de l’instruction de sa nouvelle demande de prestations et figurant dans la liste établie par le Tribunal administratif fédéral ne lui aurait pas été transmise par l’office AI. Elle ne prétend pas non plus n’avoir pas compris les motifs de l’arrêt attaqué ou n’avoir pas retrouvé les pièces sur lesquelles s’est fondée la juridiction inférieure. Le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 6.2.1
Contrairement à ce que soutient d’abord l’assurée, le Tribunal administratif fédéral n’a pas violé l’art. 61 LPGA en ne sollicitant pas des renseignements auprès de ses médecins traitants quant à l’incidence de son affection psychique, ainsi que de l’intervention chirurgicale et du traitement de chimiothérapie, sur sa capacité ménagère, après la réalisation de l’enquête économique sur le ménage en novembre 2018. En ce qui concerne l’incapacité d’accomplir les travaux habituels en raison d’une atteinte à la santé, on rappellera, à la suite de la juridiction de première instance, qu’une enquête économique sur le ménage effectuée au domicile de l’assuré (cf. art. 69 al. 2 RAI) constitue en règle générale une base appropriée et suffisante pour évaluer les empêchements dans ce domaine. Même si, compte tenu de sa nature, l’enquête économique sur le ménage est en premier lieu un moyen approprié pour évaluer l’étendue d’empêchements dus à des limitations physiques, elle garde cependant valeur probante lorsqu’il s’agit d’estimer les empêchements que l’assuré rencontre dans ses activités habituelles en raison de troubles d’ordre psychique. Toutefois, en présence de tels troubles, et en cas de divergences entre les résultats de l’enquête économique sur le ménage et les constatations d’ordre médical relatives à la capacité d’accomplir les travaux habituels, celles-ci ont, en règle générale, plus de poids que l’enquête à domicile. Une telle priorité de principe est justifiée par le fait qu’il est souvent difficile pour la personne chargée de l’enquête à domicile de reconnaître et d’apprécier l’ampleur de l’atteinte psychique et les empêchements en résultant (arrêt 9C_39/2021 du 6 décembre 2021 consid. 3.2 et les références).

Or les juges du TAF ont dûment exposé les raisons pour lesquelles ils ont considéré que la question de la nécessité d’avoir l’avis d’un médecin psychiatre en plus de l’enquête ménagère pouvait en l’occurrence demeurer ouverte. Ils ont en effet constaté que l’assurée avait sollicité et obtenu la possibilité de produire des pièces à cet égard au cours de la procédure judiciaire, ce que l’intéressée ne conteste pas. Ils ont également apprécié de manière convaincante les rapports des médecins traitants que l’assurée avait alors versés à la procédure et considéré qu’ils ne faisaient pas état d’éléments médicaux objectivables différents de ceux retenus par le SMR ou l’enquêtrice ou qu’ils ne remplissaient pas les réquisits jurisprudentiels en la matière pour se voir accorder pleine valeur probante. A cet égard, selon les propres déclarations de l’assurée – réitérées en instance fédérale -, il s’agissait en effet essentiellement d’un questionnaire qu’elle avait rempli et soumis à son psychiatre traitant, qui avait contresigné le document.

C’est en vain que l’assurée se prévaut à ce propos d’un établissement incomplet des faits, en reprochant aux juges du TAF de ne pas avoir résumé le contenu de ce document, dès lors déjà que le psychiatre impliqué a seulement « validé les réponses fournies par sa patiente », pour reprendre les termes de l’intéressée, en y apposant sa signature et sans faire de propres constatations (document non daté, signé par elle et le docteur B.__). Quant à l’avis du docteur C.__, qui remplaçait le médecin généraliste, les juges du TAF ont constaté à juste titre qu’il n’était pas motivé. Le médecin s’était en effet contenté de répondre à un questionnaire en indiquant « impossible », « très difficile » ou « avec beaucoup de difficultés » à chaque question qui lui était posée par l’assurée en lien avec ses aptitudes à accomplir une activité ménagère. Par ailleurs, si l’assurée a également produit un avis de son psychiatre traitant, dans lequel il faisait état de la persistance de la symptomatologie dépressive associée à des manifestations anxieuses et attestait un état de santé resté fragile, le médecin ne s’est toutefois pas prononcé au sujet de la capacité de sa patiente à accomplir les travaux habituels.

Consid. 6.2.2
L’assurée ne peut pas non plus être suivie lorsqu’elle allègue que l’enquêtrice n’aurait pas tenu compte de ses limitations fonctionnelles et qu’elle ne l’aurait pas interrogée sur l’évolution de son état de santé entre 2014 et 2018. A la suite des juges du TAF, on constate que l’enquêtrice a mentionné le diagnostic d’épisode dépressif sévère dans la liste non exhaustive des principaux diagnostics et qu’elle a notamment fait état des douleurs que l’assurée ressentait dans les articulations en raison du traitement contre le cancer en relation avec l’entretien du logement. Elle s’est également renseignée au sujet de l’évolution de son état de santé puisqu’elle lui a demandé, pour chaque domaine d’activité, quels étaient les travaux habituels qu’elle était en mesure d’accomplir avant et après la survenance de l’atteinte à la santé en février 2014.

Quant à l’affirmation de l’assurée selon laquelle l’enquêtrice aurait pris en compte « à double titre » l’aide exigible de sa fille pour l’activité consistant à faire les courses, elle n’est pas davantage fondée. S’agissant des achats et courses diverses, on constate que l’enquêtrice a retenu un empêchement de 30% en raison, d’une part, du fait que depuis l’atteinte à la santé, l’assurée faisait les courses avec sa fille car elle n’aimait pas sortir seule et faisait des crises d’angoisse et, d’autre part, qu’elle ne prenait et portait que ce qui était léger, son fils achetant tout ce qui était lourd; dans ce contexte, l’enquêtrice a par ailleurs indiqué une aide exigible des membres de la famille de 30%. L’aide exigible des membres de la famille, à savoir celle de l’époux, ainsi que de la fille et du fils de l’assurée vivant sous le même toit, à hauteur de 28% au total, n’a pas été additionnée à l’aide exigible de 30% prise en compte pour les achats et courses diverses. Le Tribunal administratif fédéral a en effet dûment considéré que l’enquêtrice avait retenu un empêchement pondéré total sans exigibilité de 42% et un empêchement pondéré total avec exigibilité de 14%, compte tenu de l’aide exigible des membres de la famille à hauteur de 28% (soit 42% d’empêchement pondéré sans exigibilité – 14% d’empêchement pondéré avec exigibilité = 28% d’aide exigible des membres de la famille).

Consid. 6.2.3
En définitive, l’argumentation de l’assurée n’est pas suffisante pour mettre en évidence en quoi le Tribunal administratif fédéral aurait établi les faits de manière incomplète ou aurait procédé de manière arbitraire à une appréciation anticipée des preuves (à ce sujet, voir ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

Consid. 6.3
Enfin, les griefs de l’assurée tirés de la violation du principe de l’égalité de traitement, de la non-rétroactivité du droit et des art. 28a LAI et 69 al. 2 RAI, en ce que l’enquêtrice a évalué les empêchements qu’elle présentait dans l’accomplissement des travaux habituels en se fondant sur le tableau établi par l’OFAS dans sa version applicable dès le 01.01.2018 (comprenant désormais cinq domaines d’activités usuelles, soit l’alimentation, l’entretien du logement ou de la maison et la garde des animaux domestiques, les achats et courses diverses, la lessive et l’entretien des vêtements, ainsi que les soins et l’assistance aux enfants et aux proches; cf. ch. 3087 de la la Circulaire de l’OFAS sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI], dans sa teneur modifiée au 01.01.2018), ne sont pas davantage fondés.

L’adaptation de la notion de travaux habituels intervenue au 01.01.2018, dont l’objectif était de mettre plus clairement l’accent sur la notion d’invalidité propre à ouvrir le droit à une prestation spécifique, en concentrant l’examen sur les activités de base de chaque ménage, s’est traduite par le retrait des activités artistiques et d’utilité publique de la liste des activités usuelles accomplies par les personnes non invalides qui s’occupent du ménage (OFAS, Modification du règlement du 17 janvier 1961 sur l’assurance-invalidité [RAI] – Evaluation de l’invalidité pour les assurés exerçant une activité lucrative à temps partiel [méthode mixte] [Adaptations concernant l’application de la méthode mixte après l’arrêt 7186/09 du 2 février 2016 de la Cour européenne des droits de l’homme], Modification prévue pour le 01.01.2018, p. 13). Quoi qu’en dise l’assurée, en ce qu’elle se limite à affirmer qu’elle présentait des « empêchements importants dans les tâches qui ont disparu du tableau en 2018 », elle n’établit pas, pas plus qu’elle ne l’allègue, qu’elle accomplissait des activités artistiques et d’utilité publique avant la survenance de l’atteinte à la santé. Elle n’explique de plus pas en quoi le droit constitutionnel qu’elle invoque aurait été violé. Partant, son argumentation ne répond manifestement pas aux exigences de l’art. 42 al. 1 et 2 en relation avec l’art. 106 al. 2 LTF, de sorte qu’il n’y a pas lieu de l’examiner plus avant.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_484/2021 consultable ici

 

8C_233/2022 (f) du 14.09.2022 – Suspension de l’indemnité chômage en raison de l’absence de recherches d’emploi avant l’inscription au chômage / Notification irrégulière d’une décision (envoi par e-mail) par la caisse de chômage

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_233/2022 (f) du 14.09.2022

 

Consultable ici

 

Suspension de l’indemnité chômage en raison de l’absence de recherches d’emploi avant l’inscription au chômage / 30 LACI – 45 OACI

Délai de 6 mois pour l’exécution par la caisse de chômage de la suspension

Notification irrégulière d’une décision (envoi par e-mail) par la caisse de chômage / 49 LPGA

 

Assuré, né en 1991, s’est inscrit au chômage le 24.03.2020 et un délai-cadre d’indemnisation lui a été ouvert à compter de cette date. Avant son inscription à l’assurance-chômage, il n’a pas effectué de recherches d’emploi.

Par courriel du 27.09.2020, par lequel il communiquait sa nouvelle adresse, le prénommé a indiqué à l’Office du marché du travail (OMAT) du Service de l’emploi (SEMP) qu’à défaut d’avoir reçu une décision de suspension de son droit à l’indemnité de chômage, il partait du principe que cette autorité avait renoncé à prononcer une sanction à son encontre. Le 30.09.2020, l’OMAT lui a répondu qu’une décision de suspension du droit à l’indemnité de chômage lui avait été transmise par courriel le 13.08.2020.

