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Signature d’une convention de sécurité sociale avec la Moldova

Signature d’une convention de sécurité sociale avec la Moldova

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 02.06.2025 consultable ici

 

Le 2 juin 2025, la Suisse et la République de Moldova ont signé à Berne une convention de sécurité sociale. Ce traité coordonne les systèmes de sécurité sociale des deux États contractants dans le domaine des assurances vieillesse, décès et invalidité et fixe, en particulier, les modalités de versement des rentes à l’étranger.

Le ministre des affaires sociales de la République de Moldova, Alexei Buzu, et l’ambassadeur Stephan Cueni, vice-directeur de l’Office fédéral des assurances sociales, ont signé à Berne une convention de sécurité sociale.

Ce traité régit les relations entre la Suisse et la Moldova en matière de sécurité sociale. Il s’inscrit dans la ligne des conventions de sécurité sociale déjà conclues par la Suisse et se conforme aux standards internationaux en la matière. La convention couvre la prévoyance vieillesse, survivants et invalidité, à savoir l’AVS et l’AI pour la Suisse.

Elle garantit aux assurés une large égalité de traitement et un accès facilité aux prestations, et permet le versement des rentes à l’étranger, facilitant ainsi le retour des ressortissants moldaves dans leur pays d’origine. Ce traité favorise les échanges économiques entre les deux pays en facilitant les détachements de personnel dans l’autre État. Il pose également les bases de la coopération en matière de lutte contre les abus.

La convention sera ensuite soumise à l’approbation du Parlement de chacun des deux États.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 02.06.2025 consultable ici

 

9C_84/2024+9C_92/2024 (f) du 15.04.2025 – Objet du litige en procédure cantonale – 73 LPP / Calcul de l’avoir projeté vs avoir de vieillesse constitué – Critère de calcul du salaire assuré

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_84/2024+9C_92/2024 (f) du 15.04.2025

 

Consultable ici

 

Objet du litige en procédure cantonale / 73 LPP

Calcul de l’avoir projeté vs avoir de vieillesse constitué – Critère de calcul du salaire assuré / 24 LPP

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours de l’assuré relatif au calcul de sa rente d’invalidité LPP. Il a jugé que les juges cantonaux avaient violé le droit en refusant de déterminer le salaire assuré de l’assuré au motif que des cotisations antérieures étaient prescrites. S’agissant d’un avoir de vieillesse projeté – pertinent pour le calcul d’une rente d’invalidité selon l’art. 24 LPP – le TF a rappelé qu’il s’agit d’un montant hypothétique indépendant de la prescription des cotisations passées. Il a ainsi renvoyé la cause à l’instance cantonale pour examiner la prise en compte du salaire variable et des frais de représentation dans le salaire assuré et pour statuer sur une éventuelle surindemnisation.

 

Faits

Assuré, né en 1970, marié et père de quatre enfants nés en 2004, 2006, 2007 et 2010, avait exercé une activité pour B.__ Asset Management SA (ci-après : l’ex-employeuse) du 01.01.2007 au 31.12.2015. À ce titre, il était affilié à la Caisse de retraite du groupe B.__ (ci-après: la caisse de pensions) pour la prévoyance professionnelle, ainsi qu’à la Fondation de prévoyance complémentaire du même groupe (ci-après: la Fondation complémentaire ou la FPC).

L’office AI lui a reconnu le droit à une rente entière d’invalidité, assortie de quatre rentes complémentaires pour enfant, avec effet au 01.06.2015.

La caisse de pensions a informé l’assuré qu’il avait droit, dès le 01.06.2015, à une rente entière d’invalidité professionnelle et à des rentes pour enfants, prestations qui seraient versées dès le 01.05.2016, en raison du maintien du salaire jusqu’au 31.12.2015, puis du versement d’indemnités journalières jusqu’au 13.05.2016. Le montant annuel de la rente d’invalidité était fixé à 146’388 francs et celui de chaque rente pour enfant à 36’600 francs, soit un total de 292’788 francs. Toutefois, pour éviter que le cumul des prestations n’excède le 100% du dernier salaire déterminant de l’assuré, ces montants étaient réduits à 56’748 francs pour la rente principale et à 14’196 francs pour chaque rente d’enfant, compte tenu des prestations de l’AI. Le salaire annuel présumé perdu était estimé à 186’804 francs, soit le dernier salaire déterminant de 170’004 francs, augmenté des allocations familiales. La caisse a en outre versé un capital invalidité de 340’008 francs, le montant du compte de préfinancement de retraite anticipée (206’795 fr. 65) ainsi que le remboursement des cotisations pour la période du 01.06.2015 au 31.12.2015 (7’933 fr. 45). L’assuré a contesté la réduction fondée sur la surindemnisation, mais la caisse a maintenu sa position.

Quant à la Fondation complémentaire, elle a octroyé une rente d’invalidité de 100’000 francs par an dès le 14.05.2016, ainsi que son capital de retraite, d’un montant de 630’239 fr. 95.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1041/2023 – consultable ici)

Le 22.12.2020, l’assuré a ouvert action contre la caisse de pensions, concluant initialement au paiement de 821’590 francs, intérêts en sus, ainsi qu’à des rentes annuelles dès 2021. Il a ensuite élargi ses conclusions, notamment en demandant l’appel en cause de son ex-employeuse et la reconstitution de son avoir de retraite. La juridiction cantonale a partiellement admis la demande le 19.12.2023 : elle a reconnu le droit de l’assuré à percevoir, dès le 01.05.2016, une rente annuelle totale de 292’788 francs, condamné la caisse de pensions à lui verser 837’248 francs (pour 2016–2020) et 538’308 francs (pour 2021–2023), avec intérêts, ainsi qu’à poursuivre le versement des rentes dès janvier 2024.

 

TF

Consid. 4.1
À la suite des premiers juges, on rappellera que lorsque le litige porte sur une contestation opposant un ayant droit à une institution de prévoyance (art. 73 al. 1 LPP), l’action est ouverte à l’initiative du premier nommé par une écriture qui doit désigner l’institution de prévoyance visée et contenir des conclusions ainsi qu’une motivation ; c’est elle qui déclenche l’ouverture de la procédure et détermine l’objet du litige et les parties en cause (maxime de disposition). L’état de fait doit être établi d’office selon l’art. 73 al. 2 LPP seulement dans le cadre de l’objet du litige déterminé par la partie demanderesse. La maxime inquisitoire ne permet pas d’étendre l’objet du litige à des questions qui ne sont pas invoquées (ATF 129 V 450 consid. 3.2; cf. aussi arrêt B 72/04 du 31 janvier 2006 consid. 1.1). Dans les limites de l’objet du litige tel qu’il a été déterminé par les conclusions de la demande et les faits invoqués à l’appui de celle-ci, le juge de première instance n’est toutefois pas lié par les prétentions des parties ; il peut ainsi adjuger plus ou moins que demandé à condition de respecter leur droit d’être entendues (ATF 139 V 176 consid. 5.1 et les arrêts cités ; cf. aussi arrêt 9C_496/2022 du 18 juin 2024 consid. 5.1.2).

Consid. 4.2 [résumé]
L’assuré reproche aux juges cantonaux d’avoir déterminé l’objet du litige sur la base d’un examen superficiel et lacunaire de ses écritures, en déclarant irrecevables une partie de ses conclusions, soit celles portant sur la période du 01.06.2015 au 30.04.2016. L’argumentation de l’assuré est mal fondée.

Contrairement à ce qu’allègue l’assuré, les juges cantonaux se sont fondés sur ses propres écritures du 22.12.2020, dans lesquelles il sollicitait le versement de rentes d’invalidité à compter de cette date seulement. Ce n’est que dans ses écritures du 22.05.2023 qu’il a pour la première fois étendu ses prétentions à la période du 01.06.2015 au 30.04.2016. Dès lors, la juridiction cantonale a à juste titre déclaré irrecevables ces conclusions nouvelles, postérieures à la détermination initiale de l’objet du litige. Conformément à la jurisprudence précédemment rappelée (consid. 4.1 supra), c’est en principe la demande de l’assuré du 22.12.2020 qui détermine l’objet du litige et non les écritures qu’il a déposées ultérieurement. Le Tribunal fédéral constate qu’aucune demande relative à des prestations dues avant le 01.05.2016 n’a été formulée dans les écritures du 02.09.2021, contrairement à ce que soutient à tort l’assuré.

Consid. 5 [résumé]
La Caisse de retraite du groupe B.__ est une institution de prévoyance de droit privé pratiquant une prévoyance dite enveloppante, soit couvrant à la fois la part obligatoire et surobligatoire. Ses prestations dépassent celles minimales prévues par la LPP, notamment par un traitement déterminant supérieur au salaire coordonné et un seuil de surindemnisation fixé à 100% du traitement annuel brut. La caisse de pension dispose d’une large liberté dans la définition de son régime, sous réserve du respect des principes d’égalité, de proportionnalité et de non-arbitraire. Elle applique un plan en primauté de cotisations, conformément à la LFLP.

Consid. 6 [résumé]
Les juges cantonaux ont d’abord écarté toute augmentation du salaire assuré, retenant que les cotisations antérieures au 02.09.2016 étaient prescrites et qu’aucun salaire n’avait été versé après le licenciement au 31.12.2015. En conséquence, aucune modification de l’avoir de vieillesse ni des rentes d’invalidité n’était possible. En matière de surindemnisation, ils ont intégré la part variable du salaire et les frais de représentation au gain présumé perdu, estimé à 379’064 fr. 50. Les prestations versées par la Fondation complémentaire n’ont pas été prises en compte, car financées par l’assuré. Constatant que les rentes perçues ne dépassaient pas ce montant, les juges ont nié l’existence d’une surindemnisation et condamné la caisse de pensions à verser 1’375’556 fr. pour 2016–2023, puis 292’788 fr. par an dès 2024.

Consid. 8.1 [résumé]
À la suite de l’instance précédente, on rappellera que, selon l’art. 24 LPP (dans sa version applicable jusqu’au 31 décembre 2021), la rente d’invalidité est calculée sur la base de l’avoir de vieillesse accumulé jusqu’à la survenance de l’invalidité, augmenté des bonifications futures calculées sur le dernier salaire coordonné. Ce salaire correspond à la part du revenu comprise dans une fourchette déterminée, sur laquelle les cotisations LPP sont prélevées et partagées entre employeur et employé.

