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9C_6/2024 (f) du 27.05.2024 – Délai légal de l’art. 57a LAI non prolongeable – Délai pour produire des rapports médicaux après le dépôt des objections au préavis

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_6/2024 (f) du 27.05.2024

 

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Délai légal de l’art. 57a LAI non prolongeable – Délai pour produire des rapports médicaux après le dépôt des objections au préavis

 

Dépôt d’une demande de prestations AI en février 2017. Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a diligenté une évaluation multidisciplinaire (rapport d’expertise du 26.05.2021). Par projet de décision du 11.12.2021, l’office AI a informé l’assuré qu’il entendait lui allouer trois quarts de rente d’invalidité du 01.10.2017 au 31.03.2018. Le 25.01.2022, l’assuré a formulé des objections à l’encontre de ce projet de décision, en indiquant qu’il allait produire des rapports médicaux. L’administration lui a octroyé un délai supplémentaire au 31.03.2022 pour faire part de ses éventuelles objections et transmettre tous documents permettant d’étayer ses arguments. À la demande de l’assuré (correspondance du 31.03.2022), l’office AI lui a accordé un ultime et dernier délai au 30.04.2022, en lui indiquant qu’aucune nouvelle prolongation ne serait accordée et qu’à l’échéance du délai prolongé, il prendrait position en tenant compte des éléments en sa possession (correspondance du 01.04.2022). Le 29.04.2022, l’assuré a sollicité une nouvelle prolongation du délai au 30.09.2022, en indiquant qu’il allait soumettre le rapport d’expertise à un expert indépendant, ce qui prenait du temps. Par décision du 20.07.2022, l’administration a reconnu le droit de l’assuré à trois quarts de rente d’invalidité du 01.10.2017 au 31.03.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 210/22-333/2023 – consultable ici)

Par jugement du 28.11.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
À la suite de l’instance cantonale, on rappellera que conformément à l’art. 57a al. 1 LAI, au moyen d’un préavis, l’office AI communique à l’assuré toute décision finale qu’il entend prendre au sujet d’une demande de prestations, ou au sujet de la suppression ou de la réduction d’une prestation déjà allouée ainsi que toute décision qu’il entend prendre au sujet d’une suspension à titre provisionnel des prestations. Selon l’al. 3 de cette disposition (introduit avec effet au 1er janvier 2021 [RO 2020 5143]), les parties peuvent faire part de leurs observations concernant le préavis dans un délai de 30 jours.

Consid. 4.1
À l’appui de son recours, l’assuré se prévaut d’une constatation manifestement inexacte des faits « en lien avec l’art. 57a al. 1 LAI », ainsi que d’une violation de son droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) et de son droit à un procès équitable (art. 6 par. 1 CEDH). Il reproche à l’instance précédente d’avoir admis que l’office intimé était fondé à statuer sur son droit à la rente sans au préalable lui avoir accordé une troisième prolongation de délai, à hauteur de cinq mois supplémentaires, alors qu’il avait déjà bénéficié de deux prolongations (d’abord jusqu’au 31.03.2022, puis jusqu’au 30.04.2022).

Consid. 4.2
Les griefs de l’assuré sont mal fondés. En effet, comme l’ont dûment exposé les juges cantonaux, le délai de 30 jours accordé aux parties par l’art. 57a al. 3 LAI pour faire part de leurs observations concernant les préavis rendus par les offices AI conformément à l’art. 57a al. 1 LAI est un délai légal non prolongeable (cf. ATF 143 V 71 consid. 4.3.4 sur l’art. 57a al. 3 Projet-LAI [FF 2011 5301, 5400 ch. 2]; cf. aussi arrêt 8C_557/2023 du 22 mai 2024 consid. 5.3.1), ce que l’assuré ne conteste du reste pas. À cet égard, l’argumentation de l’assuré selon laquelle il n’aurait pas sollicité une prolongation du délai légal de 30 jours, dès lors qu’il avait déposé des objections le 25.01.2022, ne peut pas être suivie, au regard déjà de la demande de prolongation y figurant ainsi que de ses courriers successifs des 31.03.2022 et 29.04.2022, dans lesquels il requiert expressément « une prolongation de délai ». Il affirme à ce propos que dans la mesure où il avait respecté le délai légal, il devait pouvoir, dans un deuxième temps, disposer du temps nécessaire à l’obtention des rapports médicaux afin de « compléter ses objections, par la mise en œuvre d’une contre-expertise », sous peine d’être « privé de la garantie du double degré de juridiction ». Or ce point de vue n’est pas pertinent dès lors déjà que la démarche annoncée par l’assuré le 25.01.2022 (« nous allons produire des rapports médicaux ») n’a apparemment pas été concrétisée plus avant au terme de la prolongation du délai accordée par l’office intimé au 30.04.2022. À ce moment-là, l’assuré s’est limité à requérir un nouveau délai, sans alléguer ni partant démontrer qu’il avait effectivement entrepris des démarches pour produire le rapport médical annoncé dans ses objections du 25.01.2022.

Au demeurant, l’argumentation de l’assuré ne met pas en évidence que les juges cantonaux auraient méconnu la portée de l’art. 57a al. 3 LAI, ni qu’ils auraient mal compris les raisons pour lesquelles le législateur a instauré cette règle légale, voire que celui-ci entendait faire une distinction entre un « délai pour adresser des objections » et un « délai pour compléter ses objections ». Il n’est dès lors pas nécessaire de se prononcer plus avant sur le changement législatif qui a modifié le système du délai d’ordre qui prévalait avant l’adoption de l’art. 57a al. 3 LAI (cf. art. 73ter al. 1 aRAI; ATF 143 V 71 consid. 4.3.5).

En tout état de cause, même dans l’hypothèse où le droit d’être entendu de l’assuré aurait été violé, cette violation aurait pu être guérie devant la juridiction cantonale, qui est dotée d’un plein pouvoir d’examen (à ce sujet, cf. arrêts 9C_23/2021 du 25 octobre 2021 consid. 5.2; 9C_205/2013 du 1er octobre 2013 consid. 1). Dans son écriture de recours devant le Tribunal fédéral, l’assuré admet en effet qu’il a obtenu en juillet 2023 le rapport médical qu’il avait sollicité pour contester l’expertise de la CRR, si bien qu’il lui aurait été loisible de produire le rapport médical annoncé durant la procédure de recours cantonal, comme l’ont exposé les juges cantonaux. Or le mandataire de l’assuré explique avoir « fait le choix délibéré de ne pas produire ce rapport » devant l’instance précédente. Un tel choix de renoncer à produire une preuve ne saurait conduire à admettre une « violation des garanties procédurales élémentaires » de l’assuré, dès lors déjà qu’il appartient aux parties d’exercer concrètement leur droit de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort du litige, droit précisément déduit de l’art. 29 Cst.

De plus c’est en vain que l’assuré produit ce rapport devant le Tribunal fédéral. Il s’agit en effet d’un « faux nova », qui n’a pas à être pris en considération par le Tribunal fédéral (cf. art. 99 al. 1 LTF; ATF 143 V 19 consid. 1.2; 134 V 223 consid. 2.2.1).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_6/2024 consultable ici

 

8C_557/2023 (f) du 22.05.2024 – Nouvelle demande AI – Plausibilité d’une aggravation de l’état de santé – 87 RAI / Délai légal de l’art. 57a LAI non prolongeable

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_557/2023 (f) du 22.05.2024

 

Consultable ici

NB : arrêt à 5 juges, non destiné à la publication

 

Nouvelle demande AI – Plausibilité d’une aggravation de l’état de santé / 87 RAI

Délai légal de l’art. 57a LAI (dans sa version dès le 1er janvier 2021) non prolongeable

 

Par décision du 07.03.2001, l’office AI a octroyé à l’assurée, née en 1968, une demi-rente d’invalidité à partir du 01.11.1998. Après avoir diligenté une expertise bidisciplinaire, l’office AI a, par décision du 28.09.2017, supprimé cette demi-rente d’invalidité au 01.11.2017.

Le 25.05.2022, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations auprès de l’office AI, arguant souffrir de douleurs corporelles diffuses sur une probable fibromyalgie, d’une hyperlaxité ligamentaire, d’une maladie des petites fibres à éliminer, d’un syndrome anxio-dépressif, d’un status post-chirurgie de la cheville droite en 2018 et de migraines. Statuant le 26.09.2022, l’office AI a refusé d’entrer en matière sur cette nouvelle demande, motif pris que l’assurée n’avait pas rendu plausible la péjoration de son état de santé.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 179 – consultable ici)

Par jugement du 06.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
En vertu de l’art. 87 al. 2 et 3 RAI, lorsque la rente a été refusée parce que le degré d’invalidité était insuffisant, la nouvelle demande ne peut être examinée que si l’assuré rend plausible que son invalidité s’est modifiée de manière à influencer ses droits. Cette exigence doit permettre à l’administration qui a précédemment rendu une décision de refus de prestations entrée en force d’écarter sans plus ample examen de nouvelles demandes dans lesquelles l’assuré se borne à répéter les mêmes arguments, sans alléguer une modification des faits déterminants (ATF 133 V 108 consid. 5.2; 130 V 64 consid. 5.2.3; 117 V 198 consid. 4b et les références). Lorsqu’elle est saisie d’une nouvelle demande, l’administration doit commencer par examiner si les allégations de l’assuré sont, d’une manière générale, plausibles. Si tel n’est pas le cas, l’affaire est liquidée d’entrée de cause et sans autres investigations par un refus d’entrer en matière (ATF 117 V 198 consid. 3a).

Consid. 3.2
Le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’autorité (cf. art. 43 al. 1 LPGA), ne s’applique pas à la procédure de l’art. 87 al. 3 RAI (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5). Eu égard au caractère atypique de celle-ci dans le droit des assurances sociales, le Tribunal fédéral a précisé que l’administration devait appliquer par analogie l’art. 73a RAI (cf. art. 43 al. 3 LPGA depuis le 1er janvier 2003) – qui permet aux organes de l’AI de statuer en l’état du dossier en cas de refus de l’assuré de coopérer – à la procédure régie par l’art. 87 al. 3 RAI, ce qui se justifiait aussi sous l’angle de la protection de la bonne foi (cf. art. 5 al. 3 et 9 Cst.). Ainsi, lorsqu’un assuré introduit une nouvelle demande de prestations ou une procédure de révision sans rendre plausible que son invalidité s’est modifiée, notamment en se bornant à renvoyer à des pièces médicales qu’il propose de produire ultérieurement ou à des avis médicaux qui devraient selon lui être recueillis d’office, l’administration doit lui impartir un délai raisonnable pour déposer ses moyens de preuve, en l’avertissant qu’elle n’entrera pas en matière sur sa demande pour le cas où il ne se plierait pas à ses injonctions. Cela présuppose que les moyens proposés soient pertinents, en d’autres termes qu’ils soient de nature à rendre plausibles les faits allégués.