Par pli recommandé du 05.10.2020, notifié le 09.10.2020 à l’assuré, l’OMAT a transmis à celui-ci une décision datée du 13.08.2020 suspendant son droit à l’indemnité de chômage pour une durée de huit jours, au motif qu’il n’avait pas procédé à des recherches d’emploi dans les mois précédant son inscription à l’assurance-chômage le 24.03.2020.

Le 22.10.2020, la caisse cantonale de chômage a demandé à l’assuré la restitution d’un montant de 902 fr. 75, correspondant aux indemnités journalières perçues à tort (en raison de la décision de suspension du 13.08.2020) durant la période du 01.05.2020 au 31.05.2020. L’assuré a contesté toute obligation de restitution.

Le 20.01.2021, l’OMAT a rejeté l’opposition formée contre la décision du 13.08.2020 par l’assuré, qui faisait principalement valoir la péremption du droit d’exiger l’exécution de la suspension.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 08.03.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 30 al. 1 let. c LACI, le droit de l’assuré à l’indemnité est suspendu lorsqu’il est établi que celui-ci ne fait pas tout ce qu’on peut raisonnablement exiger de lui pour trouver un travail convenable. En vertu de l’art. 45 al. 3 OACI, la durée de la suspension est de 1 à 15 jours en cas de faute légère. La suspension est exécutée par suppression du droit à l’indemnité de chômage, pour les jours où l’assuré a droit à l’indemnité (BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 30 ad art. 30 LACI).

Consid. 3.2
Aux termes de l’art. 30 al. 3, 4e phrase, LACI, l’exécution de la suspension est caduque six mois après le début du délai de suspension, lequel est fixé selon les critères de l’art. 45 al. 1 OACI (RUBIN, op. cit., n° 127 ad art. 30 LACI). Selon cette disposition, le délai de suspension du droit à l’indemnité prend effet à partir du premier jour qui suit (let. a) la cessation du rapport de travail, lorsque, l’assuré est devenu chômeur, ou, dans les autres situations (cf. RUBIN, op. cit., n° 133 ad art. 30 LACI), (let. b) l’acte ou la négligence qui fait l’objet de la décision. Pour pouvoir être exécutée, une sanction doit en règle générale être prononcée durant la période débutant le premier jour selon les critères de l’art. 45 al. 1 OACI et se terminant six mois plus tard; après l’écoulement du délai de six mois, le droit d’exiger l’exécution de la suspension est périmé (ATF 124 V 88 consid. 5b; 114 V 350 consid. 2d; RUBIN, op. cit., n° 127 ad art. 30 LACI).

Consid. 3.3
La péremption du droit d’exiger l’exécution n’est pas sans effet sur la possibilité, pour les organes de l’assurance-chômage, de suspendre après coup le droit à l’indemnité. En effet, si les indemnités litigieuses ont été payées à l’assuré, il n’y a plus lieu de prendre une mesure de suspension après l’échéance du délai d’exécution, la restitution des prestations indûment versées (art. 95 LACI) ne pouvant de toute façon plus être exigée en vue de faire exécuter la sanction. En revanche, si l’assuré n’a pas encore perçu les indemnités litigieuses, rien ne s’oppose au prononcé d’une mesure de suspension après l’échéance du délai de l’art. 30 al. 3, 4e phrase, LACI. Tel sera par exemple le cas lorsque l’aptitude au placement a été longtemps niée, avant d’être finalement admise (ATF 114 V 350 consid. 2b; arrêts 8C_309/2015 du 21 octobre 2015 consid. 3.2; 8C_1021/2012 du 10 mai 2013 consid. 4.3).

Consid. 3.4
Les juges cantonaux ont constaté que le délai de péremption de six mois de l’art. 30 al. 3, 4e phrase, LACI avait débuté le 24.03.2020 et avait été atteint le 24.09.2020. Ils ont retenu que la notification par courrier électronique de la décision du 13.08.2020 était irrégulière, faute de base légale autorisant une telle communication électronique. Cela étant, ladite décision avait bien été établie et envoyée par courriel le 13.08.2020, de sorte qu’elle n’était pas inexistante ou nulle jusqu’à sa notification régulière à l’assuré, mais seulement inopposable à celui-ci. Par conséquent, elle avait été rendue avant l’échéance du délai de péremption, quand bien même l’assuré n’en avait pris connaissance que le 09.10.2020. L’instance précédente a ensuite confirmé la suspension du droit de l’assuré à l’indemnité de chômage pour une durée de huit jours.

Consid. 4.2
Il résulte du dossier qu’en date du 13.08.2020, l’Office du marché du travail (OMAT) du Service de l’emploi (SEMP) a reçu un message électronique confirmant l’envoi d’un courriel à l’assuré le même jour. Dès lors que la décision de suspension de l’indemnité de chômage est bien datée du 13.08.2020, il y a tout lieu de penser que ledit courriel concernait bien cette décision. La cour cantonale n’a donc pas versé dans l’arbitraire en retenant que la décision en question avait été établie et envoyée par courriel à l’assuré le 13.08.2020. Par ailleurs, contrairement à ce que semble penser l’assuré, les juges cantonaux n’en ont pas pour autant conclu que celui-ci avait pris connaissance dudit courriel. Se fiant à ses déclarations, ils ont au contraire considéré que la décision du 13.08.2020 ne lui avait été notifiée que le 09.10.2020, lorsqu’il en avait pris connaissance pour la première fois. Il n’y a donc pas lieu de s’écarter des faits constatés par l’autorité précédente, selon lesquels l’OMAT a envoyé à l’assuré, par courriel du 13.08.2020, une décision du même jour suspendant son droit à l’indemnité de chômage, mais que l’assuré n’a pris connaissance de la décision que le 09.10.2020, ensuite de son envoi régulier par pli recommandé le 05.10.2020.

Consid. 5.2
De jurisprudence constante, une décision qui n’a pas été notifiée valablement à la personne concernée ne déploie pas d’effets juridiques; ce n’est qu’avec sa notification qu’une décision déploie les effets juridiques en vue desquels elle a été rendue, son destinataire ne pouvant être tenu par une décision que s’il en a connaissance (arrêts 6B_466/2020 du 4 septembre 2020 consid. 2.3; 6B_1237/2019 du 3 juillet 2020 consid. 4.3; 5D_37/2013 du 5 juillet 2013 consid. 4 et les références; DUBEY/ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 977, p. 346). Le Tribunal fédéral a en outre eu l’occasion de préciser qu’un jugement n’existe légalement qu’une fois qu’il a été officiellement communiqué aux parties; tant qu’il ne l’a pas été, il est inexistant; son inefficacité doit être relevée d’office (ATF 122 I 97 consid. 3a/bb et 3b).

Consid. 5.3
En l’espèce,
quand bien même la décision du 13.08.2020 a été établie à cette même date, elle n’a été notifiée à l’assuré que le 09.10.2020, de sorte qu’elle ne pouvait pas déployer d’effets juridiques – ni donc la suspension du droit à l’indemnité de chômage qu’elle prononçait être exécutée – avant cette date. Or comme le délai de six mois de l’art. 30 al. 3, 4e phrase, LACI était échu depuis le 24.09.2020, le droit d’exiger l’exécution de la suspension était périmé. Comme les indemnités journalières avaient été payées, il n’était plus possible d’exécuter une mesure de suspension après l’échéance du délai de l’art. 30 al. 3, 4e phrase, LACI (cf. consid. 3.3 supra). C’est donc en violation du droit que les premiers juges ont confirmé la suspension du droit de l’assuré à l’indemnité de chômage prononcée par l’OMAT.

 

Le TF admet le recours de l’assuré et annule le jugement cantonal et la décision sur opposition de l’OMAT.

 

Arrêt 8C_233/2022 consultable ici

 

CEDH – Affaire Beeler C. Suisse (Requête no 78630/12) – Arrêt de la Grande Chambre du 11.10.2022 – Rente de veuf AVS – La législation prévoyant la suppression de la rente de veuf des hommes, à la majorité de leur dernier enfant, est discriminatoire

CEDH – Affaire Beeler C. Suisse (Requête no 78630/12) – Arrêt de la Grande Chambre du 11.10.2022

 

Arrêt de la Grande Chambre du 11.10.2022 consultable ici

Communiqué de presse de la CEDH du 11.10.2022 consultable ici

 

Cessation, à la majorité du dernier enfant, du paiement de la rente de parent veuf s’occupant à plein temps des enfants, lorsque le bénéficiaire est un homme – 24 al. 2 LAVS

 

Résumé

Dans son arrêt de Grande Chambre, rendu ce jour dans l’affaire Beeler c. Suisse (requête no 78630/12), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à la majorité (12 voix contre 5), qu’il y a eu :

Violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme

L’affaire concerne la suppression de la rente de veuf du requérant à la majorité de son dernier enfant. La loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS) prévoit l’extinction du droit à la rente de veuf lorsque le dernier enfant atteint l’âge de 18 ans, ce qu’elle ne prévoit pas à l’égard d’une veuve.

Devant la Cour, le requérant soutient qu’il a subi une discrimination par rapport aux veuves qui, dans la même situation, n’auraient pas perdu leur droit à une rente. Quant au Gouvernement, il fait valoir qu’il est encore justifié de se fonder sur la présomption selon laquelle l’époux assure l’entretien financier de son épouse, en particulier lorsqu’elle a des enfants, et, partant, d’accorder aux veuves une protection supérieure à celle des veufs. Selon lui, la différence de traitement ne reposerait donc pas sur des stéréotypes liés au sexe, mais sur une réalité sociale.

D’abord, la Cour note qu’entre 1997 et 2010, le requérant a bénéficié de la pension de veuf et qu’il a organisé les aspects clés de sa vie familiale, au moins en partie, en fonction de l’existence de cette allocation. La situation économique délicate dans laquelle il s’est retrouvé, à l’âge de 57 ans, du fait de la perte de la rente de conjoint survivant et des difficultés à réintégrer un marché du travail dont il était absent depuis 16 ans, résulte de la décision qu’il avait prise des années auparavant dans l’intérêt de sa famille, confortée à partir de 1997 par la perception de la rente de veuf. Dès lors, la Cour estime que les article 8 et 14 de la Convention sont applicables en l’espèce.

