Expertises arbitraires: bien plus que des cas isolés

Expertises arbitraires: bien plus que des cas isolés

 

Communiqué de presse d’Inclusion Handicap du 03.10.2020 consultable ici

Rapport intermédiaire « Centre de déclaration au sujet des expertises de l’AI » d’Inclusion Handicap du 30.09.2020 disponible ici

 

Accusations de simulation, entretiens de 20 minutes voire propos injurieux – le centre de déclaration d’Inclusion Handicap sur l’expertise AI a mis au jour de nombreux abus. Plus de 250 témoignages d’assurés ont été enregistrés. Dans de nombreux cas, on ne peut pas parler de clarification loyale. La faîtière politique des organisations de personnes handicapées publie les premiers résultats du centre de déclaration, qui reste toujours actif.

Le 28 février de cette année, Inclusion Handicap a mis en place un centre de déclaration: les victimes de l’arbitraire des expertises AI peuvent signaler les abus exercés par les expert-e-s. Au terme de sept mois (jour de référence 28 septembre), 256 assurés ont déposé un signalement, auquel s’ajoutent 15 déclarations émanant de représentants légaux ainsi que 33 de médecins traitants. Le centre de déclaration est conçu comme une enquête en ligne, invitant à témoigner de diverses estimations et incidents. Différentes informations diffusées dans les médias et l’expérience acquise par Inclusion Handicap en matière de conseil juridique ont montré que quelques experts surévaluaient systématiquement la capacité de travail et en étaient ainsi toujours récompensés par de lucratifs contrats par les offices AI.

53 déclarations ont été enregistrées, indiquant que les experts ont évalué les assurés comme étant intégralement aptes au travail, alors que les médecins traitants attestaient d’une incapacité de travail totale. Ces cas montrent clairement la tendance au durcissement des expertises.

 

Des entretiens de 20 minutes décident du droit à une rente

Éléments tout aussi préoccupants: 10 assurés ont rapporté que les entretiens de clarification ne duraient pas plus de 20 minutes. Il apparaît donc qu’un entretien de 15 minutes est décisif pour l’attribution ou non d’une rente AI, peu importent les conclusions du médecin traitant. De tels états sont difficiles à supporter pour les assurés. Car en pratique, les offices AI et les tribunaux suivent exclusivement les expertises. À 20 reprises, des médecins traitants ont déclaré que les expertises ne respectaient pas les standards médicaux. La grande majorité des assurés relate que les diagnostics ne concordent pas ou seulement partiellement.

Plus de la moitié des personnes expertisées ont indiqué que les entretiens d’expertise se sont déroulés dans une mauvaise ambiance. Ils ont parfois été émaillés de propos injurieux. À de multiples reprises, les assurés ont signalé que les experts insinuaient qu’ils simulaient. Ou les experts ne souhaitaient même pas savoir quelles étaient les exigences préalables de leur métier, ce qui est à vrai dire l’alpha et l’oméga lorsque l’on souhaite clarifier la capacité de travail.

 

Qualité sujette à caution – les cas doivent être réexaminés

Dans un premier temps, le centre de déclaration d’Inclusion Handicap reste actif. L’association faîtière des organisations de personnes handicapées émet les revendications suivantes:

  1. Les autorités doivent assurer dans tous les cas la qualité des expertises. Les experts défaillants devraient être retirés de la circulation.
  2. Les cas où les assurés n’ont pas obtenu ou insuffisamment de prestations AI, car la qualité des expertises s’est avérée mauvaise, doivent être réexaminés.
  3. Toutes les expertises doivent être attribuées de façon aléatoire.
  4. Un tiers doit être présent lors de l’entretien d’expertise. La grande majorité des assurés qui se sont manifestés auprès du centre de déclaration, accueille de façon positive la proposition.

De premières améliorations sont prévues avec le développement de l’AI, qui doit entrer en vigueur en 2022. Au nombre de celles-ci figure l’enregistrement des entretiens d’expertise. Inclusion Handicap est impatiente de connaître les conclusions de l’enquête externe, que le conseiller fédéral Alain Berset a mandatée.

 

Des millions pour des expertises de complaisance

L’importance des expertises est grande: les offices AI ou les tribunaux appuient leurs décisions pratiquement toujours sur les expertises; elles sont de facto décisives, quant à l’évaluation de la capacité de travail d’une personne assurée. On soupçonne de plus en plus que quelques experts sont récompensés par de lucratifs contrats s’ils sous-évaluent l’incapacité de travail. La qualité des experts est vitale, mais le centre de déclaration montre que celle-ci n’est pas évidente dans de trop nombreux cas. C’est pourquoi Inclusion Handicap continuera de lutter pour un code de bonnes pratiques loyal.

 

 

Communiqué de presse d’Inclusion Handicap du 03.10.2020 consultable ici

Rapport intermédiaire « Centre de déclaration au sujet des expertises de l’AI » d’Inclusion Handicap du 30.09.2020 disponible ici

Informations sur le Centre de déclaration d’Inclusion Handicap sur l’expertise AI sur le site d’Inclusion Handicap (ici)

 

 

Sans vouloir prendre position sur le sujet et/ou sur le communiqué d’Inclusion Handicap, mes quelques remarques :

Comme le relève Inclusion Handicap dans le rapport intermédiaire du 30.09.2020 (ch. 2.3), « le centre de déclaration n’est volontairement pas un sondage représentatif, son but étant de révéler les dysfonctionnements. Il est dans la nature des choses que ce soient en particulier des assurés qui se sentent traités injustement qui procèdent aux déclarations, respectivement leurs médecins ou représentants juridiques. »

Bien que le sondage ne soit pas représentatif de l’ensemble des expertises réalisées sur mandat des offices AI, il met tout de même en lumière des problèmes que l’OFAS ne peut pas sans autre scotomiser. Si des médecins-experts se comportent incorrectement (tant sur la forme que sur le fond de l’expertise), ils doivent être remis à l’ordre. Comme le mentionne Inclusion Handicap, « [l]es déclarations rendent une image décevante du système d’expertises de l’AI » (ch. 6 du rapport intermédiaire du 30.09.2020).

L’art. 44 LPGA a été modifié dans le cadre de l’objet du Conseil fédéral 17.022 « Développement continu de l’AI ». La modification pourrait entrer en vigueur le 01.01.2021 2021 (délai référendaire au 08.10.2020), même si cela demeure peu vraisemblable. Le nouvel alinéa 6 prévoit que « [s]auf avis contraire de l’assuré, les entretiens entre l’assuré et l’expert font l’objet d’enregistrements sonores, lesquels sont conservés dans le dossier de l’assureur » (cf. FF 2020 5373, p. 5393 s. ; cf. également le Bulletin officiel de la séance du 10.12.2019 du Conseil national au sujet des enregistrements [BO 2019 N 2192 ss]) Les enregistrements sonores permettront – nous l’espérons – d’apporter des preuves ou à tout les moins des indices sur la véracité des griefs des assurés à l’issue de l’examen ; en effet, c’est souvent l’objectivité des plaintes des assurés qui est mise en doute et non celle du médecin-expert.

 

Entrée en vigueur de la loi fédérale pour soutenir les proches aidants

Entrée en vigueur de la loi fédérale pour soutenir les proches aidants

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 07.10.2020 consultable ici

 

La nouvelle loi fédérale sur l’amélioration de la conciliation entre activité professionnelle et prise en charge de proches entrera en vigueur en deux étapes. Le Conseil fédéral l’a décidé lors de sa séance du 07.10.2020. La première étape, dont l’entrée en vigueur est prévue au 01.01.2021, permettra de régler le maintien du salaire pour les absences de courte durée et d’étendre les bonifications pour tâches d’assistance dans l’AVS. Le droit au supplément pour soins intenses et à l’allocation pour impotent de l’AI en faveur des enfants sera également adapté. Le congé indemnisé de 14 semaines pour la prise en charge d’un enfant gravement malade ou victime d’un accident entrera en vigueur dans une seconde étape, au 01.07.2021.

