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Enquête suisse sur la structure des salaires en 2018: premiers résultats

Enquête suisse sur la structure des salaires en 2018: premiers résultats

 

Communiqué de presse de l’OFS du 21.04.2020 consultable ici

Tableau TA1_skill_level (utilisé dans le domaine des assurances sociales) de l’ESS 2018 est disponible ici

 

Pour l’ensemble de l’économie (secteurs privé et public ensemble), le salaire médian était en 2018 de 6538 francs bruts par mois pour un poste à plein temps. Les écarts salariaux sont toujours marqués entre les branches économiques et aussi selon les régions. Entre le haut et le bas de la pyramide des salaires, les différences sont restées relativement stables entre 2008 et 2018. En Suisse, près d’un tiers des salariés touche des boni. C’est ce qu’indiquent les premiers résultats de l’enquête suisse sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

Le salaire médian en 2018 s’est élevé à 6538 francs bruts par mois. Les 10% des salariés les moins bien rémunérés ont tous gagné moins de 4302 francs par mois alors que les 10% les mieux payés gagnent tous plus que 11 698 francs.

En Suisse, le paysage salarial présente de fortes disparités selon les branches économiques. Les niveaux de rémunération sont clairement supérieurs au salaire médian dans les activités économiques à forte valeur ajoutée telles que les activités informatiques et services d’information (9000 francs), l’industrie pharmaceutique (9747 francs) ou encore les services financiers (9921 francs). Au bas de l’échelle des salaires, on retrouve l’industrie textile et de l’habillement (5095 francs), le commerce de détail (4875 francs), l’hébergement et la restauration (4412 francs) et les services personnels (4144 francs).

 

Les écarts salariaux restent relativement stables entre 2008 et 2018

La fourchette générale des salaires, à savoir l’écart global entre les salaires les plus élevés et ceux les plus bas, est restée relativement stable entre 2008 et 2018. Durant cette même période, les 10% des personnes les mieux payées ont vu leur rémunération augmenter de 9,1%. Les salariés appartenant à la « classe moyenne » ont connu une augmentation salariale de 7,3% alors que la hausse des salaires pour les 10% des personnes les moins bien payées s’est montée à 9,6%.

 

La valeur des boni a continué d’augmenter en 2018

En 2018, près de 1 salarié sur 3 (32,8%) a reçu des boni, c’est-à-dire un paiement irrégulier annuel qui vient s’ajouter au salaire de base. De 2008 à 2014, la valeur monétaire moyenne des boni attribués a diminué, passant de 11 698 francs en 2008 à 7939 francs en 2014. La valeur moyenne annuelle des boni a connu une première hausse en 2016 (9033 francs). En 2018, le montant des boni a continué à augmenter pour s’établir à 9913 francs. La valeur des boni varie considérablement selon les branches économiques et selon le niveau de responsabilité occupé au sein de l’entreprise. Ainsi, pour les cadres supérieurs, la valeur monétaire des boni atteint par exemple 16 138 francs en moyenne annuelle dans le commerce de détail, 21 432 francs dans la construction, 79 989 francs dans l’industrie pharmaceutique, 89 028 francs dans les services financiers. Les personnes n’occupant pas de fonction dirigeante perçoivent également des boni mais leur valeur monétaire moyenne sur une année est bien plus basse (4137 francs). Dans la grande majorité des branches économiques, les boni représentent une composante à la fois flexible et pleinement intégrée au système global de rémunération du travail salarié.

 

La part des postes à bas salaires a légèrement augmenté entre 2016 et 2018

En Suisse, le nombre de postes à bas salaires (équivalent à un niveau de rémunération inférieur à 4359 francs bruts par mois pour un temps plein) a légèrement augmenté en 2018 pour atteindre 353 000 contre 329 000 en 2016. Les branches économiques qui présentent un taux élevé de postes à bas salaires sont les suivantes : le commerce de détail (24,4%), la restauration (44,7%), l’industrie de l’habillement (56%) ou encore les services personnels (57,3%). En 2018, plus de 480 000 personnes perçoivent un bas salaire, soit 12,1% des salariés. Parmi ces salariés 64,4% sont des femmes (2016: 66,4%).

 

Les inégalités salariales entre les femmes et les hommes diminuent progressivement

Dans l’ensemble de l’économie, l’écart de salaire entre les femmes et les hommes a atteint 11,5% en 2018 contre 12,0% en 2016 et 12,5% en 2014. Dans le secteur privé, les femmes ont gagné en 2018 14,4% de moins que les hommes alors que dans le secteur public, cette différence globale est de 11,4%. Ce différentiel des niveaux de rémunération entre les sexes s’explique en partie par des profils structurels et des activités exercées différentes (notamment le niveau de responsabilité du poste occupé ou la branche économique). Ces écarts salariaux mettent en évidence l’insertion professionnelle inégale qui existe entre le personnel féminin et masculin sur le marché du travail.

Le différentiel salarial entre les sexes est d’autant plus marqué que la position dans la hiérarchie est élevée. Ainsi, les femmes occupant les postes à haute responsabilité gagnent 8872 francs bruts alors que la rémunération de leurs collègues masculins – occupant le même niveau de responsabilité – se monte à 10 893 francs, soit une différence de 18,6%. L’écart salarial en défaveur du personnel féminin est moins marqué pour les postes de travail exigeant des niveaux plus bas de responsabilité (9,4%) et de 7,6% pour les femmes sans fonction de cadre.

En 2018, la répartition des femmes et des hommes en fonction des classes salariales était la suivante: 58,3% des postes dont le niveau de salaire est inférieur à 4500 francs bruts par mois sont occupés par des femmes. A l’inverse, 82,4% des emplois dont la rémunération dépasse 16 000 francs bruts mensuels sont occupés par des hommes.

 

Main-d’œuvre étrangère: disparités salariales selon les permis de séjour

Au niveau de l’ensemble de l’économie, on constate que la rémunération des personnes salariées de nationalité suisse reste en moyenne plus élevée que celle versée à leurs collègues de nationalité étrangère, soit respectivement 6873 francs contre 5886 francs. Globalement, ce différentiel salarial en faveur des salariés suisses par rapport au personnel étranger se retrouve quelle que soit la catégorie de permis de séjour.

En revanche, pour les postes exigeant un haut niveau de responsabilité, la main-d’œuvre étrangère gagne des salaires plus élevés que ceux versés aux salariés de nationalité suisse. Ainsi, les frontaliers occupant des postes à haut niveau de responsabilité gagnent 10 750 francs, les bénéficiaires d’une autorisation de séjour 12 510 francs contre 10 138 francs pour les salariés suisses.

Cette situation s’inverse lorsque l’on considère les postes de travail n’exigeant pas de responsabilité hiérarchique. Avec 6260 francs, la rémunération des salariés de nationalité suisse n’occupant pas de fonction de cadre est supérieure aux salaires versés à la main-d’œuvre étrangère, soit 5699 francs pour les frontaliers et 5189 francs pour les salariés disposant d’une autorisation de séjour.

 

Hiérarchie régionale des salaires: Zürich toujours en tête

Le paysage des salaires en Suisse diffère significativement selon les espaces considérés. Pour les emplois les plus qualifiés, les niveaux de rémunération sont régulièrement plus élevés dans les régions de Zürich (9221 francs) et du Nord-Ouest (BS, BL, AG) avec 8874 francs. A l’autre bout de l’échelle régionale des salaires, on retrouve le Tessin, qui connaît les plus bas niveaux de rémunération, que ce soit pour les emplois les plus qualifiés (7367 francs) ou pour ceux qui exigent le moins de qualification (4222 francs). Cette hiérarchie régionale des salaires s’explique en grande partie par la concentration de branches économiques à forte valeur ajoutée dans certains espaces ainsi qu’aux spécificités structurelles des marchés régionaux du travail.

 

 

Commentaire/Remarques

Pro memoria, pour fixer le revenu d’invalide, il y a lieu de se fonder au moment de la décision sur les données les plus récentes (arrêts du Tribunal fédéral 8C_520/2016 du 14 août 2017 consid. 4.3.1 et la référence ; 9C_767/2015 du 19 avril 2016 consid. 3.4).

S’agissant de l’indexation des salaires nominaux, les chiffres pour 2019 paraîtront normalement d’ici une à deux semaines.

 

 

Communiqué de presse de l’OFS du 21.04.2020 consultable ici

Tableau TA1_skill_level (utilisé dans le domaine des assurances sociales) de l’ESS 2018 en français, italien et allemand

Les autres tableaux de l’ESS 2018 parfois utilisés dans le domaine des assurances sociales :

 

 

9C_470/2019 (f) du 02.03.2020 – Revenu sans invalidité chez une jeune avant apprentissage mais après son choix de métier – 16 LPGA – 28a al. 1 LAI – 26 RAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_470/2019 (f) du 02.03.2020

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité chez une jeune avant apprentissage mais après son choix de métier / 16 LPGA – 28a al. 1 LAI – 26 RAI

Vraisemblance prépondérante de la formation qui aurait été entreprise

 

Assurée, née en 1995, était en 9e année du cursus scolaire en voie secondaire générale (VSG) et envisageait une formation d’éducatrice de la petite enfance, lorsqu’elle a été victime d’un accident de la circulation routière, le 24.10.2010, qui a notamment entraîné un TCC sévère avec des difficultés neuropsychologiques séquellaires et une parésie cubitale traumatique.

Avec l’aide de l’AI, qui lui a accordé des mesures de réadaptation professionnelle, l’assurée a entrepris un apprentissage en septembre 2012 qui a abouti à l’obtention d’un CFC d’employée de commerce en été 2016. L’assurée a ensuite bénéficié d’une mesure d’aide au placement, sous la forme notamment de deux stages comme employée de commerce durant l’année 2017. A la suite du second stage, elle a été engagée en qualité de secrétaire, à un taux d’occupation de 40%, pour un salaire mensuel de 1746 fr. 65, versé treize fois l’an.

