8C_715/2019 (f) du 06.10.2020 – Réduction des prestations en espèces pour entreprise téméraire – 39 LAA – 50 OLAA / La pratique du VTT de descente sur un tracé bleu n’est pas une entreprise téméraire (tant absolue que relative) [en dehors de toute compétition ou d’entraînement en vue d’une compétition] / Le VTT de descente n’est pas comparable au Dirt Biking

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_715/2019 (f) du 06.10.2020

 

Consultable ici

 

Réduction des prestations en espèces pour entreprise téméraire / 39 LAA – 50 OLAA

La pratique du VTT de descente sur un tracé bleu n’est pas une entreprise téméraire (tant absolue que relative) [en dehors de toute compétition ou d’entraînement en vue d’une compétition]

Le VTT de descente n’est pas comparable au Dirt Biking

 

Assuré, serveur, a été victime d’un accident le 16.06.2018. Vers 17 heures, il était à Châtel (France), en train de descendre en vélo tout terrain (VTT) la piste bleue « La Serpentine », lorsqu’il a chuté. Il a été retrouvé au sol, inconscient avec un saignement à l’oreille. L’accident s’est soldé par un traumatisme crânien sévère.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a procédé à une réduction 50% de toutes les prestations en espèces, au motif que l’atteinte à la santé subie lors de cette descente en VTT était la conséquence d’une entreprise téméraire absolue.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 13/19 – 119/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré que la pratique du VTT de descente sur un tracé bleu, réservée à la pratique de ce sport, par beau temps, hors du cadre d’une compétition – respectivement d’un entraînement en vue d’une compétition – ne constituait pas, de prime abord, une entreprise téméraire absolue. Examinant les circonstances du cas concret, compte tenu notamment de la nature de la piste, qualifiée de « facile », de l’expérience de l’assuré et de son équipement, elle a conclu que l’activité litigieuse ne pouvait pas non plus être qualifiée d’entreprise téméraire relative.

Par jugement du 17.09.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, reformant en ce sens que les prestations en espèces relatives au sinistre du 16.06.2018 n’étaient pas réduites.

 

TF

Selon l’art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l’assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces; la réglementation des cas de refus ou de réduction peut déroger à l’art. 21 al. 1 à 3 LPGA. Fondé sur cette norme de délégation de compétence, l’art. 50 OLAA prévoit qu’en cas d’accidents non professionnels dus à une entreprise téméraire, les prestations en espèces sont réduites de moitié; elles sont refusées dans les cas particulièrement graves (al. 1). Les entreprises téméraires sont celles par lesquelles l’assuré s’expose à un danger particulièrement grave sans prendre de mesures destinées à ramener celui-ci à des proportions raisonnables ou sans pouvoir prendre de telles mesures; toutefois, le sauvetage d’une personne est couvert par l’assurance même s’il peut être considéré comme une entreprise téméraire (al. 2).

La jurisprudence qualifie d’entreprises téméraires absolues celles qui, indépendamment de l’instruction, de la préparation, de l’équipement et des aptitudes de l’assuré, comportent des risques particulièrement importants, même si elles sont pratiquées dans les conditions les moins défavorables. Il en va de même des activités risquées dont la pratique ne répond à aucun intérêt digne de protection (ATF 141 V 216 consid. 2.2 p. 218; 138 V 522 consid. 3.1 p. 524 et les références). Ont par exemple été considérées comme des entreprises téméraires absolues la participation à une course automobile de côte ou en circuit (ATF 113 V 222; 112 V 44), à une compétition de motocross (RAMA 1991 n° U 127 p. 221 [U 5/90]), à un combat de boxe ou de boxe thaï (ATFA 1962 p. 280; RAMA 2005 n° U 552 p. 306 [U 336/04]), la pratique, même à titre de hobby, du « Dirt Biking » (ATF 141 V 37), la pratique de la moto lors d’une séance de pilotage libre organisée sur circuit (arrêts 8C_81/2020 du 3 août 2020; 8C_217/2018 du 26 mars 2019 publié in: SVR 2019 UV n° 33 p. 123; 8C_472/2011 du 27 janvier 2012 publié in: SVR 2012 UV n° 21 p. 77 et RSAS 2012 p. 301), un plongeon dans une rivière d’une hauteur de quatre mètres sans connaître la profondeur de l’eau (ATF 138 V 522), ou encore, faute de tout intérêt digne de protection, l’action de briser un verre en le serrant dans sa main (SVR 2007 UV n° 4 p. 10 [U 122/06] consid. 2.1).