Le travail des proches aidants est très important pour la société. Ils assument en effet une part considérable des soins aux personnes malades et dépendantes. Concilier la prise en charge de proches avec une activité professionnelle peut toutefois s’avérer difficile. Le 20.12.2019, le Parlement a adopté une nouvelle loi pour améliorer la situation des proches aidants. Le référendum n’ayant pas été saisi, la loi entrera en vigueur en deux temps. Le premier train de mesures entrera en vigueur au 01.01.2021.

 

Absences professionnelles de courte durée

Un congé payé est introduit dans le Code des obligations afin que les travailleurs puissent prendre en charge un membre de la famille ou leur partenaire en raison d’une maladie ou d’un accident. Ce congé peut durer au maximum trois jours par cas et ne doit pas dépasser dix jours dans l’année.

 

Bonifications pour tâches d’assistance dans l’AVS

Le droit aux bonifications pour tâches d’assistance dans l’AVS est étendu afin de permettre à davantage de personnes impotentes de mener une existence indépendante chez elles. Avec la nouvelle loi, les proches aidants pourront toucher cette bonification également si la personne qui nécessite des soins est au bénéfice d’une allocation pour impotence faible. Les concubins pourront aussi en bénéficier, si le couple fait ménage commun depuis au moins 5 ans.

 

Adaptation du droit à l’allocation pour impotent de l’AI et au supplément pour soins intenses

Le supplément pour soins intenses et l’allocation pour impotent de l’AI en faveur des enfants sont également adaptés de manière à ce que le droit ne soit plus supprimé les jours où l’enfant séjourne à l’hôpital. Si l’hospitalisation dure plus d’un mois, ces aides continuent d’être versées, à condition que la présence des parents à l’hôpital soit nécessaire.

 

Le congé de prise en charge entrera en vigueur dans une deuxième phase

La nouvelle loi fédérale accorde également un congé de 14 semaines pour la prise en charge d’un enfant gravement malade ou victime d’un accident aux parents qui travaillent. Indemnisé par le régime des allocations pour perte de gain (APG), ce congé peut être pris en l’espace de 18 mois, en bloc ou jours isolés. Il entrera en vigueur le 01.07.2021 afin de laisser suffisamment de temps aux caisses de compensation pour mettre en œuvre cette nouvelle prestation.

 

Correctif apporté à la réforme des PC

Le Conseil fédéral a par ailleurs décidé de mettre en vigueur en même temps que la première étape de la loi sur les proches aidants un correctif apporté par le Parlement à la réforme des prestations complémentaires (PC). Il concerne le loyer pris en compte dans le calcul des PC pour les bénéficiaires vivant en communauté d’habitation. Grâce à cette intervention, les bénéficiaires de PC se verront calculer le même montant qu’un ménage de deux personnes, et ce quel que soit le nombre de personnes vivant dans la communauté d’habitation. Ainsi, la cohabitation des bénéficiaires PC invalides ou âgés avec des proches sera favorisée.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 07.10.2020 consultable ici

Ordonnance sur l’amélioration de la conciliation entre activité professionnelle et prise en charge de proches (projet) et commentaires disponibles ici

Loi fédérale sur l’amélioration de la conciliation entre activité professionnelle et prise en charge de proches, paru au RO 2020 4525

Ordonnance sur l’amélioration de la conciliation entre activité professionnelle et prise en charge de proches, paru au RO 2020 4545

 

8C_364/2019 (f) du 09.07.2020 – Restitution d’allocations familiales indûment touchées – 25 al. 1 LPGA / Remise de l’obligation de restituer refusée – Absence de la bonne foi / Obligation d’annoncer toute modification des circonstances déterminantes – 31 al. 1 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_364/2019 (f) du 09.07.2020

 

Consultable ici

 

Restitution d’allocations familiales indûment touchées / 25 al. 1 LPGA

Remise de l’obligation de restituer refusée – Absence de la bonne foi

Obligation d’annoncer toute modification des circonstances déterminantes / 31 al. 1 LPGA

 

A.__, enseignant, a bénéficié d’allocations familiales versées par la caisse d’allocations familiales (ci-après : la caisse) pour son fils B.__, né en 2013, dès l’arrivée de celui-ci et de sa maman C.__ en Suisse, le 01.08.2014. Le divorce de A.__ et de C.__ a été prononcé en date du 26.05.2015. La convention de divorce prévoit notamment que le lieu de résidence du fils sera à l’étranger dès le 01.08.2015, que le père versera pour son fils, à titre de contribution d’entretien, une somme de 1000 fr. et que les allocations familiales lui sont acquises dès le 01.08.2015.

Le 12.10.2017, A.__ a déposé une demande d’allocations familiales, accompagnée de la convention de divorce du 26.05.2015, en faveur de son deuxième fils D.__, né en juillet 2017 de son union avec E.__.

Par décision du 18.12.2017, confirmée sur opposition, la caisse a exigé la restitution d’un montant de 4650 fr., correspondant aux prestations versées indûment du 01.08.2015 au 30.11.2017 en faveur de B.__ (7000 fr.), après déduction des allocations dues en faveur de D.__ du 01.07.2017 au 31.12.2017 (2350 fr.).

Le 02.03.2018, A.__ a déposé une demande de remise de l’obligation de restituer. La caisse a refusé d’accorder la remise, par décision confirmée sur opposition, au motif que l’assuré ne pouvait pas se prévaloir de sa bonne foi. Elle a ainsi renoncé à examiner la condition de la situation difficile.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a considéré que l’on pouvait aisément déduire de la convention de divorce du 26.05.2015, d’une part, que le montant de la contribution d’entretien en faveur du fils B.__ avait été fixé en fonction de l’attribution des allocations familiales et, d’autre part, que ni la juge, ni les mandataires n’avaient prêté attention au fait que le changement de domicile du fils impliquait la fin du droit aux allocations familiales en sa faveur. Ainsi, on ne pouvait pas reprocher trop sévèrement à l’assuré d’avoir omis d’annoncer à la caisse les changements relatifs à sa situation familiale. En effet, bien que la caisse soit l’autorité compétente pour décider du droit aux allocations familiales, il n’en demeurait pas moins que l’assuré pouvait, de bonne foi, croire que celles-ci continueraient à lui être versées, dès lors que cette question avait été fixée par une convention de divorce homologuée par une juge. Partant, l’omission fautive ne constituait qu’une violation légère du devoir d’annoncer, et la bonne foi de l’assuré devait être admise.

Par jugement du 30.04.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et renvoyant la cause à la caisse pour examen de la condition de la situation difficile et nouvelle décision sur ce point.

 

TF

Selon l’art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut pas être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile. Ces deux conditions matérielles sont cumulatives et leur réalisation est nécessaire pour que la remise de l’obligation de restituer soit accordée (ATF 126 V 48 consid. 3c p. 53; arrêt 9C_638/2014 du 13 août 2015 consid. 4.1).

Selon la jurisprudence, l’ignorance, par le bénéficiaire des prestations, du fait qu’il n’avait pas droit aux prestations ne suffit pas pour admettre sa bonne foi. Il faut bien plutôt que le requérant ne se soit rendu coupable non seulement d’aucune intention malicieuse, mais aussi d’aucune négligence grave. Il s’ensuit que la bonne foi, en tant que condition de la remise, est exclue d’emblée lorsque les faits qui conduisent à l’obligation de restituer – comme par exemple une violation du devoir d’annoncer ou de renseigner – sont imputables à un comportement dolosif ou à une négligence grave. On parlera de négligence grave lorsque l’ayant droit ne se conforme pas à ce qui peut raisonnablement être exigé d’une personne capable de discernement dans une situation identique et dans les mêmes circonstances (cf. ATF 110 V 176 consid. 3d p. 181). On peut attendre d’un assuré qu’il décèle des erreurs manifestes et qu’il en fasse l’annonce à la caisse (arrêt 9C_189/2012 du 21 août 2012 consid. 4 et les références). En revanche, le bénéficiaire peut invoquer sa bonne foi lorsque l’acte ou l’omission fautive ne constitue qu’une violation légère de l’obligation d’annoncer ou de renseigner (ATF 138 V 218 consid. 4 p. 220 s.; 112 V 97 consid. 2c p. 103; 110 V 176 consid. 3c p. 180). L’examen de l’attention exigible d’un ayant droit qui invoque sa bonne foi relève du droit et le Tribunal fédéral revoit librement ce point (ATF 122 V 221 consid. 3 p. 223; 102 V 245 consid. b p. 246).