Consid. 8.2 [résumé]
Selon le règlement de prévoyance 2016 (art. 33) et celui de 2012 (art. 32), la rente complète d’invalidité est obtenue en multipliant l’avoir projeté à la retraite par le taux de conversion. L’avoir projeté inclut l’avoir constitué à la date de l’invalidité, augmenté des bonifications (avec intérêts) qui auraient été versées jusqu’à l’âge ordinaire de retraite si l’assuré était resté en service avec son dernier traitement. Ce dernier, déterminant pour le calcul, a été fixé à 186’804 fr. (170’004 fr. de salaire fixe plus 16’800 fr. d’allocations familiales).

Consid. 8.3
En l’occurrence, le litige concerne une part salariale qui dépasse incontestablement le montant du salaire coordonné prévu à l’art. 8 al. 1 LPP, si bien qu’il relève exclusivement de la prévoyance plus étendue (cf. ATF 140 V 145 consid. 3). S’agissant d’une contestation opposant un affilié à une institution de prévoyance de droit privé, les parties sont liées par un contrat innommé (sui generis) dit de prévoyance. Le règlement de prévoyance constitue le contenu préformé de ce contrat, à savoir ses conditions générales, auxquelles l’assuré se soumet expressément ou par actes concluants. Il doit ainsi être interprété selon les règles générales sur l’interprétation des contrats (ATF 140 V 145 consid. 3.3 et les arrêts cités).

Consid. 8.4.1
Dans la mesure où la rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle est calculée en fonction d’un avoir de vieillesse hypothétique, qui se compose de l’avoir de vieillesse déjà épargné par l’assuré jusqu’à la survenance de l’invalidité et des bonifications de vieillesse qui s’y seraient ajoutées en cas de poursuite du travail jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite (cf. règlement de prévoyance ; s’agissant de la prévoyance obligatoire, art. 24 al. 2-4 LPP; consid. 8.1 et 8.2 supra), il est en l’occurrence nécessaire de connaître le montant du salaire assuré de l’assuré au titre de la prévoyance professionnelle auprès de la Caisse de retraite du groupe B.__. Les bonifications de vieillesse afférentes aux années futures sont en effet calculées sur la base du dernier traitement cotisant. L’argumentation de l’assuré, selon laquelle la juridiction cantonale devait déterminer le montant de son salaire assuré auprès de la caisse de pensions, indépendamment du point de savoir si les prétentions qu’il avait faites valoir à l’encontre de son ex-employeuse étaient ou non prescrites, est dès lors bien fondée. Certes, si la détermination de l’avoir de vieillesse constitué au jour de la reconnaissance de l’invalidité peut théoriquement se heurter à une hypothétique prescription (que la juridiction cantonale a admise et que l’assuré conteste) – dès lors que le montant de l’avoir de vieillesse dépend du caractère recouvrable ou non de créances de cotisations échues -, le calcul de la part de l’avoir de prévoyance projeté correspondant aux bonifications de vieillesse afférentes aux années futures, en revanche, échappe par définition à une quelconque problématique de prescription. Il s’agit en effet d’un aspect qui ne dépend pas du caractère par hypothèse recouvrable ou non de créances de cotisations échues, mais de la détermination, théorique, d’un avoir de prévoyance projeté, donc futur, comme le fait valoir l’assuré.

Consid. 8.4.2
Partant, en considérant que la prescription des cotisations dues par l’ex-employeuse de l’assuré avait pour conséquence que l’avoir de vieillesse et par conséquent le montant des rentes d’invalidité demeuraient inchangés, les juges cantonaux ont violé le droit.

En particulier, la jurisprudence à laquelle ils se sont référés, à savoir l’ATF 140 V 154 consid. 7.3, n’est pas applicable au calcul d’une rente d’invalidité, comme c’est le cas en l’occurrence. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a en effet considéré qu’au regard de la relation étroite entre les cotisations et le montant des prestations de vieillesse de la prévoyance obligatoire, on ne saurait admettre le droit à des prestations de vieillesse calculées en fonction de bonifications de vieillesse afférentes à une période d’assurance pendant laquelle des cotisations correspondantes n’ont pas été et ne doivent plus être versées (consid. 7). À cet égard, la rente de vieillesse est calculée en pour-cent de l’avoir de vieillesse acquis par l’assuré au moment où celui-ci atteint l’âge ouvrant le droit à la rente (cf. art. 14 al. 1 LPP, ainsi que, s’agissant du régime mis en place par la caisse de pensions); un avoir de vieillesse hypothétique n’entre dès lors pas en ligne de compte, contrairement à ce qui est le cas pour le calcul d’une rente d’invalidité (cf. art. 24 al. 3 let. b et al. 4 LPP). La notion d’avoir de vieillesse hypothétique (ou « avoir de retraite projeté » selon le règlement de prévoyance) n’a de sens, en effet, que si le cas d’assurance (décès ou invalidité) survient avant l’âge terme de la vieillesse. Dans un tel cas, on prend en compte la période future pendant laquelle l’assuré et son employeur n’ont pas été en mesure de verser des cotisations (voir par analogie, en matière de prévoyance obligatoire, l’art. 24 al. 3 let. b LPP [relatif au montant de la rente d’invalidité], auquel renvoie l’art. 21 al. 1 LPP [relatif au montant de la rente de veuve et de la rente d’orphelin]; cf. arrêt B 51/02 du 13 septembre 2002 consid. 2.4).

Consid. 8.5
Compte tenu de ce qui précède, la cause doit être renvoyée aux juges cantonaux afin qu’ils examinent le montant du salaire assuré de l’assuré au titre de la prévoyance professionnelle auprès de la caisse de pensions, singulièrement le point de savoir si, et le cas échéant dans quelle mesure, la part variable de la rémunération et les frais de représentation doivent être inclus dans le salaire assuré du prénommé. Ce n’est qu’ultérieurement qu’ils pourront statuer sur le montant du gain présumé perdu de l’assuré, en relation avec la question d’une éventuelle surindemnisation. Il convient dès lors d’admettre partiellement le recours de l’assuré (cause 9C_84/2024), dans la mesure où la cause n’est pas en état d’être jugée et nécessite un renvoi à l’instance précédente; l’arrêt entrepris doit être annulé en conséquence. Dans cette mesure, la conclusion subsidiaire de la caisse de pensions en renvoi de la cause à la juridiction précédente pour nouvelle décision ou complément d’instruction (cause 9C_92/2024) se révèle bien fondée.

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_84/2024+9C_92/2024 consultable ici

 

Initiative parlementaire Weibel 17.480 « Urgences hospitalières. Taxe pour les cas bénins » – Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 10 avril 2025

Initiative parlementaire Weibel 17.480 « Urgences hospitalières. Taxe pour les cas bénins » – Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 10 avril 2025

 

Paru in FF 2025 1705

 

Condensé
Ce projet vise à conférer aux cantons la compétence d’appliquer un supplément de 50 francs au maximum à la quote-part pour chaque consultation aux urgences hospitalières. Sont exemptés de cette réglementation les femmes enceintes, les enfants, les personnes emmenées aux urgences des hôpitaux par les entreprises de transport ou de sauvetage ainsi que celles ayant été adressées aux urgences sur demande écrite d’un médecin, d’un centre de télémédecine, d’un pharmacien ou par l’intermédiaire d’un numéro d’urgence cantonal. L’argument financier a pour objectif de dissuader les assurés de se rendre aux urgences pour des cas bénins. Du point de vue de la commission, renforcer la prise de conscience des coûts et la responsabilité individuelle permettra de décharger les urgences des hôpitaux.

 

Contexte

Le taux de recours aux urgences hospitalières augmente régulièrement, entraînant une hausse de la charge de travail pour le personnel médical et soignant et une augmentation des délais d’attente. Forte de ces constats, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS‑N) considère qu’il y a lieu d’agir pour réduire la surcharge des services d’urgence des hôpitaux. L’initiative parlementaire (Weibel) Bäumle «Urgences hospitalières. Taxe pour les cas bénins» (17.480) demande l’introduction d’une «taxe» pour les cas bénins, qui permettrait de créer un effet dissuasif et de les détourner des urgences en les orientant vers une prise en charge plus adéquate et économique. La commission a analysé la compatibilité d’une telle solution avec les dispositions constitutionnelles et évalué plusieurs options de mise en œuvre. Après de longues délibérations, elle a identifié une solution pragmatique et efficace, sous la forme d’une augmentation ciblée de la participation aux coûts à la charge des assurés.

 

Contenu du projet

Ce projet prévoit d’appliquer un supplément de 50 francs au maximum à la quote-part à la charge de la personne assurée qui se rend dans un service d’urgence hospitalier sans demande écrite d’un médecin, d’un centre de télémédecine ou d’un pharmacien, ou par l’intermédiaire d’un numéro d’urgence cantonal. Cette réglementation ne concernerait pas les femmes enceintes, les enfants et les personnes emmenées aux urgences des hôpitaux par les entreprises de transport ou de sauvetage. Elle s’appliquerait uniquement aux personnes assujetties à l’assurance obligatoire des soins (AOS). La décision d’introduire une telle réglementation est laissée aux cantons.

Sa mise en œuvre requiert l’introduction d’un nouvel art. 64 al. 3bis LAMal.

 

Solutions étudiées et solution retenue

Notion d’urgence et de cas bénin

Une difficulté concerne les notions de «urgence» et de «cas bénin». L’objectif de l’initiative est de créer un effet dissuasif permettant d’orienter les «cas bénins» vers d’autres formes de prise en charge, en préservant les capacités d’accueil des services d’urgence des hôpitaux pour les véritables «urgences». La notion de «cas bénins» n’est pourtant définie ni dans la loi ni dans la pratique médicale.

La notion d’urgence a, quant à elle, été définie dans le cadre d’une révision de la LAMal visant la mise en œuvre de l’initiative cantonale du canton de Thurgovie 16.312 «Exécution de l’obligation de payer les primes. Modification de l’art. 64a de la loi fédérale sur l’assurance-maladie». Le nouvel art. 64a, al. 7, LAMal, entré en vigueur le 1er janvier 2024, définit une urgence comme suit: Une prestation relevant de la médecine d’urgence consiste en une prestation qui ne peut pas être repoussée. C’est le cas lorsque l’assuré, en l’absence d’un traitement immédiat, doit craindre une atteinte à la santé, voire la mort, ou qu’il peut mettre en danger la santé d’autres personnes.

