Archives de catégorie : Jurisprudence

9C_782/2020 (f) du 09.11.2021 – Maintien de la prévoyance au-delà de l’âge légal de la retraite – 33b LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_782/2020 (f) du 09.11.2021

 

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Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

Maintien de la prévoyance au-delà de l’âge légal de la retraite / 33b LPP

 

Ayant choisi de bénéficier d’une pension de retraite partielle et de poursuivre son activité lucrative à temps partiel au service du même employeur, le recourant est resté assuré pour son activité lucrative résiduelle auprès de l’institution de prévoyance de son employeur après l’âge ordinaire de la retraite.

Le litige porte sur le paiement des cotisations au 2e pilier de la part du recourant du fait de son affiliation à la prévoyance après l’âge ordinaire de la retraite.

Le TF rappelle tout d’abord que, selon l’art. 13 al. 1 lit. a LPP, les hommes ont droit à des prestations de vieillesse dès qu’ils ont atteint l’âge de 65 ans. Il est précisé à l’art. 13 al. 2 LPP qu’en dérogation à l’al. 1, les dispositions réglementaires de l’institution de prévoyance peuvent prévoir que le droit aux prestations de vieillesse prend naissance dès le jour où l’activité lucrative prend fin. Par ailleurs, d’après l’art. 33b LPP (activité lucrative après l’âge ordinaire de la retraite), l’institution de prévoyance peut prévoir dans son règlement la possibilité pour les assurés de demander le maintien de leur prévoyance jusqu’à cessation de leur activité lucrative, mais au plus tard jusqu’à l’âge de 70 ans.

Dans la présente affaire, la poursuite de l’activité lucrative à 50%, à teneur du contrat de travail, a eu pour conséquence l’obligation pour le recourant de cotiser à la prévoyance professionnelle dans cette mesure.

Le TF considère que le recourant a signé sans réserve le contrat de travail dans lequel les déductions légales étaient mentionnées, notamment à la caisse de prévoyance. De plus, il était stipulé dans ledit contrat que les honoraires étaient soumis, le cas échéant, à l’AVS/AI/APG/AC, à la retenue pour l’assurance-accidents et à la prévoyance professionnelle (LPP) selon les dispositions légales et règlements en vigueur. Le TF relève à cet égard qu’il était loisible au recourant de renoncer à poursuivre son activité aux conditions proposées si elles ne lui convenaient pas, et de quitter ses fonctions à l’âge ordinaire de la retraite. Quoi qu’il en soit, le recourant a travaillé à temps partiel au service de son employeur en touchant sa rente partielle de vieillesse, soit durant près d’une année. Le TF considère que dans cet intervalle, le recourant s’est tacitement (et donc volontairement) soumis à la réglementation qu’il conteste.

 

 

Arrêt 9C_782/2020 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

 

9C_61/2021+9C_197/2021 (f) du 01.03.2022 – Assurance obligatoire auprès de plusieurs institutions de prévoyance et invalidité partielle: survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité – 23 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_61/2021+9C_197/2021 (f) du 01.03.2022

 

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Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

Assurance obligatoire auprès de plusieurs institutions de prévoyance et invalidité partielle: survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité / 23 LPP

 

L’institution de prévoyance, qui n’était pas tenue de verser des prestations d’invalidité parce que l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité n’avait pas eu d’incidence sur les rapports de travail concernés, n’a pas non plus l’obligation de verser des prestations lorsque la personne n’est plus assurée auprès d’elle au moment de l’aggravation ultérieure de l’invalidité.

X a exercé différentes activités professionnelles à temps partiel, notamment pour le compte de M. et I. Dans le cadre de ces emplois, il a été affilié pour la prévoyance professionnelle respectivement auprès de la Caisse de pensions M. et de la Caisse I. La Caisse de pensions M. a refusé d’allouer des prestations d’invalidité à X. au motif que son atteinte à la santé n’avait pas influencé son activité auprès de l’employeur M.

Le TF rappelle tout d’abord que, selon l’ATF 129 V 132 consid. 4.3.3, lorsqu’un assuré devient invalide à 50% et abandonne pour cette raison l’un de ses emplois, conservant l’autre au même taux que précédemment, l’institution de prévoyance de l’employeur restant peut être tenue à prestations en cas d’augmentation ultérieure de l’incapacité de travail pour les mêmes raisons de santé lorsque cette augmentation survient à un moment où l’intéressé est assuré auprès d’elle et a une incidence sur les rapports de travail avec l’employeur concerné. Or, il résulte de cet arrêt que l’institution de prévoyance libérée de l’obligation de verser des prestations d’invalidité parce que l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité n’avait pas eu d’incidence sur les rapports de travail concernés, ne peut être tenue de verser des prestations, en cas d’aggravation ultérieure de l’invalidité pour les mêmes raisons de santé lorsque la personne n’est alors plus assurée auprès d’elle.

En l’espèce, X. a été affilié à titre obligatoire auprès de la Caisse de pensions M. de janvier 2013 à fin décembre 2014, mais non plus postérieurement à cette date. De plus, l’aggravation de son état de santé, qui trouve sa cause dans la sclérose en plaques ayant occasionné une incapacité de travail en avril 2013, est survenue en 2018, soit à un moment où il n’était plus assuré auprès de la caisse recourante. Dans ces circonstances, une obligation de prester de la caisse recourante ne pourrait être reconnue que si l’incapacité de travail initiale avait eu une incidence sur l’emploi exercé par l’intimé pour le compte de M. et pour lequel il était assuré auprès de la Caisse M., conformément à l’art. 23 let. a LPP. Or, selon le TF, X. n’a pas démontré qu’il aurait présenté une incapacité de travail durable dans le cadre de son emploi pour le compte de M. dès le début de sa maladie en 2013, soit pendant la période d’affiliation auprès de la recourante. Aucun des médecins consultés n’a fait état d’une incapacité de travail durable dans l’activité exercée pour le compte de M. De plus, la diminution du taux d’occupation pour M. s’est accompagnée notamment d’une augmentation du taux d’occupation pour I. ainsi que du suivi d’une formation.

En définitive, dès lors que l’intimé X. n’a pas subi d’incapacité de travail déterminante dans son emploi pour le compte de M. pendant la durée de son affiliation auprès de la Caisse M. au sens de l’art. 23 let. a LPP, à la suite de l’atteinte à la santé qui s’est manifestée en 2013, la caisse recourante ne saurait être tenue de prendre en charge l’aggravation de l’invalidité intervenue en 2018, soit à un moment où X. ne lui était plus affilié.

 

 

Arrêt 9C_61/2021+9C_197/2021 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

 

2C_575/2020 (f) et 2C_34/2021 (f) du 30.05.2022 – Arrêts concernant le service de transport «Uber» et le service de livraison de repas «Uber Eats»

Arrêts du Tribunal fédéral 2C_575/2020 (f)  et 2C_34/2021 (f) du 30.05.2022, destinés à la publication

 

Communiqué de presse du TF du 03.06.2022 consultable ici

Arrêt 2C_575/2020 consultable ici

Arrêt 2C_34/2021 consultable ici

 

Arrêts concernant le service de transport «Uber» et le service de livraison de repas «Uber Eats»

 

Le Tribunal fédéral rend deux arrêts concernant respectivement le service de transport «Uber» et le service de livraison de repas «Uber Eats». La société «Uber Switzerland GmbH» («Uber CH»), de siège à Zurich, et, en outre, dans une des procédures, la société néerlandaise «Uber B.V.», avaient contesté deux arrêts de la Cour de justice du canton de Genève. Selon le Tribunal fédéral, la Cour de justice n’est pas tombée dans l’arbitraire concernant le service de transport en retenant une relation de travail entre les chauffeurs Uber opérant à Genève et «Uber B.V.». Le Tribunal fédéral rejette le recours correspondant. S’agissant du service de livraison de repas, le Tribunal fédéral conclut que les livreurs doivent certes être considérés comme des employés, mais qu’il n’y a en revanche pas de contrat de location de services avec les restaurateurs. Il admet partant le recours relatif à cette cause.

En ce qui concerne le service de transport «Uber», le Service genevois de police du commerce et de lutte contre le travail au noir a décidé en 2019 qu’«Uber B.V.» devait être qualifiée d’exploitant d’entreprise de transport au sens de la loi cantonale genevoise sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur. En tant que telle, «Uber B.V.» devait respecter les obligations légales correspondantes, en particulier celles relatives à la protection sociale des chauffeurs et aux conditions de travail en usage dans leur secteur d’activité. Il a été fait interdiction à l’entreprise (et, en tant que de besoin, également à «Uber CH») de poursuivre ses activités, tant que la situation ne serait pas conforme au droit. Les autorités genevoises ont communiqué leur décision à différentes autorités fédérales et d’autres autorités genevoises, en particulier celles en charge de la mise en œuvre de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP). La Cour de justice du canton de Genève a confirmé cette décision. Elle a en substance considéré que les chauffeurs Uber actifs à Genève étaient liés à «Uber B.V.» par un contrat de travail, de sorte que cette société devait être qualifiée d’entreprise de transport.

Concernant «Uber Eats», l’Office cantonal de l’emploi genevois a décidé en 2019 que le service de livraison de repas devait être qualifié de location de services, relevant de la loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services (LSE). «Uber CH» devait par conséquent inscrire sa succursale de Genève au Registre du commerce de Genève et demander une autorisation conformément aux exigences de la LSE. La Cour de justice du canton de Genève a également confirmé cette décision.

Pour ce qui a trait au service de transport «Uber» (procédure 2C_34/2021), le Tribunal fédéral rejette le recours d’«Uber CH» et «Uber B.V.». Comme le litige porte sur l’application du droit cantonal, la cognition du Tribunal fédéral est limitée à l’arbitraire et aux griefs constitutionnels invoqués. Selon le Tribunal fédéral, il n’est pas arbitraire de retenir que les chauffeurs Uber opérant à Genève étaient liés à la société «Uber B.V.» par un contrat de travail, compte tenu des caractéristiques des relations contractuelles. Partant, il n’est pas insoutenable de qualifier «Uber B.V.» d’entreprise de transport au sens de la législation cantonale genevoise. Le Tribunal fédéral n’a pas à déterminer dans la présente cause si le système mis en place par «Uber B.V.» est conforme à l’ALCP. Il reviendra aux autorités compétentes de se prononcer sur ce point.