Si cette procédure est respectée, le juge doit examiner la situation d’après l’état de fait tel qu’il se présentait à l’administration au moment où celle-ci a statué (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5; arrêts 8C_308/2015 du 8 octobre 2015 consid. 3.2 in fine, 9C_789/2012 du 27 juillet 2013 consid. 2.3 in fine et les arrêts cités). Cela signifie que des rapports médicaux produits postérieurement à la décision de non-entrée en matière ne peuvent pas être pris en considération par le juge, même s’ils auraient pu avoir une influence sur l’appréciation de l’autorité au moment où elle s’est prononcée (ATF 130 V 64 consid. 5; arrêts 9C_92/2020 du 17 mars 2020 consid. 3.2 in fine; 9C_51/2018 du 7 février 2019 consid. 3.4 in fine).

Consid. 3.3
L’art. 57a LAI – dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2021, applicable au cas d’espèce – dispose qu’au moyen d’un préavis, l’office AI communique à l’assuré toute décision finale qu’il entend prendre au sujet d’une demande de prestations, ou au sujet de la suppression ou de la réduction d’une prestation déjà allouée ainsi que toute décision qu’il entend prendre au sujet d’une suspension à titre provisionnel des prestation (al. 1, première phrase); l’assuré a le droit d’être entendu, conformément à l’art. 42 LPGA (al. 1, seconde phrase); les parties peuvent faire part de leurs observations concernant le préavis dans un délai de 30 jours (al. 3).

 

Consid. 5.1
En instance cantonale, l’assurée a reproché à l’office AI de ne pas avoir attendu un rapport de son psychiatre traitant avant de rendre sa décision de non-entrée en matière du 26.09.2022. A ce propos, les juges cantonaux ont constaté que dans son projet de décision du 25.07.2022, l’office AI avait informé l’assurée qu’elle disposait d’un délai de 30 jours pour transmettre les documents médicaux étayant sa nouvelle demande de prestations. L’assurée avait alors produit plusieurs avis médicaux, parmi lesquels un rapport du docteur C.__, spécialiste en anesthésiologie, qui indiquait avoir programmé un rendez-vous auprès du docteur D.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Le 05.09.2022, le curateur de l’assurée avait invité l’office AI à demander un rapport au docteur D.__, qui suivait l’assurée. Le 08.09.2022, ce même curateur avait informé l’office AI que ce psychiatre ne pouvait pas adresser de rapport avant le 15.09.2022; il demandait à l’office AI de patienter avant de statuer. Le 26.09.2022, ce dernier avait rendu sa décision de non-entrée en matière.

La cour cantonale a retenu qu’au vu de ces éléments, l’office AI était pleinement conscient que l’assurée était suivie par le docteur D.__. Cependant, il n’avait pas violé le droit d’être entendue de l’assurée. La décision de non-entrée en matière avait en effet été rendue plus de 40 jours après l’échéance du délai – légal (art. 57a al. 3 LAI) et non prolongeable – indiqué dans le projet de décision et plus de dix jours après l’échéance du terme indiqué par le curateur de l’assurée. Dans ce contexte, l’office AI avait pleinement donné à l’assurée la possibilité de fournir les moyens de preuve qu’elle entendait produire. En l’absence d’envoi du rapport annoncé du docteur D.__ ou d’une intervention de l’assurée au terme du délai indiqué, l’office AI était légitimé à rendre sa décision sans plus attendre, d’autant plus qu’à ce stade, il ne lui incombait pas de procéder à des mesures d’instruction, sous la forme d’un éventuel rappel au médecin concerné.

Consid. 5.2
L’assurée expose avoir déposé ses observations à l’encontre du projet de décision du 26.07.2022 dans le délai de l’art. 57a al. 3 LAI. A l’appui de son écriture, elle aurait produit plusieurs rapports médicaux, dont un avis du 18.08.2022 du docteur B.__, médecin praticien. Le SMR ne se serait toutefois pas prononcé sur cet avis dans son appréciation du 30.08.2022, ce qui serait déjà constitutif d’une violation du droit d’être entendu.

L’assurée soutient en outre avoir sollicité l’octroi d’un délai supplémentaire pour produire un rapport du docteur D.__. L’office AI aurait dû y donner suite, le curateur de l’assurée ne pouvant de surcroît pas être considéré comme un mandataire professionnel rompu à la procédure administrative. Par ailleurs, il serait notoire qu’il faudrait parfois un certain temps pour obtenir un rapport médical auprès d’un médecin. L’office AI n’aurait eu aucune raison de s’empresser de rendre sa décision quelques jours seulement après l’échéance du délai indiqué par l’assurée, sans avoir accusé réception de sa requête et sans avoir attiré son attention sur le fait que sans nouvelles de sa part, il serait statué en l’état du dossier. Dès lors que le juge de première instance ne peut pas prendre en compte des rapports postérieurs à la décision de non-entrée en matière, il aurait été d’autant plus nécessaire d’accorder à l’assurée le temps utile à la production d’un rapport du docteur D.__.

 

Consid. 5.3.1
Avant l’entrée en vigueur de l’art. 57a al. 3 LAI, le délai à disposition des parties pour déposer des observations sur un préavis de l’office AI était réglé à l’art. 73ter al. 1 RAI (abrogé avec effet au 1er janvier 2022), qui prévoyait que les parties pouvaient faire part à l’office AI de leurs observations sur le préavis dans un délai de 30 jours. Dans un arrêt publié aux ATF 143 V 71, le Tribunal fédéral a jugé que le délai de 30 jours de l’ancien art. 73ter al. 1 RAI – qui était alors encore en vigueur – était un délai d’ordre, prolongeable pour de justes motifs. Les juges fédéraux ont précisé que si le législateur souhaitait en faire un délai légal, et donc non prolongeable, il devait l’inscrire dans la loi (ATF 143 V 71 consid. 4.3.5), ce qui s’est produit avec l’adoption de l’art. 57a al. 3 LAI. Le délai de 30 jours, imposé aux parties pour faire part de leurs observations concernant les préavis des offices AI, est donc un délai légal depuis le 1er janvier 2021. Il n’est pas prolongeable, comme l’ont souligné à juste titre les juges cantonaux.

Consid. 5.3.2
En l’espèce, l’assurée a – par l’intermédiaire de son curateur – déposé ses observations sur le projet de décision du 25.07.2022 le 05.09.2022, soit dans le respect du délai légal de 30 jours, compte tenu des féries judiciaires du 15 juillet au 15 août (cf. art. 38 al. 4 let. b LPGA), ce que les parties ne contestent pas. Dans ce même délai de 30 jours, l’office AI a invité l’assurée à lui transmettre des rapports médicaux, dès lors que celle-ci n’en avait produit aucun à l’appui de sa nouvelle demande du 25.05.2022. Ce faisant, l’office AI lui a octroyé un délai raisonnable pour étayer cette nouvelle demande, ce qui lui a permis de déposer plusieurs avis médicaux portant essentiellement sur des lésions somatiques. S’agissant des troubles psychiques, force est de constater que l’assurée a d’abord demandé à l’office AI de solliciter lui-même un rapport du psychiatre traitant, ce à quoi il n’était pas tenu de donner suite dans le cadre d’une procédure non régie par le principe inquisitoire (cf. consid. 3.2 supra). Ensuite, l’assurée a certes évoqué l’envoi – pas avant le 15.09.2022 – d’un rapport du docteur D.__, mais sans que cette intention se soit concrétisée à cette date ou dans les jours suivants. Dans ces conditions et en l’absence d’une requête en ce sens de l’assurée, qui était représentée par un curateur professionnel, l’office AI n’avait pas à accorder un nouveau délai à l’assurée pour la production d’un rapport médical. Compte tenu des particularités régissant la procédure de l’art. 87 al. 3 RAI, l’office AI était au contraire fondé à rendre une décision de non-entrée en matière le 26.09.2022 sans attendre la production d’un rapport du psychiatre traitant. Il n’y a pas non plus de violation du droit d’être entendue de l’assurée du seul fait que le médecin du SMR ne s’est pas référé à un rapport du docteur B.__. Les griefs de l’assurée, mal fondés, doivent être rejetés.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_557/2023 consultable ici

 

8C_691/2023 (f) du 18.04.2024 – Calcul gain assuré pour un courtier en immobilier – Commissions et provisions / 23 al. 1 LACI – 37 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_691/2023 (f) du 18.04.2024

 

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Calcul gain assuré pour un courtier en immobilier – Commissions et provisions / 23 al. 1 LACI – 37 OACI

 

Assuré, né en 1970, a travaillé comme courtier en immobilier pour B.__ SA à compter du 01.05.2020. Le contrat d’engagement prévoyait une rémunération mensuelle fixe de 3’000 fr., versée douze fois l’an, ainsi qu’un taux de commissionnement calculé à raison de 25% de la commission nette d’agence pour les objets de revente, respectivement de 20% pour les ventes portant sur des programmes de promotions développés par l’employeur ou d’éventuels promoteurs. Le 26.05.2021, l’assuré a été licencié avec effet au 31.07.2021. Il s’est inscrit à l’Office régional de placement (ORP) comme demandeur d’emploi à 100% dès le 01.08.2021 et a sollicité l’octroi d’indemnités de chômage auprès de la caisse de chômage à partir de cette date. Le 03.11.2021, il a informé la caisse que durant sa période d’activité pour B.__ SA, il avait réalisé trois ventes, en septembre et novembre 2020 ainsi qu’en mars 2021.