L’office AI a reconnu le droit de l’assurée à un quart de rente d’invalidité (taux d’invalidité de 46%) dès le 01.08.2016, sous déduction des indemnités journalières octroyées du 03.04.2017 au 30.09.2017.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 226/18 – 173/2019 – consultable ici)

La juridiction cantonale a procédé à l’évaluation du niveau de l’assurée et a nié qu’il fût possible d’établir que l’intéressée aurait pu obtenir un diplôme d’une école supérieure (ES) dans la filière « éducation de l’enfance » ou un diplôme d’une Haute école spécialisée (HES) dans la filière de formation « travail social » sans la survenance de l’accident. Dès lors qu’au moment de l’accident, celle-ci suivait un cursus scolaire, non pas en voie baccalauréat, mais en voie secondaire générale (VSG), dont le débouché naturel n’est pas l’entrée au gymnase, mais en apprentissage, les juges cantonaux ont constaté que le chemin pour obtenir un diplôme ES/HES aurait été long et parsemé de raccordements. Leurs constatations à cet égard font en effet état d’une durée de formation allant de six à dix ans pour l’obtention d’un diplôme auprès d’une HES ou ES. La cour cantonale a considéré qu’une projection sur une durée de cinq à dix ans depuis l’accident apparaissait « pour le moins aléatoire », ce d’autant plus qu’il n’était en particulier pas établi que l’assurée avait les capacités pour entrer au gymnase, puis, dans l’affirmative, également pour suivre ensuite avec succès une formation dans une HES ou ES.

Le revenu sans invalidité a été fixé à 65’552 fr. 40, correspondant au salaire obtenu par les femmes travaillant dans le secteur « Santé humaine et action sociale », niveau de compétence 2, femmes, selon l’ESS 2016 (T1_skill_level, 86-88).

Par jugement du 29.05.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Conformément à la jurisprudence, l’art. 26 al. 2 RAI est également applicable lorsque l’assuré n’a pas été en mesure, en raison de la survenance de l’atteinte à la santé, de commencer la formation auquel il se destinait et par rapport à laquelle il avait eu des projets concrets (arrêt 9C_163/2017 précité consid. 4.1). En conséquence, il n’y a pas lieu de revenir sur l’application en tant que telle de cette disposition, contestée à tort par l’office AI.

Contrairement à ce que soutient l’assurée, le fait qu’elle a « manifesté, à de nombreuses reprises sa volonté de se former par le biais du gymnase, suivi d’une formation ultérieure en tant qu’éducatrice de l’enfance » ne suffit pas pour admettre que le gymnase en voie diplôme n’était pas « qu’une éventualité, conditionnée à l’obtention d’un certain nombre de points », comme l’ont retenu les juges cantonaux. On ne saurait en effet inférer de la circonstance que la voie gymnasiale constituait, pour reprendre les termes de l’assurée, « son premier choix », qu’elle aurait eu les capacités pour suivre un tel cursus. Le fait que les médecins et autres professionnels ayant suivi l’intéressée l’aient décrite comme une personne volontaire, s’investissant pleinement dans ses études, et capable de passer beaucoup de temps pour apprendre ses cours ne permet pas non plus d’établir qu’elle aurait obtenu les points nécessaires pour entrer au gymnase sans la survenance de l’accident en octobre 2010. En l’espèce, au moment de l’accident, l’assurée était en 9e année VSG, soit un cursus scolaire dont le débouché naturel est l’entrée en apprentissage. Or, sous l’angle de l’art. 26 al. 2 RAI, il importe que la formation à laquelle se destinait la personne assurée apparaisse réaliste compte tenu de ses capacités avant la survenance de l’atteinte à la santé, comme c’est le cas lors de l’évaluation du revenu sans invalidité d’une jeune personne ayant subi une atteinte à la santé au moment où elle débutait son parcours professionnel (cf. arrêt 8C_612/2014 du 28 avril 2015 consid. 4.2.2.2). Partant, en considérant que l’entrée au gymnase en voie de diplôme n’était qu’une éventualité parmi d’autres, pas suffisamment certaine pour retenir l’obtention d’une maturité, les juges cantonaux n’ont pas fait preuve d’arbitraire.

L’argumentation de l’assurée, selon laquelle si même à admettre que sans la survenance de l’accident, la seule voie envisageable pour elle aurait été un apprentissage d’assistante socio-éducative, on ne saurait en déduire qu’elle n’aurait pas complété celui-ci par « une formation ES de deux ans ou par une maturité professionnelle, puis un diplôme HES », ne peut pas non plus être suivie. Il ne suffit en effet pas d’affirmer qu’elle « a été entravée dans sa formation et a dû opter pour une formation inférieure à celle qu’elle entendait effectuer » pour établir, selon le degré de la vraisemblance prépondérante, qu’elle aurait commencé et terminé avec succès une formation dans une HES ou une ES en complément de son CFC d’ASE si elle n’avait pas été victime d’un accident en 2010. L’application de l’art. 26 al. 2 RAI présuppose en effet qu’il y ait des indications concrètes que l’assuré aurait effectivement achevé sa formation sans l’atteinte à la santé ; de simples déclarations d’intention ou spéculations ne suffisent pas (arrêt I 318/94 du 22 juin 1995 consid. 1b et les arrêts cités).

Au demeurant, on ajoutera dans ce contexte que selon la jurisprudence, la notion de formation professionnelle à laquelle se réfère l’art. 26 al. 2 RAI correspond à la formation professionnelle de base (« berufliche Grundausbildung »), et non à une formation ultérieure (« entsprechende Weiterbildung » ; arrêt I 104/96 du 10 mars 1997 consid. 2a, confirmé par l’arrêt 8C_550/2009 du 12 novembre 2009 consid. 4.2), sans qu’il apparaisse nécessaire d’examiner l’argumentation de l’assurée sous cet angle.

En conclusion, il n’y a pas lieu de s’écarter du résultat de l’évaluation du taux d’invalidité effectuée par la juridiction cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_470/2019 consultable ici

 

 

Remarque : un élément m’échappe. Même en lisant le consid. 4/cc de l’arrêt de la juridiction cantonale, la question de l’utilisation du T1_skill_level au lieu du TA1_skill_level se pose. Ce d’autant plus que la cour cantonale précise que « les deux [arrêts] plus récents ont été rendus sur la base du tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012 ». L’office AI a fixé le revenu sans invalidité sur la base du tableau TA1.

Pour rappel, il convient en règle générale de se référer à la table TA1 « secteur privé » ; la table T1 valable pour l’ensemble du secteur privé et public est généralement utilisé lorsque l’assuré a exercé sa dernière activité dans le secteur public (cf. par exemple l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_655/2016 du 4 août 2017 consid. 6.3).

Dans le cas d’espèce, prendre le tableau T1 est à l’avantage de l’assurée, le tableau TA1_skill_level donnant généralement des revenus légèrement inférieurs (in casu, 5’156 francs pour le TA1 et 5’240 francs pour le T1).

 

 

 

9C_537/2019 (f) du 25.02.2020 – Revenu d’invalide selon ESS – 16 LPGA / Abattement de 15% pour une atteinte au membre supérieur droit et une capacité de travail de 60% (baisse de rendement de 40% sur un 100%)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_537/2019 (f) du 25.02.2020

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide selon ESS / 16 LPGA

Abattement de 15% pour une atteinte au membre supérieur droit et une capacité de travail de 60% (baisse de rendement de 40% sur un 100%)

 

Assurée, née en 1960, a travaillé en dernier lieu en qualité de tenancière d’une épicerie tea-room.

Dans le contexte d’une demande de prestations de l’assurance-invalidité (déposée le 28.02.2012), l’office AI a été enjoint de se prononcer à nouveau sur le droit à la rente en fonction d’une capacité résiduelle de travail de 60% dans une activité adaptée, fondée sur les conclusions du professeur B.__ et de la doctoresse C.__ (arrêt du Tribunal fédéral du 23 janvier 2017 [9C_422/2016]). Les deux spécialistes en neurologie avaient posé le diagnostic de tremblement psychogène et de trouble moteur dissociatif, concluant à une limitation du rendement en raison de l’impotence fonctionnelle du membre supérieur droit. Par décision, l’office AI a alloué à l’assurée un quart de rente d’invalidité à partir du 01.01.2013, fondé sur un taux d’invalidité de 47%. En bref, il a notamment pris en considération dans la comparaison des revenus déterminants un abattement de 10% sur le revenu d’invalide en raison de l’âge de l’assurée et du fait que seules des activités légères restaient possibles.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/556/2019 – consultable ici)

En ce qui concerne l’abattement sur le salaire statistique, les juges cantonaux se sont référés à la casuistique du Tribunal fédéral relative aux déductions pratiquées pour des assurés qui ont une main partiellement ou complètement non fonctionnelle. Ils ont admis que la déduction de 10% retenue par l’office AI était inférieure à la quotité généralement admise pour ce motif, de sorte qu’elle s’avérait problématique pour des questions d’égalité de traitement entre assurés. A cela, il fallait tenir compte de l’âge de l’assurée, également susceptible de réduire son revenu d’invalide. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la déduction de 10% apparaissait insuffisante, tandis qu’un abattement de 15% était plus approprié.

Par jugement du 06.06.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assurée à une demi-rente d’invalidité dès le 01.01.2013. La cour cantonale a considéré que l’abattement sur le salaire statistique devait être fixé à 15%, ce qui entraînait un taux d’invalidité de 50%.

