8C_765/2019 (i) du 10.06.2020 – Revenu d’invalide – 16 LPGA / Horaire hebdomadaire de la branche – Année à prendre en compte (année de l’ESS vs année de la comparaison des revenus)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_765/2019 (i) du 10.06.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Revenu d’invalide / 16 LPGA

Horaire hebdomadaire de la branche – Année à prendre en compte (année de l’ESS vs année de la comparaison des revenus)

Abattement de 5%

 

Le 17.12.2015, l’assuré, né en 1968, maçon, a trébuché et est tombé sur l’asphalte, se protégeant en « mettant ses mains en avant ». À la suite de cet événement, l’assuré a signalé une déchirure de la coiffe des rotateurs à droite et une minime déchirure du supra-spinatus à gauche. Une intervention et plusieurs enquêtes ont suivi.

Par décision, confirmée par opposition, l’assurance-accidents a nié le droit à une rente d’invalidité et a octroyé une IPAI de 20%. Pour le revenu d’invalide, il a été tenu compte d’un abattement de 5%, l’assuré ayant des limitations aux deux épaules, en particulier le port de poids ; les autres activités ne sont par contre pas limitées.

 

Procédure cantonale (35.2019.57)

Le tribunal cantonal a rappelé que les données statistiques les plus récentes doivent être utilisées pour statuer sur les oppositions. La juridiction cantonale a pris en compte l’expérience professionnelle acquise par l’assuré au fil des ans tant en Italie qu’en Suisse en tant que maçon, sans être titulaire d’un CFC. Il a utilisé dans ce cas le tableau ESS TA1 2016, branche 41-43 « Construction », niveau 1, hommes, rapporté sur 41,3 heures et indexé jusqu’en 2018. Dans les calculs, elle a reporté, sans raison particulière, le salaire mensuel brut moyen sur 41,4 heures. L’indexation du revenu d’invalide de 2016 à 2018 a été fait au moyen du tableau « T1.1.10 Indice des salaires nominaux, hommes, 2011-2018 ». Contrairement à l’assurance-accidents, la cour cantonale a tenu compte d’un abattement de 10%, afin de tenir compte des limitations fonctionnelles liées à l’atteinte à la santé, l’assuré ne pouvant effectuer pour l’essentiel que des travaux très légers.

Par jugement du 14.10.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et octroyant à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 12% dès le 01.07.2018.

 

TF

Horaire hebdomadaire à prendre en compte

Le premier grief se rapporte à l’horaire hebdomadaire à prendre en compte.

La durée hebdomadaire de 41,4 heures est liée aux données de 2016, alors que celle de 41,3 heures l’est aux données de 2018.

Le Tribunal fédéral confirme que les statistiques « Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique » (tableau T 03.02.03.01.04.01), dans la branche 41-43 « Construction » sont de 41.4h en 2016 et de 41.3h en 2018.

Le Tribunal fédéral conclut que le tribunal cantonal est tombé dans une erreur manifeste. Si le salaire mensuel brut selon ESS de CHF 5’508, rapporté sur 41.3h/semaine, s’élève à CHF 5’687,01 en 2018, soit CHF [68’244.12] par an (CHF 5’687,01 x 12), 13e salaire inclus (voir arrêt U 274/98 du 18 février 1999, consid. 3a).  [NB : erreur de calcul par le TF, le résultat correct est bien 68’244.12 et non 68’409.36.]

 

Abattement

S’agissant de l’abattement, le tribunal cantonal s’est contenté de se référer à un jugement cantonal antérieur, qui n’a pas fait l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral. Or, l’application d’un abattement sur le revenu d’invalide est le résultat d’une évaluation globale de la situation (cf. également les arrêts 8C_730/2019 du 10.06.2020 et 8C_9/2020 du 10.06.2020 pour un grief identique, au résultat identique).

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_765/2019 consultable ici

Proposition de citation : 8C_765/2019 (i) du 10.06.2020 – Revenu d’invalide – Horaire hebdomadaire de la branche – Abattement, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/08/8c_765-2019)

 

Remarque : cet arrêt est intéressant et tranche clairement la question de savoir quelle durée hebdomadaire il contient d’appliquer. Bien que, dans le cas d’espèce, l’ESS 2016 a servi de base, le revenu d’invalide a été déterminé pour l’année 2018. Ce sont donc bien les données de la durée hebdomadaire de 2018 qui doivent servir de référence pour l’adaptation.

8C_730/2019 (i) du 10.06.2020 – Revenu d’invalide – 16 LPGA / Indexation du revenu ESS / Abattement sur le salaire statistique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_730/2019 (i) du 10.06.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Revenu d’invalide / 16 LPGA

Indexation du revenu ESS

Abattement sur le salaire statistique

 

Assuré, né en 1963, charpentier, est victime le 06.08.2017 d’un accident au genou droit. Les examens médicaux ont montré la présence d’une gonarthrose médiale et fémoro-patellaire, rendue symptomatique par le traumatisme subi.

L’assurance-accidents a, par décision confirmée sur opposition, le droit à une rente d’invalidité et a octroyé une IPAI de 10%. Le revenu d’invalide a été fixé sur la base de l’ESS 2016, tableau TA1 (niveau de compétences 1, hommes, toutes branches confondues), indexé à 2018 ; l’assureur n’a tenu compte d’aucun abattement.

 

Procédure cantonale (35.2019.59)

En ce qui concerne l’indexation jusqu’en 2018, le tribunal cantonal a indiqué que selon l’indice T1.1.10 des salaires nominaux, hommes 2011-2018, l’indice par rapport à 2010 était de 104,1 en 2016 et de 105,1 en 2018. Le revenu 2018 est ainsi de CHF 67’445.12. L’abattement a été porté à 10%.

Par jugement du 30.09.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et reconnaissant le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, dès le 01.11.2018, fondée sur un taux de 13%.

 

TF

Indexation

L’assurance-accidents (recourante) relève que la juridiction cantonale s’est basée sur le tableau T1.1.10. Indépendamment du fait que, selon l’assureur, le tribunal cantonal aurait dû utiliser le tableau existant le plus récent, c’est-à-dire T1.1.15, il est incompréhensible que ce choix modifie la pratique du même tribunal puisque, dans d’autres cas similaires, le tribunal cantonal aurait toujours utilisé T1.1.15 pour les données à partir de 2015 s’il n’y avait pas besoin d’utiliser les données pour une branche d’activité particulière. Toutefois, le résultat obtenu [avec les données du T1.1.15] ne serait pas fondamentalement différent du calcul appliqué par le tribunal cantonal.

L’utilisation d’un tableau statistique présuppose qu’il a été publié au moment où la décision sur l’opposition a été rendue (ATF 143 V 295 consid. 4.1.2 p. 299). Un examen plus approfondi des deux tableaux T1.1.10 et T1.1.15 montre que les valeurs sont les mêmes. Le résultat non identique de l’utilisation des deux tableaux (avec une différence minimale de 0,06 %) réside simplement dans le fait que les tableaux sont limités à une seule décimale et qu’en fonction de la valeur de base à partir de laquelle on part (2010 ou 2015), un certain écart est créé.

Toutefois, le grief ne tient pas compte de la maxime « minima non curat praetor », que les assureurs sont tenus de respecter (arrêts 8C_144/2019 du 6 août 2019 consid. 5 et 8C_363/2017 du 22 novembre 2017 consid. 4).

 

Abattement sur le salaire statistique

S’agissant de l’abattement, le tribunal cantonal s’est contenté de se référer à un jugement cantonal antérieur, qui n’a pas fait l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral. Or, l’application d’un abattement sur le revenu d’invalide est le résultat d’une évaluation globale de la situation (cf. également les arrêts 8C_765/2019 du 10.06.2020 et 8C_9/2020 du 10.06.2020 pour un grief identique, au résultat identique).