En vertu de l’art. 31 al. 1 LPGA, l’ayant droit, ses proches ou les tiers auxquels une prestation est versée sont tenus de communiquer à l’assureur ou, selon les cas, à l’organe compétent toute modification importante des circonstances déterminantes pour l’octroi d’une prestation. L’obligation d’annoncer toute modification des circonstances déterminantes est l’expression du principe de la bonne foi entre administration et administré (ATF 140 IV 11 consid. 2.4.5 p. 17 et les références).

Le fait que l’assuré ait pu raisonnablement déduire de la convention de divorce qu’il avait toujours droit aux allocations familiales pour son fils B.__, une fois celui-ci installé à l’étranger, n’est pas suffisant pour admettre sa bonne foi. Il lui incombait en l’occurrence de signaler ce changement de situation à la caisse, tout comme son divorce, conformément à l’art. 31 al. 1 LPGA. Or en omettant de le faire, alors même que l’obligation d’annoncer toute modification susceptible d’influer sur le droit aux prestations – comme un changement de résidence des enfants ou un changement d’état civil – figurait dans la demande de prestations qu’il a remplie le 23.09.2014 et que cette obligation était rappelée dans la décision d’octroi de prestations du 11.11.2014, l’assuré a fait preuve de négligence grave, excluant sa bonne foi.

 

Le TF admet le recours de la caisse d’allocations familiales, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition de la caisse.

 

 

Arrêt 8C_364/2019 consultable ici

 

 

9C_825/2019 (f) du 10.08.2020 – Affiliation à la LPP d’un travailleur invalide à 70% – 2 LPP – 1j al. 1 let. d OPP 2 / Droit aux prestations LPP soumis aux conditions légales, qui doivent être respectées même si la situation en découlant peut paraître insatisfaisante sur le plan social

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_825/2019 (f) du 10.08.2020

 

NB : arrêt à 5 juges, non destiné à la publication

Consultable ici

 

Affiliation à la LPP d’un travailleur invalide à 70% / 2 LPP – 1j al. 1 let. d OPP 2

Droit aux prestations LPP soumis aux conditions légales, qui doivent être respectées même si la situation en découlant peut paraître insatisfaisante sur le plan social

 

A la suite d’un accident subi le 18.06.1975, A.__, né en 1955, a été mis au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité depuis le 01.06.1976 (taux d’invalidité de 70%). Il a repris l’exercice d’une activité lucrative à temps partiel à partir de 1980 et a notamment été engagé en qualité d’aide de bureau à 50%, dès le 01.03.2008. Dans le cadre de cette activité, il a perçu des salaires annuels bruts allant de 25’955 fr. 70 en 2009 à 31’673 fr. 90 en 2018.

A plusieurs reprises, A.__ a requis son affiliation à la Caisse de pensions. Cette dernière a refusé de l’affilier, en dernier lieu par un courrier du 13.11.2018. En bref, elle a considéré que les personnes invalides au sens de l’assurance-invalidité à raison de 70% au moins ne peuvent pas être assurées pour la prévoyance professionnelle.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2019 29 – consultable ici)

A.__ a ouvert action devant le tribunal cantonal et conclu à ce que la Caisse de pensions soit tenue de l’affilier à son régime de pensions avec effet au 01.03.2008.

Par jugement du 11.11.2019, rejet de l’action par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 2 LPP, sont soumis à l’assurance obligatoire les salariés qui ont plus de 17 ans et reçoivent d’un même employeur un salaire annuel supérieur à 21’330 francs (al. 1). Le Conseil fédéral définit les catégories de salariés qui, pour des motifs particuliers, ne sont pas soumis à l’assurance obligatoire (al. 4, 2ème phrase). Conformément à cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 1j al. 1 let. d OPP 2, à teneur duquel notamment les personnes invalides au sens de l’assurance-invalidité à raison de 70% au moins ne sont pas soumises à l’assurance obligatoire. Ces personnes ne peuvent pas se faire affilier à titre facultatif (art. 1j al. 3 et 4 OPP 2 a contrario).

Aux termes de l’art. 3 de la loi du canton de Fribourg du 12 mai 2011 sur la Caisse de prévoyance du personnel de l’Etat (LCP; RSF 122.73.1), la Caisse participe à l’assurance obligatoire prévue par la LPP et fournit des prestations conformément à la présente loi et à ses règlements, mais au moins les prestations prévues par la LPP. L’art. 2 al. 1 du Règlement du 22 septembre 2011 sur le régime de pensions de la Caisse de prévoyance du personnel de l’Etat de Fribourg (RRP) prévoit que les personnes salariées engagées pour une durée d’un an ou plus sont obligatoirement assurées au régime de pensions au plus tôt le 1er janvier de l’année qui suit celle où elles ont eu 17 ans révolus si leur activité est présumée régulière ou durable. Selon l’art. 3 let. d RRP, ne sont pas assurées dans le régime de pensions les personnes salariées qui sont invalides à raison de 70% au moins au sens de la loi fédérale du 19 juin 1959 sur l’assurance-invalidité (LAI).

Dans l’ATF 118 V 158 consid. 4c p. 164 s., confirmé dans l’ATF 123 V 262 consid. 2a et b p. 205, le Tribunal fédéral a jugé que l’art. 1 al. 1 let. d aOPP 2 (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2005, reprise dès le 1er janvier 2006 à l’art. 1j al. 1 let. d OPP 2 [Modification de l’OPP 2 du 10 juin 2005, RO 2005 4279]) n’était pas contraire à la loi. Il a en particulier exposé que dès lors que certaines personnes au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité avaient encore la possibilité, par la mise en valeur de leur capacité résiduelle de gain, de réaliser un salaire supérieur à la limite de coordination et pouvaient ainsi prétendre une rente entière de la prévoyance professionnelle, il s’était agi, par l’adoption de l’art. 1 al. 1 let. d OPP 2, d’éviter qu’une institution de prévoyance ne dût fournir des prestations pour un cas d’assurance survenu antérieurement à l’affiliation. Il eût en effet été contraire à un principe fondamental en matière d’assurances de couvrir un risque déjà réalisé, principe qui n’était aucunement étranger à l’esprit et au but d’une assurance obligatoire.

C’est à juste titre que A.__ soutient d’abord que l’art. 1j al. 1 let. d OPP 2 n’est utile, sous l’angle d’une éventuelle obligation de l’institution de prévoyance de prester pour un cas survenu antérieurement à l’affiliation, que dans l’hypothèse où une personne perçoit déjà une rente entière de la prévoyance professionnelle. Le risque qu’une institution de prévoyance doive s’acquitter d’une rente entière d’invalidité pour une personne qui est devenue invalide à 70% au moins avant son affiliation est en principe, pour reprendre ses termes, « entièrement éliminé » par l’art. 23 let. a LPP, qui subordonne le droit à des prestations d’invalidité, entre autres conditions, à celle que l’intéressé fût assuré lors de la survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité. Cela ne suffit cependant pas pour considérer « inutile » la disposition réglementaire en cause et pour refuser de l’appliquer. En effet, la situation des personnes au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité, à savoir les personnes invalides à 70% ou plus, n’est pas similaire à celle des personnes non invalides ou invalides à moins de 70%, qui ne perçoivent pas de rente d’invalidité ou seulement une rente partielle. Pour la première catégorie de personnes, le risque invalidité est en effet déjà entièrement survenu, alors que pour les secondes, ce risque ne s’est pas réalisé, ou s’est seulement partiellement réalisé. Dans l’assurance-invalidité et la prévoyance professionnelle, il existe à cet égard une fiction que le risque d’invalidité s’est entièrement réalisé à partir d’un taux d’invalidité de 70%, en ce sens qu’une personne invalide à 70% au moins perçoit de ce fait une rente entière d’invalidité (art. 28 al. 2 LAI, art. 24 al. 1 let. a LPP). Or la couverture d’un risque déjà survenu entrerait en contradiction avec le principe d’assurance selon lequel un risque déjà survenu n’a pas à être couvert par une assurance (Bulletin de la prévoyance professionnelle N° 75 du 6 juillet 2004, édité par l’Office fédéral des assurances sociales, ch. 444 Entrée en vigueur au 1er janvier 2005 de la 2ème étape de la révision de la LPP, Modification de l’OPP 2 – Commentaire, p. 13).