 

TF

En ce qui concerne la fixation du revenu d’invalide (cf. art. 16 LPGA) sur la base des statistiques salariales, il est notoire, selon la jurisprudence, que les personnes atteintes dans leur santé, qui présentent des limitations même pour accomplir des activités légères, sont désavantagées sur le plan de la rémunération par rapport aux travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels; ces personnes doivent généralement compter sur des salaires inférieurs à la moyenne (ATF 124 V 321 consid. 3b/bb p. 323). La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent par conséquent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité, autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc p. 79).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si celle-ci a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci, notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399; 130 III 176 consid. 1.2 p. 180).

 

L’assurée présente une capacité de travail de 60% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles du membre supérieur droit. Le professeur B.__ a indiqué que la main droite, malgré le tremblement, était encore utilisable en appui à la gauche, que les travaux de précision et les gestes fins étaient impossibles, que le port d’objets de plus de 5 kg était à proscrire, et que l’écriture restait possible, bien que difficile. Or ce sont précisément ces limitations qui ont justifié aux yeux des experts la diminution de la capacité de travail à 60%, la baisse de rendement de 40% étant due aux stratégies que l’assurée devait mettre en place pour fonctionner en utilisant « ce qu’il reste de son bras et sa main droite » dans un milieu professionnel.

Il n’y a pas lieu dans le cadre de l’abattement sur le revenu d’invalide de tenir compte une seconde fois de limitations qui ont été prises en considération lors de l’évaluation de la capacité de l’assurée sous l’angle médical (voir par ex. arrêts 9C_273/2019 du 18 juillet 2019 consid. 6.1 et 9C_847/2018 du 2 avril 2019 consid. 6.2.3).

Ce nonobstant, la juridiction cantonale n’a pas violé le droit ni abusé ou excédé de son pouvoir d’appréciation en fixant à 15% l’abattement sur le revenu d’invalide. En effet, au regard des activités citées par les experts neurologues puis l’office AI, il apparaît que le spectre des activités légères adaptées pouvant entrer en considération dans le cas d’espèce est fortement réduit. On ne voit ainsi pas que les activités de « patrouilleuse » scolaire ou surveillante scolaire soient exigibles d’une assurée dont le bras droit est atteint de tremblements pratiquement constants, au regard de la responsabilité inhérente aux postes cités. A l’inverse par ailleurs de ce que prétend l’office AI, l’égalité de traitement fait partie des principes de droit constitutionnel qui régissent l’activité de l’administration et des autorités judiciaires, de sorte qu’on ne saurait reprocher aux juges cantonaux d’avoir pris en considération la pratique du Tribunal fédéral concernant la déduction sur le salaire statistique dans le cas de personnes assurées privées partiellement ou complètement de l’usage d’un membre supérieur (cf. arrêt 8C_58/2018 du 7 août 2018 consid. 5.3 et les arrêts cités).

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_537/2019 consultable ici

 

 

8C_122/2019 (f) du 10.09.2019 – Revenu d’invalide / Pas d’abattement pour des travaux légers ne nécessitant pas le port régulier de charges excédant les 3 à 4,5 kg ou de mouvement répétitif de flexion-extension du coude droit / Critère de l’âge en LAA / Evaluation de l’IPAI / Frais d’expertise privée à la charge de l’assurance-accidents

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_122/2019 (f) du 10.09.2019

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide / 16 LPGA

Pas d’abattement sur le salaire statistique pour des travaux légers ne nécessitant pas le port régulier de charges excédant les 3 à 4,5 kg ou de mouvement répétitif de flexion-extension du coude droit

Critère de l’âge en assurance-accidents – Question encore laissée indécise

Evaluation de l’IPAI / 24 LAA – 25 LAA – Annexe 3 OLAA

Frais d’expertise privée à la charge de l’assurance-accidents

 

Assuré, né en 1966, travaillait comme maçon, lorsque le 08.07.2015, alors qu’il était occupé à des travaux d’aménagement d’une villa, la toiture d’une véranda, sous laquelle il se trouvait, s’est effondrée. Admis en urgence à l’hôpital, il a subi deux interventions chirurgicales les 08.07.2015 et 10.07.2015 en raison de multiples plaies et coupures au niveau des membres supérieurs, principalement du membre droit (avant-bras droit: sections 100% du long extenseur radial et 70% du court extenseur radial du carpe, section 10% du nerf musculo-cutané; bras droit: section du muscle brachio radialis biceps et brachial, section d’un fascicule du nerf radial, section 100% du nerf musculo-cutané; main gauche: section 100% extenseur D3 zone 4 avec arthrotomie, section moins de 50% en zone 4 au niveau de D2 et de D4).

L’assuré, en incapacité totale de travail depuis l’accident, a repris son activité à titre thérapeutique à 50% à compter du 01.02.2016.

Par décision, l’assurance-accidents a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur une incapacité de gain de 20% à partir du 01.10.2016 et lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 5%. A l’appui de son opposition, l’assuré a produit un rapport d’expertise privée d’un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. L’assurance-accidents a soumis cet avis médical à sa spécialiste en chirurgie générale et traumatologie. Sur la base du rapport de cette dernière, l’assurance-accidents a admis partiellement l’opposition et a porté le taux d’invalidité à 21% et celui de l’atteinte à l’intégrité à 7,5%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/13/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré que la question de la pertinence des DPT choisies par l’assurance-accidents pouvait rester ouverte. En effet, en se référant au calcul du revenu d’invalide opéré par l’assuré dans son recours au moyen de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), elle obtenait un taux d’invalidité inférieur à celui fixé par l’assurance-accidents dans sa décision sur opposition. Au sujet de l’abattement, de l’avis de la cour cantonale, les limitations fonctionnelles étaient en effet déjà prises en compte dans le salaire d’invalide et les autres facteurs de réduction que l’assuré proposait de retenir (âge, nationalité et manque de formation) n’entraient pas en ligne de compte.

Par jugement du 14.01.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Revenu d’invalide – Abattement

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 142 V 178 consid. 2.5.9 p. 191; 137 V 71 consid. 5.1 p. 72).

Dans le rapport d’expertise privée, le spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur indique que l’assuré ne peut plus fléchir complètement son coude droit ; cela provoque des douleurs, des décharges électriques et un manque de force au niveau du biceps brachial. Il considère que l’assuré peut exercer une activité où son membre supérieur droit ne porte pas de charges plus lourdes que 3 kg « dans moins de 10% du temps », sans travail répétitif de ce membre et sans exercice de motricité relativement fine avec la main droite. Il précise ensuite que la force du biceps est mesurée à environ 6-7 kg au test de force maximale et que cette charge ne peut donc pas être répétée plusieurs fois par jour. Pour un travail répétitif, la charge devrait être plutôt aux alentours de 4,5 kg. Quant à la médecin-conseil, elle indique rejoindre partiellement l’avis de l’expert privé quant à l’exigibilité. Elle soutient que, dans l’ancienne activité de l’assuré, il conviendrait de tenir compte d’une perte de rendement de 25%, puisque le port de charges supérieures à 7 kg et les mouvements répétitifs de flexion-extension du coude doivent être évités. Dans ce cas de figure, il serait judicieux, selon elle, que l’assuré alterne les tâches administratives en sa qualité de chef d’entreprise avec les tâches sur le terrain, afin de soulager son membre supérieur droit. Par contre, dans une activité respectant les limitations fonctionnelles précitées, la capacité de travail est totale.

Aussi, les appréciations des deux médecins ne divergent-elles que légèrement sur l’étendue des limitations et ne sont en tout cas pas contradictoires. L’on peut retenir sur la base de ces avis médicaux que les limitations fonctionnelles portent sur les mouvements répétitifs au niveau du coude droit et sur le port de charges de plus de 7 kg et qu’il s’agit là d’une valeur maximale en ce sens que le port de charges, même inférieures à ce seuil, doit être alterné avec des périodes de repos du membre supérieur droit. Cela dit, au regard des activités physiques ou manuelles simples que recouvrent les secteurs de la production et des services (tableau TA1_skill_level ESS), un nombre suffisant d’entre elles correspondent à des travaux légers ne nécessitant pas le port régulier de charges excédant les 3 à 4,5 kg (admis par l’expert privé) ou de mouvement répétitif de flexion-extension du coude droit, comme en particulier les activités de contrôle et de surveillance. Une déduction supplémentaire sur le salaire statistique ne se justifie donc pas pour tenir compte des circonstances liées au handicap de l’assuré. En effet, un abattement n’entre en considération que si, dans un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. en dernier lieu arrêt 8C_174/2019 du 9 juillet 2019 consid. 5.2.2 et et les arrêts cités).

En ce qui concerne le critère de l’âge, le Tribunal fédéral n’a pas encore tranché le point de savoir si, dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, il constitue un critère d’abattement ou si l’influence de l’âge sur la capacité de gain doit être prise en compte uniquement dans le cadre de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA (voir les arrêts 8C_878/2018 du 21 août 2019 consid. 5.3.1; 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 5, in SVR 2018 UV n° 40 p. 145; 8C_439/2017 du 6 octobre 2017 consid. 5.6.4, in SVR 2018 UV n° 15 p. 50). Cette question peut encore demeurer indécise en l’espèce dans la mesure où l’assuré n’expose pas en quoi ses perspectives salariales seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré à raison de son âge. En outre, il était âgé de 50 ans au moment de la naissance du droit à la rente, soit un âge relativement éloigné de celui de la retraite. Quant à l’absence d’expérience et de formation, elle ne joue pas de rôle lorsque le revenu d’invalide est déterminé en référence au salaire statistique auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et répétitives de niveau de compétence 1. En effet, ce niveau de compétence de l’ESS concerne une catégorie d’emplois ne nécessitant ni formation ni expérience professionnelle spécifique (arrêt 8C_103/2018 du 25 juillet 2018 consid. 5.2). Au demeurant, si l’assuré allègue être de langue maternelle espagnole et n’avoir suivi aucune autre formation que celle de maçon, il n’en demeure pas moins qu’il admet bien parler le français, étant arrivé en Suisse à l’âge de 17 ans, et qu’après un apprentissage de maçon et une expérience auprès d’un second employeur, il est parvenu à fonder sa propre entreprise au service de laquelle il a travaillé pendant presque vingt ans (cf. à ce sujet le rappel anamnestique du rapport d’expertise).