Par décision du 29.03.2022, la caisse a fixé le montant de l’indemnité journalière à 396 fr. 55 dès le 02.08.2021, compte tenu d’un gain assuré de 10’756 fr. 20, arrondi à 10’756 fr., calculé sur la base des douze derniers mois d’engagement. Statuant le 30.11.2022, elle a rejeté l’opposition formée par l’assuré contre cette décision et a réformé celle-ci, en ce sens que le gain assuré s’élevait à 10’526 fr. 95.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 4/23-100/2023 – consultable ici)

Conformément à l’art. 37 al. 1 et 2 OACI, il convenait de déterminer si le salaire des six derniers mois (soit du 01.02.2021 au 31.07.2021) ou des douze derniers mois (soit du 01.08.2020 au 31.07.2021) devait être pris en considération pour fixer le gain assuré. Selon ses déclarations, l’assuré avait réalisé trois ventes pour B.__ SA durant sa période de travail. L’employeur avait précisé les montants perçus par l’assuré à titre de commission à partir du 01.08.2020, à savoir 36’153 fr. 70 et 13’425 fr. pour des contrats conclus respectivement les 22.09.2020 et 15.10.2020, et 50’000 fr. pour un acte conclu le 29.01.2021, soit un montant total de 99’578 fr. 70. Cette somme n’avait pas à être répartie au prorata sur les mois de mai à juillet 2020 – comme l’avait fait la caisse de chômage – mais devait uniquement être prise en compte à titre de revenu dans le cadre de la période de référence pertinente, laquelle avait débuté au plus tôt le 01.08.2020. La prime Covid de 500 fr. versée à l’assuré en décembre 2020, assimilable à une prime spéciale, ne pouvait en revanche pas être prise en considération.

Procédant au nouveau calcul du gain assuré, la juridiction cantonale a retenu qu’en tenant compte d’une période de référence de six mois, l’assuré n’avait touché aucune commission ni prime, de sorte que seul le salaire mensuel de 3’000 fr. devait être pris en compte. Ce montant correspondait ainsi au gain assuré. En se basant sur une période de référence de douze mois, il convenait d’ajouter au salaire fixe mensuel de 3’000 fr. le montant des commissions perçues par l’assuré pour ses trois ventes des, ce qui représentait un gain annuel de 135’578 fr. 70 (36’000 fr. + 99’578 fr. 70), soit un gain assuré arrondi de 11’298 fr. 25. Il ressortait ainsi du calcul comparatif que le gain assuré le plus élevé était celui relatif aux douze derniers mois de salaire.

Par jugement du 13.09.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision en ce sens que le gain assuré a été fixé à 11’298 fr. 25.

 

TF

Consid. 3
L’arrêt attaqué expose de manière complète les dispositions légales et la jurisprudence relatives à la notion de gain assuré et à son calcul (art. 23 al. 1 LACI et 37 OACI), en particulier s’agissant de la prise en compte de commissions et de provisions au regard du principe de la survenance (ATF 122 V 367 consid. 5b; cf. aussi arrêt 8C_246/2021 du 2 juillet 2021 consid. 4.2 et les arrêts cités). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 5.1
L’assuré reproche aux juges cantonaux d’avoir omis de prendre en compte, dans le calcul du salaire des douze derniers mois d’activité, un montant de 11’809 fr. 30, qui correspondrait à des commissions moyennes pour les mois de juin et juillet 2021 versées dans le cadre de son licenciement. Ce montant brut s’obtiendrait à partir d’un montant net de 10’987 fr. 35, qui figurerait sur un décompte de salaire du 25 août 2021 produit en instance cantonale, et conduirait à un revenu annuel de 147’388 fr., qui donnerait un gain assuré de 12’282 fr. 30.

Consid. 5.2
Le décompte de salaire du 25.08.2021 fait état de « commissions ventes (commissions moyennes juin et juillet 2021)  » équivalentes à un salaire net de 15’566 fr. 70 et à un salaire payé (après soustraction d’un « salaire négatif juillet 2021 ») de 10’987 fr. 35. Ce décompte ne mentionne pas à quelle (s) vente (s) ces commissions se rapportent et l’assuré ne le précise pas. Or, celui-ci ne conteste pas avoir réalisé en tout et pour tout trois ventes pour le compte de son ancien employeur, pour un montant total de commissions de 99’578 fr. 70. Ce montant a été intégralement pris en compte par la cour cantonale pour fixer le gain annuel déterminant, ce que l’assuré ne dément pas non plus. En l’absence d’une vente supplémentaire réalisée par celui-ci durant les douze derniers mois de son engagement, on ne voit pas à quelle commission supplémentaire il pourrait prétendre. Au vu des faits constatés par l’instance cantonale et à défaut d’éclaircissements de la part de l’assuré, tout porte à croire que les « commissions moyennes juin et juillet 2021 » correspondent à une partie des commissions touchées par l’assuré pour les trois ventes réalisées entre septembre 2020 et janvier 2021. Les premiers juges n’ont donc pas établi les faits de manière arbitraire et leur arrêt échappe à la critique, de sorte que le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_691/2023 consultable ici

 

9C_513/2023 (f) du 08.04.2024 – Restitution par les héritiers de rentes de vieillesse indûment perçues / 25 LPGA – 2 OPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_513/2023 (f) du 08.04.2024

 

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Restitution par les héritiers de rentes de vieillesse indûment perçues / 25 LPGA – 2 OPGA

 

B.__, né en 1938, a perçu dès le 01.08.2003 une rente de vieillesse de l’AVS. L’assuré est retourné vivre en Espagne, où il est décédé en mars 2015. La caisse de compensation a continué à verser la rente de vieillesse sur le compte de feu l’assuré sur la foi de certificats d’existence en vie, d’état civil et de domicile établis les 24.11.2015, 18.11.2016 et 28.11.2017 et assortis d’un timbre de la ville de domicile du défunt.

Après avoir eu connaissance du décès de feu l’assuré le 29.08.2018, la caisse de compensation a réclamé à chacun des trois enfants du défunt (A.__, C.__ et D.__) la restitution intégrale d’un montant de 87’576 fr., correspondant à 41 rentes d’un montant mensuel de 2’136 fr. versées indûment du 01.04.2015 au 31.08.2018 (décisions du 20.02.2019). A cette occasion, la caisse de compensation a également informé les intéressés de la possibilité de demander une remise de la somme à restituer dans les trente jours à compter de l’entrée en force de la décision de restitution. Le 28.02.2019, A.__ a formé opposition à la décision de restitution, en demandant à être « totalement désolidarisé de cette affaire ». La caisse de compensation a rejeté l’opposition du prénommé et confirmé sa décision du 20.02.2019 le concernant (décision sur opposition du 17.05.2019).

 

Procédure cantonale (arrêt C-2998/2019 – consultable ici)

Par jugement du 27.06.2023, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 2.1
Le litige porte sur l’obligation du recourant de restituer le montant de 87’576 fr., correspondant aux rentes de vieillesse versées indûment par la caisse de compensation sur le compte de feu son père en vertu des art. 25 al. 1, 1re phrase, LPGA et 2 al. 1 let. a OPGA. Compte tenu des motifs et conclusions du recours, est seule litigieuse la question de savoir si cette obligation est opposable à A.__.

Le prénommé ne conteste pas le caractère indu des rentes versées d’avril 2015 à août 2018 (soit dès le mois suivant celui au cours duquel est survenu le décès de son père; cf. art. 21 al. 2 LAVS; arrêt H 339/01 du 17 juin 2002 consid. 4b), ni le montant à restituer. Il ne prétend pas non plus que la caisse de compensation n’aurait pas respecté les délais de péremption relatif (d’une année dès la connaissance le 29.08.2018 du décès de B.__ survenu mars 2015) et absolu (de cinq ans après le versement des prestations servies dès avril 2015) prévus par l’art. 25 al. 2 LPGA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, applicable en l’espèce (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1).

Consid. 2.2
A la suite des juges précédents, on rappellera que selon l’art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile. Aux termes de l’art. 2 al. 1 let. a OPGA, sont soumis à l’obligation de restituer le bénéficiaire des prestations allouées indûment ou ses héritiers.

 

Consid. 3.2.1
Comme l’a dûment exposé l’instance précédente, l’art. 2 al. 1 let. a OPGA concrétise la jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances, selon laquelle la dette de la personne tenue à restitution passe aux héritiers – sauf répudiation de la succession – au décès de cette dernière (ATF 105 V 82 consid. 3; 96 V 73 consid. 1), même lorsque l’administration n’a pas fait valoir la créance en restitution du vivant de la personne tenue à restitution (ATF 129 V 70 consid. 3 et l’arrêt cité). En effet, les droits et les obligations pécuniaires du de cujus qui ressortissent au droit public sont transmis aux héritiers avec le reste de son patrimoine; par conséquent, la dette en restitution du défunt devient une dette personnelle des héritiers. L’obligation de restitution du de cujus passe aux héritiers (à condition qu’ils acceptent la succession) même lorsqu’elle n’a pas encore fait l’objet d’une décision; il suffit pour cela que la dette découle d’un rapport de droit que l’assuré a créé de son vivant. En vertu du principe de l’universalité de la succession, les héritiers peuvent, même dans ce cas, être recherchés personnellement pour l’entier de la dette (rapport externe; arrêt P 32/06 du 14 novembre 2006 consid. 3.3 et les références citées). Celui des héritiers qui restitue effectivement le montant indûment perçu est libre, dans un second temps, d’intenter une action récursoire contre les autres héritiers (ici, le frère et la sœur du recourant) afin qu’ils assument leur part de la dette (rapport interne).

Consid. 3.2.2
Le recourant ne conteste pas les considérations de la juridiction de première instance sur le droit des successions espagnol, en particulier sur le principe de la succession universelle et sur la dévolution successorale, ni celles selon lesquelles il a accepté purement et simplement de manière tacite la succession de feu son père et doit être considéré comme son héritier au sens de l’art. 2 al. 1 let. a OPGA.

En conséquence, dès lors que la créance en restitution porte sur des prestations versées (en trop) à B.__ pour la période allant du 01.04.2015 au 31.08.2018 et relève d’un rapport de droit créé du vivant de celui-ci (à savoir la décision du 11.07.2003 portant sur la rente de vieillesse à partir du 01.08.2003), l’obligation de restitution a passé au recourant, même si c’est après le décès de feu l’assuré que les prestations ont été versées de manière indue et que la décision de restitution a été prise par la caisse de compensation, comme l’ont dûment exposé les juges précédents.