Par ailleurs, la rente de l’assurance-invalidité se calcule en prenant en considération le revenu de l’assuré correspondant à une incapacité de gain totale, au moment où est survenue une incapacité de gain d’au moins 70%, indépendamment du taux effectif qui dépasse cette limite. Dès lors, pour les personnes au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité qui ont encore la possibilité, par la mise en valeur de leur capacité résiduelle de gain, de réaliser un salaire supérieur à la limite de coordination (art. 2 al. 1 et art. 7 LPP), la création de nouveaux rapports de travail peut ainsi avoir pour conséquence d’assurer un salaire plus élevé que celui qui aurait pu être assuré sans invalidité (cf. MARKUS MOSER, Die Zweite Säule und ihre Tragfähigkeit, 1992, p. 36 s.; HANS-ULRICH STAUFFER, Die berufliche Vorsorge, 3e éd., 2019, n° 673). La fiction selon laquelle les personnes invalides à 70% ou plus ont droit à une rente entière d’invalidité (art. 28 al. 2 LAI, art. 24 al. 1 let. a LPP) ne concerne à l’inverse pas les personnes invalides à moins de 70%. Celles-ci se voient en effet octroyer seulement une fraction de rente (trois quarts de rente, une demi-rente ou un quart de rente), en fonction de leur taux effectif d’invalidité (cf. art. 28 al. 2 LAI, art. 24 al. 1 let. b-d LPP), d’où la nécessité de leur laisser la possibilité d’assurer leur capacité résiduelle de gain dans la prévoyance professionnelle.

En conséquence, la différence de traitement introduite par l’art. 1j al. 1 let. d OPP 2, qui est également prévue par l’art. 3 let. d RRP, trouve sa justification dans le fait que pour les personnes visées par ces dispositions, le risque invalidité est déjà entièrement survenu. Elle ne contrevient dès lors pas à l’art. 8 al. 1 Cst., même dans l’hypothèse où la personne invalide à 70% ou plus ne perçoit pas de rente de la prévoyance professionnelle.

A.__ ne peut finalement rien tirer en sa faveur du fait qu’il est « choquant » que les personnes qui sont devenues invalides à 70% au moins avant d’avoir pu commencer à travailler soient exclues de la prévoyance professionnelle, quand bien même leur capacité de travail résiduelle leur permet de réaliser un revenu supérieur à la limite de coordination prévue par l’art. 2 al. 1 LPP. Le droit aux prestations de la prévoyance professionnelle est en effet soumis aux conditions légales, qui doivent être respectées même si la situation en découlant peut paraître insatisfaisante sur le plan social (cf. ATF 118 V 158 consid. 4d p. 165 s.). Par ailleurs, si le Tribunal fédéral a considéré, qu’en pratique, l’art. 1 al. 1 let. d aOPP 2 (art. 1j al. 1 let. d OPP 2 depuis le 1er janvier 2006) concerne surtout les personnes invalides qui tentent de reprendre une activité professionnelle et qui continuent de bénéficier d’une rente (entière) de l’assurance-invalidité, il n’a pas exclu que cette disposition pût s’appliquer lorsque l’assuré qui perçoit une rente (entière) de l’assurance-invalidité est durablement en mesure de mettre en valeur sa capacité résiduelle de gain (ATF 118 V 158 consid. 4d p. 166).

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 9C_825/2019 consultable ici

 

 

8C_139/2020 (d) du 30.07.2020 – Revenu sans invalidité d’un chauffeur de taxi indépendant / Revenu d’invalide – Capacité de travail exigible de 60% – Besoin de pauses supplémentaires – Pas d’abattement sur le salaire statistique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_139/2020 (d) du 30.07.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt original fait foi.

 

Comparaison des revenus – Taux d’invalidité / 16 LPGA

Revenu sans invalidité d’un chauffeur de taxi indépendant

Revenu d’invalide – Capacité de travail exigible de 60% – Besoin de pauses supplémentaires – Pas d’abattement sur le salaire statistique

Marché équilibré du travail – ESS ligne « Total » niv. de compétences 1

 

Assuré, né en 1965, chauffeur de taxi depuis septembre 2003, victime d’un accident de la circulation le 16.05.2009. Depuis janvier 2010, il a repris, à temps partiel, son activité de chauffeur de taxi. En avril 2011, il a fondé une société et a travaillé comme chauffeur de taxi indépendant. Par la décision du 01.09.2011, l’office AI a nié le droit à la rente.

Le 30.12.2011, l’assuré a été impliqué d’un accident de la circulation ; il a déposé une nouvelle demande le 10.09.2013. Par décision du 26.06.2014, octroi d’une rente entière limitée dans le temps (mars 2014 à mai 2014).

L’assuré a déposé une nouvelle demande AI, en raison d’une dégradation de son état de santé. Après expertise bidisciplinaire, octroi d’une rente entière du 01.06.2016 au 30.04.2017 et quart de rente AI du 01.05.2017 au 30.09.2017.

 

Procédure cantonale

En tant qu’indépendant, l’assuré avait déclaré des revenus s’élevant à CHF 53’094 en 2011, dont CHF 44’000 pour son emploi dans son entreprise, qu’il a commencé en avril 2011. Le salaire mensuel moyen d’avril à décembre 2011 était donc de CHF 4’888.90. Cela correspond à un revenu annuel de CHF 58’666.80 avec – selon l’assuré – une charge de travail journalière de 10 heures. En tenant compte de l’évolution du salaire nominal des hommes, le revenu sans invalidité serait de CHF 60’688.45 pour 2016 et de CHF 60’932.20 pour 2017. Compte tenu des antécédents professionnels de l’assuré, ce revenu sans invalidité semble également généreux.

Le revenu d’invalide a été évalué sur la base du tableau TA1, ligne « Total », niveau de compétences 1. Avec une capacité de travail de 60% en 2017, la cour cantonale a estimé le revenu d’invalide à CHF 40’472.80. Un abattement sur le salaire statistique n’était pas justifiée.

Par jugement du 27.12.2019, réformation de la décision par le tribunal cantonal (reformatio in peius), dans le sens où l’assuré a droit à une rente entière du 01.06.2016 au 31.12.2016.

 

TF

Revenu sans invalidité

Pour déterminer le revenu qu’aurait obtenu l’assuré sans l’atteinte à la santé, il faut en principe se baser sur salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, éventuellement adapté à l’évolution des salaires, en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Les exceptions doivent être établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2 p. 30 ; arrêt 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 4.1).

Étant donné que l’invalidité doit correspondre à l’incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée (cf. art. 8 al. 1 LPGA), il faut également tenir compte de la formation professionnelle qu’un assuré aurait normalement suivie. Selon la jurisprudence, les possibilités théoriques de développement professionnel ou d’avancement ne doivent être prises en considération que lorsqu’il est très vraisemblable qu’elles seraient advenues. Il convient, à cet égard, d’exiger la preuve d’indices concrets que l’assuré aurait obtenu dans les faits un avancement ou une augmentation corrélative de ses revenus, s’il n’était pas devenu invalide. Des indices concrets en faveur de l’évolution de la carrière professionnelle doivent exister. De simples déclarations d’intention de l’assuré ne suffisent pas (ATF 139 V 28 consid. 3.3.3.2 p. 31 ; arrêt 9C_868/2018 du 22 août 2019 consid. 3.1).

Pour déterminer le revenu sans invalidité, le principe de base est de prendre en compte ce que l’assuré gagnerait effectivement en tant que personne en bonne santé au moment considéré et non ce qu’il pourrait au mieux gagner en tant que travailleur salarié à temps plein (ATF 135 V 58 consid. 3.1 p. 59 ; arrêt 8C_194/2020 du 12 mai 2020 consid. 4.5).

En faisant référence au revenu tiré de la ligne « Total », niveau de compétence 1, du tableau TA1 de l’ESS, l’assuré ne prouve pas que le revenu sans invalidité estimé par le tribunal cantonal comme chauffeur de taxi indépendant dans une entreprise unipersonnelle est sensiblement inférieur à la moyenne. Une parallélisation des revenus à comparer est donc inutile.