Ensuite, la Cour juge que, bien que se trouvant dans une situation analogue pour ce qui est de son besoin d’assurer sa subsistance, le requérant n’a pas été traité de la même façon qu’une femme/veuve. Il a donc subi une inégalité de traitement. Elle estime que le Gouvernement n’a pas démontré qu’il existait des considérations très fortes ou des « raisons particulièrement solides et convaincantes » propres à justifier cette différence de traitement fondée sur le sexe. Pour la Cour, le Gouvernement ne saurait se prévaloir de la présomption selon laquelle l’époux entretient financièrement son épouse (concept du « mari pourvoyeur ») afin de justifier une différence de traitement qui défavorise les veufs par rapport aux veuves. À ses yeux, cette législation contribue plutôt à perpétuer des préjugés et des stéréotypes concernant la nature ou le rôle des femmes au sein de la société et constitue un désavantage tant pour la carrière des femmes que pour la vie familiale des hommes.

 

Principaux faits

Le requérant, Max Beeler, est un ressortissant suisse, né en 1953. Père de deux enfants, il les a élevés seul après avoir perdu son épouse dans un accident alors que les enfants étaient âgés d’un an et neuf mois et de quatre ans.

Le 9 septembre 2010, après avoir constaté que la fille cadette du requérant allait atteindre la majorité, la caisse de compensation du canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures mit fin au paiement de la rente de veuf du requérant. Ce dernier forma opposition en invoquant le principe de l’égalité entre l’homme et la femme prévu par la Constitution Suisse, argument que la caisse de compensation rejeta. Il forma alors un recours devant le tribunal cantonal, soutenant qu’il n’y avait pas de raisons de le défavoriser par rapport à une veuve. Le tribunal cantonal rejeta le recours, relevant que le législateur avait été conscient de l’inégalité de traitement entre les veufs et les veuves lors de la rédaction et de la révision de la LAVS et qu’il avait estimé qu’on pouvait exiger des hommes au foyer veufs qu’ils reprennent une activité professionnelle lorsque cessait leur obligation de prendre en charge leurs enfants, ce qu’on ne pouvait pas raisonnablement demander des femmes dans les mêmes circonstances. Le recours du requérant devant le Tribunal fédéral fut rejeté par un arrêt du 4 mai 2012 (9C_617/2011).

 

Griefs, procédure et composition de la Cour

Le requérant invoque l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 8 (droit à la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme, se plaignant d’être victime d’une discrimination par rapport aux mères veuves assumant seules la charge de leurs enfants.

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 19 novembre 2012.

Par son arrêt de chambre du 20 octobre 2020, la Cour avait conclu, à l’unanimité, à la violation de l’article 14 (interdiction de discrimination) combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention.

Le 19 janvier 2021 le Gouvernement avait demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre conformément à l’article 43 de la Convention (renvoi devant la Grande Chambre). Le 8 mars 2021, le collège de la Grande Chambre avait accepté ladite demande. Une audience avait eu lieu le 16 juin 2021.

L’arrêt a été rendu par la Grande Chambre de 17 juges.

 

Décision de la Cour

Applicabilité des articles 8 et 14

La Cour note que la rente en question vise à favoriser la vie familiale du conjoint survivant. Elle lui permet de s’occuper de ses enfants à plein temps si tel était auparavant le rôle du parent décédé, ou, dans tous les cas, de se consacrer davantage à ceux-ci sans avoir à affronter des difficultés financières qui le contraindraient à exercer une activité professionnelle.

En l’espèce, au moment du décès de l’épouse du requérant, en 1994, les filles du couple étaient âgées d’un an et neuf mois et de quatre ans respectivement. Dans cette situation, qui nécessitait la prise de décisions difficiles et déterminantes pour l’organisation de sa vie familiale, le requérant a quitté son emploi pour se consacrer à plein temps à sa famille, notamment en assurant la garde et l’éducation de ses filles. La Cour ne doute pas que le fait de percevoir la pension de veuf a nécessairement eu une incidence sur l’organisation de sa vie familiale tout au long de la période concernée. Il s’ensuit que depuis le moment où, en 1997, le requérant s’est vu accorder le bénéfice de la pension de veuf jusqu’à la suppression de celle-ci, en novembre 2010, l’intéressé et sa famille ont organisé les aspects clés de leur vie quotidienne, au moins en partie, en fonction de l’existence de cette allocation. En outre, la situation économique délicate dans laquelle le requérant s’est retrouvé, à l’âge de 57 ans, du fait de la perte de la rente de conjoint survivant et des difficultés à réintégrer un marché du travail dont il était absent depuis 16 ans, résulte de la décision qu’il avait prise des années auparavant dans l’intérêt de sa famille, confortée à partir de 1997 par la perception de la rente de veuf.

Par conséquent, la Cour conclut que les faits de l’espèce tombent sous l’empire de l’article 8 de la Convention. Cela suffit pour rendre l’article 14 de la Convention applicable.

 

Article 14 combiné avec l’article 8

La Cour estime que le requérant peut se prétendre victime d’une discrimination fondée sur le « sexe » au sens de l’article 14 de la Convention. Elle observe que l’extinction du droit du requérant à la rente de veuf se fondait sur l’article 24 § 2 de la LAVS qui, pour les veufs uniquement, situe cette extinction au moment où le dernier enfant devient majeur. Les veuves conservent quant à elles le droit à la rente de conjoint survivant même après que leur dernier enfant a atteint la majorité. Il en résulte que le requérant a cessé de percevoir la rente de veuf pour le seul motif qu’il est un homme. Bien que se trouvant dans une situation analogue pour ce qui est de son besoin d’assurer sa subsistance, le requérant n’a pas été traité de la même façon qu’une femme/veuve. Il a donc subi une inégalité de traitement du fait de l’arrêt du versement de sa rente de veuf.

Elle précise qu’elle a déjà admis que les ajustements des systèmes de pension doivent être effectués de manière progressive, prudente et mesurée, car toute autre approche pourrait mettre en péril la paix sociale, la prévisibilité du système des pensions et la sécurité juridique. Elle rappelle toutefois que seules des considérations très fortes peuvent l’amener à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement fondée sur le sexe, et que la marge d’appréciation dont disposent les États pour justifier cette différence est étroite.

En l’espèce, elle note que, pour justifier la différence de traitement entre les deux sexes relativement au droit à la rente de conjoint survivant, le Gouvernement a soutenu que l’égalité entre hommes et femmes n’était pas encore complètement atteinte dans les faits en ce qui concerne l’exercice d’une activité rémunérée et la répartition des rôles au sein du couple. Selon le Gouvernement, il est encore justifié de se fonder sur la présomption selon laquelle l’époux assure l’entretien financier de son épouse, en particulier lorsqu’elle a des enfants, et, partant, d’accorder aux veuves une protection supérieure à celle des veufs. La différence de traitement litigieuse ne reposerait donc pas sur des stéréotypes liés au sexe, mais sur une réalité sociale.

La Cour rappelle que la progression vers l’égalité des sexes reste un but important des États membres du Conseil de l’Europe. En témoigne entre autres la Recommandation no R (85) 2 relative à la protection juridique contre la discrimination fondée sur le sexe, adoptée par le Comité des Ministres le 5 février 1985, qui appelle à garantir aux hommes et aux femmes un traitement égal tant au niveau de l’affiliation aux régimes de sécurité sociale et de retraite qu’au niveau des prestations payées par ces régimes.

Elle réaffirme, par conséquent, que des références aux traditions, présupposés d’ordre général ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne suffisent plus aujourd’hui à justifier une différence de traitement fondée sur le sexe, que celle-ci soit en faveur des femmes ou des hommes. Il s’ensuit que le Gouvernement ne saurait se prévaloir de la présomption selon laquelle l’époux entretient financièrement son épouse (concept du « mari pourvoyeur ») afin de justifier une différence de traitement qui défavorise les veufs par rapport aux veuves.

Elle observe aussi que le gouvernement suisse a reconnu dès 1997 que les femmes exerçaient de plus en plus souvent une activité lucrative et qu’il était nécessaire d’accorder une protection aux hommes qui se consacraient aux travaux ménagers et à l’éducation des enfants. Une harmonisation complète des conditions relatives à la rente de veuve et de veuf semble cependant s’être heurtée à cette époque aux contraintes financières et aux critiques. D’autres tentatives entreprises par le gouvernement à partir de 2000 également ont échoué.

Dans ce contexte, la Cour attache une importance fondamentale aux considérations énoncées dans la présente affaire par le Tribunal fédéral qui, dans son arrêt du 4 mai 2012, a relevé que le législateur était conscient dès l’introduction de la rente de veuf que cette réglementation constituait une distinction inadmissible fondée sur le sexe, qui était contraire à la Constitution.

Pour la Cour, les tentatives de réforme susmentionnées ainsi que l’évaluation de la législation litigieuse par la juridiction suprême du pays, à savoir le Tribunal fédéral, montrent que les anciennes « inégalités de fait » entre les hommes et les femmes ont perdu leur acuité dans la société suisse. Ainsi, les considérations et suppositions sur lesquelles les modalités de la rente de conjoint survivant ont reposé pendant les décennies passées ne sont plus à même de justifier des différences fondées sur le sexe. Il ressort même de l’arrêt du Tribunal fédéral que la réglementation en question est contraire au principe d’égalité entre l’homme et la femme consacré par l’article 8 de la Constitution suisse. La Cour ajoute qu’à ses yeux cette législation contribue plutôt à perpétuer des préjugés et des stéréotypes concernant la nature ou le rôle des femmes au sein de la société et constitue un désavantage tant pour la carrière des femmes que pour la vie familiale des hommes.

En l’espèce, la Cour rappelle qu’après le décès de son épouse le requérant s’est consacré exclusivement à la garde et à l’éducation de ses enfants ainsi qu’aux soins à leur prodiguer, et a renoncé à exercer son métier. Âgé de 57 ans lorsque le versement de la rente a cessé, il avait arrêté toute activité lucrative depuis plus de 16 ans. À cet égard, la Grande Chambre partage l’avis de la chambre selon lequel il n’y a pas de raison de croire que le requérant aurait eu à cet âge-là, et compte tenu de sa longue absence du marché de travail, moins de difficultés à réintégrer celui-ci qu’une femme dans une situation analogue, ni que l’arrêt du versement de la rente l’aurait touché dans une moindre mesure qu’une veuve dans des circonstances comparables.