Consid. 3.2.3
Par ailleurs, c’est en vain que le recourant se prévaut des « agissements » de sa soeur. Etant donné que le principe de la restitution prévue par l’art. 25 al. 1, 1re phrase, LPGA doit permettre de rétablir l’ordre légal après la découverte du fait nouveau, il n’est tempéré ni par une éventuelle absence de violation de l’obligation de renseigner ni par un élément d’ordre subjectif comme la faute; ces questions ne se posent que dans le cadre d’un éventuel examen sur la remise de la somme à restituer (cf. ATF 139 V 6 consid. 3; 132 V 134 consid. 2e), qu’il est loisible au recourant de demander dans les 30 jours à compter du prononcé du présent arrêt (cf. art. 25 al. 1, 2e phrase, LPGA et art. 4 al. 4 OPGA).

Consid. 3.3
En définitive, il n’y a pas lieu de s’écarter de la conclusion de la juridiction précédente, selon laquelle le recourant est tenu de restituer le montant de 87’576 fr. versé indûment par la caisse de compensation à feu son père en vertu des art. 25 al. 1, 1re phrase, LPGA et 2 al. 1 let. a OPGA. Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 9C_513/2023 consultable ici

 

8C_384/2023 (d) du 04.04.2024 – Troubles psychiques – Plaie au visage par une tronçonneuse – Causalité adéquate niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_384/2023 (d) du 04.04.2024

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité et troubles psychiques / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Plaie au visage par une tronçonneuse – Accident de gravité moyenne stricto sensu – Circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou caractère particulièrement impressionnant de l’accident pas présent de de manière particulièrement marquante

Causalité adéquate niée / 6 LAA

 

Assuré, né en 1960, ouvrier qualifié du bâtiment depuis le 01.12.1982. Le 28.02.2019, lors d’un accident de travail avec la tronçonneuse à moteur, il a subi une coupure complexe dans la partie droite du visage, qui a été traitée chirurgicalement le jour même à la clinique de chirurgie plastique et de chirurgie de la main de l’hôpital C.__.

Par courrier du 23.04.2020, l’assurance-accidents a informé l’assuré de la fin de la prise en charge des frais de traitement médical et des indemnités journalières au 31.05.2020. Par décision du 05.05.2020, elle a nié le droit à une rente d’invalidité et a précisé que le montant de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité serait décidé ultérieurement. Par décision sur opposition du 28.08.2020, entrée en force, l’assurance-accidents a maintenu sa position.

Par décision du 09.03.2021, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une IPAI de 5%. Dans le cadre de la procédure d’opposition, l’administration a annulé la décision litigieuse et a procédé à des examens médicaux complémentaires. Par nouvelle décision du 11.02.2022, confirmée sur opposition le 20.06.2022, l’assurance-accidents a confirmé l’IPAI de 5%.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2022.00135 – consultable ici)

Par jugement du 27.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
En ce qui concerne les limitations psychiques invoquées comme atteinte à l’intégrité, l’instance cantonale a laissé ouverte la question du lien de causalité naturelle et a examiné la causalité adéquate selon la jurisprudence relative aux conséquences psychiques d’un accident (ATF 115 V 133). Ce faisant, elle s’est basée sur un accident de gravité moyenne stricto sensu et a considéré que, parmi les critères pertinents, tout au plus celui des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques était rempli, mais pas de manière particulièrement marquée. Selon le tribunal cantonal, le lien de causalité adéquate entre l’accident et les troubles psychiques dont se plaint l’assuré n’étant pas établi, aucune IPAI ne pouvait être versée. Il a ajouté que – partant d’un accident de gravité moyenne – le critère de la durabilité d’une atteinte à l’intégrité psychique, nécessaire pour avoir droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité, devait également être nié.

Consid. 3.2.1
Selon la jurisprudence, pour procéder à la classification de l’accident, il faut uniquement se fonder, d’un point de vue objectif, sur l’événement accidentel lui-même et les forces générées par l’accident. Les conséquences de l’accident ou les circonstances concomitantes qui ne peuvent pas être directement attribuées à l’accident ne sont pas pertinentes ; de tels facteurs doivent être pris en compte, le cas échéant, dans les critères objectifs pour juger du caractère adéquat du lien de causalité (ATF 148 V 301 consid. 4.3.1 et les références).

Consid. 3.2.2
L’événement a été un accident de travail avec la tronçonneuse à moteur, au cours duquel la lame de celle-ci s’est coincée dans la glissière de sécurité, a rebondi et a occasionné à l’assuré, équipé d’un équipement de protection complet (vêtements de protection/casque/lunettes de protection/chaussures de sécurité), une large coupure dans la moitié droite du visage. Au regard de la jurisprudence, l’assurance-accidents a qualifié cet événement d’accident de gravité moyenne stricto sensu, ce que l’instance cantonale a confirmé au vu du déroulement objectif de l’accident. Le caractère particulièrement impressionnant du déroulement de l’accident ainsi que les lésions, a fortiori les blessures qu’il aurait pu avoir, ne sont pas pris en considération dans la classification de l’accident dans l’une des trois catégories prévues par la jurisprudence mais sont pris en compte, le cas échéant, dans les critères objectifs pour juger du caractère adéquat du lien de causalité (cf. également l’arrêt 8C_596/2022 du 11 janvier 2023 consid. 4.4.1 et les références). Il ne saurait ainsi être question d’une violation du droit lors de la classification de l’événement accidentel.

 

Consid. 3.3
De manière générale, lorsque l’on se trouve en présence d’un accident de gravité moyenne stricto sensu, il faut un cumul de trois critères sur les sept, ou au moins que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa ; SVR 2019 UV n° 41 p. 155, 8C_632/2018 consid. 8.3 ; 2013 UV n° 3 p. 7, 8C_398/2012 consid. 6 ; arrêt 8C_581/2022 du 15 juin 2023 consid. 5.3 et les références).

Consid. 3.3.1
L’assuré considère que le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident est présent – tout comme l’assurance-accidents et l’instance cantonale – de manière particulièrement marquante.

Consid. 3.3.2
L’examen du critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances d’espèce et non en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse. Il faut en effet observer qu’à tout accident de gravité moyenne est associé un certain caractère impressionnant, lequel ne suffit pas pour admettre l’existence du critère en question (ATF 148 V 301 consid. 4.4.3 et les références). Le critère peut être considéré comme rempli lorsqu’il y avait objectivement une menace directe pour la vie (arrêts 8C_703/2022 du 1er septembre 2023 consid. 4.3 ; 8C_500/2022 du 4 mai 2023 consid. 5.2.3 ; 8C_799/2008 du 11 février 2009 consid. 3.2.3).

L’assuré affirme que des artères ou les yeux auraient pu être touché, ce qui aurait pu entraîner la mort ou la perte de la vue. Il n’invoque toutefois pas de circonstances objectives mettant directement en danger sa vie, et aucun élément du dossier médical ne permet de l’affirmer. Le recours ne démontre pas dans quelle mesure le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident, ou encore au moins deux autres critères d’adéquation, seraient remplis.

Consid. 3.4
En résumé, la conclusion de l’instance cantonale, selon laquelle d’éventuels troubles psychiques ne sont pas en lien de causalité adéquate avec l’accident du 28.02.2019 et ne donnent par conséquent pas droit à une indemnité (plus élevée) pour atteinte à l’intégrité, est conforme au droit fédéral.

 

Consid. 4.1
S’agissant de l’atteinte à l’intégrité physique, la cour cantonale a retenu qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 5% se justifiait pour la cicatrice, qui s’étendait sur l’aile droite du nez selon un angle similaire à celui du sillon nasogénien et n’entraînait pas de défiguration grave du visage, ainsi que pour les paresthésies et les hypoesthésies. En ce qui concerne les sécrétions nasales aqueuses invoquées par l’assuré, respectivement la rhinopathie vasomotrice, l’instance cantonale a estimé que le lien de causalité naturelle n’avait pas été établi à satisfaction de droit.

Consid. 4.2.2
En ce qui concerne la cicatrice sur l’aile droite du nez et les paresthésies et hypoesthésies, le tribunal cantonal a exposé de manière concluante que l’atteinte à l’intégrité avait été fixée à juste titre à 5% sur la base des évaluations médicales internes à l’assurance ayant pleine valeur probante. Cela n’est pas contesté de manière substantielle par l’assuré et, au vu de l’annexe 3 de l’OLAA et de la table 18 de la Suva (« Atteinte à l’intégrité en cas de lésions de la peau « ), ne donne pas lieu à d’autres développements.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_384/2023 consultable ici

 

Remarques/Commentaires

Sur la base des éléments ressortant de l’arrêt du Tribunal fédéral, l’examen de la causalité adéquate peut paraître rigoureux.

De l’arrêt cantonal, il ressort que les diagnostics initiaux concernaient une blessure complexe au visage droit avec ouverture du sinus maxillaire, section de la lèvre supérieure droite sur toutes ses couches, et ouverture de la paroi latérale du nez. Le dermatologue a noté que la cicatrisation était très réussie du point de vue dermatologique, avec encore diverses possibilités d’améliorer la cicatrice.

En comparant ces éléments à ceux de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_96/2017 du 24 janvier 2018 (notamment une plaie buccale d’environ 11 cm et une plaie sur la joue et la parotide dépassant les 25 cm), l’analyse dans l’arrêt du 4 avril 2024 semble appropriée.

Cependant, cet arrêt illustre la difficulté à faire reconnaître des troubles psychiques liés à un accident.

 

Proposition de citation : 8C_384/2023 (d) du 04.04.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/06/8c_384-2023)

 

 

9C_453/2023 (f) du 03.05.2024 – Délai de 30 jours pour faire part des observations concernant un préavis de l’office AI – 57a al. 3 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_453/2023 (f) du 03.05.2024

 

Consultable ici

 

Délai de 30 jours pour faire part des observations concernant un préavis de l’office AI / 57a al. 3 LAI

 

Assurée, née en 1972, bénéficiaire d’une rente entière de l’assurance-invalidité depuis le 01.06.2020, a requis l’octroi d’une allocation pour impotent le 20.01.2021. Elle a indiqué qu’elle avait besoin de soins médicaux dispensés quotidiennement par le Centre B.__ depuis décembre 2020 pour la nutrition par cathéter et d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie, dans la mesure où son époux assumait la totalité des tâches ménagères.