Compte tenu de ce qui précède, les juges cantonaux étaient fondés à refuser de procéder à un abattement sur le revenu d’invalide.

 

IPAI

La fixation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité dépend uniquement de facteurs médicaux objectifs valables pour tous les assurés, sans égard à des considérations d’ordre subjectif ou personnel ; elle n’est d’aucune manière liée à l’importance de l’incapacité de gain qu’elle est susceptible ou non d’entraîner (ATF 143 V 231 consid. 4.4.5 p. 238; 113 V 218 consid. 4b p. 221 s.). La médecin-conseil explique de manière circonstanciée pour quels motifs elle s’écarte de de l’évaluation de l’expert privé. Elle indique en particulier que la perte de force et le déficit en supination de 20° du coude droit ne peuvent pas être comparés à la perte même partielle d’un membre supérieur. En outre, le coude de l’assuré ne présente pas de blocage ou de déficit en flexion ou extension mais uniquement un déficit de supination, pour lequel pourrait être retenu un taux de 2,5%. Considérant que l’état du coude est plutôt similaire à une arthrose moyenne, laquelle implique une diminution de la force due aux douleurs avec ou sans diminution des amplitudes articulaires, la médecin-conseil s’est référée à la table 5 relative aux atteintes à l’intégrité résultant d’arthroses, laquelle prévoit un taux situé entre 5% et 10% en cas d’arthrose moyenne, et a retenu un taux global de 7,5%. Ces considérations n’apparaissent pas critiquables et ne sont pas d’ailleurs pas critiquées par l’assuré. Il y a lieu de s’y rallier.

 

Frais d’expertise privée à la charge de l’assurance-accidents

Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures; à défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’expertise font partie des frais de procédure (arrêt 8C_61/2016 du 19 décembre 2016 consid. 6.1 et les arrêts cités, in SVR 2017 n° 19 p. 63). Les frais d’expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c p. 63; arrêts 8C_61/2016 précité consid. 6.1 in fine; 8C_354/2015 du 13 octobre 2015 consid. 6.1 et les arrêt cités, in SVR UV n° 24 p. 75).

En l’espèce, même si la cour cantonale a préféré les conclusions de la médecin-conseil à celles de l’expert privé, il n’en reste pas moins que le rapport d’expertise privée a joué un rôle déterminant dans la résolution du litige. En effet, le rapport de la médecin-conseil consiste essentiellement en une prise de position sur le rapport d’expertise privée et ne peut pas être lu indépendamment de celui-ci. En outre, la médecin-conseil s’est partiellement ralliée aux conclusions de ce médecin, ce qui a conduit l’assurance-accidents à admettre l’opposition de l’assuré. Il y a donc lieu de retenir que l’expertise a été utile à la prise de décision et qu’elle a constitué une mesure indispensable à l’appréciation du cas au sens de l’art. 45 al. 1 LPGA. Dans ces conditions, on ne peut pas partager le point de vue des juges cantonaux en tant qu’ils considèrent la question de la prise en charge des frais d’expertise comme étant exorbitante de l’objet du litige. Compte tenu de la jurisprudence, on ne saurait d’ailleurs reprocher à l’assuré d’avoir attendu l’issue de la procédure d’opposition pour réclamer le remboursement de ces frais (sur le sujet voir ANNE-SYLVIE DUPONT, in Commentaire Romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 14 ad art. 45 LPGA; UELI KIESER, ATSG-Kommentar, 3 e éd. 2015, n os 19-21 LPGA). Partant, en refusant à l’assuré le remboursement par l’assurance-accidents des frais d’expertise privée, la juridiction cantonale a violé le droit fédéral. Sur ce point, le recours se révèle bien fondé.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré, reformant le jugement cantonal en ce sens que l’assuré a droit au remboursement par l’assurance-accidents des frais d’expertise privée.

 

 

Arrêt 8C_122/2019 consultable ici

 

 

8C_631/2019 (d) du 18.12.2019 – Revenu d’invalide effectivement réalisé après mesures AI très inférieur au revenu d’invalide selon l’ESS (valeur centrale ; toute branche confondue) – 16 LPGA / Marché équilibré du travail – Obligation de réduire le dommage

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_631/2019 (d) du 18.12.2019

 

NB : Traduction personnelle ; seul le texte de l’arrêt fait foi.

Consultable ici

 

Revenu d’invalide effectivement réalisé après mesures AI très inférieur au revenu d’invalide selon l’ESS (valeur centrale ; toute branche confondue) / 16 LPGA

Marché équilibré du travail – Obligation de réduire le dommage

 

Assuré, né en 1980, employé comme couvreur depuis le 02.04.2013, est victime d’un accident le 18.04.2013 : alors qu’il skiait, il a subi une fracture multi-fragmentaire et une fracture-compression dans le pied gauche. Il a été opéré le 01.05.2013 (ostéosynthèse).

Du 11.04.2016 au 10.10.2016, l’assuré a bénéficié de mesures AI sous la forme d’un stage chez D.__ AG. Dès le 11.10.2016, il travaille dans cette entreprise à 100% au bureau et à l’atelier (imprimeur publicitaire) pour un revenu annuel de CHF 54’600 (CHF 4’200 par mois).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé une IPAI de 15% et refusé le droit à une rente d’invalidité, le taux d’invalidité n’étant que de 5.87%. L’assurance-accidents a retenu un revenu d’invalide de CHF 64’429 sur la base de l’ESS (niveau de compétences 2, toutes branches confondues, abattement de 10%).

 

Procédure cantonale

Selon le tribunal cantonal, les rapports de travail chez D.__ AG sont stables, que cette activité met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible l’assuré. La capacité de travail à plein temps dans les activités de bureau et d’atelier (imprimeurs de publicité) avait été créée à la suite de la mesure professionnelle de l’AI. Un retour dans l’ancien activité n’était pas possible et la réadaptation en tant que moniteur de conduite n’avait pas eu lieu. La cour cantonale a estimé que l’activité d’imprimeur publicitaire réalisée à plein temps correspondait de manière optimale au profil d’emploi raisonnable, ce qui lui a permis d’utiliser pleinement sa capacité de travail restante. Cela était d’autant plus vrai que l’assuré n’avait pas réussi l’examen de technico-commercial malgré un soutien scolaire financé par l’AI. En outre, il n’y avait pas de salaire social, puisque le revenu annuel de CHF 54’600 correspondait à sa capacité de travail. Il était donc erroné d’utiliser de prendre le salaire ESS, plus élevé, comme revenu d’invalide. La comparaison entre le revenu d’invalide concret de CHF 54’600 et le revenu sans invalidité de CHF 68’375 (non contesté) donne un taux d’invalidité de 20%.

Par jugement du 20.08.2019, acceptation du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour le calcul de la rente sur la base d’un degré d’invalidité de 20%.

 

TF

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. La prise en compte du revenu effectivement réalisé est toutefois subordonnée à certaines conditions cumulatives, à savoir : des rapports de travail particulièrement stables, une activité mettant pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et le gain obtenu correspondant au travail effectivement fourni et ne contenant pas d’éléments de salaire social. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible –, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 143 V 295 consid. 2.2 p. 296).

Pour déterminer le revenu d’invalide, le revenu réel sert de base si, entre autres, l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’assuré utilise pleinement sa capacité de travail restante. Ce n’est pas le cas si, sur le marché équilibré du travail, il pourrait gagner un salaire plus élevé que celui qu’il reçoit réellement. Sur ce marché du travail hypothétique, un changement d’emploi est également exigible s’il est très difficile, voire impossible, pour l’assuré de trouver un emploi correspondant, en raison des conditions économiques du marché du travail réel. La prise en compte de ce revenu hypothétique plus élevé se fonde moins sur l’obligation de réduire le dommage que sur le fait que l’assurance-accidents ne doit compenser que la perte de salaire causée par l’atteinte à la santé en lien avec l’accident (SVR 2017 UV n° 45 p. 155, 8C_13/2017 consid. 3.3). Lors de l’évaluation de l’invalidité, l’assuré doit tenir compte, comme revenu d’invalide, le salaire qu’il pourrait gagner sur le marché général du travail dans un poste exigible ; même s’il s’abstient de changer de profession ou d’emploi en raison de perspectives favorables au poste qu’il a eu jusqu’à présent, il ne peut pas s’attendre à ce que l’assurance-accidents indemnise la perte de salaire en raison de la renonciation à un revenu raisonnablement exigible (arrêt 8C_109/2018 du 8 novembre 2018 consid. 4.2 et la référence).

Il existe donc une différence importante d’environ CHF 10’000 entre le revenu de CHF 64’429 (selon ESS) et le salaire réel de CHF 54’600. Le Tribunal fédéral conclut que l’assuré ne met pas pleinement en valeur sa capacité de travail résiduelle exigible (voir également l’arrêt 9C_479/2018 du 22 février 2019 consid. 4.2 e contrario, 8C_475/2017 du 5 décembre 2017 consid. 6.3). Lors d’un entretien du 15.03.2017 avec l’office AI, l’assuré a également déclaré que le faible salaire lui causait des problèmes ; on lui avait promis CHF 5’000. Le calcul du revenu d’invalide ne peut donc pas se basé sur les revenus de D.__ AG.