Compte tenu de ce qui précède, et eu égard à l’étroite marge d’appréciation laissée à l’État défendeur en l’espèce, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas démontré qu’il existait des considérations très fortes ou des « raisons particulièrement solides et convaincantes » propres à justifier la différence de traitement fondée sur le sexe qui est dénoncée par le requérant. Elle estime dès lors que l’inégalité de traitement dont le requérant a été victime ne saurait passer pour reposer sur une justification raisonnable et objective. Il y a donc eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

 

Satisfaction équitable (Article 41)

La Cour dit (12 voix contre 5) que la Suisse doit verser au requérant 5 000 euros (EUR) pour dommage moral et 16 500 EUR pour frais et dépens.

 

Opinions séparées

Les juges Seibert-Fohr et Zünd ont chacun exprimé une opinion concordante. Les juges Kjølbro, Kucsko-Stadlmayer, Mourou Vikström, Koskelo et Roosma ont exprimé une opinion dissidente commune. Le texte de ces opinions est joint à l’arrêt.

 

Arrêt de la CrEDH B. c. Suisse du 20.10.2020 consultable ici

Arrêt de la Grande Chambre du 11.10.2022 consultable ici

Communiqué de presse de la CEDH du 11.10.2022 consultable ici

 

 

8C_24/2022 (d) du 20.09.2022 – Notion d’accident – Rappel des notions du facteur extérieur et du caractère extraordinaire – 6 LAA – 4 LPGA / Rupture partielle du tendon d’Achille en montant les escaliers

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_24/2022 (d) du 20.09.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Notion d’accident – Rappel des notions du facteur extérieur et du caractère extraordinaire / 6 LAA – 4 LPGA

Rupture partielle du tendon d’Achille en montant les escaliers

 

Assuré, né en 1956, travaille depuis 2016 comme directeur d’une société anonyme. Le 23.10.2019, il a subi une rupture partielle du tendon d’Achille, pour laquelle l’assurance-accidents a nié la notion d’accident en raison de l’absence d’un facteur extérieur extraordinaire et de modifications dégénératives (décision du 09.03.2020, confirmée sur opposition le 15.10.2020).

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2020.00257 – consultable ici)

En ce qui concerne l’événement litigieux du 23.10.2019, l’instance cantonale a constaté que l’assuré a transporté à bout de bras de la nourriture, de la vaisselle et des harasses de la maison à la voiture et vice-versa en empruntant un escalier en béton comportant trois marches d’environ 20 cm de haut. La troisième fois, il s’est contenté de poser la pointe du pied gauche sur une marche, a voulu suivre ou monter avec le pied droit et s’est affaissé en raison de la charge, sans pour autant tomber. Le lendemain, les médecins ont diagnostiqué une rupture partielle importante du tendon d’Achille (90%), qui a été réparée par la suite par voie chirurgicale. Dans son appréciation, le tribunal cantonal a confirmé l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire, étant donné que le déroulement normal des mouvements lors de la montée des escaliers a été perturbé par un « faux pas » dans les escaliers, au sens d’un mouvement non coordonné.

Par jugement du 11.11.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant l’existence d’un accident.

 

TF

Consid. 3.1
Conformément à l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle, sauf disposition contraire de la loi. Selon l’art. 4 LPGA, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physi­que, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort.

Consid. 3.2
Le facteur extérieur est la caractéristique centrale de tout événement accidentel ; il est le pendant de la cause interne – constitutive de la notion de maladie (ATF 134 V 72 consid. 4.1.1). Selon la jurisprudence, le facteur extérieur est extraordinaire lorsque – selon un critère objectif – il ne se situe plus dans le cadre de ce qui est quotidien et habituel pour le domaine de vie concerné (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1; 134 V 72 consid. 4.1; SVR 2022 UV Nr. 13 p. 55, 8C_430/2021 consid. 2.3; SVR 2021 UV Nr. 28 p. 132, 8C_534/2020 consid. 4.1; SVR 2017 UV Nr. 18 S. 61, 8C_53/2016 consid. 3.1). Le caractère extraordinaire du facteur extérieur peut notamment consister en un mouvement non coordonné. L’existence d’un facteur extérieur est en principe admise en cas de « mouvement non coordonné », à savoir lorsque le déroulement habituel et normal d’un mouvement corporel est interrompu par un empêchement « non programmé », lié à l’environnement extérieur. Dans le cas d’un tel mouvement non coordonné, le facteur extérieur extraordinaire doit être admis, car le facteur extérieur – modification entre le corps et l’environnement extérieur – constitue alors en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1; SVR 2021 UV Nr. 21 p. 101, 8C_586/2020 consid. 3.3; SVR 2020 UV Nr. 35 p. 141, 8C_671/2019 consid. 2.3). C’est le cas, par exemple, lorsque la personne assurée trébuche, glisse ou se cogne contre un objet, ou lorsque, pour éviter de glisser, elle adopte ou tente d’adopter une attitude de protection réflexe (arrêts 8C_783/2013 du 10 avril 2014 consid. 4.2 ; 8C_749/2008 du 15 janvier 2009 consid. 3.2).

En revanche, l’apparition de douleurs en tant que telle ne constitue pas un facteur extérieur (dommageable) au sens de la jurisprudence (ATF 129 V 466 consid. 4.2.1 ; arrêt 8C_456/2018 du 12 septembre 2018 consid. 6.3.2).

En règle générale, les effets qui résultent de processus quotidiens ne peuvent pas être considérés comme la cause d’une atteinte à la santé (ATF 134 V 72 consid. 4.1).

Il convient en outre de noter que la notion médicale de traumatisme ne se recoupe pas avec la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA, qui relève du droit des assurances (arrêts U 199/03 vom 10 mai 2004 consid. 1, non publié in : ATF 130 V 380; SVR 2011 UV Nr. 11 p. 39, 8C_693/2010 consid. 7; 8C_589/2021 du 17 décembre 2021 consid. 5.5).

Ce qui est donc déterminant, c’est que le facteur extérieur se démarque de la norme des effets de l’environnement sur le corps humain (ATF 134 V 72 consid. 4.3.1; SVR 2015 UV Nr. 6 p. 21, 8C_231/2014 consid. 2.3).

Consid. 5.2
Selon la jurisprudence, monter des escaliers constitue un acte de la vie quotidienne et une sollicitation physiologique du corps sans danger potentiel accru (arrêts 8C_40/2017 du 11 avril 2017 consid. 6 ; 8C_766/2010 du 15 juin 2011 et la référence à l’ATF 129 V 466 consid. 4.2.2). Le fait de monter et de descendre de manière répétée d’une plateforme de 10 à 20 cm de haut lors d’une séance de step aérobic, sans sauter, ne constitue pas non plus une situation de danger accru. Le simple fait de monter ou de descendre d’un stepper dans le cadre d’une chorégraphie d’aérobic n’entraîne pas non plus un mouvement incontrôlable. Il en irait autrement si le stepper glissait lors du mouvement de descente (arrêt 8C_11/2015 du 30 mars 2015 consid. 3.2). Une chute dans les escaliers (arrêt 8C_40/2017 du 11 avril 2017 consid. 6) ainsi qu’un faux pas avéré lors de la montée des escaliers doivent être considérés comme un facteur extérieur extraordinaire (arrêt U 236/98 du 3 janvier 2000 consid. 3b). Le caractère extraordinaire, et donc l’existence d’un accident, doit toutefois être nié même en cas de blessure sportive sans événement particulier (cf. ATF 130 V 117 consid. 2.2; SVR 2014 UV Nr. 21 p. 67, 8C_835/2013 consid. 5.1; arrêt 8C_570/2019 du 8 novembre 2019 consid. 3.2).

Consid. 5.3
L’instance cantonale a considéré que le fait de « ne pas se tenir correctement » dans l’escalier constituait un mouvement non coordonné, dans le sens d’un facteur extérieur extraordinaire. Un faux pas ou même une chute ne sont pas établis. L’assuré n’allègue pas avoir manqué une marche, avoir perdu l’équilibre ou avoir marché dans le vide sans appui. Il ne fait pas non plus valoir que la conception de l’escalier était particulière ou qu’il se trouvait dans un état particulier (p. ex. humide ou verglacé) en raison d’influences de l’environnement. Au contraire, il a monté un petit escalier normal en tenant quelque chose à la main. Ce processus n’a rien d’inhabituel, même s’il n’a posé que la partie avant du pied et non toute la surface du pied sur la marche. L’affaissement du talon sur la marche inférieure ne dépasse pas le cadre de ce à quoi on peut s’attendre dans la situation initiale et ne constitue pas un incident particulier. Malgré l’atteinte à la santé qui s’est produite, le seul abaissement du talon lors de la montée quotidienne d’un escalier, sans que le déroulement ne soit en outre perturbé, ne remplit pas les exigences relatives au facteur extérieur indispensable à l’affirmation de la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA.

Consid. 5.4
En résumé, le tribunal cantonal a violé le droit fédéral en concluant à l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire au sens de l’art. 4 LPGA et donc à un accident.

Consid. 6.1
Le tribunal cantonal ne s’est prononcé que sur la question de savoir s’il s’agissait d’un accident au sens de l’art. 6 al. 1 LAA et a renoncé à donner des explications sur l’obligation de verser des prestations sous l’angle d’une des affections énumérées à l’art. 6 al. 2 LAA. Une décision réformatrice n’est donc pas possible (cf. ATF 140 III 24 consid. 3.3). En annulant le jugement attaqué, l’affaire doit être renvoyée à l’instance cantonale pour un examen matériel de ces conditions et un nouveau jugement (cf. ATF 146 V 51 consid. 9.1 ; arrêt 8C_445/2021 du 14 janvier 2022 consid. 3.1).

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_24/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_24/2022 (d) du 20.09.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/10/8c_24-2022)

 

8C_444/2021 (f) du 29.04.2022 – Revenu sans invalidité d’une personne au chômage – ESS – niv. de compétences 2 – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_444/2021 (f) du 29.04.2022

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité d’une personne au chômage – ESS – niv. de compétences 2 / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1960, fromager de formation, a travaillé depuis 1994 dans le secteur de la vente d’automobiles neuves et d’occasion, en dernier lieu pour la société B.__ SA, où il occupait le poste de responsable du parc automobile d’occasions. Son contrat de travail a été résilié au 30 juin 2014 pour des motifs économiques.