L’office AI a mis en œuvre une enquête destinée à évaluer l’impotence de l’assurée. Dans son rapport du 30.09.2021, l’enquêtrice a retenu que l’assurée avait besoin d’aide pour l’accomplissement de deux actes ordinaires de la vie (manger et faire sa toilette) et de soins permanents depuis décembre 2020.

Dans un projet de décision du 01.12.2021, l’office AI a informé l’assurée qu’il entendait lui octroyer une allocation pour impotent de degré faible depuis ce jour-là. Le 10.01.2022, à la demande de l’assurée, l’administration lui a accordé un délai au 11.02.2022 pour compléter ses objections, précisant qu’aucune nouvelle prolongation ne serait accordée. Le 09.02.2022, l’assurée a sollicité une ultime prolongation du délai, de deux mois, requête à laquelle l’office AI a opposé un refus le 24.02.2022. Le 01.03.2022, il a alloué à l’assurée une allocation pour impotent de degré faible à partir du 01.12.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 82/22 – 161/2023 – consultable ici)

Par jugement du 08.06.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
L’assurée se plaint ensuite d’une violation de son droit d’être entendue en lien avec l’art. 57a al. 3 LAI. Elle soutient qu’elle aurait dû bénéficier d’une prolongation du délai de 30 jours pour se déterminer sur le préavis de l’office AI comme elle l’avait requis. À son avis, il faudrait distinguer d’une part le délai légal pour déposer des objections (« délai pour objecter »), qu’elle a respecté et, d’autre part le délai destiné à compléter ses objections, qui découlerait d’un « usage » (ce qui ne lui a pas été accordé). Le refus de l’office AI de lui accorder la (deuxième) et « ultime prolongation sollicitée » occulterait l’existence, à ce stade de la procédure, d’une inégalité de traitement entre les assurés et les assureurs, ces derniers disposant de ressources importantes pour obtenir des avis médicaux, dont elle ne bénéficie pas. Son droit d’être entendue n’aurait dès lors pas été respecté en raison du refus de l’office AI de lui accorder une prolongation de délai pour compléter ses objections.

Consid. 5.2
Selon l’art. 57a al. 3 LAI (en vigueur depuis le 1er janvier 2021; RO 2020 5137), les parties peuvent faire part de leurs observations concernant le préavis dans un délai de 30 jours. Se référant aux travaux préparatoires (cf. Message du Conseil fédéral du 2 mars 2018 concernant la modification de la LPGA [FF 2018 1597, 1636]), l’instance cantonale a retenu que le législateur ne voulait pas prolonger le délai de préavis de 30 jours, lequel a dès lors été inscrit dans la loi.

L’argumentation de l’assurée ne met pas en évidence que les juges cantonaux auraient méconnu la portée de l’art. 57a al. 3 LAI, ni qu’ils auraient mal compris les raisons pour lesquelles le législateur a instauré cette règle légale, voire que celui-ci entendait faire une distinction entre un « délai pour objecter » et un « délai pour compléter ses objections ». Cela étant, il n’est pas nécessaire de se prononcer plus avant sur le changement législatif qui a modifié le système du délai d’ordre qui prévalait avant l’adoption de l’art. 57a al. 3 LAI (cf. art. 73ter al. 1 aRAI; ATF 143 V 71 consid. 4.3.5). En effet, l’assurée a été en mesure de produire, devant la juridiction cantonale, les pièces médicales dont elle ne disposait pas encore à l’échéance de la prolongation du délai que lui avait accordé l’office AI pour se déterminer sur le préavis du 01.12.2021. Elle a donc eu l’occasion de se prononcer et de produire des moyens de preuve devant une autorité de recours de première instance dotée d’un plein pouvoir d’examen (cf. art. 61 let. c LPGA). Dans ces circonstances, à supposer que le droit d’être entendue de l’assurée ait été violé, les juges cantonaux ont guéri cette atteinte (sur les conditions d’une telle guérison, ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 et les références). Le grief tiré de la violation du droit d’être entendue est dès lors également mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_453/2023 consultable ici

 

8C_682/2023+8C_695/2023 (f) du 24.04.2024 – Stabilisation de l’état de santé / Pas d’abattement pour un ressortissant étranger, avec un permis C, en Suisse depuis 36 ans, maîtrisant mal le français – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2023+8C_695/2023 (f) du 24.04.2024

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Abattement sur le revenu d’invalide / 16 LPGA

Pas d’abattement pour un ressortissant étranger, avec un permis C, en Suisse depuis 36 ans, maîtrisant mal le français

 

A.__, né en 1961, ressortissant italien installé en Suisse depuis 1984, a travaillé depuis avril 2016 en tant que manœuvre de chantier. Le 11.07.2016, il s’est blessé à la cheville droite après avoir sauté d’un échafaudage d’une hauteur d’environ un mètre. Le jour même, il a été transporté à l’hôpital, où une radiographie a mis en évidence une fracture multifragmentaire du calcanéum avec une atteinte intra-articulaire. Le 28.07.2016, l’assuré s’est soumis à une réduction ouverte et ostéosynthèse. Dans le contexte d’une évolution défavorable de son état de santé (douleurs persistantes, arthrose sous-talienne et oedème), il a subi le 07.03.2017 une ablation d’une partie du matériel d’ostéosynthèse, en raison d’une suspicion d’un conflit entre une vis et l’articulation. Le 22.08.2017, une nouvelle ablation du matériel d’ostéosynthèse, avec libération des péroniers, a été pratiquée. En raison de la persistance d’une symptomatologie douloureuse, l’assuré a été adressé à la doctoresse C.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. Le 15.11.2019, celle-ci a réalisé une quatrième intervention chirurgicale (névrectomie du nerf sural et arthrodèse sous-talienne droite).

Dans un rapport du 21.12.2020, la médecin-conseil de l’assurance-accidents a estimé que l’état de santé de l’assuré était stabilisé et que celui-ci disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, qu’elle a décrites. Elle a en outre évalué l’IPAI à 15%. Sur cette base, l’assurance-accidents a fait savoir à l’assuré qu’elle mettait un terme au paiement de l’indemnité journalière et des frais médicaux – à l’exception d’un traitement symptomatique en cas de besoin – au 31.01.2021.

Par décision du 11.01.2021, confirmée sur opposition le 31.03.2021, l’assurance-accidents, confirmant la stabilisation de l’état de santé au 31.01.2021, a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et lui a alloué une IPAI de 15%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 27.08.2015, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente d’invalidité fondée sur un taux de 10%.

 

TF

Stabilisation de l’état de santé

Consid. 3.1.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase). Il appartient ainsi à l’assureur-accidents de clore le cas en mettant fin aux frais de traitement ainsi qu’aux indemnités journalières, et en examinant le droit à une rente d’invalidité et à une IPAI (ATF 144 V 354 consid. 4.1; 143 V 148 consid. 3.1.1; 134 V 109 consid. 4.1). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Ni la possibilité lointaine d’un résultat positif de la poursuite d’un traitement médical, ni un progrès thérapeutique mineur à attendre de nouvelles mesures – comme une cure thermale – ne donnent droit à sa mise en œuvre. Il ne suffit pas non plus qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_176/2023 du 6 décembre 2023 consid. 3 et les arrêts cités).

Consid. 3.1.2
Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA (RS 830.1) ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.6 et 4.7; arrêt 8C_816/2021 du 2 mai 2022 consid. 3.2 et l’arrêt cité).

Consid. 3.4
L’assuré a subi quatre opérations, la dernière le 15.11.2019, qui s’est déroulée sans complications. Dans son rapport du 25.06.2020, le premier médecin-conseil a certes constaté le développement d’une hypoanesthésie dans le territoire du nerf sural droit, avec paresthésies relativement gênantes, ainsi que d’une arthrose calcanéo-cuboïdienne droite; dans l’attente des prochaines consultations et d’une éventuelle arthrodèse calcanéo-cuboïdienne qui avait été évoquée, le cas n’était pas encore stabilisé. Ensuite de cette évaluation, ni la chirurgienne traitant ni aucun autre médecin n’ont toutefois proposé de pratiquer une nouvelle intervention ou d’introduire un nouveau traitement médical, en dehors de l’utilisation d’une nouvelle chaussure orthopédique conseillée par la chirurgienne traitant, laquelle a, dans son avis du 12.11.2020, indiqué ne pas envisager d’ablation du matériel d’ostéosynthèse. Cette spécialiste n’a pas non plus fait état de mesures thérapeutiques susceptibles d’améliorer la capacité de travail de sa patiente, ni, plus généralement, d’éléments médicaux qui auraient été ignorés par la seconde médecin-conseil. Celle-ci a du reste rendu un rapport complet et motivé, fondé sur l’ensemble du dossier médical de l’assuré et prenant notamment en compte les avis de la chirurgienne traitant, en particulier celui du 12.11.2020. Contrairement à ce que laisse entendre l’assuré, l’appréciation de la médecin-conseil est cohérente avec celle de son confrère et collègue émise six mois auparavant, celui-ci ayant considéré le cas comme non stabilisé au seul motif d’une éventuelle intervention à venir, laquelle n’a finalement pas été réalisée. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont considéré à juste titre que l’état de santé de l’assuré était stabilisé au 31.01.2021, étant entendu que la prescription de séances de physiothérapie et d’ergothérapie n’était pas suffisante pour admettre la perspective d’une sensible amélioration de la situation médicale de l’intéressé.

 

Revenu d’invalide

Consid. 4.1.2.1
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 4.1.2.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb; arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Consid. 4.1.2.3
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 4.3
L’assurance-accidents estime qu’il n’y aurait pas eu lieu de procéder à un abattement sur le revenu d’invalide.