S’agissant du service de livraison de repas «Uber Eats» (procédure 2C_575/2020), le Tribunal fédéral admet le recours d’«Uber CH» et annule la décision attaquée. Le Tribunal fédéral conclut qu’il n’y a pas de location de services. La location de services désigne des relations tripartites entre un employeur (bailleur), une entreprise locataire et un travailleur. Elle implique deux contrats : d’une part un contrat de travail (au sens des articles 319 ss du Code des obligations) entre le bailleur de services et le travailleur et, d’autre part, un contrat de location de services entre le bailleur et le locataire de services. Compte tenu des caractéristiques des relations contractuelles, le Tribunal fédéral retient qu’il existe une relation de travail entre Uber et les livreurs. En revanche, il n’y a pas de contrat de location de services entre Uber et les restaurateurs, à défaut en particulier d’un transfert du pouvoir de direction aux restaurateurs et d’une intégration des livreurs dans l’organisation des restaurants.

 

 

Arrêt 2C_575/2020 consultable ici

Arrêt 2C_34/2021 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 03.06.2022 consultable ici

 

 

9C_689/2020 (f) du 01.03.2022 – Conditions d’affiliation à l’assurance obligatoire des soins – Domicile en Suisse / Convention de sécurité sociale entre la Suisse et les Etats-Unis / Qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_689/2020 (f) du 01.03.2022

 

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Conditions d’affiliation à l’assurance obligatoire des soins – Domicile en Suisse / 3 LAMal – 1 al. 1 OAMal – 13 LPGA – 23 ss CC

Statut de travailleur détaché et attestation de détachement – Qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché

Convention de sécurité sociale entre la Suisse et les Etats-Unis

 

Madame A.A.__ et Monsieur C.A.__, ressortissants suisses, sont les parents de B.A.__ (née aux USA en janvier 2013). Madame A.A.__ et sa fille sont assurées auprès de la caisse-maladie pour l’assurance obligatoire des soins depuis respectivement janvier 2010 et janvier 2013.

Le 17.06.2016, C.A.__ a annoncé à la caisse-maladie que son épouse et leur fille avaient eu un accident de voiture le 14.05.2016 à l’étranger. Il a ensuite remis à l’assureur-maladie différentes factures d’un montant total de 406’873,17 dollars pour les soins médicaux reçus par son épouse et sa fille dans un hôpital aux USA. Après avoir pris des renseignements sur le domicile des assurées, la caisse-maladie a, par décision du 10.11.2016, annulé la couverture d’assurance de Madame A.A.__ au 31.12.2012, considérant que l’intéressée avait élu domicile aux Etats-Unis depuis plusieurs années, vraisemblablement depuis décembre 2012. Elle a également annulé la couverture d’assurance de leur fille au 30.01.2013, considérant que l’enfant n’avait jamais été soumis à l’assurance-maladie obligatoire suisse. Par ailleurs, elle a refusé la prise en charge des frais conformément aux factures remises pour des soins prodigués aux Etats-Unis à Madame A.A.__ et B.A.__ ensuite de l’accident du 14.05.2016; elle a encore décidé que les primes payées seront remboursées et s’est réservée le droit de demander le remboursement des prestations déjà versées.

Par décision sur opposition du 14.07.2017, la caisse-maladie a modifié la décision du 10.11.2016 en ce sens que Madame A.A.__ n’est plus soumise à l’assurance-maladie obligatoire suisse au-delà du 30.11.2013 et que la couverture d’assurance est annulée au 30.11.2013. Elle a confirmé pour le reste la décision précitée.

 

Procédure cantonale (arrêt AM 51/17 – 28/2020 – consultable ici)

La juridiction cantonale a retenu que l’enfant B.A.__ ne s’était jamais constituée de domicile en Suisse, faute d’avoir été annoncée par ses parents dans une commune suisse de sa naissance (en janvier 2013) au 21.06.2016. En ce qui concerne Madame A.A.__, elle a constaté que le dossier contenait de nombreux indices plaidant en faveur d’un déplacement du centre des intérêts personnels de l’intéressée de la Suisse aux Etats-Unis de décembre 2013 à septembre 2016.

En ce qui concerne la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché, les juges cantonaux ont retenu que si les conditions d’un tel détachement sont remplies, la caisse de compensation concernée établit une attestation de détachement et la remet à l’employeur (qui la transmet ensuite à la personne détachée). La caisse de compensation concernée confirme par cette attestation que la législation suisse continue d’être appliquée au travailleur détaché pendant qu’il travaille dans l’autre Etat. En l’absence d’attestation de détachement, les recourantes ne pouvaient par conséquent pas se prévaloir du fait que les membres de la famille qui accompagnent un salarié détaché depuis la Suisse vers les Etats-Unis restent soumis à la législation suisse de sécurité sociale.

En ce qui concerne la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché, les juges cantonaux ont retenu que si les conditions d’un tel détachement sont remplies, la caisse de compensation concernée établit une attestation de détachement et la remet à l’employeur (qui la transmet ensuite à la personne détachée). La caisse de compensation concernée confirme par cette attestation que la législation suisse continue d’être appliquée au travailleur détaché pendant qu’il travaille dans l’autre Etat. En l’absence d’attestation de détachement, Madame A.A.__ et sa fille ne pouvaient par conséquent pas se prévaloir du fait que les membres de la famille qui accompagnent un salarié détaché depuis la Suisse vers les Etats-Unis restent soumis à la législation suisse de sécurité sociale.

Par jugement du 22.09.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.2
Selon l’art. 1 al. 1 OAMal, les personnes domiciliées en Suisse au sens des art. 23 à 26 CC sont tenues de s’assurer, conformément à l’art. 3 LAMal. A l’inverse de ce que la juridiction cantonale a retenu, Madame A.A.__ a établi en instance cantonale avoir annoncé la naissance de sa fille à la Direction de l’Etat civil du canton de Vaud et s’être vu remettre un certificat de famille en avril 2013. Indépendamment des circonstances de l’inscription postérieure dans les registres de l’état civil de la commune de C.__, Madame A.A.__ a pris soin de son enfant à sa naissance et le domicile de celui-ci est donc intrinsèquement lié à celui de sa mère. Dans la mesure où la juridiction cantonale a constaté, de manière à lier le Tribunal fédéral, que le domicile de A.A.__ était à C.__ jusqu’au 30.11.2013, il convient de modifier le jugement attaqué. En ce qui concerne le droit des assurances sociales, il est constaté que la fille B.A.__ partageait le domicile de sa mère et était donc domiciliée à C.__ jusqu’au 30.11.2013 et assurée auprès de la caisse-maladie jusqu’à cette date.

 

Consid. 6
Les recourantes demandent à pouvoir se prévaloir d’un assujettissement à l’AOS fondé sur les art. 3 al. 3 LAMal et 4 al. 1 OAMal, relatifs aux travailleurs détachés et aux membres de leur famille. Elles font valoir que les attestations de détachement mentionnées par la juridiction cantonale et délivrées par la caisse de compensation concernée ne possèdent qu’un caractère constatatoire, dès lors qu’elles ont essentiellement pour but de permettre au travailleur détaché de prouver, en cas de besoin, dans le pays étranger qu’il existe un assujettissement aux assurances sociales en Suisse. L’assujettissement à l’AOS devrait dès lors s’effectuer à l’aune de l’art. 4 OAMal.

 

Consid. 7.1
Selon l’art. 3 al. 1 LAMal, toute personne domiciliée en Suisse doit s’assurer pour les soins en cas de maladie, ou être assurée par son représentant légal, dans les trois mois qui suivent sa prise de domicile ou sa naissance en Suisse. En vertu de l’art. 3 al. 3 let. b LAMal, le Conseil fédéral peut étendre l’obligation de s’assurer à des personnes qui n’ont pas de domicile en Suisse, en particulier celles qui sont occupées à l’étranger par une entreprise ayant un siège en Suisse.

Faisant usage de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a édicté l’art. 4 OAMal (« Travailleurs détachés »). Aux termes de cette disposition, demeurent soumis à l’assurance obligatoire suisse les travailleurs détachés à l’étranger, ainsi que les membres de leur famille au sens de l’art. 3 al. 2 OAMal qui les accompagnent, lorsque: le travailleur était assuré obligatoirement en Suisse immédiatement avant le détachement (al. 1 let. a) et qu’il travaille pour le compte d’un employeur dont le domicile ou le siège est en Suisse (al. 1 let. b). Les membres de la famille ne sont pas soumis à l’assurance obligatoire suisse s’ils exercent à l’étranger une activité lucrative impliquant l’assujettissement à une assurance-maladie obligatoire (al. 2). L’assurance obligatoire est prolongée de deux ans. Sur requête, l’assureur la prolonge jusqu’à six ans en tout (al. 3). Pour les personnes considérées comme détachées au sens d’une convention internationale de sécurité sociale, la prolongation de l’assurance correspond à la durée de détachement autorisée par cette convention. La même règle s’applique aux autres personnes qui, en raison d’une telle convention, sont soumises à la législation suisse pendant un séjour temporaire à l’étranger (al. 4).

Consid. 7.2
Le Conseil fédéral ne définit pas à l’art. 4 OAMal la notion de personnes « occupées à l’étranger par une entreprise ayant un siège en Suisse » (art. 3 al. 3 let. b LAMal), mais renvoie aux conventions internationales de sécurité sociale. Pour les personnes considérées comme détachées au sens d’une telle convention, il précise à l’art. 4 al. 4 OAMal que la prolongation de l’assurance correspond à la durée de détachement autorisée par cette convention.

Consid. 8.1
La Suisse et les Etats-Unis d’Amérique ont souhaité, par le biais d’une convention internationale de sécurité sociale, permettre aux entreprises établies dans l’un des deux Etats de détacher leurs employés sur le territoire de l’autre Etat tout en les maintenant assurés dans leur pays d’origine (Message concernant l’approbation de la convention de sécurité sociale révisée entre la Confédération suisse et les Etats-Unis d’Amérique du 15 mai 2013, FF 2013 2961, 2963). A cet effet, ils ont conclu une première convention de sécurité sociale le 18 juillet 1979 (ci-après: la Convention 1979), en vigueur du 1er novembre 1980 (RO 1980 1671) au 31 juillet 2014 (RO 2014 2269), puis une nouvelle convention le 3 décembre 2012 (ci-après: la Convention), en vigueur depuis le 1er août 2014 (RS 0.831.109.336.1). Le champ d’application ratione materiae de ces deux conventions englobe l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité, mais pas l’assurance-maladie.