Le Tribunal fédéral ne suit pas le recourant lorsqu’il se réfère à la pratique selon laquelle le revenu d’invalide d’un assuré qui, après des mesures de réadaptation professionnelle réussie dans une nouvelle profession, n’a pas entièrement mis en valeur la capacité de travail résiduelle exigible doit être déterminé sur la base des revenus réels (« projetés à la hausse » [« hochgerechneten »]) et non sur la base des salaires statistiques (arrêt 8C_579/2009 du 6 janvier 2010 consid. 2.3.2). Le Tribunal fédéral rappelle que l’assuré épuise sa capacité de travail en œuvrant à 100% pour D.__ AG, mais reçoit un salaire nettement inférieur à celui qu’on peut obtenir sur le marché du travail équilibré. Par conséquent, le salaire dans cette entreprise ne peut être pris en compte. Cela est d’autant moins vrai que l’assuré ne possède pas de certificat de capacité dans la profession de technicien en publicité, mais qu’il n’a effectué qu’un stage d’une durée de 6 mois.

Par ailleurs, l’office AI a calculé le revenu d’invalide comme l’assurance-accidents.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_631/2019 consultable ici

 

 

8C_109/2018 (d) du 08.11.2018 – Revenu d’invalide – 16 LPGA / Obligation de réduire le dommage – Exigibilité / Revenu d’invalide effectif vs Revenu d’invalide selon ESS

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_109/2018 (d) du 08.11.2018

 

NB : Traduction personnelle ; seul le texte de l’arrêt fait foi.

Consultable ici

 

Revenu d’invalide / 16 LPGA

Obligation de réduire le dommage – Exigibilité

Revenu d’invalide effectif vs Revenu d’invalide selon ESS

 

Assuré, né en 1951, travaillant comme chef de cuisine depuis le 01.07.1997 au restaurant B.__, est tombé en travaillant le 28.06.2011. Il a notamment souffert d’une rupture de la coiffe des rotateurs droite. Par décision du 16.02.2016, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin aux indemnités journalières et aux frais médicaux avec effet rétroactif au 01.03.2012, octroyé une IPAI de 20% et refusé le droit à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale

Sur la d’une expertise réalisée par un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, bien que la capacité exigible de travail dans l’activité habituelle de cuisinier soit de 50%, une capacité de travail de 100% dans une activité adaptée à l’état de santé de l’assuré est exigible. L’assuré peut travailler dans une activité physiquement légère à moyennement lourde, effectuée en position assise ou debout, permettant le port de charges jusqu’à 10 kg avec un bras et avec des activités occasionnelles au-dessus de la tête.

Étant donné que l’assuré a été de nouveau employé par son ancien employeur, le restaurant B.__ de la mi-janvier 2012 à la fin mars 2012, puis par une boulangerie en tant que vendeur de mai 2012 à février 2013 et derechef employé par le restaurant B.__ dès décembre 2013 – en fait, seulement 50 % de sa charge de travail tout au long de la période –, il n’a pas pleinement mis à profit sa capacité de travail restante. L’assurance-accidents était ainsi autorisé à déterminer le revenu d’invalide sur la base des ESS, les conditions pour la prise en compte des revenus effectifs n’étant pas remplies.

Par jugement du 24.11.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. La prise en compte du revenu effectivement réalisé est toutefois subordonnée à certaines conditions cumulatives, à savoir : des rapports de travail particulièrement stables, une activité mettant pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et le gain obtenu correspondant au travail effectivement fourni et ne contenant pas d’éléments de salaire social. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible –, le revenu d’invalide peut être évalué soit sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS, soit sur la base des DPT (ATF 135 V 297 consid. 5.2 p. 301 ; arrêt 8C_749/2013 du 6 mars 2014 consid. 4.1).

Pour déterminer le revenu d’invalide, le revenu réel sert de base si, entre autres, l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’assuré utilise pleinement sa capacité de travail restante. Ce n’est pas le cas si, sur le marché équilibré du travail, il pourrait gagner un salaire plus élevé que celui qu’il reçoit réellement. Sur ce marché du travail hypothétique, un changement d’emploi est également exigible s’il est très difficile, voire impossible, pour l’assuré de trouver un emploi correspondant, en raison des conditions économiques du marché du travail réel. La prise en compte de ce revenu hypothétique plus élevé se fonde moins sur l’obligation de réduire le dommage que sur le fait que l’assurance-accidents ne doit compenser que la perte de salaire causée par l’atteinte à la santé en lien avec l’accident (SVR 2017 UV n° 45 p. 155, 8C_13/2017 consid. 3.3). Lors de l’évaluation de l’invalidité, l’assuré doit tenir compte, comme revenu d’invalide, le salaire qu’il pourrait gagner sur le marché général du travail dans un poste exigible ; même s’il s’abstient de changer de profession ou d’emploi en raison de perspectives favorables au poste qu’il a eu jusqu’à présent, il ne peut pas s’attendre à ce que l’assurance-accidents indemnise la perte de salaire en raison de la renonciation à un revenu raisonnablement exigible (arrêt 8C_475/2017 du 5 décembre 2017 consid. 6.1).

Selon le Tribunal fédéral, il ne peut être donner suite aux griefs de l’assuré. Dans la mesure où il souhaite baser le calcul du taux d’invalidité sur les revenus actuels de son emploi de cuisinier (sous-chef) à 50%, il néglige le fait qu’il n’épuise pas sa capacité de travail restante. En effet, dans un emploi adapté à son état de santé, il pourrait travailler à 100% et obtenir des revenus qui ne lui donneraient pas droit à une rente. Aucune réadaptation n’étant nécessaire à cette fin, l’assurance-accidents a déterminé le revenu d’invalide sur la base du tableau TA1 de l’ESS 2012 (Total, hommes, niveau de compétence 1). Les activités selon le niveau de compétences 1 ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique. Ainsi, lors de la détermination du revenu d’invalide, ce revenu hypothétiquement plus élevé doit être pris en compte, ce d’autant plus qu’on pouvait raisonnablement attendre de l’assuré à ce qu’il change d’emploi. En ce qui concerne l’exigibilité définie par le médecin, il est également clair qu’un large éventail de possibilités d’emploi est encore ouvert à l’assuré sur le marché du travail équilibré.

Par ailleurs, l’assuré ne peut pas tirer profit du fait qu’il perçoit une rente de l’AI (et de la LPP) sur la base d’un taux d’invalidité de 50%. Comme l’a rappelé la juridiction cantonale, l’évaluation de l’invalidité par les organes de l’assurance-invalidité n’a pas de force contraignante pour l’assureur-accidents (ATF 131 V 362 consid. 2.2 p. 366 s). En revanche, les offices AI et les assureurs-accidents doivent évaluer l’invalidité de manière indépendante dans chaque cas individuel (ATF 133 V 549 consid. 6.1 p. 553). Par ailleurs, les rentes de l’AI et de la LPP ne peuvent pas être additionnées avec le revenu actuel provenant de l’activité en tant que sous-chef à 50% pour la détermination du revenu d’invalide.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_109/2018 consultable ici

 

 

9C_479/2018 (d) du 22.02.2019 – Revenu d’invalide effectif vs Revenu d’invalide selon ESS – 16 LPGA / Différence de salaire d’un peu moins de CHF 700 entre le revenu effectif et le revenu selon ESS ne suffit pas pour conclure que la capacité de travail n’est pas utilisée de manière optimale

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_479/2018 (d) du 22.02.2019

 

NB : Traduction personnelle ; seul le texte de l’arrêt fait foi.

Consultable ici

 

Revenu d’invalide effectif vs Revenu d’invalide selon ESS / 16 LPGA

Différence de salaire d’un peu moins de CHF 700 entre le revenu effectif et le revenu selon ESS ne suffit pas pour conclure que la capacité de travail n’est pas utilisée de manière optimale

 

Assurée, née en 1968, a adressé une demande AI en avril 2014 (statut mixte 80%-20% [comme ménagère]). Précédemment, l’office AI avait refusé le droit à une rente d’invalidité (décision du 25.01.2011). L’administration a mis en œuvre une expertise psychiatrique, concluant à une capacité de travail de 60% dans une activité adaptée. L’assurée a été placée chez C.__ et D.__ dans le cadre d’un stage. Dès le 01.01.2017, elle a pu travailler en tant qu’employée à 30 % chacun. L’office AI a déterminé un degré d’invalidité total de 39% en utilisant la méthode mixte et a rejeté la demande de prestations.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a constaté que l’assurée a perçu un revenu brut total de CHF 28’354,00 de son emploi à temps partiel de 30% chez C.__ et D.__ (janvier à octobre 2017), calculé sur l’ensemble de l’année 2017. En revanche, le revenu d’invalidité selon l’ESS, en tenant compte de la capacité de travail exigible de 60% s’élève à CHF 32’275.80 ; avec un abattement de 10%, cela donnerait un minimum de CHF 29’048.20. Comme le revenu effectivement perçu est inférieur au revenu statistique, il faut supposer que l’assurée n’utilise pas de manière optimale sa capacité de travail. Sur cette base, le tribunal cantonal a déterminé le revenu d’invalide sur la base de l’ESS.

Par jugement du 06.06.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. La prise en compte du revenu effectivement réalisé est toutefois subordonnée à certaines conditions cumulatives, à savoir : des rapports de travail particulièrement stables, une activité mettant pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et le gain obtenu correspondant au travail effectivement fourni et ne contenant pas d’éléments de salaire social. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible –, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 143 V 295 consid. 2.2 p. 296 ; 139 V 592 consid. 2.3 p. 593 s.).