Consid. 4.3.1
La cour cantonale a considéré que les limitations fonctionnelles de l’assuré étaient assez classiques et qu’elles avaient déjà été prises en considération dans la détermination des activités adaptées. Cela étant, l’assuré, titulaire d’une autorisation d’établissement (permis C), était de nationalité italienne et était âgé de 59 ans et 10 mois au moment du prononcé de la décision sur opposition du 31.03.2021. Il présentait des lacunes importantes en français, avait été absent du marché du travail depuis son accident de juillet 2016 et ne disposait d’aucune formation particulière ni expérience professionnelle dans un autre domaine que celui du bâtiment, dans lequel il ne pouvait plus exercer. Le tribunal cantonal a estimé que l’interdépendance de ces facteurs personnels et professionnels devaient conduire à retenir un abattement sur le revenu d’invalide. Le profil de l’assuré ne lui permettait pas de compenser son handicap et il était vraisemblable que les circonstances personnelles et professionnelles influassent sur ses perspectives salariales et entraînassent un net désavantage par rapport à des travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels. Aussi, une déduction de 10% sur le revenu d’invalide se justifiait.

L’assurance-accidents, qui se plaint d’une violation de l’art. 16 LPGA, soutient qu’en application de la jurisprudence, aucun critère relevé par les juges cantonaux ne permet d’appliquer le moindre abattement sur le revenu d’invalide.

Consid. 4.3.2
C’est à bon droit que la cour cantonale a exclu tout abattement en raison des restrictions fonctionnelles, qui ont déjà été prises en considération pour déterminer la capacité de travail de l’assuré dans une activité adaptée à son état de santé. Le niveau de compétence 1 de l’ESS contient en effet de nombreux emplois avec des tâches simples et légères compatibles avec ces restrictions, lesquelles n’apparaissent pas particulièrement sévères (pas de marche prolongée ou en terrain irrégulier, pas de port de charges supérieures à 10-15 kilos de manière répétée, pas d’activité à genoux ou en position accroupie et pas d’utilisation du membre inférieur droit en porte-à-faux).

S’agissant du critère de la nationalité, l’assuré, au bénéfice d’un permis d’établissement, vivait en Suisse depuis plus de 36 ans au moment de la décision sur opposition. Au vu des activités simples du niveau de compétence 1, on ne saurait retenir que ses perspectives de gain seraient moindres que celles d’un travailleur ayant la nationalité suisse (cf. ATF 126 V 75 consid. 5a/cc; arrêts 8C_454/2023 du 19 décembre 2023 consid. 5.4; 8C_883/2015 du 21 octobre 2016 consid. 6.3.2; 8C_738/2012 du 20 décembre 2012 consid. 6.2), quand bien même il maîtriserait mal le français et n’aurait pas de formation dans les activités en question, qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifiques (cf. arrêts 8C_454/2023 précité consid. 5.4; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2; 9C_550/2019 du 19 février 2020 consid. 4.3; 9C_898/2017 du 25 octobre 2018 consid. 3.4).

En ce qui concerne l’âge, le Tribunal fédéral n’a pas encore tranché le point de savoir si, dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, ce critère constitue un critère d’abattement ou si l’influence de l’âge sur la capacité de gain doit être prise en compte uniquement dans le cadre de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA (ATF 148 V 419 consid. 8.3 et les arrêts cités). Autrement dit, le Tribunal fédéral a laissé ouvert le point de savoir si lorsque comme en l’espèce, cette disposition ne trouve pas application, l’âge peut être pris en considération dans la fixation de l’abattement. En l’occurrence, la juridiction cantonale n’a pas exposé – et on ne voit pas – en quoi les perspectives salariales de l’assuré seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré en raison de son âge, d’autant moins que les emplois non qualifiés (qui correspondent à ceux du niveau de compétence 1) sont, en règle générale, disponibles indépendamment de l’âge de l’intéressé sur un marché du travail équilibré (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1; arrêts 8C_559/2022 du 21 mars 2023 consid. 4.2.3; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2 et la référence citée).

Enfin, l’éloignement du marché du travail depuis l’accident de 2016 ne suffit pas à justifier une déduction sur le revenu d’invalide, dans la mesure où l’assuré a régulièrement travaillé, auprès de différents employeurs, depuis son arrivée en Suisse en 1984.

Consid. 4.3.3
Au vu de ce qui précède, la cour cantonale a violé le droit en procédant à un abattement sur le revenu d’invalide issu de l’ESS. Le grief de l’assurance-accidents s’avère ainsi bien fondé et le droit de l’assuré à une rente d’invalidité doit être nié.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré (8C_695/2023) et admet le recours de l’assurance-accidents (8C_682/2023).

 

Arrêt 8C_682/2023+8C_695/2023 consultable ici

 

9C_680/2023 (f) du 01.05.2024 – Décision de refus d’entrer en matière sur une demande de reconsidération ne peut faire l’objet d’un contrôle en justice / 53 al. 2 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_680/2023 (f) du 01.05.2024

 

Consultable ici

 

Décision de refus d’entrer en matière sur une demande de reconsidération ne peut faire l’objet d’un contrôle en justice / 53 al. 2 LPGA

Irrecevabilité du recours dirigé contre une telle décision

 

Assuré, ressortissant portugais, né en mars 1953, était au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité depuis le 01.03.2001. Sa rente s’élevait à 2’113 fr. le mois précédant sa retraite. Par décision du 14.03.2018, la caisse de compensation lui a accordé une rente ordinaire de vieillesse de 835 fr. par mois dès le 01.04.2018.

Dans des courriers au contenu similaire, dont le premier datait du 12.12.2018, l’assuré s’est enquis des raisons pour lesquelles le montant de sa rente avait baissé et en a requis le réexamen. La caisse a plusieurs fois informé l’intéressé que, faute d’opposition dans le délai légal, sa décision du 14.03.2018 était entrée en force, qu’elle n’avait pas l’intention de la reconsidérer, qu’en l’absence de motifs invoqués, il n’y avait pas non plus lieu de la réviser et que, contrairement à la rente d’invalidité, la rente de vieillesse ne tenait pas compte des périodes de cotisations accomplies au Portugal. Le 13.04.2021, confirmé sur opposition le 14.10.2021, elle a toutefois décidé formellement « de ne pas entrer en matière et de rejeter [la] demande de reconsidération de la décision du 14.03.2018 ».

 

Procédure cantonale (arrêt C-5168/2021 – consultable ici)

Par jugement du 26.09.2023, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 4.1
L’autorité précédente a rappelé que la décision du 14.03.2018 – non contestée – était entrée en force. Elle a relevé que le recourant ne se prévalait d’aucun motif de révision au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA et expliqué que, selon l’art. 53 al. 2 LPGA, personne ne pouvait forcer une administration ou un assureur à reconsidérer une décision. Elle a par ailleurs constaté que la décision sur opposition du 14.10.2021 confirmait celle du 13.04.2021 qui constituait sans conteste un refus d’entrer en matière sur la demande de reconsidération de la décision initiale du 14.03.2018. Elle a dès lors considéré que la décision administrative litigieuse ne pouvait être comprise que comme un refus d’entrer en matière sur une demande de reconsidération de l’assuré et que le recours formé contre un tel acte devait être déclaré irrecevable.

 

Consid. 4.3
Le recours de l’assuré est manifestement infondé dans la mesure où ses griefs sont recevables. Il peut en conséquence être rejeté selon la procédure simplifiée de l’art. 109 al. 2 let. a LTF.

En effet, le tribunal de première instance a constaté de façon à lier le Tribunal fédéral que la décision administrative litigieuse était en l’espèce une décision refusant d’entrer en matière sur la demande du recourant de reconsidérer la décision du 14.03.2018. Il a expliqué que personne ne pouvait forcer une administration à reconsidérer l’une de ses décisions, même si celle-ci était manifestement erronée et si sa rectification revêtait une importance notable, de sorte qu’une décision refusant expressément d’entrer en matière sur une demande de reconsidération ne pouvait pas faire l’objet d’un contrôle en justice et qu’un recours dirigé contre une telle décision devait de toute façon être déclaré irrecevable (cf. art. 53 al. 2 LPGA; voir aussi ATF 133 V 50 consid. 4.1; 119 V 475 consid. 1b/cc; 117 V 8 consid. 2a; arrêt 8C_866/2009 du 27 avril 2010 consid. 2). D’ailleurs, il a déjà été jugé que le refus d’entrer en matière sur une demande de reconsidération était compatible avec la garantie d’un droit à un recours effectif devant une autorité judiciaire (cf. arrêt 8C_866/2009 cité consid. 3.3). L’autorité précédente a déduit de ce qui précède que le recours de l’assuré contre la décision administrative litigieuse n’était pas recevable. Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner les griefs du recourant dès lors que ceux-ci portent essentiellement sur des questions matérielles en lien avec la nature de la décision administrative et pas avec le caractère recevable de l’arrêt attaqué. On ajoutera dans ce contexte que, dans la mesure où le point de savoir si l’intimée a violé l’art. 33bis LAVS, est une question matérielle, on ne saurait valablement reprocher à l’autorité précédente d’avoir violé le droit d’être entendu du recourant en n’y répondant pas.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_680/2023 consultable ici

 

8C_753/2023 (f) du 19.03.2024 – Droit à l’indemnité de chômage – Aptitude au placement – Inaptitude au placement en cas d’exercice d’une activité indépendante – 8 al. 1 LACI – 15 al. 1 LACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_753/2023 (f) du 19.03.2024

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité de chômage – Aptitude au placement – Inaptitude au placement en cas d’exercice d’une activité indépendante / 8 al. 1 LACI – 15 al. 1 LACI

Droit de réplique – Droit d’être entendu / 29 al. 2 Cst. – 6 par. 1 CEDH

 

Assuré, né en 1982, a travaillé comme chauffeur de taxi de 2013 à 2017. Depuis 2019, il était employé en qualité de chauffeur auprès de B.__. Après avoir été licencié pour le 31.05.2022, il s’est annoncé à l’assurance-chômage, en demandant des indemnités à partir du 01.06.2022.

L’assuré a présenté une incapacité de travail de 100% pour cause de maladie du 24.06.2022 au 15.07.2022 ainsi que du 20.07.2022 au 12.08.2022. Les 25.07.2022 et 19.08.2022, l’assuré a complété les formulaires « Indications de la personne assurée », respectivement pour les mois de juillet et août 2022, répondant par la négative à la question de savoir s’il avait exercé une activité indépendante. Le 31.08.2022, il a quitté le chômage pour débuter une activité de chauffeur de taxi à titre indépendant le 01.08.2022.