Consid. 8.2
Aux termes de l’art. 6 par. 2 de la Convention 1979, modifié par l’avenant du 1er juin 1988 (RO 1989 2251), une personne exerçant une activité lucrative salariée, détachée, pour une durée prévisible de cinq ans au maximum, sur le territoire de l’un des Etats contractants, par une entreprise ayant un établissement sur le territoire de l’autre Etat, demeure soumise, quelle que soit sa nationalité, uniquement aux dispositions légales concernant l’assurance obligatoire de ce dernier Etat comme si elle exerçait son activité sur le territoire de cet Etat. Si, avant l’échéance des cinq ans, l’entreprise qui a requis le statut de détaché pour la personne désire obtenir une prolongation de ce statut en sa faveur, cette prolongation peut exceptionnellement être accordée si l’autorité compétente de l’Etat du territoire duquel la personne est détachée, ayant considéré cette demande de prolongation comme étant justifiée, l’a présentée à l’autorité compétente de l’autre Etat contractant et a obtenu l’accord de celle-ci. Le conjoint et les enfants accompagnant une personne détachée au sens des deux phrases précédentes du présent paragraphe demeurent soumis uniquement aux dispositions légales concernant l’assurance obligatoire de l’Etat d’où est détaché le travailleur à condition qu’ils n’exercent pas d’activité lucrative salariée ou indépendante sur le territoire de l’autre Etat.

Selon l’art. 3 par. 1 de l’arrangement administratif du 20 décembre 1979 concernant les modalités d’application de la Convention 1979, dans les cas visés à l’art. 6 par. 2 de la Convention 1979, l’organisme de l’Etat contractant dont la législation est applicable établit sur requête de l’employeur un certificat attestant que le travailleur intéressé demeure soumis à cette législation. Le certificat établit la preuve que le travailleur n’est pas assuré obligatoirement selon la législation de l’autre Etat contractant.

Consid. 8.3
Aux termes de l’art. 7 par. 2, 1ère phrase, de la Convention, une personne exerçant une activité lucrative salariée pour un employeur ayant un établissement sur le territoire d’un Etat contractant, et qui est détachée par cet employeur, pour une durée prévisible de cinq ans au maximum, sur le territoire de l’autre Etat contractant, demeure soumise, quelle que soit sa nationalité, uniquement à la législation concernant l’assurance obligatoire du premier Etat comme si elle exerçait son activité sur le territoire de cet Etat.

Lorsque, en application du titre III, une personne, quelle que soit sa nationalité, reste soumise à la législation d’un des Etats contractants alors qu’elle travaille sur le territoire de l’autre Etat contractant, cela vaut également pour son conjoint et ses enfants, quelle que soit leur nationalité, qui résident avec la personne sur le territoire du second Etat contractant, à condition qu’ils n’exercent pas eux-mêmes d’activité lucrative sur le territoire de cet Etat (art. 11 par. 1 de la Convention). Lorsque, en application du par. 1, la législation suisse est applicable au conjoint et aux enfants, ils sont assurés dans l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité (art. 11 par. 2 de la Convention).

Selon l’art. 3 par. 1 et 3 de l’arrangement administratif du 3 décembre 2012 concernant les modalités d’application de la Convention, lorsque la législation d’un Etat contractant est applicable conformément à l’une des dispositions du titre III de la Convention, l’organisme de cet Etat contractant établit sur requête de l’employeur ou du travailleur indépendant un certificat attestant que l’employé ou le travailleur indépendant est soumis à sa législation et indiquant la durée de validité du certificat. Ce certificat sert de preuve pour exempter le travailleur de l’assujettissement obligatoire selon la législation de l’autre Etat contractant (par. 1). Les requêtes en vue d’une prolongation de la période de détachement ou d’une exception à l’art. 12 de la Convention doivent être présentées à l’autorité compétente de l’Etat contractant auquel on demande le maintien de l’assujettissement (par. 3).

Consid. 9
En ce qui concerne les formalités en cas de détachement d’un travailleur salarié, l’art. 3 respectivement de l’arrangement administratif du 20 décembre 1979 et de l’arrangement administratif du 3 décembre 2012 prévoit une réglementation traditionnelle calquée sur le modèle d’autres conventions bilatérales conclues par la Suisse. Les formalités en cas de détachement correspondent donc aux standards de coordination prévus par le droit européen et international des assurances sociales.

A cet égard, en relation avec le droit de l’Union européenne, le Tribunal fédéral a déjà rappelé que l’attestation concernant la législation de sécurité sociale applicable aux travailleurs détachés a un effet déclaratif et non pas constitutif (ATF 134 V 428 consid. 4, en relation avec l’art. 11 du règlement [CEE] n° 574/72 [RO 2005 3909]; arrêt 8C_475/2009 du 22 février 2010 consid. 5.1). En délivrant une telle attestation, la caisse de compensation compétente se borne à déclarer que le travailleur demeure soumis à la législation de sécurité sociale suisse tout au long d’une période donnée au cours de laquelle il effectue un travail sur le territoire de l’Etat d’accueil.

Ces principes doivent également être appliqués en l’occurrence, étant donné que les formalités en cas de détachement dans les relations entre la Suisse et les Etats-Unis sont similaires à celles prévalant dans les rapports entre la Suisse et l’Union européenne. En conséquence, l’absence d’attestation de détachement ne suffit pas à nier le statut de travailleur détaché. Aussi, en retenant que Madame A.A.__ et sa fille ne pouvaient se voir reconnaître le bénéfice de la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché du simple fait qu’elles n’avaient pas produit une telle attestation, les juges cantonaux ont violé le droit fédéral. Si le document n’a pas été requis, le maintien de la législation de sécurité sociale suisse durant l’exercice temporaire d’une activité professionnelle à l’étranger doit être examiné librement par l’autorité saisie d’un litige en matière de sécurité sociale. Les juges cantonaux devaient donc examiner librement si Monsieur C.A.__ remplissait les conditions pour se voir reconnaître la qualité de travailleur détaché pendant la période litigieuse. En cas de réponse positive, ils devaient ensuite examiner si l’épouse et la fille pouvaient prétendre le statut de membres de la famille d’un travailleur détaché et si elles demeuraient pour ce motif soumises aux dispositions légales concernant l’assurance obligatoire de l’Etat d’où est détaché le travailleur, en l’occurrence la Suisse selon l’argumentation des recourantes.

Consid. 10
Faute pour la juridiction cantonale d’avoir procédé à un examen matériel de la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché invoquée par les recourantes, le Tribunal fédéral n’est pas en mesure de se prononcer sur ce point en l’état. Il convient dès lors de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle examine les conditions des art. 3 LAMal et 4 OAMal, à la lumière du renvoi aux conventions de sécurité sociale entre la Suisse et les Etats-Unis, et, le cas échéant, procède à des mesures d’instruction complémentaires.

 

Le TF admet le recours de Madame A.A.__ et sa fille, annule le jugement cantonal, renvoyant la cause au tribunal cantonal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_689/2020 consultable ici

 

 

9C_358/2021 (f) du 04.03.2022 – Concubinage et prestation de survivant – 20a LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_358/2021 (f) du 04.03.2022

 

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Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

Concubinage et prestation de survivant / 20a LPP

 

En l’absence d’annonce écrite du concubinage et signée par les deux partenaires du vivant de l’assuré, il n’y a pas de droit à une prestation de survivant.

X et Y ont formé une communauté de vie, dont sont issus deux enfants nés en 2017 et 2020. X. était assuré à la Caisse de pensions C. X. est décédé d’une crise cardiaque en 2020. La Caisse C. a alloué des rentes d’orphelins ainsi que des capitaux-décès aux enfants du couple. Par contre, elle n’a pas accordé de prestations à la concubine Y. au motif qu’il n’y avait pas eu d’annonce écrite du concubinage du vivant de X.

Selon le TF, s’il ne fait aucun doute que le décès de l’assuré X, partenaire de Y. et père de ses enfants, est intervenu de manière particulièrement inattendue, il n’est pas de ce seul fait choquant qu’on oppose à Y. l’omission du couple d’annoncer leur communauté de vie à la caisse de pensions du défunt. Cela vaut d’autant plus qu’ils vivaient ensemble depuis 2012 et que leur premier enfant est né en 2017, de sorte qu’ils ont disposé de plusieurs années pour procéder à l’annonce requise. La recourante Y. ne fait d’ailleurs plus valoir que l’exigence d’annonce n’aurait pas été portée à la connaissance de l’assuré, étant précisé qu’au moins à partir de 2017, la Caisse C. avait attiré l’attention de X. sur cette exigence par une note figurant dans les certificats de prévoyance.

Le TF considère que le règlement de la Caisse C. conditionne clairement le droit à la rente du concubin survivant à une annonce écrite et signée des deux partenaires du vivant de l’assuré. Une telle condition est conforme à l’art. 20a LPP et ne viole pas le principe de l’égalité de traitement (art. 8 al. 2 Cst.). Par ailleurs, cette exigence ne constitue pas une simple règle d’ordre, mais bel et bien une condition formelle du droit à la rente, licite selon la jurisprudence constante (cf. p. ex. ATF 142 V 233 consid. 2.1). Le fait d’avoir déclaré devant témoins vouloir procéder à une telle annonce ne suffit par conséquent pas à fonder le droit à la rente de survivant.