D’autres activités non dénuées d’intérêt comportent des risques élevés, qui peuvent toutefois être limités à un niveau admissible si l’assuré remplit certaines exigences sur le plan des aptitudes personnelles, du caractère et de la préparation. A défaut, l’activité est qualifiée de téméraire et l’assurance-accidents est en droit de réduire ses prestations conformément aux art. 39 LAA et 50 OLAA. On parle dans ce cas d’entreprise téméraire relative, en ce sens que le refus ou la réduction des prestations dépend du point de savoir si l’assuré était apte à l’exercer et a pris les précautions nécessaires pour limiter les risques à un niveau admissible (ATF 141 V 216 consid. 2.2 p. 218; 138 V 522 consid. 3.1 p. 524). Peuvent constituer des entreprises téméraires relatives la « streetluge » (arrêt 8C_638/2015 du 9 mai 2016 publié in: SVR 2016 UV n° 47 p. 155), le canyoning (ATF 125 V 312), la plongée, y compris la plongée spéléologique dans une source (ATF 134 V 340; 96 V 100), l’alpinisme et la varappe (ATF 97 V 72, 86), ou encore le vol delta (ATF 104 V 19). Selon le degré de difficulté et le niveau de risque dans un cas particulier, il n’est pas exclu de qualifier l’une ou l’autre de ces activités d’entreprise téméraire absolue (ATF 134 V 340 consid. 3.2.3 p. 345).

La Commission ad hoc des sinistres LAA a établi à l’intention des assureurs-accidents une recommandation en matière d’entreprises téméraires (recommandation n° 5/83 du 10 octobre 1983 complétée le 27 juin 2018, consultable sur le site de l’Association suisse des assureurs [ASA]: https://www.svv.ch/fr). Cette recommandation contient une liste des entreprises considérées comme des entreprises téméraires absolues. Sont notamment considérées comme telles les courses de descente en VTT, y compris entraînement sur parcours (« Downhill-Biking »). De telles recommandations n’ont toutefois pas valeur d’ordonnances administratives ni de directives d’une autorité de surveillance aux autorités d’exécution de la loi; il s’agit de simples recommandations qui ne lient pas le juge (ATF 114 V 315 consid. 5c p. 318).

Comme l’ont relevé les juges cantonaux, le site internet de l’Office du tourisme de Châtel (www.chatel.com/piste-vtt-la-serpentine.html) présente la piste de la Serpentine comme suit: « Longue de plus de 3 km, cette piste bleue qui se trouve sur la partie basse du Bike est une longue balade avec de très nombreux virages; c’est aussi à la fois une piste pédagogique qui permet de s’entraîner à prendre les virages relevés et de s’y améliorer puisqu’elle en compte 36! Récemment transformée, elle compte à présent 24 nouveaux sauts et modules en plus. Elle est devenue plus aérienne! »

AFNOR, organisme français de référence pour les normes volontaires (cf., pour une sélection de normes volontaires AFNOR, sports et loisirs: www.sports.gouv.fr.), a édicté la norme NF S52-110 « Pistes de descente VTT – Aménagement ». Cette norme comprend un tableau 1, intitulé « Détermination du niveau de difficulté d’une piste de descente VTT et son code-couleur associé », qui figure à l’identique en page 12 du guide publié par la Fédération française de cyclisme (FFC) sous le titre « Classification et balisage des parcours VTT » (actualisé en 2018 et téléchargeable sur le site www.ffc.fr) et dont la teneur est la suivante:

NIVEAU DE DIFFICULTÉ TRÈS FACILE FACILE DIFFICILE TRÈS DIFFICILE ELITE
Code-couleur correspondant Vert Bleu Rouge Noir Double noir
Niveau du pratiquant Accessible à tous types de pratiquants sans avoir à descendre du VTT Destiné aux pratiquants initiés Destiné à des pratiquants confirmés Destiné aux pratiquants experts Destiné aux pratiquants experts et/ou compétiteurs
Pente moyenne Très faible Faible Modérée Pouvant être forte Pouvant être très forte
Surface de roulement Large, très roulante avec un dévers faible Roulante      
Modules (s’applique à toutes les modules) Module, très facile, de profil arrondi, franchissable à l’enroulé Module facile et franchissable à l’enroulé Module difficile franchissable à l’enroulé ou non Module très difficile franchissable à l’enroulé ou non Module élite franchissable à l’enroulé ou non
Modules de sauts Pas de modules de saut nécessitant un décollage des deux roues Pas de modules de saut nécessitant un décollage des deux roues Module franchissable à l’enroulé ou non Module franchissable à l’enroulé ou non Module franchissable à l’enroulé ou non
Obstacle (s) Présence de quelques sections d’obstacles très faciles Présence de quelques sections d’obstacles faciles Présence de quelques sections d’obstacles de difficulté moyenne Présence de quelques sections d’obstacles de difficulté élevée Présence d’obstacles de difficulté très élevée