Le 27.05.2016, l’assuré, alors au bénéfice d’indemnités chômage, a fait une chute alors qu’il roulait à scooter. Il en est résulté une fracture du plateau tibial gauche de type Schatzker V.

L’évolution du cas a été marquée par la présence d’une gonarthrose gauche tricompartimentale post-traumatique. A l’issue d’un examen par le médecin-conseil, ce dernier a indiqué que la situation était stabilisée, l’ancienne activité de vendeur de voitures n’étant toutefois plus exigible. Dans une activité effectuée majoritairement en position assise, sans limitation au niveau des membres supérieurs, sans déplacements de façon répétée dans des escaliers, sans devoir monter sur des échelles, s’accroupir ou se mettre à genoux, avec un port de charges occasionnel jusqu’à 10 kilos maximum, la capacité de travail de l’assuré était entière sans baisse de rendement. Le taux d’atteinte à l’intégrité s’élevait à 25%.

Par décision du 10.10.2019, confirmée sur opposition le 05.12.2019, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 10% dès le 01.10.2019, ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 25%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/449/2021 – consultable ici)

Par jugement du 12.05.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 28% dès le 01.10.2019.

 

TF

Consid. 1.2
Dans sa décision du 10.10.2019, confirmée sur opposition le 05.12.2019, l’assurance-accidents a reconnu à l’assuré une rente fondée sur un taux d’invalidité de 10%. L’assuré ayant recouru contre cette décision devant la juridiction cantonale en demandant à titre principal l’octroi d’une rente fondée sur un degré d’invalidité de 65%, l’assurance-accidents a conclu, dans son mémoire de réponse, au rejet du recours, respectivement à ce que le taux d’invalidité de 10% qu’elle avait reconnu soit confirmé. Cette conclusion a été confirmée à plusieurs reprises.

Consid. 1.3
Selon l’art. 61 let. d LPGA, le tribunal cantonal des assurances n’est pas lié par les conclusions des parties; il peut réformer, au détriment du recourant, la décision attaquée ou accorder plus que ce que le recourant avait demandé; il doit cependant donner aux parties l’occasion de se prononcer ou de retirer le recours. Il eût par conséquent été admissible que l’assurance-accidents demande au tribunal d’accorder à l’assuré moins (pas de droit à une rente) que ce qu’elle avait elle-même accordé dans la décision attaquée (cf. ATF 138 V 339 consid. 2.3.2.1).

L’assurance-accidents n’a toutefois jamais conclu à ce que la juridiction cantonale constate l’absence de droit à une rente, soit moins que ce qu’elle avait elle-même reconnu à l’assuré en lui allouant une rente fondée sur un taux d’invalidité de 10%, soit le taux minimum pour ouvrir le droit à une rente de l’assurance-accidents (art. 18 al. 1 LAA). Ce n’est que devant le Tribunal fédéral que l’assurance-accidents a pris pour la première fois la conclusion tendant à l’absence de tout droit à une rente, laquelle est par conséquent irrecevable (ATF 138 V 339 consid. 2.3.3; 136 V 362 consid. 4.2).

Consid. 1.4
En revanche, la conclusion subsidiaire de l’assurance-accidents tendant à reconnaître à l’assuré le droit à une rente fondée sur un taux d’invalidité de 20% est recevable. Il convient dès lors d’entrer en matière sur le recours, qui satisfait par ailleurs aux exigences formelles de recevabilité.

 

Revenu sans invalidité

Consid. 4.2.2
Le choix du niveau de compétence est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4).

Consid. 4.2.3
Depuis la dixième édition de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession (arrêts 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.1; 9C_901/2017 du 28 mai 2018 consid. 3.3). Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4; 9C_370/2019 du 10 juillet 2019 consid. 4.1 et les références).

Consid. 4.2.4
Selon les constatations de la cour cantonale, l’assuré a occupé la fonction de chef de vente du 01.02.2008 au 31.12.2008 auprès de D.__ et celle de responsable du parc de voitures d’occasion du 01.02.2003 au 31.01.2008, puis du 01.01.2009 au 30.06.2014 au service du B.__ SA, son dernier employeur, où il était chargé de la gestion de la vente/reprise des véhicules d’occasion, y compris lors des expositions extérieures, comme le salon de la voiture d’occasion. En l’occurrence, la dernière activité exercée par l’assuré coïncide avec la définition du niveau de compétence 2, puisque la gestion d’un parc automobile d’occasions relève principalement de la vente. En ce qui concerne l’expérience professionnelle de plusieurs années dont peut se prévaloir l’assuré – sans formation commerciale ni autres qualifications particulières acquises pendant l’exercice de la profession -, elle ne justifie pas à elle seule un classement supérieur au niveau de compétence 2 dès lors que dans la plupart des secteurs professionnels, un diplôme ou du moins des formations et des perfectionnements (formalisés) sont exigés (cf. arrêts 8C_581/2021 du 19 janvier 2022 consid. 4.4; 9C_148/2016 du 2 novembre 2016 consid. 2.2).

Consid. 4.2.5
Pour calculer le revenu sans invalidité de l’assuré, il convient dès lors de prendre pour base le salaire mensuel auquel peuvent prétendre les hommes dans la branche 45-46 au niveau de compétence 2, soit 5’570 fr., montant qui doit être adapté à l’horaire de travail moyen dans la branche (42,3 heures par semaine) et à l’indice des salaires nominaux (+ 0,4% en 2017 et + 0,6% en 2018 et 0% en 2019), ce qui aboutit à un revenu sans invalidité de 71’391 fr. 83 par année.

 

Revenu d’invalide

Consid. 4.3.2
Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des circonstances du cas particulier constitue une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement, tandis que l’étendue de l’abattement justifié dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2).

Consid. 4.3.3
En l’espèce, il est indéniable que l’assuré doit s’attendre à des pertes de salaire, étant donné qu’il ne peut plus être employé que pour des travaux légers, exécutés principalement en position assise, pour lesquels il ne peut en outre ni soulever ni porter des poids de plus de 10 kg, et ce seulement ponctuellement. Il faut en outre tenir compte du fait qu’il n’a plus accès qu’au marché du travail des personnes qui débutent dans une entreprise et qui n’ont pas encore d’expérience professionnelle dans la nouvelle activité. De plus, il ne lui restait que relativement peu d’années de service avant d’atteindre la limite d’âge AVS (5 ou 6 ans à partir de la stabilisation de son état de santé en 2019). Si l’on tient compte de ces facteurs influençant le salaire, un abattement de 10% sur le revenu d’invalide, tel qu’opéré par l’assurance-accidents et confirmé – quoique, avec une motivation différente – par le cour cantonale, échappe à la critique.

Consid. 4.3.4
Compte tenu d’un revenu sans invalidité de 71’391 fr. 83 et d’un revenu d’invalide de 64’718 fr. 98, la comparaison des revenus donne une invalidité de 9%, le taux de 9,34% étant arrondi au pour cent inférieur (ATF 130 V 121 consid. 3.2). Ce résultat correspond à la conclusion principale de l’assurance-accidents tendant à l’absence de toute rente, laquelle est irrecevable (cf. consid. 1.3 supra). Toutefois, cette conclusion comprend, conformément au principe « a maiore minus », l’octroi d’une rente d’un taux inférieur au taux de 28% alloué par la cour cantonale, indépendamment du fait que l’assurance-accidents a pris une conclusion subsidiaire tendant à l’octroi d’une rente d’invalidité de 20% (fondée sur l’hypothèse, non réalisée en l’espèce, d’un revenu sans invalidité calculé sur la base d’un niveau de compétence 3 et sur l’absence de tout abattement sur le revenu d’invalide). Il convient dès lors de confirmer la décision sur opposition du 05.12.2019 par laquelle l’assurance-accidents avait alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 10%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_444/2021 consultable ici

 

8C_514/2021 (f) du 27.04.2022, publié ATF 148 V 225 – Récusation d’un expert – Apparence de prévention – 44 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_514/2021 (f) du 27.04.2022, publié aux ATF 148 V 225

 

Arrêt consultable ici et ATF 148 V 225 consultable ici

 

Récusation d’un expert – Apparence de prévention / 44 LPGA

Médecin-conseil et médecin-expert partageant les locaux et les frais d’un petit cabinet de groupe

 

Assuré, victime d’une chute à vélo le 05.08.2018, se réceptionnant sur l’épaule droite, occasionnant une fracture non déplacée du trochiter droit et une fracture de l’extrémité dorsale du radius gauche. L’assurance-accidents a soumis le cas à son médecin-conseil, le docteur C.___, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, qui a conclu à un lien de causalité certain entre lesdites fractures et l’accident du 05.08.2018 et a escompté une reprise d’activité pour fin 2018.

Dans un avis du 28.01.2019, le médecin-conseil a situé le statu quo sine au plus tard à l’arthro-IRM du 08.01.2019, qui montrait selon lui que la fracture du trochiter était guérie et que le reste était dégénératif. Par décision du 06.02.2019, l’assurance-accidents a signifié à l’assuré la prise en charge des prestations légales jusqu’au 08.01.2019 inclus, les traitements au-delà de cette date n’étant en revanche plus en rapport avec l’événement du 05.08.2018.

L’assuré, sous la plume de sa protection juridique, a fait opposition à cette décision. Le médecin-conseil a préconisé la mise en œuvre d’une expertise qu’il proposait de confier au docteur E.___, au docteur F.___ ou au docteur G.___, tous spécialistes en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur.

Par communication du 16.08.2019, Helsana a informé l’assuré qu’une expertise était mise en œuvre auprès du docteur E.___ et que l’examen y relatif interviendrait le 11.09.2019, un délai au 06.09.2019 étant imparti à l’intéressé pour faire part d’éventuelles remarques, objections ou questions complémentaires.

Dans son rapport du 12.11.2019, l’expert E.___ a estimé que le statu quo sine avait été retrouvé avant l’opération de l’épaule droite du 06.06.2019 et que l’état de la coiffe des rotateurs n’était manifestement pas en lien de causalité naturelle avec l’accident, mais avec un état pathologique préexistant.

Le 28.01.2020, l’assuré a contesté les conclusions de l’expert E.___. Dans un avis du 27.05.2020, le médecin-conseil a lui écarté les nouvelles appréciations apportées par l’assuré. Par décision sur opposition du 14.07.2020, Helsana a confirmé sa décision du 06.02.2019.