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_730/2019 consultable ici

Proposition de citation : 8C_730/2019 (i) du 10.06.2020 – Revenu d’invalide – Indexation du revenu ESS – Abattement sur le salaire statistique, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/08/8c_730-2019)

 

8C_9/2020 (i) du 10.06.2020 – Rente d’invalidité – Comparaison des revenus – 16 LPGA / Arrondissement du revenu sans invalidité à la dizaine inférieure erroné / Justification et raisonnement pour tenir compte d’un abattement sur le salaire statistique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_9/2020 (i) du 10.06.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Rente d’invalidité – Comparaison des revenus / 16 LPGA

Arrondissement du revenu sans invalidité à la dizaine inférieure erroné

Justification et raisonnement pour tenir compte d’un abattement sur le salaire statistique

Le fait pour un tribunal cantonal de se référer à un jugement cantonal antérieur, qui n’a pas fait l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral, n’a pas été admis

 

Assuré, né en 1955, menuisier, est tombé d’un toit et a subi un traumatisme à l’épaule droite.

 

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé le droit à une rente d’invalidité et a octroyé une IPAI de 15%. Le revenu sans invalidité a été fixé à CHF 69’156.

S’agissant des limitations fonctionnelles, l’assuré n’a aucune restriction quant à la position assise et debout, sur les mouvements autres que la montée et la descente des escaliers.

 

Procédure cantonale (arrêt 35.2019.64)

Le tribunal cantonal a confirmé le revenu sans invalidité mentionné dans la décision sur opposition mais a conclu à un revenu sans invalidité de CHF 69’150.

Quant au revenu d’invalide, après avoir rappelé la pratique fédérale et cantonale, l’instance cantonale s’est référée à un jugement (cantonal) définitif (entré en force) du 5 septembre 2019, qui « critiquait » [« censurato »] le changement de pratique de l’assurance-accidents, consistant à ne plus appliquer d’abattement sur les revenus d’invalide à compter du 1er janvier 2019. Après avoir rappelé quelques cas similaires, les juges cantonaux ont appliqué une déduction de 10%.

Par jugement du 20.11.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et octroyant à l’assuré une rente d’invalidité sur un taux de 12%.

 

TF

Revenu sans invalidité

L’assurance-accidents (recourante) déclare ne pas comprendre pourquoi le tribunal cantonal est arrivé à un chiffre légèrement inférieur, bien qu’il confirme la décision sur l’opposition sur ce point. Ni l’assuré, ni le tribunal cantonal n’ont donné d’avis explicite sur ce point.

Il faut conclure qu’il s’agit bien d’une erreur manifeste de la part du tribunal cantonal. Les juges cantonaux n’ont pas indiqué pourquoi le revenu sans invalidité devait être arrondi à la dizaine inférieure. Le revenu sans invalidité est donc de CHF 69’150.

 

Revenu d’invalide – Abattement sur le salaire statistique

L’assurance-accidents (recourante) considère que le fait d’avoir évalué par le passé l’abattement de manière trop large ne la lie pas à d’autres cas. L’assureur fait également observer que l’abattement de 10% est excessif, car ce taux a été appliqué dans des cas beaucoup plus graves que dans le cas d’espèce.

L’assuré, quant à lui, critique l’attitude contradictoire de l’assurance-accidents, car après avoir reconnu l’abattement dans de nombreux cas, il prétend maintenant ne plus l’appliquer. Il souligne que l’activité exigible (simple et répétitive) ne tient pas compte des limitations concrètes. Il considère que la décision sur opposition est inhabituelle, refusant d’accorder toute déduction ainsi que d’appliquer les DPT, désormais abandonnées par l’assurance-accidents.

Si le revenu d’une personne invalide est établi sur la base de données statistiques, il faut se demander si ce montant ne doit pas être réduit. L’influence de tous les facteurs sur le revenu (limitations de l’état de santé, âge, années de service, nationalité/type de permis de séjour et degré d’emploi) doit être évaluée dans son ensemble en tenant compte de toutes les circonstances du cas spécifique, en faisant un usage approprié du pouvoir d’estimation, sans pour autant quantifier séparément chaque facteur de réduction. En tout état de cause, la réduction ne doit pas dépasser 25% (ATF 135 V 297 consid. 5.2 p. 301 ; 134 V 322 consid. 5.2 p. 327 s. ; 126 V 75 consid. 5b/bb p. 80).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72 ; arrêt 8C_652/2008 du 8 mai 2009 consid. 4, non publié dans ATF 135 V 297). En revanche, l’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation. L’exercice du pouvoir d’appréciation n’est pas un motif de recours devant le Tribunal fédéral (ATF 143 V 369 consid. 5.4.1 p. 379), à moins que cela ne constitue une violation du droit fédéral. Tel est le cas si la juridiction de première instance a exercé son pouvoir d’appréciation, soit en commettant un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation, soit en abusant de ce pouvoir (« Ermessensmissbrauch »), en se laissant guider par des critères étrangers à l’esprit de la loi ou en ignorant des principes généraux reconnus tels que l’interdiction de l’arbitraire, le principe de la bonne foi ou la proportionnalité (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72 et suiv. ; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399).

Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance (art. 57 LPGA) n’est en revanche pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le juge des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration ; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 consid. 5.2 p. 73 et la référence).

Une réduction sur le revenu d’invalide ne peut être appliquée que s’il est prouvé dans le cas concret que l’assuré ne peut exploiter sa capacité de travail exigible sur un marché du travail équilibré que de manière inférieure à la moyenne, en raison de l’un ou l’autre des critères (ou de plusieurs critères) (ATF 135 V 297 consid. 5.2 p. 301 ; arrêt 8C_82/2019 du 19 septembre 2019, consid. 6.2.2 et la référence).

Il convient de rappeler que les limitations fonctionnelles déjà incluses dans l’examen de la capacité de travail résiduelle ne doivent pas avoir d’influence supplémentaire sur l’examen de l’abattement, afin d’éviter une double prise en compte du même aspect : le simple fait que sont exigibles pour l’assuré que des activités légères à moyennement complexes ne justifie pas une réduction supplémentaire, même dans le cas d’une capacité de travail partielle (arrêts 8C_805/2016 du 22 mars 2017 consid. 3.1 et 3.4.2 et 9C_846/2014 du 22 janvier 2015 consid. 4.1.1 et les références). Le niveau de compétences 1 de l’ESS comprend déjà toute une série d’activités légères, qui tiennent compte de nombreuses limitations. En d’autres termes, seules des circonstances qui, dans un marché équilibré du travail, doivent être considérées comme exceptionnelles peuvent être prises en compte au titre de limitations fonctionnelles (arrêts 8C_495/2019 du 11 décembre 2019 consid. 4.2.2 avec référence et 8C_82/2019 du 19 septembre 2019, considérant 6.3.2).

Dans le cas d’espèce, le tribunal cantonal se contente de se référer à un jugement cantonal antérieur, qui n’a pas fait l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral. Or, l’application d’un abattement sur le revenu d’invalide est le résultat d’une évaluation globale de la situation. Les juges cantonaux ne constatent ni n’affirment en aucune manière qu’il existe des circonstances exceptionnelles dans un marché du travail équilibré, qui permettraient dans ce cas d’affirmer que l’assuré subit un désavantage tel qu’il se trouve dans une situation inférieure à la moyenne. Pour le reste, le tribunal cantonal a improprement substitué sa propre appréciation à celle de l’assureur, sans raison particulière (cf. également les arrêts 8C_730/2019 du 10.06.2020 et 8C_765/2019 du 10.06.2020 pour un grief identique, au résultat identique).

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_9/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_9/2020 (i) du 10.06.2020 – Arrondissement du revenu sans invalidité à la dizaine inférieure erroné – Justification et raisonnement pour tenir compte d’un abattement sur le salaire statistique, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/08/8c_9-2020)

 

Désignation des juges fédéraux par tirage au sort : le Conseil fédéral rejette l’initiative sur la justice

Désignation des juges fédéraux par tirage au sort : le Conseil fédéral rejette l’initiative sur la justice

 

Communiqué de presse de l’OFJ consultable ici

 

L’initiative sur la justice demande que les juges au Tribunal fédéral soient désignés par tirage au sort. Le Conseil fédéral est opposé à ce modèle de désignation des juges fédéraux. Le tirage au sort obéit aux lois du hasard plutôt qu’au principe de l’élection démocratique. Un tel mécanisme est étranger à l’ordre juridique suisse. Dans le message qu’il a adopté lors de sa séance du 19.08.2020, le Conseil fédéral propose par conséquent au Parlement de recommander le rejet de l’initiative.