Si le but est de détourner les «cas bénins» des urgences hospitalières, une approche possible est de se baser sur une définition négative et prévoir ainsi l’acquittement du supplément pour tout cas n’étant pas une urgence au sens de l’art. 64a al. 7 LAMal. Cette variante aurait le mérite de faire une distinction entre les personnes se rendant aux urgences hospitalières suite à une véritable urgence et celles qui y font recours pour des cas bénins, en prévoyant l’acquittement d’un émolument de 50 francs uniquement dans le deuxième cas de figure. En même temps, cette évaluation pèserait davantage sur les épaules des professionnels de la santé, qui seraient appelés à juger si une personne s’est rendue aux urgences en raison d’une véritable urgence ou s’il s’agit d’un cas bénin. Cette appréciation comporterait des tâches supplémentaires et des formalités administratives pour le personnel actif sur le terrain, allant à l’encontre de l’objectif, et elle risquerait même d’être source d’insécurité juridique pour les personnes concernées.

La commission a ainsi analysé la possibilité de s’éloigner de la distinction entre «urgence» et «cas bénin» et de prévoir l’introduction d’un supplément systématique pour toute consultation aux urgences hospitalières. Il serait possible de définir les exceptions à ce supplément de manière exhaustive. Le fait d’éviter l’appréciation subjective de la notion d’urgence permettrait de garantir la sécurité juridique de cette mesure et n’engendrerait guère de démarches administratives supplémentaires pour le personnel des urgences.

 

Solution retenue

Après avoir étudié deux approches différentes pour la mise en œuvre de l’initiative, la commission, sur la base des constats précédents, a opté pour une solution qui puisse être compatible avec les dispositions constitutionnelles et le champ d’application de la LAMal actuels. Elle propose ainsi de concrétiser la taxe incitative visée par l’initiative parlementaire par une augmentation ciblée de la quote-part à la charge du patient pour toute consultation auprès d’un service d’urgence des hôpitaux. Aux yeux de la commission, il s’agit d’une solution pragmatique permettant d’assurer un cadre d’application clair et uniforme. La commission a analysé deux variantes:

  • une première variante prévoit d’augmenter le montant maximal annuel de la quote-part de 50 francs pour chaque recours non justifié aux urgences hospitalières.
  • Dans la deuxième variante, plus incisive, la participation aux coûts est conçue sous la forme d’un supplément à la quote-part de 50 francs, qui interviendrait donc avant que l’assuré ait atteint le plafond annuel de la quote-part.

Dans le cadre de ses travaux préparatoires, la commission avait décidé, par 13 voix contre 12, de mettre en consultation la première variante (augmentation de la quote-part) comme variante proposée par la majorité. Le 10 avril 2025, sur la base des réponses obtenues lors de la consultation et dans le but de renforcer l’effet dissuasif de la mesure, la commission a opté, par 13 voix contre 8 et 4 abstentions, pour la plus incisive des deux variantes (supplément à la quote-part) dans le projet qu’elle a adopté à l’intention du Conseil national.

La commission a également voulu renoncer à une distinction entre véritables «urgences» et «cas bénins». Une telle démarche aurait impliqué une insécurité juridique et alourdi la charge de travail du personnel médical et soignant. La disposition doit donc prévoir comme mécanisme de base un supplément systématique à la quote-part pour toute consultation dans un service d’urgence d’un hôpital, indépendamment de la nature urgente ou bénigne du cas traité. Une fois ce principe de base établi, la commission a déterminé les exceptions à cette réglementation, qui sont définies de manière exhaustive. Sont exemptées du supplément les personnes qui se rendent aux urgences après avoir préalablement consulté un médecin, un centre de télémédecine ou un pharmacien. Dans tous ces cas, les patients auraient contacté, en amont, un autre prestataire de soins, ce qui revient au but de l’initiative, c’est-à-dire la réorientation des cas bénins vers d’autres formes de prise en charge médicale. De plus, les enfants de moins de 18 ans et les femmes enceintes sont exemptés de cette participation supplémentaire aux frais. Le 10 avril 2025, sur la base des réponses obtenues lors de la consultation, la commission a décidé, par 20 voix contre 4 et 1 abstention, d’étendre la liste des exceptions. Le projet prévoit désormais que les personnes adressées aux urgences par l’intermédiaire d’un numéro d’urgence cantonal et les personnes emmenées aux urgences par les entreprises de transport ou de sauvetage seront elles aussi exemptées du supplément à la quote-part.

La commission ne souhaite pas introduire ce système dans toute la Suisse, elle préfère prévoir cette possibilité dans le cadre légal fédéral et laisser ensuite le choix aux différents cantons. Cette solution est compatible avec la conception du système de santé suisse, qui confère de vastes compétences en matière de planification et d’organisation des soins aux cantons, et permet une prise en compte de la grande disparité entre les cantons en matière de recours aux urgences.

 

Initiative parlementaire Weibel 17.480 « Urgences hospitalières. Taxe pour les cas bénins » – Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 10 avril 2025, paru in FF 2025 1705

Projet de modification de la LAMal (Quote-part pour les consultations aux urgences des hôpitaux), paru in FF 2025 1706

Initiative parlementaire Weibel 17.480 « Urgences hospitalières. Taxe pour les cas bénins » consultable ici

 

 

Étude sur l’impact des différentes sanctions appliquées par l’assurance-chômage

Étude sur l’impact des différentes sanctions appliquées par l’assurance-chômage

 

Etude «Wirkung unterschiedlicher Sanktionen der Arbeitslosenversicherung» consultable ici

 

L’assurance-chômage soutient les personnes en cas de perte d’emploi et exige en contrepartie une participation active à la recherche d’un nouvel emploi. Les personnes qui manquent à cette obligation peuvent se voir infliger des sanctions (réductions du nombre d’indemnités journalières). L’impact de ces sanctions a été examiné dans le cadre d’une étude mandatée par la Confédération. Environ un tiers des périodes de chômage font l’objet d’au moins une sanction. Les personnes sanctionnées sont en moyenne plus jeunes, plus souvent des hommes, et disposent plus rarement d’une formation du degré tertiaire. En moyenne, elles réintègrent le marché du travail légèrement plus rapidement que les personnes non sanctionnées. Toutefois, certains éléments indiquent que les personnes sanctionnées occupent ensuite des rapports de travail un peu moins stables et perçoivent des revenus légèrement inférieurs. Ces différences tendent toutefois à s’atténuer nettement au cours des trois premières années suivant la période de chômage.

 

Résumé (issu de l’étude)

Les sanctions sont un instrument important de l’assurance-chômage (AC) pour amener les demandeurs d’emploi à respecter leurs obligations. Les sanctions infligées en cas de manquement total ou partiel aux obligations peuvent aller jusqu’à 60 jours de suspension, les sanctions légères (jusqu’à 15 jours de suspension) étant les plus fréquentes dans la pratique. La présente étude examine en détail le recours aux différentes sanctions de l’assurance-chômage et leur impact en se fondant sur les données des années 2009 à 2022. Elle distingue les sanctions selon leur type, leur sévérité et le moment où elles sont appliquées et considère un large éventail de résultats.

Dans un premier temps, l’étude dresse un état des lieux du recours aux différentes sanctions en Suisse en procédant à des analyses descriptives. Cet état des lieux est axé sur la question suivante : qui est sanctionné pour quoi, quand et à quelle fréquence ? La suite de l’étude est consacrée aux analyses d’impact. Celles-ci évaluent les effets des différentes sanctions sur la rapidité de la réinsertion et sur les indicateurs relatifs au parcours professionnel jusqu’à trois ans après le chômage. En outre, l’étude analyse pour la première fois les effets des sanctions sur les recherches d’emploi ainsi que sur l’activité de recherche sur la plateforme Job-Room.

Les résultats de l’analyse descriptive montrent qu’environ un tiers des périodes de chômage font au moins une fois l’objet de sanctions. Cette proportion est étonnamment élevée, même en comparaison internationale. Les demandeurs d’emploi sanctionnés sont plus souvent des hommes ; ils sont en moyenne plus jeunes et disposent plus rarement d’une formation du degré tertiaire que les personnes non sanctionnées. Les infractions commises avant le chômage contribuent dans une large mesure au volume des sanctions prononcées. De manière générale, on constate que les sanctions interviennent relativement tôt, en particulier en cas d’infractions mineures et d’infractions qui se sont produites avant le chômage.

L’analyse des effets sur la rapidité de la réinsertion montre que les sanctions exercent globalement un impact positif sur les sorties vers l’emploi : la durée attendue du chômage est réduite de 6,5 jours en moyenne et de 15 jours en cas de sanctions légères (qui sont clairement les plus fréquentes). S’agissant des sanctions sévères et des sanctions prononcées en cas de chômage résultant de la faute de la personne assurée, l’impact mesuré est négatif, autrement dit on constate un allongement de la durée du chômage. En outre, les sanctions, indépendamment de leur type et de leur sévérité, contribuent pratiquement toutes à augmenter les taux de transition vers la non-activité.

Du point de vue de la durabilité de la réinsertion, l’analyse montre que les sanctions ont un impact légèrement négatif sur la stabilité de l’emploi et sur le revenu professionnel après la sortie du chômage. Si l’impact négatif s’atténue nettement au-delà d’un an après la sortie du chômage, il est encore perceptible après trois ans. Les effets négatifs sur la phase d’activité après le chômage sont sensiblement plus marqués pour les personnes qui ont été sanctionnées par un nombre important de jours de suspension durant leur période de chômage. À noter également que les sanctions prononcées pour des infractions commises avant le chômage n’ont guère d’impact négatif sur le parcours professionnel, tandis que celles prises pendant la période de chômage ont des effets négatifs qui diminuent au fil du temps.

L’évaluation des données de candidature et des données relatives aux clics sur Job-Room donne également des résultats intéressants : les effets sur l’intensité de recherche individuelle sont substantiels. Ils se manifestent en premier lieu par une augmentation du nombre de candidatures déposées. Après une sanction, le nombre de postulations à effectuer est également revu à la hausse de manière durable.

 

Etude «Wirkung unterschiedlicher Sanktionen der Arbeitslosenversicherung» consultable ici

Cf. également article récapitulatif : Arni, Patrick; Lalive, Rafael; Klaeui, Jeremias; Kaiser, Boris; Wolf, Markus (2025). L’impact des sanctions dans l’assurance-chômage. La Vie économique, 03 juin.

 

9C_645/2024 (f) du 16.04.2025 – Tribunal arbitral des assurances / 89 LAMal – Garantie d’un juge indépendant et impartial – Récusation du juge arbitre désigné / 30 al. 1 Cst. – 6 par. 1 CEDH

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_645/2024 (f) du 16.04.2025

 

Consultable ici

 

Tribunal arbitral des assurances / 89 LAMal

Garantie d’un juge indépendant et impartial – Récusation du juge arbitre désigné / 30 al. 1 Cst. – 6 par. 1 CEDH

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de A.__ dirigé contre le refus de récusation d’un juge arbitre désigné par une caisse-maladie dans une procédure devant le Tribunal arbitral des assurances. Il a jugé, à la lumière de l’art. 89 al. 4 LAMal et des garanties d’un tribunal impartial prévues par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH, qu’aucune apparence objective de partialité ne résultait ni des anciens rapports professionnels de B.__ avec l’assureur maladie, interrompus depuis près de dix ans, ni de son activité actuelle non dirigeante au sein de santésuisse. Le TF a confirmé que les exigences en matière d’indépendance sont allégées pour les juges arbitres désignés par les parties, dès lors que leur désignation s’inscrit dans une composition paritaire voulue par le législateur.