Lors d’un entretien téléphonique du 24.07.2020 avec l’assurance-accidents, l’avocat, nouveau conseil de l’assuré, a critiqué l’octroi de mandats d’expertise au docteur E.___ alors même que ce médecin et le docteur C.___ (médecin-conseil) étaient associés, et a remis en cause l’impartialité et l’indépendance de l’expert. Il a proposé l’annulation de la décision sur opposition du 14.07.2020 et la mise en œuvre d’une nouvelle expertise neutre, ce que Helsana a refusé par courriel du 28.07.2020 en se référant à un arrêt valaisan du 13.03.2013 « confirm[ant] l’indépendance et l’impartialité du Dr E.___ ». Par courriel du 29.07.2020, le mandataire de l’assuré a relevé que cet arrêt ne portait pas sur la question qu’il avait soulevée et qu’il allait donc déposer un recours.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 83/20 – 77/2021 – consultable ici)

L’assuré a recouru contre la décision sur opposition du 14.07.2020. L’assurance-accidents a conclu au rejet du recours. Elle a produit une prise de position du médecin-conseil du 02.11.2020 contenant les déclarations suivantes: « Je précise que je ne suis pas l’associé du Dr E.___. Notre cabinet n’est pas une S[à]rl ou SA. Nous ne faisons que partager les locaux et les frais qui en découlent, mais notre travail et nos revenus sont indépendants. Ceci signifie que je ne suis pas impliqué dans les choix et décisions de mon confrère, que cela soit concernant [s]es patients ou [s]es expertises ».

La cour cantonale a d’abord examiné si le motif de récusation avait été invoqué tardivement. Elle a relevé que l’assuré n’avait aucune obligation générale – légale ou jurisprudentielle – d’effectuer des recherches quant à la personne de l’expert, singulièrement quant aux liens entretenus par ce dernier avec d’autres praticiens et avec le médecin-conseil plus spécifiquement. On ne pouvait par ailleurs pas reprocher à l’assuré de ne pas avoir immédiatement réagi lorsqu’il s’était rendu dans les locaux partagés par le médecin-expert et le médecin-conseil le jour de l’expertise le 11.09.2019, quand bien même le nom de ces médecins figurait à l’entrée du cabinet. En effet, l’assuré n’avait jamais été examiné personnellement par le médecin-conseil et avait tout au plus eu connaissance du nom de celui-ci à la lecture de certaines correspondances de l’assurance-accidents (notamment un courrier du 17.12.2018 et la décision du 06.02.2019, adressés à l’assuré alors non représenté) largement antérieures à l’expertise. De telles circonstances n’étaient à l’évidence pas propres à lui faire garder en mémoire l’identité exacte du médecin-conseil de l’assureur, ni à faire le rapprochement avec le docteur C.___ le jour de l’expertise. Ce rapprochement n’avait en définitive été fait que fortuitement à la faveur d’un changement de mandataire dans les suites de la décision sur opposition du 14.07.2020, après quoi le motif de récusation en découlant avait été directement invoqué devant l’assurance-accidents puis auprès du tribunal cantonal, soit un enchaînement chronologique qui n’apparaissait en rien contraire au principe de la bonne foi.

Examinant le bien-fondé du motif de récusation soulevé par l’assuré à l’encontre de l’expert E.___, la cour cantonale a constaté qu’il était admis que les docteurs C.___ et E.___ exploitaient ensemble un cabinet de groupe et que c’était le premier qui, initialement, avait proposé de confier un mandat d’expertise au second tout en avançant également le nom de deux autres confrères. Quand bien même le docteur C.___ avait ultérieurement indiqué que le docteur E.___ et lui-même se limitaient à partager des locaux et les frais y relatifs tout en demeurant indépendants dans l’exercice de leurs activités respectives, une telle constellation était de nature à créer objectivement l’apparence d’une prévention. Force était en effet de constater que deux spécialistes exploitant un même cabinet de groupe – qui plus est, un cabinet de petite taille impliquant des contacts autrement plus fréquents et étroits que ceux d’experts œuvrant au sein d’un même centre d’expertise – avaient en définitive été sollicités par l’assurance-accidents aux fins d’émettre des appréciations décisives pour le sort de la cause. Sous cet angle, le motif de récusation invoqué apparaissait donc fondé.

Par jugement du 08.07.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour complément d’instruction dans le sens des considérants et nouvelle décision.

 

TF

Faits C.b.
Par ordonnance du 04.11.2021, le juge instructeur a requis de l’assurance-accidents la production d’une liste anonymisée des cas dans lesquels elle a désigné le docteur E.___ comme expert indépendant (art. 44 LPGA) dans un dossier relevant de l’assurance-accidents depuis le 01..01.2010, avec indication des honoraires de l’expert.

L’assurance-accidents a produit un tableau dont il résulte les éléments suivants: Sur la période allant du 01.09.2009 au 31.08.2021, le docteur E.___ a rendu 169 rapports d’expertise (dont environ 10% sont des rapports d’expertise complémentaire) dans des dossiers relevant de l’assurance-accidents dans lesquels l’assurance-accidents l’a désigné comme expert au sens de l’art. 44 LPGA sur proposition du docteur C.___ (étant précisé que celui-ci a parfois proposé plusieurs noms d’experts); il a encaissé à ce titre des honoraires pour un montant total de 562’920 fr. 90. Sur ces douze années, il a ainsi effectué pour l’assurance-accidents une moyenne de 14 expertises ou compléments d’expertise par année (avec un plus haut de 30 en 2010 et un plus bas de 1 en 2020) et a encaissé un montant annuel moyen de 46’910 fr. à titre d’honoraires d’expert.

 

Consid. 3.1
Selon l’art. 44 LPGA, si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties; celles-ci peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. La communication du nom de l’expert doit notamment permettre à l’assuré de reconnaître s’il s’agit d’une personne à l’encontre de laquelle il pourrait disposer d’un motif de récusation. Lorsque l’intéressé soulève des objections quant à la personne de l’expert, l’assureur doit se prononcer à leur sujet avant Ie commencement de l’expertise (ATF 146 V 9 consid. 4.2.1 et les références).

Consid. 3.2
Si un motif de récusation n’est découvert qu’au moment de la réalisation de l’expertise ou après celle-ci, le motif de récusation doit être invoqué dès que possible, soit en principe dès que le plaideur a connaissance du motif, faute de quoi il est réputé avoir tacitement renoncé à s’en prévaloir (JACQUES OLIVIER PIGUET, in Dupont/Moser-Szeless [édit.], Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, Bâle 2018, n° 47 ad art. 44 LPGA). Il est en effet contraire au principe de la bonne foi d’attendre l’issue d’une procédure pour ensuite, à l’occasion d’un recours, tirer argument d’un motif de récusation qui était connu auparavant (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3; 139 III 120 consid. 3.2.1; 136 III 605 consid. 3.2.2).

Consid. 3.3
Les objections que peut soulever l’assuré à l’encontre de la personne de l’expert peuvent être de nature formelle ou matérielle; les motifs de récusation formels sont ceux prévus par la loi (cf. art. 36 al. 1 LPGA); d’autres motifs, tels que le manque de compétence dans le domaine médical retenu ou encore un manque d’adéquation personnelle de l’expert, sont de nature matérielle (ATF 132 V 93 consid. 6.5; arrêt 9C_180/2013 du 31 décembre 2013 consid. 2.3; JACQUES OLIVIER PIGUET, op. cit., n° 24 ad art. 44 LPGA).

Consid. 3.4
S’agissant des motifs de récusation formels d’un expert, il y a lieu selon la jurisprudence d’appliquer les mêmes principes que pour la récusation d’un juge (ATF 137 V 210 consid. 2.1.3; 132 V 93 consid. 7.1; 120 V 357 consid. 3a), qui découlent directement du droit constitutionnel à un tribunal indépendant et impartial garanti par l’art. 30 al. 1 Cst. – qui en la matière a la même portée que l’art. 6 par. 1 CEDH (ATF 134 I 20 consid. 4.2) – respectivement, pour un expert, des garanties générales de procédure de l’art. 29 al. 1 Cst., qui assure à cet égard une protection équivalente à celle de l’art. 30 al. 1 Cst. (arrêts 8C_452/2020 du 7 octobre 2021 consid. 2.3.1; 5A_484/2015 du 2 octobre 2015 consid. 2.3.2 et les références).

Un expert passe ainsi pour prévenu lorsqu’il existe des circonstances propres à faire naître un doute sur son impartialité. Dans ce domaine, il s’agit toutefois d’un état intérieur dont la preuve est difficile à apporter. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire de prouver que la prévention est effective pour récuser un expert. Il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de l’expert. L’appréciation des circonstances ne peut pas reposer sur les seules impressions de l’expertisé, la méfiance à l’égard de l’expert devant au contraire apparaître comme fondée sur des éléments objectifs (ATF 132 V 93 consid. 7.1; 120 V 357 consid. 3a et les références). Compte tenu de l’importance considérable que revêtent les expertises médicales en droit des assurances sociales, il y a lieu de poser des exigences élevées à l’impartialité de l’expert médical (ATF 132 V 93 consid. 7.1 in fine; 120 V 357 consid. 3b in fine).

Consid. 3.5
Selon la jurisprudence, le fait qu’un expert, médecin indépendant, ou une institution d’expertises sont régulièrement mandatés par un organe de l’assurance sociale, le nombre d’expertises ou de rapports confiés à l’expert, ainsi que l’étendue des honoraires en résultant ne constituent pas à eux seuls des motifs suffisants pour conclure au manque d’objectivité et à la partialité de l’expert (ATF 137 V 210 consid. 1.3.3 et les références; arrêt 9C_343/2020 du 22 avril 2021 consid. 4.3; cf. aussi arrêt 8C_112/2010 du 17 août 2010 consid. 4.1).