L’initiative populaire « Désignation des juges fédéraux par tirage au sort (initiative sur la justice) » a été déposée le 26 août 2019 avec 130 100 signatures valables. Elle exige que les juges au Tribunal fédéral soient désignés par tirage au sort. Elle prévoit également qu’une commission spécialisée indépendante décide de l’admission au tirage au sort. Les juges resteraient en place jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite majoré de cinq ans. Ils ne pourraient être révoqués par l’Assemblée fédérale, sur proposition du Conseil fédéral, que s’ils violaient gravement leurs devoirs de fonction ou perdaient durablement la capacité d’exercer leur fonction.

 

Une élection démocratique remplacée par les aléas du hasard

La désignation des juges au Tribunal fédéral par tirage au sort constituerait un élément étranger à l’ordre juridique suisse. En Suisse, les juges sont élus par le peuple ou par le parlement, au niveau cantonal comme au niveau fédéral. L’élection des juges au Tribunal fédéral est une prérogative de l’Assemblée fédérale. En cas d’acceptation de l’initiative, ce mécanisme démocratique serait remplacé par une sélection aléatoire. Les vainqueurs ne seraient pas les meilleurs candidats en lice, mais les plus chanceux. La légitimité démocratique du Tribunal fédéral s’en trouverait aussi affaiblie.

 

Un système d’élection éprouvé

Le système actuel de nomination et d’élection des juges au Tribunal fédéral par l’Assemblée fédérale, qui jouit d’une légitimité démocratique, a fait ses preuves. Il permet de prendre en considération, en plus des aptitudes professionnelles, des critères liés à la langue et à la représentation régionale. L’Assemblée fédérale tient en outre traditionnellement compte des prétentions des grands partis à être représentés de façon proportionnelle au Tribunal fédéral. Ces mécanismes garantissent une composition du tribunal qui soit représentative de la société et accroisse aussi l’acceptation par la population des arrêts rendus par le Tribunal fédéral.

Pour toutes ces raisons, le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de recommander au peuple et aux cantons de rejeter l’initiative sans lui opposer de contre-projet direct ni indirect.

 

 

Communiqué de presse de l’OFJ consultable ici

Message du Conseil fédéral concernant l’initiative populaire « Désignation des juges fédéraux par tirage au sort (initiative sur la justice) » [version provisoire] consultable ici

Arrêté fédéral relatif à l’initiative populaire «Désignation des juges fédéraux par tirage au sort (initiative sur la justice)» [version provisoire] consultable ici

 

 

Le Conseil fédéral prend de nouvelles mesures contre la hausse des coûts de la santé

Le Conseil fédéral prend de nouvelles mesures contre la hausse des coûts de la santé

 

Communiqué de presse du Conseil fédéral du 19.08.2020 consultable ici

 

Le Conseil fédéral entend réduire la charge que les primes font peser sur les ménages en Suisse. Lors de sa séance du 19.08.2020, il a adopté un deuxième volet de mesures visant à poursuivre l’amélioration des soins médicaux et à freiner l’augmentation des coûts de la santé. Le potentiel d’économies s’élève à près d’un milliard de francs. La consultation prendra fin le 19.11.2020.

En adoptant ce deuxième volet de mesures, le Conseil fédéral met en œuvre sa décision du 20.05.2020 de présenter un contre-projet indirect à l’initiative populaire « Pour des primes plus basses – Frein aux coûts dans le système de santé (initiative pour un frein aux coûts) » du Parti démocrate-chrétien (PDC).

L’introduction d’un objectif de maîtrise des coûts dans l’assurance obligatoire des soins (AOS, assurance de base) constitue la mesure centrale du projet du Conseil fédéral. Pour ce faire, la Confédération et les cantons définissent chaque année dans quelle mesure les coûts peuvent augmenter, par exemple pour les soins hospitaliers stationnaires, les traitements médicaux ambulatoires ou les médicaments. Les principaux acteurs sont donc impliqués, car ce sont eux qui déterminent en premier lieu quelles mesures doivent être prises lorsque les objectifs ne sont pas respectés. Toutefois, les patients ont en tout temps accès à toutes les prestations de l’AOS. À l’heure actuelle, des réflexions systématiques sur la croissance des coûts appropriée dans chaque domaine font défaut. L’objectif de maîtrise des coûts améliore la transparence, renforce la responsabilité et réduit les prestations inutiles d’un point de vue médical.

L’objectif de maîtrise des coûts répond aux demandes formulées dans l’initiative du PDC pour un frein aux coûts et indique en outre comment atteindre les objectifs de croissance fixés sans devoir rationner les prestations nécessaires d’un point de vue médical.

 

Améliorer la coordination

En outre, le Conseil fédéral souhaite introduire trois mesures pour renforcer la coordination, pour éviter les traitements inutiles et, ainsi, pour améliorer la qualité des soins. Toutes les personnes en Suisse doivent choisir un premier point de contact auquel elles peuvent s’adresser dans un premier temps en cas de problème de santé. Il peut s’agir, par exemple, d’un médecin de famille, d’un cabinet HMO ou d’un centre de télémédecine. Ces points de contact conseillent les patients, les traitent eux-mêmes ou les adressent à un spécialiste. Les modèles avec choix limité des fournisseurs de prestations, comme celui du médecin de famille, ont fait leurs preuves et sont aujourd’hui largement acceptés.

Les réseaux de soins coordonnés représentent la deuxième mesure visant à renforcer la qualité des soins. Des spécialistes issus de différentes professions de la santé se regroupent et proposent un accompagnement médical coordonné. Ces réseaux profitent avant tout aux patients souffrant de plusieurs maladies chroniques (diabète, maladies cardiaques, arthrose), qui sont accompagnés par des professionnels tout au long de la chaîne de traitement. À l’heure actuelle, les nombreuses interfaces et le manque de structure dans les mesures isolées entraînent une charge supplémentaire et des erreurs médicales. En outre, les programmes coordonnés auxquels participent différents spécialistes tout au long du traitement permettent d’améliorer les soins et de les rendre plus efficaces, par exemple pour certaines maladies chroniques comme le diabète ou pour des programmes de prévention contre le cancer du côlon. Le Conseil fédéral souhaite régler les conditions de prise en charge des coûts de ces programmes de prise en charge des patients.

 

Modèles de prix pour les médicaments

Enfin, le Conseil fédéral souhaite garantir un accès rapide et le plus avantageux possible aux médicaments innovants et coûteux. À cet effet, il s’agit de fixer au niveau de la loi la pratique actuelle consistant à prévoir des conventions avec les entreprises pharmaceutiques (« modèles de prix »). Dans ce cadre, celles-ci doivent rembourser aux assureurs une partie des coûts. Des modèles de prix avec restitution sur le prix, sur le volume du chiffre d’affaires ou en raison d’un manque d’effets sont notamment fixés.

Le volet comprend encore d’autres mesures : examen différencié de l’efficacité, de l’adéquation et de l’économicité des médicaments, des analyses ainsi que des moyens et appareils ; introduction de tarifs de référence équitables pour garantir la concurrence entre les hôpitaux ; obligation de transmettre les factures par voie électronique selon des standards uniformes.

 

Un milliard de francs d’économies

Ces mesures recèlent un potentiel d’économies de près d’un milliard de francs, soit environ 3% sur le montant des primes. L’objectif de maîtrise des coûts et le premier point de contact apportent la principale contribution. Les expériences tirées de différents modèles d’assurance laissent supposer que le premier point de contact permettra d’économiser plusieurs centaines de millions de francs. La mise en œuvre des mesures déterminera dans quelle proportion les coûts seront effectivement maîtrisés.