 

Faits

Le 20.04.2021, trois caisses-maladies ont saisi le Tribunal arbitral d’une demande en réparation d’un dommage dirigée contre A.__. Par la suite, une des caisses-maladies a repris les droits et obligations des deux autres assureurs, lesquels ont été radiés du Registre du commerce à la suite de fusions.

Dans le cadre de la procédure arbitrale, la caisse-maladie a désigné B.__, responsable de formation pour la Suisse romande auprès de santésuisse, en qualité d’arbitre. Le prénommé a accepté sa nomination. A.__ s’y est opposé et a demandé la récusation du juge arbitre désigné. La caisse-maladie a persisté dans son choix.

Par décision du 15.10.2024 (arrêt ATAS/799/2024), la Délégation du Tribunal arbitral des assurances en matière de récusation a rejeté la demande de récusation dans la mesure de sa recevabilité.

 

TF

Consid. 2.2
Selon l’art. 89 al. 1 LAMal, le Tribunal arbitral des assurances est compétent pour juger des litiges entre assureurs et fournisseurs de prestations. Aux termes de l’art. 89 al. 4 LAMal, les cantons fixent la procédure qui doit être simple et rapide; le tribunal arbitral établit avec la collaboration des parties les faits déterminants pour la solution du litige; il administre les preuves nécessaires et les apprécie librement.

Consid. 2.3
Dans le canton de Genève, la procédure applicable devant le Tribunal arbitral des assurances est prévue par les art. 39 ss de la loi d’application de la LAMal (LaLAMal; rs/GE J 3 05). D’après l’art. 45 al. 3 LaLAMal, les dispositions de la loi genevoise sur la procédure administrative (LPA; rs/GE E 5 10) s’appliquent, notamment en ce qui concerne la récusation des membres du tribunal arbitral. Les causes de récusation sont énoncées à l’art. 15A al. 1 LPA. Au-delà des causes de récusation objectives visées aux let. a à e de cette disposition, se récuse le juge qui pourrait être prévenu de toute autre manière, notamment en raison d’un rapport d’amitié ou d’inimitié avec une partie ou son représentant (art. 15A al. 1 let. f LPA).

Consid. 2.4
La garantie d’un juge indépendant et impartial telle qu’elle résulte des art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH – lesquels ont, de ce point de vue, la même portée – permet, indépendamment du droit de procédure (en l’occurrence l’art. 15A al. 1 LPA), de demander la récusation d’un magistrat dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d’une partie. Elle n’impose pas la récusation uniquement lorsqu’une prévention effective est établie, car une disposition interne de la part du juge ne peut être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l’apparence d’une prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat; cependant, seules les circonstances objectivement constatées doivent être prises en considération, les impressions purement individuelles n’étant pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 et les arrêts cités).

De jurisprudence constante, des liens d’amitié ou une inimitié peuvent créer une apparence objective de partialité à condition qu’ils soient d’une certaine intensité. En revanche, des rapports de voisinage, des études ou des obligations militaires communes ou des contacts réguliers dans un cadre professionnel ne suffisent en principe pas. Plus généralement, pour être à même de trancher un différend avec impartialité, un juge ne doit pas se trouver dans la sphère d’influence des parties (ATF 144 I 159 consid. 4.3 et les arrêts cités).

Consid. 4.1
En ce qui concerne les juges du Tribunal arbitral cantonal, il convient de tenir compte de l’art. 89 al. 4 LAMal. Avec cette disposition, le législateur a voulu laisser la possibilité aux cercles intéressés mentionnés de faire participer au sein des tribunaux arbitraux des personnes de confiance, afin de transmettre les connaissances spécifiques en la matière et faire connaître les aspects particuliers de la branche si bien que les circonstances parlant en faveur ou en défaveur des parties puissent pleinement être prises en considération et être soigneusement appréciées.

Selon la jurisprudence, le droit à un juge impartial vaut certes aussi pour les juges arbitres siégeant aux côtés du président. En raison de leurs liens avec les cercles intéressés, ces juges ne peuvent guère, d’expérience, apparaître comme entièrement indépendants. Il est inhérent au système prévu que les représentants désignés par les parties vont avant tout essayer de s’engager pour que les prétentions et les besoins de leur cercle d’intérêts soient pris en considération dans un procès, en raison de leurs relations avec la partie correspondante. De même, ils vont sans doute se donner la peine de mettre en évidence les circonstances qui parlent en faveur de la partie impliquée dans le litige. De tels juges arbitres ne sont donc guère indépendants de la même manière que l’est le juge d’un autre tribunal étatique qui n’est pas composé de manière paritaire, ce qui vaut cependant aussi pour la partie adverse. Ceci doit être accepté comme conséquence de la conception de l’art. 89 al. 4 LAMal voulue par le législateur, qui prévoit que deux cercles d’intérêts se font face dans le tribunal arbitral; dans cette mesure, l’indépendance du tribunal arbitral n’est pas seulement garantie par l’indépendance individuelle des juges arbitres mais également par la composition paritaire. En conséquence, pour les juges arbitres désignés par les parties, il n’y a pas lieu de poser les mêmes exigences sévères à leur indépendance que pour les autres juges (ATF 124 V 22 consid. 5a; arrêt 9C_535/2021 du 13 mai 2022 consid. 2.3; REGINA KIENER, Richterliche Unabhängigkeit Verfassungsrechgliche Anforderungen an Richter und Gerichte, 2001, p. 117 ss).

La participation paritaire ne constitue cependant pas une défense unilatérale des intérêts d’une partie au procès. Le juge arbitre ne peut se voir comme l’avocat d’une partie revêtu de la robe du juge et défendre unilatéralement les seuls intérêts de la partie qui lui est proche du point de vue professionnel. La partialité, et donc l’obligation de se récuser, doivent toujours être admises lorsque le juge arbitre exerce des fonctions auprès d’une des parties impliquées dans le procès. Pour des motifs compréhensibles, la partie adverse peut avoir l’impression qu’un tel juge arbitre a un intérêt direct à ce que cette partie obtienne gain de cause. Ceci vaut pour les organes mais de manière identique pour chaque fonctionnaire ou collaborateur (RAMA 1997 n° KV 14 p. 309 consid. 5b [arrêt K 49/97 du 31 juillet 1997], et les références aux ATF 114 V 292 et ATF 115 V 257). Selon la jurisprudence (voir l’aperçu dans l’arrêt K 29/04 du 29 juillet 2004 consid. 2.3), l’obligation de récusation est régulièrement admise pour des personnes qui sont des membres dirigeants d’une association d’assureurs ou d’une organisation de fournisseurs de prestations (arrêts 9C_535/2021 du 13 mai 2022 consid. 2.3; 9C_149/2007 du 4 juin 2007 consid. 4.2 et les références).

Consid. 4.2.1
Tout d’abord, au regard de la jurisprudence sur l’art. 89 al. 4 LAMal rappelée ci-avant (consid. 4.1 supra), l’appréciation de l’instance cantonale peut être partagée en tant qu’elle a admis que l’existence de longs rapports de service avec la caisse-maladie impliquée dans le procès, mais il y a plus de dix ans environ au moment de la désignation du juge arbitre en cause, ne suffisait pas à justifier à elle seule la suspicion de partialité de celui-ci. Vu le nombre d’années écoulées depuis la fin des rapports de travail entre B.__ et la caisse-maladie, le fait que le prénommé avait travaillé longtemps pour l’intimée ne constitue pas un motif de récusation (comp. arrêt K 127/01 du 26 juin 2003 consid. 3.2.1, où une durée de cinq ans et plus depuis la fin des rapports de travail examinés a été jugée suffisante pour nier le devoir de récusation).

Consid. 4.2.2
Ensuite, B.__ est, dans le cadre de ses fonctions au sein de santésuisse, amené à entretenir des contacts réguliers avec des responsables de formation, intervenants et experts actifs au sein du groupe de la caisse-maladie, dont fait partie l’intimée. On constate par ailleurs que le prénommé n’est pas un organe ou un membre exerçant une fonction dirigeante de santésuisse (dont le but est de préserver et de représenter, en tant qu’association faîtière représentative, les intérêts communs de ses membres ainsi que de s’investir pour la sauvegarde d’une assurance-maladie libérale).

Selon les indications qu’il a données au Tribunal arbitral, B.__ travaille pour le département formation de santésuisse, ce qui le met en contact avec tous les assureurs-maladie soutenant et encourageant la formation de leurs collaboratrices et collaborateurs, « c’est à dire pratiquement tous en Suisse romande ». Or si l’activité du prénommé, qui n’implique pas de fonction au sein de l’organe dirigeant de santésuisse, comprend forcément des contacts et des relations avec les assureurs-maladie faisant appel à santésuisse pour la formation de leurs collaboratrices et collaborateurs, elle n’entraîne pas une proximité qualifiée ou des liens particuliers avec le groupe de la caisse-maladie, puisqu’il s’agit avant tout de coordonner la formation des personnes concernées dans le domaine de l’assurance-invalidité, sans lien avec la stratégie du groupe ou de ses membres à l’égard des fournisseurs de prestations ou avec des dossiers concrets de ceux-ci, singulièrement de la caisse-maladie impliquée dans la présente procédure.

C’est en vain que le recourant soutient à ce sujet que « des liens de fidélité et de confiance particuliers subsistent nécessairement entre un ancien cadre et son ex-employeur pour lequel il a travaillé pendant 20 ans. Ce d’autant qu’en l’occurrence, ces liens sont entretenus par des contacts réguliers ». Ce faisant, il omet que les rapports de travail entre le juge arbitre et la caisse-maladie qui l’a choisi ont pris fin depuis près de dix ans au moment de la désignation et que l’activité exercée depuis lors par B.__ pour santésuisse n’implique pas de liens avec la caisse-maladie tels qu’ils créeraient une apparence de prévention de sa part.