Selon cette classification, les pistes de descente VTT sont identifiées par cinq couleurs, à savoir vert s’agissant d’un parcours très facile, bleu pour un parcours facile, rouge pour un parcours difficile, noir pour un parcours très difficile et damier blanc et noir pour un niveau « élite ». La cotation d’un parcours VTT de descente est déterminée au regard des critères suivants: le niveau du pratiquant, la pente moyenne, la surface de roulement, les modules, les modules de sauts et les obstacles. Une piste de la catégorie bleue – comme « La Serpentine » – est destinée aux pratiquants initiés, sa pente moyenne est faible, elle présente une surface roulante, comporte des modules faciles et franchissables à l’enroulé, il n’y a pas de modules de saut nécessitant un décollage des deux roues et elle comporte quelques sections d’obstacles faciles. Le guide publié par la FFC précise que ces critères doivent être utilisés comme un outil de décision et qu’il convient de ne jamais sous-coter un parcours.

Le rapport de visite du 24.08.2018 de l’inspecteur de sinistre ne permet pas d’aboutir à une autre qualification du niveau de difficulté de « La Serpentine ». Le fait que l’accident s’est produit sur une portion de la piste qualifiée par l’inspecteur de sinistre comme n’ayant « absolument rien de facile » ne saurait être décisif. En effet, il est notoire que le degré de difficulté signalé est toujours déterminé d’après la section la plus difficile (cf. la brochure technique « Signalisation des pistes VTT », publiée par le Bureau de prévention des accidents [bpa], téléchargeable sous www.bpa.ch, p. 7) et le guide publié par la FFC insiste bien sur le fait qu’il convient de ne jamais sous-coter un parcours. Or les photos du lieu de l’accident ne montrent ni un dénivelé inhabituel, ni la présence d’un obstacle ou de modules qui auraient pu rendre le passage plus difficilement franchissable qu’indiqué par la signalisation de piste bleue. Partant, les faits constatés par les premiers juges ne sont pas critiquables.

 

Force est d’abord de constater que la référence par l’assurance-accidents à la recommandation n° 5/83 de la Commission ad hoc des sinistres LAA (cf. consid. 3.4 supra) se révèle dénuée de pertinence. En effet, l’accident du 16.06.2018 ayant eu lieu en dehors de toute compétition ou d’entraînement en vue d’une compétition, il ne tombe pas sous la définition de « courses de descente VTT, y compris entraînement sur parcours («Downhill-Biking»)« .

Se référant ensuite à l’ATF 141 V 37, dans lequel le Tribunal fédéral a considéré que le Dirt Biking constituait une entreprise téméraire absolue, l’assurance-accidents soutient que la pratique du Downhill-Biking y serait assimilable, dès lors que les risques de blessures et de chute ne se laisseraient pas réduire à des proportions raisonnables avec une protection adéquate.

Le Dirt Biking est une pratique de VTT particulière, dont le but primaire consiste à faire des sauts (jumps) incluant des figures acrobatiques tels que saltos, rotations sur son propre axe ou le fait d’ôter les mains du guidon ou les pieds des pédales (ATF 141 V 37 consid. 4.3 p. 41). Ce sont précisément les sauts d’une certaine hauteur qui comportent le danger intrinsèque d’être blessé, sans qu’il soit possible de ramener ce risque à des proportions raisonnables (ATF 141 V 37 consid. 4.4 p. 41 s.). A l’évidence, le Dirt Biking comporte des risques plus élevés que la pratique du VTT de descente, en particulier lorsqu’il s’agit – comme en l’espèce – de la descente non chronométrée d’une piste bleue. La comparaison tombe dès lors à faux.

 

S’agissant enfin de l’examen des circonstances du cas concret, l’assurance-accidents ne conteste à juste titre pas qu’au moment de l’accident, l’assuré portait un équipement complet (casque, protections dorsales, jambes, genoux, bras et poignets), qu’il avait choisi une piste n’excédant pas son degré d’aptitude et que les conditions météorologiques étaient favorables. A la question de savoir à quelle vitesse l’assuré roulait lors de la survenance de l’accident, le dossier ne contient pas de réponse. En effet, l’assuré présentant des troubles de la mémoire antérograde, il n’a pas pu être interrogé. Par ailleurs, aucune caméra d’action n’a été trouvée dans son équipement et il n’y a pas eu des témoins, à l’exception des secouristes. La gravité des blessures subies par l’assuré lors de l’accident du 16.06.2018 pourrait tout au plus constituer un indice qu’il roulait à une vitesse plutôt élevée. A lui seul, un tel indice ne permet toutefois pas d’admettre l’existence d’une entreprise téméraire relative permettant à l’assureur-accidents de réduire ses prestations en espèces.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_715/2019 consultable ici

 

 

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.