 

 

Arrêt 9C_358/2021 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

 

9C_485/2021 (d) du 21.02.2022 – Capital-décès: exigence d’un ménage commun dans le cadre d’un partenariat de vie donnant droit à prestation (concrétisation de la jurisprudence) / 20a al. 1 lit. a LPP – 49 al. 2 ch. 3 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_485/2021 (d) du 21.02.2022

 

Consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

Capital-décès: exigence d’un ménage commun dans le cadre d’un partenariat de vie donnant droit à prestation (concrétisation de la jurisprudence) / 20a al. 1 lit. a LPP – 49 al. 2 ch. 3 LPP

 

La condition réglementaire de former un ménage commun est jugée également remplie lorsque les partenaires ne font ménage commun que pendant la fin de la semaine et les vacances, dans la mesure où, comme en l’espèce, ils vivent séparément durant les jours de travail pour des raisons professionnelles, et non pas pour de simples motifs d’ordre pratique.

En l’espèce, le litige oppose la sœur et la compagne du défunt au sujet du capital-décès de ce dernier. Le tribunal cantonal avait rejeté la demande de la sœur du défunt et ordonné le versement du capital-décès à la partenaire du défunt. La sœur du défunt a recouru auprès du TF, en faisant valoir notamment qu’il n’y aurait pas eu de communauté de vie ininterrompue en ménage commun au sens prévu par le règlement de l’institution de prévoyance.

Le TF rappelle à cet égard que les institutions de prévoyance sont autorisées à définir le cercle des ayants droit de manière plus étroite que le prévoit l’art. 20a al. 1 lit. a LPP, car la désignation comme bénéficiaires des personnes mentionnées par cet article relève de la prévoyance étendue (art. 49, al. 2, ch. 3, LPP en référence aux ATF 144 V 327, consid. 1.1, 142 V 233, consid. 1.1, 137 V 383, consid. 3.2 et 136 V 49, consid. 3.2). Les institutions de prévoyance sont ainsi habilitées à prévoir dans leur règlement une notion plus restrictive du partenariat de vie. Ainsi, il est admissible de prévoir que la communauté de vie doive se dérouler en ménage commun.

Se référant à la jurisprudence actuelle, le TF considère que, sous le titre de ménage commun, on ne peut pas s’attendre sans autre à une communauté d’habitation permanente et indivise dans un lieu de résidence fixe. En effet, une telle représentation ne tient pas compte des réalités économiques ni des changements de société actuels. Il est fréquent que, pour des raisons professionnelles ou de santé ou pour d’autres motifs dignes de protection, deux partenaires n’habitent pas ensemble de manière ininterrompue, mais seulement une partie de la semaine par exemple. Ce qui doit être déterminant, c’est la volonté manifeste des deux partenaires de faire ménage commun en partageant dans la mesure du possible le même lieu de résidence (ATF 137 V 383, consid. 3.3). De nos jours, le concept de ménage commun est à comprendre au sens large. Cependant, il est exclu en cas de domiciles séparés pour des motifs purement pratiques. Il faut donc des circonstances particulières qui rendent particulièrement difficile ou impossible la constitution d’un domicile commun (ATF 138 V 86, consid. 5.1, 5.1.2 et 5.1.3).

Sur cette base, le TF arrive à la conclusion qu’il y a eu, en l’espèce, un «ménage commun» et donc une communauté de vie au sens réglementaire, car la vie séparée pendant les jours de travail était due à des raisons professionnelles, et non à des motifs purement pratiques, selon la constatation contraignante des faits de l’instance cantonale. Ainsi, le TF confirme la décision du tribunal cantonal d’ordonner le versement du capital-décès à la compagne du défunt assuré.

 

 

Arrêt 9C_485/2021 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

 

4A_333/2021 (f) du 08.02.2022 – Prescription de la créance – 46 aLCA / Interruption de la prescription par réquisition de poursuite – Preuve stricte de la date d’envoi de l’acte non apportée – 135 CO / Absence de preuve suffisante du vol déclaré

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_333/2021 (f) du 08.02.2022

 

Consultable ici

 

Assurance contre le vol – Prescription de la créance / 46 aLCA (dans sa version antérieure au 01.01.2022)

Interruption de la prescription par réquisition de poursuite – Preuve stricte de la date d’envoi de l’acte non apportée / 135 CO

Absence de preuve suffisante du vol déclaré

 

A.__ était propriétaire d’une importante collection d’art dont les pièces majeures étaient exposées dans sa maison à Genève, sous alarme, et dans le jardin. Une partie était stockée dans une remise dépourvue d’alarme jouxtant le garage. Un grand portail haut d’un mètre huitante permettait d’accéder à la propriété; il était surplombé par une caméra de surveillance.

Le 28.06.2005, le prénommé (l’assuré) a souscrit auprès d’une assurance (ci-après: la compagnie d’assurances) une police d’assurance « Art privé » couvrant le vol jusqu’à 5’000’000 fr. par événement. Les objets d’art assurés étaient recensés dans une liste précisant pour chacun d’eux la « valeur agréée » qui devait être remboursée à l’assuré en cas de sinistre.

Le 05.04.2007, l’assuré est parti en vacances à Palma de Majorque en Espagne. Il devait y séjourner jusqu’au 21.04.2007. Son majordome qui logeait habituellement dans la propriété était en congé du 04.04.2007 au 16.04.2007. L’entreprise de surveillance S.__ SA devait effectuer des rondes de nuit.

Le 12.04.2007, l’assuré a demandé à sa secrétaire de contrôler la remise. Elle a constaté que la porte avait été fracturée, qu’un des deux cylindres manquait et que l’autre avait été endommagé. Les étagères censées contenir la collection d’art africain avaient été vidées. Il subsistait un carton vide portant l’inscription « photos « .

L’assuré a porté plainte pénale le 12.04.2007 et annoncé le vol à la compagnie d’assurances le jour suivant, en déplorant la disparition d’une centaine de statuettes d’art africain.

L’affaire a connu plusieurs rebondissements sur le plan pénal [cf. Faits, let. A.d. à A.h.].

La compagnie d’assurances a refusé d’indemniser l’assuré, qui avait compris dès septembre 2007 qu’elle le soupçonnait d’être à l’origine du sinistre.

Le 14.04.2009, l’Office des poursuites du canton de Genève a reçu une réquisition de poursuite émanant de l’assuré, datée du 08.04.2009, réclamant 1’000’000 fr. à la compagnie d’assurances. Celle-ci a reçu un commandement de payer le 14.05.2009, dressé par l’Office des poursuites du canton de Zurich. Elle y a fait opposition.

Par courrier du 25.05.2009, la compagnie d’assurances a maintenu son refus d’indemniser l’assuré et déclaré, au surplus, que la créance était prescrite depuis le 13.04.2009.

 

Procédure cantonale

Le 12.10.2010, l’assuré a assigné la compagnie d’assurances en conciliation devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Il a ensuite déposé une demande en paiement dont les conclusions s’élevaient en dernier lieu à 895’000 fr. La défenderesse a soulevé l’exception de prescription. Le Tribunal a entendu les parties et des témoins, organisé un transport sur place et ordonné l’apport des procédures pénales suisses. La procédure pénale française a été versée au dossier par l’assuré. Le 26.06.2018, le Tribunal a rejeté la demande en paiement en reprochant à son auteur de ne pas avoir rapporté la preuve du sinistre. L’assuré est mort le 20.07.2018.

Ses héritiers, soit ses fils B.__, C.__et D.__, ont interjeté appel auprès de la Cour de justice, sans succès (arrêt ACJC/612/2021 du 04.05.2021 de la Chambre civile de la Cour de justice.)

 

TF

Consid. 3
La Cour de justice a discerné deux raisons indépendantes de rejeter la demande en paiement:

  • d’une part, la prescription de l’obligation de verser les prestations convenues à raison de l’événement assuré;
  • d’autre part, l’absence de preuve suffisante du vol déclaré.

 

Prescription – 46 aLCA

Consid. 4.1
Dans sa teneur antérieure au 01.01.2022, l’art. 46 al. 1 aLCA contenait la règle suivante sur la prescription: « Les créances qui dérivent du contrat d’assurance se prescrivent par deux ans à dater du fait d’où naît l’obligation. […] »

Le système de la LCA a ceci de particulier que la créance peut se prescrire avant d’être exigible (cf. art. 41 al. 1 LCA; ATF 139 III 263 consid. 1.2 p. 265).

En matière d’assurance contre le vol, le délai de prescription commence à courir dès la survenance du sinistre (ATF 126 III 278 consid. 7b i.f. p. 281). Il peut être interrompu aux conditions de l’art. 135 CO (applicable par renvoi de l’art. 100 al. 1 LCA; ATF 133 III 675 consid. 2.3.1), soit notamment « lorsque le créancier fait valoir ses droits par des poursuites » (art. 135 ch. 2 ab initio CO, dont la formulation précitée n’a pas été modifiée par la novelle de 2011).

Une réquisition de poursuite conforme à l’art. 67 LP interrompt la prescription dès sa remise à la poste ou sa transmission électronique (ATF 114 II 261 consid. a p. 262; 104 III 20 consid. 2; 101 II 77 consid. 2c i.f.; arrêts 5D_101/2020 du 28 mai 2020 consid. 3 et 5P.339/2000 du 13 novembre 2000 consid. 3c; PASCAL PICHONNAZ, in Commentaire romand, Code des obligations I, 3e éd. 2021, n° 12 ad art. 135 CO; SABINE KOFMEL EHRENZELLER, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, 3e éd. 2021, n° 48 ad art. 67 LP; ROBERT DÄPPEN, in Basler Kommentar, Obligationenrecht I, 7e éd. 2020, nos 5d et 6 ad art. 135 CO; DANIEL WUFFLI, Verjährungsunterbrechung durch Betreibung, in Die Verjährung […], [REAS/Krauskopf éd.] 2018, p. 170 s.; GEORGES VONDER MÜHLL, Verjährungsunterbrechung durch Schuldbetreibung und Konkurs, in BlSchK 1991 2 s. et 4 i.f. -5). Une réquisition adressée à un office incompétent ratione loci interrompt aussi la prescription, pour autant que le commandement de payer soit finalement notifié au débiteur et ne soit pas annulé sur plainte (ATF 83 II 41 consid. 5 et 69 II 162 consid. 2b spéc. p. 175, contra ATF 57 II 462 consid. 4 i.f. p. 465; PICHONNAZ, op. cit., n° 12b ad art. 135 CO; KOFMEL EHRENZELLER, op. cit., nos 6 et 48 ad art. 67 LP; DÄPPEN, op. cit., n° 6a ad art. 135 CO; WUFFLI, op. cit., p. 173 s.; VONDER MÜHLL, op. cit., p. 3 i.f. -4 et sous-note 11).