Consid. 4.3
En conséquence de ce qui précède, la décision entreprise ne repose par sur une violation des garanties prévues par les art. 29 al. 1 et 30 Cst., ainsi que l’art. 6 par. 1 CEDH, en lien avec l’art. 89 al. 4 LAMal.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 9C_645/2024 consultable ici

 

Permettre un réexamen en cas d’expertise médicale douteuse

Permettre un réexamen en cas d’expertise médicale douteuse

 

Communiqué de presse du Parlement du 04.06.2025 consultable ici

 

Une personne qui s’est vu refuser un octroi de prestations de l’AI pourra demander un réexamen en cas de graves insuffisances constatées par la Commission fédérale d’assurance qualité des expertises médicales (COQEM). Le Conseil des Etats a tacitement adopté mercredi une motion du National en ce sens.

Le texte de la commission de la sécurité sociale du National fait suite à des révélations au sujet des expertises douteuses réalisées par PMEDA SA. En 2023, l’AI avait décidé de ne plus attribuer d’expertise médicale à cette entreprise. Elle avait suivi la recommandation de la COQEM, qui avait relevé des insuffisances dans la forme et le fond des expertises médicales de PMEDA.

Une révision de loi récente permet déjà de garantir actuellement la qualité des expertises et des diagnostics. Toutefois, des lacunes et des problèmes subsistent quant aux expertises réalisées avant cette révision.

Le texte vise à permettre aux personnes assurées de déposer une demande de révision lorsque leur dossier a été jugé sur la base d’une expertise médicale réalisée par un centre d’expertises ou des médecins avec lesquels la collaboration a été suspendue à la suite d’une recommandation de la COQEM.

En cas de réexamen, les offices AI devraient contrôler la capacité de travail, déterminer le début d’une éventuelle incapacité de travail, accorder des mesures d’ordre professionnel et octroyer avec effet rétroactif une éventuelle rente.

 

Le Conseil fédéral favorable

Le Conseil fédéral soutenait le texte. Il en va de la crédibilité et du bon fonctionnement de l’AI et des autres assurances sociales, ainsi que de la confiance dans le système, a relevé la ministre de l’intérieur Elisabeth Baume-Schneider. Cela se fera dans le cadre de la future révision de l’AI qui est en cours d’élaboration.

Il est primordial que les offices AI et les tribunaux s’appuient sur des expertises médicales fiables afin de rendre leurs décisions, a appuyé Maya Graf (Vert-e-s/BL) pour la commission. Lorsqu’un soupçon d’erreur ou de partialité existe, les décisions en question doivent pouvoir être réexaminées.

 

Commentaire

La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider a souligné que l’action de la COQEM concerne l’ensemble des assurances sociales, et pas uniquement l’assurance-invalidité. Sa proposition d’étudier la possibilité d’intégrer cette nouvelle réglementation dans la LPGA afin d’en faire bénéficier toutes les assurances sociales (cf. Bulletin officiel) doit être accueillie favorablement. En effet, il est essentiel que chaque assuré, quel que soit le domaine d’assurance sociale concerné, puisse demander un réexamen de son dossier en cas d’expertise médicale problématique.

 

Communiqué de presse du Parlement du 04.06.2025 consultable ici

Motion CSSS-N 25.3006 « Réexamen des décisions d’octroi de prestations de l’AI en cas de graves insuffisances constatées par la Coqem dans les expertises » consultable ici

Cf. également le communiqué de presse de Inclusion Handicap du 04.06.2025 disponible ici

 

Le National comble enfin une lacune pour les accidents de jeunesse

Le National comble enfin une lacune pour les accidents de jeunesse

 

Communiqué de presse du Parlement du 03.06.2025 consultable ici

 

Les personnes accidentées avant l’âge de 25 ans toucheront des indemnités journalières pour perte de gain durant 720 jours au plus en cas de rechute ou de séquelles tardives. Le National a adopté mardi par 101 voix contre 81 un projet, malgré de fortes réticences.

Lorsqu’un jeune qui n’exerce pas encore d’activité professionnelle est victime d’un accident, les frais médicaux sont pris en charge par sa caisse-maladie. Plus tard, s’il souffre d’une rechute ou de séquelles tardives alors qu’il a intégré le monde du travail, il ne peut pas se tourner vers l’assurance-accident (LAA), étant donné que l’accident initial n’était pas couvert par cette assurance.

Il doit se tourner vers son assurance maladie pour prendre en charge les frais médicaux et vers son employeur qui prend en charge la perte de gain, mais seulement pour une durée déterminée. Il en résulte souvent une lacune de plusieurs mois dans le versement du salaire.

« Il est indéniable que cette réforme comble une vraie lacune, certes peu fréquente, mais aux conséquences sociales désastreuses », a déclaré Cyril Aellen (PLR/GE) pour la commission. Benjamin Roduit (Centre/VS) a chiffré le nombre de cas à 1380, ajoutant que le coût, minime, s’élèvera au maximum à 17 millions de francs par année. « Pour chaque personne individuelle touchée, ça peut par contre coûter très cher », a complété Barbara Gysi (PS/SG).

 

L’UDC contre

Le projet prévoit de considérer dorénavant les rechutes ou les séquelles tardives d’un accident pas couvert par la LAA et qui est survenu avant l’âge de 25 ans comme des accidents non professionnels. L’assuré aura droit à des indemnités journalières durant un maximum de 720 jours, versées subsidiairement aux allocations pour perte de gain dues par l’employeur.

L’udc et quelques élus PLR et du Centre n’étaient pas convaincus. « Bad cases make bad law » a lancé Rémy Wyssmann (UDC/SO). Pour lui, le Parlement adopte sur la base d’un cas rapporté par la télévision, une loi qui déroge au principe de non-rétroactivité des assurances sociales. Une luxation de l’épaule enfant pose aussi le problème des preuves médicales à apporter plus tard pour prétendre aux prestations d’assurance.

 

Avis très partagés en consultation

En consultation, le projet a reçu un accueil très partagé. Les représentants des employeurs et les assureurs s’y sont opposés craignant une augmentation de la charge administrative.

Le Conseil fédéral est aussi opposé au changement de système. Avec ce projet, il répond à la volonté du Parlement, mais continue d’émettre des réserves. Il craint que cette nouvelle loi fasse ressortir d’autres inégalités.

Cette modification de la LAA découle d’une motion déposée en 2011 par l’ancien conseiller national Christophe Darbellay (Centre/VS).

Le Conseil des Etats doit encore se prononcer.

 

Commentaire

Je recommande vivement aux parlementaires de prendre connaissance de mon analyse parue dans Jusletter du 17 février 2025, afin de mieux cerner les défis pratiques et juridiques liés à la mise en œuvre de la réforme récemment discutée au Parlement (séance du 3 juin 2025, cf. Bulletin officiel). Malgré l’objectif louable de combler une lacune, je reste sceptique quant à la viabilité concrète de la solution proposée par le Conseil fédéral. En effet, cette réforme soulève des problématiques complexes telles que l’administration des preuves médicales nécessaires à la reconnaissance des rechutes ou séquelles tardives, la coordination entre les différents régimes d’assurances et les risques potentiels d’inégalités de traitement entre assurés.

À mon sens, la proposition formulée par le conseiller aux États Paul Rechsteiner lors des séances des 19 mars 2014 et 2 mars 2022, qui suggère d’utiliser la caisse supplétive comme modèle pour traiter les cas particuliers des travailleurs confrontés à des rechutes ou des séquelles tardives d’accidents initialement non couverts par la LAA, apparaît plus juste et mieux adaptée aux réalités du terrain. Ce modèle, plus pragmatique, permettrait une prise en charge efficace tout en évitant de surcharger inutilement le système administratif et en respectant davantage les principes fondamentaux des assurances sociales, notamment l’équité et la solidarité entre assurés.

 

Communiqué de presse du Parlement du 03.06.2025 consultable ici

Motion Darbellay 11.3811 « Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents » consultable ici

Objet du Conseil fédéral 24.056 « LAA (Mise en œuvre de la motion 11.3811 Darbellay « Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents »). Modification » consultable ici

 

8C_686/2024 (f) du 04.04.2025 – Causalité naturelle – Déchirure du ménisque / Avis divergent du médecin-conseil et du chirurgien orthopédique traitant

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_686/2024 (f) du 04.04.2025

 

Consultable ici

 

Causalité naturelle – Déchirure du ménisque / 6 LAA – 36 LAA

Avis divergent du médecin-conseil et du chirurgien orthopédique traitant

 

Assurée, née en 1966 et exerçant comme consultante prévente, qui, le 03.04.2022, s’est tordu la cheville gauche au bas d’un escalier puis est tombée en avant sur les genoux, sur le carrelage.

Une IRM du genou droit réalisée le 12.04.2022 a révélé une fine bursite infra-patellaire superficielle et une déchirure horizontale oblique du ménisque interne. L’IRM du genou gauche du 11.05.2022 n’a mis en évidence aucune lésion traumatique. Le 19.09.2022, le chirurgien orthopédique traitant a pratiqué une arthroscopie du genou droit avec méniscectomie externe partielle, résection de synovite antérieure et antéro-interne puis suture du ménisque interne. Dans son rapport du 16.11.2022, le chirurgien orthopédique a attribué ces lésions à l’accident du 03.04.2022, mentionnant également un antécédent d’arthroscopie du genou gauche en 2010. Dans son avis du 23.12.2022, le médecin-conseil a estimé que l’assurée présentait une déchirure du ménisque dégénérative préexistante. Selon lui, l’assurée avait subi une contusion des genoux – qui n’avait pas provoqué la déchirure du ménisque – et le statu quo sine était atteint à six semaines de l’accident.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin au versement des prestations d’assurance avec effet au 15.05.2022, au motif que les troubles qui subsistaient au genou droit n’étaient plus dus à l’accident du 03.04.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2023 170 – consultable ici)

Par jugement du 16.10.2024, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1.1
Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose notamment, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle et adéquate. Dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, en cas d’atteinte à la santé physique, la causalité adéquate se recoupe largement avec la causalité naturelle, de sorte qu’elle ne joue pratiquement pas de rôle (ATF 123 V 102; 122 V 417; 118 V 286 consid. 3a; 117 V 359 consid. 5d/bb). Un rapport de causalité naturelle doit être admis lorsque le dommage ne se serait pas produit du tout ou ne serait pas survenu de la même manière. Il n’est pas nécessaire que cet événement soit la cause unique, prépondérante ou immédiate de l’atteinte à la santé. Il suffit qu’associé éventuellement à d’autres facteurs, il ait provoqué l’atteinte à la santé, c’est-à-dire qu’il se présente comme la condition sine qua non de cette atteinte (ATF 148 V 356 consid. 3; 148 V 138 consid. 5.1.1; 142 V 435 consid. 1).