Au vu des diagnostics retenus (phobie sociale [F40.1] ; trouble de la personnalité combiné avec des traits de personnalité schizoïdes, impulsifs et narcissiques [F60.0] ; Trouble dépressif récurrent, épisode actuel léger [F33.0]), l’expert psychiatre que l’assurée ne devait pas être exposée à la pression de la performance et de la prestation et ne devrait pas travailler par roulement/par équipe [« Schichtarbeit »]. En raison de la phase dépressive matinale et des troubles du sommeil bien connus, il faut lui donner la possibilité de commencer le travail plus tard dans la matinée. Ces constatations doivent être complétées, dans la mesure où l’expert psychiatre a également souligné explicitement que les emplois encadrés par le Job Coach Placement représentaient des activités adaptées qui étaient appropriées à la psychopathologie en question. L’assurée aurait certainement des difficultés à être et à rester employée dans un autre domaine non adapté de l’économie libre. D’un point de vue médico-théorique, on ne pouvait pas s’attendre à une guérison compte tenu de l’évolution à long terme, de la maladie profonde [« tiefgreifenden »] et de la chronicisation du trouble ; le pronostic était défavorable et grave.

Par conséquent, il a été établi par un médecin que les deux activités spécifiquement exercées sont adaptées à l’assurée. En outre, les relations de travail sont stables, puisque l’assuré travaille déjà pour C.__ depuis mars 2010. Le fait qu’il existe une différence de salaire (relativement faible) d’un peu moins de CHF 700 entre le revenu effectivement gagné (CHF 28’354) et le revenu d’invalide déterminé selon l’ESS (CHF 29’048.20) ne suffit pas pour conclure que la capacité de travail n’est pas utilisée de manière optimale. En outre, il n’apparaît pas que le salaire annuel déterminé sur la base des fiches de salaire de janvier à octobre 2017 ne correspondrait pas travail effectivement fourni ou devrait être considéré comme un salaire social. Ainsi, la situation professionnelle concrète reste pertinente. Ainsi, le revenu d’invalide doit être déterminé sur la base des revenus effectivement obtenus.

 

Le TF admet le recours de l’assurée, annule le jugement cantonal et la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_479/2018 consultable ici

 

 

9C_459/2019 (f) du 05.11.2019 – Valeur probante d’une expertise – Evaluation d’une expertise pluridisciplinaire / Revenu d’invalide – ESS – Taux d’abattement modifié par le TF (passant de 5% à 15%) / Assuré de 52 ans – Atteinte au membre supérieur droit et aux cervicales – Capacité de travail exigible de 50%

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_459/2019 (f) du 05.11.2019

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’une expertise – Evaluation d’une expertise pluridisciplinaire

Revenu d’invalide – ESS – Taux d’abattement modifié par le TF (passant de 5% à 15%)

Assuré de 52 ans – Atteinte au membre supérieur droit et aux cervicales – Capacité de travail exigible de 50%

 

Assuré, né en 1962, a travaillé en dernier lieu comme chauffeur-livreur. Après s’être blessé notamment à l’épaule droite le 07.07.2013, il a subi une première intervention chirurgicale le 28.08.2013 (épaule droite), puis une seconde intervention le 22.05.2014 (laminectomie cervicale pour canal cervical très étroit avec myélopathie clinique et radiologique). Le cas a été pris en charge par son assureur-accidents. L’assuré a déposé une demande AI le 18.12.2013.

L’office AI a procédé aux investigations usuelles et a soumis l’assuré à une expertise pluridisciplinaire. Les médecins ont diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – des omalgies droites chroniques (avec rupture complète de la coiffe des rotateurs, notamment du tendon du muscle sus- et sous-épineux, avec suture du tendon du muscle sous-scapulaire, acromioplastie et bursectomie sous-acromiale en août 2013), des cervicalgies chroniques myélopathie cervicale avec syndrome tétrapyramidal et hémisyndrome sensitif gauche (avec status post laminectomie C3-C4 pour canal cervical étroit C3-C4 dans le cadre d’une malformation avec fusion C2-C3 et C5-C6 en mai 2014) et des douleurs chroniques du coude gauche, avec chondromatose radiologique. Selon les médecins, l’assuré était en mesure de travailler à mi-temps (50%) dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites depuis la fin de l’année 2014, soit six mois après l’intervention du 22.05.2014.

Du 20.03.2017 au 04.06.2017, l’assuré a participé à un stage d’orientation professionnelle.

Par décisions des 11.09.2017 et 27.09.2017, l’office AI a octroyé à l’assuré une rente entière d’invalidité du 01.07.2014 au 28.02.2015, puis un quart de rente dès le 01.03.2015.

 

Procédure cantonale

En se fondant sur les conclusions de l’expertise mandatée par l’office AI, la juridiction cantonale a retenu que l’assuré pouvait exercer à 50% une activité professionnelle adaptée aux limitations fonctionnelles décrites par les experts dès la fin de l’année 2014. L’assuré avait d’ailleurs été en mesure de suivre à mi-temps un stage d’orientation professionnelle durant deux mois et demi (du 20.03.2017 au 04.06.2017). Les premiers cantonaux ont ajouté que l’assuré avait indiqué au terme du stage que la reprise d’une activité régulière l’avait aidé à mieux vivre ses problèmes de santé.

Par jugement du 03.06.2019, rejet des recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Valeur probante d’une expertise – Evaluation pluridisciplinaire

En l’espèce, les juges cantonaux ont constaté sans arbitraire que, dans leurs avis fournis par l’assuré lors du recours, les médecins posaient les mêmes diagnostics que ceux retenus par les experts et que seules leurs conclusions concernant la répercussion des atteintes à la santé de l’assuré sur sa capacité de travail étaient différentes.

Au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d’expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 p. 175), on ne saurait cependant mettre en cause les conclusions d’une expertise médicale du seul fait qu’un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contraire. Il n’en va différemment que si les médecins traitants font état d’éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l’expertise et qui sont suffisamment pertinents pour mettre en cause les conclusions de l’expertise. Or l’incapacité de travail mise en avant par les médecins traitants s’explique essentiellement par le fait qu’ils se fondent sur la manière dont l’assuré ressent et assume ses facultés de travail, notamment en ce qui concerne le port de charges (cinq kilos), alors que les experts ont établi ce qui était raisonnablement exigible le plus objectivement possible (dix kilos) dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites. Dans ces conditions, l’assuré n’expose pas que l’appréciation anticipée des preuves qui a conduit la juridiction cantonale à renoncer à mettre en œuvre une expertise judiciaire violerait l’interdiction de l’arbitraire, respectivement son droit d’être entendu, ni que ses offres de preuves seraient pertinentes ou de nature à influer sur la décision à rendre au sens de la jurisprudence. Il n’y a pas lieu de s’écarter des conclusions médicales suivies par les premiers juges.

En cas d’évaluation pluridisciplinaire, on ajoutera encore qu’il y a lieu de se fonder, en principe, sur l’appréciation globale de synthèse fondée sur un consilium entre les experts, au cours duquel les résultats obtenus dans chacune des disciplines sont discutés, et non sur celles, forcément sectorielles, des différentes consultations spécialisées. Contrairement à ce que prétend l’assuré, le fait que le spécialiste en neurologie a indiqué que l’assuré pouvait travailler à 100% dans une activité adaptée d’un point de vue neurologique n’est en rien contradictoire avec les conclusions finales de l’expertise. Singulièrement, les experts ont exposé de manière convaincante les raisons pour lesquelles l’assuré présentait une capacité de travail médico-théorique de 50% dans une activité adaptée d’un point de vue rhumatologique.

 

Abattement sur le salaire statistique

L’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou a abusé de celui-ci, notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72).

Les juges cantonaux ont constaté que l’assuré disposait d’un permis d’établissement et qu’il était âgé de 53 ans au moment où les médecins-experts se sont prononcés sur sa capacité de travail dans une activité médicalement adaptée. En se fondant sur le large éventail d’activités simples et répétitives n’impliquant pas de formation autre qu’une mise au courant initiale et offert par les secteurs de la production et des services, ils ont considéré qu’il n’était par ailleurs pas illusoire ou irréaliste d’admettre qu’il existait un nombre significatif de métiers qui pouvaient être exercés par l’assuré en dépit de ses limitations fonctionnelles. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont retenu que le taux d’abattement de 5% déterminé par l’office AI échappait à toute critique et devait être confirmé.

En l’espèce, les juges cantonaux ont omis de tenir compte de l’interdépendance des facteurs personnels et professionnels entrant en ligne de compte qui contribuent à désavantager l’assuré sur le marché du travail après une absence prolongée. Il est en effet notoire que les personnes atteintes dans leur santé, qui présentent des limitations même pour accomplir des activités légères, sont désavantagées sur le plan de la rémunération par rapport aux travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels ; ces personnes doivent généralement compter sur des salaires inférieurs à la moyenne (ATF 124 V 321 consid. 3b/bb p. 323). Aussi, en présence d’un assuré de plus de 50 ans, la jurisprudence insiste sur l’effet de l’âge combiné avec un handicap, qui doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret (arrêt 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 8.6 et la référence).

Or l’assuré, âgé de plus de 52 ans au moment déterminant de la comparaison des revenus, présente des limitations fonctionnelles objectives dans les activités professionnelles adaptées décrites par la juridiction cantonale (pouvoir alterner les positions aux heures au moins, éviter les travaux de force avec le membre supérieur droit, éviter les mouvements répétitifs de plus de 50% du temps de travail, éviter les mouvements d’élévation antérieure et d’abduction au-dessus de 70 degrés avec le membre supérieur droit) et qui ne sont nullement compensées par d’autres éléments personnels ou professionnels tels que la formation ou l’expérience professionnelle. En retenant un taux d’abattement de 5%, l’office AI, puis la juridiction cantonale, ont par conséquent sous-estimé les circonstances pouvant influer sur le revenu d’une activité lucrative dans une mesure qui excède le pouvoir d’appréciation qu’il convient de leur reconnaître. Une déduction globale de 15% tient en l’occurrence mieux compte des circonstances pertinentes du cas d’espèce.