Il n’est pas démontré que la détermination du revenu sans invalidité de CHF 60’932.20 pour 2017 repose sur une détermination manifestement incorrecte des faits ou une appréciation arbitraire des preuves.

 

Revenu d’invalide

En règle générale, le Tribunal fédéral refuse un abattement sur le salaire statistique si l’assuré est en mesure de travailler à plein temps mais avec un rendement réduit en raison d’un besoin accru de pauses (SVR 2014 IV Nr. 37 p. 130, 8C_7/2014 consid. 9.2 ; arrêt 8C_729/2019 du 25 février 2020 consid. 4.4).

Même si la capacité de travail résiduelle de l’assuré ne pourrait pas être pleinement mise en œuvre, il ne peut rien en tirer en sa faveur. Car il ne découle pas de la jurisprudence qu’un abattement doit nécessairement être effectué si seul une activité à temps partiel est raisonnablement exigible (arrêt 8C_712/2019 du 12 février 2020 consid. 5.2.2).

La question de savoir si un abattement sur le salaire statistique doit être effectué lorsqu’une personne assurée ne peut pas travailler à plein temps doit toujours être déterminée en fonction du degré d’occupation concret et des valeurs statistiques actuelles.

En l’espèce, le tribunal cantonal a considéré que les hommes ayant un taux d’activité de 50-74% gagnaient statistiquement 4,1% de moins que ceux ayant un taux d’activité de 100%, ce qui ne justifie toutefois pas un abattement dans la pratique. Il convient de le confirmer, d’autant plus que l’assuré ne reproche pas aux conclusions de la cour cantonale d’être manifestement erronées en ce qui concerne la base statistique (voir les arrêts 8C_151/2020 du 15 juillet 2020 consid. 6.3.2 ; 9C_223/2020 du 25 mai 2020 consid. 4.3.2 et 8C_12/2017 du 28 février 2017 consid. 5.5.2).

Des conclusions de l’expertise médicale, l’assuré ne peut pas, entre autres, soulever et porter de manière répétitive des charges jusqu’à 5 kg loin du corps et jusqu’à 8 kg près du corps sans aide technique. Le fait que tous les emplois légers à moyens du niveau de compétence 1 ne lui sont pas ouverts ne permet pas de conclure que ses chances d’emploi ne sont intactes par rapport à un concurrent en bonne santé que s’il accepte une baisse de salaire (voir arrêt 9C_223/2020 du 25 mai 2020 consid 4.3.3). Le marché du travail équilibré (déterminant ; cf. art. 16 LPGA ; ATF 138 V 457 consid. 3.1 p. 459 s., 110 V 273 consid. 4b p. 276) offre un grand nombre d’emplois différents. Il n’est pas établi que ces emplois ne comprennent aucune activité correspondant à l’exigibilité de l’assuré.

Étant donné que le niveau de compétences 1 est exigible, le manque de formation et d’expérience professionnelle dans le secteur des services invoqué par l’assuré ne justifie pas un abattement sur le salaire statistique (cf. arrêt 8C_314/2019 du 10 septembre 2019 consid. 6.2).

Sans abattement, le revenu d’invalide de CHF 40’472.80 a été correctement évalué par la cour cantonale. Comparé au revenu sans invalidité de CHF 60’932.20, le degré d’invalidité est de 34% (pour l’arrondi, voir ATF 130 V 121).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_139/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_139/2020 (d) du 30.07.2020 – Revenu sans invalidité d’un chauffeur de taxi indépendant – Revenu d’invalide – Besoin de pauses supplémentaires, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/10/8c_139-2020)

 

9C_165/2020 (f) du 15.06.2020 – Reconsidération d’une décision d’octroi d’allocation pour impotent – 53 al. 2 LPGA / Doutes raisonnables sur le caractère erroné de la décision initiale / Divergence d’appréciation de l’un des aspects des conditions du droit à la prestation litigieuse pour une situation demeure exactement la même

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_165/2020 (f) du 15.06.2020

 

Consultable ici

 

Reconsidération d’une décision d’octroi d’allocation pour impotent / 53 al. 2 LPGA

Doutes raisonnables sur le caractère erroné de la décision initiale

Divergence d’appréciation de l’un des aspects des conditions du droit à la prestation litigieuse pour une situation demeure exactement la même

 

Assuré, né en 1971, souffrant d’un état dépressif moyen avec syndrome somatique (F32.11) survenu en relation avec un diagnostic de carcinome cortico-surrénalien, est au bénéfice d’une rente entière AI. Le droit aux prestations a été confirmé à deux reprises, en dernier lieu par communication du 03.04.2017.

1e révision du droit à la rente en avril 2014. Assuré a indiqué qu’il avait un besoin de soins durables et d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie. Rapport suite à l’enquête à domicile : l’assuré présente un besoin d’aide pour faire sa toilette (sollicitation et surveillance) et un besoin d’accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie. L’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une allocation pour impotent de degré faible dès le 01.01.2013 (décision du 09.06.2015).

Révision d’office du droit à l’allocation pour impotent initiée en janvier 2018. Selon le rapport de la nouvelle enquête à domicile, la situation est exactement la même que lors de la visite de 2015 : l’assuré a un besoin d’aide pour faire sa toilette (sollicitation et surveillance) ; l’enquêteur n’a en revanche pas retenu le besoin régulier d’accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie, au motif que l’épouse de l’assuré, qui exerce une activité lucrative à temps partiel à raison de deux heures par jour, est en mesure d’apporter l’aide nécessaire en vertu de l’obligation de réduire le dommage. En se fondant sur ces conclusions, l’administration a reconsidéré sa décision du 09.06.2015 et supprimé le droit à l’allocation pour impotent de degré faible avec effet au 01.07.2019.

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a considéré que l’enquêtrice avait, en 2015, évalué le besoin objectif d’accompagnement du recourant pour faire face aux nécessités de la vie sans examiner la question de l’aide apportée par les membres de la famille et l’entourage. L’office AI avait ainsi fait une application non conforme au droit des dispositions relatives à l’évaluation du besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie en relation avec la prise en compte de l’aide exigible des proches. Dès lors que la situation médicale et factuelle était superposable à celle de 2015 et que le recourant présentait seulement un besoin d’aide dans un acte ordinaire de la vie (faire sa toilette), les premiers juges ont confirmé l’absence de droit à une allocation pour impotent dès le 01.07.2019 (jugement du 28.01.2020).

 

TF

Le grief tiré de la présence de « doutes raisonnables sur le caractère erroné de la décision initiale » est bien fondé.

Dans la mesure où la juridiction cantonale a considéré que les divergences entre les deux enquêtes économiques sur le ménage relèvent surtout d’une appréciation différente du taux de participation exigible de la part des membres de la famille, elle ne pouvait ensuite admettre que la décision du 09.06.2015, fondée sur le premier rapport d’enquête à domicile, était manifestement erronée.

Pour pouvoir qualifier une décision de manifestement erronée, il ne suffit pas que l’assureur social ou le juge, en réexaminant l’un ou l’autre aspect du droit à la prestation d’assurance, procède simplement à une appréciation différente de celle qui avait été effectuée à l’époque et qui était, en soi, soutenable. Le caractère inexact de l’appréciation doit bien plutôt résulter de l’ignorance ou de l’absence – à l’époque – de preuves de faits essentiels (ATF 140 V 77 consid. 3.1 p. 79 s.; arrêt 9C_308/2018 précité consid. 2.2 et les références). Or en retenant que la différence dans le résultat des deux enquêtes en question repose avant tout sur une divergence d’appréciation de l’un des aspects des conditions du droit à la prestation litigieuse, l’autorité cantonale de recours ne met pas en évidence le caractère inadmissible de la décision initiale de l’office AI.

