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9C_484/2021 (f) du 11.05.2022 – Valeur probante d’une enquête économique sur le ménage – Troubles d’ordre psychique

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_484/2021 (f) du 11.05.2022

 

Consultable ici

 

Obligation de l’assureur social d’enregistrer de manière systématique tous les documents qui peuvent être déterminants / 46 LPGA

Valeur probante d’une enquête économique sur le ménage afin d’estimer les empêchements que l’assuré rencontre dans ses activités habituelles en raison de troubles d’ordre psychique / 4 LAI – 7 LPGA – 8 LPGA – 28a LAI – 16 LPGA

Adaptation de la notion de travaux habituels intervenue au 01.01.2018 / ch. 3087 CIIAI

 

Assurée, mariée et mère de sept enfants (nés entre 1977 et 1989), ressortissante suisse domiciliée en France, a déposé une demande AI le 02.03.2009. Celle-ci a été rejetée par l’office AI, dont la décision du 13.12.2013 a été confirmée sur recours successifs par le Tribunal fédéral (arrêt 9C_387/2017 du 30 octobre 2017).

En octobre 2014, l’assurée a présenté une nouvelle demande de prestations. Entre autres mesures d’instruction, l’administration a sollicité des renseignements médicaux et diligenté une enquête économique sur le ménage (rapport du 03.11.2018). Elle a reconnu le droit de l’assurée à trois quarts de rente d’invalidité du 01.04.2015 au 30.06.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt C-1211/2019 – consultable ici)

Après avoir constaté que les parties ne contestaient ni le statut mixte de personne active à 60% et de ménagère à 40% reconnu à l’assurée par l’office AI, ni qu’elle avait présenté une incapacité totale de travail dans toute activité lucrative dès février 2014, le Tribunal administratif fédéral a circonscrit l’objet du litige à l’évaluation de l’invalidité de l’assurée dans la sphère ménagère. En se fondant sur le rapport d’enquête économique sur le ménage du 03.11.2018, auquel il a accordé une pleine valeur probante, il a déterminé le taux d’empêchement dans les travaux habituels à 14%, à l’instar de l’office AI. Au vu du taux d’invalidité total présenté par l’assurée (66%; soit 60% d’invalidité professionnelle [100% x 60 / 100] et 6% d’invalidité ménagère [14% x 40% / 100]), le TAF a confirmé la décision administrative litigieuse.

Par jugement du 04.08.2021, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 2
Les constatations de la juridiction de première instance sur l’atteinte à la santé, la capacité de travail de la personne assurée et l’exigibilité – pour autant qu’elles ne soient pas fondées sur l’expérience générale de la vie – relèvent d’une question de fait et ne peuvent donc être contrôlées par le Tribunal fédéral que sous un angle restreint (ATF 132 V 393 consid. 3.2). Il en va de même de la constatation d’un empêchement pour les différents postes constituant l’activité ménagère (arrêt 9C_108/2021 du 1er septembre 2021 consid. 3 et les références). On rappellera également qu’il n’y a pas arbitraire du seul fait qu’une solution autre que celle de l’autorité cantonale semble concevable, voire préférable. Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; il faut encore que cette décision soit arbitraire dans son résultat (ATF 141 I 70 consid. 2.2).

Consid. 5.2
L’obligation de l’assureur social d’enregistrer de manière systématique tous les documents qui peuvent être déterminants (art. 46 LPGA), qui constitue le pendant du droit de consulter le dossier et de produire des preuves (découlant des art. 29 al. 2 Cst. et 47 LPGA), tend à garantir l’exhaustivité des pièces produites et établies dans le cadre de la procédure (ATF 138 V 218 consid. 8.1.2 et les arrêts cités). Le fait que l’assureur n’a pas classé toutes les pièces déterminantes de manière cohérente dans l’ordre chronologique ne suffit cependant généralement pas pour conclure qu’il n’aurait pas respecté son obligation de tenir le dossier. Dans un tel cas, il ne suffit pas de critiquer de manière générale une gestion des documents perfectible; la personne assurée doit bien plutôt expliquer précisément en quoi la chronologie manquante par endroits ou le décalage entre les numéros des pièces aurait concrètement rendu impossible une consultation efficace du dossier et constituerait une violation de son droit d’être entendue (cf. arrêt 9C_413/2013 du 18 décembre 2013 consid. 2.2; voir aussi ATF 138 V 218 précité consid. 8.1 et 8.2).