 

Le programme de maîtrise des coûts

En mars 2018, le Conseil fédéral a adopté un programme de maîtrise des coûts contenant deux volets législatifs. Le premier, sur lequel le Parlement est en train de débattre, prévoit notamment l’introduction d’un article relatif aux projets pilotes, la création d’une organisation tarifaire nationale et un système de prix de référence pour les médicaments dont le brevet a expiré. Le potentiel d’économies s’élève à plusieurs centaines de millions de francs. Le deuxième volet est en consultation jusqu’au 19.11.2020.

Ces dernières années, le Conseil fédéral a déjà pris différentes mesures pour réduire la hausse des coûts de la santé, notamment en ce qui concerne le prix des médicaments, le tarif médical Tarmed ou la liste des moyens et appareils (LiMA). Grâce à ces mesures également, la hausse des primes a été inférieure à la moyenne ces deux dernières années.

 

 

Communiqué de presse du Conseil fédéral du 19.08.2020 consultable ici

Rapport explicatif du 19.08.2020 relatif à la modification la LAMal (mesures visant à freiner la hausse des coûts, 2e volet) à titre de contre-projet indirect à l’initiative populaire fédérale « Pour des primes plus basses. Frein aux coûts dans le système de santé (initiative pour un frein aux coûts) » disponible ici

Fiche d’information « Premier point de contact » du 19.08.2020 disponible ici

Fiche d’information « Modèles de prix pour médicaments » du 19.08.2020 disponible ici

Fiche d’information « Objectif de maîtrise des coûts dans le système de santé » du 19.08.2020 disponible ici

Aperçu des « Mesures visant à freiner la hausse des coûts dans l’assurance obligatoire des soins : deuxième volet en consultation » disponible ici

 

 

Accidents de sport et entreprises téméraires

Accidents de sport et entreprises téméraires

 

Article paru in REAS, 2020, no 2, p. 194-201

 

Interrogé sur l’explication de sa longévité, Churchill aurait répondu: «Cigars, whisky, no sport». Lorsque nous regardons les statistiques des accidents, nous pourrions lui donner raison.

En 2013, sur les 495 964 accidents non professionnels acceptés, 181 481 sont survenus lors de la pratique de sports et de jeux, soit un taux de 36%. En 2017, ce taux demeurait identique, et ce en dépit du fait que le nombre absolu des accidents a régulièrement augmenté au fil des années. Les accidents de sport génèrent 35% des coûts, suivis de près par les accidents dans des espaces publics en plein air, avec 29% des coûts. Les accidents de la circulation, correspondant à 39% des cas de cette catégorie, en sont la cause. À l’inverse, les accidents survenant dans des maisons et sur des terrains privés ne représentent que 19% des coûts.

Bien que l’activité sportive ait des vertus incontestées, il n’en demeure pas moins qu’elle représente une part non marginale des accidents non professionnels. À quelles conséquences doit-on s’attendre en cas d’accident survenu lors de la pratique de sports spécialement dangereux ou lors d’activités sportives récentes (flyboard, jetpack, wingsuit, etc.) ?

 

Publication :  David Ionta, Accidents de sport et entreprises téméraires, in: REAS, 2020, no 2, p. 194-201

 

 

Articles et ouvrages – Sélection Juin 2020 – Juillet 2020

Voici une sélection (personnelle et subjective) des divers articles, contributions et ouvrages parus récemment :

 

  • Jolanda Marti, Grundrechtliche Anforderungen an Observationen im Sozialversicherungsrecht im Rahmen der BV und der EMRK, Schulthess, 2019 (Impulse zur praxisorientierten Rechtswissenschaft ; 48)

 

  • Laura Kunz, Schwarzarbeit aus sozialversicherungsrechtlicher Perspektive : unter besonderer Berücksichtigung der Rolle der Arbeitgeberin, Dike, 2020 (Recht in privaten und öffentlichen Unternehmen ; Bd. 31)

 

  • Andreas Brenner, Die Festsetzung der Versicherungsprämie nach Art. 92 UVG mit Blick auf die sozialversicherungsrechtlichen Gestaltungsprinzipien, Schulthess, 2020 (Schriften zum Sozialversicherungsrecht ; 36)

 

  • Melchior Glatthard, Das Rücktrittsrecht : Art. 97 Abs. 1 OR und die analoge Anwendung des Rücktrittsrechts nach Art. 107 Abs. 2 OR und Art. 109 OR, Stämpfli, 2020 (Abhandlungen zum schweizerischen Recht. Neue Folge ; H. 834)

 

  • Patrick Fleury, Le dommage aquilien et son évaluation patrimoniale : étude en droit romain et suisse, ainsi que dans les projets européens de révision des codes civils, Editions juridiques libres, 2020

 

  • BVG und FZG : Bundesgesetze über die berufliche Alters-, Hinterlassenen- und Invalidenvorsorge sowie über die Freizügigkeit in der beruflichen Alters-, Hinterlassenen- und Invalidenvorsorge, 2. Aufl., Jacques-André Schneider … [et al.] (Hrsg.), Stämpfli, 2019 (Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht)

 

  • Hardy Landolt/Bernhard Stehle (Hrsg.), Arzthaftpflicht 2019, Schulthess, 2019

 

  • Marc Hürzeler … [et al.], Sozialversicherungen, Vorsorge und Steuern, Schulthess, 2020

 

  • Obligationenrecht (Basler Kommentar), 7. Aufl. ; Hrsg. Corinne Widmer Lüchinger … [et al.], Helbing Lichtenhahn, 2020

 

  • Krankenversicherungsgesetz, Krankenversicherungsaufsichtsgesetz (Basler Kommentar), Hrsg. Gabor P. Blechta … [et al.], Helbing Lichtenhahn, 2020

 

  • Hans Giger, Adäquanz des Kausalzusammenhangs – ein unlösbares Anwendungsproblem? : Objektivierung der Wertungsmassstäbe, in: Strassenverkehr, Jg. 12(2020), Nr. 1, S. 4-17

 

  • Roland Brehm/Caroline Dreier, Einige Gedanken zur Grobfahrlässigkeit des (nüchternen) Motorfahrzeuglenkers, in: Strassenverkehr, Jg. 12(2020), Nr. 1, S. 18-26

 

  • Sebastian Döpel, Elektrische Trendfahrzeuge : Elektro-Trottinette und weitere selbstfahrende Kleinfahrzeuge, in: Strassenverkehr, Jg. 12(2020), Nr. 1, S. 27-39

 

  • Ueli Kieser, COVID-19-Erlasse und das Sozialversicherungsrecht, in: AJP, Jg. 29(2020), Nr. 5, S. 552-561

 

  • Philipp do Canto, Gesundheitsdaten in der digitalen Welt, in: Sic !, 2020, H. 4, S. 177-183

 

  • Alexia Sidiropoulos, Haftung für Gerätefehler bei der medizinischen Diagnostik und Behandlung, in: Sicherheit & Recht, 2020, H. 1, S. 49-56

 

  • Gabriela Riemer-Kafka/Patricia Messerli, Die Stellung der im Betrieb mitarbeitenden Bäuerin aus sozialversicherungs- und familienrechtlicher Sicht, in: Blätter für Agrarrecht, Jg. 54(2020), H. 1/3, S. 25-51

 

  • Ueli Kieser, Gutachten im Sozialversicherungsrecht : Art. 44 ATSG in Revision, in: HAVE, 2020, H. 2, S. 146-152

 

  • David Ionta, Accidents de sport et entreprises téméraires, in: REAS, 2020, no 2, p. 194-201

 

  • Emilie Conti Morel, Le nouveau délai de prescription pénale de plus longue durée, in: Revue de l’avocat, Vol. 23(2020), no 6/7, p. 262-267

 

  • François Bohnet/Sandra Mariot, E-Procès civil en Suisse, in: Revue de droit suisse, Vol. 139(2020), H. 1, no 3, p. 199-222

 

  • Andrew M. Garbarski/Louis Frédéric Muskens, L’action en responsabilité dans la faillite d’une société anonyme : parcours du combattant pour les créanciers ?, in: PCEF, Vol. 15(2020), 50, p. 122-139.