Certes, on constate qu’en 2015, l’enquêtrice n’a pas expressément abordé la question de l’obligation de diminuer le dommage des membres de la famille, pour déterminer si et dans quelle mesure une aide était exigible d’eux. Cela étant, en ce qu’elle a indiqué que l’épouse de l’assuré avait dû réduire son taux d’activité de 100% à 50%, la collaboratrice de l’office AI a effectivement pris en considération l’aide que l’épouse indiquait devoir désormais fournir pour pallier l’incapacité de l’assuré à participer à la gestion des tâches ménagères en raison de son état de santé, sous l’angle de l’obligation de réduire le dommage des membres de la famille. Le fait que l’épouse a dû diminuer son taux d’activité pour s’occuper de son époux contribue en effet déjà à diminuer le dommage de manière déterminante. On ne saurait dès lors retenir qu’en accordant le droit à l’allocation pour impotent, le 09.06.2015, en se fondant sur les constatations ressortant du rapport d’enquête, l’office AI a rendu une décision entachée d’une inexactitude manifeste.

 

Le TF admet le recours de l’assuré et annule le jugement cantonal et la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_165/2020 consultable ici

 

 

6B_488/2020 (f) du 03.09.2020 – Escroquerie à l’assurance-chômage – 146 CP / Assuré résidant en France mentionnant une adresse en Suisse pour percevoir des prestations de l’assurance-chômage helvétique

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_488/2020 (f) du 03.09.2020

 

Consultable ici

 

Escroquerie à l’assurance-chômage / 146 CP

Assuré résidant en France mentionnant une adresse en Suisse pour percevoir des prestations de l’assurance-chômage helvétique

 

A.__, né en 1979, a été arrêté le 29.03.2017, dans le cadre d’une large enquête de police portant sur des cambriolages commis en Suisse romande. Il est alors apparu que le prénommé, officiellement domicilié à B.__ dans un appartement qu’il sous-louait à un tiers, habitait en réalité en France.

A.__ a bénéficié à deux reprises de prestations de l’assurance-chômage, soit entre 2004 et 2006, puis entre 2013 et 2015.

Son contrat de travail ayant été résilié pour fin décembre 2015, le prénommé s’est à nouveau inscrit auprès de l’ORP, le 08.12.2015, afin de bénéficier des prestations de l’assurance-chômage. Il a alors indiqué son adresse à B.__.

Par la suite, A.__ a signé divers courriers de convocation, soit entre janvier 2016 et mars 2017, sur lesquels était mentionnée son adresse à B.__. Il a en outre adressé à l’Office cantonal de l’emploi (ci-après : OCE) un certificat de travail, daté du 25.01.2016, mentionnant son domicile à B.__, et signé deux confirmations d’inscription auprès de l’ORP – datées du 07.03.2017 – comportant cette adresse, ainsi que la mention suivante : « par votre signature, vous confirmez avoir pris connaissance de ces données et de leur exactitude. Tout changement devra être communiqué à l’ORP dans les plus brefs délais ». Il a enfin reçu de nombreux courriers adressés par l’OCE à B.__, sans que ceux-ci fussent retournés à leur expéditeur avec la mention d’un changement d’adresse.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 03.07.2019, le tribunal correctionnel a condamné A.__, pour tentative de vol, vol, dommages à la propriété, dommages considérables à la propriété, violation de domicile, escroquerie, violation grave des règles de la circulation routière et infraction à la législation sur les étrangers, à une peine privative de liberté de dix mois.

Par arrêt du 02.03.2020 (arrêt AARP/92/2020), la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise a partiellement admis l’appel formé par A.__ et a réformé celui-ci en ce sens que le prénommé est condamné, pour tentative de vol, vol, dommages considérables à la propriété, violation de domicile, escroquerie, violation grave des règles de la circulation routière et infraction à la législation sur les étrangers, à une peine privative de liberté de neuf mois.

La cour cantonale a exposé que A.__ s’était inscrit au chômage en décembre 2015 afin de bénéficier de prestations de l’assurance concernée, indiquant une adresse à B.__. Selon les propres déclarations de l’intéressé, ce dernier avait déménagé en France durant la première moitié de l’année 2016, aux environs du mois de mai, cela sans indiquer de changement d’adresse. A.__ avait, à de nombreuses reprises, signé des courriers de convocation à des entretiens, sur lesquels figurait son adresse à B.__, validant ainsi celle-ci aux yeux de l’OCE. Il avait agi ainsi au moins à cinq reprises depuis la date approximative de son déménagement, confortant l’office dans son erreur quant à son domicile réel et à son droit d’obtenir des prestations de l’assurance-chômage. Il était en tous les cas certain que l’intéressé avait déjà déménagé en France le 07.03.2017, lorsqu’il avait signé deux confirmations d’inscription auprès de l’ORP mentionnant également son adresse en Suisse, alors même que les documents en question attiraient son attention sur l’obligation d’exactitude des données et sur le fait que tout changement devait être communiqué dans les plus brefs délais. A.__ avait donc adopté, à réitérées reprises, un comportement actif, punissable au regard de l’art. 146 al. 1 CP. En plus d’avoir été actif, le comportement de A.__ s’était révélé astucieux. Ce dernier avait laissé son nom sur la boîte à lettres de l’appartement de B.__, ainsi que sur la porte – sur laquelle le nom du nouveau locataire ne figurait pas -, durant près d’une année, ce qui avait permis à l’intéressé de relever son courrier, notamment les plis de l’OCE. A.__ savait ainsi qu’il serait difficile, voire impossible, pour les autorités de découvrir son déménagement en France, cela d’autant qu’il n’avait pas non plus annoncé le changement de domicile à l’Office cantonal de la population et des migrations. L’intéressé avait donc amené, par son comportement astucieux, l’OCE à lui verser indûment des prestations.

 

TF

Aux termes de l’art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d’escroquerie celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l’aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.

L’escroquerie consiste à tromper la dupe. Pour qu’il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit cependant pas; il faut qu’elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l’art. 146 CP, lorsque l’auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manoeuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu’il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n’est pas possible, ne l’est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l’auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu’elle renoncera à le faire en raison d’un rapport de confiance particulier (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 p. 154 s.; 135 IV 76 consid. 5.2 p. 79 s.). L’astuce n’est pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d’attention ou éviter l’erreur avec le minimum de prudence que l’on pouvait attendre d’elle. Il n’est cependant pas nécessaire qu’elle ait fait preuve de la plus grande diligence ou qu’elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d’être trompée. L’astuce n’est exclue que si elle n’a pas procédé aux vérifications élémentaires que l’on pouvait attendre d’elle au vu des circonstances. Une co-responsabilité de la dupe n’exclut toutefois l’astuce que dans des cas exceptionnels (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 p. 155; 135 IV 76 consid. 5.2 p. 81).

La définition générale de l’astuce est également applicable à l’escroquerie en matière d’assurances et d’aide sociale. L’autorité agit de manière légère lorsqu’elle n’examine pas les pièces produites ou néglige de demander à celui qui requiert des prestations les documents nécessaires afin d’établir ses revenus et sa fortune, comme par exemple sa déclaration fiscale, une décision de taxation ou des extraits de ses comptes bancaires. En revanche, compte tenu du nombre de demandes d’aide sociale, une négligence ne peut être reprochée à l’autorité lorsque les pièces ne contiennent pas d’indice quant à des revenus ou à des éléments de fortune non déclarés ou qu’il est prévisible qu’elles n’en contiennent pas. En l’absence d’indice lui permettant de suspecter une modification du droit du bénéficiaire à bénéficier des prestations servies, l’autorité d’assistance n’a pas à procéder à des vérifications particulières (arrêts 6B_346/2020 du 21 juillet 2020 consid. 1.2; 6B_152/2020 du 1er avril 2020 consid. 3.2; 6B_1369/2019 du 22 janvier 2020 consid. 1.1.2).

L’infraction d’escroquerie se commet en principe par une action. Tel est le cas lorsqu’elle est perpétrée par actes concluants (ATF 140 IV 11 consid. 2.3.2 p. 14). L’assuré, qui a l’obligation de communiquer toute modification importante des circonstances déterminantes pour l’octroi d’une prestation, ne respecte pas cette obligation et continue à percevoir les prestations allouées initialement à juste titre, n’adopte pas un comportement actif de tromperie. Le fait de continuer à percevoir les prestations allouées ne saurait être interprété comme la manifestation positive – par acte concluant – du caractère inchangé de la situation. Il convient en revanche d’analyser la situation de façon différente lorsque la perception de prestations est accompagnée d’autres actions permettant objectivement d’interpréter le comportement de l’assuré comme étant l’expression du caractère inchangé de la situation. Tel sera le cas lorsque l’assuré ne répond pas ou pas de manière conforme à la vérité aux questions explicites de l’assureur destinées à établir l’existence de modification de la situation personnelle, médicale ou économique; il n’est en effet plus question alors d’une escroquerie par omission, mais d’une tromperie active (ATF 140 IV 206 consid. 6.3.1.3 p. 209 et les références citées).