Or en l’espèce, en ce qu’elle se limite à indiquer qu’elle a dû « parcourir l’intégralité des 1017 pages de son dossier, pour retrouver les bons documents » et à déduire de la différence dans la numérotation des documents « la possibilité qu’elle n’ait pas connaissance de l’ensemble des documents du dossier », l’assurée n’établit pas concrètement que son droit d’être entendue aurait été violé. Elle n’allègue en particulier pas que l’une des pièces versées au dossier dans le cadre de l’instruction de sa nouvelle demande de prestations et figurant dans la liste établie par le Tribunal administratif fédéral ne lui aurait pas été transmise par l’office AI. Elle ne prétend pas non plus n’avoir pas compris les motifs de l’arrêt attaqué ou n’avoir pas retrouvé les pièces sur lesquelles s’est fondée la juridiction inférieure. Le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 6.2.1
Contrairement à ce que soutient d’abord l’assurée, le Tribunal administratif fédéral n’a pas violé l’art. 61 LPGA en ne sollicitant pas des renseignements auprès de ses médecins traitants quant à l’incidence de son affection psychique, ainsi que de l’intervention chirurgicale et du traitement de chimiothérapie, sur sa capacité ménagère, après la réalisation de l’enquête économique sur le ménage en novembre 2018. En ce qui concerne l’incapacité d’accomplir les travaux habituels en raison d’une atteinte à la santé, on rappellera, à la suite de la juridiction de première instance, qu’une enquête économique sur le ménage effectuée au domicile de l’assuré (cf. art. 69 al. 2 RAI) constitue en règle générale une base appropriée et suffisante pour évaluer les empêchements dans ce domaine. Même si, compte tenu de sa nature, l’enquête économique sur le ménage est en premier lieu un moyen approprié pour évaluer l’étendue d’empêchements dus à des limitations physiques, elle garde cependant valeur probante lorsqu’il s’agit d’estimer les empêchements que l’assuré rencontre dans ses activités habituelles en raison de troubles d’ordre psychique. Toutefois, en présence de tels troubles, et en cas de divergences entre les résultats de l’enquête économique sur le ménage et les constatations d’ordre médical relatives à la capacité d’accomplir les travaux habituels, celles-ci ont, en règle générale, plus de poids que l’enquête à domicile. Une telle priorité de principe est justifiée par le fait qu’il est souvent difficile pour la personne chargée de l’enquête à domicile de reconnaître et d’apprécier l’ampleur de l’atteinte psychique et les empêchements en résultant (arrêt 9C_39/2021 du 6 décembre 2021 consid. 3.2 et les références).

Or les juges du TAF ont dûment exposé les raisons pour lesquelles ils ont considéré que la question de la nécessité d’avoir l’avis d’un médecin psychiatre en plus de l’enquête ménagère pouvait en l’occurrence demeurer ouverte. Ils ont en effet constaté que l’assurée avait sollicité et obtenu la possibilité de produire des pièces à cet égard au cours de la procédure judiciaire, ce que l’intéressée ne conteste pas. Ils ont également apprécié de manière convaincante les rapports des médecins traitants que l’assurée avait alors versés à la procédure et considéré qu’ils ne faisaient pas état d’éléments médicaux objectivables différents de ceux retenus par le SMR ou l’enquêtrice ou qu’ils ne remplissaient pas les réquisits jurisprudentiels en la matière pour se voir accorder pleine valeur probante. A cet égard, selon les propres déclarations de l’assurée – réitérées en instance fédérale -, il s’agissait en effet essentiellement d’un questionnaire qu’elle avait rempli et soumis à son psychiatre traitant, qui avait contresigné le document.

C’est en vain que l’assurée se prévaut à ce propos d’un établissement incomplet des faits, en reprochant aux juges du TAF de ne pas avoir résumé le contenu de ce document, dès lors déjà que le psychiatre impliqué a seulement « validé les réponses fournies par sa patiente », pour reprendre les termes de l’intéressée, en y apposant sa signature et sans faire de propres constatations (document non daté, signé par elle et le docteur B.__). Quant à l’avis du docteur C.__, qui remplaçait le médecin généraliste, les juges du TAF ont constaté à juste titre qu’il n’était pas motivé. Le médecin s’était en effet contenté de répondre à un questionnaire en indiquant « impossible », « très difficile » ou « avec beaucoup de difficultés » à chaque question qui lui était posée par l’assurée en lien avec ses aptitudes à accomplir une activité ménagère. Par ailleurs, si l’assurée a également produit un avis de son psychiatre traitant, dans lequel il faisait état de la persistance de la symptomatologie dépressive associée à des manifestations anxieuses et attestait un état de santé resté fragile, le médecin ne s’est toutefois pas prononcé au sujet de la capacité de sa patiente à accomplir les travaux habituels.