Consid. 4.3
Si l’avocate employée de la protection juridique qui a représenté l’assuré dès février 2019 savait, par les pièces du dossier, que le docteur C.___ était intervenu comme médecin-conseil de l’assurance-accidents, il n’est pas prétendu qu’elle savait, lorsqu’elle a reçu la communication du 16.08.2019 proposant de confier une expertise au docteur E.___, que ce dernier exerçait au sein du même cabinet que le docteur C.___. Par ailleurs, bien que l’on soit en droit d’attendre d’un assuré ou de son mandataire qu’il s’intéresse à la personne de l’expert proposé par l’assureur en vue de soulever un éventuel motif de récusation, l’avocate de la protection juridique n’avait en l’espèce aucune obligation générale – comme l’a relevé à juste titre la cour cantonale – d’effectuer des recherches quant à la personne du docteur E.___, plus particulièrement quant aux liens que celui-ci entretiendrait avec l’assurance-accidents et/ou avec le médecin-conseil. Quant à l’assuré lui-même, s’il avait bien pu avoir connaissance du nom du médecin-conseil à la lecture de certaines correspondances qui lui avaient été adressées en décembre 2018 et février 2019 alors qu’il n’était pas encore représenté, il n’est pas établi qu’il aurait eu ce nom encore à l’esprit lorsqu’il s’est rendu le 11.09.2019 au cabinet du docteur E.___ pour l’expertise. Ce n’est ainsi que lorsqu’il a consulté le nouvel avocat à la suite de la décision sur opposition du 14.07.2020 que l’assuré a eu connaissance des éléments lui permettant d’invoquer ce motif de récusation, ce que son mandataire a fait sans délai auprès de l’assurance-accidents, puis – ensuite du refus de celle-ci d’entrer en matière – à l’appui d’un recours contre la décision sur opposition. L’arrêt attaqué échappe ainsi à la critique en tant qu’il retient que le motif de récusation a été invoqué en temps utile.

Consid. 5.3
La situation de deux médecins spécialistes en chirurgie orthopédique qui partagent les locaux et les frais d’un petit cabinet de groupe n’est pas comparable à celle de deux médecins psychiatres qui œuvrent parallèlement au sein d’un même centre d’expertise pluridisciplinaire. En effet, l’appartenance à un même centre d’expertise, qui n’implique normalement pas une présence régulière dans les mêmes locaux, n’est pas de nature à favoriser des liens plus étroits que ceux pouvant exister entre des spécialistes qui se croisent à l’occasion hors de leur lieu de travail habituel (cf. arrêt 8C_1058/2010 précité consid. 4.6). Il en va en revanche différemment de deux médecins qui, à l’instar des docteurs C.___ et E.___, travaillent tous les jours dans les mêmes locaux au sein d’un petit cabinet de groupe dont ils partagent les frais. De tels contacts quotidiens doublés d’une communauté d’intérêts économiques à travers le partage des frais constituent des éléments objectifs suffisants – au vu des exigences élevées posées à l’impartialité des experts médicaux (cf. consid. 3.4 supra) – pour faire naître à tout le moins une apparence de prévention lorsque l’un des associés est désigné comme expert par un assureur accidents alors que son associé a déjà émis un avis médical sur le cas en tant que médecin-conseil dudit assureur. C’est ainsi à bon droit que la cour cantonale a, au vu de ces éléments, retenu une apparence de prévention de l’expert E.___.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_514/2021 consultable ici et ATF 148 V 225 consultable ici

 

8C_71/2022 (d) du 17.08.2022 – Maladie professionnelle – Gonarthrose pour un carreleur – 9 LAA / Evaluation de la durée d’exposition dans un Etat étranger (en l’occurrence le Canada) avec lequel il n’existe pas de convention avec la Suisse

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_71/2022 (d) du 17.08.2022

 

Consultable ici

 

Maladie professionnelle – Gonarthrose pour un carreleur / 9 LAA

Evaluation de la durée d’exposition dans un Etat étranger (en l’occurrence le Canada) avec lequel il n’existe pas de convention avec la Suisse

 

Assuré, né en 1963, était employé à plein temps depuis le 01.11.2019 par B.__ SA en tant que carreleur. Par déclaration du 22.01.2020, l’employeur a informé l’assurance-accidents que l’assuré avait des problèmes récurrents au genou depuis novembre 2019. L’assurance-accidents a procédé aux investigations d’usage.

Selon les informations qu’il a fournies, l’assuré a exercé une activité professionnelle de carreleur au Canada de 1990 à 2010. Il aurait également exercé cette profession après son arrivée en Suisse en 2010. Le spécialiste en médecine du travail de l’assurance-accidents a conclu dans son évaluation du 22.04.2020 que l’assuré exerçait, en tant que carreleur, une activité à genoux, dont on sait qu’elle constitue un facteur de risque pour le développement d’une gonarthrose. En raison de la prévalence élevée de cette pathologie dans la population générale, qui augmente avec l’âge, de la mise en évidence de différentes modifications dégénératives au niveau de l’articulation du genou pour une sollicitation en moyenne identique et de la sollicitation cumulée de l’articulation du genou de 11’000 heures (activité professionnelle assurée pendant 10 ans en Suisse), la gonarthrose droite n’a pas été causée de manière nettement prépondérante par l’activité professionnelle.

Par décision du 24.04.2020, confirmée sur opposition le 10.11.2020, l’assurance-accidents a notifié à l’assuré que les conditions de l’art. 9 al. 2 LAA (maladie causée exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle) n’étaient pas remplies.

 

Procédure cantonale (arrêt UV 2020/86 – consultable ici)

Le tribunal cantonal a considéré que, conformément au principe du rapport de causalité de l’assurance-accidents, c’est la couverture d’assurance au moment de la survenance de la cause du dommage ou de l’événement assuré qui est déterminante pour la question de l’obligation de verser des prestations, et non la survenance du dommage. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral avait conclu que la couverture d’assurance requise pour l’obligation de prestation au sens de l’art. 9 al. 3 LAA dépendait du fait que la personne atteinte par la maladie avait été assurée pendant la période d’exposition déterminante et non pas au moment où la maladie s’était déclarée (référence à l’arrêt 8C_383/2019 du 5 septembre 2019 consid. 4.1.2). Selon une jurisprudence constante, la totalité de l’activité professionnelle exercée doit être prise en compte pour déterminer la durée d’exposition, y compris la partie qui n’a pas été accomplie dans le cadre d’une activité assurée par la LAA (référence à l’ATF 119 V 200). Il ressort du dossier que l’assuré a exercé une activité professionnelle ininterrompue de carreleur depuis 1990. Dans ce métier à risque pour le développement d’une gonarthrose, il a largement dépassé la durée minimale d’exposition de 17’000 heures indiquée par le spécialiste en médecine du travail (évaluation de la médecine du travail du 22.04.2020) pour l’hypothèse d’une maladie nettement prépondérante d’origine professionnelle. Par conséquent, il s’agit d’une maladie professionnelle au sens de l’art. 9 al. 2 LAA, raison pour laquelle l’assurance-accidents doit assumer l’atteinte à la santé qui en résulte.

Par jugement du 21.12.2021, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2

Selon l’art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies (art. 3 LPGA) dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux. Le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent. Selon l’alinéa 2, sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle. Selon l’alinéa 3, sauf disposition contraire, la maladie professionnelle est assimilée à un accident professionnel dès le jour où elle s’est déclarée. Une maladie professionnelle est réputée déclarée dès que la personne atteinte doit se soumettre pour la première fois à un traitement médical ou est incapable de travailler (art. 6 LPGA).

 

Consid. 4.2
L’assurance-accidents – recourante – fait valoir que, dans le cadre de la reconnaissance d’une maladie professionnelle au sens de l’art. 9 al. 2 LAA, les activités professionnelles et donc les durées d’exposition dans un Etat étranger (en l’occurrence le Canada) avec lequel il n’existe pas de convention avec la Suisse (comme par exemple avec les Etats de l’UE) ne devraient pas être pris en compte. Contrairement à l’avis du tribunal cantonal, il ne résulte pas de l’ATF 119 V 200 que des périodes d’exposition durant lesquelles la personne assurée n’était pas obligatoirement assurée contre les accidents doivent être prises en compte dans tous les cas. Au contraire, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a jugé, uniquement au regard du droit intertemporel (entrée en vigueur de la LAA le 1er janvier 1984), qu’en l’absence de disposition limitant la durée dans le temps, il fallait entendre par activité professionnelle au sens de l’art. 9 al. 2 LAA l’ensemble de l’activité professionnelle, donc également celle exercée avant le 1er janvier 1984. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

En outre, les arrêts du TFA et du Tribunal fédéral cités par l’instance cantonale ne permettent pas d’étayer son avis selon lequel il faut tenir compte des périodes d’exposition pendant lesquelles la personne concernée n’était pas obligatoirement assurée en LAA. Le Tribunal fédéral a notamment confirmé dans l’ATF 126 V 186 consid. 2b que l’évaluation de l’exposition (ou de la durée du travail) devait prendre en compte l’ensemble de l’activité professionnelle, y compris, le cas échéant, celle exercée avant le 1er janvier 1984. Ensuite, il ressort également de l’arrêt U 20/04 du 17 janvier 2005 consid. 3.3, que l’obligation de l’assurance-accidents de verser des prestations en cas de maladie professionnelle dépend du fait que la personne concernée était assurée pendant qu’elle était exposée à la substance dangereuse ou qu’elle effectuait le travail à l’origine de la maladie.

 

Selon le Tribunal fédéral :
Consid. 4.3
Les arguments de l’assurance-accidents méritent d’être pleinement approuvés. Contrairement à l’avis de la cour cantonale, il n’est pas du tout conforme à la jurisprudence de tenir compte, lors de l’évaluation de la durée d’exposition, des périodes pendant lesquelles la personne concernée n’a pas été assurée obligatoirement contre les accidents. Au contraire, dans l’arrêt 8C_383/2019 du 5 septembre 2019 consid. 4.1.2 cité par l’instance cantonale, le Tribunal fédéral a de nouveau précisé qu’en cas de maladie professionnelle, l’action de la substance dangereuse ou l’exécution du travail responsable de la maladie, en bref l’exposition (danger), n’est pas moins importante que l’apparition de la maladie. L’obligation de prester dépend donc du fait que la personne atteinte par la maladie ait été assurée ou non pendant l’exposition déterminante. La couverture d’assurance continue donc de déployer ses effets chez la personne malade au-delà de la fin de l’assurance, si la maladie ne se déclare que plus tard ; elle déploie dans cette mesure un effet ultérieur/subséquent, mais pas un effet antérieur. L’argumentation du tribunal cantonal, selon laquelle toutes les activités, même non assurées, doivent être prises en compte, reviendrait donc à dire que l’assuré, arrivé en Suisse en 2010, pourrait prétendre à des prestations même avant la couverture d’assurance. Cela ne ressort pas de la jurisprudence, ni de l’ATF 119 V 200. Le recours doit être admis.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement du tribunal cantonal et confirme la décision sur opposition du 10.11.2020.