 

 

4A_94/2019 (f) du 17.06.2019 – Réticence – 4 al. 1 LCA / Réponse du preneur d’assurance à une question floue et évasive

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_94/2019 (f) du 17.06.2019

 

Consultable ici

 

Réticence / 4 al. 1 LCA

Réponse du preneur d’assurance à une question floue et évasive

 

Dès le 15.07.2015, l’assurée a consulté son médecin traitant et s’est fait examiner aux urgences des HUG par suite de troubles respiratoires et digestifs. Les investigations alors entreprises n’ont mis en évidence aucun état pathologique. Les symptômes ont toutefois persisté et conduit la patiente à consulter un médecin spécialiste en gastroentérologie. Celui-ci a accompli de nouvelles investigations de janvier 2016 à juillet 2016 ; celles-ci n’ont révélé aucune atteinte organique permanente. Selon le médecin traitant, la patiente n’a souffert que de troubles fonctionnels passagers.

L’assurée a souscrit une couverture d’assurance-maladie complémentaire à l’assurance-maladie sociale. Elle a, à cette fin, répondu le 22.02.2016 à un questionnaire concernant sa santé, libellé en anglais. Elle a répondu « non » à une question n° 2 qui se traduit comme suit : « Souffrez-vous ou avez-vous souffert au cours des cinq dernières années d’une maladie ou d’une autre atteinte à la santé ? Par exemple : système respiratoire, cœur, système cardiovasculaire, système nerveux ou trouble mental, appareil digestif, appareil urinaire ou organes génitaux, troubles gynécologiques, troubles cutanés, maladies musculo-squelettiques, troubles métaboliques ou glandulaires, troubles sanguins ou maladies infectieuses, organes sensoriels (yeux, oreilles, nez), tumeurs, maladies congénitales ou autres maladie, blessure ou trouble non mentionné ci-dessus ? »

La compagnie d’assurance a résilié le contrat le 12.10.2016 avec effet au lendemain. L’assurée avait prétendument commis une réticence en répondant de manière incorrecte à la question n° 2.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/21/2019 – consultable ici)

L’assurée a ouvert action contre la compagnie d’assurance.

Par jugement du 16.01.2019, rejet de l’action par la cour cantonale, déclarant irrecevables les conclusions préalables tendant à la production de factures ainsi que les conclusions concernant la validité de la résiliation.

 

TF

A teneur de l’art. 4 al. 1 LCA, celui qui présente une proposition d’assurance doit déclarer par écrit à l’assureur, suivant un questionnaire ou en réponse à toutes autres questions écrites, tous les faits qui sont importants pour l’appréciation du risque, tels qu’ils lui sont ou doivent être connus lors de la conclusion du contrat. Selon l’art. 6 al. 1 à 3 LCA, l’assureur est en droit de résilier le contrat en cas de réticence, c’est-à-dire lorsque les déclarations du proposant se révèlent inexactes ou incomplètes (al. 1) ; il est autorisé à refuser sa prestation aussi pour les sinistres déjà survenus, si le fait qui a été l’objet de la réticence a influé sur leur survenance ou leur étendue (al. 3). Ce droit de résiliation s’éteint quatre semaines après que l’assureur a eu connaissance de la réticence (al. 2).

Lorsque l’assureur se prévaut de la réticence et que celle-ci est contestée par le preneur d’assurance, le juge doit examiner si et dans quelle mesure le preneur pouvait donner de bonne foi une réponse négative à une question de l’assureur, selon la connaissance qu’il avait de sa situation et, le cas échéant, selon les renseignements qu’il avait reçus de personnes qualifiées. L’art. 4 al. 1 LCA exige du preneur qu’il se demande sérieusement s’il existe un fait appréhendé par la question de l’assureur. Le preneur satisfait à son devoir s’il déclare, outre les faits qui lui sont connus sans autre réflexion, ceux qui ne peuvent pas lui échapper s’il réfléchit sérieusement aux questions de l’assureur. Il est fondé à attribuer aux termes techniques employés dans ces questions, dont il ne connaît pas le sens et qui ne lui sont pas expliqués, le sens qu’il leur est en général prêté dans le milieu où il vit, en particulier le sens que le langage usuel attribue à ces termes (ATF 116 II 338 consid. 1c p. 341; voir aussi ATF 134 III 511 consid. 3.3.3 p. 514; 136 III 334 consid. 2.3 p. 337).

La réticence suppose que la réponse donnée à la question ne soit pas conforme à la vérité, par omission ou inexactitude. La réticence résulte de la divergence entre la vérité et ce qui a été déclaré. Elle peut consister à affirmer un fait faux, à taire un fait vrai ou à présenter une vision déformée de la vérité. Selon l’art. 4 al. 3 LCA, il incombe à l’assureur de poser des questions précises et non équivoques. Il n’y a pas de réticence si l’assureur a posé une question ambiguë et que la réponse apparaît véridique selon la manière dont le preneur pouvait de bonne foi comprendre la question (ATF 136 III 334 consid. 2.3 p. 337).

 

En l’espèce, la cour cantonale retient à tort que la question n° 2 soumise à la preneuse d’assurance était précise et non équivoque ; cette question était au contraire floue et évasive (arrêt 4A_134/2013 du 11 septembre 2013, consid. 4.2.2, concernant une question semblable). Néanmoins, la preneuse d’assurance ne pouvait pas de bonne foi répondre « non ». Précisément à l’époque où elle répondait, soit au mois de février 2016, elle consultait un médecin spécialiste en gastroentérologie par suite de symptômes qui avaient débuté au mois de juillet précédent et qui avaient persisté. Par le fait même que ces symptômes déterminaient la preneuse d’assurance à consulter un spécialiste, ils étaient indéniablement une « atteinte à la santé » ou un « trouble » visé par la question, et la preneuse d’assurance devait s’en rendre compte à l’instar de toute personne normalement capable de discernement. Il est à cet égard sans importance que les investigations du spécialiste n’aient finalement mis en évidence aucune « maladie » selon le texte de la question. Il n’est pas non plus contestable que la survenance de symptômes pareillement alarmants et persistants fût, aux termes de l’art. 4 al. 1 LCA, un fait important pour l’appréciation du risque à assurer.

En instance fédérale, il n’est plus mis en doute que la compagnie d’assurance ait observé le délai de quatre semaines prévu par l’art. 6 al. 2 LCA. Cette partie a donc valablement résilié le contrat d’assurance sur la base de l’art. 6 al. 1 LCA.

 

Le TF rejette – sur le point de la réticence – le recours de la preneuse d’assurance.

 

 

Arrêt 4A_94/2019 consultable ici

 

 

4A_273/2018 (f) du 11.06.2019 – Prétention frauduleuse – 40 LCA / Surveillance de l’assuré par un détective privé non soumise à une nouvelle évaluation médicale acceptée

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_273/2018 (f) du 11.06.2019

 

Consultable ici

 

Prétention frauduleuse / 40 LCA

Surveillance de l’assuré par un détective privé (licite) non soumise à une nouvelle évaluation médicale acceptée

 

Assuré, président des gérants d’une Sàrl, avec signature individuelle, avec un salaire, en 2015, de 156’000 fr. Le fils de l’assuré détient les parts sociales de la Sàrl depuis juin 2012.

Le 14.09.2015, l’assuré s’est plaint de dysphonie avec quelques périodes d’aphonie de courte durée dans le cadre d’un tabagisme chronique. Une laryngite subaiguë a été diagnostiquée. Le 03.11.2015, il a subi une laryngoscopie, une bronchoscopie et une œsophagoscopie sous anesthésie totale. La laryngoscopie indirecte a montré une laryngite chronique avec des zones leucoplasiques. Cette opération a été suivie d’une période de repos vocal. Le spécialiste FMH en ORL et chirurgie cervico-faciale a attesté d’une incapacité de travail totale du 14.09.2015 au 29.11.2015.

L’assuré a consulté également son médecin généraliste à sept reprises, entre le 14.09.2015 et le 26.02.2016. Ce praticien a également établi des certificats médicaux d’incapacité de travail pour la période du 14.09.2015 au 31.03.2016. En date du 15.04.2016, l’assuré a également vu un psychiatre, Dr N.__, lequel a diagnostiqué un épisode dépressif moyen.