Consid. 6.2.2
L’assurée ne peut pas non plus être suivie lorsqu’elle allègue que l’enquêtrice n’aurait pas tenu compte de ses limitations fonctionnelles et qu’elle ne l’aurait pas interrogée sur l’évolution de son état de santé entre 2014 et 2018. A la suite des juges du TAF, on constate que l’enquêtrice a mentionné le diagnostic d’épisode dépressif sévère dans la liste non exhaustive des principaux diagnostics et qu’elle a notamment fait état des douleurs que l’assurée ressentait dans les articulations en raison du traitement contre le cancer en relation avec l’entretien du logement. Elle s’est également renseignée au sujet de l’évolution de son état de santé puisqu’elle lui a demandé, pour chaque domaine d’activité, quels étaient les travaux habituels qu’elle était en mesure d’accomplir avant et après la survenance de l’atteinte à la santé en février 2014.

Quant à l’affirmation de l’assurée selon laquelle l’enquêtrice aurait pris en compte « à double titre » l’aide exigible de sa fille pour l’activité consistant à faire les courses, elle n’est pas davantage fondée. S’agissant des achats et courses diverses, on constate que l’enquêtrice a retenu un empêchement de 30% en raison, d’une part, du fait que depuis l’atteinte à la santé, l’assurée faisait les courses avec sa fille car elle n’aimait pas sortir seule et faisait des crises d’angoisse et, d’autre part, qu’elle ne prenait et portait que ce qui était léger, son fils achetant tout ce qui était lourd; dans ce contexte, l’enquêtrice a par ailleurs indiqué une aide exigible des membres de la famille de 30%. L’aide exigible des membres de la famille, à savoir celle de l’époux, ainsi que de la fille et du fils de l’assurée vivant sous le même toit, à hauteur de 28% au total, n’a pas été additionnée à l’aide exigible de 30% prise en compte pour les achats et courses diverses. Le Tribunal administratif fédéral a en effet dûment considéré que l’enquêtrice avait retenu un empêchement pondéré total sans exigibilité de 42% et un empêchement pondéré total avec exigibilité de 14%, compte tenu de l’aide exigible des membres de la famille à hauteur de 28% (soit 42% d’empêchement pondéré sans exigibilité – 14% d’empêchement pondéré avec exigibilité = 28% d’aide exigible des membres de la famille).

Consid. 6.2.3
En définitive, l’argumentation de l’assurée n’est pas suffisante pour mettre en évidence en quoi le Tribunal administratif fédéral aurait établi les faits de manière incomplète ou aurait procédé de manière arbitraire à une appréciation anticipée des preuves (à ce sujet, voir ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

Consid. 6.3
Enfin, les griefs de l’assurée tirés de la violation du principe de l’égalité de traitement, de la non-rétroactivité du droit et des art. 28a LAI et 69 al. 2 RAI, en ce que l’enquêtrice a évalué les empêchements qu’elle présentait dans l’accomplissement des travaux habituels en se fondant sur le tableau établi par l’OFAS dans sa version applicable dès le 01.01.2018 (comprenant désormais cinq domaines d’activités usuelles, soit l’alimentation, l’entretien du logement ou de la maison et la garde des animaux domestiques, les achats et courses diverses, la lessive et l’entretien des vêtements, ainsi que les soins et l’assistance aux enfants et aux proches; cf. ch. 3087 de la la Circulaire de l’OFAS sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI], dans sa teneur modifiée au 01.01.2018), ne sont pas davantage fondés.

L’adaptation de la notion de travaux habituels intervenue au 01.01.2018, dont l’objectif était de mettre plus clairement l’accent sur la notion d’invalidité propre à ouvrir le droit à une prestation spécifique, en concentrant l’examen sur les activités de base de chaque ménage, s’est traduite par le retrait des activités artistiques et d’utilité publique de la liste des activités usuelles accomplies par les personnes non invalides qui s’occupent du ménage (OFAS, Modification du règlement du 17 janvier 1961 sur l’assurance-invalidité [RAI] – Evaluation de l’invalidité pour les assurés exerçant une activité lucrative à temps partiel [méthode mixte] [Adaptations concernant l’application de la méthode mixte après l’arrêt 7186/09 du 2 février 2016 de la Cour européenne des droits de l’homme], Modification prévue pour le 01.01.2018, p. 13). Quoi qu’en dise l’assurée, en ce qu’elle se limite à affirmer qu’elle présentait des « empêchements importants dans les tâches qui ont disparu du tableau en 2018 », elle n’établit pas, pas plus qu’elle ne l’allègue, qu’elle accomplissait des activités artistiques et d’utilité publique avant la survenance de l’atteinte à la santé. Elle n’explique de plus pas en quoi le droit constitutionnel qu’elle invoque aurait été violé. Partant, son argumentation ne répond manifestement pas aux exigences de l’art. 42 al. 1 et 2 en relation avec l’art. 106 al. 2 LTF, de sorte qu’il n’y a pas lieu de l’examiner plus avant.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_484/2021 consultable ici