La prescription est interrompue à concurrence de la somme réclamée en poursuite (ATF 144 III 277 consid. 3.3.3 p. 283; 119 II 339 consid. 1c).

Consid. 4.2
Les juges genevois ont fait les réflexions suivantes:

  • La date du vol remontait au 09.04.2007. Le délai de prescription avait ainsi commencé à courir le 10.04.2007 pour expirer le 09.04.2009 (cf. art. 132 CO) – sauf à avoir été valablement interrompu.
  • L’assuré avait formé une réquisition de poursuite contre la compagnie d’assurances. Il importait peu qu’il l’eût adressée à un office incompétent ratione loci (Genève, alors que la compagnie d’assurances était sise à Zurich), puisque l’acte avait manifestement été transmis à l’office compétent, qui avait finalement notifié un commandement de payer à la compagnie sans que cet acte ne fût ensuite annulé.

L’assuré affirmait avoir posté cette réquisition le 08.04.2009, alors que le délai de prescription courait toujours. Il devait apporter la preuve stricte d’un tel fait. Or, il n’y était pas parvenu. Ni la date apposée sur la réquisition (08.04.2009), ni les deux mémos et le courrier qu’avait établis l’avocat de l’assuré en les datant de ce jour-là, ni les témoignages des deux collaborateurs dudit conseil n’attestaient du fait allégué. Etait tout au plus avérée la date de réception de la réquisition par l’office genevois, soit le 14.04.2009.

Partant, la prescription était acquise.

Consid. 4.4
On relèvera au préalable que la cour cantonale était fondée à exiger le degré de preuve stricte quant à la date d’envoi de l’acte, émanant au demeurant d’un avocat qu’elle disait conscient du risque de prescription proche.

La preuve stricte suppose que le juge soit convaincu d’un fait sans aucun doute sérieux; tout au plus de légers doutes peuvent-ils subsister (cf. par ex. ATF 141 III 569 consid. 2.2.1 p. 573).

Lorsqu’elle concerne un envoi postal, ladite preuve résulte en général de preuves « préconstituées » telles que le sceau postal, le récépissé d’un envoi recommandé ou l’accusé de réception en cas de dépôt pendant les heures de bureau. En revanche, la date d’affranchissement ou le code-barres pour lettres imprimés au moyen d’une machine privée ne prouvent pas la date de remise de l’envoi à la poste. D’autres modes de preuves sont admissibles, en particulier l’attestation de la date de l’envoi par un ou plusieurs témoins mentionnés sur l’enveloppe. L’apposition de signature(s) sur l’enveloppe n’établit pas encore le dépôt en temps utile, la preuve résidant dans le témoignage du ou des signataires; aussi l’intéressé doit-il offrir cette preuve dans un délai adapté aux circonstances, en indiquant l’identité et l’adresse du ou des témoins (cf. arrêts 5A_965/2020 du 11 janvier 2021 consid. 4.2.3; 5A_972/2018 du 5 février 2019 consid. 4.1).

Consid. 4.5
En l’espèce, il faut bien admettre que les recourants n’ont produit aucune preuve de cet ordre.

Certes, l’avocat de l’assuré avait daté la réquisition du 08.04.2009 et, à en croire ses deux collaborateurs, l’étude avait pour règle d’indiquer dans ses correspondances la date d’expédition effective, quitte à modifier la date de la missive lorsqu’elle ne pouvait être postée que le lendemain.

En outre, l’avocat avait rédigé deux mémos et un courrier destiné à la compagnie d’assurances, datés du 08.04.2009 et qui mentionnaient tous l’envoi d’une réquisition de poursuite ce jour-là.

Ceci dit, la cour cantonale pouvait conclure sans arbitraire que ces éléments n’apportaient pas la preuve stricte d’une remise à la poste le 08.04.2009 – ni même le 11.04.2009. En effet, les événements s’inscrivaient dans un week-end pascal, le Vendredi Saint 10.04.2009, le dimanche de Pâques 12.04.2009 et le lundi de Pâques 13.04.2009 étant des jours fériés dans le canton de Genève notamment. Un courrier posté le mercredi 08.04.2009 avec un affranchissement prioritaire (courrier A) – qu’utilisait l’étude en règle générale, selon la secrétaire de l’avocat – aurait déjà pu parvenir à l’office des poursuites le jeudi 09.04.2009 ou le samedi 11.04.2009 (étant entendu que l’office était très vraisemblablement fermé ce jour-là). En effet, le courrier A doit normalement être distribué le jour ouvrable suivant (plus récemment, cf. art. 29 al. 1 let. a ch. 1 de l’Ordonnance du 29 août 2012 sur la poste [OPO; RS 783.01]). On ne peut exclure que le courrier ait été déposé dans une boîte aux lettres le dimanche 12.04.2009 ou lundi 13.04.2009 – alors que la prescription était déjà échue, même en épousant la thèse des recourants -, dès lors qu’il pouvait parvenir à l’office le mardi 14.04.2009. Il importe peu qu’une autre appréciation des preuves eût été possible, voire préférable, puisque la jurisprudence constante n’y voit pas matière à retenir un arbitraire.

Consid. 4.8
En définitive, la Cour de justice n’a pas enfreint le droit fédéral en considérant que la prétention de l’assuré en paiement de la prestation d’assurance était prescrite. Le sort du recours s’en trouve déjà scellé. L’autorité précédente a cependant fourni une motivation alternative qui préserve l’ancien avocat de l’assuré du risque d’une action en responsabilité civile. C’est le lieu de l’examiner.

 

Absence de preuve suffisante du vol déclaré

Consid. 5.1
Les juges d’appel ont reproché à l’assuré de n’avoir pas établi la thèse du vol au degré de la vraisemblance prépondérante: il était tout aussi vraisemblable qu’il ait lui-même commandité le vol. A défaut de preuve du sinistre, la compagnie d’assurances n’avait pas à entrer en matière. Qui plus est, l’assuré ne s’était pas montré des plus coopératifs durant la procédure, tant avec la compagnie d’assurances qu’avec les autorités.

Consid. 5.2
Les juges genevois se sont conformés au droit fédéral en considérant que la preuve du vol devait être apportée au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 p. 88; 130 III 321 consid. 3.2 i.f. p. 325; arrêt 4A_327/2018 du 23 mai 2019 consid. 3.1 et 3.3.2). Celle-ci suppose que des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération. Pour ébranler la preuve principale, il suffit à la partie adverse de démontrer que les allégations principales n’apparaissent pas comme les plus vraisemblables (cf. par ex. ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 p. 89). Savoir si une telle preuve a été fournie relève de l’appréciation, que la cour de céans contrôle sous le prisme très restreint de l’arbitraire.

Or, il faut bien admettre que les recourants échouent à insuffler le moindre sentiment d’arbitraire. […]

Quant à savoir si l’assuré avait ou non des difficultés financières, il ne s’agit pas là d’un élément crucial, n’en déplaise aux recourants. Car un autre mobile indépendant pouvait aussi animer l’assuré. Comme l’a expliqué l’expert E2.__, les objets prétendument volés à l’assuré avaient été payés beaucoup trop cher, au contraire des autres pièces qui étaient d’une valeur avérée. Que le vol ait précisément porté sur ces objets-là ne peut que laisser songeur. D’autant que, selon ce même expert, le vol de collections entières d’ethnologie est très rare. Il s’agit le plus souvent de vols ou de destructions maquillés, notamment par des personnes ayant collectionné des objets de piètre qualité ou les ayant acquis à un prix surfait. A l’évidence, on ne saurait minimiser le poids de ces explications.

Les recourants jugent naturel que les voleurs se soient attachés à couvrir leurs traces et qu’ils aient pris le temps de remettre en place les sacs de jardinage qui obstruaient la porte de la remise dévalisée. Mais quel voleur prendrait la peine de ranger les lieux après son forfait, surtout si l’endroit n’est pas visible de l’extérieur de la propriété, comme l’a constaté l’autorité précédente? Et comment les recourants expliquent-ils qu’un carton vide portant l’inscription « photos » avait été laissé dans la remise après avoir été vidé de son contenu? A moins qu’il ne se soit agi d’attirer l’attention de l’assureur sur le fait que lesdites photos avaient également été volées… Toutes ces incongruités sont en tout cas de nature à mettre en doute la thèse d’un vol sans pour autant verser dans l’arbitraire.

Consid. 5.6
En bref, on ne discerne nulle once d’arbitraire dans le constat selon lequel les recourants n’ont pas prouvé avec une vraisemblance prépondérante le déroulement de l’événement assuré tel qu’ils l’avaient allégué. La Cour de justice tenait effectivement là un second motif de rejeter la demande.

 

Le TF rejette le recours des héritiers.

 

 

Arrêt 4A_333/2021 consultable ici

 

Arrêt du Tribunal administratif fédéral A–6153/2020 (f) du 13.07.2021, publié aux ATAF 2021 I/1 – Délai de recours – Notification de décisions expédiées par courrier A Plus

Arrêt du Tribunal administratif fédéral A–6153/2020 (f) du 13.07.2021, publié aux ATAF 2021 I/1

 

ATAF 2021 I/1 consultable ici

 

Délai de recours / Notification de décisions expédiées par courrier A Plus

 

Art. 20 al. 1, art. 21 al. 1, art. 22 al. 1, art. 50 al. 1 PA.

  1. Délai de recours contre les décisions notifiées par courrier A Plus. Le délai commence à courir le lendemain du dépôt de la décision dans la boîte aux lettres ou la case postale. Pour en définir l’échéance, le destinataire doit procéder aux vérifications nécessaires à l’aide du numéro de référence du courrier A Plus (consid. 2.2–2.6).
  2. Présomption (naturelle) de régularité de la notification par courrier A Plus. Des indices concrets d’une erreur sont nécessaires pour renverser cette présomption. Les éventuelles irrégularités constatées doivent être annoncées à l’autorité de recours lors du dépôt du recours. De simples déclarations d’employés de l’étude du représentant des recourants – produites postérieurement – ne sont à cet égard pas suffisantes (consid. 2.7, 3.1 et 3.2).
  3. Le mandataire professionnel qui ne vérifie pas la date de notification d’un courrier A Plus par le biais du système de suivi des envois de la Poste commet une négligence (consid. 3.2).