Consid. 3.1.2
En vertu de l’art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l’atteinte à la santé n’est que partiellement imputable à l’accident. Lorsqu’un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l’assurance-accidents d’allouer des prestations cesse si l’accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l’accident. Tel est le cas lorsque l’état de santé de l’intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l’accident (statu quo ante) ou à celui qui existerait même sans l’accident par suite d’un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n’est pas rétabli, l’assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l’état maladif préexistant, dans la mesure où il s’est manifesté à l’occasion de l’accident ou a été aggravé par ce dernier (ATF 146 V 51 consid. 5.1 et les arrêts cités). En principe, on examinera si l’atteinte à la santé est encore imputable à l’accident ou ne l’est plus (statu quo ante ou statu quo sine) sur le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1), étant précisé que le fardeau de la preuve de la disparition du lien de causalité appartient à la partie qui invoque la suppression du droit (ATF 146 V 51 consid. 5.1 in fine; arrêt 8C_675/2023 du 22 mai 2024 consid. 3).

Consid. 3.1.3
Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis motivé d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en oeuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.5 et 4.6).

Consid. 3.2
Dans un arrêt publié aux ATF 146 V 51, le Tribunal fédéral a examiné les répercussions de la modification législative relative aux lésions corporelles assimilées à un accident (art. 6 al. 2 LAA dans sa teneur en vigueur dès le 1 er janvier 2017). Il s’est notamment penché sur la question de savoir quelle disposition était désormais applicable lorsque l’assureur-accidents avait admis l’existence d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA et que l’assuré souffrait d’une lésion corporelle comprise dans la liste de l’art. 6 al. 2 LAA. Le Tribunal fédéral a admis que dans l’hypothèse où une telle lésion est imputable à un accident, l’assureur-accidents doit prendre en charge les suites de la lésion en cause sur la base de l’art. 6 al. 1 LAA, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il soit établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’accident ne constitue plus, même très partiellement, la cause naturelle et adéquate de la lésion. En revanche, en l’absence d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA, l’assureur-accidents est en principe tenu de verser des prestations pour une lésion corporelle comprise dans la liste de l’art. 6 al. 2 LAA, à moins qu’il ne prouve que cette lésion est due principalement à l’usure ou à une maladie. Cela étant, lorsque l’assureur-accidents fournit la preuve qu’un accident n’est pas une cause, même très partielle, d’une lésion corporelle de la liste et qu’il n’existe par ailleurs pas d’indice qu’un événement survenu après l’accident pourrait constituer une cause possible de cette lésion, la preuve que celle-ci est due de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie est par là-même apportée (ATF 146 V 51 consid. 9.1 et 9.2).

Consid. 4.1 [résumé]
La cour cantonale a qualifié l’événement du 03.04.2022 d’accident au sens de l’art. 4 LPGA, point non contesté par les parties, et a admis le lien de causalité entre les contusions aux genoux et cet accident. Elle s’est ensuite penchée sur l’origine traumatique de la déchirure méniscale droite, en s’appuyant sur l’IRM du 12.04.2022, un test de Lachman positif qui révélait, selon les juges cantonaux, une probable rupture (partielle) du ligament croisé antérieur (LCA) confirmée lors de l’arthroscopie du 19.09.2022.

Les juges cantonaux ont retenu que les images IRM et les explications du chirurgien traitant démontraient l’origine accidentelle des lésions (déchirures du ménisque interne/externe et du LCA), malgré des signes dégénératifs chroniques. Ils ont souligné que le chirurgien traitant avait rapidement procédé à une méniscectomie avec suture plutôt que d’avoir recours à un traitement conservateur.

Le tribunal cantonal a encore souligné que le fait que le médecin-conseil mettait en avant des signes dégénératifs préexistants ne suffisait pas à expliquer la déchirure extrêmement complexe de la corne antérieure du ménisque interne et la déchirure partielle du LCA, surtout chez une assurée encore jeune. Sur la base de son évaluation, la cour cantonale a considéré que la déchirure du ménisque du genou droit était due à l’accident. Elle est parvenue à la conclusion que l’assureur-accidents était tenu de verser des prestations au-delà du délai de six semaines.

Consid. 4.3.1
Pour le chirurgien orthopédique traitant – dont les explications sont convaincantes selon la juridiction cantonale -, le traumatisme du 03.04.2022 est à l’origine de la déchirure du ménisque interne du genou droit. Ce spécialiste relève qu’à l’IRM du 12.04.2022 le radiologue n’a, à aucun moment, décrit une lésion dégénérative de ce genou mais uniquement une déchirure méniscale. L’assurée présente une déchirure grave du ménisque interne avec un arrachement de la corne antérieure secondaire à l’accident, sans évidence d’un état antérieur. De surcroît, selon lui, on ne suture pas les ménisques dans le cadre de lésions dégénératives. Le chirurgien énonce également suivre l’assurée depuis octobre 2009, laquelle ne s’est jamais plainte d’un quelconque problème de son genou droit.

Consid. 4.3.2
Selon le médecin-conseil, l’assurée présentait déjà une lésion méniscale du genou droit avant l’événement du 03.04.2022. En effet, l’IRM réalisée le 12.04.2022 mettait en évidence une lésion linéaire, horizontale oblique, soit une lésion dégénérative, qui évolue sur deux à quatre ans. Selon le rapport du radiologue, la contusion du genou n’avait provoqué qu’une fine bursite prépatellaire, sans épanchement, sans lésion ligamentaire ni oedème osseux. Une contusion ne provoquait pas de déchirure méniscale ni de chondropathie. Les images de l’arthroscopie du 19.09.2022 confirmaient également l’état dégénératif du ménisque interne et la chondropathie. Le médecin-conseil a maintenu que la bursite due à la contusion guérissait habituellement en six semaines.

Consid. 4.3.3 [résumé]
En l’état, les opinions du médecin-conseil et du chirurgien traitant divergent quant à l’interprétation des imageries et l’existence d’un état dégénératif préexistant. Le premier fonde son analyse sur sa propre lecture commentée de l’IRM du 12.04.2022 et de l’arthroscopie du 19.09.2022, tandis que le second s’en tient strictement au rapport radiologique initial, soulignant que ni lui ni le médecin-conseil ne sont radiologues.

Le désaccord porte également sur le mécanisme lésionnel : le médecin-conseil exclut qu’un choc direct puisse provoquer une déchirure méniscale, alors que le chirurgien affirme son origine nécessairement traumatique. Ce dernier a toutefois nuancé sa position, en procédure cantonale, en reconnaissant l’incertitude sur le mécanisme exact (choc direct ou rotation) lors de la chute.

Cela étant, la juridiction cantonale ne pouvait, sans autre mesure d’instruction, interpréter elle-même les clichés de l’IRM du 12.04.2022 pour en déduire les signes dégénératifs et les signes traumatiques. Elle ne pouvait par ailleurs se fier sans autre à l’avis du chirurgien orthopédique traitant, dès lors qu’il fait état de considérations juridiques en énonçant que lorsqu’il y a une chute et une déchirure du ménisque, il s’agit toujours d’un accident selon l’art. 6 LAA. Enfin, on rappellera que la manifestation de symptômes douloureux après la survenance d’un accident ne suffit pas, à elle seule, à établir un rapport de causalité naturelle avec l’accident (raisonnement « post hoc, ergo propter hoc »; ATF 142 V 325 consid. 2.3.2.2; 119 V 335 consid. 2b/bb).

Consid. 4.3.4
Les avis contradictoires – et impossibles à départager sans connaissances médicales spécialisées – du médecin-conseil et du chirurgien orthopédique traitant ne permettent pas de se prononcer quant à l’existence d’un lien de causalité naturelle entre la déchirure méniscale du genou droit et l’accident du 03.04.2022. La cause doit être examinée plus en détail, de sorte qu’elle sera renvoyée à l’assurance-accidents pour mise en œuvre d’une expertise auprès d’un spécialiste en chirurgie orthopédique, qui s’adjoindra s’il l’estime nécessaire l’aide d’un spécialiste en radiologie. Il appartiendra à l’expert de déterminer si l’événement du 03.04.2022 est une cause, même très partielle, de la déchirure du ménisque interne du genou droit, au degré de la vraisemblance prépondérante, ou si cette atteinte est exclusivement dégénérative. L’assurance-accidents rendra ensuite une nouvelle décision sur le droit aux prestations de l’assurée au-delà du 15.05.2022. En ce sens, le recours se révèle bien fondé.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et la décision sur opposition.

 

Arrêt 8C_686/2024 consultable ici

 

8C_461/2024 (f) du 26.03.2025 – Gain assuré pour l’indemnité journalière LAA / Salaire déterminant pour les associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives / Associé d’une Sàrl après l’accident

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_461/2024 (f) du 26.03.2025

 

Consultable ici

 

Gain assuré pour l’indemnité journalière LAA / 15 LAA

Salaire déterminant pour les associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives / 22 al. 2 let. c OLAA

Associé d’une Sàrl après l’accident – Vraisemblance de la qualité d’associé de la Sàrl au moment de l’accident

 

L’assuré, né en 1972, occupait un emploi à 90% comme gérant d’immeubles chez B.__. À la suite d’un accident de ski survenu le 13.02.2022 entraînant une tétraplégie complète, il a demandé le 19.05.2022 à son assurance-accidents une majoration de son gain assuré. Cette demande concernait un revenu hypothétique de 22’425 fr. 60 lié à son activité parallèle depuis l’été 2020 au sein de la société C.__ Sàrl (exploitant un bar à vin dont les associés inscrits au registre du commerce étaient alors D.__ et E.__), bien qu’aucun salaire n’ait été effectivement perçu,

L’assuré a invoqué l’art. 22 al. 2 let. c OLAA, soutenant avoir travaillé environ 80 heures mensuelles comme co-gérant. Il a produit une attestation de D.__ (10.05.2022) mentionnant un versement de 40’000 fr. en juillet 2020 pour l’acquisition de parts sociales, ainsi qu’une déclaration de E.__ (11.05.2022) confirmant l’assuré avait régulièrement travaillé en qualité de co-gérant de la société C.__ Sàrl à hauteur d’environ 80 heures par mois depuis le mois de juillet 2020.