L’assuré a annoncé la survenance de son cas de maladie par déclaration datée du 18.11.2015 et reçue par l’assureur le 26.11.2015. Lors de l’entretien téléphonique du 30.11.2015, l’interlocuteur de l’assuré auprès de l’assureur a relevé que l’assuré semblait en pleine forme « au téléphone en tout cas » et qu’il ne semblait souffrir d’aucun problème d’élocution. Lors d’un second entretien téléphonique en date du 21.01.2016, l’assuré a fait savoir que, depuis septembre 2015, il n’avait plus travaillé bien qu’il fût directeur et n’eût pas à se déplacer sur les chantiers ; parfois, sa gorge se coinçait et il ne pouvait plus parler. Le gestionnaire de sinistre qui s’entretenait avec lui a fait remarquer qu’il s’exprimait parfaitement bien, ce à quoi l’assuré a rétorqué qu’il n’était pas médecin.

A la suite de ces contacts, l’assureur a mandaté un détective privé afin de surveiller l’assuré. Cette mesure est intervenue pendant six jours, entre le 01.02.2016 et le 25.02.2016. En résumé, il apparaît que l’assuré s’est rendu à l’entreprise le matin et l’après-midi – son heure d’arrivée au bureau se situant entre 08h30 et 10h45 le matin -, qu’il y a retrouvé des personnes et notamment consulté des plans et qu’il s’est rendu sur des chantiers ainsi que chez des fournisseurs. A de nombreuses reprises, il a été vu en train de téléphoner.

Le 09.03.2016, un inspecteur de sinistres de l’assureur s’est entretenu avec l’assuré. Ce dernier a refusé que cet entretien soit enregistré. Selon le procès-verbal dressé par l’assureur que l’assuré a refusé de signer, l’assuré avait initialement conçu des craintes quant à la découverte d’une tumeur et malgré la biopsie qui s’était révélée négative, il n’avait pas été en mesure de se calmer et sa tension était restée très élevée; il a par ailleurs décrit ses activités quotidiennes en déclarant qu’il restait à la maison et regardait la télévision; il ne se rendait pas à son travail et ne s’occupait plus du tout des affaires de la société; avant son arrêt de travail, ses activités au sein de l’entreprise consistaient principalement à chercher des chantiers, contacter des clients et diriger les employés. Confronté aux résultats de la surveillance, l’assuré a reconnu avoir un peu menti, s’être rendu à son bureau pour voir les employés, les fournisseurs et les clients afin d’aider son fils qui avait beaucoup de travail ; finalement, il a expliqué qu’au bureau, il ne savait rien faire et qu’il s’y était rendu sans rien y faire, sinon donner un coup de main à son fils. A l’issue de cet entretien, l’assureur a avisé l’assuré qu’il entendait faire application de l’art. 40 LCA.

Par courrier du 29.03.2016, l’assureur a refusé d’entrer en matière sur le sinistre annoncé et a résilié immédiatement la police d’assurance en cause sur la base de la disposition légale précitée.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a donné raison à l’assureur en distinguant deux périodes. Certes, l’assuré avait été empêché de travailler du 14.09.2015 au 29.11.2015, ensuite d’une aphonie et d’une laryngite subaiguë ayant nécessité une opération suivie d’une période de repos vocal. Tel n’avait toutefois plus été le cas ultérieurement, contrairement à ce que l’assuré avait déclaré en particulier lors de l’entrevue du 09.03.2016 avec l’assureur et à ce que le médecin généraliste avait indiqué. Les certificats médicaux établis par ce dernier n’étaient pas suffisamment convaincants, d’autant qu’aucun autre praticien – et en particulier aucun psychiatre – n’avait confirmé la rémanence d’une incapacité de travail dont le motif serait lié à des causes essentiellement psychiques. Enfin, le diagnostic du médecin généraliste était contredit par les activités et l’attitude générale visibles sur les vidéos établies lors de la surveillance et dans le rapport d’activité du détective privé mandaté par l’assureur ; l’assuré y apparaissait actif, vif, souriant, attentif, sans fatigue apparente, se déplaçant fréquemment, y compris sur les chantiers, souvent au téléphone et en discussion avec des tiers, parfois avec des plans en mains, ceci à plusieurs moments différents de la journée. Même si l’assuré eût été fondé à réclamer des indemnités journalières pour la première période, le fait de les avoir sollicitées pour la seconde alors qu’il était rétabli autorisait la compagnie d’assurances à se départir du contrat et à refuser ses prestations.

Par arrêt du 29.03.2018, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

En l’espèce, la cour cantonale a jugé qu’une expertise ne permettrait pas d’établir quel était l’état de santé de l’assuré plusieurs années plus tôt, alors que l’incapacité alléguée était essentiellement imputable à des troubles psychiques. Ce faisant, elle a écarté la requête de l’assuré tendant à la mise en œuvre d’une expertise à la suite d’une appréciation anticipée des preuves. Comme l’art. 8 CC ne régit pas cette question, le grief tiré d’une violation de cette disposition tombe à faux.

 

L’autorité cantonale a jugé que la surveillance par le détective privé mandaté par l’assureur était licite, ce que l’assuré ne remet pas en cause. Elle a ensuite rappelé que les résultats de cette surveillance devaient en principe faire l’objet d’une évaluation médicale, tout en estimant que cette exigence était superflue dans le cas présent, puisque des certificats médicaux – ceux du médecin généraliste – figuraient déjà au dossier. Elle a poursuivi son raisonnement en expliquant les raisons pour lesquelles elle tenait ces certificats médicaux pour insuffisamment probants et en a conclu que l’assuré avait affirmé fallacieusement qu’après le 29.11.2015. Les motifs invoqués à cet égard dans l’arrêt cantonal sont multiples: tout d’abord, le médecin généraliste n’avait préconisé aucun arrêt de travail après la consultation du 14.09.2015; c’est uniquement le 17.11.2015 qu’il avait attesté, avec effet rétroactif, d’une incapacité de travail ayant débuté plus de deux mois auparavant et d’une durée indéterminée; la nature de la maladie n’avait pas été précisée initialement; c’est le 02.02.2016 seulement qu’il l’avait décrite en ces termes: « épuisement psycho-physique, début de dépression, décompensation, crise d’hyperglycémie, respiratoire, (détresse) « ; le médecin généraliste n’était pas psychiatre mais généraliste; aucune thérapie ciblée n’avait été mise en œuvre (mis à part la prescription de Cipralex, Temesta, Glivazide 30 Voscort 40/5/12.5); le praticien avait constaté une incapacité de travail de 80% dès le 01.02.2016, alors qu’il n’avait pas revu son patient entre le 26.12.2015 et le 26.02.2016; aucun certificat médical attestant de l’incapacité de travail alléguée pour mars 2016 n’avait été produit, hormis le courrier du médecin généraliste du 17.01.2018 adressé au mandataire de l’assuré après l’introduction de la demande, faisant état d’une dépression qualifiée désormais de majeure; au surplus, le médecin prénommé certifiait dans ledit courrier que l’assuré avait consulté le Dr N.__, psychiatre, à plusieurs reprises en urgence, puis en suivi régulier et qu’il continuait à se rendre chez celui-ci, alors qu’auditionné à ce sujet, l’assuré avait tout d’abord déclaré ne pas connaître le Dr N.__, avant de préciser qu’il n’avait pu le consulter qu’une seule fois; or, cette unique consultation était intervenue le 15.04.2016, soit postérieurement à la fin de l’incapacité de travail alléguée.