 

Consid. 2.1
Conformément à l’art. 17 de la loi sur l’assistance administrative fiscale du 28 septembre 2012 (LAAF, RS 651.1), l’AFC notifie − par écrit (cf. art. 34 al. 1 PA) − à chaque personne habilitée à recourir une décision finale, dans laquelle elle justifie l’octroi de l’assistance administrative et précise l’étendue des renseignements à transmettre (al. 1). Lorsqu’une personne habilitée à recourir est domiciliée à l’étranger, la notification intervient par l’intermédiaire du représentant autorisé à recevoir des notifications (al. 3).

Consid. 2.2
Le recours doit être déposé dans les 30 jours qui suivent la notification de la décision finale de l’AFC (art. 50 al. 1 PA). Si le délai compté par jours doit être communiqué aux parties, il commence à courir le lendemain de la communication (art. 20 al. 1 PA). Les écrits doivent parvenir au Tribunal ou avoir été remis, à son adresse, à un bureau de poste suisse, le dernier jour du délai de recours au plus tard (art. 21 al. 1 PA). Ce délai ne peut pas être prolongé (art. 22 al. 1 PA).

Consid. 2.3
Selon un principe général, pour admettre que les communications des autorités ont été valablement notifiées, il suffit qu’elles soient placées dans la sphère de puissance («Machtbereich») de leur destinataire et que celui-ci soit à même d’en prendre connaissance (cf. ATF 145 IV 252 consid. 1.3.2; 144 IV 57 consid. 2.3.2; 142 III 599 consid. 2.4.1).

Consid. 2.4
Le fardeau de la preuve de la notification et de la date de celle-ci incombe en principe à l’autorité qui entend en tirer une conséquence juridique (cf. ATF 142 IV 125 consid. 4.3; 136 V 295 consid. 5.9; ATAF 2009/55 consid. 4; arrêt du TAF A–3841/2018 du 8 janvier 2021 consid. 6.2; BENOÎT BOVAY, Procédure administrative, 2e éd. 2015, p. 529; YVES DONZALLAZ, La notification en droit interne suisse, 2002, p. 583 no 1235). En la matière, c’est la règle du degré de vraisemblance prépondérante qui prévaut (cf. ATF 124 V 400 consid. 2b; arrêt du TF 5A_454/2012 du 22 août 2012 consid. 4.2.2; arrêts du TAF A–2703/2017 du 18 décembre 2018 consid. 2.1.1 et A–7730/2009 du 17 juin 2010 consid. 2.2).

Consid. 2.5
Les envois expédiés par courrier A ou B sont notifiés dès lors qu’ils sont remis dans la boîte aux lettres ou bien dans la case postale du destinataire. Ils sont ainsi à disposition de l’intéressé (cf. arrêts du TF 2C_463/2019 du 8 juin 2020 consid. 3.2.2; 2C_587/2018 du 8 mars 2019 consid. 3.1; 2C_875/2015 du 2 octobre 2015 consid. 2.2.1; 2C_784/2015 du 24 septembre 2015 consid. 2.1; arrêt du TAF A–3967/2020 du 29 octobre 2020 p. 3).

Consid. 2.6
Les règles relatives à la notification des envois effectués par courrier A Plus correspondent en principe à celles applicables à un envoi postal par pli simple, c’est-à-dire par courrier A et B, à la différence que le courrier A Plus est muni d’un numéro permettant de suivre le cheminement de l’envoi électroniquement via le système de «Suivi des envois» («Track & Trace») de la Poste. Il est ainsi possible d’être informé en temps réel des différentes étapes suivies par l’envoi et en particulier, du moment précis où le courrier est déposé (date et heure) dans la boîte aux lettres ou bien la case postale du destinataire. L’envoi par courrier A Plus constitue ainsi, comme tel est le cas pour les envois en courrier recommandé, un moyen qui permet de prouver à quel moment (date et heure) la Poste a remis un envoi à son destinataire (cf. arrêts du TF 2C_463/2019 consid. 3.2.2; 9C_655/2018 du 28 janvier 2019 consid. 4.3; 2C_875/2015 consid. 2.2.1; arrêt du TAF A–1838/2021 du 8 juin 2021 consid. 2 et 3).

Consid. 2.7
De longue et constante jurisprudence, si l’envoi par courrier recommandé en procédure administrative fédérale n’est pas prescrit, la notification d’une décision finale par courrier A Plus est admise. Le délai commence ainsi à courir le lendemain du dépôt de la décision dans la boîte aux lettres, également lorsque la décision est distribuée un samedi (cf. arrêts du TF 2C_463/2019; 2C_464/2019 du 24 mai 2019; 2C_476/2018 du 4 juin 2018, partiellement reproduit in: ASA 87 p. 141). Le courrier A Plus étant muni d’un numéro, lequel permet de suivre son cheminement électroniquement via le système de «Suivi des envois» («Track & Trace») de la Poste, l’information découlant du système indiquant que l’envoi est arrivé dans la boîte aux lettres ou dans la case postale du destinataire n’est pas en soi une preuve, mais constitue un indice (cf. ATF 142 III 599 consid. 2.2; parmi d’autres, arrêts du TF 2C_463/2019 consid. 3.2.2 s.; 2C_1059/2018 du 18 janvier 2019 consid. 2.2.2; 2C_16/2019 du 10 janvier 2019 consid. 3.2.2).

Il existe une présomption naturelle («natürliche Vermutung») que le courrier A Plus a été correctement déposé dans la boîte aux lettres ou dans la boîte postale du destinataire, à l’instar de ce qui s’applique mutatis mutandis à l’avis de retrait (« invitation à retirer un envoi »; cf. arrêts 2C_1059/2018 consid. 2.2.2; 2C_16/2019 consid. 3.2.2; 2C_476/2018 consid. 2.3.2; voir aussi arrêts du TF 2C_684/2019 du 11 novembre 2020 consid. 2.2.1; 2C_463/2019 consid. 3.2.3). Il découle de cette pratique jurisprudentielle que le jour déterminant est celui où le courrier est déposé par la Poste dans la boîte aux lettres, respectivement postale, du destinataire et non pas celui où il est récupéré par ce dernier. Le destinataire d’un tel courrier doit ainsi s’organiser afin de veiller à ce que le délai de recours soit respecté. Pour ce faire, il dispose d’un numéro de référence de la Poste qui lui permet, avec certitude et à tout moment, de procéder électroniquement au cheminement du courrier et ainsi aux vérifications nécessaires. Si des irrégularités lui apparaissent, il peut ainsi en faire part à l’autorité de recours (cf. arrêt A–1838/2021 consid. 3.3 et 3.4).

La possibilité d’une distribution postale irrégulière ne peut en effet jamais être exclue (cf. ATF 142 III 599 consid. 2.4.1). Toutefois, cela ne suffit pas, en soi, à renverser la présomption susmentionnée. Pour ce faire, il doit bien plus y avoir des indices concrets d’une erreur, faisant apparaître celle-ci comme plausible au vu des circonstances du cas d’espèce (cf. ATF 142 IV 201 consid. 2.3; parmi d’autres, arrêts du TF 2C_901/2017 du 9 août 2019 consid. 2.2.2 et réf. cit.; 1C_31/2018 du 14 janvier 2019 consid. 3.3 et réf. cit.; 2C_1059/2018 consid. 2.2.3; cf. également arrêt du TF 2C_65/2018 du 21 février 2018 consid. 2.3). Dans le cadre de cette preuve, la bonne foi de la partie est présumée (cf. ATF 142 III 599 consid. 2.4.1), ce qui ne change rien à la présomption de régularité de la distribution du courrier A Plus (cf. arrêt 1C_31/2018 consid. 4.2).

Selon la jurisprudence, la juge peut mettre un terme à l’instruction et renoncer à des mesures et à des offres de preuve supplémentaires, en procédant si besoin à une appréciation anticipée de celles-ci, s’il lui apparaît que leur administration ne serait de toute façon pas propre à entamer la conviction qu’elle s’est forgée sur la base de pièces ayant une haute valeur probatoire (cf. ATF 144 II 427 consid. 3.1.3; 131 I 153 consid. 3; arrêts du TAF A–3841/2018 consid. 2.3; A–7254/2017 du 1er juillet 2020 consid. 2.3; MOSER/BEUSCH/KNEUBÜHLER, Prozessieren vor dem Bundesverwaltungsgericht, 2e éd. 2013, n. marg. 3.140 ss, en particulier 3.144).

En outre, la procédure d’administration des preuves doit être menée avec diligence, de manière à éviter des pertes de temps (cf. art. 33 PA; ATF 130 II 473 consid. 2.3). Cela vaut en particulier en matière d’assistance administrative, dont la procédure est expressément régie par le principe de diligence (cf. art. 4 al. 2 LAAF). Ce principe, qui oblige l’AFC − ainsi que les autorités judiciaires − à mener la procédure rapidement (cf. Message du 6 juillet 2011 concernant l’adoption d’une loi sur l’assistance administrative fiscale, FF 2011 5771, 5783 ad art. 4 al. 2; ATF 142 II 218 consid. 2.5), sert en premier lieu les intérêts de la Suisse à un fonctionnement correct de l’assistance administrative vis-à-vis des Etats requérants et non pas ceux des contribuables visés par une demande (cf. ATF 142 II 218 consid. 2.5.1, avec référence à CHARLOTTE SCHODER, Praxiskommentar zum Bundesgesetz über die internationale Amtshilfe in Steuersachen, 2014, n. marg. 43 ad art. 4).

 

Consid. 3.1
En l’espèce, les recourantes ont élu domicile auprès d’un représentant en Suisse autorisé à recevoir des notifications. La décision attaquée, qui indique dans son dispositif ([…]) la forme de sa notification, à savoir par envoi « A Post Plus », a été expédiée en deux exemplaires séparés et adressés à un même destinataire, soit le mandataire professionnel des recourantes. L’étiquette apposée sur chacune des enveloppes ayant contenu un exemplaire de la décision entreprise indique, outre le symbole « A+ » et la mention « A-Post Plus/Courrier A Plus/Posta A Plus », le numéro permettant de suivre électroniquement le cheminement de l’envoi (…). Chacun des envois comprenait par ailleurs un courrier d’accompagnement (…) qui comportait également la référence « A-Post Plus ([…]000009) ».