L’assurance-accidents a rejeté sa demande le 10.06.2022, soulignant que l’assuré n’était ni inscrit au registre du commerce comme associé-gérant, ni déclaré à l’AVS pour cette activité, et absent de la police d’assurance de C.__ Sàrl. Malgré l’argumentation de l’assuré le 15.06.2022 sur son acquisition de parts sociales et le rapport particulier avec l’employeur, les décisions du 09.08.2022 et 21.10.2022 ont confirmé le refus de majoration du gain assuré.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 130/22 – 75/2024 – consultable ici)

Par jugement du 02.07.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 15 LAA, les indemnités journalières et les rentes sont calculées d’après le gain assuré (al. 1). Est réputé tel, pour le calcul des indemnités journalières, le dernier salaire que l’assuré a reçu avant l’accident (al. 2). L’alinéa 3 lettre c de cette disposition confère au Conseil fédéral la compétence d’édicter des prescriptions sur le gain assuré pris en considération lorsque l’assuré ne gagne pas, ou pas encore, le salaire usuel dans sa profession.

Selon l’art. 22 al. 2 OLAA, est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS, sous réserve, en particulier, des membres de la famille de l’employeur travaillant dans l’entreprise, des associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives, pour lesquels il est au moins tenu compte du salaire correspondant aux usages professionnels et locaux (art. 22 al. 2 let. c OLAA). Le but de cette réglementation est d’éviter que les assurés qui se trouvent dans un rapport particulier avec leur employeur et, de ce fait, perçoivent un gain inférieur à celui qu’ils pourraient réaliser normalement sur le marché du travail, ne soient désavantagés lorsqu’ils ont droit à des prestations de l’assurance-accidents (arrêt 8C_14/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.3).

Consid. 4 [résumé]
La juridiction cantonale a refusé de reconnaître l’existence d’une activité régulière du recourant au sein de C.__ Sàrl avant l’accident du 13.02.2022, faute de preuves atteignant le degré de vraisemblance prépondérante. Elle a relevé l’absence totale de cotisations AVS déclarées pour cette société sur le compte individuel de l’assuré, le fait que ce dernier n’avait jamais été déclaré par le biais de la police d’assurance-accidents de cette société et qu’aucune annonce n’ayant au demeurant été faite à la caisse supplétive.

Aucun document probant (emploi du temps, correspondance, etc.) n’a été produit pour étayer les 80 heures mensuelles alléguées. L’assuré n’a notamment pas fourni les enregistrements horaires requis par l’art. 21 CCNT pour les hôtels/restaurants, convention qu’il invoquait paradoxalement pour calculer son salaire hypothétique. Les juges cantonaux ont précisé que cette disposition ne prévoit aucune exception pour les cadres.

Les difficultés financières liées à la pandémie avancées pour justifier l’absence de rémunération n’ont été corroborées par aucun document comptable. La qualification de stagiaire a été écartée dès lors qu’il n’expliquait pas quel métier ou titre il visait, et en l’absence de patente conforme à l’art. 8 de la loi cantonale sur les débits de boissons. En outre, la CCNT prévoyait une rémunération obligatoire des stagiaires, laquelle faisait défaut chez l’assuré.

L’assuré ne disposait par ailleurs pas de la qualité d’associé-gérant à la date de l’accident. La cession des parts sociales n’est intervenue que le 01.06.2023 (avec approbation de l’assemblée à cette date), et l’inscription au registre du commerce seulement le 13.12.2023. Le tribunal cantonal a souligné que la cession requérait un écrit et une validation collective, conditions non remplies avant l’accident. Enfin, aucun lien familial avec les associés n’a été établi.

En définitive, les juges cantonaux ont considéré que les éléments versés au dossier ne permettaient pas d’établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré était gérant, associé ou employé de C.__ Sàrl au moment de l’accident, ni qu’un lien familial ne fût établi avec l’un des gérants ou associés de cette société.

Consid. 5.2.1 [résumé]
L’assuré invoque une violation de son droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) et du principe inquisitoire, reprochant à la juridiction cantonale d’avoir mené une instruction incomplète sur son activité présumée au sein de C.__ Sàrl. Il estime que la cour cantonale aurait dû solliciter des preuves complémentaires si elle doutait de cette activité, d’autant que l’assureur n’avait pas contesté son existence lors de la décision sur opposition.

Consid. 5.2.2
Le droit d’être entendu découlant de l’art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour le justiciable de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Selon la maxime inquisitoire, il appartient au juge qui dirige la procédure de dire quels sont les faits pertinents et d’administrer les preuves propres à les établir. Il peut ainsi renoncer à procéder à des mesures d’instruction lorsqu’il parvient à la conclusion qu’elles ne sont pas décisives pour la solution du litige ou qu’elles ne pourraient l’amener à modifier son opinion. Ce refus d’instruire ne viole le droit d’être entendu des parties que si l’appréciation anticipée de la pertinence du moyen de preuve offert à laquelle le juge a ainsi procédé est entachée d’arbitraire (cf. sur cette notion, ATF 148 II 465 consid. 8.1; 148 I 145 consid. 6.1). Le principe de la maxime inquisitoire ne lui interdit donc pas de procéder à une appréciation anticipée des preuves déjà recueillies pour évaluer la nécessité d’en administrer d’autres (ATF 130 III 734 consid. 2.2.3; arrêt 1P.145/1999 du 5 octobre 1999 consid. 3a).

Consid. 5.2.3 [résumé]
La cour cantonale a justifié son refus d’auditionner E.__ en estimant disposer d’éléments suffisants pour trancher. Elle a relevé que ce témoin s’était déjà exprimé par écrit et que son audition n’aurait pas modifié l’appréciation des faits, déjà dûment établi par les pièces du dossier. Les juges cantonaux ont ainsi procédé à une appréciation anticipée des preuves.

Pour ce qui a trait à l’instruction de la cause, la juge instructrice a requis de l’assuré un certain nombre de documents destinés à étayer ses allégations relatives à son activité pour le compte de la société C.__ Sàrl. On ne voit pas à quelle mesure d’instruction supplémentaire aurait dû ou pu procéder la cour cantonale. Les faits déterminants pour l’issue du litige ont été établis. Que la juridiction cantonale n’ait finalement pas suivi la version de l’assuré ne dénote pas un défaut d’instruction. On ne discerne ainsi aucune violation du droit d’être entendu ou de la maxime inquisitoire. Le grief est rejeté.

Consid. 6.1 [résumé]
L’assuré conteste la définition restrictive de la qualité d’associé retenue par la cour cantonale, qui conditionne celle-ci à l’inscription au registre du commerce. Il invoque l’art. 22 al. 2 let. c OLAA, soutenant que sa participation économique effective à la société C.__ Sàrl depuis juillet 2020. Par ailleurs, l’exigence de l’inscription au registre du commerce ne ressort pas de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA.

Il souligne avoir notamment agi comme co-gérant et endossé le risque économique de l’entreprise. Il était donc bel et bien dans une relation spéciale avec son employeur, raison pour laquelle il avait accepté de travailler sans percevoir de salaire en raison des mauvais résultats économiques de la société.

Il relève aussi une inégalité de traitement inadmissible entre les associés déjà inscrits au registre du commerce et ceux qui ne le sont pas encore, alors qu’ils seraient matériellement dans la même situation (prise de décisions, gestion de la société, fardeau du risque économique).

Consid. 6.2
On ne saurait suivre l’assuré lorsqu’il affirme qu’il devait être reconnu comme associé de la société C.__ Sàrl depuis juillet 2020. Il ressort en effet des constatations de la juridiction cantonale que la cession des parts sociales de la société C.__ Sàrl achetées par l’assuré à D.__ en 2020 n’a eu lieu que le 01.06.2023, selon le contrat de cession de parts sociales du même jour. Une telle cession requiert en outre l’approbation de l’assemblée des associés (art. 786 CO), laquelle n’a été donnée que lors de l’assemblée du 01.06.2023, soit postérieurement à la date de l’accident. La cession des parts sociales n’a donc pas pu déployer ses effets avant cette date, étant par ailleurs observé que l’assuré n’a été inscrit au registre du commerce que six mois plus tard, le 13.12.2023. Vu ce qui précède, c’est à juste titre que la cour cantonale a retenu que l’assuré n’était pas un associé de la société C.__ Sàrl au moment de l’accident, de sorte que l’art. 22 al. 2 let. c OLAA ne lui était pas applicable pour ce motif déjà.

On relèvera encore que tel qu’il est formulé par l’assuré, le grief tiré d’une violation du principe de l’égalité de traitement ne satisfait manifestement pas aux exigences accrues de motivation imposées par l’art. 106 al. 2 LTF en matière de griefs constitutionnels (ATF 146 I 62 consid. 3; 143 IV 500 consid. 1.1; 142 III 364 consid. 2.4). En effet, c’est justement parce qu’il n’avait pas encore acquis la qualité d’associé conformément aux art. 785 ss CO que l’assuré ne pouvait pas être considéré comme tel au sens de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA, indépendamment de son inscription ou non au registre du commerce. L’assuré admet qu’il n’a perçu aucun salaire soumis à cotisation et n’a produit aucune pièce propre à démontrer qu’un tel salaire aurait au moins été convenu. Un salaire ne peut donc pas être pris en considération dans le gain assuré – l’art. 22 al. 2 let. c OLAA n’étant pas applicable – indépendamment du point de savoir si l’assuré a ou non exercé une activité pour C.__ Sàrl. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les griefs de l’assuré relatifs aux constatations de faits du jugement cantonal sur ce point.

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_461/2024 consultable ici

 

8C_347/2024 (f) du 07.01.2025 – Indemnités journalières LAA et rente AI – Surindemnisation – Frais d’avocat nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de la surindemnisation – 69 al. 2 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_347/2024 (f) du 07.01.2025

 

Consultable ici

 

Indemnités journalières LAA et rente AI – Surindemnisation / 68 LPGA – 69 LPGA

Frais supplémentaires – Frais d’avocat nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de la surindemnisation / 69 al. 2 LPGA

 

Assuré, né en 1973, a subi des accidents de la circulation routière en janvier 2007 et en février 2014, qui ont entraîné des lésions au fémur droit et à la hanche droite. L’assurance-accidents a pris en charge ces deux accidents et a versé des indemnités journalières du 24.05.2007 au 17.09.2007, puis du 17.09.2014 au 31.05.2017. L’assuré a par ailleurs été mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité de l’assurance-invalidité du 01.07.2015 au 31.05.2017. Le 22.05.2017, il est décédé, laissant pour héritiers légaux son épouse B.__ ainsi que leurs deux enfants mineurs.

Statuant le 27.08.2020, l’assurance-accidents a reconnu une surindemnisation de 42’571 fr. 70 en faveur de l’assuré pour la période du 17.09.2014 au 31.05.2017, ce montant devant être compensé avec les arrérages de l’assurance-invalidité. Par décision sur opposition du 18.08.2022, l’assurance-accidents a partiellement admis l’opposition de B.__ et fixé le montant de la surindemnisation à 36’287 fr. 70.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 107/22 – 45/2024 – consultable ici)

Par jugement du 07.05.2024, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que le montant de la surindemnisation a été fixé à 33’025 fr. 75.