 

En droit des assurances sociales, la jurisprudence a dégagé le principe selon lequel un rapport de surveillance ne constitue pas, à lui seul, un fondement sûr pour constater les faits relatifs à l’état de santé ou la capacité de travail de la personne assurée. Il peut tout au plus fournir des points de repère ou entraîner certaines présomptions. Seule l’évaluation par un médecin du matériel d’observation peut apporter une connaissance certaine des faits pertinents (ATF 137 I 327 consid. 7.1 p. 337; arrêts 8C_779/2012 du 25 juin 2013 consid. 2.3; 8C_434/2011 du 8 décembre 2011 consid. 4.2). Cette exigence d’une appréciation médicale sur le résultat de l’observation permet d’éviter une évaluation superficielle et hâtive de la documentation fournie par le détective privé (arrêt 8C_779/2012 précité consid. 2.3; MARGIT MOSER-SZELESS, La surveillance comme moyen de preuve en assurance sociale, in RSAS 57/2013 p. 129 ss, plus spécialement p. 152). L’évaluation du médecin est faite sur la base du résultat des mesures de surveillance, sans qu’il soit nécessaire d’ordonner dans tous les cas une expertise médicale. En effet, il appartient à l’assureur social ou au juge d’apprécier la portée du produit d’une surveillance en fonction du principe de la libre appréciation des preuves (arrêt 8C_779/2012 précité consid. 2.3; MOSER-SZELESS, op. cit., p. 153). Dans un arrêt récent, tout en se référant à l’ATF 137 I 327, le Tribunal fédéral a encore souligné que le matériel d’observation ne constituait en principe pas une base suffisante pour mettre fin définitivement à des prestations; il faut au surplus une évaluation médicale de l’état de santé et une appréciation de la capacité de travail (cf. arrêt 9C_483/2018 du 21 novembre 2018 consid. 4.1.2).

Si l’on s’en tient rigoureusement à ce principe, les résultats de la surveillance dont l’assuré a fait l’objet, du 01.02.2016 au 25.02.2016, auraient dû être soumis à un médecin. La tâche de celui-ci eût été d’évaluer si les activités de l’assuré, visibles sur les prises de vue ou rapportées par le détective privé, étaient cohérentes par rapport au degré d’incapacité de travail allégué. Pour ce faire, faute pour lui d’avoir reçu l’assuré en consultation à l’époque des faits, il n’aurait eu d’autre choix que de se fonder sur les documents médicaux remontant à la période litigieuse. En l’occurrence, il s’agirait exclusivement des certificats médicaux établis par le médecin généraliste. Or, celui-ci a posé un diagnostic à ce point vague qu’il n’est pas possible d’en tirer des déductions concrètes, s’agissant des activités que l’assuré pouvait ou non déployer. Il décrit en effet la maladie prétendue en ces termes: « épuisement psycho-physique, début de dépression, décompensation, crise d’hyperglycémie, respiratoire (détresse) « . On peut en déduire à peu près tout et n’importe quoi. Dans ces conditions, on ne voit guère comment un médecin aurait pu a posteriori apprécier, sur la base des prises de vue et du rapport du détective privé, si l’assuré avait franchi ou non les limitations qu’une telle affection lui imposait censément.

Certes, on pourrait argumenter que l’assureur aurait dû mandater un médecin afin de procéder à cette évaluation à l’époque des faits, soit en mars 2016. Ledit médecin aurait, le cas échéant, pu recevoir l’assuré en consultation pour établir lui-même un diagnostic. En principe, l’état de santé d’une personne n’évolue pas si vite qu’il ne subsiste pas le temps nécessaire pour procéder à une telle démarche. L’assuré fait toutefois exception à la règle puisque, de son propre aveu, il était totalement rétabli à la fin mars 2016. Dans ces conditions, on ne saurait exiger davantage de l’assureur. Ce d’autant que l’assuré s’est dispensé, à l’époque, de fournir un certificat médical attestant son incapacité de travail pour le mois en question. Il a attendu près de deux ans, soit le 17.01.2018, pour produire un document émanant du même médecin généraliste, dont il ressort qu’il aurait été incapable de travailler à 80% jusqu’au 15.03.2016, puis à 50% jusqu’au 31.03.2016. Dans le présent contexte, un tel procédé ne va pas de soi.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que la cour cantonale a apprécié les preuves à disposition en les confrontant les unes aux autres, sans soumettre les résultats de la surveillance à une nouvelle évaluation médicale. Ce grief de l’assuré est également mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_273/2018 consultable ici

 

 

Arrêt de la CrEDH Frick c. Suisse du 30.06.2020 (f) – Requête no 23405/16 – Suicide dans une cellule de police – Tort moral octroyé à la mère

Arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme Frick c. Suisse du 30.06.2020 (f) – Requête no 23405/16

 

Consultable ici

Communiqué de presse de la CrEDH du 30.06.2020 disponible ici

 

Défaut de prévenir le suicide commis de façon inhabituelle par un détenu vulnérable laissé dans une cellule de police sans surveillance durant quarante minutes – Possibilité de pallier le risque réel et imminent de suicide avec un effort raisonnable et non exorbitant – Défaut d’appeler un psychiatre urgentiste / 2 CEDH (matériel)

Refus injustifié de déclencher une procédure pénale complète en l’absence « d’indices minimaux » d’un comportement punissable des agents de police / 2 CEDH (procédural)

 

La requérante, Mme Sonja Frick, est une ressortissante suisse, née en 1956 et résidant à Berikon.

L’affaire concernait le manquement allégué de l’État à son obligation de protéger la vie du fils de la requérante, qui s’était suicidé dans une cellule de police, ainsi qu’à son devoir de mener une enquête effective sur les circonstances du décès.

Le dimanche 28 septembre 2014, aux environs de 21 heures, à Birmensdorf (canton de Zurich), le fils de la requérante, D.F., âgé de quarante ans, causa un accident au volant d’une voiture appartenant à son employeur. Il se trouvait en état d’ébriété et sous l’influence de médicaments. Il ne subit pas de blessures sérieuses ni ne causa pas de dommages à des tiers.

En vue d’établir un rapport, les policiers dépêchés sur les lieux de l’accident décidèrent d’impliquer dans la procédure Mme Frick, appelée par son fils et arrivée entre-temps sur les lieux de l’accident.

Pour l’établissement des preuves, il fut considéré nécessaire d’obtenir de D.F. un échantillon de sang et d’urine. Les deux policiers amenèrent D.F. à l’hôpital, où ils furent rejoints par Mme Frick, qui les avait suivis dans sa propre voiture. À l’hôpital, après avoir été mis au courant de la nécessité de procéder à d’autres examens, D.F. devint beaucoup plus agité.

Aux alentours de 22 h 50, un policier appela la centrale de gestion du trafic de la police cantonale de Zurich, depuis l’hôpital, et l’informa qu’il était nécessaire d’envoyer un médecin à la base routière d’Urdorf, au motif que D.F., qui allait y être conduit, avait exprimé des intentions suicidaires.

Aux environs de 23 h 15, D.F. arriva avec les deux policiers et la requérante à la base routière d’Urdorf.

Sur place, les agents de police décidèrent d’amener D.F. dans une cellule située au sous-sol de la base routière. D.F. commença à s’opposer violemment contre son placement dans la cellule et essaya de s’enfuir. Après que D.F. eut été ramené par la force dans sa cellule par les policiers, ces derniers réussirent finalement à le convaincre d’y rester jusqu’à l’arrivée du médecin.

Vers 00 h 35, le médecin qui avait été convoqué, arriva à la base routière. Il décida de différer sa visite en cellule à D.F. jusqu’à l’arrivée d’un renfort policier.

À l’arrivée d’autres policiers à la base routière, le médecin se rendit avec eux, à 01 h 05, dans la cellule de D.F., où ils trouvèrent ce dernier pendu à une grille de ventilation.

Dans le cadre de l’enquête préliminaire de police, les agents de police ainsi que les médecins furent interrogés.

Par une décision du 30 avril 2015, la Cour suprême cantonale n’autorisa pas l’ouverture de la poursuite pénale, pour absence de soupçons d’infractions pénales. Elle estima qu’il n’existait aucun indice selon lequel les agents impliqués dans les événements ayant mené au suicide de D.F. avaient commis une violation de leurs devoirs de service.

Mme Frick déposa un recours contre cette décision devant le Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral rejeta le recours (arrêt 1C_306/2015 du 14.10.2015). Le Tribunal fédéral estima qu’aucune négligence n’avait été démontrée concernant l’acheminement de D.F. à la base routière. Il considéra en outre que la décision d’enfermer D.F. dans la cellule était justifiable étant donné que celui-ci était agressif et récalcitrant. Pour le Tribunal fédéral, l’instance inférieure n’avait pas violé le droit fédéral en refusant l’ouverture d’une enquête pénale pour homicide involontaire contre les agents de police.