Selon les extraits de « Suivi des envois » de la Poste (…), la décision attaquée, expédiée le lundi 9 novembre 2020 par courriers A Plus, a été distribuée via case postale le mardi 10 novembre 2020 à 06:20. Ces pièces, en tant qu’indices, permettent au tribunal de céans de retenir, dans le sens d’une présomption, que les envois en question ont été correctement déposés le mardi 10 novembre 2020 dans la case postale de l’étude du mandataire professionnel des recourantes (cf. consid. 2.4 ci-avant). Les critiques que ces dernières formulent dans leur prise de position du 29 décembre 2020 ([…]), ayant en substance trait à l’insécurité juridique qui découlerait de l’envoi par courrier A Plus, ne sauraient être retenues, au risque de procéder à un contrôle purement abstrait qui ne serait pas compatible avec la présomption posée. Comme exposé ci-dessus, la forme de notification d’une décision par envoi A Plus a été validée, aussi dans le présent domaine, par les juridictions fédérales. Le représentant des recourantes, en tant que mandataire professionnel qualifié, ne pouvait ignorer la jurisprudence déjà bien établie en la matière (cf. en ce sens arrêt du TF 2C_882/2019 du 31 octobre 2019 consid. 4.1 et réf. cit.). De surcroît, la conduite de leur représentant peut être attribuée aux recourantes (cf. parmi d’autres arrêts du TF 2C_463/2019 consid. 3.2.4; 2C_855/2015 du 1er octobre 2015 consid. 2.2).

Il apparaît ainsi que l’échéance du délai de recours pouvait être définie en se fondant sur le numéro de l’envoi permettant de suivre électroniquement le cheminement − identique − de chacun des deux courriers. En cas de doute quant à la date de la notification, le mandataire des recourantes pouvait − et aurait dû − l’indiquer dans son recours. Tel n’a toutefois pas été le cas, celui-ci n’ayant signalé aucun problème à cet égard dans son mémoire du 11 décembre 2020. Il en découle que la vérification par le biais du suivi électronique du courrier acheminé par la Poste n’a − a priori − pas été effectuée par le mandataire des recourantes.

Consid. 3.2
Dans leur prise de position du 29 décembre 2020, les recourantes font au surplus valoir, par le biais de leur mandataire, que les envois litigieux n’auraient été distribués qu’en date du 11 novembre 2020. Ce dernier produit à cet égard les déclarations écrites (établies le 24 décembre 2020) du livreur (« fattorino ») de l’étude (…), selon lesquelles lesdits envois ne se trouvaient pas dans la case postale lorsque le contenu de celle-ci a été retiré, le mardi 10 novembre 2020 à 07:30, mais qu’en revanche, ils s’y trouvaient le lendemain. Il produit également le courrier électronique que son assistante (…) lui a adressé − ainsi qu’à d’autres membres de l’étude − le mercredi 11 novembre à 09:13, notamment afin de confirmer la réception des envois en cause, ainsi que les déclarations écrites de celle-ci, également datées du 24 décembre 2020, confirmant que les envois contenant la décision attaquée n’ont pas été réceptionnés plus tôt.

Ces moyens ne suffisent toutefois pas à renverser la présomption que les envois en cause ont été correctement déposés le mardi 10 novembre 2020 dans la boîte postale de l’étude du mandataire des recourantes. En tant que les pièces en question, dont les recourantes entendent déduire un droit, émanent d’employés de cette étude, il convient d’abord d’en relativiser la valeur probatoire. En outre, si la bonne foi des recourantes − et de leur mandataire − est certes présumée, ces moyens ne sont en tout état de cause pas propres à faire naître un doute suffisant concernant la régularité de la distribution des envois litigieux et l’exactitude des justificatifs y relatifs du système de « Suivi des envois » de la Poste, et donc d’un éventuel dysfonctionnement du système postal dans le cadre de la remise du courrier le 10 novembre 2020. En effet, un dysfonctionnement au sein de l’étude ne peut pas non plus être exclu.

Le mandataire disposait par ailleurs des moyens techniques lui permettant de vérifier avec certitude le jour de la notification des courriers et de définir l’échéance du délai de recours. A défaut d’avoir opéré un tel contrôle, c’est seulement suite à l’ordonnance du Tribunal du 21 décembre 2020 que les recourantes ont fait valoir une erreur de la Poste. En considération de la pratique jurisprudentielle à l’égard du courrier A Plus (cf. consid. 2.4 ci-avant), que le mandataire des recourantes devait connaître, il y a lieu de retenir que ce dernier a lui-même commis une négligence en ne vérifiant pas la date de notification par le biais du suivi électronique du courrier acheminé par la Poste. L’on observera au surplus qu’il n’apparait pas que les recourantes, via leur mandataire, aient par la suite sollicité des explications de la Poste au sujet de la prétendue distribution irrégulière des envois en cause, ce qui aurait pourtant apparu logique dans un tel contexte et, surtout, utile à démontrer une éventuelle erreur. Aussi, il s’agit dans ces conditions de retenir que l’existence d’un dysfonctionnement du service postal n’est pas établie avec suffisamment de vraisemblance.

Dans la mesure où l’occasion a été donnée aux recourantes, qui sont représentées par un mandataire professionnel, de se déterminer sur la recevabilité de leur recours et de produire des moyens de preuve à cet égard et compte tenu en outre du principe de diligence qui régit la présente procédure d’assistance administrative (cf. consid. 2.5 ci-avant), il n’y a par ailleurs pas lieu d’inviter celles-ci à fournir des preuves supplémentaires, pas plus qu’il ne se justifie de procéder à d’autres mesures d’instruction, tendant par exemple à vérifier auprès de la Poste Suisse la possibilité qu’une erreur soit survenue lors la distribution des courriers A Plus en question.

Il s’agit dès lors de considérer que la décision a été notifiée à chacune des recourantes le mardi 10 novembre 2020, de sorte que le délai de recours a commencé à courir le mercredi 11 novembre 2020 et est échu le jeudi 10 décembre 2020. Partant, et dans la mesure où les recourantes ne font au surplus valoir aucun motif de restitution du délai au sens de l’art. 24 al. 1 PA, le recours du 11 décembre 2020 apparait tardif et doit donc être déclaré irrecevable, dans une procédure à juge unique (art. 23 al. 1 let. b LTAF).

 

 

ATAF 2021 I/1 consultable ici

 

 

 

Cour de justice de l’Union européenne – Arrêt du 19.05.2022 dans l’affaire C-33/21 INAIL et INPS – Soumission à la législation de sécurité sociale italienne du personnel naviguant d’une entreprise irlandaise / Certificat E101 / Règl. no 1408/71 – Règl. no 883/2004

Cour de justice de l’Union européenne – Arrêt du 19.05.2022 dans l’affaire C-33/21 INAIL et INPS

 

Arrêt de la CJUE consultable ici

Communiqué de presse du 19.05.2022 consultable ici

 

Soumission à la législation de sécurité sociale italienne du personnel naviguant d’une entreprise irlandaise / Règl. no 1408/71 – Règl. no 883/2004

Certificat E101 / Partie substantielle des activités est exercée dans un État membre

 

Le personnel navigant de Ryanair non couvert par des certificats E101 qui travaille 45 minutes par jour dans le local de cette compagnie aérienne destiné à accueillir l’équipage à l’aéroport de Bergame et qui, pour le temps de travail restant, se trouve à bord des aéronefs de ladite compagnie aérienne est soumis à la législation de sécurité sociale italienne.

 

À la suite d’une inspection, l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) a considéré que les 219 employés de Ryanair, affectés à l’aéroport d’Orio al Serio à Bergame (Italie), exerçaient une activité salariée sur le territoire italien et devaient, en application du droit italien et du règlement no 1408/71, être assurés auprès de l’INPS pour la période comprise entre le mois de juin 2006 et le mois de février 2010.

L’Istituto nazionale per l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (INAIL) a également considéré que, en vertu du droit italien, les mêmes employés devaient, pour la période allant du 25 janvier 2008 au 25 janvier 2013, être assurés auprès de l’INAIL pour les risques liés au travail non aérien dès lors qu’ils étaient, selon cet organisme, rattachés à la base d’affectation de Ryanair située dans l’aéroport d’Orio al Serio.

L’INPS et l’INAIL ont, dès lors, réclamé à Ryanair le paiement des cotisations de sécurité sociale et des primes d’assurance afférentes à ces périodes, ce que cette dernière a contesté devant les juridictions italiennes.

La juridiction italienne d’appel a examiné les certificats E101, délivrés par l’institution irlandaise compétente, attestant que la législation de sécurité sociale irlandaise était applicable aux employés qui y étaient visés. Ces certificats ne couvraient cependant pas l’ensemble des 219 employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio durant l’intégralité des périodes concernées. Elle en a conclu que, concernant les employés pour lesquels l’existence d’un certificat E101 n’était pas avérée, il convenait de déterminer la législation de sécurité sociale applicable. Cette juridiction ayant estimé que la législation de sécurité sociale italienne n’était pas applicable, l’INPS et l’INAIL se sont pourvus en cassation devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie).

Cette juridiction a posé à la Cour une question visant à savoir quelle est, conformément aux dispositions pertinentes du règlement n° 1408/71 et du règlement n° 883/2004, la législation de sécurité sociale applicable au personnel navigant d’une compagnie aérienne, établie dans un État membre, qui n’est pas couvert par des certificats E101 et qui travaille pendant 45 minutes par jour dans un local destiné à accueillir l’équipage, dénommé «crew room», dont ladite compagnie aérienne dispose sur le territoire d’un autre État membre dans lequel le personnel navigant réside, et qui, pour le temps de travail restant, se trouve à bord des aéronefs de cette compagnie aérienne.

Par son arrêt de ce jour, la Cour juge que la législation de sécurité sociale applicable, pendant les périodes concernées, aux employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio non couverts par les certificats E101 est, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, la législation italienne.