 

 

Arrêt 8C_71/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_71/2022 (d) du 17.08.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/10/8c_71-2022)

 

8C_299/2022 (d) du 05.09.2022 – Stabilisation de l’état de santé – 19 LAA / Rechute lors de la procédure contestant la stabilisation de l’état de santé – 11 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_299/2022 (d) du 05.09.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 LAA

Rechute lors de la procédure contestant la stabilisation de l’état de santé / 11 OLAA

 

Assuré, né en 1980, mécanicien, qui, le 21.11.2018, s’est tordu le poignet droit en utilisant une perceuse. Le 29.05.2019, il a été opéré du poignet droit dans un centre de chirurgie de la main, où l’on a diagnostiqué une instabilité du scaphoïde droit avec rupture complète du ligament scapholunaire.

L’assurance-accidents a informé l’assuré, par courrier du 31.07.2020, qu’elle ne prenait plus en charge les frais médicaux et qu’elle suspendait les indemnités journalières au 30.09.2020. Par décision du 05.11.2020, confirmée sur opposition le 12.02.2021, l’assurance-accidents à l’assuré le droit à une rente d’invalidité et à une indemnité pour atteinte à l’intégrité.

Le 01.02.2021, l’assuré a été réopéré du poignet droit. L’assurance-accidents a pris en charge le traitement médical et les indemnités journalières au titre de la « rechute ».

 

Procédure cantonale

Selon l’instance cantonale, il ressortait des rapports médicaux que l’assuré souffrait de troubles résiduels à la suite de l’accident du 21.11.2018, raison pour laquelle son activité de constructeur métallique ne pouvait plus être exigée de lui. Toutefois, aucun rapport ne mentionnait que ces troubles auraient pu être réduits de manière significative par d’autres traitements à la clôture du cas fin septembre 2020 et que la capacité de travail aurait ainsi pu être considérablement augmentée. Dans un rapport médical du 01.07.2020, le directeur adjoint de la clinique G.__ avait déjà recommandé à l’assurance-accidents de procéder à une évaluation de l’ «exigibilité résiduelle» et de chercher une activité adaptée. Il a considéré qu’il n’y avait pas d’indication opératoire. Il a donc préconisé une réinsertion professionnelle et défini les limitations fonctionnelles (éviter les travaux lourds impliquant des chocs et des vibrations ainsi que les charges importantes et fréquentes de plus de 5 kg). Dans un rapport du 12.07.2020 adressé à l’office AI, il a été constaté que l’assuré était capable de travailler à 100% et qu’il était apte au placement pour des activités légères. Aucun traitement n’a été entrepris, hormis l’analgésie au besoin. Dans ces circonstances, il n’est pas contestable que l’assurance-accidents n’ait pas escompté d’amélioration thérapeutique notable au-delà du 30.09.2020 et ait clos le cas à cette date. Le rapport médical du 01.10.2020 ne change rien à cette situation. Le chirurgien s’est contenté d’affirmer qu’il n’y avait que des «interventions de sauvetage» susceptibles d’améliorer la situation ; aucun autre contrôle n’était prévu. Dans un courriel du 15.03.2021, le chirurgien a ensuite indiqué que l’opération avait pour but de réduire la douleur. Les chances de succès d’une telle opération étaient toutefois toujours incertaines. La probabilité d’une réduction des douleurs est toutefois « plus élevée ». Si le succès n’était pas au rendez-vous, la possibilité d’une arthrodèse totale du poignet serait toujours ouverte. Le chirurgien a a ainsi qualifié les chances de succès d’une opération d’ouvertes et donc incertaines. En résumé, la suspension des prestations temporaires (traitement médical au 31.07.2020 et indemnités journalières au 30.09.2020) est correcte. Le refus d’une rente d’invalidité et d’une IPAI n’est pas contestable non plus.

Par jugement du 29.03.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le litige porte sur la question de savoir si la suspension du traitement médical au 31.07.2020 et des indemnités journalières au 30.09.2020, confirmée par l’instance cantonale, est conforme au droit fédéral.

 

Consid. 2.3
La question de savoir si, dans le cadre de l’examen de la clôture du cas selon l’art. 19 al. 1 LAA, il faut admettre une amélioration notable de l’état de santé se détermine notamment – mais pas exclusivement – en fonction de l’augmentation ou du rétablissement de la capacité de travail à laquelle on peut s’attendre, dans la mesure où celle-ci est restreinte par l’accident. Le terme «notable» indique donc que l’amélioration espérée par un autre traitement (approprié) au sens de l’art. 10 al. 1 LAA doit être importante (ATF 143 V 148 consid. 3.1.1, 134 V 109 consid. 4.3 ; SVR 2020 UV n° 24 p. 95, 8C_614/2019 consid. 5.2 s.). Des améliorations insignifiantes ne suffisent pas, pas plus que la simple possibilité d’une amélioration (RKUV 2005 Nr. U 557 p. 388, U 244/04 consid. 3.1; arrêt 8C_219/2022 du 2 juin 2022 consid. 4.1). Dans ce contexte, l’état de santé de la personne assurée doit être évalué de manière prospective et non sur la base de constatations rétrospectives. Les renseignements médicaux relatifs aux possibilités thérapeutiques et à l’évolution de la pathologie, qui sont généralement saisis sous la notion de pronostic, constituent en premier lieu la base de l’appréciation de cette question juridique (SVR 2020 UV Nr. 24 p. 95, 8C_614/2019 consid. 5.2; arrêts 8C_219/2022 du 2 juin 2022 consid. 4.1 et 8C_682/2021 du 13 avril 2022 consid. 5.1).

Consid. 4.1
Dans l’ATF 144 V 245 consid. 6.2, le Tribunal fédéral a considéré que les rechutes et les séquelles tardives constituaient des faits particuliers relevant du droit de la révision. Il convient d’en tenir compte même si le droit aux prestations a été refusé à une date antérieure. Ces décisions ne peuvent donc pas faire l’objet d’un nouvel examen sans restriction. Il convient au contraire de partir de l’appréciation passée en force de chose jugée, et la reconnaissance d’une rechute ou de séquelles tardives présuppose une modification ultérieure des circonstances pertinentes pour le droit.

Consid. 4.2
On ne peut pas déduire de cet arrêt qu’une atteinte à la santé causée par l’accident et survenant – comme c’est le cas en l’espèce – alors que la procédure d’assurance-accidents est encore en cours ne peut pas constituer une rechute, raison pour laquelle elle doit être examinée dans le cadre du cas de base. Dans le cadre de l’approche prospective, telle qu’elle intervient dans la question de la clôture du cas (cf. consid. 2.3 ci-dessus), il est plutôt déterminant de savoir si l’opération du 01.02.2021 et l’amélioration notable de son état de santé qui l’a accompagnée étaient prévisibles au moment de la suspension des prestations au 30.09.2020. Tel n’est pas le cas (cf. consid. 5 ci-après), raison pour laquelle il n’y avait pas d’obstacle à une clôture du cas (cf. également l’arrêt 8C_344/2021 du 7 décembre 2021 consid. 8.2.2).

Consid. 4.3
La rechute et l’opération du 01.02.2021 qui y est liée n’ont pas fait l’objet de la décision sur opposition litigieuse du 12.02.2021, ni du jugement attaqué, raison pour laquelle il n’y a pas lieu de se prononcer à ce sujet. Il n’y a donc pas lieu d’entrer en matière sur le recours dans la mesure où le recourant demande l’évaluation de son droit aux prestations découlant de cette rechute (ATF 131 V 164 consid. 2.1 ; arrêt 8C_627/2015 du 14 décembre 2015 consid. 2.1).

Consid. 5.1
Lors de l’appréciation de la légalité de la clôture du cas, l’approche prospective s’applique (cf. consid. 2.3 ci-dessus). Dès lors, les dossiers médicaux établis après la clôture du cas au 31.07.2020 (traitement médical) resp. au 30.09.2020 (indemnités journalières), auxquels se réfèrent l’instance cantonale et l’assuré, resp. les circonstances survenues après la clôture du cas jusqu’à la décision sur opposition litigieuse du 12.02.2021 sont dénués de pertinence juridique (cf. arrêts 8C_682/2021 du 13 avril 2022 consid. 5.3.2 et 8C_604/2021 du 25 janvier 2022 consid. 7.1 et les références).

Consid. 5.2.1
Après avoir procédé à l’examen clinique de l’assuré ainsi que des résultats d’imagerie et des éléments médicaux au dossier, le médecin-conseil a indiqué dans son rapport du 29.07.2020 que l’état de santé était stabilisé et qu’il ne fallait pas s’attendre à une amélioration notable de l’état de santé.

Consid. 5.2.2
L’assuré ne formule aucune objection qui permettrait de douter, même légèrement, de la fiabilité et de la cohérence de ce rapport (ATF 142 V 58 consid. 5.1).

Consid. 5.2.2.1
L’assuré fait valoir que le chirurgien a indiqué dans son rapport du 01.07.2020 qu’un contrôle aurait lieu dans trois mois (c’est-à-dire le 01.10.2020). L’assuré allègue que l’hypothèse selon laquelle une clôture du cas pourrait être effectuée en l’absence d’un contrôle par le médecin traitant est arbitraire ou doit à tout le moins être considérée comme une clôture anticipée du cas. Cet argument n’est pas pertinent. En effet, le chirurgien ne rapportait aucune explication sur la question de savoir si des traitements médicaux au sens de l’art. 19 al. 1 LAA entraient encore en ligne de compte. Il recommandait plutôt une évaluation de l’ «exigibilité résiduelle» et la recherche d’une activité adaptée pour l’assuré, ce qui plaidait en faveur de la stabilisation et confirmait donc l’évaluation du médecin-conseil.

Consid. 5.2.2.2
L’argument de l’assuré selon lequel il avait déjà fait état de douleurs avant la clôture du cas (et avant même que l’assurance-accidents ne l’ait informé de manière informelle) est également dénué de pertinence. En effet, ce qui est déterminant, c’est qu’une poursuite du traitement médical aurait permis d’escompter une amélioration notable du point de vue du pronostic, ce qui n’a pas été établi en l’espèce.

Consid. 5.3
A l’aune de ce qui précède, il n’est pas contraire au droit fédéral que l’instance cantonale ait confirmé la clôture du cas par l’assurance-accidents.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_299/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_299/2022 (d) du 05.09.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/09/8c_299-2022)