Après avoir été informée par courriels du 27.01.2023 de la caisse de compensation AVS que l’assuré était inscrit auprès de cette caisse en tant qu’indépendant depuis le 01.07.2022 et avait annoncé un revenu de 14’200 fr. pour la période entre le 01.07.2022 et le 31.12.2022, la Direction générale de l’emploi et du marché du travail (DGEM) a écrit à l’assuré le 09.02.2023 pour l’informer qu’elle était amenée à examiner son aptitude au placement.

Par décision du 23.03.2023, la DGEM a déclaré l’assuré inapte au placement à compter du 01.06.2022, après avoir constaté qu’il n’avait pas répondu au questionnaire d’aptitude au placement du 09.02.2023, ni au rappel du 01.03.2023. L’assuré s’est opposé à cette décision. A l’appui de celle-ci, il a produit diverses pièces, dont un courrier de la CNA dans lequel celle-ci a considéré que l’assuré exerçait une activité lucrative indépendante depuis le 17.06.2022, une lettre du 14.07.2022 de la caisse de compensation AVS lui confirmant son inscription comme indépendant dès le 01.07.2022, une copie de sa police d’assurance véhicules automobiles actualisée au 10.08.2022 et une autorisation d’entreprise de transport de personnes à titre professionnel délivrée le 09.08.2022 par la Police cantonale du commerce.

Par décision sur opposition du 14.06.2023, la DGEM a confirmé l’inaptitude au placement de l’assuré.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 73/23 – 116/2023 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont retenu qu’au moment de son inscription au chômage, l’assuré avait déjà la ferme intention d’entreprendre une activité indépendante de chauffeur de taxi et qu’il n’entendait pas renoncer à celle-ci pour le cas où une activité salariée se présenterait à lui. Au demeurant, il avait entrepris diverses démarches administratives dans ce sens qui s’étaient étendues sur toute la durée de son inscription au chômage du 01.06.2022 au 31.08.2022.

Par jugement du 26.10.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
En tant que l’assuré soutient que dès le moment où il a été informé de son licenciement, il a voulu à tout prix éviter le chômage ou en sortir le plus rapidement possible en entreprenant une activité indépendante, il ne démontre pas qu’il était disposé à renoncer à celle-ci pour exercer une activité salariée. Quant à l’arrêt 8C_702/2021 du 4 février 2022, auquel se réfère l’assuré, il ne lui est d’aucun secours. En effet, le Tribunal fédéral y avait rejeté le recours d’un assuré déclaré inapte au placement pendant la période précédant le début d’une activité indépendante, au motif que dite activité n’avait pas été entreprise dans le but de diminuer le dommage à l’assurance ; le Tribunal fédéral avait constaté que l’assuré n’était pas prêt à abandonner son activité indépendante pour une activité salariée. Par conséquent, en s’inscrivant à l’assurance-chômage, il n’avait cherché qu’une (courte) solution transitoire jusqu’au début définitif de son activité indépendante (cf. consid. 3.1 in fine de l’arrêt précité).

Enfin, en argumentant que les documents délivrés par la caisse de compensation AVS et la Police cantonale du commerce n’indiqueraient pas les dates auxquelles il avait déjà commencé une activité indépendante mais établiraient seulement que des autorisations d’exercer une activité indépendante lui avaient été délivrées au cours des mois de juillet et d’août 2022 et qu’au demeurant, ces autorisations ne l’avaient pas empêché de satisfaire à ses obligations de demandeur d’emploi, l’assuré ne démontre pas que les juges cantonaux auraient procédé à une constatation manifestement inexacte des faits pertinents, ni à une appréciation arbitraire des preuves. En effet, il ne fait qu’opposer sa propre appréciation des faits à celle de la cour cantonale. Par ailleurs, l’assuré passe sous silence d’autres éléments de preuve ainsi que d’autres faits sur lesquels s’est appuyée la cour cantonale pour conclure à son inaptitude au placement, à savoir notamment que la CNA avait constaté le 01.07.2022 qu’il exerçait une activité indépendante depuis le 17.06.2022 déjà et qu’il avait annoncé à la caisse de compensation AVS un revenu d’indépendant dès le 01.07.2022. L’assuré ne discute pas non plus l’argumentation des juges cantonaux selon laquelle, d’une part, il n’avait effectué que quatre recherches d’emploi – et aucune par l’envoi d’un dossier de candidature – entre le moment où il avait été informé de son licenciement et le début de sa période de chômage le 01.06.2022 et, d’autre part, qu’il avait essentiellement fait des offres spontanées pour des postes dans lesquels il n’avait aucune expérience professionnelle, rendant illusoires ses chances d’être engagé par un employeur, d’autant plus que sa disponibilité pour une activité salariée était d’emblée limitée dans le temps.

 

Consid. 5.2.1
Dans un autre grief de nature formelle, l’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir violé son droit de réplique, au motif que la juridiction cantonale ne lui aurait pas octroyé un délai pour prendre position sur les déterminations de la DGEM du 16.08.2023.

Consid. 5.2.2
Conformément aux art. 29 al. 2 Cst. et 6 par. 1 CEDH, les parties ont le droit d’être entendues. Compris comme l’un des aspects de la notion générale de procès équitable, le droit d’être entendu comprend en particulier le droit, pour une partie à un procès, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu’elle soit ou non concrètement susceptible d’influer sur le jugement à rendre. Il appartient en effet aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de leur part. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 146 III 97 consid. 3.4.1; 142 III 48 consid. 4.1.1; 139 I 189 consid. 3.2; 138 I 484 consid. 2.1; 137 I 195 consid. 2.3.1). Le droit de répliquer n’impose pas à l’autorité judiciaire l’obligation de fixer un délai à la partie pour déposer d’éventuelles observations. Elle doit seulement lui laisser un laps de temps suffisant, entre la remise des documents et le prononcé de sa décision, pour que la partie ait la possibilité de déposer des observations si elle l’estime nécessaire (ATF 146 III 97 consid. 3.4.1; 142 III 48 consid. 4.1.1; 138 I 484 consid. 2.4).

Consid. 5.2.3
En l’espèce, il est constant que la juridiction cantonale a transmis à l’assuré, par lettre du 28.08.2023, la réponse de la DGEM du 16.08.2023 pour information. Celle-ci se limitait à constater que le recours ne contenait pas de nouveaux éléments et à conclure au maintien de la décision sur opposition du 14.06.2023. Si l’assuré jugeait nécessaire de se déterminer, il devait demander à le faire, respectivement le faire sans délai. L’arrêt attaqué a été rendu le 26.10.2023, soit deux mois après la communication à l’assuré de la réponse de la DGEM à son recours. L’assuré a ainsi eu tout loisir de déposer des observations spontanées sur ladite écriture, ce qu’il n’a pourtant pas fait. Par ailleurs, s’il n’était certes pas formellement représenté par un avocat, force est de constater que l’assuré a aisément été en mesure d’invoquer une violation de son droit de réplique inconditionnel et de défendre ses intérêts, tant en procédure cantonale que fédérale. Partant, le grief de violation de son droit d’être entendu n’est pas fondé et doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_753/2023 consultable ici

 

150 V 229 – 8C_348/2023 (d) du 03.05.2024 – Être contaminé par le VIH lors d’un rapport sexuel non protégé et consenti ne constitue pas un accident

ATF 150 V 229 – arrêt du Tribunal fédéral 8C_348/2023 (d) du 03.05.2024

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 07.06.2024 disponible ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Notion d’accident – Caractère extraordinaire du facteur extérieur / 4 LPGA

Être contaminé par le VIH lors d’un rapport sexuel non protégé et consenti ne constitue pas un accident

 

Assurée, née en 1982, éducatrice sociale depuis le 01.05.2008, chez qui une infection par le VIH a été diagnostiquée le 01.03.2011 chez elle à l’occasion d’un examen de grossesse.

Le 16.04.2021, elle a déclaré à l’assurance-accidents qu’elle avait été infectée par le virus par son ancien partenaire. Par décision du 26.05.2021, confirmée sur opposition le 19.11.2021, l’assurance-accidents a nié son obligation de verser des prestations au motif qu’il n’y avait pas d’accident et qu’il n’était pas non plus possible de déterminer si l’infection par le VIH n’avait pas déjà eu lieu avant le début de la couverture d’assurance-accidents le 01.05.2008.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 09.02.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 4 LPGA, est réputée comme accident déclenchant l’obligation de prestation de l’assureur-accidents (art. 6 al. 1 LAA) toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort. Si l’un de ces éléments fait défaut, l’événement ne doit pas être qualifié d’accident, mais l’atteinte à la santé causée par l’événement doit, le cas échéant, être qualifiée de maladie (art. 3 al. 1 LPGA ; ATF 129 V 402 consid. 2.1 ; 122 V 230 consid. 1), pour laquelle ce n’est pas l’assurance-accidents sociale, mais l’assurance-maladie sociale qui est compétente (art. 1a al. 2 let. a LAMal ; ATF 102 V 131).

Consid. 4
Le point de litige principal en l’espèce est la question de savoir si le caractère extraordinaire du facteur extérieur est réalisé.

Consid. 4.1.1
Le facteur extérieur est la caractéristique centrale de tout événement accidentel ; il est le pendant de la cause interne – constitutive de la notion de maladie (ATF 134 V 72 consid. 4.1.1). Selon la jurisprudence, le facteur extérieur est considéré comme extraordinaire lorsqu’il excède, dans le cas particulier, le cadre des événements et des situations que l’on peut, objectivement, qualifier de quotidiens ou d’habituels pour le domaine de vie concerné (ATF 134 V 72 consid. 4.1). Selon la définition de l’accident, le caractère extraordinaire de l’atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Le fait que le facteur extérieur ait éventuellement entraîné des conséquences graves ou inattendues est donc sans importance pour l’examen du caractère extraordinaire. Ce qui est déterminant, c’est que le facteur extérieur se distingue de la norme des effets de l’environnement sur le corps humain (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 ; 134 V 72 consid. 4.3.1).