En ce qui concerne, d’abord, les périodes relevant du règlement n° 1408/71, la Cour rappelle le principe selon lequel une personne faisant partie du personnel navigant d’une compagnie aérienne effectuant des vols internationaux et occupée par une succursale ou une représentation permanente que cette compagnie possède sur le territoire d’un État membre autre que celui où elle a son siège est soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel cette succursale ou cette représentation permanente se trouve [art. 14, paragraphe 2, sous a), i), du règlement n° 1408/71].

L’application de cette disposition exige que soient remplies deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, que la compagnie aérienne concernée dispose d’une succursale ou d’une représentation permanente dans un État membre autre que celui où elle a son siège et, d’autre part, que la personne en cause soit occupée par cette entité.

Pour ce qui est de la première condition, la Cour relève que les notions de « succursale » et de « représentation permanente » doivent s’entendre comme visant une forme d’établissement secondaire présentant un caractère de stabilité et de continuité en vue d’exercer une activité économique effective et disposant, à cette fin, de moyens matériels et humains organisés ainsi que d’une certaine autonomie par rapport à l’établissement principal. Quant à la seconde condition, la Cour a souligné que la relation de travail du personnel navigant d’une compagnie aérienne présente un rattachement significatif avec le lieu à partir duquel ce personnel s’acquitte principalement de ses obligations à l’égard de son employeur.

Ainsi, la Cour considère que le local destiné à accueillir l’équipage de Ryanair («crew room»), situé à l’aéroport d’Orio al Serio, constitue une succursale ou une représentation permanente dans laquelle les employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio non couverts par les certificats E101 étaient occupés durant les périodes concernées, de sorte que ces derniers sont, en vertu du règlement n° 1408/71, soumis à la législation de sécurité sociale italienne.

En ce qui concerne, ensuite, les périodes relevant du règlement n° 883/2004, la Cour rappelle le principe selon lequel la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation de l’État membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre [art. 13, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 883/2004].

La Cour précise que, pour déterminer si une partie substantielle des activités est exercée dans un État membre, il faut tenir compte, dans le cas d’une activité salariée, du temps de travail et/ou de la rémunération et que tel n’est pas le cas si moins de 25 % de ces critères sont réunis.

Partant, la Cour estime que si, pendant les périodes concernées, les employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio non couverts par les certificats E101 ont exercé une partie substantielle de leur activité en Italie, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, la législation de sécurité sociale italienne s’applique.

Enfin, la Cour rappelle que, depuis 2012 [art. 11, paragraphe 5, du règlement n° 883/2004], le règlement n° 883/2004 prévoit une nouvelle règle selon laquelle l’activité d’un membre de l’équipage de conduite ou de l’équipage de cabine assurant des services de transport de voyageurs est considérée comme étant une activité menée dans l’État membre dans lequel se trouve la base d’affectation, qui est le lieu désigné par l’exploitant pour le membre d’équipage, où celui-ci commence et termine normalement un temps de service ou une série de temps de service et où, dans des circonstances normales, l’exploitant n’est pas tenu de loger ce membre d’équipage.

Dès lors, la Cour considère que le local destiné à accueillir l’équipage de Ryanair situé à l’aéroport d’Orio al Serio constitue une base d’affectation de sorte que les employés de Ryanair non couverts par les certificats E101 y étant affectés sont soumis, en vertu du règlement n° 883/2004, à la législation de sécurité sociale italienne.

 

 

Arrêt de la CJUE consultable ici

Communiqué de presse du 19.05.2022 consultable ici

 

 

Arrêt de la CrEDH – Affaire De Kok c. Pays-Bas (requête no 1443/19) du 19.05.2022 – La Cour européenne des droits de l’Homme rejette une affaire d’assurance maladie obligatoire

Arrêt de la CrEDH – Affaire De Kok c. Pays-Bas (requête no 1443/19) du 19.05.2022

 

Consultable ici (en anglais)

Communié de presse du 19.05.2022 (en français) consultable ici

 

La Cour européenne des droits de l’Homme rejette une affaire d’assurance maladie obligatoire

 

Dans sa décision rendue dans l’affaire De Kok c. Pays-Bas (requête no 1443/19), la Cour européenne des droits de l’homme déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable. Cette décision est définitive.

Le requérant se plaignait d’une obligation de souscrire une assurance maladie de base aux Pays-Bas et des conséquences du non-respect par lui de cette obligation.

La Cour ne se prononce pas sur l’applicabilité de l’article 8. À supposer qu’il y ait eu une ingérence sur le terrain de cette disposition, elle conclut que l’État dispose de motifs légitimes lui permettant d’obliger les citoyens à souscrire une assurance maladie en vertu de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété) à la Convention européenne. Elle rejette en outre les griefs fondés sur les articles 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) et 6 (droit à un procès équitable).

 

Principaux faits

Le requérant, Cedric Anakha De Kok, est un ressortissant néerlandais né en 1995 et résidant à Rotterdam (Pays-Bas).

Aux Pays-Bas, il est obligatoire de souscrire au moins une assurance maladie de base (basispakket), qui prend en charge, entre autres, les consultations des médecins généralistes et spécialistes, l’hospitalisation et les médicaments conventionnels. Il est également possible de souscrire une assurance maladie complémentaire (anvullende ziektekostenverzekering), qui peut couvrir, par exemple, les traitements homéopathiques.

La solidarité et la volonté de partager la charge constituent la principale justification du caractère obligatoire de cette assurance. Cette obligation est prévue par la loi et son non-respect est sanctionné par l’imposition d’amendes et par la souscription d’office d’une assurance maladie au nom des personnes qui refusent de s’y conformer.

En 2015, M. De Kok, qui ne disposait pas de l’assurance maladie de base, se vit infliger une amende par l’Institut national de la santé (Zorginstituut Nederland). Il la contesta, mais l’Institut rejeta son objection, invoquant le principe de solidarité. Cet organisme souligna qu’au lieu de souscrire une assurance maladie, les personnes qui alléguaient une objection de conscience à toute forme d’assurance pouvaient s’acquitter d’un impôt supplémentaire, et il nota que tel n’était pas le cas de M. De Kok. Une seconde amende suivit en 2016.

Par la suite, l’Institut national de la santé contracta pour le compte de M. De Kok une assurance maladie de base dont le coût, à régler par l’intéressé, s’élevait à 122,33 euros par mois.

Le requérant saisit les tribunaux, mais le tribunal d’arrondissement de Zélande-Brabant occidental rejeta son recours. Il considéra que l’obligation de souscrire une assurance maladie ne méconnaissait pas les droits de M. De Kok tels que découlant de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 ni, le cas échéant, de l’article 9 de la Convention. La Commission centrale de recours confirma ce jugement.

 

Griefs, procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 10 décembre 2018.

Invoquant, en particulier, les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) ainsi que l’article 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété), M. De Kok se plaignait d’une obligation de souscrire une assurance maladie, déclarant qu’il préférerait ne payer que pour les remèdes homéopathiques plutôt que de supporter une part de la charge collective des traitements médicaux conventionnels couverts par l’assurance de base. Il disait avoir été contraint de souscrire une assurance maladie de base qui allait à l’encontre de ses convictions, et il alléguait que la clause dérogatoire était réservée aux personnes qui faisaient valoir une objection de conscience à toute forme d’assurance, ce qui n’était pas son cas. Il assurait également que cette obligation avait porté atteinte à son droit d’utiliser son argent comme bon lui semblait.

Sous l’angle de l’article 6, le requérant se plaignait d’un manque d’impartialité des tribunaux, en particulier de leur refus allégué d’examiner ses arguments concernant le secteur médical dans son ensemble.

La décision a été rendue par un comité de trois juges.

 

Décision de la Cour

La Cour relève que l’objet des griefs du requérant – en particulier l’amende et l’assurance maladie souscrite d’office pour lui – est lié plus largement à l’obligation de souscrire une assurance maladie.

 

Article 8 CEDH

La Cour considère que, pour autant que l’article 8 trouve à s’appliquer – et partant ainsi du principe qu’il faut supposer que tant l’obligation pour le requérant de souscrire une assurance maladie de base que la souscription d’office de ce type d’assurance pour son compte s’analysent en une ingérence dans l’exercice par lui de son droit au respect de la vie privée – la décision en question était fondée en droit et visait le but légitime de garantir un accès à des services médicaux adéquats et d’empêcher que certaines personnes ne fussent dépourvues d’un dispositif d’assurance, de manière à veiller à la protection de la santé et des droits d’autrui.

La Cour estime que cette obligation constitue la réponse des Pays-Bas au besoin social impérieux d’offrir des soins de santé d’un coût abordable grâce à la solidarité collective, et elle note la grande latitude (« marge d’appréciation ») dont disposent les États dans ce domaine.

Elle relève que M. De Kok n’a été ni privé de soins ni contraint de suivre un traitement et qu’il aurait pu opter pour une assurance maladie complémentaire couvrant les remèdes homéopathiques.

En résumé, la Cour rejette ce grief pour défaut manifeste de fondement.

 

Article 9 CEDH

M. De Kok exprimait sa méfiance à l’égard de la médecine conventionnelle et ne souhaitait pas contribuer à ce système par le biais de primes d’assurance. La Cour rejette ce grief au motif qu’il n’a pas atteint le niveau de force, de sérieux, de cohérence et d’importance requis pour entrer dans le champ de l’article 9.

 

Article 1 du Protocole no 1

La Cour déclare que l’obligation de souscrire une assurance maladie constitue une ingérence dans l’exercice par M. De Kok du droit au respect de ses biens. Cependant, cette obligation était prévue par la loi et poursuivait les buts légitimes qui découlent de l’article 8. La Cour considère que, compte tenu du principe de solidarité, du coût de la prime de l’assurance maladie en question, de la possibilité de souscrire une assurance maladie complémentaire couvrant l’homéopathie et de l’existence d’une aide financière (zorgtoeslag) pouvant être sollicitée par les personnes à revenu modeste, cette ingérence était proportionnée au but légitime poursuivi. Par conséquent, elle rejette ce grief pour défaut manifeste de fondement.

 

Autres articles

Faute de preuves de l’existence d’une violation, la Cour rejette également le grief fondé sur l’article 6.

 

 

Consultable ici (en anglais)

Communié de presse du 19.05.2022 (en français) consultable ici