 

A.__ admet avoir omis de communiquer son changement de domicile après avoir commencé à percevoir des prestations de l’assurance-chômage, mais conteste avoir commis tout acte de tromperie à cet égard.

Les confirmations d’inscription signées le 07.03.2017 par A.__ ont permis à celui-ci de se réinscrire auprès de l’OCE et comportaient les renseignements pertinents à cet égard, ainsi les coordonnées personnelles, l’état civil, le statut professionnel, le taux d’activité ou encore le lieu de travail. Ils précisaient en outre que, par sa signature, la personne concernée confirmait l’exactitude des données mentionnées. A cet égard, A.__ a bien – en signant ces documents faisant faussement état d’un domicile en Suisse – adopté un comportement actif visant à tromper la dupe, soit à faire accroire qu’il était domicilié dans ce pays.

Cette tromperie était bien astucieuse, car, en l’absence de toute annonce de changement de domicile par A.__, l’autorité ne disposait d’aucun indice qui lui aurait permis de suspecter une modification du droit de l’intéressé à bénéficier des prestations servies et n’avait pas à procéder à des vérifications particulières.

Dans la mesure où A.__ soutient qu’il n’aurait pas eu l’intention de tromper astucieusement l’OCE en confirmant faussement qu’il était domicilié en Suisse, celui-ci s’écarte de l’état de fait de la cour cantonale (cf. ATF 141 IV 369 consid. 6.3 p. 375), par lequel le Tribunal fédéral est lié (cf. art. 105 al. 1 LTF) et dont il ne prétend ni ne démontre qu’il aurait été arbitrairement établi (cf. art. 97 al. 1 LTF).

Cependant, comme le relève A.__, on ignore, à la lecture de l’arrêt attaqué, si des prestations de l’assurance-chômage lui ont été versées sur la base des documents signés le 07.03.2017, soit postérieurement à cette date encore. Il n’est ainsi pas possible, au vu de l’état de fait de la cour cantonale, d’examiner si l’infraction d’escroquerie a ou non été consommée. Le recours doit être admis sur ce point, l’arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l’autorité cantonale afin que celle-ci complète son état de fait et examine à nouveau si A.__ a pu, par la tromperie astucieuse opérée le 07.03.2017, réaliser les éléments constitutifs d’une infraction à l’art. 146 al. 1 CP (cf. art. 112 al. 3 LTF).

 

Le TF admet le recours de A.__.

 

 

Arrêt 6B_488/2020 consultable ici

 

 

2C_243/2020 (f) du 25.06.2020 – Devoir professionnel de l’avocat – 12 LLCA / L’avocat doit s’abstenir de tenir des propos inutilement blessants et de menacer d’un dépôt d’une plainte pénale sans aucun fondement

Arrêt du Tribunal fédéral 2C_243/2020 (f) du 25.06.2020

 

Consultable ici

 

Devoir professionnel de l’avocat / 12 LLCA

L’avocat doit s’abstenir de tenir des propos inutilement blessants et de menacer d’un dépôt d’une plainte pénale sans aucun fondement

 

L’art. 12 let. a LLCA dispose que l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence. Cette disposition constitue une clause générale, qui permet d’exiger de l’avocat qu’il se comporte correctement dans l’exercice de sa profession (ATF 144 II 473 consid. 4.1 p. 476 et les références citées). Elle ne se limite pas aux rapports professionnels de l’avocat avec ses clients, mais comprend aussi les relations avec les confrères et les autorités (ATF 144 II 473 consid. 4.1 p. 476). L’art. 12 let. a LLCA suppose l’existence d’un manquement significatif aux devoirs de la profession (ATF 144 II 473 consid. 4.1 p. 476).

En l’occurrence, il est reproché à l’avocat recourant d’avoir violé son devoir de diligence à trois reprises: tout d’abord en remettant à sa cliente qui se trouvait en détention un courrier de son concubin, puis en dénonçant disciplinairement à tort un confrère et, enfin, en menaçant ouvertement la directrice de C.__ Sàrl – Institut d’action et de développement en psychologie du trafic (ci-après: C.__) de poursuites pénales sans fondement, ainsi qu’en adoptant à l’égard de celle-ci un ton inacceptable pour un avocat.

 

Le premier devoir professionnel de l’avocat consiste à défendre les intérêts de ses clients et il dispose d’une large marge de manœuvre pour déterminer quels sont les moyens et les stratégies qui, selon lui, sont les plus aptes à réaliser ce but (ATF 144 II 473 consid. 4.3 p. 477; 131 IV 154 consid. 1.3.2 p. 158). L’avocat peut défendre les intérêts de ses clients de manière vigoureuse et s’exprimer de manière énergique et vive. Il n’est pas tenu de choisir la formulation la plus mesurée à l’encontre de la partie adverse, ni de peser tous ses mots. Une certaine marge d’exagération, voire même de provocation, doit ainsi être acceptée (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.2 p. 158; 130 II 270 consid. 3.2.2 p. 278; arrêts 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 7.1.2; 2C_507/2019 du 14 novembre 2019 consid. 5.1.3; 2C_907/2017 du 13 mars 2018 consid. 3.2; 2C_620/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.2; 2C_103/2016 du 30 août 2016 consid. 3.2.1).

Tous les moyens ne sont toutefois pas permis. Un comportement inutilement agressif ne correspond pas à une manière d’exercer la profession avec soin et diligence au sens de l’art. 12 let. a LLCA (ATF 130 II 270 consid. 3.2.2 p. 277; arrêt 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 5.1.3). L’avocat assume une tâche essentielle à l’administration de la justice, en garantissant le respect des droits des justiciables, et joue ainsi un rôle important pour le bon fonctionnement des institutions judiciaires au sens large. Il est partant tenu de s’abstenir de tout acte susceptible de remettre en cause la confiance qui doit pouvoir être placée dans la profession et faire montre d’un comportement correct dans son activité (ATF 144 II 473 consid. 4.3 p. 477 et les références; 130 II 270 consid. 3.2.2 p. 277 s.). Il doit contribuer à ce que les conflits juridiques se déroulent de manière appropriée et professionnelle et s’abstenir de tenir des propos inutilement blessants (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.2 p. 158; arrêt 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 5.1.3 et les arrêts cités). L’avocat n’agit pas dans l’intérêt de son client s’il se livre à des attaques excessives inutiles, susceptibles de durcir les fronts et de conduire à une escalade dans le conflit (ATF 130 II 270 consid. 3.2.2 p. 277; arrêt 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 5.1.3 et les arrêts cités).

Par ailleurs, l’avocat ne peut en règle générale se servir de moyens juridiques inadéquats pour exercer des pressions (cf. arrêts 2C_782/2015 du 19 janvier 2016 consid. 5.2; 2C_247/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.2; 2A.448/2003 du 3 août 2004 consid. 6; par ex. la menace du dépôt d’une plainte pénale: arrêts 2C_1180/2013 du 24 octobre 2014 consid. 4.1.1; 2P.130/1997 du 30 juin 1997 in RDAT 1998 I n. 10 p. 37 consid. 5 c).

 

En l’espèce, d’après le jugement entrepris, la directrice de C.__ avait été mandatée pour effectuer une expertise visant à déterminer l’aptitude à la conduite de l’un des clients du recourant. Insatisfait du résultat de cette expertise, l’avocat recourant avait notamment écrit à C.__ que l’expertise n’avait pas été réalisée dans les règles de l’art et que les conclusions étaient « iniques et arbitraires ». Par la suite, l’avocat recourant avait invoqué une inexécution du contrat de mandat. Après que la directrice de C.__ avait formé une dénonciation à la Chambre de surveillance, l’avocat recourant lui avait en outre adressé un courrier lui impartissant un unique délai pour la retirer, en se réservant le « droit d’envisager la piste pénale » et en citant l’art. 181 CP (contrainte).