Sur le vu de ce qui précède, il convient de corriger la comparaison des revenus à laquelle a procédé la juridiction cantonale. Aussi, compte tenu d’une déduction de 15%, le revenu d’invalide de l’assuré se monte annuellement à 28’242 fr. 60. Comparé avec un revenu sans invalidité de 62’140 fr., le degré d’invalidité de l’assuré s’élève à 55% (54.55%). Selon l’art. 28 al. 2 LAI, un tel taux d’invalidité donne droit à une demi-rente d’invalidité.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_459/2019 consultable ici

 

 

8C_661/2018 (f) du 28.10.2019 – Revenu sans invalidité d’un salarié et unique associé gérant de sa Sàrl (café-restaurant) / Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement – Pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal – Critère de l’âge en assurance-accidents (question laissée encore ouverte)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_661/2018 (f) du 28.10.2019

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité / 16 LPGA

Revenu sans invalidité d’un salarié et unique associé gérant de sa Sàrl (café-restaurant)

Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement – Pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal – Critère de l’âge en assurance-accidents (question laissée encore ouverte)

Abattement 5% en raison des limitations fonctionnelles (pas de gros efforts, port occasionnel de charges de maximum 8 kg, pas de montée/ descente d’escaliers, pas de travaux s’effectuant au-dessus du plan des épaules)

 

Assuré, né en 1959, a suivi une école hôtelière à l’étranger. Arrivé en Suisse dans les années 1980, il a travaillé dans différents restaurants avant de fonder le 30.08.2013 sa propre société, B.__ Sàrl, dont il était salarié et unique associé gérant, en vue d’exploiter le café-restaurant C.__.

Le 12.08.2014, l’assuré a fait une chute à scooter. Il a subi une intervention pour une fracture multifragmentaire de l’humérus proximal gauche et une rupture complète du tendon patellaire gauche. Une IRM de l’épaule droite a révélé une rupture quasi complète des tendons des sus- et sous-épineux, une bursite sous-acromiale-deltoïdienne modérée ainsi que des atteintes dégénératives de l’articulation acromio-claviculaire. En incapacité de travail totale depuis l’accident, l’assuré a repris son activité à 30% le 02.03.2015. Il n’a jamais pu augmenter ce taux, ce qui l’a conduit par la suite à remettre l’exploitation du restaurant à un tiers.

Dans le cadre de la demande AI déposée le 03.02.2015, l’office AI a procédé à une enquête économique. Selon le rapport y relatif, le restaurant, situé au centre du village, fonctionnait assez bien et offrait une ouverture hebdomadaire de 80 heures ; avant l’accident, la Sàrl employait en sus de l’assuré quatre autres personnes dont une serveuse à 70% ; depuis lors, il y avait eu une baisse de fréquentation et le chiffre d’affaires avait diminué, ce qui avait obligé l’assuré à diminuer également son personnel. L’assuré se versait un salaire mensuel brut de 4’500 fr. treize fois l’an (58’500 fr.). Un bénéfice de 48’640 fr. ressortait des comptes d’exploitation de la société pour la période allant de septembre 2013 à décembre 2014. D’après la comparaison des champs d’activité, l’assuré présentait une incapacité de travail de 46,88%. L’office AI a alloué à l’assuré un quart de rente depuis le 01.08.2015. Cette décision a été confirmée le 27.08.2018 par le tribunal cantonal.

L’assurance-accidents a mis en œuvre une expertise confiée à un spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. S’agissant de la capacité de travail, l’assuré était limité pour assumer les gros efforts, porter des charges, monter et descendre des escaliers et des échelles ainsi que pour les travaux s’effectuant au-dessus du plan des épaules. Dans une profession de gérant d’un hôtel et d’un restaurant consistant essentiellement en un travail administratif, de gestion des stocks, à l’ordinateur, de surveillance et de contrôle, l’assuré pourrait travailler à 100%. Il pouvait occasionnellement effectuer des efforts et soulever des charges de moins de 8 kg.

L’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, motif pris que le taux d’invalidité (1%) était insuffisant pour ouvrir le droit à une telle prestation.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a déterminé le revenu sans invalidité en se fondant sur les attestations de salaires transmises par la caisse de compensation (ci-après : la caisse). Elle a retenu que le salaire annuel de l’assuré pour son activité de gérant du café-restaurant C.__ s’élevait à 58’500 fr. (4’500 fr. par mois versé 13 fois l’an) et a admis qu’il aurait été maintenu tel quel en 2016, moment de la naissance du droit à la rente, dès lors que le restaurant était en début d’exploitation. A ce salaire de base, la cour cantonale a estimé qu’il fallait ajouter le bénéfice du restaurant qui, selon elle, était entièrement attribuable à l’assuré. Elle a constaté que l’extrait du compte individuel AVS de l’intéressé indiquait un montant de 33’434 fr. en 2014 et a considéré que ce montant représentait le bénéfice que celui-ci s’était versé. Cependant, les comptes d’exploitation de la Sàrl recueillis dans le cadre de la procédure AI mentionnaient un résultat de 48’640 fr. pour la période allant de septembre 2013 à décembre 2014 (16 mois), soit un bénéfice moyen de 36’480 fr. rapporté à une année (48’640 fr. x 12/16). Toujours selon la cour cantonale, c’était ce dernier montant qui devait être pris en compte dans la mesure où « un tel bénéfice pouvait raisonnablement être envisagé pour 2016 ». Le revenu sans invalidité de l’assuré se montait donc à 94’980 fr. (58’500 fr. + 36’480 fr.).

Pour ce qui est du revenu d’invalide, la cour cantonale s’est référée aux ESS 2012, en prenant pour base le salaire que peuvent prétendre des hommes dans des tâches physiques ou manuelles simples (niveau de compétence 1) dans le secteur privé. Après adaptation à l’évolution des salaires et à la durée normale du travail dans les entreprises en 2016, il en résultait un montant annuel de 66’954 fr. 40 en 2016. En outre, la cour cantonale n’a pas confirmé le taux d’abattement de 5% retenu par l’assurance-accidents pour tenir compte du handicap de l’assuré mais l’a fixé à 15% « en raison des limitations physiques et de la situation personnelle » de ce dernier. Le revenu d’invalide s’établissait ainsi à 56’911 fr. 20.

Par jugement du 27.08.2018, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision sur opposition octroi d’une rente d’invalidité fondée sur un taux de 40% ainsi que d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 35%

 

TF

Revenu sans invalidité

Pour déterminer le revenu sans invalidité, il faut établir ce que l’assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s’il n’était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Tant pour les personnes salariées que pour celles de condition indépendante, on peut se référer aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) (arrêt 8C_9/2009 du 10 novembre 2009, in SVR 2010 IV n° 26 p. 79; arrêt 9C_771/2017 du 29 mai 2018 consid. 3.6). En effet, l’art. 25 al. 1 RAI établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité ; le parallèle n’a toutefois pas valeur absolue (arrêt 8C_748/2008 du 10 juin 2009 consid. 5.2.1). Cette réglementation est applicable par analogie dans le domaine de l’assurance-accidents, dès lors que la notion d’invalidité y est la même que dans l’assurance-invalidité (cf. ATF 133 V 549 consid. 6.1 p. 553).

Il est établi que l’assuré était à la fois salarié et associé-gérant de la société B.__ Sàrl dont il détenait toutes les parts sociales. En considération de cette situation, l’assurance-accidents ne remet pas en cause la prise en compte, dans le revenu sans invalidité, à la fois d’un salaire versé par la société à l’assuré et d’un montant à titre de part aux bénéfices auquel ce dernier peut prétendre en tant qu’associé-gérant de la Sàrl comme le prévoit l’art. 798 al. 1 CO (voir aussi ch. 2010 des Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG [DSD] dans leur teneur en vigueur au 1er janvier 2014).

L’extrait des comptes individuels AVS rassemblés fait état d’un revenu de 19’500 fr. pour les mois de septembre à décembre 2013, respectivement de 33’434 fr. pour toute l’année 2014 ; une somme de 54’000 fr. a également été comptabilisée puis extournée par cette caisse pour l’année 2014. La somme portée en compte sur cette période se monte donc à 52’934 fr. (19’500 fr. + 33’434 fr.). Le montant de 19’500 fr. pour 2013 correspond à un salaire de 4’500 fr. versé sur quatre mois, y compris le treizième salaire au prorata. On ne voit pas que le montant de 33’434 fr. comptabilisé pour 2014 corresponde à un versement de bénéfice de la Sàrl à l’assuré. Il n’y a aucun indice dans ce sens au dossier et il est regrettable que la seule pièce à disposition pour l’année 2014 soit une attestation du total des salaires de l’ensemble du personnel de la Sàrl ne comportant aucun détail. En l’absence de toute autre comptabilisation au compte individuel pour 2014 – le montant de 54’000 fr. ayant été extourné -, il ne peut toutefois s’agir que d’un montant obtenu par l’assuré à titre de salaire de janvier 2014 jusqu’à la survenance de l’accident en cause (12.08.2014), étant précisé qu’aucune cotisation AVS n’est perçue sur les indemnités journalières que l’assurance-accidents a versées par la suite. Le fait que le montant de 33’434 fr. ne corresponde pas exactement au versement d’un salaire mensuel de 4’500 fr. plus la part du 13e salaire pour la période du 01.01.2014 au 12.08.2014 n’empêchait pas l’autorité cantonale, dès lors qu’il est constant que l’assuré s’octroyait un salaire annuel de 58’500 fr. (4’500 fr. versé treize fois l’an), de retenir que l’assuré se serait attribué un salaire annuel d’au moins 58’500 fr. au moment déterminant. Quant à la part aux bénéfices, il ressort des documents comptables produits que le résultat d’exploitation de la société B.__ Sàrl pour la période allant du 01.09.2013 au 31.12.2014 était de 48’639 fr. 71. Compte tenu de ce chiffre, on peut raisonnablement admettre que l’assuré se serait versé en sus de son salaire un montant annuel de 36’480 fr. (48’640 fr. x 12/16) à titre de part de bénéfice en rapport avec son travail si l’accident ne l’avait pas empêché de continuer à gérer le restaurant. Le montant du revenu sans invalidité de 94’980 fr. retenu par la cour cantonale échappe ainsi à la critique.