Invoquant l’article 2 (droit à la vie), la requérante soutenait que les autorités n’avaient pas répondu à l’obligation positive de prendre préventivement des mesures pour protéger son fils contre lui-même. Elle estimait que les investigations effectuées par les autorités n’avaient pas satisfait aux exigences de l’article 2 CEDH.

Violation de l’article 2 (droit à la vie)

Violation de l’article 2 (enquête)

 

En droit – Article 2 (volet matériel)

a) Connaissance par les autorités du risque de suicide et de la vulnérabilité particulière de D.F. – Sur les lieux de l’accident, l’agent de police A.S. avait immédiatement discuté des allusions suicidaires de D.F. avec la requérante pour prendre des mesures en conséquence. Le policier C.R. à la base routière avait été informé du risque suicidaire préalablement à la venue de D.F.

D.F. a montré dès le premier contact avec la police un comportement inhabituel, de dépendance émotionnelle à sa mère dans une situation qui lui faisait peur. Il avait causé un accident sous l’emprise de l’alcool et de médicaments. En outre, la possibilité d’un placement à des fins d’assistance avait été discutée entre A.S. et la requérante. Enfin, à la base routière, D.F. avait été placé seul dans une cellule.

Or, dans son rapport d’autopsie, l’Institut de médecine légale (IRMZ) a indiqué que le placement seul dans une cellule individuelle, des pensées suicidaires « actuelles », des tentatives de suicide dans le passé et un « problème d’alcool » étaient des facteurs de risque associés à des suicides en détention et qu’au moins deux de ces facteurs étaient réunis dans le cas de D.F.

Les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance, sur le moment, que D.F. risquait de commettre un suicide et qu’il s’agissait d’un risque certain et immédiat pour sa vie. Et les autorités disposaient de suffisamment d’éléments pour avoir connaissance de la vulnérabilité particulière de D.F. Par conséquent, les autorités auraient dû conclure qu’il avait indéniablement besoin d’une surveillance étroite.

 

b) Omission de prendre les mesures nécessaires pour parer au risque de suicide – Les agents de police ont procédé aux mesures de sécurité et prévention usuelles dans la cellule de la base routière, en retirant, entre autres, ses chaussures, sa ceinture en cuir et une chaînette à l’intéressé, afin qu’il ne disposât plus d’objets au moyen desquels il aurait pu s’étrangler ou se faire du mal d’une quelque autre manière. Mais D.F. s’est suicidé de manière inhabituelle. Cependant, cinq agents de police se trouvaient à la base routière et la garde de D.F. aurait été possible, en la présence de la requérante, dans un bureau. De plus, la piste envisagée de transférer D.F. dans une cellule munie d’un système de vidéosurveillance n’a jamais été poursuivie par les agents de police.

Les autorités n’ont pas pu laisser D.F. seul dans une cellule sans surveillance pendant quarante minutes sans méconnaître le droit à la vie au sens de l’article 2. Les autorités auraient, avec un effort raisonnable et non exorbitant, pu pallier le risque de suicide de D.F., dont elles avaient ou auraient dû avoir connaissance. La responsabilité des autorités réside dans le fait d’avoir traité D.F. comme une personne capable de résister au stress et aux pressions subis, sans prêter suffisamment d’attention à sa situation personnelle. Indépendamment de la question de savoir si les agents de police ont agi ou non selon les règles applicables dans une telle situation, en ne reconnaissant pas D.F. comme une personne appelant un traitement particulier, elles ont engagé la responsabilité de leur État en vertu de la Convention.

 

Conclusion : violation (unanimité).

Article 2 (volet procédural) : Selon le Tribunal fédéral, il faut disposer d’« indices minimaux » d’un comportement punissable pour l’octroi de l’autorisation par la Cour suprême pour le déclenchement d’une procédure pénale complète. L’autorisation en question nécessite la probabilité d’une responsabilité pénale moins élevée que celle requise pour l’ouverture d’une instruction. Cela vaut d’autant plus pour des infractions graves, et, en particulier, si le jugement pénal porte sur la mort d’une personne.

Lors de l’examen du volet matériel de l’article 2, la CrEDH a conclu à la responsabilité des autorités dans la méconnaissance du droit à la vie de D.F.

Ni la Cour suprême cantonale ni le Tribunal fédéral ne se sont référés au rapport d’autopsie de l’IRMZ indiquant les facteurs de risque associés à des suicides en détention, et, en particulier, n’a pris en compte les observations concernant les deux critères qui étaient réunis dans le cas de D.F.

L’IRMZ a également indiqué qu’il aurait mieux valu appeler un psychiatre urgentiste au lieu d’un simple médecin urgentiste. Le Tribunal fédéral a rejeté l’argument formulé à ce sujet par la requérante estimant que la qualification du médecin n’importait pas, étant donné que celui-ci était arrivé après le décès de D.F. Or la CrEDH juge assez convaincante la thèse défendue par la requérante selon laquelle un psychiatre urgentiste aurait pu donner des instructions précises aux agents de police par téléphone en vue de limiter, voire éliminer le risque de suicide. À cet égard, le Tribunal fédéral l’a considéré non pertinente étant donné qu’il n’y avait eu à aucun moment de contact direct entre les agents de police et le médecin urgentiste. Cependant, il appartient aux États contractants d’organiser leurs services et de former leurs agents de manière à leur permettre de répondre aux exigences de la Convention.

Enfin, le compte rendu de la réunion du Conseil d’État du canton de 2011 préconise qu’une personne manifestant des intentions suicidaires soit placée dans une cellule double ou, si les circonstances l’exigent, surveillée constamment. De surcroît, il semble privilégier le recours à un psychiatre urgentiste, même s’il n’exclut pas un médecin urgentiste dans certaines circonstances. Ces deux recommandations n’ont pas été suivies dans le cas de D.F.

Ainsi la CrEDH n’est pas convaincue qu’il n’existait pas d’« indices minimaux » d’un comportement punissable de la part des agents impliqués dans les événements ayant mené à la mort de D.F. Par conséquent, on ne saurait estimer que la façon dont le système de justice pénale suisse a répondu à l’allégation crédible de violation de l’article 2 face à la situation d’un individu ayant exprimé des intentions suicidaires claires et répétées, dénoncée en l’occurrence, a permis d’établir la pleine responsabilité des agents de l’État quant à leur rôle dans les événements en cause. Partant, le système en place n’a pas garanti la mise en œuvre effective des dispositions du droit interne assurant le respect du droit à la vie, en particulier la fonction dissuasive du droit pénal.

Il s’ensuit qu’il y a eu une absence, face à la situation de vulnérabilité particulière du fils de la requérante, d’une protection adéquate « par la loi », propre à sauvegarder le droit à la vie, ainsi qu’à prévenir, à l’avenir, tout agissement similaire mettant la vie en danger.

 

La CrEDH a conclu à l’octroi des sommes suivantes :

  • 5 796 EUR pour dommage matériel ;
  • 50 000 EUR pour dommage moral ;
  • 22 307 EUR pour frais et dépens.

 

 

Remarques personnelles :

Selon l’actuelle pratique, le tort moral octroyé à un parent pour la perte d’un enfant adulte s’élève généralement entre CHF 20’000-CHF 25’000. C’est d’ailleurs le montant articulé par la partie défenderesse (CHF 20’000 pour la violation du volet matériel de l’art. 2 CEDH + CHF 5’000 pour la violation de l’obligation procédurale de cet article). Les juges de la Cour européenne des droits de l’Homme relèvent qu’il n’existait pas d’intention d’entraîner la mort de la part des agents impliqués dans les événements. Constatant qu’est en jeu en l’espèce une violation du devoir de protéger la vie d’autrui et statuant en équité, la Cour a octroyé à la mère la somme de EUR 50’000 pour dommage moral.

 

 

Arrêt de la CrEDH Frick c. Suisse du 30.06.2020 (f) consultable ici

Note d’information sur la jurisprudence de la CrEDH 241 disponible ici

Communiqué de presse de la CrEDH du 30.06.2020 disponible ici