 

TF

Consid. 3.2.1
L’art. 69 al. 1 LPGA pose le principe de la concordance des droits (« Kongruenzprinzip »). Selon ce principe, qui a une portée générale dans l’assurance sociale (ATF 142 V 75 consid. 6.3.1), les prestations sociales concomitantes concordent lorsque les assureurs sociaux sont tenus à verser des prestations de même nature et but, pour la même période, pour la même personne et pour le même événement dommageable (arrêt 8C_748/2023 du 6 juin 2024 consid. 4.1.2 et les références citées).

Consid. 3.2.2
Les frais supplémentaires au sens de l’art. 69 al. 2 LPGA sont des frais qui ne peuvent pas être couverts par des prestations sociales. En font notamment partie les frais d’avocat engagés par un assuré, pour autant qu’ils aient été occasionnés par le cas d’assurance. Concrètement, il s’agit des frais d’avocat nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de la surindemnisation. Les frais visant à obtenir des prestations d’une assurance responsabilité civile, par exemple, en sont exclus. En outre, seules les dépenses nécessaires doivent être prises en compte, de sorte que les frais d’avocat dépassant le cadre habituel ne peuvent pas être pris en considération; cela vaut aussi bien pour les frais avant le procès que pour les frais causés par une procédure judiciaire, ces derniers pouvant être pris en compte uniquement dans la mesure où ils n’ont pas été couverts par une indemnité de partie (ATF 139 V 108 consid. 5.7 et 6).

Consid. 3.2.3
L’art. 69 al. 2 LPGA fixe une limite de surindemnisation, laquelle est augmentée en tenant compte de certains postes de dommage et de frais non assurés. Ces postes n’étant pas assurés, ils ne sont pas, par la force des choses, congruents avec les prestations d’assurances sociales prises en compte dans le calcul de la surindemnisation. L’art. 69 al. 2 LPGA a uniquement pour objet la limite de surindemnisation et n’a aucun effet sur le point de savoir quelles prestations sont, selon le principe de la concordance des droits, en concours au sens de l’art. 69 al. 1 LPGA. En d’autres termes, l’extension de la limite de surindemnisation à des éléments non assurés ne remet pas en cause le principe de la concordance des droits (arrêt 9C_480/2022 du 29 août 2024, destiné à la publication, consid. 8.3.2).

Consid. 4 [résumé]
Les juges cantonaux ont confirmé que seuls les frais d’avocats nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales influant sur le calcul de la surindemnisation étaient pris en compte. Les listes de frais liées à des procédures pénales et privées indépendantes ont été écartées.

Concernant la liste n° 1637 (« Procès – hernies inguinales »), les opérations jusqu’au 23.09.2015 avaient déjà été indemnisées dans le cadre de l’assistance judiciaire à hauteur de 2’396 fr. 50. Le solde s’élevait à 340 fr. 20, TVA comprise. Ce montant devait être inclus dans le calcul de surindemnisation. Concernant la liste n° 1094 (« Litige LAA et complémentaire LAA »), il y avait lieu de tenir compte uniquement des opérations qui, au degré de la vraisemblance prépondérante, pouvaient être rattachées à la procédure menée par l’assurance-accidents, soit un montant de 1’235 fr. 56.

Concernant les frais liés à l’office AI, le temps facturé (8 heures et 20 minutes) était excessif et devait être réduit à deux heures, représentant un montant de 646 fr. 20. Seules étaient admises les démarches effectuées auprès de l’OAI ayant un impact direct sur la procédure d’assurance-accidents et sur le calcul de surindemnisation. Enfin, pour la période du 9 juin 2020 au 22 août 2022, les frais admissibles (création de listes, analyses, entretiens téléphoniques et correspondances avec l’assurance-accidents, opposition et examen de la décision sur opposition) s’élevaient à 1’040 fr. Au total, les frais d’avocat retenus étaient ainsi de 3’261 fr. 95, ramenant la surindemnisation à 33’025 fr. 75 (36’287 fr. 70 moins 3’261 fr. 95 [arrondis]).

Le tribunal cantonal a précisé que les frais postérieurs au décès de l’assuré (mai 2017) pouvaient être considérés s’ils concernaient la procédure d’assurance-accidents. Enfin, l’aide apportée par l’épouse avant le décès n’a pas été retenue, faute de perte concrète de revenus.

Consid. 5.1
L’assurance-accidents soutient que l’activité du conseil de l’épouse de l’assuré aurait visé à obtenir des prestations correspondant à la période de référence allant du 17.09.2014 au 31.05.2017, de sorte que les démarches effectuées en dehors de ce cadre temporel ne devraient pas faire partie des frais supplémentaires au sens de l’art. 69 al. 2 LPGA. Il serait contraire à cette disposition et au principe de la concordance des droits de faire abstraction de cette période de référence, en considérant que les frais d’avocat antérieurs et postérieurs à celle-ci et au décès de l’assuré peuvent être pris en compte dans le calcul de surindemnisation.

Consid. 5.2
Cette critique est mal fondée. Faute d’être couverts par des prestations sociales, les frais supplémentaires selon l’art. 69 al. 2 LPGA ne peuvent pas, par définition, être soumis au principe de la concordance des droits ancré à l’art. 69 al. 1 LPGA (cf. consid. 3.2.2 in initio et 3.2.3 supra). Dans ces conditions, on ne saurait limiter les frais d’avocat inclus dans le calcul de surindemnisation à ceux relatifs au travail accompli durant la période correspondant à l’octroi des prestations d’assurances. Seul est décisif le point de savoir si les frais d’avocat – qu’ils soient antérieurs, contemporains ou postérieurs à la période d’indemnisation – étaient ou non nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de la surindemnisation (cf. consid. 3.2.2 supra).

Consid. 6.1 [résumé]
L’assurance-accidents, invoquant une violation de l’art. 69 al. 2 LPGA ainsi qu’une appréciation arbitraire des preuves, reproche aux juges cantonaux d’avoir inclus dans le calcul de surindemnisation des frais d’avocat non nécessaires à l’obtention des prestations sociales déterminantes.

Consid. 6.2.1
Les frais d’avocat portant sur la période entre le 9 juin 2020 et le 22 août 2022 (« création listes opérations et courrier [assureur LAA] », « analyse calcul surindemnisation [assureur LAA] et entretien tél. [assureur LAA] », « opposition [assureur LAA] », « courrier [assureur LAA] » et « examen décision sur opposition et dossier, détermination cliente »), totalisant un montant de 1’040 fr., se rapportent à la procédure de surindemnisation. Or cette procédure ne visait pas en tant que telle à obtenir les prestations d’assurances à prendre en compte dans le calcul de surindemnisation, à savoir les indemnités journalières de l’assurance-accidents et la rente d’invalidité de l’assurance-invalidité. Les frais d’avocat qui y sont liés sortent du cadre défini par la jurisprudence, selon laquelle les frais d’avocat inclus dans le calcul de surindemnisation se limitent aux dépenses nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances déterminantes pour le calcul de surindemnisation (cf. consid. 3.2.2 supra). C’est donc en violation de l’art. 69 al. 2 LPGA que le tribunal cantonal a comptabilisé dans ce calcul le montant de 1’040 fr. relatif aux frais d’avocat engagés dans le cadre de la procédure de surindemnisation. Bien fondé, le grief de l’assurance-accidents portant sur ce montant doit être admis.

Consid. 6.2.2
S’agissant de la liste n° 1094 (« Litige [assureur LAA] et [complémentaire LAA] »), la juridiction cantonale n’a pris en considération que les opérations en lien avec la procédure auprès de l’assurance-accidents. Celle-ci ne conteste pas que les opérations retenues à ce titre par les juges cantonaux, pour un montant total de 1’235 fr. 56, portent bien sur cette procédure. Elle n’expose pas – et on ne voit pas – en quoi ces opérations n’auraient pas été nécessaires à l’obtention des indemnités journalières. Contrairement à ce qu’elle semble penser, le fait que les frais d’avocat aient été engagés avant un procès ou en vue d’un procès ne constitue pas en soi une raison de les exclure du calcul de surindemnisation; le point décisif est de savoir si les démarches de l’avocat dépassent le cadre habituel (cf. consid. 3.2.2 supra), ce que l’assurance-accidents ne soutient pas. L’instance précédente a donc inclus à bon droit le montant de 1’235 fr. 56 dans les frais supplémentaires au sens de l’art. 69 al. 2 LPGA.

Consid. 6.2.3
Il en va de même du montant de 340 fr. 20 correspondant à la liste n° 1637 (« Procès – hernies inguinales »). L’assurance-accidents se limite à indiquer que « rien ne permet de penser que les opérations effectuées […] correspondaient effectivement à des démarches visant à obtenir les prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de surindemnisation », sans expliquer précisément en quoi les opérations effectuées entre le 20 juin 2016 et le 19 décembre 2017 auraient été étrangères à un tel but ou en quoi l’avocat de l’épouse de l’assuré aurait exécuté son mandat en excédant le cadre habituel.

Consid. 6.2.4
Enfin, le raisonnement des juges cantonaux, qui les a amenés à retenir un montant de 646 fr. 20 en lien avec les opérations auprès de l’OAI, ressort clairement de l’arrêt entrepris. Ils ont en effet expliqué pour quelle raison le temps indiqué par le conseil de l’épouse de l’assuré devait être ramené de 8 heures et 20 minutes à deux heures, en précisant que le montant de 646 fr. 20 correspondait à deux heures au tarif horaire de 300 fr., à quoi s’ajoutait la TVA. Le grief tiré d’une violation de l’obligation de motiver (sur cette notion, cf. arrêt 8C_388/2023 du 10 avril 2024 consid. 7.2 et les arrêts cités) s’avère mal fondé. Pour le reste, l’assurance-accidents n’expose pas en quoi les opérations comptabilisées par la cour cantonale n’auraient pas été nécessaires à l’obtention de prestations déterminantes dans le calcul de surindemnisation.

Consid. 6.3
Au vu de ce qui précède, le montant de la surindemnisation fixé par les premiers juges doit être augmenté de 1’040 fr., passant ainsi de 33’025 fr. 75 à 34’065 fr. 75. Le recours doit donc être partiellement admis et l’arrêt cantonal ainsi que la décision sur opposition du 18 août 2022 réformés en ce sens que le montant de la surindemnisation est fixé à 34’065 fr. 75. Le recours est rejeté pour le surplus.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_347/2024 consultable ici