Consid. 4.1.2
Une atteinte à la santé causée par une infection est en principe une maladie (ATF 122 V 230 consid. 3). Selon la jurisprudence, l’hypothèse d’une origine accidentelle (ou traumatique) de l’infection présuppose la présence d’une plaie au moment de l’infection alléguée. Il ne suffit pas que les agents pathogènes aient pu s’infiltrer à l’intérieur du corps humain par de petites écorchures, éraflures ou excoriations banales et sans importance comme il s’en produit ; la pénétration doit s’être faite par une lésion déterminée ou tout au moins dans des circonstances telles qu’elles représentent un fait typiquement « accidentel » et reconnaissable pour tel (ATF 122 V 230 consid. 3a). En revanche, si des agents pathogènes pénètrent à l’intérieur du corps d’une manière typique de la maladie en question, l’infection est considérée comme une maladie (IRENE HOFER, in : Basler Kommentar ATSG, 2020, N. 16 zu Art. 4 ATSG). Il faut par exemple admettre qu’il y a accident en cas de morsure de tique ayant entraîné une borréliose (ATF 122 V 230 consid. 5a). Dans le cadre d’une infection par le VIH, la jurisprudence a jusqu’à présent admis qu’il y avait accident lorsque l’infection avait été provoquée par la manipulation d’une seringue contaminée (cf. ATF 140 V 356 ; 129 V 402 consid. 4.2).

Consid. 4.2
En ce qui concerne les faits déterminants, il est incontestable que l’assurée vivait depuis septembre 2002 une relation avec un partenaire. Le 01.03.2011, une infection par le VIH a été diagnostiquée chez elle dans le cadre d’un examen de grossesse. En janvier 2013, l’assurée a mis fin à sa relation avec son partenaire ; le 30.06.2014, elle a déposé une plainte pénale contre lui. Par jugement du 18.12.2017, le tribunal l’a reconnu coupable de lésions corporelles graves au détriment de la plaignante et de tentative de lésions corporelles graves au détriment de leur fille. Le tribunal a motivé sa décision par le fait que ledit partenaire avait caché à la plaignante sa séropositivité pendant plus de trois ans et qu’il avait néanmoins eu des rapports sexuels non protégés avec elle, ce qui avait entraîné la transmission du virus à cette dernière.

Consid. 4.3
Dans son appréciation des faits, le tribunal cantonal est arrivé à la conclusion que le critère du caractère extraordinaire du facteur extérieur n’était pas rempli. Contrairement à un viol par exemple, le caractère extraordinaire n’est en principe pas rempli dans le cas de rapports sexuels consentis (même en cas de contamination à l’insu de la victime par une maladie infectieuse). En effet, dans ce dernier cas, il s’agit d’un processus quotidien qui n’est pas inhabituel. Le tribunal cantonal n’a pas non plus suivi l’argumentation de l’assurée à ce sujet, selon laquelle on ne pouvait pas considérer qu’il y avait eu consentement en raison de son erreur sur les circonstances concrètes. Seul le facteur en tant que tel est déterminant pour l’élément extraordinaire, alors que les circonstances de son déclenchement ou de ses effets ne sont pas pertinentes. Pour que l’élément d’extraordinaireté soit considéré comme rempli, il faudrait que l’agent pathogène du VIH pénètre dans le corps de manière atypique, ce qui n’est justement pas le cas. Au contraire, on se trouve en l’occurrence dans le cas normal de la voie de transmission du VIH – des rapports sexuels non protégés – sans que des circonstances inhabituelles, c’est-à-dire des blessures proprement dites qui rempliraient le caractère extraordinaire lors de la transmission de germes, ne soient visibles. La contamination par une maladie sexuellement transmissible lors de rapports sexuels non protégés n’est pas à ce point hors de portée qu’elle doive être qualifiée d’extraordinaire. Le fait que l’ex-partenaire de l’assurée ait été condamné pour lésions corporelles graves n’est pas non plus pertinent. Le caractère extraordinaire ne se rapporte qu’à l’accident et non au comportement, même si celui-ci a une importance sur le plan pénal.

 

Consid. 4.4
L’assurée reproche à la juridiction cantonale d’avoir fait une application erronée de l’art. 4 LPGA. En résumé, elle maintient qu’au vu des circonstances concrètes, l’existence d’un accident au sens de cette disposition doit être admise. La contamination par le virus du VIH par le partenaire de longue date, qui dissimule sa séropositivité pour pouvoir continuer à avoir des rapports sexuels sans protection, ne se situe plus dans le cadre de ce qui est quotidien et habituel pour le domaine de vie concerné. Il s’agit au contraire d’une circonstance particulière qui rend l’événement concret extraordinaire, ce qui est souligné par la condamnation pénale de l’ex-partenaire. Cette argumentation ne peut toutefois pas être suivie :

Consid. 4.4.1
Comme expliqué et comme l’instance cantonale l’a correctement reproduit, pour que le facteur extérieur d’une infection puisse être qualifié d’extraordinaire, l’agent pathogène doit avoir pénétré dans le corps de manière atypique, par exemple au sens d’une blessure accidentelle. En d’autres termes, l’assurance-accidents n’est tenue de verser des prestations pour une maladie infectieuse que si la transmission de l’agent pathogène a eu lieu à la suite d’un accident proprement dit (cf. supra consid. 4.1.2). Ce n’est pas le cas ici, car la contamination par le VIH a eu lieu lors de rapports sexuels non protégés et donc de manière typique. Contrairement à l’avis de l’assurée, le fait que son partenaire ait dissimulé sa séropositivité pendant des années n’y change rien. En effet, selon le libellé de l’art. 4 LPGA, la caractéristique du facteur extérieur réside dans l’action (directe) sur le corps humain, par laquelle on entend par exemple les causes mécaniques (coup, chute), électriques (électrocution) ou thermiques (explosion, brûlure) d’une atteinte à la santé (cf. arrêt 8C_235/2018 du 16 avril 2019 consid. 6.2 avec renvois). Comme l’a correctement reconnu la cour cantonale, seul le rapport sexuel non protégé en tant que tel est donc déterminant en l’espèce pour le caractère extraordinaire, et non pas les circonstances qui ont finalement conduit à celui-ci. Le fait que la connaissance et la volonté de la personne assurée soient prises en compte, par exemple lors de la réduction et du refus de prestations d’assurance (cf. art. 37 LAA), ne change rien au fait que l’erreur provoquée chez l’assurée sur la séropositivité de son partenaire est sans importance dans ce contexte. Par ailleurs, il est vrai que l’ancien Tribunal fédéral des assurances (aujourd’hui IIIe et IVe Cours de droit public du Tribunal fédéral) a jugé, dans l’arrêt Ruefli du 17 novembre 1944, que « l’ingestion de nourriture ne peut apparaître comme un accident que dans des circonstances particulières », par exemple « en cas d’ingestion de substances non comestibles (toxiques par nature) à la place de substances comestibles, donc en cas d’erreur portant sur la chose elle-même, par exemple lorsque des champignons toxiques sont confondus avec des champignons comestibles, des myrtilles avec des cerises, de l’arsenic avec du sucre […] ; en revanche, il n’y a pas d’erreur sur la qualité de l’aliment consommé » (cf. consid. 2 de l’arrêt). La question de savoir si cette jurisprudence, qui n’a plus été confirmée depuis cet arrêt, peut être maintenue dans le contexte des intoxications alimentaires, peut être laissée indécise. En effet, selon ce qui a déjà été dit, elle ne conduit en tout cas pas à ce que l’erreur de l’assurée soit pertinente dans le cas d’espèce.

Consid. 4.4.2
Le fait que l’ancien partenaire de la recourante ait été reconnu pénalement coupable de lésions corporelles graves au sens de l’art. 122 CP n’est finalement pas non plus déterminant pour la question du caractère extraordinaire du facteur extérieur. Les infractions liées à une action sur le corps humain constituent certes régulièrement des événements accidentels UELI KIESER, ATSG-Kommentar, 4. Aufl. 2020, N. 63 zu Art. 4 ATSG; IRENE HOFER, in: a.a.O., N. 46 zu Art. 4 ATSG; ANDRÉ NABOLD in: Kommentar zum Schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, N. 25 zu Art. 6 mit Hinweisen). Ce qui est déterminant, ce n’est toutefois pas la pertinence pénale de l’acte préjudiciable à la santé en soi (ainsi que le précise expressément l’ATF 121 V 35 consid. 1b concernant les interventions médicales), mais le fait qu’il remplisse en règle générale les éléments de la notion d’accident, comme c’est le cas par exemple pour les blessures résultant d’une altercation physique (cf. arrêt 8C_420/2016 du 27 octobre 2016, fait A.) ou d’un choc psychique consécutif à un viol (arrêt U 193/06 du 20 octobre 2006, consid. 2.1 ; concernant de tels chocs sans blessures physiques en général, cf. ATF 129 V 177, consid. 2.1 ; voir aussi arrêt 8C_548/2023 du 21 février 2024, consid. 3.2). Comme en l’espèce, cela ne doit toutefois pas nécessairement être le cas, comme le montre par exemple l’arrêt 8C_545/2019 du 14 novembre 2019, dans lequel le Tribunal fédéral a nié l’existence d’un accident en lien avec une lésion auditive causée par un pétard, nonobstant la condamnation pour lésions corporelles graves.

Consid. 4.4.3
Contrairement à l’assurée, on ne peut pas non plus voir de contradiction dans le fait que le tribunal cantonal ait distingué le cas d’espèce d’un viol. Il est vrai que dans ce cas, une éventuelle infection par le VIH se produit également lors d’un rapport sexuel. Mais dans le cas d’un viol, il s’agit, comme nous venons de le voir, d’un accident au sens juridique du terme, sous la forme d’un événement extraordinaire et d’un choc psychique. On ne voit pas en quoi cela est comparable à la situation de départ. Le fait que l’assurée aurait refusé d’avoir des rapports sexuels non protégés avec son partenaire si elle avait su qu’il était séropositif n’y change rien.

 

Consid. 5
En résumé, le tribunal cantonal n’a pas violé le droit fédéral en niant le caractère extraordinaire du facteur extérieur et donc l’existence d’un accident au sens juridique. Dans ce contexte, on peut laisser indécise la question de savoir si elle a également nié à juste titre l’élément de la « soudaineté ». Il en va de même pour la question laissée ouverte par le tribunal cantonal de savoir si une couverture d’assurance-accidents existait auprès de l’assurance-accidents au moment de la contamination – qui ne peut pas être déterminée avec précision. Au vu de ce qui précède, le recours est infondé et doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_348/2023 consultable ici

ATF 150 V 229 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_348/2023 (d) du 03.05.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/06/8c_348-2023)