On ne voit aucune utilité dans la bonne défense des intérêts d’un client à qualifier les conclusions d’une expertise « d’iniques ». En outre, il résulte de la lecture complète des critiques du recourant figurant au dossier (cf. art. 105 al. 2 LTF) que celui-ci s’en est pris, sans aucune raison, personnellement à l’experte, en lui reprochant notamment une « désinvolture » et une « vision arbitraire », au lieu de s’en tenir à une critique factuelle du contenu de l’expertise. Le fait que l’avocat recourant ait tenu ces propos non pas oralement dans le feu d’une séance mais par écrit, mode d’expression qui laisse en règle générale l’opportunité de la réflexion et de la mesure des mots employés, constitue une circonstance aggravante (cf. arrêt 2C_247/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.3). Il est impossible dans ces conditions de considérer que les critiques de l’avocat sont restées dans la mesure de l’acceptable comme il le prétend.

A cela s’ajoute que rien ne justifiait que l’avocat recourant exigeât de la directrice de C.__ le retrait de sa dénonciation auprès de la Chambre de surveillance, en précisant envisager la piste pénale le cas échéant. Si l’avocat recourant estimait que les écrits qu’il avait envoyés à la directrice de C.__ n’avaient aucun contenu inutilement vexatoire ou attentatoire à l’honneur, il n’avait qu’à le faire valoir devant la Commission de surveillance, dès lors que celle-ci avait déjà été saisie. L’avocat recourant prétend n’avoir fait que formuler une « réserve usuelle de la part d’un avocat ». L’argument frise la témérité. La menace du dépôt d’une plainte pénale sans aucun fondement – on ne voit en effet aucunement en quoi le fait que la directrice de C.__ se soit adressée à la Commission de surveillance aurait pu constituer une tentative de contrainte – afin d’obtenir le retrait d’une dénonciation est inacceptable (cf. arrêt 6B_275/2016 du 9 décembre 2016 consid. 4.2.2; ATF 120 IV 17 consid. 2 p. 19).

Sur le vu de ces circonstances, c’est à bon droit que le Tribunal cantonal a confirmé que l’avocat recourant avait violé son devoir de diligence par son comportement à l’égard de la directrice de C.__.

 

Le TF rejette le recours de l’avocat.

 

 

Arrêt 2C_243/2020 consultable ici

 

 

8C_72/2020 (d) du 26.08.2020, destiné à la publication – Obligation d’annonce du cas à l’assurance-invalidité et devoir de collaborer de la personne assurée – 51 al. 2 OLAA / Reconsidération d’une décision de rente d’invalidité AA – 53 al. 2 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_72/2020 (d) du 26.08.2020, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 16.09.2020 disponible ici

 

Obligation d’annonce du cas à l’assurance-invalidité et devoir de collaborer de la personne assurée / 51 al. 2 OLAA

Reconsidération d’une décision de rente d’invalidité / 53 al. 2 LPGA

 

Le Tribunal fédéral admet partiellement un recours de la Suva. L’injonction de la Suva d’annoncer son cas à un autre assureur social susceptible d’être tenu de verser des prestations peut survenir à plusieurs reprises, même après l’octroi initial des prestations. L’obligation d’annoncer comprend également le devoir de collaborer dans la procédure établissant le droit aux prestations.

En décembre 2010, un assuré s’est blessé à la main gauche après avoir été victime d’un accident professionnel. La Suva a octroyé les prestations légales. En mars 2013, le médecin d’arrondissement a certifié que l’assuré était pleinement apte, sur le plan physique, à travailler dans une activité adaptée. Il a également attesté d’un état psychique altéré de l’assuré. Après avoir été sommé à trois reprises par la Suva d’annoncer son cas à l’assurance-invalidité (AI), l’assuré a déposé une demande de prestations auprès de l’AI. En 2014, l’office AI compétent a refusé à l’assuré le droit à des mesures professionnelles et à une rente d’invalidité, au motif qu’il ne s’était pas soumis à l’expertise psychiatrique demandée. Par la suite, la Suva lui a alloué une rente d’invalidité de 100% et une indemnité pour atteinte à l’intégrité. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité a été ajustée en 2015. Aucune de ces décisions de la Suva n’a été contestée.

En 2018, compte tenu de la violation par l’assuré de son devoir de collaborer dans la procédure AI, la Suva a recalculé ses prestations et lui a alloué une rente complémentaire. L’assuré s’étant opposé à cette décision, la Suva a remplacé celle-ci par une sommation à l’assuré de communiquer son cas à l’AI et de respecter son devoir de collaborer, à défaut de quoi seule une rente complémentaire lui serait allouée. L’assuré a demandé une décision susceptible de recours et la récusation de l’employé de la Suva en charge de son cas. Sur quoi, la Suva a décidé de verser ses prestations sous forme de rente complémentaire à partir du 01.04.2019. Le Tribunal administratif du canton de Thurgovie a annulé la décision sur opposition de la Suva. La Suva forme un recours devant le Tribunal fédéral qui l’admet partiellement et renvoie la cause à la juridiction cantonale pour nouvelle décision.

Le litige porte sur la question de savoir si la Suva avait le droit de réduire ses prestations à une rente complémentaire, au motif que l’assuré n’avait pas respecté son devoir de collaborer dans la procédure AI. Il ne peut pas être déduit du libellé de l’art. 51 al. 2 OLAA que la sommation de communiquer son cas à un autre assureur social ne peut survenir qu’une seule fois. Pas non plus, que cette sommation ne peut être prononcée qu’avant l’octroi initial des prestations. Appelé à interpréter cette disposition légale, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que l’assureur-accidents est tenu de verser uniquement les prestations dont il devrait vraisemblablement s’acquitter, si l’assuré s’était conformé à ses obligations dans le cadre de la procédure AI. Dès lors, l’injonction d’annoncer son cas à un autre assureur social susceptible d’être tenu de verser des prestations peut être faite plusieurs fois et même après l’octroi initial de prestations. L’obligation d’annonce du cas comprend ainsi le devoir de collaborer dans la mesure nécessaire à l’établissement du droit aux prestations.

En l’espèce, la Suva était en outre autorisée à revenir sur ses décisions formellement passées en force, car elles ont manifestement été rendues en violation du droit fédéral. Il existait, par conséquent, un motif de reconsidération. Partant, les conditions requises pour un examen du droit aux prestations futures de l’assuré sont remplies.

 

 

Arrêt 8C_72/2020 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 16.09.2020 disponible ici

 

 

Pas de précipitations sur le dossier de l’AVS

Pas de précipitations sur le dossier de l’AVS

 

Communiqué de presse du Parlement du 21.09.2020 consultable ici

 

Le Conseil des Etats ne veut pas se précipiter dans le projet de l’AVS du Conseil fédéral. Il a tacitement renvoyé en commission lundi une motion de Ruedi Noser (PLR/ZH) demandant de relever l’âge de la retraite à 67 ans et de donner deux semaines de vacances supplémentaires à tous.

Ces vingt dernières années, malgré un urgent besoin de réforme, tous les projets de refonte de l’AVS et du 2e pilier ont échoué. Le Conseil fédéral a déjà transmis au Parlement un nouveau projet de stabilisation de l’AVS.

Celui-ci prévoit notamment l’alignement de l’âge de retraite des femmes sur celui des hommes, aussi bien dans l’AVS que dans la prévoyance professionnelle obligatoire.

Les sénateurs ont préféré renvoyer en commission le texte de M. Noser. Celui-ci explique que la motion permettra de réduire de moitié un déficit de financement qui se creusera fortement dans les années à venir.

Cette réduction améliorera sensiblement, de quelque 0,5%, le taux de conversion minimum LPP, sans que ce taux ne soit relevé ni que les futurs retraités ne subissent de pertes, et sans augmentation des déductions salariales ni de la TVA.

 

 

Communiqué de presse du Parlement du 21.09.2020 consultable ici

Motion Noser 20.3225 « Une meilleure qualité de vie et des rentes plus sûres pour tous » consultable ici