 

Revenu d’invalide

Dans la mesure où les données de l’ESS pour l’année 2014 étaient déjà disponibles au moment de la saisine de la cour cantonale, celle-ci aurait dû se référer à cette version plus récente. En effet, le moment de la naissance du droit à la rente est le 01.05.2016 et il y a lieu de se rapprocher le plus exactement possible du montant que la personne assurée est susceptible d’obtenir sur le marche équilibré du travail (cf. arrêt 9C_673/2010 du 31 mars 2011 consid. 3.4). Il faut donc se fonder sur le salaire statistique mensuel brut total de 5’312 fr. (TA1_skill_level ESS 2014). Compte tenu d’un horaire de travail moyen usuel dans les entreprises de 41,7 heures en 2016 et de l’évolution des salaires nominaux chez les hommes de 2014 à 2016 (0,3% en 2015; 0,6% en 2016; voir le tableau T39 « Evolution des salaires nominaux, des prix à la consommation et des salaires réels », 1976-2009 et 2010-2017), on obtient un revenu annuel de 67’052 fr.

 

Taux d’abattement

Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est en revanche pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le juge des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration ; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 précité consid. 5.2 p. 73 et l’arrêt cité).

S’agissant du taux d’abattement sur le salaire statistique, la cour cantonale n’a pas précisé plus avant quel était le motif relevant de la situation personnelle de l’assuré qui l’a conduite à s’écarter du taux initialement retenu par l’assurance-accidents. On peut penser qu’elle entendait prendre en considération l’âge de celui-ci (57 ans en 2016), les autres facteurs tels que la nationalité, la catégorie d’autorisation de séjour, les années de service ou le taux d’occupation n’entrant manifestement pas en ligne de compte. Toutefois, l’âge d’un assuré ne constitue pas en lui-même un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant de la naissance du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Encore récemment (arrêt 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 5), le Tribunal fédéral a insisté sur ce point et a affirmé que l’effet de l’âge combiné avec un handicap doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels.

En l’espèce, la cour cantonale n’a pas examiné en quoi les perspectives salariales de l’assuré seraient concrètement réduites sur le marché du travail équilibré à raison de son âge, compte tenu des circonstances du cas particulier. Cela étant, au vu du parcours de l’assuré et compte tenu du fait que les activités simples envisagées (du niveau de compétence 1) ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique, les effets pénalisants au niveau salarial induits par l’âge ne peuvent pas être considérés comme suffisamment établis. Il n’est donc pas nécessaire de décider aujourd’hui si l’âge d’un assuré constitue même un critère susceptible de justifier un abattement sur le salaire statistique dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire compte tenu de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA, question laissée ouverte par le Tribunal fédéral dans plusieurs arrêts récents (voir, en dernier lieu, l’arrêt 8C_878/2018 du 21 août 2019 consid. 5.3.1 et les références citées).

Pour la même raison (la catégorie d’activités concernée), le taux d’abattement lié au handicap déjà opéré par l’assurance-accidents ne pouvait pas être revu à la hausse par la cour cantonale. La question de savoir s’il se justifie de procéder à un abattement sur le salaire statistique à ce titre dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées. Une réduction pour ce motif n’entre en considération que si, dans un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. en dernier lieu arrêt 8C_122/2019 du 10 septembre 2019 consid. 4.3.1.4 et les arrêts cités). En l’espèce, il ressort de l’expertise médicale que l’assuré est en mesure d’exercer une activité à plein temps sans diminution de rendement si l’activité respecte pleinement ses limitations fonctionnelles ; celles-ci concernent les gros efforts, le port de charges (s’il n’est pas occasionnel et s’il est supérieur à 8 kg), la montée et la descente d’escaliers ainsi que les travaux s’effectuant au-dessus du plan des épaules. Si de telles limitations excluent les travaux lourds, on ne voit pas qu’elles restreindraient de manière significative les activités légères, en tout cas pas dans une mesure qui justifierait un abattement supérieur à 5%.

Partant, la cour cantonale n’avait pas de motif pertinent pour substituer son appréciation à celle de l’assurance-accidents. Avec un abattement de 5%, le revenu d’invalide se monte à 63’699 fr.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, réformant le jugement cantonal en ce sens que le taux d’invalidité est fixé à 33%.

 

 

Arrêt 8C_661/2018 consultable ici

 

 

9C_273/2019 (f) du 18.07.2019 – Rente d’invalidité – Revenu d’invalide selon ESS – 16 LPGA / Aucun abattement retenu – Limitations fonctionnelles prises en compte lors de l’évaluation de la capacité de travail du point de vue médical / Pas de prise en compte du « long éloignement du marché du travail »

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_273/2019 (f) du 18.07.2019

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité – Revenu d’invalide selon ESS / 16 LPGA

Aucun abattement retenu – Limitations fonctionnelles prises en compte lors de l’évaluation de la capacité de travail du point de vue médical

Critère des limitations fonctionnelles – Critère de la capacité de travail réduite – Pas de prise en compte du « long éloignement du marché du travail »

 

Assurée déposant au mois de mai 2010 une demande AI, en relation notamment avec un accident subi en 2002. La requête a été rejetée par l’office AI, considérant que l’assurée présentait une pleine capacité de travail dans sa profession d’employée de bureau.

A la suite de deux nouveaux accidents survenus en mai et août 2012, dont les suites ont été prises en charge par l’assurance-accidents, l’assurée a présenté une nouvelle demande AI en février 2013. L’office AI a notamment soumis l’assurée à deux expertises. Le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie a posé le diagnostic de trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen avec syndrome somatique (F33.10) au moment de l’entretien, mais ayant été sévère sans symptômes psychotiques (F33.2) du point de vue anamnestique, et ceci vraisemblablement depuis 2014, chez une personnalité émotionnellement labile de type borderline avec tendances abandonniques importantes (F60.31). Il a conclu à une incapacité de travail de 50% dès le 07.03.2014. Pour sa part, le spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur a fait état d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles dès novembre 2012, hormis du 15.06.2015 au 15.09.2016, où la capacité de travail avait été nulle. Par décision, l’office AI a reconnu le droit de l’assurée à une demi-rente d’invalidité du 01.03.2015 au 30.09.2015, à une rente entière du 01.10.2015 au 31.12.2016, puis à une demi-rente dès le 01.01.2017.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2017 302 – consultable ici)

Par jugement du 19.03.2019, admission partielle du recours par le tribunal cantonal. La décision querellée est modifiée dans le sens que l’assurée est mise au bénéfice d’une rente entière d’invalidité du 01.08.2013 au 31.12.2013, d’une demi-rente du 01.01.2014 au 30.09.2015, d’une rente entière du 01.10.2015 au 31.12.2016, puis d’une demi-rente dès le 01.01.2017.

La juridiction cantonale a justifié son refus d’opérer un abattement sur le salaire d’invalide par le fait que tous les médecins qui s’étaient prononcés au sujet de la situation de l’assurée s’accordaient à reconnaître qu’elle disposait d’une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles à partir du 18.09.2016.

 

TF

Abattement sur le revenu d’invalide selon ESS

En ce qui concerne le taux d’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (cf. ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc p. 79 s.).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399; 130 III 176 consid. 1.2 p. 180).

 

Critère des limitations fonctionnelles

Les limitations fonctionnelles dont fait état l’assurée ont été prises en compte lors de l’évaluation de la capacité de travail du point de vue médical ; elles ne peuvent dès lors pas être retenues une seconde fois lors de la fixation du revenu d’invalide. Le spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur a en effet expliqué que l’exercice d’une activité d’employée de commerce est adapté aux limitations fonctionnelles qu’elle présente du point de vue somatique. Partant, les considérations de la juridiction cantonale selon lesquelles lesdites limitations fonctionnelles ne permettaient pas de procéder à un abattement, doivent être confirmées.

 

Critère de la capacité de travail réduite

S’agissant ensuite du critère du taux d’occupation réduit, il peut être pris en compte pour déterminer l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique d’invalide lorsque le travail à temps partiel se révèle proportionnellement moins rémunéré que le travail à plein temps. Cela étant, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de constater que le travail à plein temps n’est pas nécessairement proportionnellement mieux rémunéré que le travail à temps partiel ; dans certains domaines d’activités, les emplois à temps partiel sont en effet répandus et répondent à un besoin de la part des employeurs, qui sont prêts à les rémunérer en conséquence (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc p. 79; cf. aussi arrêts 9C_10/2019 du 29 avril 2019 consid. 5.2.1; 8C_49/2018 du 8 novembre 2018 consid. 6.2.2.2). En particulier, selon les statistiques, les femmes exerçant une activité à temps partiel ne perçoivent souvent pas un revenu moins élevé proportionnellement à celles qui sont occupées à plein temps (cf., p. ex., arrêt 9C_751/2011 du 30 avril 2012 consid. 4.2.2). L’argumentation de l’assurée ne permet pas de retenir qu’il en irait différemment dans le cas d’espèce.

 

« Long éloignement du marché du travail »

Quant au « long éloignement du marché du travail » dont se prévaut finalement la recourante, il ne s’agit pas là d’un facteur d’abattement au sens de la jurisprudence (ATF 126 V 75, c. 5b/aa et bb p. 79 s.; cf. aussi arrêt 9C_55/2018 du 30 mai 2018 consid. 4.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_273/2019 consultable ici